On peut schématiser ainsi le développement de l`enfant

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Psychologie développementale (4h) :
Parmi les précurseurs de la psychologie du développement, on ne peut que citer
Descartes : « Dieu a déposé dans notre esprit, dès la naissance, des idées logicomathématiques claires et distinctes, noyau de l’intelligence humaine. ». Cette
citation illustre un des principaux courants de cette psychologie du
développement : le nativisme (certaines facultés sont présentes dans le cerveau à
la naissance).
Et quatre siècles plus tard, entre Descartes et nous, deux événements clés :
1. Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) [Sa théorie transformiste est fondée sur
deux principes :
1. la complexification croissante de l'organisation des êtres vivants sous
l'effet de la dynamique interne propre à leur métabolisme ;
2. la diversification, ou spécialisation, des êtres vivants en de multiples
espèces, sous l'effet des circonstances variées auxquelles ils sont
confrontés dans des milieux variés et auxquelles ils sont contraints de
s'adapter en modifiant leur comportement ou leurs organes pour répondre
à leurs besoins (cette modification n'étant pas le produit de leur volonté ou
de leur désir, mais toujours de cette dynamique interne propre à la vie
conçue ici comme un processus où les flux de matière nécessaires à la vie
structurent la matière vivante et, par suite, les organismes).]
suivi par Darwin (1809-1882) [Hypothèse selon laquelle toutes les espèces
vivantes ont évolué au cours du temps à partir d'un ancêtre commun ou d'un
petit nombre d'ancêtres communs, grâce au processus de sélection naturelle.] et
Mendel [reconnu comme le père fondateur de la génétique. Il est à l'origine de
ce qui est aujourd'hui appelé les lois de Mendel, qui définissent la manière dont
les gènes se transmettent de génération en génération.] prônant tous de manière
différente un développement progressif de l’intelligence humaine marqué par
une évolution de l’animal à l’humain (phylogénèse). Pour eux, le bébé humain,
origine de l’homme individuel est lui-même le produit d’une longue évolution
collective : celle des espèces en développement.
2. Reprise de cette idée par Piaget (1896-1980) en psychologie de l’enfant et par
Jean-Pierre Changeux en neurobiologie avec le darwinisme neural-mental [la
plasticité ou « labilité synaptique » associée à la « stabilisation sélective ». Ce
qui signifie que les neurones lancent leurs ramifications pour former de
nouvelles synapses et fabriquer de nouveaux circuits fonctionnels. La labilité
synaptique et la stabilisation sélective s'appuient sur la création de nouveaux
circuits et la destruction d'anciens circuits inutilisés ou peu utilisés, dans le
« câblage »]. Ce sont là des perspectives plus clairement ontogénétiques c'est-àFD
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dire qu’elles portent sur le développement de l’individu, de la fécondation
jusqu’à l’âge adulte.
Si l’on s’intéresse au développement, on est contraint de s’interroger sur les
facteurs de ce développement. Trois courants principaux :
1. Tout est inné et existe dès la naissance. C’est le nativisme illustré notamment
par Descartes et Gesell (1880-1961) mais aussi Binet (1857-1911) [contribution
importante dans la psychométrie : Test Binet et Simon : pour but de mesurer le
développement psychologique des enfants. Le test de niveau mental, à ne pas
confondre avec le test du QI ! Le test QI est (l'âge mental / l'âge réel) x 100.
C'est un quotient. Aujourd’hui, on utilise plutôt le Wechsler qui lui n’est pas un
quotient, c'est-à-dire qu’il ne repose pas sur un étalonnage de population
générale réelle.]
2. Tout s’apprend par l’environnement. C’est l’empirisme (qui s’intéresse aux
perceptions. Toute connaissance vient de l'expérience.) illustré par les théories
de Locke (1632-1704), Berkeley (1685-1753. « être c'est être perçu ou
percevoir »), Hume (1711-1776) et enfin Watson (1878-1958).
3. Tout se joue dans l’interaction avec l’environnement. C’est le constructivisme
(théorie de l’action), illustrée par excellence par les théories de Piaget.
A) Les théories classiques du développement
Les pères fondateurs : Piaget, Freud (chapître suivant) et Wallon
1. Henri Wallon(1879-1962)
Henri Wallon (1879-1962) était à la fois philosophe, psychologue,
neuropsychiatre, pédagogue et homme politique français. Docteur ès lettres avec
une thèse sur l'enfant turbulent (1925), il crée le laboratoire de psycho-biologie
de l'enfant. Directeur de l'Institut de Psychologie de l'Université de Paris, il crée
en 1948 la revue "Enfance".
Il a organisé ses observations en présentant le développement de la personnalité
de l'enfant comme une succession de stades. Certains de ces stades sont marqués
par la prédominance de l'affectivité sur l'intelligence, alors que d'autres
apparaissent plutôt caractérisés par la primauté de l'intelligence sur l'affectivité.
C'est dans cette succession discontinue et concurrentielle entre la prédominance
de l'intelligence et de l'affectivité que s'élabore la personnalité de l'enfant. Ainsi,
Wallon articule au cœur d'un modèle dialectique des notions telles que
l'émotion, les attitudes, les liens à l'autre. Sa conception des stades fait apparaître
l'idée que la régression y est possible, contrairement au modèle de Piaget.
Son oeuvre a été définie comme une psycho-biologie à la fois génétique,
comparative, dialectique et matérialiste. Son concept central est la comparaison
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des étapes motrices et mentales de l'enfant normal et des bloquages et
insuffisances fonctionnelles de l'enfant handicapé.
A la différence de Piaget qui considère qu'un stade du développement doit être
atteint dans tous les domaines avant que la progression vers un autre stade ne
débute, Wallon ne décrit pas de "stades" stricts avec des paliers. Il estime que les
stades se chevauchent et s'imbriquent de façon complexe, discontinue, ponctués
par des crises (d'opposition, d'adolescence, etc.), des conflits et des mutations.
Le passage d'un stade à l'autre n'est pas une simple amplification mais un
remaniement, une transformation brusque impliquant conflit et choix entre un
ancien et un nouveau type d'activité. Pour Wallon, chaque stade "plonge d'une
part dans le passé mais empiète d'autre part sur l'avenir". Il met donc l'accent sur
l'interdépendance des facteurs biologiques (maturation du système nerveux) et
sociaux dans le développement psychique
Une telle conception a le mérite de rendre compte de la complexité et du
dynamisme de l'évolution de l'enfant mais rend difficile les repères de
développement selon l'âge.
