Les dix lancements commerciaux qui ont marqué 2005 Petites entreprises et grandes marques rivalisent dans l'art de lancer leurs produits. Et font émerger de nouvelles techniques de communication. Efficaces et pas forcément coûteuses. Mis en ligne le 23/12/2005 – L’ENTREPRISE TAF : 1. Quelles sont les raisons pour lesquelles les techniques de lancement des produits évoluent ? 2. Listez les méthodes nouvelles utilisées. Dépenser 7 000 euros en promotion et récolter 2,5 millions de recettes en six mois, c'est possible ! Les Editions First en sont la preuve vivante avec la mise sur le marché des grilles de su doku (grilles de chiffres croisés). C'est l'un des jolis coups commerciaux parmi les dix lancements de produits réussis que nous avons sélectionnés pour l'année 2005. Dans la variété des techniques de communication utilisées, les idées futées et pas chères sont en vogue, même si le matraquage publicitaire à l'ancienne paie encore. Cependant, le marketing de papa tend à s'étioler. Ainsi, au cours du premier semestre, SFR et Orange ont englouti des milliards d'euros dans la communication autour de la norme de téléphonie mobile de troisième génération, la 3G, pour aboutir à un échec commercial cuisant. Dès lors, comment s'imposer dans l'esprit du consommateur quand le « temps de cerveau disponible » est assailli en moyenne par 700 messages publicitaires par jour ? Pour capter l'attention et déclencher l'acte d'achat, les stratégies marketing des entreprises deviennent de plus en plus sophistiquées. Très prisée, celle du bestseller, qui consiste à créer l'événement et faire l'actualité, ou encore l'art du teasing , c'est-à-dire l'art de titiller la cible visée et d'attiser la curiosité ou le suspense. « Les grandes marques pratiquent de plus en plus dans leurs lancements un marketing de la rétention », observe Ronan Chastellier, professeur de marketing à Sciences-Po. Un élément majeur émerge, le recours accru au média internet. Les derniers parfums de Jean-Paul Gaultier ou de Thierry Mugler en sont de bons exemples. Ils y consacrent une part croissante de leur budget promotionnel, de l'ordre de 15 %. Au-delà du lancement massif, les PME peuvent toujours utiliser l'arme plus légère du boucheà-oreille. En effet, le meilleur vecteur de prescription pour doper les ventes est encore un client satisfait qui parlera de l'entreprise autour de lui. « Le consommateur doit rester au centre du lancement, c'est une règle intangible quelle que soit la taille de votre entreprise », rappellent Monique Wahlen et Benoît Héry, de l'agence de publicité Grrrey !. "Les techniques de lancement décalées se développent" Delphine Manceau, professeur de marketing à l'ESCP-EAP, coauteur de Marketing des nouveaux produits. L'Entreprise (extrait du n° 240 décembre 2005) | Mis en ligne le 22/12/2005 J 'ai été frappée par le lancement réussi de deux romans : Harry Potter 6 et La Possibilité d'une île, de Houellebecq. Les deux étaient très attendus du public et du monde de l'édition. Dans le cas de Houellebecq, on ne revendique pas le recours à des techniques marketing. Mais l'envoi sélectif à quelques journalistes, associé à une « stratégie de manque délibéré » auprès des prescripteurs, est connu pour générer du bouche-à-oreille et de l'intérêt dans les médias et le public. Les techniques de lancement classiques sont de plus en plus coûteuses. L'espace publicitaire dans les grands médias est extrêmement onéreux avec des retours incertains du fait d'un surencombrement publicitaire. Cette stratégie est de plus en plus réservée aux produits de grande consommation peu impliquants pour lesquels la notoriété et la présence en magasin sont les clés du succès commercial. Dès que l'on cherche à lancer un produit qui implique les clients, on peut recourir à des techniques fondées sur la presse ou le bouche-à-oreille. L'exemple de la Logan est remarquable, avec une annonce anticipée du produit suscitant l'intérêt des médias et du grand public, puis un suivi du projet par les journalistes jusqu'à son lancement effectif. Au final, le produit bénéficie d'un niveau de notoriété exceptionnel sans recours à la publicité. Cela fonctionne car le produit en luimême est original et porteur de valeur pour les clients. Les techniques de lancement se sont diversifiées. Le développement d'internet et le décryptage croissant des pratiques marketing font émerger des stratégies plus atypiques, fondées sur le marketing viral et le décalage. Brice de Nice est un exemple frappant. Auprès d'une cible jeune, les propos et les pratiques décalés constituent le meilleur outil. Lancement malin Le Sudoku : Petit budget, gros succès. Il a suffi d'un partenariat avec Le Figaro , qui a publié cet été une grille par jour "Frais de traduction et mise en place des premiers ouvrages compris, c'est un lancement qui nous a coûté 8 000 euros à tout casser », se réjouit Vincent Barbare. Le PDG de la maison d'édition First (32 millions d'euros de chiffre d'affaires) a su être le premier à