corps et interaction

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3- un exemple : Corps et interactions en situation.
piste bleue
Nous avons présenté en 2ème partie la notion de schéma corporel. Cependant, cette perception non
consciente du corps n'est pas aussi objective que présentée. Elle est elle aussi traversée par l'histoire
sociale et personnelle du sujet et transformée par le regard des autres.
L'histoire affective du sujet s'inscrit dans l'image du corps conçue comme une structure libidinale
dynamique qui varie en fonction de nos rapports avec le milieu physique, vital et social donc « en
perpétuelle auto-construction et auto-destruction » (Schilder, 1968). C’est un processus continuel de
différenciation et d’intégration de toutes les expériences incorporées au cours de notre vie
(perceptives, motrices affectives, sexuelles ...).
L'histoire sociale s'inscrit dans l'habitus corporel 1 et modèle les techniques du corps (M Mauss, rééd
1983)(les façons de se tenir, de se mouvoir, d'inter-agir, de s'habiller etc…). Celui-ci provoque des
réactions, des regards, des représentations chez les autres qui à leur tour change le regard que chacun
porte sur son corps et donc la perception qu'il en a. L'apparence et la morphologie de chacun sont
interprétées par les autres qui nous regardent d'une certaine façon, regard que nous percevons
confusément et transforme à son tour notre propre regard sur nous même.
Ainsi chacun est amené à donner une valeur affective à certaines parties de son corps, va surinvestir
certaines zones corporelles au détriment d'autres, va avoir développé des capacités à percevoir plus
importantes pour certaines parties de son anatomie, va en fonction de la situation et en particulier des
autres accepter son corps sous leur regard ou pas.
Cela va se traduire par une perception de soi particulière, parfois une incapacité à mouvoir finement
des parties du corps, va entraîner des états de tension et donc un tonus incompatible avec les
coordinations nécessaires etc…
La notion de schéma corporel pourrait donc ici encore être un concept inter-disciplinaire qui rende
compte de la complexité du fonctionnement de l’individu. Il renvoie au dialogue corporel de l’individu
avec l’environnement et repose sur l'histoire de chacun. Il est co-construit dans la relation à
l’environnement en même temps qu’il construit l’environnement, il se construit en situation en même
temps qu’il construit la situation.
1
Cf chap 13,II-l’apport des sciences sociales et Boltansky 1969, Le Breton 1992
Piste noire : corps et interactions en situation de classe.
Nous avons vu comment la perception et la cognition étaient des constructions dans la 2 ème partie et
dans la 5ème partie. La perception de soi même, de l’environnement dépendent du fonctionnement de
l’organisme comme le fonctionnement de cet organisme dépend de l’environnement.
La construction du corps dépend de la perception de celui-ci et des actions dans l’environnement qui
eux mêmes dépendent de cette construction. Cette dernière dépend donc du fonctionnement de
l’organisme et de ses capacités sensori-motrices mais aussi de son histoire culturelle, psychologique et
de la façon dont le sujet se perçoit en train d’agir et agit.
Une situation de classe, tout comme une situation d’entraînement ou d’apprentissage peut être étudiée
à travers les manifestations corporelles, à travers les interactions corporelles en situation. Les
différentes façons de vivre son corps, de sentir le regard des autres, de se regarder, les différents désirs
et les différents corps et les différentes parties du corps valorisées interagissent continuellement en
situation et participent à la construction du projet de chacun.
.I- Corps, identité et socialisation.
1- Le corps social: une construction, un produit, un signifiant, le résultat d'un processus, un
producteur.
"Le corps semble aller de soi" (D Le Breton, 1992) puisque la condition humaine est
corporelle, "que l'homme est indissociable du corps qui lui donne épaisseur et la sensibilité de son être
au monde". Et pourtant Le corps n'est pas un donné en soi, la conscience du corps ne va pas de soi, "il
ne prend sens qu'avec le regard culturel de l'homme", il "est une construction symbolique". "Les
représentations du corps et les savoirs qui l'atteignent sont tributaires d'un état social, d'une vision du
monde, et à l'intérieur de cette dernière d'une définition de la personne".
Le corps est ainsi tributaire d'une société donné et d'une époque mais il est aussi façonné par elle, il est
ce en quoi "se mire la société", "le symbole de l'intégrité du corps social" (M Bernard, 1981), "il
fournit à la société un moyen de se représenter, de se comprendre et d'agir sur elle-même".
