Cristiana-Nicola TEODORESCU

publicité
LA COMMUNICATION NON VERBALE DANS
LA CLASSE DE FLE
Cristiana-Nicola TEODORESCU
L’enseignement des langues étrangères connaît comme endroit de
prédilection la classe, en tant que «lieu d’une pratique exemplaire», lieu de
formation, mais aussi d’interaction (Cicurel 2002). Cette «scène» rassemble toute
sorte de manifestations de communication verbale, mais aussi non verbale, dont le
poids (in)formatif reste à être bien mesuré par les chercheurs en didactique. Mais,
comme le souligne Dominique Forest, dans sa thèse de doctorat (2006: 5) même si
«tout le monde s'accorde sur l'importance du corps du professeur et de l'espace de
la classe dans l'acte d'enseignement; il existe peu de recherches et encore moins de
résultats permettant de mettre en relation directe cet usage du corps et les
apprentissages des élèves».
Notre objectif de recherche est de voir quelles sont les stratégies de
communication gestuelle et proxémique privilégiées par les professeurs de français
langue étrangère, dans cet espace - scène qui est la classe de langues étrangères et
quel est leur impact sur l’apprentissage des élèves. Nous concevons l’action de
l’enseignant d’une manière anthropologique, considérant, à la suite de Gérard
Sensevy, que «le didactique constitue l’une des dimensions fondamentales du
social, au même titre que le politique, le religieux, le juridique, etc.» (Sensevy,
Forest, Barbu 2005).
1. L’analyse du comportement gestuel et proxémique de l’enseignant de
FLE
On ne peut pas séparer la communication verbale de celle non verbale de
l’enseignant, son comportement interactionnel, en tant que l’un des acteurs de la
scène -classe, influençant de manière extrêmement puissante la communication
didactique avec les apprenants, facilitant ou bloquant leur rythme d’apprentissage.
Notre intérêt de recherche est de mesurer le pouvoir du geste didactique et de
la proxémie dans la classe de FLE, leurs rôles pédagogique et didactique, nous
appuyant sur la constatation de Mercier, Lemoine et Rouchier (2001: 247) qui
voient dans le comportement non verbal du professeur une «technique d’aide à
l’étude». L’action du professeur est fondamentalement une action communicative,
«centrée sur l’initiation et le maintien de la relation didactique. La relation
didactique est une action ternaire, qui unit l’élève, le professeur et les savoirs. Les
savoirs sont donc enjeu de cette relation: nous postulons qu’ils lui donnent sa
logique et qu’ils déterminent sa grammaire. Comprendre la relation didactique,
c’est donc comprendre comment le savoir - enjeu modèle les différentes
interactions qui la composent» (Sensevy, Forest, Barbu 2005). Dans l’architecture
de la relation didactique, un rôle fondamental est joué par le comportement non
verbal de l’enseignant.
Le corpus soumis à l’analyse est représenté par l’enregistrement de dix
leçons de français langue étrangère, soutenues par deux enseignantes du Collège
National «Elena Cuza» de Craiova, Roumanie, enseignantes avec une longue
ancienneté dans l’enseignement du FLE et une grande expérience didactique. Nous
avons enregistré plusieurs classes de collège, cinq classes pour chaque enseignante,
une classe de IX-ème, deux classes de X-ème, une classe de XI-ème et une classe
de XII-ème, pour voir s’il y a des modifications significatives au niveau du
comportement non verbal en fonction de l’âge des apprenants. Nous avons observé
et analysé uniquement le comportement communicationnel non verbal des deux
enseignantes, la manière dans laquelle ce comportement favorise ou non la
communication didactique en langue étrangère.
2.1. La communication non verbale – quelques repères théoriques.
L’affirmation conformément à laquelle la communication est un phénomène
multicanal ou plurimodal est déjà du domaine de la banalité, la démultiplication
des canaux et des modes de communication faisant partie intégrante de notre vie
quotidienne. Entre deux personnes, la communication ne se réduit pas à des
échanges de nature verbale. Plus précisément, «durant une interaction face à face,
par exemple, chaque interlocuteur émet et reçoit un énoncé total, hétérogène,
résultat de la combinaison, en général synergique, de plusieurs éléments» (Cosnier,
Brossard 1984: 5).
