La réduction du coût du travail permet-elle de réduire le chômage des travailleurs peu qualifiés ? Dans bon nombre de pays industrialisés, le chômage reste une préoccupation centrale des gouvernements. Parce qu’il a des conséquences économiques évidentes et surtout des conséquences sociales, un chômage durable étant un facteur d’exclusion et d’affaiblissement du lien social, le chômage entretient le pessimisme de l’opinion. Cependant, le niveau de chômage dans les pays industrialisés est inégal. Cette forte différence dans les résultats en matière de créations d’emplois et de lutte contre le chômage incite les économistes et experts à s’interroger sur les causes d’un tel contraste. Les salariés peu ou pas qualifiés subissent en premier lieu les effets du prgrès technique et de la mondialisation et sont particulièrement touchés par le chômage ; le rôle déterminant du coût du travail pour ces salariés (ensemble des dépenses de l’entreprises liées à la présence de salariés : salaire brut, congés payés, primes, charges sociales patronales...) est bien souvent souligné dans la création d’emplois, notamment non qualifiés. Faut-il cependant être d’accord avec l’idée que la baisse des coûts salariaux est un remède au chômage des travailleurs peu ou pas qualifiés ? Ainsi, même si la réduction du coût du travail est souvent présentée comme une solution efficace dans la lutte contre le chômage des travailleurs peu qualifiés, elle connaît néanmoins certaines limites et des risques. I/ La réduction du coût du travail peut contribuer à la baisse du chômage des travailleurs peu qualifiés A. Par ses effets directs sur la demande de travail 1) le raisonnement néoclassique : cf cours - Le chômage découle, selon les libéraux, avant tout d'un niveau excessif du salaire réel. En effet, la demande de travail des entreprises est une fonction décroissante du salaire réel et l'entreprise embauchera un travailleur supplémentaire que si sa productivité marginale est supérieure à son coût marginal En conséquence, le rendement des personnes peu qualifiées étant par définition faible, une baisse du coût du travail s'avère indispensable afin d'inciter l'entreprise qui cherche à maximiser son profit à embaucher un travailleur peu qualifié. - Par conséquent, le SMIC, facteur de rigidité des salaires des salariés les moins qualifiés, empêche la baisse nécessaire du coût du travail en période de ralentissement de l’activité. De plus, il pénalise les salariés les plus vulnérables (jeunes, personnes sans qualifications) incitant ainsi les entreprises à substituer du capital au travail. « un salaire minimum élevé accélère le remplacement, dans les entreprises, des travailleurs peu qualifiés par du capital ou par du travail qualifié » (doc. 6). Dans les services, secteur consommateur de main d’œuvre NQ et secteur où la demande de travail est très élastique par rapport aux coûts, la baisse du coût du travail permet une forte hausse de l’emploi (doc 3) 2) …. confirmé par l’expérience - Par rapport aux États-Unis, l'économie française crée beaucoup moins d'emplois dans certains services , fortement utilisateurs de main d’œuvre non qualifiée(commerce, hôtellerie restauration, services aux particuliers) (doc. 3). Pour expliquer ces différences, le coût du travail est l'élément décisif. C'est parce que le coût du travail non qualifié est plus faible aux États-Unis qu'en France que le secteur des services crée plus d'emplois. - Dans le cadre de la politique de l'emploi, les gouvernements français qui se sont succédé, depuis une dizaine d'années, se sont efforcés de faire baisser le coût du travail notamment en direction de la main-d'oeuvre peu qualifiée. Les statistiques du chômage montrent que le chômage tend à augmenter lorsque le niveau de qualification diminue. Les travailleurs peu qualifiés souffrent, plus que les autres, du chômage de longue durée et d'un chômage répétitif, alternant périodes de chômage et emplois précaires (CDD). Ainsi, des mesures de réduction de coût du travail centrées principalement sur les bas salaires « à 1,3 fois le SMIC) ont été introduites à partir de 1993 (baisse des charges patronales et subventions à l’emploi). Entre 1994 et 2000, le taux de chômage des employés non qualifiés baissait de 1,9 points et celui des ouvriers non qualifiés de 4 points (doc. 1). Sur la même période, l'emploi non qualifié augmentait de plus de 600 000 personnes (doc. 5). B. Par ses effets indirects sur l’emploi 1) Amélioration de la compétitivité-prix (doc 6) - Baisse du coût du travail => baisse des prix => hausse compétitivité => hausse demande => hausse production => hausse emploi (d’autant plus si la demande est fortement élastique à l'évolution des prix, elle augmentera favorisant ainsi la croissance et l'emploi) Dans l’industrie, où la population NQ est fortement touchée par concurrence des NPI, la flexibilité des salaires permet de diminuer le coût du travail en période de chômage et ainsi d’améliorer la compétitivitéprix des entreprises, condition d’une reprise de la demande intérieure et extérieure et donc de l’amélioration de la croissance économique. 2) Par les investissements baisse du coût du travail => augmentation de l’EBE => augmentation investissements de capacité et de productivité => hausse emploi. Transition : l’exemple de l'économie française semble donc prouver que la baisse du coût du travail est bien un facteur de créations d'emplois. Cependant, le « noyau dur du chômage » (constitué des chômeurs de longue durée) persiste montrant ainsi les limites de la stratégie de réduction du coût du travail. Quelle part d’explication revient véritablement à la baisse des coûts du travail ? II/ Limites et risques de la stratégie de réduction du coût du travail A. Les limites 1) effet limité de la baisse des coûts du travail - La baisse du chômage des NQ et les créations d’emplois NQ, entre 97 et 2000, en France, ont largement profité de la reprise de la croissance éco et de la baisse de la durée du travail. De plus, la hausse du niveau de vie explique en partie la hausse de la consommation de services et son impact positif sur l’emploi NQ dans ce secteur (doc 3) - La création d’emplois NQ malgré la baisse du coût reste faible (évolution de la part relative dans l’emploi total # l’évolution en valeur absolue (doc 5). De plus, la baisse du taux de chômage des employés NQ est + faible que la baisse moyenne du chômage entre 94 et 2000 (doc 1). 