Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur

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Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 29 MARS 2005
Non au Traité Constitutionnel 1/2 …
Avec Jacques Généreux, professeur a science Po, membre
du conseil national du PS
Pascale Fourier : Et cette semaine et les semaines suivantes, plusieurs semaines j’espère bien, des
gens qui disent Non au traité constitutionnel.
Alors justement, pourquoi inviter ceux qui sont opposés a la ratification du Traité Constitutionnel ? Et
bien d’abord parce que la campagne qui doit avoir lieu va donner la parole aux partis politiques; or la
majorité des partis politiques sont pour le Oui. Donc ça peut être intéressant d’écouter des partisans
du Non. D’une façon générale, je pense que vous y avez été attentif, dans les médias classiques, on peut
entendre en permanence hommes politiques, mais aussi journalistes, qui prônent de façon invétérée, le
Oui. Donc, voilà, avec Des Sous, on pourra écouter les arguments du Non.
Un des meilleurs argumentaires que j’avais trouvé, c’était celui des Jacques Généreux. On peut le
trouver sur son site http://genereux.fr/, mais on peut aussi le retrouver dans son livre : le « Manuel
critique du parfait Européen» aux éditions du Seuil.
Quoi qu’il en soit, je suis allé le voir à Science Po, où il est professeur. Il est membre aussi du conseil
National du PS, membre de Nouveau Monde, et pendant deux semaines on va pouvoir écouter les
arguments qu’il peut avancer, avec une première émission qui portera essentiellement sur une remise en
perspective de la construction européenne qui arrive à un tournant avec ce Traité Constitutionnel.Voici
donc notre entretien...
Jusqu’à présent, les socialistes ont poussé chacun des citoyens à accepter la construction européenne,
puis brusquement quelques-uns parmi eux se lèvent, dont vous, pour dire : « Ah, je ne suis plus d’accord,
je ne veux pas que le Traité Constitutionnel passe ». Ca me semble un peu contradictoire, cette
affaire-là…
Jacques Généreux : Oui, alors d’abord quand vous dites « quelques-uns »…quelques uns de connus, qui
ont accès aux medias et à la parole publique... C’est quand même, au mois de décembre dernier 42 000,
plus de 42 000 militants socialistes qui disent Non, et qui sont tous des pro-Européens. Parce qu’il faut
bien se rappeler que, au Parti Socialiste, à une époque, il y a eu des personnes disons qui étaient plutôt
« souverainistes » et qui pensaient qu’on avait été trop loin dans la construction européenne, mais ils
sont partis: ils sont partis avec Jean Pierre Chevènement. Il n’y a plus au Parti Socialiste que des proeuropéens, qui veulent approfondir la construction européenne. Nous sommes tous pour l’élargissement,
l’approfondissement de l’Union Européenne. Donc ces 42 000 militants qui ont dit Non, ce sont des
pro-européens convaincus.
Alors, pourquoi des pro-européens convaincus, qui ont toujours dit Oui, qui non seulement ont dit Oui,
mais ont appelés les français à voter Oui à Maastricht en 1992, pourquoi est-ce que maintenant ça a
changé ? Pourquoi, nous socialistes, en 1992, avons nous demandé aux français de dire Oui ? Il y avait
des choses assez atroces déjà dans le traité de Maastricht, pour un socialiste, puisque la politique
monétaire était confiée à une banque centrale qui n’avait de compte à rendre à aucun citoyen; les
politiques budgétaires étaient verrouillées par un pacte de stabilité, déjà...le règne de la concurrence
et du marché, les difficultés à régler les marchés existaient déjà, donc on était déjà dans une Europe
trop libérale et où les possibilités de mettre en œuvre des vrais politiques sociales, d’harmonisation
sociales par le haut étaient limitées.