Barlund s’inscrit dans la même ligne quand il affirme que «Beaucoup de
significations humaines - même la plupart - sont façonnées par le toucher, la
parole, les gestes, l'expression du visage, avec ou sans paroles. Les individus
s’observent réciproquement, en écoutant les pauses et l'intonation, en observant les
vêtements, les yeux ou la tension du visage, tout comme les mots qu’ils prennent
en considération» (Barlund 1970: 67). Sans communication non verbale, notre
monde serait incomplet et la pauvreté de nos interactions maximale.
Il est très difficile de définir la communication non verbale, dû son caractère
pluricanal et plurimodal. La communication non verbale serait représentée par tout
élément entrant dans la composition d’un phénomène communicatif et qui ne
s’appuie pas directement sur la communication orale ou écrite (Martin 2002: 26) et
qui implique «la somme des stimulus (à l’exception de ceux verbaux) présents dans
le contexte d’une situation de communication, générés par l’individu et qui
contiennent un message potentiel» (Chiru 2003: 32). On voit que la communication
non verbale «contient un ensemble vaste et hétérogène de processus ayant des
propriétés communicatives, en commençant avec des comportements plus
manifestes et macroscopiques, comme l’aspect extérieur, les comportements de
relation spatiale avec les autres (rapprochements, distanciations) et les mouvements
du corps (du tronc, des membres ou de la tête) jusqu’au aux activités moins
évidentes et plus fugaces, comme les expressions faciales, les regards et le contact
visuel, les intonations vocaliques» (Hennel-Brzozowska 2008: 22). Il s’agit ici
d’éléments de nature paralinguistique, comme l’intonation et la mimique, mais
aussi la gestualité, la proxémique, la kinésique, qui peuvent modifier ou influencer
le message et l’interaction.
2.1.1. L’approche interdisciplinaire de la communication non verbale
Les chercheurs sont d’accord avec le fait qu’il n’y a pas une seule théorie
générale de la communication non verbale et qu’il y a plusieurs disciplines qui
s’occupent de l’étude de ses types, formes et fonctions. En synthétisant tous les
types d’approche de la communication non verbale, S. Chelcea tire la conclusion
que «du point de vue théorique et méthodologique, l’analyse de la communication
non verbale s’est développée sur trois grandes dimensions : a) l’analyse des
indicateurs (l’étude de l’apparence physique, des artefacts); b) les facteurs
déterminants de la communication non verbale (hérédité, culture, appartenance au
genre, contexte, etc.); c) les fonctions de la communication non verbale» (Chelcea,
Ivan, Chelcea 2005: 31), dimensions qui ont conduit à des approches extrêmement
généreuses, dont nous ne pouvons pas exclure la dimension didactique. On voit que
l’étude de la communication non verbale se retrouve au carrefour de plusieurs
disciplines scientifiques, qui, toutes, corroborent leur réflexion, leurs analyses et
leurs observations sur ce domaine fascinant de la connaissance: biologie,
neurosciences, sociologie, anthropologie, psychologie expérimentale, sociale et
clinique, didactique et pédagogie.
2.2. La gestualité didactique
Les gestes contiennent les mouvements, la tenue de la tête, des bras, des
mains, du corps, des pieds. La gestualité ou ce qu’on appelle body language n’est
pas une préoccupation récente, mais, comme le souligne Adam Kendon (cf.
Chétochine 2008: 6), le grand historien de la gestualité, les premières informations
écrites apparaissent dès l’antiquité. Les gestualistes sont préoccupés par les
significations multiples des gestes dans les divers rapports de communication
interpersonnelle, confirmant, tous, la vérité de la célèbre affirmation de José Ortega
y Gasset qui disait «sans vos gestes, j’ignorerais l’entier secret lumineux de votre
âme».
2.2.1. La classification des gestes
La littérature de spécialité distingue plusieurs typologies des gestes:
H. Wespi (apud Dinu 2000: 229) divise les gestes en fonction de leurs
rapports avec les mots en: substitutifs, complétifs et d’accompagnement du
discours verbal.
Une autre typologie des éléments mimo-gestuels inventorie: gestes quasilinguistiques (le doigt devant les lèvres comme signe de silence), co-verbaux (le
geste de présentation ou d’introduction d’une personne, synchronisateurs
(mouvement léger de la tête, accompagné par la parole, en signe de confirmation)
et extra-communicatifs (les gestes qui accompagnent le discours sans supplément
d’information, comme le toucher des cheveux, du front, de la blouse etc.).
