« Un musée des autres » ? Discours, pratiques et représentations de l’altérité Directeur : Andrée Chauvin-Vileno Le projet de la thèse est de promouvoir une approche socio-sémiotique en articulant une double perspective disciplinaire d’analyse des discours et de médiation culturelle autour de la problématique de l’altérité-altération. Cette problématique est centrale dans la future équipe d’ELLIADD, Langues langages communication, issue d’une recomposition de trois axes de recherche du Laseldi1. La thèse pourrait s’inscrire également dans le cadre du développement de la coopération avec l’Ecole Régionale des Beaux-Arts (publications et actions de recherche communes). L’événement culturel de la création du Musée du Quai Branly regroupant les œuvres d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques (inauguré en 2006)2 sera abordé spécifiquement sur un plan sémiotique et discursif en établissant un continuum entre représentation, discours et médiation muséographique. L’accent est mis sur le travail autour de la mise en scène de l’Autre et de ses différentes représentations artistiques et culturelles. Le musée est innovant dans sa conception, puisqu’il est un lieu d’exposition et de débats, un centre de recherche et d’étude qui publie une revue d’anthropologie (Gradhiva). Il procède d’une rupture volontariste qui vise à instaurer un nouveau rapport à l’altérité des cultures non occidentales et de leurs objets, sur fond de contentieux historique et de mémoire interdiscursive conflictuelle. Aux principes scientifiques d’une exposition ethnographique (qui prévalait dans les collections du Musée de l’Homme) succèdent des principes esthétiques et éthiques qui inspirent scénographies et discours. Il s’agit d’un changement de paradigme déjà travaillé dans l’anthropologie depuis la fin des années 80 (Clifford,Geertz) mais affirmé pour la première fois à l’échelle d’un musée. Il s’observe et se manifeste également à travers l’émergence de syntagmes comme « arts premiers » et « dialogue des cultures » et il ne manque pas de susciter la controverse intellectuelle et médiatique. Paradigme culturel et discours social seront appréhendés conjointement à travers ces formules (Krieg-Planque) circulant dans l’espace public, et à travers les mises en scènes sémio-discursives qu’une institution culturelle donne d’elle-même en son sein (programmation et présentation des manifestations via différents supports) et dans ses missions de communication et de diffusion (catalogues d’expositions, publications). Seront mobilisées les méthodologies d’analyse spécifiques des sciences du langage centrées sur la discursivité, l’énonciation et l’argumentation (Grize, Moirand, Doury), aussi Extrait du projet de l’équipe LLC La discursivité [est appréhendée] sous le double angle de l’énonciation qui introduit le sujet, l’action et l’interaction dans la langue et la communication, et de la médiatisation comme manifestation et transmission : comment les productions discursives et les processus discursifs sont-ils soumis aux dynamiques d’ajustement, de variation et d’altération dans leur matérialité sémiotique et leur signification sociale propres ? L’équipe privilégie « les problématiques de l’identité/altérité, envisagées sous les angles énonciatif, sociolinguistique et socio-discursif de la relation du sujet au territoire vécu ou symbolique, en réfléchissant également aux frontières des disciplines (sciences du langage et sciences humaines et sociales) ». Elle envisage « d’articuler linguistique énonciative, pragmatique textuelle, réflexion sur l’interculturalité et approche sémiotique du sensible ». Le travail des représentations dans la circulation dialogique des discours ainsi que les « formes sociales et verbales des conflits discursifs dans leur dimension culturelle et interculturelle » sont des objets d’investigation. 1 2 Site du musée http://www.quaibranly.fr/ bien que celles des sciences de l’information-communication (Lamizet, Jeanneret, Souchier) et certaines orientations de la sociologie de l’art (Heinich) pour décrire les soubassements politiques et historiques, pour prendre en compte la textualité et les dispositifs propres des manifestations artistiques (Veron, Davallon), ainsi que la dynamique de la réception. Plusieurs corpus de nature énonciative, générique et sémiotique variée feront ainsi l’objet de l’analyse, en visant l’exploration d’un pan du « discours social » au sens d’Angenot et une intelligibilité de la dialectique discours-culture-pratiques-valeurs. Un premier ensemble concerne en amont la généalogie du projet et tout ce qui a pu s’écrire entre l’article de Jacques Kerchache publié dans Libération le 15 mars 1990 « Pour que les chefs-d’œuvre du monde entier naissent libres et égaux » et l’inauguration du Musée du quai Branly en 2006, dont le guide est précédé d’un discours de Jacques Chirac. L’analyse essentiellement argumentative de ces documents contextualisés - qui feront une large part aux réactions de l’opinion, aux relais médiatiques et aux polémiques, dégagera les postulats de l’institution muséale, les discours et métadiscours qu’elle a intégrés, ceux avec lesquels elle s’est construite et ceux dont elle s’est écartée, les lignes de fracture idéologiques et les conflits des interprétations. Un second ensemble concerne ce que dit l’institution d’elle-même, à travers en particulier les « Actes des rencontres inaugurales du musée du Quai Branly (21 juin 2006) », publiés sous la direction de Bruno Latour, ainsi que d’autres publications éditées par le musée, et ses initiatives en matière d’enseignement et de recherche. L’analyse lexicale et énonciative des « actes » qui donnent la parole à des participants (professionnels de l’art, de la culture, ou de la pensée) d’une quinzaine de pays différents, devrait permettre de répertorier les différentes acceptions des concepts de « culture » et « d’altérité » en vue de les comparer, de les confronter et de les mettre en regard avec les deux autres ensembles du corpus. Un troisième ensemble, centré sur les outils communicationnels et les expositions, envisage le musée comme dispositif d’énonciation plurimodal, dans le but de dégager les processus sémiotiques qui lui permettent de présenter l’altérité et d’en proposer l’expérience. Il comporte également la prise en compte des pratiques et discours de réception (observation in situ, enquêtes et discours recueillis sur le vif dans une démarche qualitative interactionnelle), en vue de cerner les processus d’appropriation, et les correspondances ou discordances entre discours de spécialistes, discours médiatiques et discours de visiteurs. Au niveau de l’interdiscipline sciences du langage et sciences de l’informationcommunication, le projet vise à fournir un modèle de sémio-analyse des discours hétérogènes : la forte cohérence axée sur la dominante discursive s’allie à un décloisonnement, afin de saisir la complexité de la circulation du sens dans un état social donné, et la continuité des représentations (qui va, par exemple, de l’étiquette au manifeste). Au niveau de l’interdiscipline sciences du discours et sciences humaines et sociales, en visant à éclairer les enjeux idéologiques d’un imaginaire de l’altérité qui dessine en creux celui de l’identité occidentale, le projet interroge les autres scènes, politiques et culturelles, sur lesquelles ces frontières se négocient.