L'intermédiaire entre le corps de l'individu et le corps social est l'apprentissage des techniques du corps
qui "sont les façons dont les hommes société par société savent se servir de leur corps de manière
traditionnelle" (M Mauss, 1968). Chaque société à travers les faits d'éducation impose à l'individu un
usage déterminé de son corps, "de l'art d'utiliser le corps humain", par l'intermédiaire des besoins et
des activités corporelles. Cet "habitus corporel", véritable "principe producteur de pratique" (Bourdieu,
1980), "structure structurée appelée à fonctionner comme structure structurante" (Bourdieu, 1972),
"cette loi immanente lex insita inscrite dans le corps par une histoire identique" devient l'organisateur
et des pratiques corporelles et du rapport au corps, en même temps que la référence pour apprécier
l'autre dans la relation sociale et décrypter la réalité pour agir. "Dimension fondamentale du sens de
l'orientation sociale, l'hexis corporelle est une manière pratique d'éprouver et d'exprimer le sens que
l'on a, comme on dit, de sa propre valeur sociale... Tout se passe comme si les conditionnements
sociaux attachés à la condition sociale tendaient à inscrire le rapport au monde social dans un rapport
durable et généralisé au corps propre, une manière de tenir son corps, de le présenter aux autres, de le
mouvoir, de lui faire une place, qui donne au corps sa physionomie sociale" Ainsi chacun apprécie
l'autre sur et à partir de sa propre hexis corporelle, et "les sociétés en traitant le corps comme une
mémoire, lui confient sous une forme abrégée et pratique, les principes fondamentaux de l'arbitraire
culturel".
le corps est donc un produit social et un marqueur social, il nous permet de nous reconnaître mais
aussi de distinguer, il nous permet de situer les autres dans la relation, mais aussi d'être "catalogué", il
est celui à partir duquel on va comprendre le monde social et agir sur lui, et il est pour toutes ses
raisons celui dont l'éducation ne saurait être laissée au hasard.
Le corps est donc le résultat d'une intériorisation du social dans l'individu et donc des processus qui
participent à "une mise en société" (Chamborédon, 1971) de celui-ci.
Mais il est aussi ce par quoi l'individu se différencie, s'affirme comme personne autonome en
particulier par le biais des différentes interactions qu'il peut vivre dans différentes situations, situations
dans lesquelles il met son corps en scène (Goffman, 1971) et apprend à partir de son histoire à tenir
différents rôles, à contenir son corps et à jouer de son corps, où il apprend progressivement à maîtriser
les "allants de soi" corporels propres à un milieu donné, à un rôle donné. "Les sociétés occidentales,
confrontées à la désymbolisation de leur rapport au monde, où les relations formelles l'emportent
toujours davantage sur les relations de sens (et donc de valeurs) engendrent des formes inédites de
socialisation qui privilégient le corps, mais le corps ganté de signes éphémères, objet d'un
investissement croissant" (D Le Breton, 1992). alors, l'individu, "cherche son unité de sujet en
agençant des signes où il cherche à produire son identité et à se faire socialement reconnaître".
Le corps devient ainsi à la fois le porteur d'un histoire et le lieu d'inscription des structures, à la fois le
vecteur des transformations et le support de l'identité de l'acteur, il est la résultante de l'ensemble des
processus de socialisation, processus résultant à la fois d'une intériorisation du social dans l'individu et
du produit des interactions sociales (P Garnier, 1992). S'interroger sur le corps revient à interroger le
processus de socialisation et à s'intéresser à "tous les cursus, toutes les expériences, tous les parcours
générateurs d'apprentissage ou (...) générateurs de transformation des habitus et des représentations"
(Ph Perrenoud, 1988). Le corps est alors "le lieu privilégié d'intelligibilité des procès de socialisation
(...), à la fois par l'incorporation du sociétal dans l'individuel, soit selon une logique structurelle
comme naturalisation de la règle, soit selon une logique actancielle comme interaction d'affects par
lesquels se constitue le lien social, à la fois grâce à la marge de manoeuvre dont disposent les acteurs
qui "opèrent par stratégies et tactiques au sein des systèmes de contraintes dont la détermination
complexe implique une part d'incertitude et d'indétermination" (M Drulhe, 1985).