Paul Ekman et Wallace V. Friesen (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 130135) proposent la typologie suivante:
 Les emblèmes représentent, au fond, les gestes substitutifs de la typologie
de Wespi, pouvant remplacer le langage et former un autre langage (le langage des
sourds-muets). Les emblèmes soulignent et doublent les mots, le locuteur ayant un
contrôle quasi total sur leur utilisation. Il y a plusieurs types d’emblèmes, en
fonction de l’identité entre la forme du geste et celle de l’objet désigné: emblèmes
référentiels, codifiés du point de vue iconique, et emblèmes conventionnels, mais
leur différenciation est assez difficile. Les emblèmes sont codifiés du point de vue
culturel, variant, tant quantitativement que formellement, d’une culture à l’autre.
Indifféremment de la culture dans laquelle les emblèmes se manifestent, elles ont
des fonctions claires: l’insulte, la signalisation de la distance dans les relations
interpersonnelles, l’appréciation de l’activité et des performances des autres, la
signalisation de la séparation, des réponses affirmatives ou négatives à des
sollicitations diverses, le commentaire de certains états physiques ou affectifs. Les
emblèmes représentent l’apanage du locuteur, mais aussi de l’interlocuteur, qui,
parfois à travers le paralangage, exprime son intérêt et son désir de continuation de
la communication.
 Les illustrateurs sont des éléments non verbaux qui ont le rôle
d’accompagner et de compléter le message. Ils sont moins arbitraires que les
emblèmes et, ayant un caractère inné, sont universels. Les deux chercheurs
identifient huit types d’illustrateurs réalisés avec les mains;
 Les bâtons, mouvements verticaux des mains qui ont le rôle d’accentuer
certains mots ou certaines idées du discours;
 Les pictographes, mouvements des mains qui décrivent dans l’air certaines
formes des objets dont on parle. Mihai Dinu (2000: 233-234) cite la définition
amusante, des années ’60, de la notion de gentleman: «un gentleman est un
monsieur qui peut décrire Marylin Monroe sans utiliser ses mains»;
 Les idéographes sont des gestes qui décrivent les mouvements abstraits de
la pensée ou du raisonnement;
 Les mouvements déictiques soulignent le discours, indiquant des objets, des
endroits ou des personnes. Ils sont soumis aux règles de politesse, entrant sous
l’incidence du tabou gestuel, le mouvement déictique pouvant être repris par
d’autres composants corporels (le regard, par exemple);
 Les mouvements spatiaux sont des gestes qui décrivent des relations
spatiales et des rapports de positionnement entre les objets et les personnes;
 Les mouvements rythmiques sont des gestes qui décrivent la cadence d’une
action ou le tempo d’un discours;
 Les kinéographes sont des gestes qui indiquent le fonctionnement du corps
humain (l’échine souple des subordonnées devant leurs chefs) ou différents
comportements des animaux (le geste qui imite la morsure d’un chien);
 Les illustrateurs emblématiques sont des gestes qui mettent en évidence un
certain mot ou une partie d’un discours qu’ils accompagnent (les doigts en forme
de V pour signifier la victoire, accompagnés du cri «victoire»);
 Les expressions faciales (appelées par Mihai Dinu mouvements affectifs)
ont le rôle d’indiquer nos états affectifs (joie, peur, dégoût, colère, tristesse,
surprise, fatigue, etc.);
 Les régulateurs ou gestes de réglage sont les gestes qui maintiennent et
contrôlent la communication, c'est-à-dire l’interaction avec les autres. Leurs
principales fonctions sont celle expressive (quand on écoute nous ne restons pas
passifs, mais on fait des gestes pour marquer l’intérêt, la curiosité, la confirmation,
l’accord, etc.) et celle phatique (on assure le maintient du contact avec
l’interlocuteur). L’émetteur peut ainsi bénéficier d’un précieux feed-back et régler
son énonciation.
 Les adapteurs sont les gestes les moins liés à la communication, des gestes
stéréotypes, ayant un rôle de soupape qui apparaissent dans les moments de
concentration (mouvements rythmiques des pieds) ou de tension psychique. Les
chercheurs distinguent:
Les alter-adapteurs, des gestes de manipulation des objets dans un but
pratique (balayage) qui acquièrent des valences communicationnelles dans leur
utilisation à des finalités didactiques («c’est ainsi qu’on balaye»).
Les auto-adapteurs (manipulateurs dans la terminologie de R. B. Adler et G.
Rodman (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 34) sont des gestes de manipulation
du propre corps (avec les mains, les doigts…) et des mouvements faits pour
satisfaire certains besoins biologiques, bien des fois interdits dans leur utilisation
en public.