Il y avait beaucoup d’inconvénients, mais il y avait un apport incontestable et une avancée
incontestable, qui était la monnaie unique. Car une monnaie unique, faisait disparaître du jour au
lendemain la spéculation entre les taux de change des pays européens. Or rappelez-vous, c’était le truc
qui empoisonnait toute la conduite des politiques, c’était la dictature des marchés. Si vous ne meniez
pas la politique qui faisiez plaisir à ces messieurs les spéculateurs, eh bien du jour au lendemain vous
aviez une crise de spéculation contre votre taux de change. Par le miracle de la volonté politique, du
jour au lendemain, les pays européens disaient : « Allez jouer ailleurs, vous ne pouvez plus spéculer sur
les monnaies européennes, puisqu’il y en a plus, il y a une monnaie ». Donc, c’était une belle victoire de la
volonté politique et ça autorisait ensuite des marges de manœuvre justement pour la régulation de
l’économie par le politique. Donc les socialistes ont dit : « Dites Oui, en dépit, c’est vrai, de choses qui
seraient inacceptables en soi, mais c’est un compromis, un vrai compromis. Il y a des choses qui ne nous
plaisent pas, mais il y a une avancée fondamentale ». Et dans le cadre de cette nouvelle Europe avec une
monnaie unique, nous serons débarrassés de la spéculation, nous aurons une économie plus forte, nous
pourrons mettre en œuvre des politiques sociales, des politiques d’harmonisation sociales, à une
condition, c’est que nous fassions avancer ensuite l’union politique. Notre pari, c’était que, si on faisait
que la monnaie unique mais sans faire avancer l’Europe politique qui permettait d’encadrer la
concurrence, d’éviter la concurrence sociale et fiscale, ce serait une horreur et ce serait pas accepté,
donc forcement, on irait vers plus d’union politique.
Donc on a dit aux français : « Dites oui, c’est incomplet, mais ensuite on va faire une union politique
plus approfondie, on va renforcer le pouvoir du politique pour mieux réguler les marchés, et donc en
quelque sorte, au prochain traité, ce sera mieux en quelque sorte ».
Puis il y a eu Amsterdam. A Amsterdam Lionel Jospin est arrivé, - il venait juste d’arriver au pouvoir en
France - , en disant: « Ecoutez, il y a ça, ça, ça qui ne va pas dans les traités de l’Union. On exige qu' il
y ait un gouvernement économique, qu' on remette en cause le pacte de stabilité, qu’on introduise des
objectifs de croissance, d’emploi... ». Bref, on avait un certain nombre d’exigences. Aucune n’a été
satisfaite et on a signé quand même. Bon. Et l’histoire continue.
Nous sommes maintenant exactement 13 ans après Maastricht, puisque le traité a été signé au
mois de février 1992. Est-ce que le bilan des ces 13 ans, c’est que, conformément à la promesse
que les socialistes avaient faite aux français, la monnaie unique a été suivie de la mise en place
d’une Europe politique plus forte où le politique peut mieux réguler les marchés, pour éviter que
ce grand marché qu’on a mis en place soit un marché où on se fait de la concurrence par la baisse
des impôts, par la privatisation des services publics, par la réduction de la protection sociale, par
la baisse des salaires? Est-ce que c’est ça la promesse qui a était tenue ? Il n’y a pas besoin
d’être docteur en économie ou en Science Politique pour voir la réalité. Tout le monde sait que ce qui a
progressé depuis 15 ans en Europe, c’est les privatisations des services publics, qui ont été ouverts à la
concurrence, c’est la chape de plomb sur le pouvoir d’achat des salariés dans le secteur concurrentiel,
c’est le licenciement boursier, c’est les délocalisations intra-européennes, c’est ce qu’on appelle le
« dumping social et fiscal » entre les Etats européens.
