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NATIONS
UNIES
CCPR
Pacte international relatif
aux droits civils
et politiques
Distr.
RESTREINTE*
CCPR/C/83/D/1118/2002
10 mai 2005
Original: FRANÇAIS
COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME
Quatre-vingt-troisième session
14 mars – 1 avril 2005
DECISION
Communication No. 1118/2002
Présentée par:
Jean-Louis Deperraz et Geneviève Delieutraz
épouse Deperraz (représentés par un conseil,
M. Alain Lestourneau)
Au nom de:
Les auteurs
État partie:
France
Date de la communication:
11 octobre 2000 (date de la lettre initiale)
Décision antérieure:
Décision prise par le Rapporteur spécial
conformément à l’article 97 (ancien 91) du
règlement intérieur, communiquée à l’État
partie le 27 septembre 2002 (non publiée sous
forme de document)
Date de l’adoption de la décision: 17 mars 2005
__________________
*
Rendu public par décision du Comité des droits de l’homme.
GE.05-41638
CCPR/C/83/D/1118/2002
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Sujet : Irrégularités judiciaires dans la procédure de mise en liquidation des biens
de deux sociétés.
Questions de procédure :
recours internes
Irrecevabilité ratione materiae – Non-epuisement des
Questions de fond :
Droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et
publiquement – Droit à être jugé sans retard excessif
Articles du Pacte :
14 (par. 1 et 3 c))
Articles du Protocole facultatif : 2 et 5, par. 2 b)
[ANNEXE]
CCPR/C/83/D/1118/2002
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ANNEXE
Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- quatre-vingt-troisième session concernant la
Communication No. 1118/2002 **
Présentée par:
Jean-Louis Deperraz et Geneviève Delieutraz
épouse Deperraz (représentés par un conseil,
M. Alain Lestourneau)
Au nom de:
Les auteurs
État partie:
France
Date de la communication:
11 octobre 2000 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.
Les auteurs de la communication sont Jean-Louis Deperraz et son épouse Geneviève
Delieutraz, citoyens français. Ils se déclarent victimes de violations par la France de
l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés
par un conseil, M. Alain Lestourneau.
__________________
Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la présente
communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Bhagwati,
M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Edwin Johnson,
M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael
O’Flaherty, Mme. Elisabeth Palm, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley, M. Ivan
Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme. Ruth Wedgwood et M. Roman
Wieruszewski.
Conformément à l’article 90 du règlement intérieur du Comité, Mme. Christine
Chanet n’a pas participé à l’examen de cette communication.
**
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Rappel des faits
2.1 Les auteurs étaient propriétaires de la société à responsabilité limitée SARL
DEPERRAZ ELECTRICITE et de la société civile immobilière SCI LE PRALEY. La
première avait pour objet les installations électriques. La seconde avait été constituée entre
les époux Deperraz, mariés sous le régime de la séparation de biens, en vue d’acquérir et
de gérer tous biens immobiliers, y compris ceux utilisés pour l’exploitation de
DEPERRAZ ELECTRICITE.
2.2 Suite à une assignation en paiement de facture contestée délivrée à l’initiative d’une
société de fournitures le Tribunal de Grande Instance de Bonneville a rendu, le 6
novembre 1985, un jugement de liquidation des biens de DEPERRAZ ELECTRICITE. Un
des salariés de la société a formé tierce opposition contre ce jugement en vue de démontrer
que la société ne se trouvait pas en état de cessation des paiements. Par jugement rendu le
18 décembre 1985 le même Tribunal a conclu que la cessation des paiements n’était pas
formellement établie et décidé de rétracter son précédent jugement.
2.3 Or, le jugement de liquidation des biens a eu des conséquences négatives pour la
société du fait de l’exécution provisoire attachée à ce type de décision judiciaire. Cela
s’est traduit, entre autres, par le départ immédiat du personnel de l’entreprise,
l’élimination des chantiers en cours ainsi que la perte de la totalité de la clientèle et des
approvisionnements par les fournisseurs. Une nouvelle procédure de redressement
judiciaire fut ouverte à son encontre par jugement du même Tribunal du 18 avril 1990,
cette fois à l’initiative de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et
d’allocations familiales (URSSAF) et des services fiscaux. Le Tribunal décida également,
et d’office, de prononcer le redressement judiciaire de LE PRALEY. Selon les auteurs, le
redressement a été prononcé sans aucune convocation ni comparution de son représentant
légal et aucune signification du jugement n’a été adressée à la société. Par la suite, les
deux sociétés furent mises en liquidation judiciaire par jugement du même Tribunal du 22
mai 1991.
