La Méditerranée au 12e siècle, carrefour de trois civilisations Au 12e siècle, les rivages de la mer Méditerranée mettent en contact trois civilisations que séparent leur histoire et leur religion. L’ancienne « Mare Nostrum » de l’empire romain est à présent une zone de contacts et d’affrontements entre elles. A l’ouest, l’occident chrétien, héritier de l’Empire romain d’occident, bénéficie d’un nouvel essor économique et religieux. A l’est, l’empire byzantin, héritier de l’empire romain d’Orient, voit disparaître peu à peu les vestiges de sa splendeur passée. Au sud, le monde musulman, à son apogée, s’impose par le raffinement de sa culture et le dynamisme de son commerce. Entre opposition frontale et attirance intellectuelle, entre rivalités et intérêts commerciaux bien compris, ces trois mondes nouent des relations complexes et contrastées. Quelles sont les caractéristiques de chacune des civilisations ? Quels types d’échanges se développent entre elles ? En quoi l’Occident va-t-il trouver dans ces échanges de quoi se renforcer ? 1 I ) Un carrefour de trois mondes A) L’empire Byzantin, un monde en difficulté Un empire théocratique1. Après la chute de l’Empire d’Occident en 4762, l’Empire d’Orient, dont la capitale est 4 Constantinople3 (La Souda donne pour l'entrée « Constantinople » (Κ, 2287) :« Constantinople surpasse autant toutes les autres villes que Rome la surpasse; et la seconde place derrière Rome m'apparaît bien plus appréciable que d'être nommée première de toutes les autres. Trois cent soixante années ont passé pour l'ancienne Rome depuis le règne d'Augustus Caesar, et la fin de ses jours était déjà en vue quand Constantin le fils de Constant s'est emparé du sceptre et fonda la nouvelle Rome ») maintient l’héritage de Rome en Méditerranée. A la tête de cet empire, le Basileus (« roi » en Grec), se dit le représentant de Dieu parmi les hommes et détient tous les pouvoirs. A la cour de cette théocratie, il impose une étiquette qui s’inspire du culte autrefois établi en faveur des empereurs romains. Une atmosphère de mystère et un luxe impressionnant l’entourent. Fière de l’ancienneté de ses traditions, l’Eglise Byzantine ne reconnaît pas l’autorité du pape de Rome5. 1 La théocratie (du grec theokratia, de theos, dieu et kratos, pouvoir, gouvernement de Dieu) est un régime politique où la légitimité politique découle de la divinité. La souveraineté y est exercée par la classe sacerdotale, qui cumule pouvoir temporel et religieux. C'est aussi la conception de l'État selon laquelle le pouvoir temporel dépend du pouvoir spirituel religieux. Il peut, dans ce cas, s'agir d'un souverain ou d'un dictateur qui exerce son pouvoir au nom d'un dieu ou de Dieu. 2 Le 4 septembre 476 est une date symbolique retenue comme la chute de l'Occident romain : le roi Odoacre, chef germain des Hérules, occupe Rome mettant fin à l'Empire romain d'Occident. À la prise de Ravenne, il dépose le dernier empereur d'Occident, Romulus Augustule, qui est exilé en Campanie, et renvoie les insignes impériaux à Byzance, pour que Zénon le reconnaisse comme patrice. Zénon le renvoie à l’empereur légitime d’Occident, Julius Nepos, alors réfugié en Dalmatie. Odoacre refuse et les choses en restent là. En apparence, Odoacre gouverne au nom du seul empereur, celui d’Orient. En fait, l’Empire d’Occident a cessé d’exister. Fin de la Pax romana. L'empire romain se disloque. Les hordes barbares fondent sur l'empire. Trois siècles de carnages vont suivre. 3 Constantinople (latin : Constantinopolis, grec : Κωνσταντινούπολις - Konstantinoupolis) est l'ancien nom de l'actuelle ville d'Istanbul en Turquie. Son nom original, Byzance (Byzantion en grec), reste largement utilisé. Constantinople est la francisation de Konstantinoupolis, qui, en grec, signifie la ville de Constantin. Ce nom lui a été donné en hommage à l'empereur romain Constantin Ier, qui choisit d'en faire la capitale de l'empire à partir de 330. La Souda, également connue sous le titre Suda ou Suidas, (en grec ancien Σοῦδα / Soũda ou Σουίδας / Souídas) est un lexique encyclopédique composé par un groupe d'érudits byzantins, à la fin du Xe siècle ou au début du XIe siècle 4 5 On appelle « querelle du Filioque » la querelle théologique entre l'Église catholique romaine et l'Église orientale (futures Églises orthodoxes), à propos du dogme de la Trinité, à partir du VIIIe siècle. Cette querelle, ainsi que des différends d'ordre culturels et politiques, conduisit au Grand Schisme d'Orient de 1054, séparant le catholicisme de l'orthodoxie. 