Alors peut-être faut-il au passage d’ailleurs expliquer cette expression, puisqu’on parle de « dumping »
très très souvent, cela revient dans le débat, donc, de manière un peu inappropriée d’ailleurs, puisque
théoriquement le mot « dumping » désigne une pratique déloyale dans le commerce international qui
consiste pour un pays à vendre à prix sacrifiés ou à perte sur des marchés étrangers, pour conquérir
les marchés et en se rattrapant, en quelque sorte, en vendant plus cher dans son propre pays. On a
accusé par exemple longtemps les japonais autrefois de faire ça, c’est-à-dire faire payer très cher les
produits chez eux, pour avoir des marges confortables, et puis ensuite de perdre de l’argent
délibérément en casant les prix sur des marchés étrangers pour les conquérir. Alors, au sens strict, le
« dumping », c’est ça. Alors, par extension, disons, au sens de pratique déloyale et agressive, on l’a
étendu au domaine fiscal et social, pour designer une stratégie délibérée qui consiste à essayer de
conquérir des marchés ou à attirer des investisseurs chez soi par la baisse des impôts, par la baisse
des standards des protections sociales, par la baisse des normes de droit du travail. Voilà ce que l’on
entend par dumping social et dumping fiscal.
Donc, tout le monde sait que ce qui a progressé, c’est bien en effet ce dumping fiscal, ce dumping
social, les privatisations etc… Donc aujourd’hui, 15 ans après, nous sommes devant un nouveau traité, les
socialistes ne peuvent plus dire : « Ecoutez, comme on vous l’avez promis, la monnaie unique a permis de
mettre en œuvre cette union politique qui a permis tout ça... Ce sont des régulations qui étaient
nécessaires ». Non, le constat est là.
Et donc la question qui se pose maintenant, c’est : « Est-ce que ce nouveau traité, oui ou non,
enfin, 15 ans après, ou 13 ans après la première promesse des socialistes, est-ce que ce nouveau
traité, enfin, offre ne serait-ce que un ou deux instrument supplémentaire de régulation politique
des marchés ? ». Comme nous le verrons probablement par la suite de notre discussion, il n’en
offre aucun, il les interdit tous.
Pascale Fourier : il y a un petit quelque chose que je n’ai pas compris dans ce que vous dites, vous dites
que les socialistes souhaitaient l’union politique. Ca veut dire quoi, « l’union politique » ?
Jacques Généreux : C’est le souhait simplement que dans cette Europe, justement, on fasse de la
politique, et on ne fasse pas que de l’économie. C’est ce qu’on a fait pendant plus de 40 ans en Europe:
on a fait surtout de l’économie et de la technique, c’est-à-dire qu’on s’est entendus, pour construire un
grand marché prospère, efficace, pour mettre en place des coopérations technologiques, commerciales,
agricoles. Ca a plutôt bien marché, d’ailleurs. Donc, dire que nous voulons une union politique, c’est bien
dire que nous voulons que, en plus de la construction économique et technicienne qui a été réalisée à
travers l’union douanière, le marché commun, la monnaie unique etc, il y ait enfin, une forme de pouvoir
politique européen qui permette que les nouvelles avancées, les nouveaux progrès de la construction
européenne, soient tous simplement sous le contrôle des citoyens. Car, c’est bien ça que ça veut dire
« union politique ».
Qu’est ce que c’est qu’une communauté politique ? C’est un ensemble d’individus, d’hommes, de femmes,
qui se reconnaissent appartenir à une même société et qui disent qu' ils vont se donner des règles
communes, et qu’ils acceptent des règles communes, des lois communes, qui sont éditées par certaines
institutions. C’est ce qui fonctionne au niveau national dans une démocratie en tout cas. Et donc, dire
que nous voulons une union politique, c’est dire non pas que nous voulons un Etat fédéral où il n’y aurait
plus de nations européennes indépendantes, non, c’est dire, que nous voulons que, tout en conservant
des Etats et des nations indépendantes, sur les domaines pour lesquels chacun reconnaît qu’il est
préférable que les questions soient réglées au niveau européen - ce qui est clair en ce qui concerne
l’organisation des marchés économiques ça n’a plus de sens de les définir simplement au niveau local, en
ce qui concerne les politiques de protection de l’environnement, ca n’a aucun sens de vouloir protéger
juste l’environnement à Marseille, et se moquer pas mal de se qu’il se passe au niveau européen, qui est
au moins le premier niveau pertinent - bref, dans les domaines où on reconnaît que l’action doit se
situer à un niveau au moins européen, si ce n’est mondial, (mais comme nous ne pouvons pas construire
du jour au lendemain la démocratie mondiale, commençons par ce qui est à notre portée), dans les
domaines qu’on reconnaît comme devant être de la compétence plutôt de l’Europe, eh bien, que les
décisions ici ne soient pas prises simplement par une commission, par des lobbies, qui négocient avec la
commission, par un ensemble donc de technocrates, et qui sont ensuite ratifiés par des gouvernements
qui n’en débatte jamais avec leurs parlements nationaux, qui ne font jamais de débat public dans leur
propre pays sur les questions européenne... Donc dire, on veut une union politique, c’est dire que ce
processus, qu’il s’agit de continuer, ce processus soit désormais davantage sous le regard des
parlements, du parlement européen d’abord bien sûr, des parlements nationaux, avec l’information, la
participation des citoyens. C’est ça l’idée d’union politique.