On peut schématiser ainsi le développement de l'enfant selon Wallon :
 Avant 6 mois : le stade impulsif pur
Ce qui domine dans la vie infantile, ce sont les sensations internes
(introceptives) et les facteurs affectifs entretenus avec l'entourage. Sur le plan
moteur, cette période est caractérisée par la faible maîtrise motrice et donc un
désordre gestuel. C'est la qualité des réponses de l'entourage du nourrisson qui
vont lui permettre de passer du désordre gestuel à des émotions différenciées.
C'est le stade de l'activité motrice réflexe avec adaptation sociale progressive des
réponses motrices et agitation diffuse lors des émotions. La vie psychique du
bébé se traduit par des mouvements sans coordination ni but externe. Une
évolution n'est possible que par le rapport dialectique entre les facteurs neurobiologiques de maturation et les facteurs sociaux de relation (action de
l'entourage familial) qui sert d'intermédiaire entre le physiologique et le
psychique.
"Je n'ai jamais pu dissocier le biologique du social, non pas que je les crois
irréductibles l'un à l'autre, mais parce qu'ils me semblent chez l'homme si
étroitement complémentaires dès la naissance qu'il est impossible d'envisager la
vie psychique autrement que sous la forme de leurs relations réciproques".
 6 à 12 mois : le stade émotionnel
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C'est le stade de la symbiose affective, de l'expression par l'émotion (langage
primitif de l'enfant) et de la reconnaissance dans le miroir. La maturation du
système nerveux reste élémentaire mais les relations humaines permettent
l'affinement des moyens d'expression.
Émergence d'un commencement de reconnaissance de soi au travers du regard
des autres. Apparition de quatre émotions : la joie, le chagrin, la colère et la
douleur (idée pour le moins dépassée aujourd’hui !!!!!!!!)
 12 à 24 mois : le stade sensori-moteur et projectif.
Ce qui prédomine alors pour l'enfant, c'est l'influence du monde extérieur.
L'intégration de cette influence externe va favoriser l'éveil de deux types
d'intelligence : l'une pratique, par la manipulation des objets et du corps propre,
l'autre « discursive », par l'imitation et l'appropriation du langage. C'est
l'apparition des réactions circulaires, de la marche et de la parole. L'enfant se
déplace et explore le monde avoisinant. Il manipule et identifie les objets.
L'intelligence pratique ou l'intelligence des situations apparaît.
"Le stade qui suit le stade émotionnel et qui intervient vers la fin de la première
année ou le début de la deuxième est au contraire tourné vers le monde
extérieur. On pourrait dire que c'est l'éveil du réflexe appelé par Pavlov "réflexe
d'orientation ou d'investigation". L'enfant répond aux impressions que les choses
font sur lui par des gestes dirigés vers elles".
2 ans, le stade projectif : C'est le stade du syncrétisme (perception globale et
confuse des différents éléments) différencié. L'action stimule l'activité mentale.
L'enfant passe par l'imitation, le simulacre, puis devient capable d'évoquer un
objet ou un événement absents. L'enfant accède à la fonction symbolique dont le
langage est la forme la plus élaborée.
 A partir de 2 ans 1/2 : le stade du personnalisme.
Le stade du personnalisme (3 à 6 ans) est caractérisé par une prédominance, à
nouveau, des fonctions affectives sur l'intelligence. Vers 3 ans l'enfant tend à
s'opposer à l'adulte dans une sorte de crise négativiste, mais cette attitude est
bientôt suivie d'une période d'imitation motrice et sociale. L'enfant exprime ainsi
l'ambivalence qui le lie au modèle prestigieux que représente pour lui l'adulte.
 3 ans: phase d'opposition, négativisme, réaction de prestance
(narcissisme), phases d'imitation, jeux d'alternance passivité-activité ;
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 4 et 5 ans: phase de grâce avec intégration et dépendance dans le milieu
familial ;
 6 ans : Le stade catégoriel (6 à 11 ans).
Ici, ce sont les facultés intellectuelles qui semblent prendre le pas sur l'affectif.
Pendant sa scolarité, l'enfant acquiert des capacités de mémoire volontaire et
d'attention. Son intelligence accède à la formation des catégories mentales qui
conduisent aux capacités d'abstraction.
Personnalité polyvalente avec des jeux de groupe et un rôle dans le groupe.
 Le stade de l'adolescence commence après 11 ans et se caractérise par une
primauté des préoccupations affectives.
Wallon était opposé au concept adultocentré de sexualité infantile. En insistant
sur la discontinuité et la notion de crise qui sous-tend cette discontinuité, Henri
Wallon se montrait fidèle aux thèses hégeliennes de la dialectique. Il se
distingue en cela de Jean Piaget, qui valorise plutôt dans sa propre description
des stades du développement infantile les interactions au détriment des ruptures.
Mais Henri Wallon eut également une réelle influence sur la psychanalyse en
France et à l'étranger.
Ses principaux ouvrages
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L'enfant turbulent (1925)
Des origines du caractère chez l'enfant. P.U.F.(1934)
L'évolution psychologique de l'enfant (1941) (A.Colin collection U2,
n°38)
De l'acte à la pensée (Flammarion éd., Paris, 1942)
Les origines de la pensée chez l'enfant P.U.F. (1945)
2. Jean Piaget
La théorie piagétienne, appelée théorie opératoire au sens où elle décrit le
développement d’un sujet qui opère sur le monde environnant, est la seule qui
décrive sinon explique la genèse des structures normatives de l’intelligence
humaine. Il n’est guère de théorie qui ait marqué à ce point la psychologie, bien
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que Piaget se défendit à maintes reprises d’être seulement un psychologue, se
définissant lui-même, dans l’une de ses biographies, comme « […] un ancien
zoologiste, hostile à la logique et aux mathématiques [qui] s’est transformé en
un psychologue des opérations logiques, tout en croyant rester fidèle à son passé
biologique » (Piaget, 1959, p.9-10).
Piaget est né à Neuchâtel en 1896.