2 Finalement, en 1054, un schisme sépare les orthodoxes (les grecs byzantins) et les catholiques1. Un empire menacé. Toutefois, les splendeurs de Constantinople que domine la coupole de Sainte-Sophie ne peuvent masquer les difficultés de l’Empire. Les rendements agricoles sont faibles et le commerce maritime est sous la coupe des marchands italiens. En 10952, l’empereur Alexis Comnène doit même demander secours aux chevaliers occidentaux pour résister aux offensives des Turcs. B) L’islam : un monde morcelé Les principes de l’islam. A la fin du 11e siècle, les rives Sud et Est de la Méditerranée appartiennent au monde musulman dont l’expansion a été foudroyante. L’islam3 naît en Arabie au 7e siècle. Dans les montagnes qui entourent La Mecque4, l’ange Gabriel serait apparu à Mahomet pour lui ordonner de réciter la parole de dieu (Allah) et de prêcher la soumission (islam) à Allah. Consignés dans le Coran5, les préceptes de l’islam présentent de nombreuses ressemblances avec ceux qu’avaient rappelés les prophètes d’Israël et de Jésus : croyance en un Dieu unique, créateur de l’homme et de l’univers, et possibilité pour l’homme de faire son salut dès qu’il se soumet à la volonté divine. 1 On appelle schisme d'Orient la séparation entre l'Église d'Occident et l'Église d'Orient, traditionnellement placée en 1054. Elle est l'aboutissement de nombreuses décennies de conflits et de réconciliations entre les deux Églises. 2 Urbain II rentre dans Rome après avoir affermit son pouvoir et convoque un concile à Plaisance, où une ambassade byzantine d'Alexis Ier Comnène vient requérir l’aide de guerriers occidentaux pour lutter contre les Turcs. Le pape encourage cette demande (mars). 3 L'islam est une religion, chronologiquement le troisième grand courant monothéiste de la famille des religions abrahamiques. Apparu en Arabie au a 7e siècle, il se distingue du courant judaïque et du courant chrétien desquels il hérite de nombreux éléments. L'islam a un livre sacré, le Coran, dont le dogme assure qu'il a recueilli les révélations de Dieu au prophète Mahomet par l'intermédiaire de l'ange Gabriel 4 La Mecque ou La Mekke est une ville de l'ouest de l'Arabie saoudite, située dans le désert du Hedjaz, à 80 km de la mer Rouge. Certains historiens pensent que le nom de Makka a pour origine Moqqa, dieu de la lune chez les Arabes polythéistes du sud (Yémen) et que peut-être Moqqa est le dieu en l'honneur duquel la ville fut construite. D'autres pensent que makka vient de bakka qui signifiait tout simplement « ville » (ils citent l'exemple : Baalabek = ville de Baal). Même dans le Coran Bakka est mentionné comme étant un équivalent au nom Makka. Le hajj, ou pélerinage, était bien antérieur à l'islam. 5 Le Coran, (lecture) est le livre le plus sacré des musulmans, les autres livres sacrés dans l'Islam étant les Evangiles, les Psaumes, la Torah et les Feuillets d'Abraham, et est le premier livre à avoir été écrit en langue arabe, qu'il a contribué à fixer. Il regroupe les paroles divines qui, selon leur croyance, ont été transmises au prophète Mahomet fragmentairement par l'archange Gabriel par voie auditive durant une période de vingt-trois ans. Il est parfois également appelé kitâb (livre) ou dhikr (rappel). Les musulmans le considèrent comme la parole incrée de Dieu (Allah) adressée à l'intention de toute l'Humanité. 