Les adapteurs objectuels sont des gestes mécaniques et répétitifs réalisés
avec certains objets (stylo, verre…).
Desmond Morris (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 135-137) propose une
autre typologie des gestes, en les classifiant en:
 Gestes expressifs, expressions faciales qui trahissent des états émotionnels
et échappent au contrôle volontaire;
 Gestes mimés, à l’aide desquelles on essaie l’imitation d’une personne,
d’une action, d’un objet. On peut parler de: mimétisme social (le sourire large à la
rencontre avec une personne désagréable), mimétisme théâtral (la tentative
délibérée d’imiter certaines actions ou personnes), mimétisme partiel (l’imitation
de certaines actions inconformes à la réalité - l’imitation du vol, du suicide),
mimétisme en vide ou en absence d’un certain objet (l’imitation de la sensation de
faim);
 Gestes schématiques qui ressemblent aux gestes mimés, une sorte de
variante simplifiée,
 Gestes symboliques qui signifient une qualité abstraite, étant fortement
connotés du point de vue culturel (le geste pour «mon œil»);
 Les gestes techniques, spécifiques et significatifs pour certaines professions
ou groupes sociaux;
 Gestes codifiés, qui ressemblent beaucoup aux gestes techniques, étant
spécifiques à certaines catégories (sourds-muets, par exemple).
Il serait intéressant pour notre démonstration de rappeler la typologie des
gestes proposée par J.B.Bavelas (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 137) en
directe corrélation avec leur rôle dans la conversation, dans les interactions de type
face-to-face:
 Gestes liés au contenu de la discussion (les emblèmes et les illustrateurs de
la classification de Ekman);
 Gestes interactifs, parmi lesquels les gestes faits en hâte (l’indication de la
direction, d’une adresse), les gestes de citation, les gestes de demande d’aide, les
gestes de réciprocité, de demande ou d’offre de réponses.
L’intention de communication génère trois types de gestes:
 Gestes affectifs divisée en: gestes affectifs centrifuges qui marquent un état
d’euphorie, gestes affectifs centripètes qui marquent un état de dysphorie, de
tristesse, de gène, gestes modaux qui marquent la négation, l’interrogation, le
doute;
 Gestes phatiques, d’accueil ou de refus, marquant les valences
intersubjectives de la communication (Greimas, Courtès 1979: 165).
2.2.2. Les mouvements du corps et l’aspect cognitif du langage. Bernard
Rimé, chercheur à l’ Université Catholique de Louvain-la-Neuve, Belgique, insiste
sur la relation évidente qui existe entre les mouvements du corps et l’aspect
cognitif du langage (cf. Moscovici 1984). Toutes les expériences effectuées ont
démontré le fait que l’homme pense mieux quand il bouge qu’en état d’immobilité.
Et, chose surprenante, plus il a un vocabulaire riche et nuancé, plus il fait des
gestes quand il parle ou réfléchit intensément. On voit, donc, que l’expression
gestuelle a un rôle primordial dans l’élaboration du message (cf. Martin 2002: 27).
2.2.3. Analyse des gestes didactiques
L’analyse des gestes didactiques n’a pas représenté une préoccupation
constante des chercheurs, Foquet et Strasfogel, De Landsheere et Delchambre étant
les seuls, à notre connaissance, à proposer des études intéressantes et pertinentes.
Eric Mauvais et Gilles Guerrin (1999: 71) montrent que «par son geste,
l’enseignant peut faire passer un message, en expliciter le sens et, qu’à cette
fonction linguistique, vient s’ajouter, lors de la confrontation avec les apprenants,
la fonction interactionnelle. Dans la classe de langue, le professeur se sert de ses
gestes à la fois pour se faire comprendre (d’où leur rôle «d’ancrage» par rapport au
discours pédagogique) et pour régler la communication, solliciter, tempérer ou
même sanctionner les interventions des étudiants, donc pour dynamiser le groupe».
Les deux chercheurs se penchent sur l’étude des gestes didactiques et divisent
l’acte pédagogique en quatre fonctions principales: solliciter, réagir, structurer et
répondre. Pour eux, les principales fonctions des gestes didactiques du professeur
de FLE sont: décrire, accentuer, structurer, indiquer, captiver et sanctionner.
L’analyse de notre corpus a confirmé l’interprétation de Eric Mauvais et
Gilles Guerrin, la multitude des gestes des deux enseignantes se focalisant sur les
six fonctions décrites par les deux chercheurs.
