LA VIE RELIGIEUSE EN AMÉRIQUE LATINE: opportunités et défis dans la culture médiatique Joana T. Puntel, fsp * INTRODUCTION Je voudrais tout d'abord vous remercier d’avoir inséré le thème de la «communication» dans cette Assemblée sur la vie religieuse en Amérique latine et aux Caraïbes. Je vous remercie également de m’avoir donné l’opportunité de contribuer à cette réflexion sur la réalité nouvelle et pleine de défis à laquelle est confrontée la vie religieuse en ces temps de changements continus, puisque la vie religieuse n'est pas une réalité isolée et marginale, mais elle intéresse toute l'Église.1 En supposant que la suite de Jésus et sa mission inculturée sont les éléments fondateurs de la vie religieuse, je présenterai d'abord brièvement deux REGARDS importants sur lesquels la vie religieuse est appelée à fixer son attention, aujourd'hui, dans le monde de la communication: le regard de Jésus (l'attitude de Jésus) et le regard sur notre culture actuelle (notre réflexion sur une culture médiatique). Dans un deuxième temps, je me pencherai sur la mission de la vie religieuse dans un contexte spécifique : l’Amérique latine et le milieu médiatique (on peut y percevoir trois catégories de religieux). Et, enfin, je présenterai les défis de la culture numérique et des pistes pour « être », « témoigner » et « réaliser la mission » dans celle-ci. 1. DEUX GRANDS REGARDS 1.1 Le regard de Jésus, le grand communicateur 1 Vita Consecrata, n. 3. Du point de vue de la communication, suivre Jésus, c’est tourner le regard vers ses attitudes communicatives. Il ne s’agit pas d’un répertoire composé des relations simples entre Dieu et l'humanité à travers des mots et des gestes. Il y a quelque chose de bien plus profond: Il a assumé la nature humaine en devenant Parole vivante et efficace. Il personnalise la relation, car ce n’est pas quelqu'un qui dit des mots sublimes sur Dieu, ni celui qui porte simplement le message de Dieu, Il est luimême, dans la plénitude de son être, la Parole éternelle de Dieu qui s’est fait l'un d'entre nous. Il est le message incarné. Il ne révèle pas, ne communique pas seulement Dieu, Il est lui-même communication2. En effet, lorsqu’on considère le processus de communication, on se rend compte que Jésus en résume tous les éléments, parce qu'Il est à la fois l'émetteur, le code, le contenu, le moyen, le message, le récepteur. Bien que ce processus évoque l’unilinéarité (Lasswell), la communication de Jésus était interpersonnelle, informative mais aussi provocatrice. En termes de communication, ce qui est important ici, c’est la question du dialogue. Tout le flux de communication de Jésus consistait à ‘révéler’, à ÊTRE, et surtout c’était celui d’un Jésus qui n’est pas seulement un point de rencontre entre le divin et l'humain, mais qui est le Dieu avec nous, qui rend possible une communication authentique, inscrite dans un contexte, et qui vient à la rencontre de la réalité humaine, aujourd'hui comme Il l'a fait en son temps, s’exprimant avec le langage de l’«habitat» pour que son interlocuteur puisse le comprendre. N’oublions pas que l'annonce du message de Jésus, tout en utilisant des images qui parlaient de valeurs et des paraboles qui touchaient des questions essentielles pour les chrétiens de tous les temps, était une annonce cohérente avec le témoignage et la pratique de celui qui l’annonçait. Vera Maria Bombonatto/Fernando Altemeyer Junior: “Trindade, mistério de comunhão e comunicação”, in Teologia e Comunicação. São Paulo: Paulinas, 2011, pages 113-127. 2 2 L'emploi savant des langages3 Jésus de Nazareth est l’homme de la parole et du silence, de la méditation jour et nuit (cf. Ps 1, 2). Les nuits passées dans la prière sont le signe, selon le témoignage évangélique, d'une relation unique avec la source d’amour, le Père. Dans sa prédication, Jésus agit, annonce, dialogue, discute, se tait. Il fait attention aux divers contextes, niveaux et outils de communication. Quand Il agit et parle, Jésus exprime une profonde cohérence: la parole enlève toute ambiguïté au geste, surtout celle du prodige, en l'interprétant comme un signe du Royaume. Jésus communique lui-même au moyen de langages et de genres différents: il parle à la foule en paraboles mais, en homme plein de sagesse, devant les docteurs de la loi, il débat et discute selon les règles argumentatives de l’époque. C’est surtout dans l’Instruction pastorale Communio et progressio que nous trouvons la vraie description de JÉSUS COMMUNICATEUR, vers qui notre regard se tourne, en le suivant. C’est précisément au n. 11 que nous trouvons ces attitudes authentiques de communication: Durant son séjour sur cette terre, le