3 L’islam impose aussi le respect de cinq piliers : la profession de foi, les cinq prières quotidiennes, l’aumône, le pèlerinage à La Mecque et le jeûne du mois de ramadan. On trouve également dans les 114 sourates (chapitres) du Coran un ensemble de règles qui montrent le souci d’organiser la vie des croyants autour de la mosquée, tout à la fois lieu de prières, école et tribunal. L’islam déchiré. Après la mort de Mohammed en 6321, les cavaliers arabes conquièrent en quelques décennies un empire qui s’étend de l’Espagne à la vallée de l’Indus. Bagdad 2, Le Caire3 ou Cordoue4 sont au 7e siècle dix fois plus peuplées que les plus peuplées des villes d’Occident. A la fin du 11e siècle toutefois, le monde musulman apparaît comme un monde divisé. Tandis que les sunnites5 reconnaissent la tradition selon laquelle Mohammed aurait confié l’autorité à son ami Abu bakr et à ses successeurs, les chiites6 estiment que la succession du prophète ne peut être assurée que par ses descendants, ceux d’Ali, cousin et époux et Fatima, la fille unique de Mohammed. Ces rivalités affaiblissent l’islam face au dynamisme grandissant des chrétiens. C) L’Occident chrétien au 12e siècle, un monde en expansion Le système féodal. Au 12e siècle, la société occidentale est divisée en trois ordres : ceux qui prient, les clercs, ceux qui combattent, les nobles et les chevaliers, et ceux qui travaillent, les paysans, les artisans et les marchands. Ici, pas d’empire mais des pouvoirs émiettés aux mains de seigneurs féodaux imposant leur autorité sur des paysans qui doivent leur verser des redevances et sur des vassaux qui leur prêtent serment de fidélité. La croissance économique. Cette mise en place du système féodal s’accompagne d’une forte croissance démographique et économique. La population européenne double en 1050 et 1250. Les défrichements accroissent la superficie des terres cultivables. L’expansion du moulin hydraulique, l’usage d’outils en fer et de la charrue développent la production et assurent un meilleur niveau de vie aux populations rurales. Les villes doivent leur renouveau à l’essor du commerce. C’est en Italie, favorisée par son héritage antique, et en Flandre que cette expansion urbaine est la plus vive. 1 Le 8 juin 632. Iraq. 3 Egypte. 4 En Espagne, en Andalousie. 5 L'islam sunnite ou sunnisme est le principal courant religieux de l'islam. Les adeptes de la tradition sunnite sont dénommés sunnis ou sunnites. Il est admis parmi les sunnites que le nom est dérivé du mot sunna qui représente la ligne de conduite de Mohammed. Une autre interprétation du nom est que cela est dérivé du mot « Sunni » qui signifie un chemin moyen se rapportant à l'idée que le sunnisme est un courant entre le chiisme et le kharidjisme. 2 6 Le chiisme qui regroupe environ 10 % des musulmans constitue l'une des trois principales branches de l’islam avec le sunnisme et le kharijisme. 4 L’approfondissement de la foi. Ce dynamisme de l’Occident se manifeste aussi sur le plan religieux. L’Eglise connaît alors un renouveau dont les manifestations sont multiples. Autorité grandissante du pape sur le monde chrétien, constructions d’églises dans les moindres villages et d’imposantes cathédrales dans les villes, vitalité du monachisme, multiplication des pèlerinages à Jérusalem, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle, autant de signes qui manifestent l’approfondissement de la foi. II ) Un lieu d’affrontements A) L’idée de croisade Si, encore aujourd’hui, l’incompréhension entre pays musulmans et pays chrétiens est forte, les croisades qui, à partir de la fin du 11e siècle, ont poussé les chrétiens d’Occidents à prendre les armes pour reconquérir les terres occupées par les musulmans y sont pour quelque chose. Déjà, l’essor démographique explique les mouvements de populations qui se développent à partir de 1100. Des flamands1 colonisent l’Allemagne. Des marchands italiens se lancent à la conquête du commerce méditerranéen au détriment des négociants byzantins. De jeunes guerriers normands2 tentent l’aventure en Italie du Sud et en Sicile. Surtout, pour canaliser la violence des seigneurs féodaux, l’Eglise instaure la « trêve de Dieu »3 qui interdit de combattre certains jours et la « paix de Dieu » qui interdit d’attaquer clercs non armés, femmes ou enfants. L’idée de croisade4 naît de ce mouvement. Pour la papauté, c’est un moyen de dicter sa loi aux rois et aux nobles et de détourner les plus turbulents d’entre eux vers une guerre « juste » contre les « infidèles ». 