 Les trois ancrages de la théorie
Il est difficile de comprendre la théorie piagétienne sans se référer à ses trois
ancrages : épistémologique, biologique et logico-mathématique. Les théories
classiques considéraient la connaissance comme un fait statique. D’où les
questions traditionnelles : Qu’est ce que la connaissance ? Comment la
connaissance est-elle possible ? Mais la connaissance peut être considérée aussi
piagétienne – comme un processus, car toute connaissance est un état plus
efficace. La connaissance est développement ou elle n’est pas. Si bien que
l’interrogation fondamentale d’une épistémologie scientifique doit être la
suivante : comment s’accroissent les connaissances ?
- Ancrage épistémologique
Quels sont les mécanismes du développement de la pensée qui ont permis un tel
bond ? Pour répondre à cette question Piaget pose trois conditions à une
épistémologie qui serait alors scientifique : 1 / étudier pas à pas le
développement historique des connaissances ; 2 / procéder à une sorte d’analyse
logique de l’intelligence qui permette de mieux connaître les outils dont elle
dispose ; et 3 / étudier le développement de ces outils où on peut le faire dans un
raccourci saisissant, c'est-à-dire chez l’enfant. Ainsi la psychologie de l’enfant
ou psychologie génétique devient-elle le terrain expérimental d’une
épistémologie scientifique historico-critique. La démarche de l’enfant, « expert
en développement », dans son appropriation du réel environnant, et la démarche
de la pensée scientifique, dans son appropriation de l’univers, s’expliquent
mutuellement.
Puisqu’il s’agit des mécanismes très généraux d’accroissement des
connaissances, le sujet-enfant ne sera pas le sujet individuel, comme vous et
nous, ni le sujet concret moyen, mais le sujet épistémologique, c'est-à-dire, selon
la définition même de Piaget, « […] conçu comme l’ensemble des mécanismes
communs à tous les sujets du même niveau » (J. Piaget, Le structuralisme, Paris,
PUF, 1968, p.58). De plus, puisqu’il s’agit des outils logico-mathématiques, la
psychologie génétique sera celle de l’intelligence et de l’intelligence logicomathématique.
Piaget postule que l’intelligence humaine s’inscrit dans le mouvement général
de la vie à travers les diverses formes d’adaptation qu’elle a prises. Elle en est le
meilleur cas. Elle est l’expression, au niveau cognitif, d’une tendance générale à
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la reconstruction interne, par variations nouvelles et intra sélections, des
acquisitions instables provoquées par l’environnement. Piaget se situe entre le
lamarckisme, qui souligne l’action directe du milieu et la fixation des habitudes,
et le darwinisme, où priment les variations accidentelles et la sélection.
Cet ancrage conduit à invoquer, pour décrire le développement de l’intelligence,
deux fonctions biologiques fondamentales : l’adaptation et l’organisation.
L’adaptation résulte d’une interaction, d’une dialectique, entre deux
processus bien connus en physiologie : l’assimilation et l’accommodation.
L’assimilation dénote le processus par lequel un objet du milieu est appréhendé
par la structure actuelle du sujet. Inversement, l’accommodation est l’activité par
laquelle la structure actuelle du sujet se modifie pour s’ajuster à une
modification de l’environnement.
En fait, l’accommodation débouche sur une assimilation plus performante.
L’instrument de l’assimilation est le schème ou organisation des actions
qui se répète dans des circonstances semblables ou analogues. Le schème est
défini comme une structure d’actions repérables. A la naissance le schème de
succion, par exemple, est la totalité psychophysiologique qui permet au bébé de
s’alimenter. Les schèmes s’assimilent l’un l’autre, se complexifient pour devenir
des instruments d’assimilation de plus en plus puissants, impliquant tout autant
des savoirs que des savoir-faire. C’est ainsi qu’à partir des schèmes réflexes, ou
montages héréditaires perceptivo-moteurs, se construiront les schèmes sensorimoteurs puis les schèmes opératoires, ou coordinations d’actions intériorisées.
Mais qui dit schème dit ici action du sujet. La focalisation sur l’assimilation
fonde et explique le privilège exorbitant accordé par Piaget à l’action du sujet,
au détriment du rôle de l’environnement dans ses aspects sociaux et
particulièrement langagiers. L’environnement, comme l’accommodation qu’il
suscite, est un prétexte à l’action assimilatrice et constructive. La psychologie
génétique est la psychologie du développement de l’homme qui construit son
intelligence en construisant ou, mieux encore, en reconstruisant l’univers.
Parler de schèmes d’actions, c’est parler de l’organisation, seconde fonction
biologique invoquée par Piaget. Si l’adaptation est l’aspect externe, fonctionnel
du cycle assimilation-accommodation (le côté « face »), l’organisation en est
l’aspect interne, structural (le côté « pile »). Le développement de l’intelligence
sera celui des structurations successives d’actions, puis d’opérations, qui
s’établissent à partir des structures initiales que sont les schèmes réflexes du
nouveau-né. Les progrès conduisent à la complexité, à la mobilité et à la
réversibilité des opérations du sujet sur le réel. Piaget se place ainsi au double
point de vue fonctionnel et structural, ce qui permet de définir l’intelligence par
la direction (succession de structures) dans laquelle est orienté son
développement. « […] Définir l’intelligence par la réversibilité progressive des
structures mobiles qu’elle construit, c’est donc redire sous une nouvelle forme
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que l’intelligence constitue l’état d’équilibre vers lequel tendent toutes les
adaptations successives d(ordre sensori-moteur et cognitif ainsi que tous les
échanges assimilateurs et accommodateurs entre l’organisme et le milieu »
(Piaget, La psychologie de l’intelligence, Paris Colin, 1947, p.17).
- L’ancrage logico-mathématique et les stades
La seconde condition d’une épistémologie scientifique historico-critique était
l’élucidation de la logique sous-jacente au développement des connaissances.
Toute la théorie de Piaget part de l’hypothèse d’une liaison entre les structures
normatives de la pensée scientifique et la genèse de la logique de l’enfant.
« […] La logique [écrit-il], est une axiomatique de la raison dont la psychologie
de l’intelligence est la science expérimentale correspondante » (Piaget, ibid.,
p.37). Et cette psychologie de l’intelligence ne peut être que celle de la genèse et
du développement logico-mathématiques. L’explication de l’intelligence revient
alors à mettre les opérations supérieures de la pensée en continuité avec le
développement, celui-ci étant conçu, comme une évolution dirigée par les
nécessités internes d’équilibre. Le développement de l’intelligence sera celui
d’organisations cognitives (structures) dont les formes seront de plus en plus
proches (tendance à l’isomorphisme) des formes étudiées par les logiciens et les
mathématiciens. L’intelligence est logico-mathématique ou elle n’est pas, peuton dire, en exagérant quelque peu ce qui est un point central de la théorie.