Pascale Fourier : Il y a encore un petit quelque chose que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi
maintenant ce traité, et est ce que ça peut avoir un lien justement avec l’élargissement ? C’est quand
même étrange que ça vienne juste après l’élargissement, non ? Est ce que ça a un sens ?
Jacques Généreux : Bien sûr que c'est lié à l’élargissement. Dans l’idéal il aurait fallu que ce traité
constitutionnel soit élaboré avant l’élargissement, bien évidemment. Il faut comprendre pourquoi
justement, on avait besoin d’un nouveau traité, en tout cas on aurait eu besoin d’une constitution.
Comme je viens de le dire, pendant très longtemps l’Europe a été une construction économique et
technocratique. Ca n’était pas trop gênant je dirais, bien que je sois un démocrate convaincu, tant qu’il
s’est agi seulement justement de faire de l’économie, et d’une façon qui était relativement
consensuelle.
Si vous voulez, après la guerre, tout le monde était pour une économie de marché encadrée et régulée
par les technocrates justement, par des planificateurs, par des politiques et qui essaient de trouver les
meilleures voies pour être les plus performants, les plus efficaces, pour mettre en commun les
synergies des différents pays en matière de technologies, de recherche.
Donc on a fait, on a construit une économie de marché Européenne, des coopérations technologiques,
qui ont eu de grand succès. On se rappelle Ariane par exemple en matière de technologie, et Airbus, la
politique agricole qui pendant longtemps –maintenant elle pose quelque petites difficultés- a été aussi
un grand succès. Donc cette Europe qui faisait de la technique, de l’économie, par les technocrates en
gros et par les gouvernements, sous le seul contrôle des gouvernements, franchement ça a plutôt bien
marché. Ca a plutôt bien fonctionné. Pourquoi ? Parce que ce qui était en jeu, ce n’était pas les
questions qui fâchent. Il n’y avait pas de débat. Tout le monde était d’accord pour dire qu’on allait
construire une économie de marché prospère, efficace, intelligente et que personne, à part quelques
minorités, ne voulait d’une économie soviétique planifiée. Donc on ne traitait que des questions qui
étaient consensuelles. Donc le fait que ce ne soit pas tellement sous le contrôle des citoyens –on peut
toujours le déplorer en théorie, par rapport à une vision idéale de la démocratie- mais en fait
concrètement, franchement, ce n’était pas très gênant.
Là où ça devient gênant, c’est que cette première phase de construction européenne, elle a connu sont
aboutissement, en gros au milieu des années 80, avec ce qu’on a appelé l’Acte Unique. Le traité entrait
en vigueur en 1986 et prévoyait un grand marché unique où circulent librement les biens, les personnes,
les services, les capitaux. Parce que en gros à partir de ce moment-là, on pouvait dire qu’on avait, on
commençait d’achever, le projet de construction économique de l’Europe.
Et en achevant le progrès le la construction économique de l’Europe, on achevait de traiter les
questions qui ne fâchent pas, c'est-à-dire les questions sur lesquelles il y avait consensus. Tout le
monde était d’accord pour construire ce marché européen, efficace, prospère etc… donc, ne restaient
ensuite, que les questions qui fâchent.