1 Habitant de la Flandre. Région administrative de ma Belgique. Les Normands sont actuellement les habitants de la Normandie mais ce terme désigne à l’origine les « hommes du Nord », les « Northmannii » en latin, les Vikings venus de Scandinavie. 3 La Trêve de Dieu était une suspension de l'activité guerrière durant certaines périodes de l'année organisée pendant le Moyen Âge en Europe par l'Église catholique (historiquement, elle a le plus longtemps pris la forme d'une trêve durant du mercredi soir au lundi matin, ainsi que tout l'Avent, le temps de Noël, le Carême et le Temps pascal). Plus largement, la Paix et la Trêve de Dieu était un mouvement de l'Église de tentative de contrôle de la violence féodale par l'application de sanctions religieuses. Ce mouvement a constitué la première tentative organisée de contrôle de la société civile dans l'Europe médiévale par des moyens non-violents. Il a débuté en 989 et a survécu sous des formes variées jusqu'au XIIIe siècle. 2 Pèlerinage armé, convoqué par le Pape et mené par les chrétiens d’Occident. Les croisades d’Orient se déroulent entre 1096 et 1291 et sont organisées par l’Eglise pour la délivrance de la Terre Sainte. 4 5 B) Les croisades La Reconquista1. En Espagne, au 11e siècle, les petits royaumes chrétiens du Nord, soutenus par les moines de Cluny2, se lancent à la Reconquista des terres musulmanes du Sud. En 1085, le roi de Castille s’empare de la ville de Tolède3 et tandis que des paysans chrétiens s’installent dans les régions reprises aux « infidèles », des chevaliers aventuriers comme Rodrigo Diaz de Vivar, dit le Cid, dont les exploits inspireront Corneille, en profitent pour s’enrichir. En 1212, la déroute des musulmans Las Navas de Tolosa4 ouvre aux chrétiens les portes de l’Espagne du Sud. La reconquête des Lieux saints. Au concile de Clermont5, le 27 novembre 1095, le pape Urbain II appelle à la croisade en promettant le pardon de leur péchés à tous ceux qui, arborant la croix, perdront la vie en combattant les « infidèles ». Gagner son salut tout en gardant son mode de vie guerrier : cette promesse du pape rencontre un succès spectaculaire. C’est par dizaines de milliers que gens du peuple et chevaliers partent pour les Lieux saints. Jusqu’au milieu du 12e siècle, les Francs remportent des succès éclatants. Ils reprennent Jérusalem dans un bain de sang le 15 juillet 10996 et fondent sur le littoral les Etats latins qui constituent une barrière entre l’Islam et la Méditerranée : le royaume de Jérusalem, le comté de Tripoli et la principauté d’Antioche. 1 La Reconquête (le terme Reconquista, à l'origine espagnol, étant également utilisé en français) correspond à la conquête des royaumes maures de la péninsule ibérique par les souverains chrétiens. Initiée en 718, elle s'achève le 2 janvier 1492 les « Rois Catholiques », chassent le dernier souverain maure de la Péninsule, Boabdil de Grenade, achevant l'unification de l'essentiel de l'actuelle Espagne. 2 Saône-et-Loire. Cluny va alors s'imposer en groupant un nombre croissant de couvents, et va devenir le centre du plus important ordre monastique du Moyen Âge, rayonnant sur toute l'Europe. 3 25 mai : Alphonse VI, roi de Castille et de Léon prend Tolède aux Maures après deux ans de siège. La ville devient la résidence des rois de Castille. Alphonse VI se proclame « Imperator totius Hispaniae ». Il garantit la liberté de culte aux musulmans. 4 La bataille de Las Navas de Tolosa de nos jours Castro Ferral province de Jaén - Espagne le lundi 16 juillet 1212, entre une coalition de circonstance moins nombreuse mais plus aguerrie de plusieurs états chrétiens de la péninsule ibérique contre des troupes sous commandement de Muhammad El-Nâzir de la dynastie des Almohades. 5 Pour clore le concile, Urbain II prononce un sermon en présence d’une foule de clercs et de laïcs réunis dans un champ à l’extérieur de la ville : après avoir évoqué les malheurs des chrétiens d’Orient, le pape adjure les chrétiens d’Occident de cesser leurs guerres fratricides et de s’unir pour combattre les païens et délivrer leurs frères en Orient. 