Chaque étape du développement va correspondre à l’élaboration d’une structure
d’actions puis d’opérations, qui prendra la forme d’un groupe ou d’un
groupement logico-mathématique et dont la fermeture marquera la borne
supérieure d’un stade. C’est la construction d’un certain type de structure qui
spécifie chacun des trois grands stades du développement de l’intelligence: le
stade sensori-moteur, le stade de préparation et de mise en place des opérations
concrètes et le stade des opérations formelles.
Les trois structurations logiques sous-jacentes aux trois stades mentionnés sont
les suivantes : le groupe pratique des déplacements qui concerne les
déplacements du corps et des objets dans l’espace, le groupement des opérations
concrètes et le groupe des opérations formelles. Chacun des groupes ou
groupements est explicité dans les chapitres qui exposent les étapes du
développement qui leur correspondent.
Chaque stade comporte un niveau de préparation et un niveau d’achèvement
(début et fin d’un stade). La limite supérieure d’un stade est le point
d’équilibration atteint à un moment donné (fermeture d’une structure), point
ultime avant un nouveau déséquilibre « reconstructif ». Les stades peuvent
également être précisés par leurs propriétés : 1/ L’ordre de succession des
acquisitions est constant et les étapes ne peuvent être inversées ; 2/ les structures
construites à un âge donné deviennent partie intégrante des structures de l’âge
suivant (caractère intégratif des stades) ; et 3/ chaque stade se caractérise par une
structure d’ensemble (voir l’exemple ci-dessous qui, lorsqu’elle est construite,
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détermine toutes les opérations possibles et utilisables qu’elle recouvre. En bref,
les stades traduisent la contrainte imposée au développement par la construction
logico-mathématique des acquisitions cognitives qui se succèdent. Cette
contrainte se manifeste au niveau synchronique (toutes les acquisitions au cours
d’un stade donné relèvent d’une même forme ou structure) qu’au niveau
diachronique (la forme d’une étape s’intègre nécessairement dans celle de
l’étape suivante).
Invoquer des structures, c’est procéder, de fait, à une analyse structurale des
événements observés au cours du développement. La démarche n’est pas propre
à la psychologie génétique de Piaget. Le structuralisme est une méthodologie
des sciences humaines utilisée en linguistique par F.Saussure, en anthropologie
par C. Lévi-Strauss, en sociologie par R. Barthes, pour ne citer que les domaines
et les noms les plus connus. L’analyse structurale ne considère pas les faits
isolément, pas plus qu’elle ne les intègre dans uns chaîne associative. Les faits
sont appréhendés en tant qu’ensemble d’éléments qui se déterminent les uns les
autres quant à leur nature et à leur fonction.
 L’équilibration des structures cognitives
Comment la pensée devient-elle ce qu’elle devient ? Quels sont les mécanismes
qui sous-tendent l’accroissement des connaissances ? Comment passe-t-on d’une
structuration cognitive instable à une structuration plus stable et plus puissante ?
On ne peut imputer ce changement à la seule maturation qui, pour l’essentiel,
conduit à ouvrir des possibilités nouvelles. Plus les acquisitions s’éloignent de
leur origine sensori-motrice, plus leur chronologie d’apparition est variable, ce
qui démontre que la maturation n’est pas seule à l’œuvre.
Les opérations intellectuelles relèvent, selon Piaget, de la coordination des
actions du sujet et non de la « pression » du monde physique. La pression du
monde social est, pour cette même raison, jugée nécessaire mais insuffisante à
elle seule. Aussi, pour expliquer l’évolution régulière et dirigée au cours des
trois grands stades, Piaget invoque-t-il un quatrième facteur, outre la maturation,
l’exercice et la transmission sociale : l’équilibration.
Définie comme […] un processus conduisant de certains états d’équilibre
approchés à d’autres, qualitativement différents, en passant par de multiples
déséquilibres et rééquilibrations » (Piaget, l’équilibration, problème central du
développement, Paris, PUF, 1975, p.9). Piaget donnera successivement deux
modèles de l’équilibration, l’un inspiré de la thermodynamique, l’autre de la
cybernétique. Dans le second modèle, plus satisfaisant que le premier,
« l’équilibre cognitif » n’est pas conçu au sens d’une simple balance des forces,
comme en mécanique, ou d’un accroissement de l’entropie (repos avec
destruction des structures), comme la thermodynamique classique, mais dans le
sens d’une autorégulation ,« […] c'est-à-dire d’une suite de compensations
actives du sujet en réponse aux perturbations extérieures et d’un réglage, à la
fois rétroactif (systèmes en boucle ou feedback) et anticipateur constituant un
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système permanent de telles compensations » (Piaget et Inhelder, La
psychologie de l’enfant, Paris, PUF, 1966, p. 124-125). Trois grandes formes
d’équilibre sont distinguées : l’équilibre entre le sujet et les objets conduit à des
connaissances physiques ou expérimentales ; l’équilibre entre systèmes et soussystèmes de schèmes est responsable du développement logico-mathématique ;
l’équilibre général entre les différenciations des schèmes et le système total
orienterait la finalité des actions et serait responsable de l’amélioration des
formes d’équilibre en leur conférant un caractère majorant, conducteur de
nouveautés.
Le développement des structures opératoires relève donc de la seconde forme
d’équilibre avec, comme pour les autres formes, trois moments clés : les
perturbations, les régulations compensatrices et la correspondance des
affirmations et des négations.
Il faut ajouter que Piaget insiste, avec force, sur la part de construction que
comporte l’équilibration. Les conflits et les contradictions sont source
permanente de restructuration et donc d’accroissement, lié à des processus sousjacents d’abstraction.
Classiquement, l’abstraction est un processus général par lequel la pensée isole
une composante d’une perception, d’une image ou d’une notion complexe.