Christ s'est révélé lui-même le parfait "Communicateur". Devenu, par l'Incarnation, semblable à ceux qui devaient recevoir son message, il a proclamé celui-ci avec puissance et sans compromission, par ses paroles et par toute sa conduite, vivant au milieu de son peuple, adoptant la façon de s'exprimer et de penser conforme à son pays et à sa condition4. D'ailleurs communiquer, c'est plus qu'exprimer des idées ou des sentiments, c'est faire le don de soi par amour, selon la réalité profonde de son être: la communication du Christ était "esprit et vie". CP. 11 Les gestes et les mots pour annoncer à tous le salut Le récit et le discours argumentatif ou législatif étaient des modes d’exprimer la volonté de Dieu, et Jésus les fait siens. Tantôt il s'adresse à la grande foule et aux disciples, privilégiant le mode narratif, en particulier les paraboles ; tantôt il recourt à la controverse et à la polémique, avec des interlocuteurs comme les Pharisiens, les Sadducéens ou les docteurs de la loi. La communication de Jésus est profondément dynamique et fait preuve d’une extrême nouveauté, 3 Estudos da CNBB (n. 101) A Comunicação na vida e missão da Igreja no Brasil (CNBB/Paulus), 2010, p.29. 4 C’est moi qui souligne 3 même dans les rencontres avec les pauvres, les pécheurs et les femmes, des catégories qui étaient toutes en marge de la société. En rompant les schémas consolidés du récit en paraboles, ou la dispute rabbinique, sa communication vise directement la vie de l’interlocuteur, dont la supplique est parvenue à l'oreille de Dieu, ce Dieu qui, dans les temps anciens, avait accueilli les cris de deuil de son peuple (cf. Ex 2, 23-25). 1. 2. Le regard sur la culture actuelle Il est désormais courant de constater que les technologies numériques jouent un rôle central dans les changements profonds que nous vivons dans toutes les sphères de la vie sociale. En fait, comme l’affirme le document d'Aparecida, la communication est l'élément qui met en lien tous les changements sociaux (484). Toutefois, ce simple constat tient surtout à un «marché» des nouvelles technologies, qui est en effervescence et qui suscite la fascination pour la machine, et, par conséquent, aux facilités que la «nouveauté» présente. Or, ce qui s’avère nécessaire, c’est une réflexion plus approfondie sur la grande révolution que nous vivons, sur ce scénario caractérisé par l'accélération technologique, et sur comment un être humain évolue sur la scène de la société contemporaine. Toutes les technologies dont nous disposons, en particulier celles de la communication numérique, révèlent nos propres intentions : le but, la raison pour laquelle nous les utilisons. Elles finissent, d’ailleurs, par réinventer constamment leurs caractéristiques, comme la communication par ordinateur. C’est pour cela que, quand on parle de numérique, par exemple, il ne suffit pas de parler des réseaux sociaux sur Internet du point de vue strictement technologique, en oubliant les personnes qui interagissent les unes avec les autres. Il s'agit d'un phénomène de sociabilité médiatisée qui se place entre les aspects humains et technologiques « de telle sorte que nous pouvons les discerner et les comprendre seulement si nous sommes capables de 4 reconnaître et prendre en compte l’ensemble des facteurs multiples et complexes qui sont en jeu ».5 Comprendre la complexité Aujourd'hui, la communication est le «thème central» pour un grand nombre de courants intellectuels qui en font un objet de réflexion, et leurs approches profondes forment un ensemble consistant de points de vue opposés sur la matière, même s’il faut admettre «que le domaine d'étude de la communication sociale est [se présente] désarticulé, conflictuel et vit dans une crise théorique permanente ». Actuellement, le concept de communication est «détérioré» par l’affirmation que «tout est communication». En effet, le risque est que «lorsque tout est communication, rien ne l’est». Cette extension conceptuelle exige que le chercheur ou quiconque traite le thème définisse sa perspective: d’où et sous quel angle parle-t-on de communication? En effet, les points de vue peuvent varier : d'un processus plus culturaliste jusqu’à un déterminisme technologique, on peut mettre l'accent soit sur le producteur de la communication, soit sur le moyen technologique, soit sur le récepteur du message, sans percevoir les nouveaux processus qui se profilent dans la «construction» de nouveaux savoirs de la connaissance. Et, en analysant la pensée qui se réfère à une terminologie plus latino-américaine6, l'analyse privilégie tantôt l'émetteur, tantôt le récepteur, tantôt la médiation. Les analyses sont toutes correctes, mais elles n’offrent pas une vision claire de la complexité du processus médiatique. Si l'approche de l’ère technologique et de l’information se fait à travers l'industrie, la gestion et la communication organisationnelle, ses préoccupations, ses problématiques et ses intérêts sont différents par rapport à ceux d’une perspective orientée vers l’étude des médias et commençant par une analyse socioculturelle. Chaque approche examine des phénomènes ou 5 Suely FRAGOSO. Apresentação do livro Redes Sociais na Internet, de Raquel Recuero. Porto Alegre: , Editora Sulina, 2011, p. 13. 