6 15 juillet : prise de Jérusalem, formation du royaume de Jérusalem (fin en 1187). La population musulmane de la ville est massacrée pendant deux jours. Les Juifs sont brûlés vifs dans la synagogue où ils s’étaient réfugiés. 6 Les musulmans reprennent l’initiative dans la seconde moitié du 12e siècle et, sous l’impulsion de Salah al-Din1 (Saladin), reconquièrent Jérusalem en 11872, réduisant les possessions chrétiennes sur le littoral méditerranéen. C) Un fossé durable entre Occident et Orient Le regard porté sur les Francs. Pour les musulmans, les Francs restent des barbares ignorants et attachés à des croyances ridicules. Pour les Byzantins, ils sont des êtres insolents, brutaux et grossiers qu’ils comparent à des bêtes sauvages. Une image que conforte la prise de Constantinople par les croisés, en avril 1204, lors de la quatrième croisade : éblouis par la richesse de la ville, les francs la mettent à sac, pillent la basilique Sainte-Sophie et emportent des reliques. Le bilan des croisades. Au total, même s’il ne faut pas prendre au pied de la lettre ma boutade de l’historien Jacques Le Goff qui écrivait : « Je ne vois guère que l’abricot comme fruit possible ramené des croisades par les chrétiens », le bilan de ce contact guerrier apparaît mince. Certes, les croisades, par les transports de troupes et de marchandises auxquelles elles ont donné lieu, ont enrichi les villes italiennes. Venise, en particulier. L’esprit du djihad. Reste qu’en creusant un fossé durable entre chrétiens d’Occident, Byzantins et musulmans, les croisades ont sans doute entravé des échanges plus fructueux. Pire, réveillant l’esprit du djihad chez les musulmans, elles ont excité pour longtemps l’hostilité d’un certain islam intégriste à l’égard de l’Occident. 1 Saladin (1137-1193) fonda la dynastie ayyoubide, en Égypte et en Syrie. Il est également connu pour s'être battu contre les croisés et pour l'honneur avec lequel il traitait les vaincus. 2 Saladin captura et exécuta Renaud ; il captura également le roi Guy de Lusignan. Ensuite il s'empara de Jérusalem le 2 octobre 1187. Il reprit rapidement toutes les cités croisées, Tyr exceptée. Cependant, il permit aux chrétiens de quitter les villes conquises et de regagner la côte sains et saufs avec une partie de leurs biens, générosité exceptionnelle pour l'époque et qui lui valut l'estime de ses adversaires. À Jérusalem, il rendit à l'Islam l'église du Temple (mosquée Al-Aqsa) mais laissa aux chrétiens le Saint-Sépulcre et rendit aux juifs le Mur des Lamentations et leurs synagogues, supprimées par les Croisés. 7 III ) Des terres de rencontre Malgré ces guerres que chaque camp fait au nom de Dieu, la Méditerranée reste un lieu de contact et d’échanges entre les trois civilisations. Le monde chrétien, en particulier, découvre les savoirs arabes qui modifient profondément sa vision du monde. A) Le développement des échanges Le renouveau du commerce. Les croisades se sont aussi accompagnées d’un développement du commerce entre les trois civilisations méditerranéennes. Croisés et marchands empruntent les mêmes routes et les mêmes navires. L’occident exporte les matières premières qui manquent aux orientaux, comme les minerais et le bois. L’orient musulman exporte en occident les épices, la laine, la soie et les produits précieux. Le commerce maritime profite surtout des innovations techniques comme l’astrolabe1, emprunté aux Arabes, la boussole et les cartes nautiques. Les thalassocraties italiennes. Les marchands italiens de Gênes, de Pise et de Venise sont les grands bénéficiaires de ces échanges. Venise surtout, d’abord vassale de l’empire byzantin, devient une véritable thalassocratie qui acquiert des comptoirs sur tout le pourtour de la méditerranée. 