Piaget d’une poussée sur un objet, etc.). L’abstraction réfléchissante s’exerce sur
l’action en tant que telle et les coordinations d’actions pour en dégager certaines
propriétés et les utiliser à d’autres fins. Elle est réfléchissante aux deux sens
suivants : elle transpose sur un plan supérieur de conceptualisation ce qu’elle
emprunte au palier précédent (« réfléchissement ») ; elle reconstruit au nouveau
plan ce qu’elle a tiré de ce palier précédent (travail de réflexion, au sens
habituel). Ainsi s’élaborent des « nouveautés » : structures plus puissantes et
nouveaux objets de connaissance assimilés par ces structures. On conçoit que
l’abstraction réfléchissante trouve sa raison d’être dans le processus général
d’équilibration et puisse, dans le même temps, en rendre compte. L’abstraction
simple sous-tend l’apprentissage empirique et conduit à une connaissance
expérientielle. L’abstraction réfléchissante sous-tend l’apprentissage opératoire
des structures logico-mathématiques de l’intelligence. L’apprentissage dépend
toujours des niveaux de coordination atteints. Il est subordonné au
développement.
 Un point de vue résolument constructiviste
Le monde physique préexiste mais il est à « modéliser », mais il est à
reconstruire. Objectivité et subjectivité se construisent conjointement et
complémentairement à travers l’action incessante du sujet sur le milieu. La
connaissance objective du monde, c'est-à-dire la représentation, est soumise aux
structures des actions coordonnées du sujet, d’où la nécessaire assimilation du
donné expérimental aux opérations logico-mathématiques inhérentes à ces
coordinations.
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L’apport majeur de la théorie piagétienne réside incontestablement dans son
triple ancrage, épistémologique, biologique et logico-mathématique, et dans son
constructivisme. Il est évident que l’imitation, l’image mentale et le langage
jouent, par les systèmes de représentation qu’ils fondent, un rôle considérable
dans le développement de l’homme. En bref, la limitation principale de la
psychologie génétique piagétienne tient à la réduction de la cognition aux seuls
contenus de pensée logiquement et mathématiquement normés.
Bien que Freud ne soit pas un psychologue de l’enfance, on peut cependant
considérer que sa théorie est au développement affectif ce que la théorie
piagétienne est au développement cognitif. Un trait commun rapproche
d’ailleurs les deux théories. Contrairement à celle de Wallon, l’une et l’autre
présentent une approche abstraite, globale et téléologique du développement de
l’enfant : ce sont les perspectives et les buts qui déterminent la direction de
l’investigation. Chez Piaget, l’étude de la logique de l’enfant est mise en
continuité avec la logique de l’adulte et, de plus, elle constitue l’étape nécessaire
à la construction d’une épistémologie elle-même d’inspiration biologique. Chez
Freud, l’étude de la sexualité de l’enfant est un moyen de comprendre les
conduites normales et pathologiques de l’adulte. Wallon a traité l’enfant tel
qu’en lui-même, en tant que personne.
Les stades :
Piaget était psychologue et non psychanalyste. Les stades d’organisation de
la personnalité qu’il a déterminé ne renvoient pas aux stades freudiens. Ils
ne font pas référence à la sexualité infantile mais à des degrés de
maturation de l’intelligence (affective, sociale etc.) Son oeuvre est centrée
sur le développement cognitif, théorie opératoire de l'intelligence, et sur
l'épistémologie génétique, théorie générale de la genèse des connaissances,
applicable au monde du vivant.
Sa méthode : il étudiera comment se développe et évolue le monde du réel,
avec l'acquisition du mot, du chiffre, du symbole par observation directe de
ses propres enfants (méthode passive) et expérimentation avec des objets
précis et des dialogues avec l'enfant (méthode active). Il vérifiera ses
données en généralisant sur un grand nombre d'enfants.
PIAGET se posera plusieurs questionnements :
- Quelle différence existe-t-il entre la pensée de l'enfant et celle de
l'adulte?
- Quelle est la vision du monde de l'enfant, et son explication des
phénomènes?
- Quelles filiations conduisent d'une structure de pensée à une autre?
Il aura, dans ses oeuvres, une période clinique où il interrogera des enfants,
fera des hypothèses, puis une période d'observations sur ses trois enfants au
premier âge, qui seront vérifiées sur un échantillonnage plus important; et
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enfin une période où il traitera de la théorie opératoire de l'intelligence et
de l'épistémologie génétique (psychologie de la genèse et du devenir de
l'intelligence).
Théorie de l'intelligence
Adaptation :
Pour PIAGET, l'intelligence n'est pas une faculté mentale parmi d'autres,
mais une modalité d'une fonction plus générale: "l'adaptation". Il la définit
comme l'état d'équilibre maximum entre un organisme vivant et le milieu.
Cette adaptation s'acquiert selon différentes formes ou structures. Ainsi,
l'adaptation mentale est un prolongement de l'adaptation biologique.
Intégration :
Les opérations cognitives sont différentes selon les paliers de
développement mais ne sont pas de simples performances qui s'ajouteraient
les unes aux autres. C'est la réalisation d'un système intégratif, chaque
opération étant complètement liée à une autre. Chaque structure nouvelle
qui apparaît intègre la ou les précédentes comme sous structures.
PIAGET distinguera 4 stades de l'intelligence :
1. Stade de l'intelligence sensori-motrice,
2. Stade de l'intelligence pré-opératoire,
3. Stade des opérations concrètes,
4. Stade des opérations formelles.
Mais il y a pour lui une continuité fonctionnelle dans le développement de
l'intelligence.
Il y a progrès intellectuel grâce à deux mécanismes opposés et
complémentaires : l'assimilation et l'accommodation.
Assimilation :
C'est l'incorporation des expériences nouvelles dans des structures
existantes. C'est l'intégration, de ce qui est extérieur, aux structures propres
du sujet.
Accommodation :
C'est la modification des schèmes (structures) existants, provoquée par les
expériences nouvelles.
De fait on peut dire que l'adaptation à l'environnement c'est l'équilibre entre
assimilation et accommodation, la régulation entre sujet et milieu, que ce
soit d'ordre biologique, affectif, mental ou social.
L'affectivité n'a, pour PIAGET, aucun rôle déterminant dans le devenir de
l'intelligence, mais à chaque stade cognitif correspondent de nouvelles
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organisations des conduites affectives. On peut dire que l'intelligence
éclaire l'affectivité, cette dernière en étant un mode d'adaptation.
L'objet est un élément du réel qui a des propriétés de permanence: c'est un
invariant (l'objet est identique à lui-même malgré des manifestations
différentes. Il conserve certaines qualités comme le poids, le volume, la
substance...). L'enfant acquiert ces invariants par des actions, des
opérations sur les objets (classification, mise en relation, comparaison,
fonction...) lui permettant par là-même d'acquérir les notions d'espace, de
temps, de mouvement, de vitesse, de causalité... L'objet se construit par la
perception, la manipulation et la réflexion.