Comment on fait pour que la poursuite de ce progrès, à une époque où on commence à s’apercevoir dans
les années 80 que le chômage de masse s’installe en Europe, que les inégalités remontent, comment on
fait pour que ce progrès économique ne soit pas source de chômage ? Comment on fait pour que ce
progrès économique ne s’accompagne pas d’une montée des inégalités et de la pauvreté et de la misère
en Europe ? Comment on fait pour que la concurrence, plus forte, de fait, dans un grand marché sans
frontières, n’entraîne pas, le fameux dumping fiscal et social ? Et qu’au lieu de se faire la guerre les uns
contre les autres, en essayant de piquer les emplois des autres, on ait des stratégies de coopération
politique, pour au contraire amener tout le monde en même temps vers le haut, vers plus de biens
publics, plus de services publics pour tout le monde, plus de protection sociale pour tout le monde,
comment on fait pour faire ça ? Et là on est sur les questions qui fâchent. Parce que la, à ce
moment-là, on tombe sur deux visions de l’Europe, qui ont été d’accord pendant longtemps pour
faire l’Europe, mais qui à partir de ce moment-là ne sont plus d’accord.
Les deux visions, elles sont simples.
Il y a disons des socialistes, des sociaux-démocrates ou des européens très très convaincus, pour qui
justement, c’est l’union politique, le projet. C’est l’union politique des peuples qui, peu à peu, doivent se
rassembler fraternellement et se penser, se reconnaître comme même communauté, et au lieu d’être en
rivalité, en compétition les uns contre les autres, soient plus dans des logiques de solidarités et de
coopération. Ca, c’est le projet qui dit : « On s’est servi de l’économie, de la coopération technique et
économique, pour habituer les gens à la coopération, pour expérimenter des institutions de coopération,
mais le but, ce n'est pas l’économie! L’économie, c’est un moyen, c’est un instrument, y compris la
concurrence, c’est un instrument au fin de la construction de cette union des peuples dans une
communauté politique ».
Et il y a l’autre projet, qui était le projet des anglo-saxons dès le départ, qui est un projet très libéral,
qui ne veut surtout pas entendre parler d’une union politique des peuples européens, qui veut
simplement un grand marché, qui veut un grand espace de libre échange, de concurrence libre et non
faussée. Ceux-là s’étaient réunis d’ailleurs au début autour des anglais dans l’Association Economique de
Libre- Echange, pendant que nous nous construisions le marché commun. Peu à peu tout le monde est
rentré dans ce fameux marché commun parce qu’il était très efficace et très attractif. Mais ceux qui
n’ont pas pu détruire le projet d’union politique de l’extérieur ont entrepris et ont continué d’essayer
de le détruire de l’intérieur.
Et donc vous comprenez bien que, une fois qu’on a eu réalisé le grand marché unique, le projet
libéral, le projet d’un simple espace de libre-échange, en quelque sorte, avait quasiment acquis à
peu près tout ce qu’il lui été nécessaire. Il ne lui manquait que la vraie libéralisation des services.
C’est ce qui est en train d’être mis en place à travers la directive Bolkestein, et qui est prévue dans le
Traité Constitutionnel qu’on nous demande de ratifier. Il ne leur manquait que la reconnaissance que
la concurrence, le marché, ce n’est pas seulement un instrument, comme c’était le cas dans les
traités précédents, mais c’est un objectif en soi. Ils l’ont obtenu dans le nouveau traité à
l’article 3, que la concurrence libre et non faussée soit considérée comme une fin en soi de l’Union
Européenne et pas simplement comme un instrument. Bref il leur manquait juste quelques petites
choses pour parachever la victoire de leur projet: c’est ce qu’ils ont obtenu dans ce traité. Les libéraux
ont gagné, obtenu tout ce qu’ils voulaient et les sociaux-démocrates qui, eux, veulent s’appuyer sur
l’économie pour avoir l’union politique, pour avoir plus de coopération et de solidarité sociale, pour le
moment n’ont quasiment rien obtenu! Il y avait eu un début de construction d’union politique à travers
les traités de Maastricht et les traités d’Amsterdam, mais depuis plus rien! C'est-à-dire aucun pouvoir
supplémentaire, aucun moyen supplémentaire pour les citoyens de déterminer les politiques
européennes, aucun moyen supplémentaire pour le politique de réguler les marchés, de mettre en place
une harmonisation des politiques sociales. Et donc, on est maintenant sur les questions qui fâchent, on
est dans l’affrontement. Il ne peut plus y avoir de compromis, c’est pour ça que ceux qui disent: « Mais
ce traité comme tous les autres est un compromis, et donc comme tout compromis il est imparfait, mais
c’est un compromis », se trompent ou mentent, s’ils le font délibérément. Ce n’est pas un compromis, il
n’y a que quelques avancées et quelques progrès pour l’ultralibéralisme si c’était encore nécessaire. Il
n’y a, on y reviendra sans doute, aucun progrès pour la protection des droits sociaux et des services
publics, aucun progrès réel pour la démocratie, si on entend par « démocratie » les pouvoirs qu’ont les
citoyens de déterminer les politiques. Donc on n’est plus dans le compromis entre deux projets, on
est dans une phase de victoire d’un projet, qui est le projet libéral du grand marché européen.