6 En accord avec Jesús Martin Barbero (Dos meios às mediações) et Guillermo Orozco Gómez (ses diverses études sur la relation entre communication et éducation). 5 des contextes sociaux donnés, et l’ampleur de la littérature sur le sujet est impressionnante. Compte tenu de la complexité de ce que signifie la communication, et du manque de consensus sur les études de la communication, par exemple, des moyens de communication, et sur l'évolution des concepts et des paradigmes, il est nécessaire d’inscrire le thème dans le contexte d'une théorie sociale de la communication, qui considère l'émergence d’une nouvelle visibilité qui est en fin de compte liée aux nouvelles façons d'agir et d'interagir que les médias ont apportées7. Par conséquent, en abordant le thème de la Vie religieuse en Amérique latine: opportunités et défis dans la culture médiatique, il faut d'abord comprendre comment les moyens de communication ont avancé pour transformer la nature de l'interaction sociale. C'est ce que le sociologue britannique John B. Thompson démontre dans son livre The Media and Modernity, dans une perspective qui peut être comprise comme une «théorie interactionnelle» des médias, parce que l'auteur analyse les moyens de communication dans leur relation avec les formes d'interaction que les médias rendent possibles et dont ils font partie. Il affirme que «les moyens de communication ne se limitent pas à des dispositifs techniques utilisés pour transmettre l'information d'un individu à l'autre, car la relation entre eux reste inchangée ; au contraire, en utilisant les moyens de communication, on crée de ‘nouveaux’ modes d’agir et d’interagir ».8 En quoi consistent ces modes d'agir et d'interagir? Pour mieux comprendre le processus interactionnel que les médias numériques nous proposent aujourd'hui, il faut comprendre les diverses formes de communication. Ainsi, nous voyons un scénario dans lequel se distinguent au moins trois grands modèles de communication: la communication dialogique 7 8 John B. THOMPSON. A nova visibilidade in MATRIZES, n. 2 avril 2008. Ibid, p. 17. Aussi dans The Medias and Modernity. Petrópolis: Vozes, 2005. 6 présentielle, la communication de masse, la communication dialogique non présentielle. Il faut d’abord tenir compte du fait que l'émergence d'un nouveau modèle de communication ne représente pas la disparition du modèle précédent ; elle représente plutôt l'expansion de certaines formes de communication et de nouvelles combinaisons de communication dans la société. Donc, outre chercher à comprendre les liens d'un modèle de communication spécifique, il faut voir aussi quel est le rôle que ce modèle joue par rapport aux autres modèles. Le premier modèle de communication que nous voulons indiquer est celui de la communication dialogique présentielle, c’est-à-dire le modèle de communication que nous appelons interaction en face-à-face et qui couvre de larges périodes historiques pour arriver jusqu’à nous. Dans ce type d'interaction, les participants sont présents directement l’un à l’autre et partagent une même structure spatio-temporelle ; en d'autres termes, l'interaction a lieu dans un contexte de coprésence. Une interaction face-à-face est typiquement «dialogique», au sens qu’elle implique généralement un flux de communication et d'information à deux voies : l’une des deux personnes parle avec l'autre (ou les autres), et la personne à qui elle s’adresse peut répondre (du moins en principe), et c’est ainsi que le dialogue se déroule. COMMUNICATION: 3 grands modèles La communication DIALOGIQUE PRESENTIELLE -- Une autre caractéristique de l’interaction en face-à-face, c’est la prise en compte d’une multitude de références symboliques ; les mots peuvent être complétés par des gestes, des expressions du visage, des variations du ton, 7 etc. dans le but de transmettre des messages et d’interpréter les messages provenant d'autres personnes. La caractéristique la plus importante de ce modèle de communication est sans doute le mode d'échange, de partage qu'il favorise. En permettant l'interaction, le dialogue, ce