Les 4 stades de l'intelligence :
- L'intelligence sensori-motrice :
Elle s'épanouit de 0 à 2 ans. Avant le langage, l'intelligence du bébé est
basée sur l'action du corps sur le milieu, faite de réussites et d'erreurs. C'est
un stade expérimental, tâtonnant et non conceptuel, divisé en 6 sous stades:
 0 à 1 mois. Utilisation des montages réflexes. Le bébé utilise
les réflexes biologiques et l'expérience entraîne une
consolidation et un début d'assimilation. Ainsi entre deux
tétées, le bébé va sucer son pouce, un coin de drap... Le schème
de la succion s'élargit. Mais il y a cependant re-cognition du
schème de la succion, car il en reconnaît l'objet original. C'est
le mois de l'adaptation réflexe au milieu.
 1 à 4 mois. Premières habitudes. L'enfant déborde des
conduites héréditaires. Ce sont les premières adaptations
acquises et l'apparition des premiers comportements moteurs
(fixation du regard, poursuite oculaire...).
 4 à 8 mois. Adaptation intentionnelle. L'enfant découvre la
résistance et la permanence de certains objets. Il y a
intentionnalité dans le comportement.
 8 à 12 mois. Coordination des schèmes secondaires. L'enfant
agit sur le milieu en coordonnant vue, toucher, ouie... Il est
capable de rechercher un objet, lui reconnaît sa permanence.
 12 à 18 mois. Meilleure appropriation du corps. L'enfant est
capable d'adapter les moyens aux fins. Sa conduite paraîtra de
plus en plus imprévisible, personnalisée. Il est capable de
manipuler des situations, d'utiliser un objet pour en attraper un
autre... Il n'est plus agit par le milieu, mais au contraire
transforme celui-ci.
 18 à 24 mois. Combinaisons mentales. L'enfant passe du
tâtonnement empirique à la combinaison mentale, de la
découverte à l'invention, du schème moteur au schème
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représentatif. Le schème est devenu opératoire. L'enfant est
capable de généraliser, de se représenter.
- L'intelligence pré-opératoire :
Concerne la période de 2 à 7 ans. C'est l'époque de la pensée symbolique
où se développent l'imitation, la représentation, la réalisation d'actes fictifs.
Un objet peut devenir le substitut, le représentant d'un autre objet. Ainsi,
lors d'un jeu, une pierre deviendra un oreiller, ou une table... Les jeux
symboliques seront des moyens d'adaptation intellectuelle et affective.
L'enfant transforme, invente. Il y a acquisition du langage, dominé par
l'égocentrisme intellectuel. L'enfant ne peut se détacher de son point de
vue. La pensée n'est pas réversible mais intuitive, magique, sans avant ni
après.
- Le stade des opérations concrètes :
L'enfant a alors de 7 à 11 ans. Il est capable de se décentrer dans les
domaines cognitif et moral. Sa pensée se socialise. Il prend en compte
l'avis des autres. C'est le début de la causalité. L'enfant peut classer,
grouper. Il conçoit les modifications et la réversibilité. Il est perméable au
raisonnement, s'inscrit dans une temporalité, raisonne de manière concrète
en empruntant à sa propre expérience.
- Le stade des opérations formelles :
C'est la période qui va de 11 ans à l'âge adulte. L'adolescent est adulte
biologiquement et intellectuellement, mais reste un enfant affectivement.
C'est le stade des opérations logiques, abstraites, du raisonnement par
hypothèses et déductions. La combinaison des idées remplace le
raisonnement de proche en proche, utilisé au stade précédent. Ces
opérations sont liées à un langage plus mobile et amènent à la construction
de systèmes et non à la recherche de solutions immédiates. L'individu
élabore ici une représentation d'une représentation.
Piaget a démontré que devenir intelligent, c’est tout d’abord concevoir la
permanence de l’objet comme unité de base du réel (le stade sensori-moteur
chez le bébé), ensuite dénombrer et catégoriser ou classer les objets (le stade
des opérations concrètes chez l’enfant) et, enfin, raisonner sur des idées, des
hypothèses, des propositions logiques, etc. (le stade des opérations formelles
chez l’adolescent et l’adulte).
Selon Piaget, le développement de ces comportements, et donc l’intelligence
sous-jacente, passe par une série de trois grands stades (déjà évoqué plus haut) :
1/ le stade sensori-moteur chez le bébé, 2/ le stade de préparation et de mise en
place des opérations concrètes chez l’enfant, et 3/ le stade des opérations
formelles chez l’adolescent.
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Piaget propose une théorie intermédiaire, dite « constructiviste » : les structures
intellectuelles, c'est-à-dire nos pensées, nos opérations mentales, ont une genèse
qui leur est propre (l’ontogenèse cognitive). De la naissance à l’âge adulte, elles
se construisent progressivement, stade après stade (comme on monte les
marches d’un escalier), dans le cadre de l’interaction entre l’individu et son
environnement – ou, en termes biologiques, entre l’organisme et son milieu.
Dans cette interaction, ce qui est essentiel pour Piaget, c’est l’action de l’enfant
sur les objets qui l’entourent (exploration, manipulation et « expérimentation »),
conception opposée à l’idée d’un apprentissage « passif » (association et
habitude) propre à l’empirisme.