Nous avons essayé de voir quels sont les gestes des deux enseignantes
répondant aux fonctions décrites par Eric Mauvais et Gilles Guerrin.
Ce qui caractérise le comportement didactique des deux enseignantes est leur
gestualité bien représentée. Nous avons remarqué une distribution différentes des
gestes entre les moments de la leçon et en fonction de l’âge des apprenants (une
quantité de gestes plus réduite avec les apprenants de XIème et XIIème classes).
Le moment initial de la leçon, la vérification des connaissances et de la leçon
à préparer est marqué surtout par des gestes de type accentuer, indiquer et
sanctionner de la typologie de Eric Mauvais et Gilles Guerrin. Ce moment est riche
en éléments mimo-gestuels (gestes quasi-linguistiques pour imposer le silence et
accroître le niveau d’attention) et surtout synchronisateurs, pour marquer
l’approbation, la satisfaction pour un travail scolaire de qualité.
Le passage à la nouvelle leçon est marqué par des gestes de type décrire,
accentuer, indiquer et captiver. Pour décrire, les deux enseignantes utilisent
beaucoup de gestes imitatifs, gestes descriptifs, leur gestualité étant
fondamentalement mimétique et/ou analogique. C’est dans cette partie de la leçon
qu’apparaissent les emblèmes, les illustrateurs (surtout les bâtons, pour accentuer
certaines parties de la démonstration et de la captatio, des pictographes et des
idéographes, beaucoup de mouvements déictiques et spatiaux. Les régulateurs ou
gestes de réglage apparaissent dans le comportement didactique des deux
enseignantes pour maintenir et contrôler la communication avec les apprenants,
leurs principales fonctions étant celle expressive (quand il écoute, l’enseignant ne
reste pas passifs, mais il fait des gestes pour marquer l’intérêt, la curiosité, la
confirmation, l’accord, etc.) et celle phatique (l’enseignant maintient le contact
avec l’apprenant, pouvant ainsi bénéficier d’un précieux feed-back et régler son
énonciation). Tous ces gestes sont «de l’ordre de l’insistance et de la redondance et
ont, pour cette raison, une importance particulière dans une situation
d’enseignement. Ils ont pour fonction de focaliser l’attention de l’élève sur certains
éléments pertinents du message pédagogique» (Mauvais, Guerrin 1999: 72). Les
gestes affectifs ont une bonne représentation dans le comportement didactique de
nos deux enseignantes, probablement parce qu’elles sont des femmes, mères de
famille, l’affectivité relationnelle jouant un rôle important dans leur interaction
avec les jeunes. Le rôle des gestes affectifs est très important dans l’interaction
didactique. Nous sommes d’accord avec Christine Arnaud qui affirme:
«L’affectivité est une notion ayant suffisamment de poids pour qu’on lui accorde
généralement une importance primordiale dans les comportements humains et, en
même temps, trop imprécise pour que les psychologues ou les psychopédagogues
l’utilisent fréquemment. Dans le domaine de l’enseignement/apprentissage des
langues étrangères, on reconnaît que la composante affective exerce une influence
décisive, au même titre que la composante cognitive. Pour D. Coste (1984), en
cours de langue étrangère, la place du relationnel et de l’affectif pourrait être
amplifiée par la particularité de cette discipline. En effet, le cours de langue est le
seul domaine d’enseignement où l’objet d’étude soit en même temps le médium:
l’élève utilise la langue étrangère pour apprendre cette même langue étrangère.
Ainsi, en raison des limitations du verbal, l’affectif pourrait peser lourd sur les
conditions dans lesquelles se déroulent l’apprentissage» (Arnaud, Ch., 2008).
Le moment de l’introduction de la nouvelle leçon est marqué surtout par les
gestes de type décrire, accentuer, structurer. Dans la conception de Mauvais, E.,
Guerrin, G. (1999: 72) les gestes de type structurer ont pour fonction «d’encoder le
message, d’induire la parole et, peut-être, de faciliter la pensée».
La typologie gestuelle et la quantité gestuelle reste la même que dans les
deux premières parties de la leçon, les emblèmes, les illustrateurs, les gestes
phatiques et les gestes de réglage étant les mieux représentés.