modèle a été fondamental, et l’est toujours, pour le développement de toute la pensée humaine. Il ne faut pas imaginer ce dialogue comme s’il se déroulait entre deux personnes hors de tout contexte, sans une médiation sociale et, par conséquent, culturelle. Il est évident que pour dialoguer il faut des codes communs, et que la subjectivité de chacun est déterminée par la différence que lui confère son identité, mais aussi par des contextes sociaux qui encadrent le dialogue et lui donnent une égalité certaine. En résumé, malgré l'émergence de nouveaux modèles de communication, nous nous joignons à ceux qui voient le modèle dialogique présentiel comme un modèle fondamental et déterminant, comme une base pour l’univers de la communication. Les autres modèles cherchent en quelque sorte de le simuler. C’est pour cela que certains de ses éléments sont toujours présents ; en effet, toutes les autres exigences de communication dépendent des répercussions que la communication a eues sur ce modèle.9 Un deuxième modèle que nous présentons est celui de la communication à travers ce que l’on appelle les moyens de communications de masse traditionnels, notamment le cinéma, la radio, la télévision. C’est le modèle qui a donné lieu aux premières théories de la communication. Il a joué un rôle remarquable au siècle dernier et, aujourd’hui encore, il est le principal référent pour la communication dans la société actuelle. 9 Rovilson Robbi BRITTO. Cibercultura: sob os olhares dos Estudos Culturais. São Paulo: Paulinas/SEPAC, 2009. 8 COMMUNICATION: 3 grands modèles Émetteur -Une communication DE MASSE Culture de Gutenberg Culture audiovisuelle Récepteur Voici les caractéristiques fondamentales de ce modèle: la communication qui passe par la technologie, l'absence de dialogue, bien qu'il y ait un échange de sens. Ce modèle est appelé par Thompson « quasi-interaction médiatisée »,10 car les formes symboliques sont générées par un nombre infini de récepteurs potentiels. Elle est hautement monologique. Elle n’a pas le même niveau de réciprocité et de spécificité interpersonnelle que les autres formes d'interaction, que ce soit par médiation ou en face-à-face. Elle a établi un niveau médiatique social commun qui est déterminant pour comprendre la sociabilité contemporaine et révéler le soi-disant «esprit de notre temps». Elle a franchi les frontières géographiques et culturelles, transformé la circulation des biens symboliques en un grand marché, avec une importance économique croissante et une influence sociale incontestable. Aujourd'hui, notre société est inimaginable sans le rôle joué par ce modèle de communication. Fabriqués dans un nombre de plus en plus réduit de centres et diffusés aux niveaux national et mondial, les produits de ce modèle gardent les intentions de leurs producteurs et la logique impersonnelle (ou plus précisément, industrielle) de leur production.11 Le troisième modèle est celui de la communication dialogique non présentielle, qui a été créé récemment et qui se révèle donc comme un nouvel élément qui réorganise toute la communication, puisqu’il est de plus en plus en influant. 10 11 John B. THOMPSON, op. cit. Rovilson Robbi BRITTO, op. cit. 9 La caractéristique essentielle de ce tout nouveau modèle est la combinaison de relation dialogique et de médiation technique, qui permet de simuler le premier modèle de communication, en surmontant les barrières du temps et de l’espace. D’après Thompson, il s’agit de «variations d'une interaction médiatisée par l’ordinateur».12 Ce modèle, serait-il une synthèse des deux précédents? Eh bien, il faut dire que ce nouveau modèle garde les caractéristiques les plus positives des précédents, c’est-à-dire la question dialogique qui développe la connaissance et la subjectivité, et la médiation des techniques permettant de surmonter les barrières géographiques. Toutefois, il convient de noter également ce que cette communication ne contient pas: la présence, facteur important de la fiabilité dialogique, et une large diffusion, qui est propre au modèle de communication de masse, puisque la relation dialogique implique le choix et la définition des interlocuteurs. Le cyberespace est la dimension sociale dans laquelle se réalise ce nouveau modèle de communication à travers les chats, les e-mails, les téléconférences, les listes de discussion, les réseaux sociaux, etc. Les questions qui se posent sont : quelles relations ce modèle établira-t-il avec les modèles préexistants pour former un tout communicationnel ? Et quel sera l’impact sur la société ? Ainsi, toutes les théories qui ont cherché à réfléchir sur le modèle dialogique présentiel, sur le modèle de