Dans l’interaction de l’individu avec son environnement, ce qui compte pour
Piaget, c’est la dynamique « assimilation/accommodation ». En psychologie
comme en biologie, l’assimilation est le processus par lequel un objet du milieu
est « directement appréhendé » par la structure de l’organisme. Inversement,
l’accommodation est le processus par lequel la structure de l’organisme se
modifie pour s’ajuster au milieu. Piaget a vu dans cette dynamique
psychobiologique, qui régit les actions de l’enfant, le moteur même du
développement de l’intelligence par équilibrations et autorégulations (internes)
successives. Le bébé interprète le monde qui l’entoure sur la base de ses sens
(sensori-) et de ses actions (moteur). Dès la naissance et à partir de ses réflexes
initiaux (comme la succion du sein de sa mère), il apprend certaines règles, de
plus en plus compliquées au fil des mois, sur le fonctionnement du monde
physique et sur sa capacité à agir dessus. Piaget appelle ces règles des « schèmes
d’actions » (acquis par assimilation/accommodation). Le bébé découvrira par
exemple, vers 8 mois, que, quand un objet (disons : son nounours) disparaît de
sa vue (caché derrière un coussin sur le canapé), cet objet continue néanmoins
d’exister car il peut par ses actions 1/ écarter le cache (ici le coussin), et 2/
attraper l’objet pour le ramener à lui. C’est ce qu’on appelle « la permanence de
l’objet », principe fondamental de la construction du réel (ce sui vaut pour
nounours vaudra pour tous les objets du monde). Mais cette forme d’intelligence
sensori-motrice (dans notre exemple vision-action) rend le bébé très dépendant
de l’instant présent. C’est déjà de l’intelligence orientée vers un but (retrouver
l’objet disparu), donc l’émergence de l’intentionnalité, mais c’est encore une
« intelligence en action ». Un autre exemple, éclairant pour Piaget, est celui de
l’imitation. Au cours de sa première année, le bébé devient capable d’imiter
(action) le geste qu’un adulte est en train de faire (observé par la vision), mais il
n’est pas encore capable de le faire de façon différée, c'est-à-dire quelque temps
après l’observation du modèle.
En revanche, vers 2 ans – changement de stade – l’enfant devient capable de se
détacher de l’action immédiate. Selon Piaget, son intelligence devient dès lors
« symbolique » ou « représentative » (doué de représentation mentale). Il est
toutefois difficile de concevoir que la permanence de l’objet n’exigeait pas déjà
de la part du bébé une forme élémentaire de représentation mentale (se
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représenter en mémoire l’objet disparu). Quoi qu’il en soit, c’est à 2 ans
qu’émerge le plus clairement l’expression enfantine de la pensée symbolique :
l’imitation différée (preuve d’une représentation mentale du modèle absent), le
jeu dit « symbolique » (par exemple, l’enfant qui joue au téléphone avec une
banane), le dessin et le langage. Ces deux dernières activités symboliques, qui
connaissent chez l’Homme une extraordinaire évolution par rapport aux autres
animaux (jusqu’à l’art et à la littérature), permettent à l’enfant de re-décrire, ou
de re-présenter, des événements vécus. Elles laissent aussi, comme le jeu, cours
à son imaginaire.
Ainsi, l’enfant de 2 ans se sert de schèmes d’action qu’il a appris au stade
sensori-moteur, mais cette fois avec une distance par rapport au réel. Il se met à
les intérioriser et à les combiner mentalement. Par ce processus cognitif
fondamental (intériorisation-combinaison), les actions (réelles) deviennent des
opérations mentales. C’est le stade de la préparation (2-7 ans) et de la mise en
place (7-12 ans) des opérations concrètes, qui correspond à la période essentielle
où l’enfant passe de la crèche à l’école maternelle et de celle-ci à l’école
élémentaire. A ce stade, l’enfant va progressivement construire les concepts
fondamentaux de sa pensée, tels que le nombre, l’inclusion des classes
(catégorisation), etc.
Vers 6-7 ans – « l’âge de raison » cher aux philosophes -, son intelligence va, en
outre, devenir flexible. C’est ce que Piaget a appelé la « réversibilité
opératoire », c'est-à-dire la capacité de l’enfant à annuler, par sa seule pensée,
l’effet d’une action (en combinant une opération mentale et son inverse). Voici
un exemple relatif au nombre : la tâche piagétienne dite de « conservation des
quantités discrètes ». Cet exemple est emblématique de la préparation et de la
mise en place des opérations concrètes. Sur une table sont disposés deux
alignements de jetons (quantités discrètes) de même nombre, 6 à 8 selon les cas,
et de même longueur (l’espace occupé sur la table). Vers 4-5 ans, l’enfant
d’école maternelle reconnaît qu’il y a le même nombre de jetons dans chaque
alignement. Cependant, si l’adulte qui réalise l’expérience écarte les jetons de
l’un des deux alignements (le nombre restant identique, alors que la longueur
diffère), l’enfant considérera qu’il « y a plus de jetons là où c’est plus long » !
Cette réponse verbale est une erreur d’ « intuition perceptive » (longueur égale
au nombre) qui révèle, selon Piaget, que l’enfant n’a pas encore acquis le
concept de nombre. A partir de 6-7 ans, en revanche (enfant d’école
élémentaire), sa pensée devient flexible et l’action d’ « écarter les jetons » peut
être corrigée, annulée, par l’opération inverse, c'est-à-dire par la représentation
mentale de l’action de « rapprocher les jetons » - d’où, cette fois, une réponse
verbale d’équivalence numérique (« c’est pareil ; les jetons ont changé de place,
mais tu peux les remettre comme avant »). Il y a donc, dans ce cas, réversibilité
opératoire, conservation des quantités (et ce qui vaut pour les jetons vaut pour
tous les objets du monde).
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D’autres tâches expérimentales ingénieuses comme celle-ci ont été inventées par
Piaget. Il a ainsi utilisé, au stade des opérations concrètes, des tâches de
conservation (du nombre, de la substance, etc.), d’inclusion de classes et de
sériation, associées à une méthode originale d’interrogation clinique (inspirée du
diagnostic et de l’investigation psychiatriques) : converser librement avec
l’enfant à propos de thèmes dirigés (« Y a-t-« il plus de jetons quand on les
écarte les uns des autres ? », « … plus de pâte à modeler quand on aplatit la
boule ? », « … plus de marguerites ou plus de fleurs ? ») en testant la solidité de
ses réponses verbales par des demandes de justification et des contresuggestions. L’invention des ces tâches dites « piagétiennes » doit beaucoup à
un travail d’équipe (l’Ecole de Genève), notamment à Alina Szeminska et
Bärbel Inhelder.
Enfin, au dernier stade de l’intelligence, celui des opérations formelles (de 12 à
16 ans), l’enfant, devenu adolescent, acquiert la capacité de raisonner sur des
propositions logiques, des idées, des hypothèses. C’est ce qu’on appelle le
« raisonnement hypothético-déductif » chez le scientifique, mais aussi chez tout
un chacun lorsque nous raisonnons sous la forme de « Si…, alors… » (par
exemple, « Si je n’avais pas acheté ce, « Que sais-je ? », alors… », si Piaget
n’avait pas existé, alors… »). On voit clairement le lien avec l’intelligence du
stade précédent, mais ici une véritable « révolution cognitive » s’opère, très bien
résumée par Piaget dans cette formule : « Avant, l’adolescence, le possible est
un cas particulier du réel, après c’est le réel qui devient un cas particulier du
possible ! ». En un mot, le cerveau est devenu capable d’abstraction. De stade
en stade, on est ainsi passé des schèmes d’action du bébé à la pensée logique de
l’adolescent.