Pour comprendre ce qui se déroule dans la situation, comment s’établissent les interactions sociales
mais aussi comment le sujet appréhende la tâche et son contexte, il devient dès lors nécessaire de
s'intéresser non seulement au corps produit mais surtout au corps producteur, "au corps ludique qui
réalise des stratégies de réappropriation et un certain déchaînement des passions" et pour cela
d'observer les divers aspects corporels de ce qui est impliqué dans les procès de socialisation, aussi
bien ce qui relève de la matérialité corporelle que des représentations sous-jacentes ayant trait au
corps, à ses postures et à ses gestes pour le présenter et en rendre compte et être attentif aux pratiques
corporelles productrices d'effets particuliers dans l'interaction.
2- Corps et identité, image de soi et image du corps.
Le corps est plus qu'un produit et un producteur. Il est la résultante d'un processus tant social
q'individuel qui fait se croiser en lui le monde social en faisant incorporer à l'homme les objets sociaux
et le monde des pulsions individuelles qui nécessitent une sublimation, un investissement
fantasmatique et un processus de symbolisation, "C'est en lui que s'accomplit l'activité de structuration
symbolique du monde" (M bernard, 1981) la résultante se déclinant pour chacun en image du corps.
C'est ainsi que "notre corps ne se confond ni avec sa réalité biologique en tant qu'organisme vivant, ni
avec sa réalité imaginaire en tant que fantasme, ni avec sa réalité sociale en tant que configuration et
pratiques culturelles. Il est en quelque sorte plus et moins que les trois à la fois, dans la mesure où il
est processus de constitution, de formation symbolique, c'est-à-dire fournissant à la fois à la société un
moyen de se représenter, de se comprendre et d'agir sur elle même, et à l'individu, un moyen de
dépasser la simple vie organique par l'objet fantasmé de son désir" ( M Bernard, 1981).
Il est moi au monde, il est à la fois sensation et sens, il est ce qui me donne corps, le porteur de ce que
je suis, l'expression de mon identité, il est le vecteur de l'image de soi comme l'occasion de la
construction de cette image et le "sol dialectique acquis sur lequel s'opère une mise en forme
supérieure" ( Merleau Ponty, 1976 ), il est à la fois le support et l'origine de l'image de soi et de la
quête d'identité. le corps permet de faire entendre une revendication d'existence "quand l'identité
personnelle est en question à travers les remaniements incessants de sens et de valeurs qui marquent la
modernité", de "chercher son unité de sujet en agençant des signes où il cherche à produire son identité
et à se faire socialement reconnaître" (D Le Breton, 1992).
Donc, par le corps, la personne vérifie son existence au monde et cherche à valider son image, image
de soi participant de la constitution progressive de l'identité de l'individu ( B Charlot, et al 1993) tout
en s'expérimentant en tant que "je", porteur d'un pouvoir sur le monde et sur les autres.
Cette construction du "je", individu autonome nécessite la construction d'un Moi peau, première
construction d'une image du corps, limite perméable entre l'intérieur et l'extérieur permettant la fusion
et la séparation, la protection et les échanges, à la fois contenant et contenu (D Anzieu, 1985). Elle
nécessite l'élaboration de l'image du corps qui est une représentation que le sujet se fait de son corps,
la façon dont il lui apparaît plus ou moins consciemment à travers un contexte social et culturel
particularisé par son histoire personnelle (D Le Breton, 1992).
L'image du corps est non seulement une construction qui dépend de l'histoire du sujet et de la relation
qu'il établit aux autres, de l'image de l'image du corps que lui renvoie les autres, "notre corps n'acquiert
une réalité pleine et entière que lorsque notre acceptation du regard et du jugement d'autrui permet de
construire une image du corps en accord avec la configuration fantasmatique dessinée par nos désirs"
(M Bernard, 1981), mais aussi l'expression du sujet, de l'identité de l'individu: "l'image du corps ne
reflète pas seulement la coupure symbolique entre l'intérieur et l'extérieur, l'intime et le social, la
nature et la culture. Elle est aussi représentation où l'extérieur est chargé de rendre perceptible un
intérieur non plus organique mais spirituel. C'est que le corps, en tant qu'emblème, est chargé
d'exprimer le système des valeurs de celui qu'il représente aux yeux des autres" (D Picard, 1983).