communication de masse ou sur la relation entre les deux, sont maintenant interpellées à comprendre le nouveau modèle et à en tenir compte dans la nouvelle configuration de l’ensemble communicationnel, cherchant d’éclairer ses connexions et le rôle de chaque modèle en son sein. 12 John B. THOMPSON, op. cit. 10 COMMUNICATION: 3 grands modèles - Une communication PRESENTIELLE Culture numérique DIALOGIQUE NON Un trait essentiel de ce nouveau modèle est le mélange de relation dialogique et de médiation technique Processus de communication La cyberculture est une nouvelle forme de culture. Aujourd'hui, nous entrons dans la cyberculture comme on entrait, il y a des siècles, dans la culture alphabétique. Quoi qu’il en soit, la cyberculture, ce n'est pas nier la communication orale ou écrite, c’est son prolongement, sa fleur, son éclosion, a déclaré Pierre Levy13 en présentant le livre d’André Lemos, déjà cité. En fait, la culture numérique, ou la cyberculture sont des termes qui marquent la culture contemporaine, en particulier à partir des années 70 du siècle dernier avec l'avènement de la micro-informatique. En effet, c’est la micro-informatique qui lui donnera un ton planétaire, en acquérant une dimension plus radicale avec l'émergence de réseaux. C'est la culture des téléphones cellulaires, des ordinateurs, des réseaux, des micro-objets numériques qui fonctionnent sur la base du processus électronique numérique. En d'autres termes, la cyberculture est la culture contemporaine, où divers appareils numériques font déjà partie de notre réalité. Souvent, quand on parle de la cyberculture, on pense au futurisme, à la science-fiction. Mais en réalité, il d’agit de la culture d’aujourd'hui marquée par ces outils électroniques. Ce qui a été sensiblement modifié, c’est notre relation avec les objets techniques aujourd’hui, c’est-à-dire que pour la première fois, peut-être, la dimension technique - le numérique - s’insère dans la dimension de la communication. D’où l'importance de considérer qu’il s’agit de technologies qui permettent non seulement la transformation de la matière et de l'énergie du monde, mais aussi la transformation de la communication, de la politique, du 13 Cf. Présention du livre de André Lemos: Cibercultura – tecnologia e vida social na cultura contemporânea. Porto Alegre: Sulina, 2002. 11 social et du culturel. En effet, nous parvenons à transporter des informations, des biens symboliques, non-matériels, d'une manière sans précédent dans l'histoire humaine. D’où le cyberespace: l’espace de communication ouvert par l'interconnexion mondiale des ordinateurs et de leurs mémoires. La communication à lieu à travers des mondes virtuels partagés: internet, interactivité, réalité virtuelle, blog, podcast, réseaux sociaux (social network ...) UNE NOUVELLE VISIBILITÉ: Puntel La culture actuelle est strictement liée à l’idée d’interactivité, d’interconnexion, d’interrelation entre les personnes, les informations et les images les plus variées. CULTURE NUMÉRIQUE 12 INTERNET est un réseau. Le WEB est l’un de ses services les plus populaires. Les premiers utilisateurs étaient au départ des voyageurs qui passaient, grâce à ce réseau, d’un site à l’autre du Web, sans pouvoir faire rien d’autre que recueillir les informations disponibles... Avec le temps, ces utilisateurs sont passés du statut de voyageurs sur Internet (internautes) au statut d’acteurs du Web, construisant les sites à leur façon, proposant leurs propres services et contenus, commentant ou discutant les informations disponibles. NOUVELLE SPHÈRE DE CONVERSATION Dans les nouveaux formats de communication post-massifs, une conversation (consommation, production et distribution d’information) peut mener à une plus grande action politique, à un élargissement de la participation publique. Il s’agit de conversation “dans le monde de la vie”. Ces nouveaux formats doivent être pris en compte pour l’exercice de la PASTORALE. Il ne s’agit donc pas seulement de “nouveautés” technologiques, “une nouvelle manière d’apprendre et de penser est en train de naître”. 13 Natifs numériques (digital natives)= “ceux qui naissent avec” ( + ou – 20 ans) Immigrants numériques (digital immigrants) = ceux qui sont arrivés plus tard aux nouvelles technologies du web. Ils communiquent, échangent, créent, se rencontrent, organisent leurs activités, apprennent, analysent, évoluent et grandissent de manière différente. Leurs jeux ne sont plus les mêmes, et leur façon d’écrire les programmes n’est plus la même. QU’EST-CE QUI CHANGE ? La cocréation et la coproduction sont déterminantes: Intégrer un consommateur dans la chaîne de production (ACTEUR DU WEB ) (travail de collaboration; connaissance collaborative) -Nouvelles formes de relations/nouvelles habitudes - On continue à regarder la télé, mais on consomme plus de culture durant toute la journée sur internet. -La manière de produire change, ainsi que le marketing, la manière de vendre un produit. LES PERSPECTIVES DE LA MISSION AUJOURD’HUI. Quelles sont-elles?Avons-nous besoin d’une nouvelle gestion? 