2) Inadéquation entre offre et demande de travail : problème d’ajustement qualitatif entre O et D chômage surtout des non qualifiés or emplois qualifiés aujourd’hui : problème d’inemployabilité des NQ, raison essentielle de leur chômage élevé. Egalement, problème d’inemployabilité des chômeurs de longue durée. => Cela suppose une politique de formation des moins qualifiés car le chômage est structurel et de longue durée et donc une seule baisse du coût du travail n’est pas suffisante (doc 2) L’insertion des travailleurs peu qualifiés passe donc par des réformes structurelles (formation) et par une politique destinée à éviter le piège de la « trappe à pauvreté », politique fondée sur des mesures destinées à accroître l'intérêt financier d'une reprise d'activité en permettant, par exemple, de cumuler pendant un certain temps un travail rémunéré et certaines aides sociales. B. Effets pervers au niveau économique en limite l’efficacité à moyen terme 1) théorie du salaire d’efficience (doc 4) De faibles salaires n’encouragent pas un travail productif (thèse du salaire d’efficience) Selon la théorie du salaire d'efficience, un niveau de salaire supérieur au salaire d'équilibre assure à l'entreprise une hausse de sa productivité. A contrario donc, une baisse du salaire démotivera les salariés et freinera la productivité du travail. augmente coût du travail => baisse compétitivité => baisse emploi (doc 4) 2) L’analyse keynésienne (doc. 4) La baisse des salaires nets aurait des conséquences négatives sur la demande des ménages et pénaliserait donc la croissance et l'emploi. baisse des salaires, notamment les plus faibles, or ceux qui ont la plus forte propension marginale à consommer => ralentissement de la consommation => baisse de la demande effective => baisse de la production => baisse de l’emploi. D’où la nécessité de mesures d’accompagnement pour ne pas faire supporter la baisse du coût sur les salariés NQ (doc 2) : politique de redistribution pour lutter contre la paupérisation croissante de la population suppose alors une hausse des PO qui réduira le pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés, accentuant d’autant les effets néfaste sur la demande. baisse des charges sociales nuit à redistribution en faveur des bas revenus ..... le gouvernement peut être amené à prendre des mesures (diminution des dépenses publiques, hausse d'autres prélèvements) qui, en freinant la croissance, limitent les effets positifs de la baisse du coût du travail sur l'emploi. Conclusion La stratégie de réduction des coûts du travail a été appliquée à des degrés divers dans la plupart des pays industrialisés. Même si la question de l’efficacité d’une telle stratégie reste controversée, le coût du travail est assurément une des causes du chômage, notamment du chômage des personnes sans qualifications. Cependant, cela suppose des réformes structurelles importantes, tant au niveau du système de formation que de la fiscalité et du financement de la protection sociale. L’exemple des EU montre que la réponse apportée est, pour l’instant, celle de l’accroissement des inégalités, accepté dans un pays où culturellement « gagner sa vie » est le principe même de la citoyenneté. En Europe, au contraire, c’est le refus de voir croître les inégalités de salaires dans des proportions identiques qui a constitué une rigidité forte, à l’origine d’une certaine progression du chômage. En sommes-nous alors réduits à arbitrer entre plus d’inégalités ou plus de chômage ? Bilan : L’analyse de la stratégie de réduction du coût du travail permet donc d'établir un tableau nuancé. Elle contribue dans certaines circonstances à favoriser des créations d'emplois en direction des travailleurs peu qualifiés. Cependant, le résultat n’est pas toujours garanti et, surtout, cette politique affaiblit la cohésion sociale en aggravant les inégalités entre les salariés. Ouverture : Finalement, depuis le début des années quatre-vingt, une forte modération salariale a contribué à rétablir la part des profits et à améliorer la compétitivité sans que le chômage diminue nettement. Malgré une embellie sur le front de l'emploi entre 1997 et 2001 due d'ailleurs principalement à la reprise de la croissance, le taux de chômage reste élevé et un « noyau dur » de chômeurs de longue durée, constitué pour l'essentiel de travailleurs peu qualifiés, persiste. Un tel constat ne devrait-il pas nous inciter à repenser la politique de l'emploi, à révolutionner notre manière d'appréhender le problème du chômage afin de lutter enfin efficacement contre ce fléau ? Conséquences sociales flexibilité des salaires => développement des FPE => marché du travail (et société) dual : hausse des inégalités et affaiblissement de la cohésion sociale. Les risques d'affaiblissement de la cohésion sociale Si l'économie américaine a pu créer de nombreux emplois pour les salariés peu qualifiés en jouant sur la faiblesse du coût du travail, cette politique a un coût social : « Le développement des services aux particuliers aux États-Unis a pour prix une inégalité accrue » (doc. 3). En France, la réduction du coût du travail a pris d'autres modalités que la stratégie américaine (baisse de charges sociales) mais la multiplication des emplois précaires (CDD, temps partiel) participe aussi de cette politique visant à intégrer les travailleurs peu qualifiés en baissant le coût du travail. À défaut d'intégrer ces travailleurs via des emplois stables (CDI), le développement des emplois précaires est censé leur procurer une chance de reprendre pied sur le marché du travail. Or ce type d'emplois n'offre aucune perspective d'avenir, rend improbable la possibilité d'une socialisation future par le travail et renforce le dualisme du marché du travail entre les emplois stables et les emplois précaires.