L'image du corps, comme l'identité, est alors le résultat d'une construction dans le temps lié au
processus biographique à partir des catégories offertes par les institutions successives (famille,
école...) et considérées à la fois comme accessibles et valorisantes (transaction subjective), et d'une
reconnaissance à travers le processus relationnel à un moment donné et au sein d'un espace déterminé
de légitimation (C Dubar, 1992). l'image du corps possède au moins 2 faces d'une même subjectivité
plus ou moins consciente: l'image pour soi, l'image pour autrui représentée et une 3ème, l'image
virtuelle souhaitée.
L'image du corps présentée servira donc de support pour conférer à chacun une 1ère identité sociale en
particulier à l'école, pour lui dénier ou non la possibilité de transformer son identité héritée.
Travailler sur le corps, s'interroger sur l'image du corps, sur les éléments de construction de cette
image, sur les éléments d'information utilisés pour conférer une image, sur l'image de soi renvoyée à
travers le corps de l'autre et l'interprétation de son regard, c'est à la fois poser le problème de la
constitution de chacun comme sujet donc de l'accès à l'autonomie, et celui de la construction de
l'identité, de l'accès à une identité autre que celle conférée, c'est se poser le problème de la réussite et
de la reconnaissance sociale de chacun.
3- Corps et interaction sociale.
Ainsi le corps est un marqueur social, il est ce par quoi l'autre nous attribue un statut et une valeur
sociale, ce par quoi nous nous présentons aux autres. Il est devenu porteur de signes qui permettent de
tenir un rôle et de jouer sur les identités.
Il est ce qui à tout moment va nous signifier aux yeux des autres, va conduire à engager une relation, à
l'orienter avant même le premier mot, interférer, accompagner, marquer toute interaction; le face à
face est un corps à corps. Le corps "ce fait social total" (M Mauss, 1986) est impliqué totalement dans
toute communication, tout échange et il participe à la construction de l'interaction à quatre niveaux.
a- le corps comme a priori dans la relation et système d'excellence et de jugement.
Le corps se présente par son apparence, c'est-à-dire le corps et les objets portés par lui, sa présentation,
sa représentation, ce que l'on voit, comment il est vêtu, arrangé, présenté. Cette apparence corporelle
est une construction, un lieu où se marquent et où se donnent à voir les conditions sociales de sa
production, mais aussi une création individuelle dans le sens où sa production suppose de la part des
acteurs sociaux une interprétation de ses contraintes, des manières de se situer par rapport à elles et de
les négocier (M Pages Delon, 1987), elle est le résultat toujours en devenir d'un procès complexe à
travers lequel se réalise la combinaison du structurel et de l'actanciel.
La mise en forme de l'apparence corporelle est "un enchainement de pratiques liées à des normes, des
modèles et des valeurs en vigueur dans un système social donné, qui produisent tout au long de
l'histoire sociale d'un individu l'apparence de son corps comme socialisé". Elle devient le support de
jugements sociaux, l'occasion d'un regard sur l'autre interprétatif et évaluatif et signe de l'excellence
corporelle qui, comme elle se rapporte à des pratiques, s'ancre dans des valeurs et manifeste une
compétence, "un talent", "elle renvoie à une constellation singulière de qualités morales et spirituelles,
de goûts et de dispositions esthétiques, de savoir et de savoir-faire, de compétences intellectuelles,
d'habiletés manuelles ou sensorielles, de forces ou de ressources physiques, d'attitudes ou de traits de
personnalité" (P Perrenoud, 1984). Mr Pages Delon (1987) démontre que le contenu concret des
valeurs d'apparence diffère selon les catégories d'acteurs concernés et renvoie à des morales de
l'apparence différente ainsi qu'à des système différents de hiérarchisation de l'excellence corporelle.
" L'apparence corporelle, porteuse d'information sociale et support de jugements, constitue un système
sémiologique, un para langage: une forme ce communication non verbale. Sa construction et son
contrôle sont des facteurs importants de la socialisation de l'individu" (M Pages Delon, M N Planté,
1985).