commercialiser des recueils de Sudoku , ces fameuses grilles de chiffres qui ont détrôné les mots croisés au Japon. C'est à un colloque entre éditeurs que Vincent Barbare a entendu parler du su doku en mai 2005. Dès juillet, le PDG sortait ses premiers recueils. Jackpot : 250 000 exemplaires de trois volumes de grilles vendus entre juillet et mioctobre. Il a suffi d'un partenariat avec Le Figaro , qui a publié cet été une grille par jour en mentionnant gracieusement les Editions First ! Le Fig Mag a pris le relais après l'été. D'ici à fin décembre, First aura vendu 350 000 exemplaires ! Lancement sans publicité Sans campagne de pub ni télé, ni presse : Renault invente le « non-lancement » pour sa Logan. Nous n'avons aucune publicité, ni télé ni presse. Aucun plan média classique, explique-t-on chez Renault. Nous avons juste transmis quelques affiches au réseau, qui était libre de les utiliser... ou pas ! » La marque au losange a longtemps hésité avant de commercialiser en Europe occidentale la Logan, son modèle hard discount, de peur de cannibaliser ses autres modèles d'entrée de gamme. Elle a quand même récolté de la publicité gratuite et bienveillante dans huit quotidiens, dont quatre ont fait leur une avec la voiture pas chère (à partir de 7 500 euros en France) le jour de sa sortie officielle, le 9 juin dernier, en France. Sans compter les multiples reportages des journaux de 20 heures des grandes chaînes télévisées. « Renault a créé un nouveau standard automobile, le véhicule low cost. La nouveauté a suffi pour lancer commercialement le produit sans grande publicité », analyse Benoît Héry, vice-président de Grrrey !. L'objectif de la direction commerciale était de vendre 5 000 véhicules en 2005 en France. Les prévisions ont été dépassées : entre juin et octobre, Renault a enregistré 10 500 commandes. Lancement multipartenariat "La marche de l'empereur" : tout sur le terrain. Lancer un documentaire sur les manchots de l'Antarctique en plein mois de janvier face aux rouleaux compresseurs des studios Walt Disney et autres Dreamworks, il fallait oser. Pour quelques dizaines de milliers d'euros d'honoraires, Casablanca, une agence de communication spécialisée dans le cinéma, a relevé le défi. Pour réussir, elle a conçu deux partenariats avec Nature & Découvertes et le Club Med afin de faire connaître le film de Luc Jacquet en décembre 2004, avant sa sortie officielle qui avait lieu fin janvier 2005. Nature & Découvertes a consacré un espace au film dans ses 60 boutiques en proposant des produits en accord avec le thème, ainsi qu'un jeu-concours. Le Club Med, lui, avait mis en place des points d'accueil dédiés lors des vacances de Noël et remis des kits aux enfants sur les quais de la gare de Lyon. Ce plan de communication malin a permis de « référencer » le film sur 408 écrans (c'est beaucoup pour un documentaire) et de le faire émerger dans le flot des sorties de la fin janvier. Il a fini sa carrière dans l'Hexagone à 1,8 million d'entrées ! Le succès s'est confirmé aux Etats-Unis, où les manchots ont généré plus de 64 millions de dollars de recettes, le deuxième record français derrière Le Cinquième Elément ! Lancement compte à rebours Harry Potter ou le marketing (pseudo) anticommercial Dès juin, Gallimard Jeunesse, qui a acheté les droits pour la version française de Harry Potter , lance des affiches en librairie, les premiers teasings destinés à titiller l'esprit des lecteurs-acheteurs de l'avant-dernier épisode de la série. L'éditeur diffuse aussi des carnets de préréservation du livre. Ensuite tout s'enchaîne, chronométré au jour près. Début juillet : annonce de la date de la sortie, jusque-là restée secrète pour tenir en haleine les envoûtés du petit sorcier. Un indice est tout de même lancé via La Gazette du sorcier , tirée à 160 000 exemplaires. L'éditeur fait patienter les fans avec un concours alléchant. Début septembre : présentation de la couverture, deuxième numéro de La Gazette (320 000 exemplaires), nouveau jeu-concours en ligne en partenariat avec RTL et le magazine Okapi. Le 30 septembre, grande soirée de lancement à l'Ecole des beaux-arts de Paris avec 1 000 invités, dont des journalistes qui n'ont pas pu lire le livre avant sa sortie. Les sites de fans organisent des soirées et font monter la pression jusqu'au point d'orgue. Enfin le jour J, 1er octobre 2005, à 0 h 1, le livre est en vente dans 100 librairies. Gallimard Jeunesse a fait un premier tirage de 2 millions d'exemplaires, vendus en trois semaines. Le coût du lancement est estimé à 200 000 euros. Lancement à l'ancienne La tente Quechua 2 Seconds, le best-seller de Décathlon Lancée en mai 2005 à l'ouverture de la saison outdoor, elle cartonne aussi bien en Chine et aux EtatsUnis qu'en France. Décathlon, le distributeur et fabricant, a écoulé 500 000 exemplaires de cette tente de camping révolutionnaire, qui se déplie en moins de deux secondes quand on la lance en l'air comme un Frisbee. Vendue à peine 50 euros, elle a profité de la puissance