La théorie de l’évolution Document 1 : Guillaume Lecointre (Département "Systématique et évolution", Muséum national d'histoire naturelle) : Evolution et créationnismes Document 2 : Témoignages de Guillaume Lecointre (Département "Systématique et évolution", Muséum national d'histoire naturelle) et Corinne Fortin, professeur de S.V.T. : le darwinisme est parfois contesté dans les salles de classe françaises Document 3 : La Bible : 2e récit de la création dans le livre de la Genèse. Document 4 : Caricature de Darwin (parue dans le magazine satirique The Hornet le 22 mars 1871) Evolution et créationnismes D’où venons-nous ? D’où vient l’univers que nous habitons ? A ces questions aussi légitimes que lancinantes, les Hommes ont d’abord forgé des réponses dans des mythes fondés sur l’introspection, les intuitions, la révélation. Leur réussite ne fut pas sans rapport avec la mise en place de pouvoirs politiques fondés sur le contrôle étroit des esprits. Au cours des siècles s’est forgée une autre approche de la connaissance du monde, fondée sur l’analyse rationnelle et la possibilité d’un dialogue organisé autour du réel par la reproduction d’expériences décisives. Ces expériences manipulaient des objets réels pour interroger le monde. La déduction de conclusions vérifiables, contrôlables, fondèrent alors l’assentiment non pas sur la foi en un dogme mais au contraire sur le scepticisme à l’égard des faits, le test, la vérification. Le réel, manipulé par des acteurs en mutuelle contradiction, leur permit de sortir du duel à l’aide de règles logiques respectées de tous. Les vérités sur les origines de notre monde n’allaient plus s’affronter sous forme de guerres de religions, mais sous la forme d’expériences et de contre-expériences ingénieuses. A cet égard, l’émergence de la science apparaît comme une émancipation de l’intellect, une liberté supplémentaire, un gain de civilisation. Certes, on peut regretter certaines applications des sciences incitées par tel pouvoir politique, tel conflit, telle contrainte idéologique ou économique. Mais ces problèmes concernent avant tout les mécanismes du contrôle citoyen de l’activité scientifique, pas de la démarche scientifique elle-même. Le créationnisme dit « scientifique » est, en lui-même, véritablement contradictoire : il est la volonté de fonder scientifiquement les récits de textes sacrés. Il y a incompatibilité constitutive entre une vérité intouchable et la démarche scientifique, simplement parce que l’impulsion sceptique initiatrice de toute démarche scientifique est insupportable au sacré. Dans le monde occidental, le créationnisme « scientifique » le plus puissant et le mieux organisé est certainement celui de certains fondamentalistes protestants, qui cherche les preuves scientifiques de l’intégralité des affirmations de La Genèse de la Bible. Littéralement, la Bible ne parle pas d’évolution des espèces mais de création. En prenant le texte non pas comme une métaphore mais au pied de la lettre, les créationnistes s’orientent à coup sûr vers un conflit avec ce que dit la science d’aujourd’hui du déroulement historique et des modalités de la formation de notre univers, de notre planète et de la vie qui s’y développe. Ce conflit est à deux étages. D’abord, un conflit factuel : les faits tels que les racontent les créationnistes (toutes les espèces sont le fruit d’une création divine, la terre a 6000 ans) ne concordent pas avec ceux produits par la science d’aujourd’hui (la diversité des espèces est le fruit d’un développement généalogique passé au cours duquel elles se sont transformées, et la terre a 4,5 milliards d’années). Ensuite il faut traiter d’un conflit beaucoup plus profond : comment les créationnistes prétendent-ils prouver scientifiquement ce qu’ils avancent ? Cette première critique montre bien que, pour traiter ces questions, il ne suffit pas de relever les erreurs factuelles commises par les créationnistes. Quand bien même ne commettraient-ils pas d’erreurs, leur démarche n’en serait pas valide pour autant. Il faut donc inévitablement définir la connaissance objective, rappeler comment les scientifiques l’acquièrent, définir les limites de la science. Ensuite, et seulement ensuite, on peut comprendre pourquoi les constructions créationnistes sont des fraudes scientifiques, pourquoi « créationnisme » et « scientifique » sont deux mots antagonistes. Définir les limites de la démarche scientifique implique en soi d’examiner les rapports entre science et philosophie. C’est également utile car c’est sur ces frontières que les spiritualistes convoquent la science. Le socle élémentaire des sciences Le matérialisme philosophique a fondé la condition méthodologique des sciences modernes. Dans le triangle Paris-Londres-Amsterdam du dix-septième siècle, le naturalisme généralisa les conditions de l’expérience scientifique ; travail qu’a continué le matérialisme philosophique du dix-huitième siècle, et qui aboutit à un nouveau contrat passé entre la science et la connaissance, toujours en vigueur aujourd’hui. La connaissance du monde réel se caractérise désormais par une universalité non dogmatique. Cela veut dire qu’il ne suffit plus de déclarer, par autorité ou par tradition, qu’un texte est sacré pour que ses assertions soient considérées comme universellement valables. La possibilité qu’ont les hommes d’y accéder ne passe plus par son exégèse, le verbiage scolastique, la révélation, la conversion, la manipulation des consciences, l’intimidation, la guerre. Cette connaissance du réel, de portée universelle, est celle qui unira les hommes au lieu de les diviser. Pour cela, elle doit désormais se fonder sur la possibilité de vérifier ses assertions par un rapport direct au monde réel, l’expérience scientifique (certes, ce changement ne s’est pas fait tout d’un coup et durant des siècles les assertions dogmatiques invérifiables se sont mélangées aux expériences). Si la validité d’une assertion est vérifiée par des observateurs indépendants, cette nouvelle connaissance devient, au bout d’un certain temps, objective. Pour qu’elle le soit, la science doit respecter dans ses méthodes de travail quatre piliers qui sont, chacun, toujours requis aujourd’hui : le scepticisme initial sur les faits, le réalisme (le monde là, dehors, existe indépendamment et antérieurement à la perception que j’en ai), la rationalité (respect des lois de la logique) et le principe de parcimonie (plus les faits sont cohérents entre eux et moins la théorie qu’ils soutiennent a besoin d’hypothèses surnuméraires non documentées). Guillaume LECOINTRE Le darwinisme est parfois contesté dans les salles de classe françaises La lutte contre le darwinisme n’est pas une spécialité nord-américaine. Elle essaime parfois aussi dans les salles de classe françaises. "J’ai eu l’occasion d’assurer des travaux personnels encadrés -TPE- en lycée sur l’évolution. Il était clair que les élèves avaient puisé sur Internet des éléments du Discovery Institute", témoigne Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Le Discovery Institute, basé à Seattle, est le plus ardent promoteur aux Etats-Unis du "dessein intelligent". Ces conceptions apparaissent sur les moteurs de recherche et quiconque omettrait l’accent sur le "e" d’évolution est presque assuré d’y être automatiquement renvoyé. "Mais ces contenus sont aussi largement traduits, notamment en français", assure Guillaume Lecointre. La thèse centrale des tenants du "dessein intelligent" ? La vie est trop complexe pour résulter d’une évolution guidée par un processus aveugle de mutation/sélection. Là où il y a horloge, il y a forcément un horloger. Son cheval de bataille actuel est le flagelle de la bactérie, qualifié de "machine la plus efficace de l’Univers". Ce moteur rotatif évolue à plusieurs dizaines de milliers de tours par minute. Constitué d’une cinquantaine de molécules, il ne peut, selon les membres du Discovery Institute, qu’être une pièce d’ingénierie et non le résultat d’une série de pas successifs sélectionnés par l’évolution. Pour Guillaume Lecointre, les thèses défendues par le Discovery Institute constituent le prototype d’une nouvelle "désinformation instruite" qui prend le relais des formes anciennes de créationnisme. Les critiques passées du darwinisme s’appuyaient sur l’exemple de l’oeil, organe lui aussi jugé trop complexe pour être uniquement le fruit de processus naturels. En empruntant aux registres de la biochimie et de la génétique, "il s’agit désormais, pour les spiritualistes, afin de crédibiliser le message des scientifiques, de paraître plus scientifiques qu’eux" , estime-t-il. Ces critiques adressées à la théorie de l’évolution se fondent sur "une série de raisonnements analogiques, d’objections fausses, de confusions épistémologiques et de décalages d’échelle dans la critique", dont le chercheur français détaille les ressorts dans un ouvrage collectif récent (Les Matérialismes et leurs détracteurs, Syllepse, 800 p, 33 €). Il prend la peine de répondre sur le site du CNRS (http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/decouv/articles/chap1/lecointre1.html) aux 10 questions que Jonathan Wells, membre du Centre pour le renouveau de la science et de la culture, suggère aux élèves de poser en classe de sciences naturelles pour embarrasser les enseignants. En France, il arrive plus rarement à ces derniers d’être confrontés à une résistance des élèves sur les questions d’évolution. Corinne Fortin, professeur en sciences de la vie et de la Terre au lycée de Torcy (Seine-et-Marne), estime cependant que, ces dernières années, "les idées créationnistes ont pris plus de poids". Auteur, en 1993, d’une thèse consacrée à l’enseignement de l’évolution, elle dit ressentir les effets du fondamentalisme religieux. "Avant, seuls les Témoins de Jéhovah proposaient des objections", explique-t-elle. Aujourd’hui, "le vrai danger sur Internet vient de sites militants qui peuvent séduire des élèves même non pratiquants", dit-elle. "Ces questionnements ne sont pas négatifs, à condition que l’on veille et qu’on y réponde" , estime Jean Ulysse, secrétaire général de l’Association des professeurs de biologie et de géologie, qui avait coutume de débuter le cours sur l’évolution par une présentation des conceptions créationnistes précisément pour montrer en quoi leur démarche n’était pas scientifique. Mais si l’on enseigne toujours les faits évolutifs, "depuis quelques années, la théorie de l’évolution n’est plus dans les programmes", regrette-t-il La Bible, Livre de la Genèse, 2, 5-25 05 aucun buisson n'était encore sur la terre, aucune herbe n'avait poussé, parce que le Seigneur Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir, et il n'y avait pas d'homme pour travailler le sol. 06 Mais de l'eau sortait de terre et imbibait tout le sol. 07 Alors le Seigneur Dieu modela l'homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l'homme devint un être vivant. 08 Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait modelé. 09 Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toute sorte d'arbres à l'aspect attirant et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. 15 Le Seigneur Dieu prit l'homme et le conduisit dans le jardin de l'Éden pour qu'il le travaille et le garde. 16 Le Seigneur Dieu fit à l'homme cette interdiction : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; 17 mais quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu seras condamné à mourir.» 18 Le Seigneur Dieu dit : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra.» 19 Avec de la terre, le Seigneur Dieu façonna toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l'homme pour voir quels noms il leur donnerait. C'étaient des êtres vivants, et l'homme donna un nom à chacun. 20 L'homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. 21 Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l'homme s'endormit. Le Seigneur Dieu prit de la chair dans son côté, puis il le referma. 22 Avec ce qu'il avait pris à l'homme, il forma une femme et il l'amena vers l'homme. 23 L'homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l"os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera : femme.» 24 A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un. 25 Tous les deux, l'homme et sa femme, étaient nus, et ils n'en éprouvaient aucune honte l'un devant l'autre. Caricature de Charles Darwin (Magazine anglais The Hornet)