2.4 LE PRALEY a fait appel contre ce jugement au motif qu’elle n’avait jamais fait
l’objet d’une procédure régulière de confusion de patrimoine avec DEPERRAZ
ELECTRICITE. Par arrêt du 7 avril 1992 la Cour d’Appel de Chambéry a statué que le
Tribunal de Grande Instance s’était saisi d’office, sans respecter la loi, d’une procédure de
redressement judiciaire à l’encontre de LE PRALEY, alors que cette société n’était même
pas partie à l’instance. La Cour a donc déclaré la nullité des jugements concernant LE
PRALEY. Elle n’a cependant pas statué sur le fond, à savoir la confusion des patrimoines
des deux sociétés.
2.5 Le 5 janvier 1993, le liquidateur de DEPERRAZ ELECTRICITE a saisi le Tribunal
de Grande Instance d’une demande d’extension de liquidation judiciaire à l’encontre de
LE PRALEY sur le fondement de la confusion des patrimoines et d’une demande de
condamnation en comblement du passif à l’encontre de M. Deperraz pris personnellement,
au motif notamment qu’il avait poursuivi une exploitation déficitaire. Le 7 octobre 1993,
l’avocat des auteurs a été informé téléphoniquement par le Greffe que le Tribunal avait
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rendu son jugement la veille et que le demandeur avait été débouté. Cependant, il n’a
jamais reçu le jugement écrit annoncé par le Greffe.
2.6 En février 1994 l’avocat a été informé d’une réouverture des débats. Il a écrit au
Président du Tribunal pour s’opposer à une telle procédure en faisant valoir que le
jugement du 6 octobre était seulement susceptible d’appel. Selon les auteurs cette situation
est due au fait que le Président du Tribunal qui a rendu le jugement le 6 octobre 1993 ne
l’a pas rédigé et a changé de juridiction.
2.7 Par nouveau jugement du 7 septembre 1994 le Tribunal nouvellement composé a
constaté la confusion des patrimoines entre les deux sociétés et prononcé la liquidation
judiciaire de LE PRALEY. Par second jugement de la même date le Tribunal a estimé que
le passif de DEPERRAZ ELECTRICITE résultait d’une succession de fautes de gestion et
condamné M. Deperraz à payer au liquidateur l’intégralité du passif de la société.
2.8 La SCI LE PRALEY et M. Deperraz ont fait appel des jugements devant la Cour
d’Appel de Chambéry. LE PRALEY a soutenu principalement que l’action engagée à son
encontre se heurtait à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu par la même
Cour le 7 avril 1992. La Cour d’Appel a confirmé les jugements par deux arrêts distincts
du 24 septembre 1996. Concernant le jugement contre LE PRALEY, elle a conclu que
l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 7 avril 1992 ne s’appliquait qu’à la nullité
du jugement du 22 mai 1991 et ne s’opposait pas à ce que le liquidateur assigne LE
PRALEY aux fins que soit prononcée sa liquidation judiciaire.
2.9 Les auteurs se sont pourvus en cassation contre ces arrêts en soulevant les questions
suivantes :
 En ce qui concerne l’arrêt de la Cour d’Appel confirmant la liquidation judiciaire
de LE PRALEY ils affirment que cette décision a été prise après avoir relevé un
moyen d’office, sans avoir recueilli les observations des parties, violant ainsi les
droits de la défense et le principe contradictoire. Ils affirment aussi que la Cour a
retenu a tort les critères de la confusion des patrimoines ;
 En ce qui concerne l’arrêt de condamnation de M. Deperraz, ils affirment que la
Cour d’Appel a pris d’office sa décision sur l’existence prétendue d’une faute de
gestion non visée dans la demande introductive d’instance et non légalement établie,
violant ainsi les droits de la défense et le principe du contradictoire.