Mais le corps se présente aussi par sa morphologie, sa forme, la forme de son visage, la couleur de ses
cheveux et si la morphopsychologie semble être une discipline pour le moins hasardeuse, il s'avère par
contre que "tout le monde infère constamment du physique au psychologique. On ne peut pas voir un
corps humain sans déterminer d'après lui, ce qu'est son esprit, son caractère, ses goûts, ses dispositions
profondes" (M A Descamps, 1989) et "ses inférences sont tellement majoritaires qu'elles constituent
des stéréotypes". Elles "sont cohérentes et constituent une théorie implicite de la personnalité ... qui
correspond à son groupe d'appartenance et surtout à sa culture"; Signes du corps, gestes et emblèmes
ont des significations différentes. A des morphotypes correspondent des stéréotypes! "Et même si ce
premier portrait peut être corrigé par la suite en tenant compte du comportement manifesté à son
égard, la première impression demeure".
L'apparence et la morphologie du corps se conjugue pour construire à priori une idée de la personne,
une représentation de la personne, de son origine sociale, de ses compétences, de son caractère, de sa
personnalité, de sa qualité et de ses qualités qui seront référés aux normes et valeurs prisées, aux traits
de personnalité valorisés. Apparence et morphologie sont des composantes de la distinction, de la
reconnaissance, de la catégorisation, de l'acceptation ou du rejet. L'un se construit et "s'apprend",
l'autre est, mais peut-être transformé partiellement par l'apparence et nécessite un méta regard pour
être dépassé.
Cette composante de l'interaction qui concerne le sujet et l’environnement social, le regard porté par
cet environnement, participe de la construction de la situation.
b- Le corps dans la relation. Les règles corporelles sociales de communication.
Les codes corporels dans le cadre d'une interaction -avec feed-back- sont un apprentissage et varient
d'une culture à une autre, en particulier la distance entre protagonistes, le rapport entre distance et
accessibilité visuelle, le regard, sa durée, son orientation, son objet, l'orientation de son corps sont
différents d'une culture à une autre et ont des significations différentes. En particulier les distances
intimes, personnelles, sociales et publiques avec chacune 2 modalités, proche et lointaine, varient en
fonction de sa culture et du lieu (E Hall, 1971). l'interprétation, les gestes se lisent à travers le système
informel, les indicateurs et leur interprétation sont différente d'un individu à l'autre.
La non concordance des systèmes formels et surtout informel de prise d'information et d'interprétation
est une cause d'incompréhension, de malentendu et de rupture de la communication.
Plus largement, l'interaction corporelle possède une dimension conventionnelle renvoyant à la culture
et une dimension pulsionnelle et organique qui échappe à l'emprise des règles et des codes, elle paraît
s'inscrire dans un champ de tension entre nature et culture, énergie et code, désir et loi et s'offre sous
une triple perspective: celle de la norme, celle du sens et celle de la pulsion (D Picard, 1983). Cet
auteur est amené à distinguer le nomos, système de règles qui structure les interactions, du topos,
ensemble de conduites virtuelles générées par le nomos. Le premier propose un modèle de conformité
valorisé positivement, favorise l'intégration sociale dans un groupe donné, et confère au topos une
signification et une valeur clairement saisissable à l'intérieur du groupe. Il intervient donc comme
système de règles de savoir vivre qui "tend à imposer une structuration normative du temps et de
l'espace social. C'est un système d'assignation de places et de rôles et un système de communication, à
travers cette structure, entre les acteurs sociaux". Ce savoir vivre dans l'interaction corporelle se
signifie à travers la position dans l'espace, la station, et la posture qui se divise en contact (auto
contact, avec autrui, avec les objets), la tenue, le mouvement, sa forme, son intensité, et la posture ou
manière de tenir son corps.
Il y a ainsi un codage du corps qui est "un territoire et une représentation où on retrouve des "lieux"
nobles et des lieux vulgaires, des parties privées et des communs, une scène et des coulisses", et un
codage de son utilisation qui permet d'ailleurs "d'inhiber les conduites agressives ou les impulsions
sexuelles qui pourraient troubler l'interaction sociale".
Dans l'interaction, l'interaction corporelle possède ses propres codes qui servent à nouveau de
marqueur social mais aussi de régulation du pulsionnel dans la relation. Ce système de règles n'est pas
connu et maîtrisé pareillement par tous, ni compréhensible pareillement, ni interprété de la même
façon. Il peut être la source de jugements, d'incompréhensions, de rejets voir d'agression.
Décortiquer l'interaction corporelle, le topos, au niveau du système de règles, le nomos, c'est
comprendre comment se fabrique au jour le jour l'exclusion corporelle et la non acceptation de l'image
du corps, comprendre pourquoi l'image du corps affichée se traduit par une image du corps attribuée,
quels sont les "allants de soi corporels" et comment les acquérir.
c- la communication non verbale.