14 La position change, elle est donc révolutionnaire: de la scène au parterre. MAINTENANT, c’est un amphithéâtre : la scène embrasse tout Puntel 2. AMÉRIQUE LATINE. LA VIE RELIGIEUSE DANS LE MILIEU MÉDIATIQUE VISION GÉNÉRALE14 2.1 Où se situe la vie religieuse en Amérique latine dans le milieu médiatique? Nos pays étant des pays en voie de développement, où l'écart socio- économique est une réalité difficile et cruelle, qui nécessite une attention particulière en termes d'évangélisation et, par conséquent, d'action des religieux, le premier « regard » se tourne vers les différents « visages » que les documents des Conférences d'Amérique latine présentent. Le document d'Aparecida (2007) tourne lui aussi son regard vers la réalité de l'Amérique latine et nous invite, avec une grande sagesse et une vision christologique, à Une vision générale car il n’a pas été possible, par manque de temps, d’effectuer une enquête élargie et décrire la réalité en %. Cet exposé se base sur la perception de l’auteure qui depuis de nombreuses années travaille et enquête sur les processus médiatiques dans les divers pays d’Amérique latine. 14 15 contempler les visages de ceux qui souffrent.15 Il s’agit donc des « éternels défis »16, qui doivent être présents dans la mission de la vie religieuse. L’aspect qui a besoin de mission, qui n’a pas été encore bien compris et qui représente donc un défi, est peut-être le monde de la communication, qui articule les changements17 dans la société, et qui la pousse à vivre une culture médiatique, et plus récemment, une culture numérique. Dans une vision générale de la vie religieuse en Amérique latine et de sa relation avec la communication (culture médiatique), on peut percevoir 3 (trois) catégories de religieux : ceux qui réduisent cette relation à l’emploi, à l’utilisation des a) médias pour évangéliser. Dans cette catégorie, figurent ceux qui utilisent même des technologies avancées, mais qui le font simplement pour transférer les contenus qui, par le biais d'un support physique, arrivent au récepteur. Ils ne font que développer le modèle de communication de masse (vu auparavant). Les médias sont réduits à des outils de travail, car aujourd'hui ils représentent un système complexe impliquant un sujet, un instrument, des organisations des médias, des interactivités, etc. Aujourd'hui, la volonté d'évangéliser ne suffit plus. Il faut prendre en compte la complexité du monde des médias. - Dans cette catégorie figure aussi une petite portion qui accompagne réellement la communication dans son développement culturel (nouveaux paradigmes, nouveaux langages) et met à jour ses projets de production. - L’avancée la plus importante, c’est l’utilisation des médias comme «ressource» pour une nouvelle visibilité, (par exemple, un grand nombre de sites pour « montrer sa congrégation religieuse », etc.), mais sans tenir compte de ce que la culture 15 Le n. 65 du Document d’Aparecida présente une longue liste des divers visages souffrants des pays latino-americains. 16 17 Cf. José María VIGIL. Os desafios atuais mais fundos à vida religiosa. Document d’Aparecida, n. 484. 16 numérique exige, c’est-à-dire interactivité, interconnexion. Ce serait alors utiliser un nouvel instrument avec un processus de communication ancien. b) une deuxième catégorie de religieux est représentée par ceux qui sont simplement des «consommateurs» de médias. Des consommateurs de contenus (les plus variés, de la pornographie, au sexe, aux gratifications pour lutter contre la solitude), au moyen de la télévision, d’Internet ou des réseaux sociaux. c) une autre catégorie, représentant un «pourcentage» réduit, sont ceux qui se sont déjà rendu compte que nous vivons dans une culture médiatique, et qui cherchent une «formation», une instruction en ‘professionnels’ communication. de la Ils deviennent communication, ils ainsi des deviennent compétents pour évangéliser. Les médias sont compris comme un ensemble, c'est-à-dire que l’on tient compte de l'évolution des processus de communication. Et cela est essentiel pour dialoguer avec la société contemporaine. 