2.10 La Cour de Cassation a rejeté les pourvois par arrêts du 6 juillet 1999.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs font valoir une violation à plusieurs égards du paragraphe premier de
l’article 14 du Pacte, pris isolément et combiné avec l’article 5, paragraphe 2 b), du
Protocole facultatif. Ils estiment que les diverses procédures dont ils ont été l’objet
constituent un tout indivisible se rapportant aux mêmes faits, de sorte que l’affaire doit
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être examinée dans son ensemble au regard du Pacte. Ils affirment avoir épuisé les voies
de recours internes.
3.2 En ce qui concerne l’article 14, paragraphe 1 du Pacte, les auteurs estiment qu’ils
n’ont pas été entendus équitablement et publiquement dans la mesure où :
 La mise en liquidation des biens par erreur de DEPERRAZ ELECTRICITE selon
jugement du 6 novembre 1985 a constitué un dysfonctionnement majeur de la justice
qui a anéanti le fonds de commerce de la société. Le jugement de rétractation du 18
décembre 1985 n’a pas corrigé les conséquences du premier jugement, étant donné e
l’exécution provisoire attachée à celui-ci ;
 La mise en redressement judiciaire d’office de LE PRALEY par jugement du 18
avril 1990 constitue aussi un dysfonctionnement de la justice, dans la mesure où la
loi n’a pas été respectée. La Cour d’Appel a déclaré la nullité d’ordre public dans son
arrêt définitif du 7 avril 1992. Or, la même Cour dans son arrêt du 24 septembre
1996, a déclaré de façon non contradictoire et inéquitable l’extension de la
liquidation judiciaire à LE PRALEY ;
 Le jugement rendu le 6 octobre 1993 n’a pas été rédigé mais a bien existé. Il
n’appartenait pas au Tribunal nouvellement composé de rendre deux jugements
contraires au premier au prétexte que celui-ci n’avait pas été rédigé par le précédent
Président ;
 M. Deperraz a été inéquitablement condamné à combler le passif de la société
DEPERRAZ ELECTRICITE sur le fondement d’un moyen soulevé d’office par les
juges d’appel, à savoir par le jeu d’une faute de gestion non contradictoirement
débattue et absente de l’acte introductif d’instance ;
 Les procédures en cause ont échappé à la publicité des débats, contrairement à
l’exigence visée par le Pacte, et ceci sans que la nature de l’affaire puisse
valablement constituer une justification suffisante.
3.3 Les auteurs allèguent que la procédure prise dans son ensemble s’est étendue sur
près de 15 années, de 1985 à 2000, et que les dysfonctionnements judiciaires successifs
survenus ont favorisé sa durée excessive. Ceci constituerait une violation de l’article 14,
paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.
3.4 Les auteurs affirment également que la communication n’a fait l’objet d’aucune autre
procédure internationale d’enquête ou de règlement.
Observations de l’État partie
Observations sur la recevabilité
4.1 Par note verbale datée du 6 janvier 2002 l’Etat partie formule ses observations sur la
recevabilité de la communication.
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4.2 Concernant l’absence d’équité du procès l’Etat partie conteste la recevabilité de ce
grief et fait valoir que les auteurs tentent en réalité de remettre en cause les décisions
rendues par les juridictions internes, alors que celles-ci ont été à chaque fois longuement et
précisément motivées. Par ailleurs, les auteurs n’ont pas exercé de recours contre certaines
des décisions qu’ils critiquent, à savoir les jugements du 6 novembre 1985 et 18 avril
1990. Concernant la procédure relative à l’action en comblement de passif, ils affirment
avoir été condamnés sur un moyen soulevé d’office par la Cour d’appel. Or, la Cour de
cassation a considéré que ce moyen avait été débattu devant la Cour d’appel. Le Comité a
affirmé à plusieurs reprises qu’il ne peut examiner les faits et les éléments de preuve
soumis aux tribunaux nationaux, à moins qu’il ne soit manifeste que leur appréciation a été
arbitraire ou qu’elle équivaut à un déni de justice.
