EXERCICE SALARIE DE LA MEDECINE DANS UN CENTRE D’ESTHETIQUE Maitre Christophe EDON – avocat conseil AFMEaa Les récentes modifications réglementaires relatives à la délimitation des actes à visée esthétique pouvant être pratiqués par des médecins a conduit ces derniers à trouver de nouveaux débouchés, voire à rechercher des modes différents d’exercice. Ce mouvement entre en résonance avec le culte du bien-être et « l’anti-âge » à l’origine de l’essor des centres esthétiques, boutiques de remise en forme et autres instituts de beauté. Ces entreprises, dont la vocation est strictement commerciale, font de plus en plus souvent appel à des praticiens de la médecine pour étoffer leur équipe et conférer une caution « scientifique » à leurs actes. Le cabinet est donc de plus en plus régulièrement saisi de difficultés et d’interrogations touchant à l’exercice salarié de la médecine dans un établissement privé d’esthétique. Cette préoccupation touche à plusieurs principes fondamentaux de ce métier : l’indépendance du médecin, la liberté d’installation et de prescription, l’interdiction d’exercer une activité commerciale. Rappelons tout d’abord que l’exercice de la médecine dans le cadre d’un contrat de travail est autorisé depuis une jurisprudence ancienne de 1938 (Cass Civ 26 juillet 1938 II 472), liberté qui a été inscrite dans le code de déontologie puis dans le Code de Santé Publique (CSP) sous les articles R 4127-95 à R 4127-99. On retrouve, au cas particulier du médecin exerçant sous la forme salariée, le critère commun distinctif de tous les contrats de travail : le lien de subordination, étant précisé que la jurisprudence s’attache notamment à vérifier l’existence d’une obligation de respect des horaires et des instructions de l’employeur, l’existence d’une clientèle personnelle, pour déterminer la réalité de ce contrat de travail. A titre indicatif, rappelons l’obligation de soumission du contrat de travail (par définition écrit) au Conseil de l’Ordre départemental dont le médecin salarié dépend (Article L 4113-9 et R 4127-83 du CSP) ainsi que l’inscription de ce dernier au régime général salarié de sécurité sociale. Dans ce cadre juridique, la question de l’indépendance du médecin se pose, notamment sur le plan de sa rémunération. L’article R 4127-97 du CSP répond à cette interrogation en disposant qu’un « médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins ». En d’autres termes, l’indépendance du médecin ne peut être mise à mal ou limitée par les conditions d’exercice imposées par l’employeur (rendement, normes de productivité). Que le médecin exerce dans le cadre d’un établissement de santé ou une structure de soins, type institut de beauté, il sera indispensable de s’assurer du respect des conditions qui viennent d’être décrites. L’exercice de la médecine, qu’elle soit libérale ou salariée, se heurte à deux interdictions rigoureuses édictées par les articles R 4127-23 et R 4127-26 du CSP d’une part, l’article R 4127-25 du CSP d’autre part. Au termes du premier texte « Tout compérage entre médecins, entre médecins et pharmaciens, auxiliaires médicaux ou toutes autres personnes physiques ou morales est interdit». La vocation de ce texte est d’interdire toute entente illicite qui entacherait la liberté et l'indépendance professionnelle des médecins et porterait ainsi atteinte au libre choix des patients. L’on pourrait en effet voir dans l’exercice salarié de la médecine au sein d’une structure commerciale la perte d’indépendance du médecin évoquée ci-dessus dans le sens où ce dernier n’aurait pas d’autre choix que d’examiner le « consommateur » qui lui est présenté par son employeur (sous peine de faute professionnelle justifiant un licenciement) ainsi que la disparition du choix du « patient » qui, enfermé dans un processus de traitement, est contraint de s’adresser au praticien qui lui est présenté. Le second de ces textes vise à prohiber les situations d’autocompérage : « Un médecin ne peut exercer une autre activité que si un tel cumul est compatible avec l'indépendance et la dignité professionnelles et n'est