1024, elle détourne même la quatrième croisade contre Constantinople qui est pillée. B) Le creuset sicilien Un royaume normand. Conquise par les cadets des grandes familles normandes au 11e siècle, la Sicile2 apparaît comme le lieu ou se construit la synthèse la plus réussie entre les trois cultures du monde méditerranéen. Le roi Roger II3 (1130-1154), un descendant d’un petit seigneur normand, se fait représenter en empereur grec, choisi par Dieu et couronné par le Christ. Il laisse aux L’atrolabe, est une double projection plane (le plus souvent une projection polaire) qui permet de représenter le mouvement des étoiles sur la voûte céleste. Le principe de sa construction est connu depuis l'époque grecque; mais son utilisation courante n'a été répandue que par les astronomes de l'Islam, à partir du VII° siècle. D'usage limité pour les observations astronomiques, il sert surtout pour l'astrologie, l'enseignement de l'astronomie, et le calcul de l'heure pendant la nuit. Ce fut le principal instrument de navigation depuis le XVIe siècle jusqu'au XVIIIe siècle, au moment où fut inventé le sextant. 1 2 La Sicile, conquise de 1060 à 1091 par le « Grand Comte », Roger Ier, n'est avant cette date qu'un comté. Ces mercenaires normands avaient été appelés à l'aide par les Byzantins qui désiraient chasser les Sarrasins d'Italie. Sous Roger II, le pape investit le roi de Sicile et devient son suzerain, ce qui posera un problème politique quand les Hohenstaufen prendront le pouvoir dans le royaume de Sicile. 3 Roger de Hauteville est le second fils du « Grand comte » Roger de Hauteville, 1er comte normand de Sicile et d’Adélaïde de Montferrat. Né en décembre 1095, il est le fondateur et le 1er roi normand du royaume de Sicile (1130). 8 musulmans leurs mosquées et les autorise à faire l’appel à la prière. Les ministres sont aussi bien normands que grecs ou arabes. Le ministre principal, appelé « émir des émirs », rédige ses actes en grec, en latin, ou en arabe. Les mariages mixtes sont fréquents et chaque peuple conserve son droit et sa langue. La chapelle Palatine de Palerme est le meilleur exemple d’un syncrétisme culturel réussi. Bâtie suivant le plan basilical romain à trois nefs, elle est couverte d’une coupole dans la tradition byzantine et les plafonds sont décorés d’alvéoles et de stalactites de bois réalisées par des ébénistes arabes. Un centre culturel actif. Palerme est aussi un centre culturel actif où se retrouvent des géographes, des historiens, des philosophes et des savants arabes, juifs et grecs. Le grand géographe arabe Al Idrisi y élabore pour le roi Roger II une carte du monde connu, jusqu’à la Chine. Leonardo Fibonacci, un pisan, rédige le premier ouvrage réunissant la totalité des connaissances mathématiques arabes médiévales. Largement diffusé, en particulier dans les universités italiennes, cet ouvrage constitue un apport extraordinaire, pour l’occident en introduisant notamment les chiffres dits « arabes » et le zéro inventé par les indiens. C) Le creuset andalou La tolérance des rois chrétiens Ancienne capitale chrétienne de l’Espagne reconquise sur les musulmans, Tolède est l’autre lieu de contact privilégié entre les savants des trois religions juive, chrétienne et musulmane. La tolérance des rois chrétiens permet aux échanges culturels et scientifiques de se multiplier. Ce sont aussi les techniques d’irrigation arabe qui sont découvertes et permettent de développer les huertas, plaines irriguées où l’on cultive agrumes, dattes, coton et riz. Autour de la cathédrale, un groupe de traducteurs juifs et mozarabes 1 traduits systématiquement les grands textes de l’antiquité et fait connaître les commentaires des savants musulmans, comme ceux du médecin Avicenne et surtout ceux du philosophe, juriste et médecin Ibn Rushd (Averroès), le grand vulgarisateur d’Aristote. L’apport arabe à l’occident. Sans ces contacts et ces ouvertures, l’occident n’aurait sans doute jamais pu s’élancer dans la grande aventure de la science et de la philosophie qu’il allait connaître par la suite. A Paris, à Bologne ou à Oxford, des « intellectuels », inspirés par ces échanges, revendiquent une méthode nouvelle fondée sur la curiosité et le raisonnement. Au total, c’est bien l’Occident qui a le plus bénéficié des contacts entre les cultures de la Méditerranée. 1 Chrétien qui vit sous la domination arabe. 9