"Toute communication est interagissante et circulaire, émettant à plusieurs niveaux, de manière
multilinéaire" (M A Descamps, 1989) et multicanale ( J Cosnier, A Brossard, 1984). Lors d'une
interaction de face à face, chaque interactant émet et reçoit un énoncé total, hétérogène, résultant de la
combinaison généralement synergique de plusieurs éléments:
les uns voco accoustiques, les autres visuels. Ces derniers se divisent en 2 codes utilisés
comme marqueurs sociaux qui serviront à la définition contextuelle de la situation par leur fonction
métacommunicative, le statique (morphologique, artifice, parures, etc) et le cinétique lent (facies basal,
rides, postures, etc), et un code, le cinétique rapide (mimiques faciales, gestes, tec) qui participe à la
fois au travail énonciatif et à la composition même de l'énoncé et a donc une fonction co-textuelle.
Une dernière série d'éléments sont les éléments olfactifs, tactiles et thermiques. le contextuel a déjà été
envisagé dans les paragraphes précédents, la dernière série le sera dans le suivant.
"A ces fonctions textuelles dénotatives, connotatives et métacommunicatives manifestes s'ajoutent un
rôle beaucoup moins officiel de la mimogestualité qui est en fait le véhicule de l'implicite et du non
dit. Les dispositions profondes du locuteur, ses intentions latentes, sont susceptibles de transparaître à
son insu à travers ses postures, sa mimogestualité et concourent ainsi avec les autres informations
visuelles à induire chez l'allocutaire une impression permanente ou passagère qui influencera le cour
de l'interaction... En cas de discordance, ce sont les indices visuels qui provoquent les impressions
dominantes" (J Cosnier, A Brossard, 1984).
La communication non verbale a 3 rôles principaux: celui de la pragmatique interactionnelle (partage
de parole, maintien de l'interaction) par des fonctions facilitatrices et inhibitrices, au niveau du
processus énonciatif en facilitant le travail cognitif par l'activité motrice et en jouant un rôle de
régulation homéostatique, par sa fonction homéostatique individuelle.
Le seul énoncé verbale peut-être considérablement modifié et considérablement interprété.
Une analyse de la communication non verbale est indispensable pour apprendre à métacommuniquer
et pour comprendre les ruptures dans la communication, les interprétations multiples, les
représentations des messages émis et de la personne qui les émet que ce soit en situation langagière ou
en situation sportive. Pour cette dernière, il faut rajouter tous les signes et indices corporels, les
déplacements, leur rythme, leur orientation, les échanges de balles avec leur qualité qui sont des
communications directes mais aussi des métacommunications sur le jeu et des métacommuications
affectives 2
d- Le ressenti du corps et l'investissement libidinal.
Tout ne passe pas par l'esprit, la conscience, tout n'est pas identifiable ou rationnel. Par delà la
communication non verbale, les codes corporels, les habitus corporels, la gestion sociale des corps, n'y
2
cf 2ème partie, chap 6, II, 1- la fonction d’information
aurait-il pas une communication corporelle, de corps à corps, avec ou sans la médiation de
l'inconscient?
Ce qui vient d'abord à l'esprit, ce sont les odeurs, "l'enveloppe olfactive que dégage chaque homme est
comme une signature de sa présence au monde, cet ineffable qui fait percevoir l'autre dans son
animalité. "L'odeur, c'est la mauvaise part de l'autre mauvaise part de l'homme qui est sa chair" (D Le
Breton, 1992).
Quand il y a proximité, la chaleur dégagé peut-être source de sensation et de dialogue corporel. De la
même façon, si contact il y a, il est ressenti différemment et a des qualités différentes, cette approche
par le toucher a même donné lieu à une pratique qui soigne les bébés dans le ventre de la mère:
l'hapnopathie.
Le tonus corporel fait lui aussi partie de ce ressenti et J De Ajuriaguerra (1969) parle de dialogue
tonique qui renvoie "à une relation affective primaire qui passe d'un corps à l'autre, de façon le plus
souvent préconsciente, et qui se manifeste par l'interaction de la tonicité musculaire, des attitudes
posturales, des expressions mimiques, des décharges motrices, des symbolisations gestuelles".