L’explication de la nouvelle leçon est basée sur des gestes de type décrire,
accentuer, structurer, indiquer, captiver. C’est ici que toute la compétence
gestuelle du professeur est mobilisée, car il doit faire passer de nouvelles
connaissances, de les introduire dans le système des connaissances déjà acquises
par les élèves. Mauvais, E. et Guerrin, G. insistent sur l’importance de tous ces
gestes, le professeur ayant la tache difficile de «se servir consciemment de son
corps, travailler ses effets gestuels, afin de gagner son public et de capter son
attention» (1999: 73).
La dernière partie de la leçon, le moment de fixer les nouvelles
connaissances acquises, est marquée principalement par des geste de type
accentuer, structurer et indiquer.
Les observations faites nous ont conduit à un regard quantitatif des gestes
utilisés par nos deux enseignantes:
Gestes
éléments mimo-gestuels:
- gestes quasi-linguistiques
- synchronisateurs,
Emblèmes
illustrateurs
- bâtons
- pictographes
- idéographes,
- mouvements déictiques
- mouvements spatiaux.
régulateurs ou gestes de réglage
mouvements rythmiques
Kinéographes
illustrateurs emblématiques
expressions faciales (mouvements affectifs)
Adapteurs
alter-adapteurs
auto-adapteurs (manipulateurs)
adapteurs objectuels
gestes liés au contenu de la discussion (les
emblèmes et les illustrateurs)
gestes modaux
gestes phatiques
Quantité (+++ très grande, ++
grande, + moyenne, - absence
du geste)
+
+++
++
++
+
+
+
+
+++
++
+
+
+
+++
+++
++
On pourrait considérer tous ces gestes comme des gestes techniques, car tout
geste didactique a cette composante technique dans ses manipulations.
Le comportement gestuel de l’enseignant dépend de plusieurs facteurs qui
l’influencent et qui déterminent le rythme et la structure: la personnalité de
l’enseignant, le sexe de l’enseignant (nous avançons l’hypothèse, pas encore
vérifiée, que le comportement gestuel des enseignants hommes est beaucoup plus
«pauvre» que celui des enseignantes), l’âge de l’enseignant (une nouvelle
hypothèse avancée concernerait des différences de comportement gestuel entre les
jeunes enseignants et les plus âgés, qui ont la tendance de réduire leurs
manifestations gestuelles), la salle de cours, la composition de la classe (nombre de
filles et de garçons), le niveau de maîtrise de français et l’attitude des élèves (plus
ou moins intéressés), le type d’activité, le matériel didactique et l’infrastructure
technique. Mauvais, E. et Guerrin, G. insistent, eux aussi, sur le fait que tous ces
facteurs «personnels et contextuels […] vont jouer un rôle dans la communication
pédagogique et modifier, selon le cas, la gestualité de l’enseignant» (1999: 74).
3. La proxémique didactique
L’espace est, lui aussi, un important moyen de communication. Le terme de
proxémique a été proposé par Edward T. Hall, ayant comme base de réflexion les
études de Whorf et Sapir et comme intérêt de recherche «l’espace social comme
bio-communication».
Définition. La proxémique, l’une des relations sociales porteuses de
nombreuses significations au sein des processus complexes de communication non
verbale, est la discipline qui étudie le mode de structuration de l’espace humain :
types d’espaces, distances interpersonnelles, organisation de l’habitat et
«signification de la distance, de l’orientation et des relations spatiales dans la
communication interpersonnelle» (O’Sullivan et ali 2001: 265).
3.1. Description de l’espace de la classe-scène
Les enregistrements des leçons ont été effectués dans le laboratoire de
langue française du Collège National «Elena Cuza», une salle de classe avec les
tables disposées en U pour dynamiser l’interaction des participants à l’acte de
communication didactique. La chaire du professeur se trouve devant les tables des
élèves, emplacement qui permet au professeur de regarder tous ses élèves et de se
déplacer facilement au niveau de la classe. L’emplacement de la chaire au niveau
de la classe combine la distance personnelle (45 cm - 120 cm) et la distance sociale
(120 cm - 350 cm). Nous avons constaté le désir des élèves de s’asseoir dans la
zone de la distance personnelle, pour être plus près de leurs enseignantes. Ceux qui
arrivaient en retard et trouvaient les places de la zone personnelle occupées
affichaient leur regret et leur mécontentement. Cette préférence pour la zone
personnelle dans l’emplacement didactique confirme notre appartenance à une
culture de contact, qui favorise les rapprochements, mais aussi les valences
affectives et psychologiques des élèves qui ressentent le besoin de s’approcher le
plus de leur professeur. Les élèves de la XIème et de la Xème classes ont la
tendance d’entrer même dans la zone intime éloignée (15 - 40 cm) de
l’enseignante, les plus «âgés» ayant la tendance de respecter cette zone. La distance
la plus commune dans l’interaction didactique reste celle personnelle rapprochée
(45-74 cm), distance choisie par les deux enseignantes comme l’espace le plus
adéquat à l’interaction didactique. Nous n’avons pas remarqué dans le
positionnement proxémique des deux enseignantes le choix d’une zone libre en
étroite corrélation avec leur statut hiérarchique, ce qui démontre leurs rapports
proches avec les apprenants.