du réseau de 360 magasins Décathlon à travers le monde. Le gros de l'investissement est passé dans la PLV en magasin et - primordial - dans la formation des vendeurs à la connaissance du produit. Lancement viral Brice de Nice : "Comment je t'ai cassé... la baraque !" Le film Brice de Nice n'aurait pas pu exister si les fans du personnage créé par Jean Dujardin, il y a dix ans, ne l'avaient fait vivre sur internet et n'avaient réclamé son retour ! Pour le promouvoir en salles, le distributeur a alimenté tout un buzz afin de faire de sa sortie un événement. TFM a ainsi créé un site web événementiel proposant des extraits, des jeux-concours, des fonds et économiseurs d'écran, e-cartes, jeux vidéo... Autant d'éléments fun que les ados internautes fans et les adeptes de la tendance régression-rigolo se sont appropriés et empressés de transmettre à leurs amis. Le plan de lancement pluri-média prévoyait aussi de l'affichage, des spots télévisés et radio et de la pub on line. Les résultats : sorti le 6 avril, le film a totalisé plus de 3,6 millions d'entrées en un mois ! Il a fini sa carrière à 4,3 millions d'entrées. Produit pour un coût de 5,3 millions d'euros, lancé avec un budget publicitaire de 1,3 million d'euros, il a généré 18,2 millions d'euros de recettes au box-office ! Lancement via internet Le parfum Gaultier 2 : Musc, vanille et parfum de net ! Pour assurer le lancement international du parfum Gaultier 2, le 26 septembre 2005, BPI Shiseido, le distributeur, a misé 15 % de son budget médias sur internet : une première. Le dispositif marketing prévoyait aussi des expériences artistiques sur le thème de la rencontre pour nourrir les discussions sur le web avant le lancement officiel. Le 9 septembre à midi, heure de Paris, quelques happy few assistent à une improvisation artistique en ligne, réservée à 500 trendsetters (faiseurs de tendances), entre un cinéaste chinois, Zhang Yimou, et un violoniste russe, Maxim Vengerov. Pas moins ! Par ailleurs, l'opération « Tango painting » proposait aux surfers de créer à deux sur le web des compositions multimédias. Le 10 septembre, un manga réalisé par Alain Escalle, l'alchimiste du parfum, est diffusé en première mondiale. Chacun pouvait adapter le déroulement de l'histoire et le transmettre à son âme soeur. Une part du budget de communication a aussi été investie dans la refonte du site jeanpaulgaultier.com pour en faire une boutique virtuelle plus proche des clients. Lancement par la rumeur La console de jeux Xbox360 se lance dans la guérilla Des développeurs de Sony seraient partis en transfuges chez Microsoft », « La Xbox360 détrône la PS3 »... Avant même que les consoles de jeux vidéo de la prochaine génération soient dans le commerce (à partir du 2 décembre en Europe), les rumeurs les plus folles entourent le match mondial qui oppose Sony et Microsoft. Info, intox ? Le web est devenu le champ d'une guérilla marketing entre les deux géants. Lors du prélancement de la PSP en France par Sony, Microsoft a même loué un pressing en face de l'immeuble aux couleurs de la PSP. Sur la façade, une bannière : « Gardez vos forces pour l'hiver. » Sous-entendu : gardez vos sous pour acheter la Xbox360. Microsoft orchestre les discussions officielles autour de sa nouvelle console via un site spécial : origen.com propose aux gamers et internautes de « chatter » en compagnie de deux personnages. « Le gros du buzz autour de la Xbox360 n'est plus le fait de Microsoft mais des utilisateurs potentiels ! », prévient Jacques Broner, PDG de l'agence de publicité Rouge. Lancement "Mission impossible" Du Justin Bridou light ! Du saucisson et du jambon light ? La marque Justin Bridou (groupe Aoste, que le propriétaire Sara Lee a mis en vente en octobre) a osé. Choquant au pays de la bonne bouffe. Et ça a pris ! « Seule l'hérésie débanalise », rappelle Ronan Chastellier, professeur de marketing à Sciences-Po. Pour réussir un lancement, l'entreprise doit se démarquer. Elle est condamnée à innover : dans le produit et la manière de le lancer. Aoste a déboursé 3 millions d'euros pour mettre ses produits sur le marché en février. Et, en dix mois, les ventes s'élèvent aussi à 3 millions d'euros. Lancement en trompe l'oeil Transatlantys.com, vrai-faux nez Bientôt Paris-New York en train en huit heures ! » En annonçant sur des affiches 4 ~ 3 la construction d'un tunnel sous l'Atlantique, Transatlantys.com, le vrai-faux site de Voyages-Sncf.com, a fait grand bruit l'été dernier. En fait, il s'agissait via cette publicité trompeuse (imaginée par DDB, 1,5 million d'euros de budget) de générer du trafic sur le site Voyages-Sncf.com et de faire savoir qu'il vendait aussi des billets d'avion, des séjours, de l'hôtellerie, de la location de voitures... « Parce qu'on ne peut pas aller partout en train », concluait la seconde vague d'affichage en levant le voile sur le mystère. Les résultats ont été à la hauteur : 21 500 documents référencés sur Google et des connexions en rafale sur le vrai-faux site.