Le rayonnement du corps, ce que les chercheurs russes ont appelé l'effet Kylian, cet enveloppe
rayonnante qui se dilate plus ou moins selon les individus, leur état de santé, la situation, est sans
doute aussi l'occasion d'une interaction corporelle et d'une sensation qui prédispose vis à vis de l'autre
avant même toute parole et tout au long de la rencontre. De manière moins scientifique, J
Fontaine(1983) distingue 3 corps: le corps physique, le corps éthérique et le corps astral et soigne le
corps physique à partir des 2 autres. Il est possible que ceux-ci existent et interviennent dans un
dialogue corporel mais il apparaît difficile de le démontrer.
Mais, la libido investit le corps, pas tout le corps, chacun privilégie chez lui et chez l'autre des zones
particulières, ce qui aboutit à la construction d'un corps fantasmatique qui n'est pas un décalque de la
réalité. "Ainsi l'interaction corporelle se situe dans une oscillation constante et irréductible entre la
réalité du corps somatique et l'imaginaire du corps fantasmé, investi par la pulsion, la projection et le
transfert, processus à travers lequel se construit la relation d'objet" (D Picard, 1983).
Par delà la corps social se construit un corps érogène qui interfère avec le premier et aboutit à un
dialogue des images du corps au sens de synthèse vivante de nos expériences émotionnelles,
"incarnation symbolique inconsciente du sujet désirant" (F Dolto,1984), représentation immanente
inconsciente où se source le désir. Ainsi, c'est dans l'image du corps, support du narcissisme que le
temps se croise à l'espace, que le passé inconscient résonne dans la relation présente. Cette image est
camouflable ou actualisable dans la relation ici et maintenant par toute expression langagière, dessin ...
comme aussi mimique et geste. Pour les psychanalyste, "d'une part la parole s'étaye sur le corps, sur
ses mouvements pulsionnels, sur sa reprise imaginaire dans le fantasme; d'autre part, la parole infiltre
le corps et celui-ci peut,..., se substituer au langage dans sa fonction signifiante et son rôle de
communication" (D Picard, 1983).
Cette dimension de l'interaction corporelle qui s'appuie sur le sujet désirant est incontournable
puisqu'il s'agit là du passage nécessaire pour donner validité à son désir, se reconnaître en tant que
personne désirante, en tant que "je" sexué et désirable. Elle est indispensable pour pouvoir apprendre,
pour désirer le savoir à travers le désir de l’enseignant et le désir pour l’enseignant alors même que
l’enseignant est obligé de nier l’enseigné en tant que porteur de désir et de violence. (Pujade Renaud
C, Zimmerman D,1976).
"Il convient donc, dans l'interaction corporelle, de mettre en lumière une unité essentielle faite de
l'articulation entre un niveau énergétique (trouvant sa source dans la pulsion) et un niveau sémiotique
(où l'énergie pulsionnelle s'investit dans des représentations), articulation qui donne "sens" et
signification à la relation".(D Picard, 1983).
Tout travail sur le corps nécessite ainsi de l'envisager comme corps social, comme corps
communiquant et comme corps libidinal. L'interaction corporelle s'offre sous une quadruple
perspective, celle de la norme qui renvoie à la lecture sociale du corps, celui de la signification qui
dépend de codes et permet une communication formelle, celui du sens que prend au niveau de
l'individu en relation avec son propre investissement fantasmatique et sa structuration symbolique tout
signe corporel, et celui de la pulsion et de l'investissement libidinal sur le corps.
Tenter d'analyser et de comprendre les interactions corporelles revient à analyser le processus
interactionnel dans la construction de l'identité et son rôle dans le processus de socialisation, c'est
comprendre à partir du corps et par delà le corps, grâce à l'image du corps et à l'image de soi, comment
chaque individu se construit ou s'aliène, se connaît, se reconnaît et est reconnu, acquiert des
compétences d'intégration, se socialise.
S'interroger sur les manifestations corporelles et sur les interactions corporelles c'est s'interroger sur le
rôle du corps et de son histoire dans la construction de la situation, mais c’est aussi se donner des
moyens pour étudier l’activité du sujet et les causes de cette activité.
Le corps en tant qu’inscription de l’histoire du sujet, en tant qu’actualisation de cette histoire mais
aussi en tant que porteur de l’action, en tant qu’organisme producteur de l’action, en tant que lieu
d’émergence des processus et en tant que manifestation permet de comprendre la situation et les
raisons d’agir du sujet.
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