2.2 Pousser le regard plus loin. Les défis pour regarder le « nouveau visage » dans la société Les documents de l'Église sur la vie religieuse soulignent à maintes reprises que «la vie consacrée est placée au cœur même de l'Église comme un élément décisif pour sa mission»18. L'importance du dialogue entre la foi et la culture est ici soulignée, c’est la condition pour développer la mission d'évangélisation.19 Les Lineamenta pour le prochain Synode des Évêques qui se tiendra en octobre 2012, placent parmi les milieux culturels à d'étude, les 18 19 Vita Consecrata, n. 3 Cf. Evangelii Nuntiandi, n. 45; Redemptoris Missio, n. 37c. 17 moyens de communication sociale et, en particulier, l'Église et la culture numérique.20 L'un des axes fondamentaux pour une nouvelle évangélisation est, nous semble-t-il, comprendre ce que cela signifie se trouver face à une véritable « révolution » technologique qui exige que l’on aille au-delà des instruments, et prendre conscience des «changements» fondamentaux que les nouvelles technologies opèrent dans les individus et dans la société, par exemple dans les relations familiales, le travail, donc dans l'éducation, dans l'évangélisation. Il ne suffit pas de disposer de moyens ou d’une formation professionnelle, la formation culturelle, doctrinale et spirituelle devient indispensable, de même qu’il est indispensable de considérer la communication plus qu'un simple exercice de la technique, comme l’affirme l'un des derniers documents de l’Église, Éthique en Internet ( n.11, 3). La question est qu’il faut de la compétence et de la prudence pour ne pas se lancer seulement dans le domaine des potentialités qu’offrent les nouvelles technologies de communication, mais discuter et réfléchir sur leurs implications, aux niveaux ecclésial, social, culturel, économique et politique, et agir avec une pratique qui fait preuve de fermeté, de confiance, de compétence et de pertinence, sachant conjuguer notre responsabilité socio-ecclésiale avec les différents langages disponibles dans le processus de communication. L'Église ne peut pas se dispenser d'être présente et de «lutter» face à la complexité qui surgit dans la culture médiatique, qui est aujourd'hui notre moteur même, sous tous les aspects de la vie quotidienne. Dans les paroles de Benoît XVI, la pensée de l’Église s’exprime sur la nécessité de porter au monde numérique le témoignage de la foi. Nous nous sentons engagés à «introduire dans la culture de ce nouvel espace communicatif et informatif les valeurs sur lesquelles s’appuie votre vie ! Au début de l'Église, les Apôtres et leurs disciples ont répandu la Bonne Nouvelle de Jésus dans le monde gréco-romain : comme alors l’Évangélisation requérait, pour être fructueuse, une compréhension attentive de la culture et des coutumes des peuples païens afin d'en toucher les esprits et les cœurs, de même, à présent, l'annonce du Christ dans le monde des nouvelles 20 Allusion de D. Cláudio Celli, Président du Conseil pontifical pour les communications sociales au Congrès Église et culture numérique, réalisé au Chili (octobre 2011) pour toute l’Amérique latine. 18 technologies suppose une connaissance approfondie pour une utilisation cohérente et adéquate. » (43ème Journée mondiale des communications sociales 2009) La nécessité d'une convergence entre les domaines de la connaissance et la recherche de nouvelles procédures et de nouveaux modèles pour communiquer l'Évangile est fortement affirmée. Avec le développement et l'expansion des moyens de communication, il est facile de voir que ceux-ci transforment le monde. Il est difficile d’en prendre conscience. On court le risque de «vivre dans la postmodernité, sans être conscients que nous vivons en elle», a déclaré un auteur qui réfléchit souvent sur le moment présent. Les relations interpersonnelles sont, en fait, de plus en plus le résultat de relations médiatiques symboliques. Ainsi, un nouveau vocabulaire apparaît dans le langage courant: société médiatisée, ère des médias, société techno-culturelle. Enfin, il faut reconnaître qu'un « nouveau sujet est en train de naître » avec ses propres exigences, actuelles, qui sollicite de nouveaux paradigmes pour lire, analyser et finalement comprendre le monde d'aujourd'hui. Pousser notre regard plus loin signifie donc inclure parmi les « visages » d'Amérique latine ce nouveau sujet qui, à partir de l'univers numérique, apporte l'exigence de nouvelles méthodes d'apprendre, d’enseigner, de percevoir la foi. Défis et pistes pour la mission S’interroger sur la place de la vie religieuse en ces temps de grands changements dans le monde, en particulier en ce qui concerne l'Amérique latine. Pousser le regard plus loin. Être et témoigner dans le nouveau milieu de la culture médiatique. Connaître et mettre en valeur la nouvelle culture de la communication (Doc. d’Aparecida, 486) et se rendre compte que le «phénomène nouveau» de la communication fait partie du quotidien des nouvelles générations. Pour réaliser le dialogue entre foi et culture, « éduquer soimême » à la communication (formation) – à la nouvelle grammaire de la communication (langages, nouvelles façons 19 d’«être» dans la culture numérique, qui comprend déjà ce qu’on appelle les médias traditionnels). Aller au-delà de l’idée de simple emploi (utilisation) des moyens de communication et se rendre compte que l’on vit dans une culture médiatique. Le fait de comprendre le monde de la communication facilitera le dialogue avec ceux qui détiennent le pouvoir des médias dans le but de les utiliser pour des revendications, des exigences de la citoyenneté, pour le respect de l'éthique des médias, des émissions. Découvrez la manière chrétienne d’«être» dans les réseaux sociaux, comme nous le recommande Benoît XVI, dans un de ses messages à l’occasion de la Journée mondiale des communications sociales (2011). Comment témoigner la foi dans le nouvel environnement qui émerge avec force, dans un monde mondialisé. Éduquer à une liberté responsable. Les réseaux sociaux en Internet ont permis l'intervention, la participation active et même interactive des partenaires numériques. CE SONT DES ESPACES d'interaction, des lieux de parole, construits par les acteurs dans le but d'exprimer des éléments de leur personnalité ou individualité. Revoir les méthodes pastorales, éducatives, leurs modalités unilinéaires, par exemple dans la catéchèse et dans les diverses pastorales. Surmonter l'idée selon laquelle le développement de la communication se réduit à donner de la visibilité à l'institution. Tenir compte de l'interactivité du «récepteur». Ne pas oublier que la communication n'est pas un simple fait organisationnel ou instrumental. Introduire la question de la communication aux différentes étapes de la formation, afin d'analyser et d'approfondir les changements qu'elle opère dans les relations et développer ainsi une pastorale plus inculturée. 20 Les jeunes qui entrent dans nos congrégations religieuses appartiennent à des milieux différents par rapport aux nôtres. Pour le dialogue, il faut comprendre et favoriser le développement humain, chrétien et le discernement dans ce domaine aussi. Quelle prophétie dans le monde de la communication? Développer une profonde spiritualité de la communication. CONCLUSION Pour la conclusion, je ne saurais que me servir des paroles toujours « nouvelles » du document Vita Consecrata: En se laissant transformer par l'Esprit, la personne consacrée devient capable d'élargir les horizons des désirs humains étroits et, en même temps, de saisir les dimensions profondes de tout individu et de son histoire, au-delà des aspects plus apparents, mais souvent secondaires. Les défis qui surgissent dans les différentes cultures sont aujourd'hui innombrables: il importe d'entretenir des rapports féconds avec des milieux nouveaux ou traditionnellement familiers de la vie consacrée, avec un sens critique aigu mais aussi avec confiance envers ceux qui font face aux difficultés caractéristiques du travail intellectuel, surtout lorsque, devant les problèmes inédits de notre temps, ils doivent tenter des analyses et des synthèses nouvelles. (…) VC 98 C'est là un appel à une nouvelle prophétie, dans la nouvelle évangélisation, que l'Église lance aussi à la vie religieuse, qui est au cœur de l'Église. « Transfigurer » le nouveau visage qui émerge dans la société contemporaine. Sœur Joan T. Puntel, fsp Rome - mai / 2012 * Joan T. Puntel est une Fille de Saint-Paul. Diplôme en journalisme, Master en Communication auprès de l'Université méthodiste de São Paul - UMESP; doctorat en Communication auprès de la Simon Fraser University (Vancouver, Canada) et post-doctorat auprès de la London School of Economics and 21 Political Science (Londres, Angleterre). Elle est conseillère pédagogique du SEPAC (Service à la Pastorale de la Communication), où elle enseigne également à des élèves diplômés ; professeure à la Paulus Fapcom (Faculté de technologie et de communication), membre de l'équipe de réflexion sur la communication CNBB ; enseigne à l'Institut S. Paul d'Etudes Supérieures (ITESP). Elle est chercheuse, conférencière et dirige des séminaires sur la pastorale de la communication au Brésil et à l'étranger, et est auteure de plusieurs ouvrages. Elle a publié plusieurs articles et livres, notamment: Cultura Midiática e Igreja: uma nova ambiência (2006); Comunicação: diálogo dos saberes na cultura midiática (2011), Inter Mirifica – textes et commentaires et A Comunicação nos passos de João Paulo II 22