Nous devons remarquer que les élèves ne respectent pas les «territoires»,
places qui, une fois choisies, restent fixes tout le long de l’année scolaire. Chaque
fois, ils changent de places, préférant celles qui se trouvent le plus près de
l’enseignante.
L’attitude «maternelle» des enseignantes transforme la salle classe dans un
espace semi fixe et sociopète (Hall 1971: 129-142), favorisant le contact entre les
élèves et le professeur.
En observant les attitudes des élèves durant les moments de travail
indépendant, nous avons remarqué leurs positions de collaboration, du même coté
de la table, tout en partageant un territoire commun.
4. Conclusions
L’analyse des enregistrements effectués dans les classes des deux
enseignantes a démontré une bonne gestion du comportement non verbal, une
bonne utilisation de tous les types de gestes «techniques» avec un retombé
significatif sur les élèves : niveau élevé de connaissance, intérêt pour l’étude, désir
d’apprendre, curiosité, interaction facile avec le professeur, grande confiance dans
la personne de l’enseignant.
L’incidence du comportement gestuel de l’enseignant sur la relation
professeur - élève n’est plus à démontrer. Nous sommes d’accord avec Mauvais, E.
et Guerrin, G. qui insistent sur le fait que «le professeur devait prendre conscience
de sa gestualité afin d’en travailler les effets, mais en aucun cas il ne devait adopter
des gestes types dont il se servirait comme outils. Cela ne ferait que nuire à sa
personne (à son authenticité) qu’il doit avant tout préserver. Car cela enlèverait
toute spontanéité à l’interaction» (1999: 75).
L’analyse du comportement proxémique des enseignantes et de leurs élèves
nous a conduit à la conclusion de l’existence d’un contrat didactique efficace,
favorable à l’apprentissage et à l’échange libre : une structuration flexible de
l’espace didactique, une tendance vers les zones intimes et personnelles comme
zones de confirmation et de confiance mutuelle entre les partenaires de l’acte
didactique.
Nous sommes partie dans cette analyse de l’hypothèse qu’on ne peut pas ne
pas communiquer dans l’espace - classe, vu comme cadre de la communication
didactique. Dans cet espace, tout devient élément porteur de significations
communicationnelles, les gestes, les distances, le positionnement des acteurs
participant à l’interaction didactique, facilitant ou, au contraire bloquant
l’apprentissage des élèves. Lorsqu’il enseigne, le professeur fait des gestes et
«maintient, plus ou moins consciemment, une distance (métrique) variable avec ses
élèves» (Sensevy 2005).
L’observation des enregistrements des leçons nous a conduit à la conclusion
que les deux enseignantes maîtrisent le comportement non verbal, dans ses
dimensions gestuelle et proxémique, et que cette maîtrise influence, d’une manière
positive, l’apprentissage des élèves.
BIBLIOGRAPHIE
Arnaud, Christine, «L’affectivité et le comportement non verbal en classe de
langues étrangère» dans Synergies Espagne, nr. 1, 2008, pp. 175-194.
(Arnaud 2008)
Barlund, C., «A Transactional Model of Communication», dans Sereno şi
Mortenson (eds), Foundations of Communication Theory, London,
Harper & Row, 1970. (Barlund 1970)
Cadet, L., Tellier, M., «Le geste pédagogique dans la formation des
enseignants de LE: Réflexions à partir d’un corpus de journaux
d’apprentissage» dans Les cahiers de Théodile, nr. 7, 2007, pp. 67-80.
(Cadet, Tellier 2007)
Chelcea, S., Ivan L., Chelcea A., Comunicarea nonverbală: gesturile şi
postura, Bucureşti, comunicare.ro, cursuri universitare, 2005.