Cette théorie des stades de l’intelligence, qui a fait la célébrité de Piaget, est très
élégante, séduisante et, à première vue, convaincante. Durant la seconde moitié
du XXe siècle, elle a profondément marqué la façon de penser le développement
cognitif dans le monde de la psychologie et de l’éducation. C’est toutefois elle
qui, comme on va le voir, fait l’objet des critiques les plus fondées de la part de
la « nouvelle psychologie de l’enfant ».
Etablir un lien direct entre la psychologie et la biologie était le rêve de Piaget,
bien illustré par son « cercle des sciences ». Freud avait la même ambition d’une
« psychologie scientifique ». Aujourd’hui, plus que jamais, ce rapprochement
s’impose, car, au cours des dernières décennies, la biologie a accompli des
progrès spectaculaires. En parallèle, les neurosciences cognitives, grâce aux
nouvelles méthodes d’imageries cérébrales, donnent accès à une étude objective
des fonctions cognitives supérieures du cerveau.
Cet organe, extraordinairement complexe, est le résultat d’une double histoire :
la phylogenèse, ou évolution des espèces, et l’ontogenèse, échelle de temps
beaucoup plus courte (de la fécondation à l’âge adulte) où s’inscrit le
développement de l’enfant. Tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui sur le
fait que ce développement est contrôlé à la fois par les gènes (le déterminisme
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héréditaire lié à l’espèce) et par les conditions de l’environnement
(l’expérience). La question est ici de savoir comment : quels sont les
mécanismes qui vont des gènes à la cognition via le cerveau et l’expérience.
 Le Darwinisme « neuronal-mental »
Comment réaliser – ainsi que le préconisait Piaget – l’articulation entre le niveau
biologique et le niveau psychologique, c'est-à-dire ici entre gènes, épigenèse
neuronale (telles que ces notions viennent d’être précisées) et cognition ou
intelligence ? C’est le défi relevé par le modèle actuel du darwinisme
« neuronal-mental » (ou « neurocognitif »).
Ce modèle est défendu en France par Changeux et aux Etats Unis par le prix
Nobel de médecine et de physiologie Gérald Edelman (Rockefeller University).
Il s’agit d’un développement de la pensée évolutionniste de Darwin en
neurosciences et psychologie cognitive à propos des questions fondamentales
comme la construction des objets logico-mathématiques, le plaisir esthétique, les
règles morales, la recherche de la vérité et la conscience.
Le modèle de Changeux part du constat de l’existence de multiples niveaux
d’organisation dans le système nerveux : le niveau moléculaire et cellulaire, le
niveau des arcs réflexes et des circuits locaux, le niveau des assemblées (ou
réseaux) de neurones, dit de « l’entendement », et enfin celui des enchaînements
d’assemblées de neurones, le raisonnement, où s’orchestre le flux des « objets
mentaux ». Dans le cadre de cette architecture neuronale, allant des aspects
moléculaires et cellulaires aux objets mentaux, toute fonction, y compris
cognitive, est assignée à un niveau d’organisation donné sans être en aucune
façon autonome. Elle obéit aux lois du niveau juste inférieur, mais présente aussi
une dépendance marquée vis-à-vis des niveaux supérieurs. Pour rendre compte
de cette double dépendance, Changeux propose un schéma darwinien de
variation-sélection généralisé. Ce schéma comporte deux composants : un
générateur de diversité (variation) et un système de sélection, c'est-à-dire de test.
Aux niveaux les plus élaborés, l’entendement et le raisonnement, la dynamique
d ce schéma est la suivante : 1/ le générateur de diversité, produit dans le
cerveau l’activation spontanée et transitoire d’assemblées de neurones ou « pré
représentations » (les équivalents neurocognitifs des variations darwiniennes) ;
2/ le système de sélection procède ensuite à une activité de test qui anticipe
l’interaction avec l’environnement. Deux cas de figure sont possibles : soit il y a
« résonance » entre l’état interne du système neuronal-mental et l’état externe,
soit il n’y a pas résonance, celle-ci étant fonction de la valeur adaptative de
assemblées de neurones générées. Dans le premier cas (résonance), il y a
stabilisation et stockage en mémoire ; dans le second cas (non-résonance),
aucune mise en mémoire n’a lieu.
On sait que le schéma de variation-sélection est classique dans le cas de
l’évolution des espèces et qu’il est aussi mis en évidence dans le développement
de la réponse immunologique, dans le passage du niveau cellulaire aux
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organismes multicellulaires, ainsi que dans la morphogenèse générale du
cerveau. Mais Changeux va plus loin : il généralise le schéma darwinien à
l’interaction entre le système nerveux et le monde extérieur durant le
développement postnatal, du bébé à l’adulte, lors de l’acquisition des fonctions
cognitives supérieures. L’évolution se réalise toutefois ici à l’intérieur du
cerveau sans changement nécessaire du matériel génétique – contrairement à ce
que croyait Piaget – et dans les limites d’échelles temporelles courtes : des mois,
des jours, des heures, des minutes, jusqu’à des dixièmes de secondes, pour la
réorganisation des stratégies cognitives. Dans cette évolution, l’auto-évaluation
joue un rôle important ; elle est informée par des systèmes complexes de
récompenses.
Ce modèle présente donc l’originalité d’emboîter deux échelles de temps, la
phylogenèse (évolution des espèces) et l’ontogenèse, c'est-à-dire le
développement neurocognitif du bébé à l’adulte, en postulant l’existence d’un
mécanisme commun variation-sélection. Changeux souligne l’implication du
cortex préfrontal, siège de la pensée, de l’abstraction, et du système limbique,
siège des émotions, dans le fonctionnement de ce mécanisme.
Transition : Pour PIAGET, l'affectivité, ressort de nos actions, ne peut pas
s'exprimer si elle n'a pas les moyens fournis par l'intelligence elle même,
qui éclaire ses buts. Freud lui inverse le modèle : tout part du corps affecté,
de l’affect c'est-à-dire de l’érogénéité du corps vécu. Le corps est avant
tout un corps qui ressent et c’est notre premier médium de connaissance du
monde et de nous-même.
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