4.3 Concernant l’absence de publicité des débats l’Etat partie affirme que les auteurs
n’ont à aucun moment invoqué ce grief devant la Cour de cassation. En conséquence les
voies de recours internes n’ont pas été épuisées.
4.4 Concernant la plainte relative à la durée excessive de la procédure l’Etat partie
estime que les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Tout d’abord ils n’ont
pas exercé l’action fondée sur l’article L 781-1 du Code de l’organisation judiciaire (COJ),
selon lequel « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement
défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que pour une faute
lourde ou pour un déni de justice ». La Cour européenne des droits de l’homme a admis
l’efficacité du recours fondé sur cet article, qui peut être utilement exercé pour contester la
durée d’une procédure, aussi bien en matière civile que pénale. L’Etat partie demande au
Comité de faire sienne la jurisprudence de la Cour européenne en la matière.
4.5 Par ailleurs, les auteurs n’ont pas soulevé le grief tiré sur la durée de la procédure
devant les juridictions internes et notamment la Cour de cassation. L’Etat partie rappelle à
cet égard la décision du Comité sur la communication n° 661/1995 1, où il avait déclaré
irrecevable en raison du non épuisement des voies de recours internes le grief fondé sur la
durée excessive de l’instruction et de la procédure judiciaire au motif que l’auteur n’avai t
pas porté ce grief devant la Cour de Cassation.
Observations sur le fond
4.6 Le 14 avril 2003 l’Etat partie a présenté ses observations quant au fond de la
communication.
4.7 Concernant le manque d’équité de la procédure l’Etat partie se réfère aux
dysfonctionnements de la justice invoqués par les auteurs et considère que l’erreur d’un
juge ne constitue pas un dysfonctionnement condamnable au sens de l’article 14 du Pacte,
dès lors qu’elle s’inscrit dans un processus judiciaire qui en permet le redressement. Ainsi,
l’erreur d’appréciation du tribunal dans le jugement du 6 novembre 1985 a été redressée
très rapidement et les auteurs n’apportent aucune preuve du préjudice qu’ils allèguent, à
__________________
1
Paul Triboulet c. France, constatations adoptées le 29 juillet 1997.
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savoir l’anéantissement de leur fonds de commerce. L’arrêt de la Cour d’appel du 7 avril
1992 a annulé le jugement du 18 avril 1990 au motif que le tribunal avait prononcé
d’office une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de LE PRALEY alors que
celle-ci n’était pas partie à la procédure. L’arrêt du 4 septembre 1996 a été rendu dans le
cadre d’une autre procédure et n’a pas ressuscité, ainsi que les auteurs le prétendent, la
nullité qui, par ailleurs, ne concernait que l’irrégularité de la procédure.
4.8 Les auteurs n’ont apporté aucune preuve sérieuse de l’existence du prétendu
jugement daté du 6 octobre 1993 qu’ils invoquent, lequel aurait statué en leur faveur. Il est
d’ailleurs permis de s’étonner que les requérants aient attendu de recevoir l’avis de
réouverture des débats du greffe pour s’enquérir de la décision du 6 octobre 1993.
4.9 Concernant la procédure en comblement de passif et l’argument que M. Deperraz
avait été condamné sur le fondement d’un moyen soulevé d’office par les juges d’appel, à
savoir par le jeu d’une faute de gestion non contradictoirement débattue et absente de
l’acte introductif d’instance, l’Etat partie fait valoir que les parties ont discuté la question
de la mauvaise gestion devant le tribunal et que M. Deperraz a estimé inutile de répondre à
l’assignation à comparaître du tribunal pour s’expliquer en personne de la mauvaise
gestion qui lui était reprochée 2. S’il est vrai que la Cour d’appel a caractérisé
différemment du tribunal la faute de gestion, elle s’est cependant référée à des faits qui
étaient dans le débat et qui avaient donc été discutés préalablement par les parties, à savoir
l’analyse des comptes et leur déséquilibre. Ceci a été confirmé par la Cour de cassation.