pas susceptible de lui permettre de tirer profit de ses prescriptions ou de ses conseils médicaux. » L’objectif de ce texte, qui est d’éviter que le praticien cumule l'exercice médical avec une autre activité voisine du domaine de la santé, n’entre pas en ligne directe avec notre préoccupation immédiate mais mérite d’être rappelé. Le principal texte relatif à la problématique traitée est l’article R 4127-25 du CSP qui dispose qu’ « il est interdit aux médecins de dispenser des consultations, prescriptions ou avis médicaux dans des locaux commerciaux ou dans tout autre lieu où sont mis en vente des médicaments, produits ou appareils qu'ils prescrivent ou qu'ils utilisent ». Il faut voir dans ce texte une interdiction formelle et générale d’exercice de la médecine dans un cadre commercial, et ce, qu’elle qu’en soit la forme. Il convient donc d’exclure tout exercice de la médecine de manière générale dans les entreprises commerciales, de type centres de remise en forme, instituts de beauté, etc… Ces établissements se distinguent des établissements de soins privés classiques dans lequel l’activité de la médecine salariée est permise, en ce que la nature même de l’activité revêt un caractère commercial et non médical. L’article précité vise expressément les « locaux commerciaux » ou « tout autre lieu où sont mis en vente des médicaments, produits ou appareils ». La tentation pourrait donc être grande de réserver une interprétation stricte de ce texte en autorisant l’exercice (salarié ou non d’ailleurs) de la médecine dans des établissements où seuls des actes médicaux seraient pratiqués à l’exclusion de tout acte de vente caractéristique d’une activité commerciale. A notre connaissance, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur la question et il nous semble qu’il y a lieu de distinguer de deux types de structures en fonction de la finalité de l’acte. Dans les structures de type instituts de beauté, centre d’épilation etc, dans lesquels les interventions sont de nature commerciale à l’exclusion de tout geste médical, même si aucune vente n’y est faite, l’interdiction de l’article précité est applicable. A noter que le Conseil National de l’Ordre des médecins « met en garde » contre une activité de médecin prescripteur ou de consultant dans des "centres" où sont délivrés des conseils d'hygiène, de diététique ou proposée une "remise en forme". A l’inverse, on voit se développer des structures dites de « plateaux techniques » (analogues à celles que l’on trouve dans d’autres domaines de la médecine) dans lesquelles les médecins mettent en commun le matériel (souvent onéreux) nécessaires à l’exercice de leur art. A notre sens, ce type de structures (dont certaines prennent la forme d’une société commerciale louant aux praticiens des temps d’utilisation des matériels qu’elles ont acquis) permet l’exercice de la médecine en libéral ou salarié. En effet, la vocation, devrait-on dire l’objet social, de ces entreprises est de mettre à disposition de praticiens, moyennant finance (à fixer en conformité avec le code de déontologie) du matériel techniques permettant à ses derniers de pratiquer des actes de médecine. Il n’y a ici aucune activité mercantile pouvant donner lieu à compérage que l’article R 4127-23 du CSP vise à proscrire ou acte de commerce que l’article R 4127-25 interdit. On veillera cependant à soumettre le projet de convention pouvant lier le médecin à ladite structure afin de recueillir son agrément. A cette occasion, un travail pédagogique est souvent nécessaire mais il permet de protéger le praticien qui parvient à convaincre son Ordre de l’absence totale de visée mercantile de sa démarche justifiée par la seule préoccupation de rationalisation de sa gestion. L’intervention du législateur nous paraît nécessaire pour lever l’ambiguïté existante sur la nature de ces structures afin de permettre aux praticiens de lutter à armes égales contre les effets d’une réglementation restrictive de leurs champs de compétence et ceux d’une concurrence agressive des instituts de beauté qui ne veut pas dire son nom. * * *