(Chelcea, Ivan, Chelcea 2005)
Chétochine, Georges, La vérité sur les gestes, Eyrolles, 2008. (Chétochine
2008)
Chiru, Irena, Comunicarea interpersonală, Bucureşti, Tritonic, 2003. (Chiru
2003)
Cicurel, F., «La classe de langues, un lieu ordinaire, une interaction
complexe», dans Acquisition et interaction en langue étrangère, 2002,
pp. 145-164, [En ligne] http://aile.revues.org/801 [Page consultée le 3
septembre 2010] (Cicurel 2002)
Cosnier, J., Brossard, A. (dir), La communication non verbale, Neuchâtel,
Delachaux et Niestlé, 1984. (Cosnier, Brossard 1984)
Coste, D., «Les discours naturels de la classe» dans Le Français dans le
Monde, nº 183, 1984. (Coste 1984)
Dinu, Mihai, Comunicarea. Repere fundamentale, Bucureşti, Editura Algos,
Ed. a II-a, 2000. (Dinu 2000)
Forest, Dominique, Analyse proxémique d'interactions didactiques,
Université de Rennes 2, UFR de sciences humaines, Thèse pour
obtenir le grade de docteur en sciences de l'éducation, présentée et
soutenue publiquement par Dominique Forest le 8 décembre 2006,
Directeur de thèse: Gérard Sensevy, [En ligne] http://tel.archives-
ouvertes.fr/tel-00199298/en/ [Page consultée le 1 septembre 2010]
(Forest 2006)
Greimas, A. J., Courtès, J., Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie
du langage, Paris, Hachette, 1979. (Greimas, Courtès 1979)
Hall, Edward T., «Proxemics» dans Current Anthropology, 9, 1968, pp. 83108, apud Chelcea, S., Ivan L., Chelcea A., (2005), Comunicarea
nonverbală: gesturile şi postura, Bucureşti, comunicare.ro, cursuri
universitare. (Hall 1968)
Hall, Edward, La dimension cahée, Paris, Seuil, 1971. (Hall 1971)
Hennel-Brzozowska, Agnieszka, «La communication non-verbale et
paraverbale – perspective d’un psychologue», dans Synergies.
Pologne. Traduire le paraverbal, Coordonné par Jerzy Brzozowski,
2008, pp. 21-30. (Hennel-Brzozowska 2008)
Martin, Jean-Claude, Communiquer. Mode d’emploi. Savoir dire, savoir
convaincre: la communication au quotidien, Marabout, 2002. (Martin
2002)
Mauvais, E., Guerrin, G., «Enseigner une langue étrangère. Approches sur
la
communication
non
verbale»,
1999.
[En
ligne]
http://repository.lib.gifuu.ac.jp/bitstream/123456789/4474/1/KJ00004
182507.pdf [Page consultée le 1 septembre 2010] (Mauvais, Guerrin
1999)
Mercier, A., Lemoyne, G., Rouchier, A., Le génie didactique, Bruxelles, De
Boeck Université, 2001. (Mercier, Lemoyne, Rouchier 2001)
Moscovici, S., Psychologie sociale, Paris, PUF, 1984. (Moscovici 1984)
O’Sullivan, Tim, et ali, Concepte fundamentale din ştiinţele comunicării şi
studiilor culturale, Iaşi, Polirom Collegium, 2001. (O’Sullivan et ali
2001)
Sensevy, Gérard, Forest, Dominique, Barbu, Stéphanie, «Analyse
proxémique d’une leçon de mathématiques : une étude exploratoire»,
dans Revue des sciences de l’éducation, Volume 31, Numéro 3, 2005,
pp. 659-686. [En ligne] http://www.erudit.org/revue/RSE/2005/v31/
n3/013914ar.html [Page consultée le 15 septembre 2010] (Sensevy,
Forest, Barbu 2005)
Teodorescu, C.-N., «Fermetures et ouvertures francophones dans le discours
didactique des manuels roumains de FLE», dans Bertrand Daunay,
Isabelle Delcambre, Yves Reuter (eds), 2009, Didactique du français,
le socioculturel en question, Presses Universitaires du Septentrion, pp.
97-109. (Teodorescu 2009)
ABSTRACT
The article proposes an analysis of the non-verbal behaviour of FFL teachers
in a Romanian national college. It deals with the gestual and proxemic components,
as the author proposes a description of teaching gestures and teaching proxemy, in
close connection to the students' learning level. The conclusion of this analysis
insists on the fact that the non-verbal behaviour of the teacher influences the
students' learning level, playing a fundamental part in teaching interaction.
Key words: didactic gestuality, didactic proxemy, teaching communication
agreement
Téléchargement