4.10 Concernant l’absence de publicité des débats de ces procédures l’Etat partie
considère qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 14, paragraphe 1 du Pacte. Il rappelle
le droit interne en la matière et souligne que si les débats devant le Tribunal de Grande
Instance ont eu lieu en chambre du conseil, c'est-à-dire hors la présence du public, ils ont
en revanche été publics devant la Cour d’appel. Le tribunal a par ailleurs toujours rendu sa
décision en audience publique.
4.11 Concernant la durée de la procédure, l’Etat partie observe que, contrairement à ce
qu’indiquent les requérants, il n’y a pas eu en l’espèce une seule procédure mais quatre
procédures distinctes avec des objets différents. Les deux dernières, s’étalant sur une
période de sept et six ans respectivement, présentaient un caractère complexe, notamment
en ce qui concerne l’appréciation des fautes de gestion commises par M. Deperraz. A cet
égard, il rappelle la décision du Comité déclarant la communication n° 831/98 irrecevable
en relevant que l’auteur n’avait pas suffisamment établi que la durée de la procédure
devant les juridictions administratives françaises lui avait causé un préjudice réel 3.
__________________
Jugement du 7 septembre 1994, page 2.
3 Michael Meiers c. France, décision du 16 juillet 2001.
2
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Commentaires des auteurs
Commentaires sur la recevabilité
5.1 Dans ses commentaires du 4 août 2003, les auteurs contestent les observations de
l’Etat partie sur la recevabilité. Ils affirment que l’article L 781-1 du code de
l’organisation judiciaire institue un régime très restrictif de la responsabilité étatique
impossible à mettre en œuvre. Ils font allusion à un arrêt de la Cour de Cassation du 23
février 2001 selon lequel la jurisprudence, du moins à son niveau suprême, se montre
exigeante quant à l’existence d’une faute lourde ou d’un déni de justice alors que ces
notions sont déjà restrictives par elles-mêmes. Elle ajoute que l’indemnisation recherchée
est rarement obtenue en dehors d’erreurs plus que manifestement grossières ou de
déficiences particulièrement anormales et que la solution adoptée par la Cour européenne
lors de décisions rendues en novembre 2000 et septembre 2001 constitue un revirement de
sa propre jurisprudence. Ces décisions sont par ailleurs postérieures à l’arrêt final rendu
par la Cour de cassation le 14 mars 2000 dans la présente communication. Le recours basé
sur l’article L 781-1 ne devrait donc pas être exigé par le Comité.
5.2 Les auteurs affirment avoir mis en évidence durant des années les
dysfonctionnements, erreurs et irrégularités dont ils ont été l’objet, et qu’ils se sont
expressément plaints jusque devant la Cour de Cassation de violations des droits de la
défense et du principe du contradictoire.
5.3 Les auteurs rejettent comme non fondé le reproche fait par l’Etat de n’avoir pas
exercé de recours contre le jugement du 18 avril 1990. Aucun recours ne pouvait être
valablement exercé à l’encontre d’une décision frappée de nullité d’ordre public.
Commentaires sur le fond
5.4 Quant au fond, les auteurs rejettent également les observations de l’Etat partie. Ils
réitèrent les conséquences irréparables du jugement du 6 novembre 1985 et font valoir
que le jugement de liquidation judiciaire prononcé contre Le PRALEY le 22 mai 1991 a
été annulé près d’un an plus tard. Or, l’exécution provisoire attachée à ce jugement a
interdit à la société de percevoir tout loyer et contribué à détériorer sa situation financière.
En outre, les juges internes n’ont finalement tenu compte de la nullité de la décision du 18
avril 1990 prononçant le redressement judiciaire de LE PRALEY, car le jugement du 24
septembre 1996 a finalement confirmé sa liquidation judiciaire.
5.5 Quant à la preuve de l’existence du jugement rendu le 6 octobre 1993 les auteurs
rappellent l’existence d’une lettre adressée le 22 février 1994 par leur avocat au Tribunal
de Grande Instance de Bonneville, indiquant que les services du Greffe avaient
téléphoniquement informé son cabinet, dès le 7 octobre 1993, que le jugement avait été
rendu le 6 octobre 1993. L’avocat avait informé les auteurs par écrit de ce jugement le 12
octobre 1993.