Et donc il ne peut plus y avoir consensus entre les deux paris en quelque sorte, il ne peut y avoir
que abdication d’un camp devant l’autre.
Je pense que ceux qui aujourd’hui disent: « Il faut dire Oui quand même à ce traité qui est une horreur
sur le plan social » sont dans le renoncement et l’abdication, parce qu’ils pensent que le rapport de
force fait que de toutes façons on ne peut plus dire Non. C’est ce qu’avait écrit en quelque sorte Michel
Rocard dans Le Monde, l’année dernière, en disant que le capitalisme avait gagné et que les socialistes
ne pouvaient plus maintenant construire la société de leurs rêves, mais simplement se défendre à
reculons, écrivait-il. Eh bien en effet, quand on se défend à reculons, on est condamner à reculer
jusqu’au bout! Parce que tant qu’on est à reculons, il n’y a aucune espèce de raison, pour que les
adversaires en face s’arrêtent d’avancer! Et donc s’il n’y a pas un moment ou l’on dit : « Non, on arrête
de reculer, maintenant on ne reculera plus, on repart à l’offensive », bien évidemment on reculera
jusqu’au bout!!
Donc il y a cette attitude de renoncement! Evidemment il y a l’autre attitude que, vous l’aurez compris,
je défends, qui consiste à dire, à reconnaître que nous avons perdu une bataille, que depuis 15 ans, nous
n’avons pas réussi à faire avancer l’Europe sociale, l’Europe politique, que les libéraux ont réussi à faire
avancer l’Europe du grand marché. Donc il faut reconnaître que notre projet d’Europe politique et
sociale a perdu, que le projet de la société de marché ultra-libérale a gagné. Michel Rocard
disait que le capitalisme avait gagné; il faudrait préciser: la société de marché en Europe , ce modèle-là
est en train de gagner, a gagné provisoirement une bataille, et donc nous devons poursuivre en quelque
sorte le combat, et là nous avons une occasion magnifique de donner un coup d’arrêt à cette victoire, de
dire Non. Les citoyens ont le pouvoir de dire Non. Ils ont le pouvoir au moins de dire : « Nous ne
voulons pas du modèle de société que vous nous avez déjà préparé depuis 15 ans et que vous
voulez graver dans le marbre dans ce traité ».
Pascale Fourier : Eh bien voilà, c’était Des Sous et des Hommes, avec Jacques Généreux, la première
des deux émissions enregistrée lui. Je ne peux que vous conseiller d’aller sur son site,
http://genereux.fr, dans lequel vous trouverez un argumentaire extraordinairement bien fait. Vous le
trouverez plus développé dans le magnifique livre qu’il a écrit qui s’appelle : Manuel critique du parfait
européen, les bonnes raisons de dire non à la constitution. C’est aux éditions du Seuil, et je pense que le
PS va beaucoup l’aimer...
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en
ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des
Hommes du 29 Mars 2005 sur Aligre FM. Merci d'avance.
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