5.6 Concernant la faute de gestion retenue contre M. Deperraz, la Cour d’appel a retenu
d’office, dans sa décision du 24 septembre 1996, un nouveau grief tiré de l’article 68 de la
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loi du 24 juillet 1966 selon lequel « les pertes cumulées ne peuvent excéder la moitié du
capital sans que des dispositions soient prises pour remédier à cette situation ». Ce grief
n’a été débattu ni devant le tribunal, ni devant la Cour d’appel qui l’a soulevé, alors que
M. Deperraz était présent dans la cause et régulièrement représenté par son conseil.
5.7 Quant à l’absence de publicité des débats, les auteurs la qualifient comme non
justifiée. Le fait que les juridictions internes aient rendu publiquement leurs décisions est
par ailleurs sans incidence sur la publicité des débats eux-mêmes.
5.8 Enfin, pour ce qui est de la durée excessive de la procédure les auteurs estiment que
le fractionnement de la procédure en quatre phases distinctes fait par l’Etat partie est
artificiel. Si la société Deperraz n’avait pas été placée par erreur en liquidation judiciaire
en 1985, jamais M. Deperraz n’aurait été condamné à combler le passif et jamais LE
PRALEY n’aurait été condamnée par extension à sa liquidations judiciaire, le tout
s’achevant par arrêt de la cour de cassation du 14 mars 2000. L’exercice régulier des voies
de recours par les auteurs ne peut être la source d’aucun reproche.
Délibération du Comité
6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits
de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si
cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de
l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen
devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3 Les auteurs allèguent une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte au motif
que leur cause n’a pas été entendue équitablement par les tribunaux internes. Ils affirment
avoir été l’objet d’erreurs judiciaires et de violations des droits de la défense et du p rincipe
du contradictoire. L’Etat partie conteste la recevabilité et signale que les auteurs tentent en
réalité de remettre en cause les décisions rendues par les juridictions internes, alors que
celles-ci ont été à chaque fois longuement et précisément motivées. Le Comité prend note
du fait que les erreurs et violations invoqués, y compris la mise en liquidation des biens de
Deperraz Electricité le 6 novembre 1985, la mise en redressement judiciaire d’office de Le
Praley, et la condamnation de l’auteur sur le fondement d’un moyen soulevé d’office non
contradictoirement débattu, ont été examinés par les tribunaux internes. Lorsqu’ils ont
constaté que les jugements précédents contenaient des erreurs ceux-ci ont été réparés. Le
Comité rappelle à cet égard sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux
tribunaux nationaux d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire
donnée, à moins qu’il ne soit manifeste que leur appréciation a été arbitraire ou qu’elle
équivaut à un déni de justice. Les arguments invoqués par les auteurs et les éléments qu’ils
ont présentés en ce sens ne permettent pas de conclure que les décisions judiciaires aient
été entachées d’irrégularités pouvant justifier la recevabilité de cette partie de la
communication. Le Comité estime dès lors que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé
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leur plainte relative à une violation de l’article 14, paragraphe 1, et considère cette partie
de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4 Les auteurs affirment également qu’ils ont été victimes d’une violation de l’article 14
du Pacte du fait de la durée excessive de la procédure qui s’est déroulée devant les
tribunaux internes et de l’absence de publicité des débats. L’Etat partie conclut, à cet
égard, à l’irrecevabilité au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Le Comité
rappelle que l’auteur d’une communication doit avoir fait valoir en substance devant les
juridictions nationales le grief qu’il invoque par la suite devant le Comité et que de
simples doutes quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas de l’obligation de
l’épuiser. 4 Le Comité note qu’en l’espèce les auteurs n’ont saisi les juridictions internes
des griefs mentionnés. Ces aspects de la communication sont donc irrecevables au regard
de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.
7.
En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 5, paragraphe 2 b)
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte ;
b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’Etat partie.
[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Le texte est aussi traduit
en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel.]
-----
__________________
4
Voir, par exemple, la communication No. 661/1995, Paul Triboulet c. France, par. 6.4.
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