Une singularité de Berne est sa fragmentation en quartiers de grande taille, dont chacun est construit selon des règles typologiques spécifiques et souvent uniformes. Autrement dit, Berne s’est agrandi par « grands morceaux ». Il s’agit pour la plupart d’ensembles de logements – de quartiers d’ouvriers du 19e siècle, de cités-jardins des années 1920 à 1950, d’immeubles groupés à partir des années 1960, de groupements de maisons unifamiliales. Même la cité historique est un ensemble planifié, avec la différence qu’ici, les espaces publics et commerciaux ont joué le rôle central dans la conception de la forme urbaine. un assemblage de quartiers à typologies uniformes La topographie de l'éperon allongé que forme l'Aare à Berne servait de protection pour le bourg fondé au 12e siècle par les Zähringer. Il ne favorisait par contre pas de longues croisées perpendiculaires qui étaient normalement une des caractéristiques principales des bourgs des Zähringer (p.ex. Freiburg im Breisgau, Villingen, Rottweil)1. Le terrain amena les fondateurs à aménager parallèlement trois rues, dont la médiane est plus large que les deux autres (jusqu’à 26m, arcades comprises). Cette large rue du marché permettait de surpasser en potentiel économique les petites places du marché des villes plus anciennes. Ces dimensions ont permis, au cours de l'histoire, de toujours garder la cité moderne dans la vieille ville, de garder la plus grande quantité de commerces au centre de Berne. la cité historique Malgré la planification d’ensemble par les Zähringer, l’image complète de la cité telle que nous la voyons aujourd’hui est le résultat de nombreuses transformations au cours de l’histoire. Du 15e au 17e siècle, des efforts pour gagner de l’espace public de qualité, ont provoqué des alignements, des « remplissages » de vides entre bâtiments non continus, des démolitions de bâtiments singuliers se trouvant au milieu d’une rue ou trop près d’un bâtiment public important – de la cathédrale par exemple. Les places publiques et les rues alignées étaient formées par transformations successives. Même une grande partie des arcades ne s’est construit qu’au 17e siècle 2. une densification continue La cité historique continuait à se densifier, car la topographie limitait l’expansion de Berne. Jusqu’à l’époque des grands ponts, franchissant les descentes et montées raides de l’éperon, une expansion n’était possible qu’à l’Ouest. Ceci montrait des désavantages esthétiques et financiers : le sol au centre étant limité, le prix du sol s'élevait à des sommes énormes pour l'époque. En 1880, le m2 dans la Spitalgasse coûtait 209.- (celui dans la Länggass 20.-). La rareté du sol obligeait à densifier. Les maisons de la cité historique étaient surchargées, on exploitait les cours arrière, les mansardes et les caves comme surfaces de logement supplémentaires. Les chambres étaient étroites et peu hygiéniques. Dans ces conditions, la construction des premiers ponts symbolisait une véritable soupape pour les citoyens. En 1856, 77% de la population habitaient la cité historique, alors qu’en 1888 plus que 46%3. la nécessité de grands ponts ______________________________________________________________________________________________________ 1) informations tirées de « Bases historiques de l’aménagement », office cantonal du plan d’aménagement, Berne, 1973 2) informations tirées de l’article de journal de Jürg Schweizer dans « Der kleine Bund », 5. 12. 1998, page 3 3) informations tirées de « Bern – eine Stadt bricht auf », Ch. Lüthi & B. Meier, Haupt Verlag, Berne, 1998, page 30 et 31 12 Durant la seconde moitié du 19e siècle, Berne commençait enfin à s’étendre. Plusieurs évènements favorables à la croissance de la ville concouraient simultanément : la déclaration comme capitale Suisse en 1848, le passage de la ligne principale de la Centralbahn en 1857 par Berne, le début de l’industrialisation et les premières constructions de grands ponts franchissant l’Aare. Entre 1650 et 1800 la population n’accrut que de 10'000 à 13'000 habitants de façon linéaire, mais atteignait 43'000 en 1880 et 86'000 en 19104. l’arrivée du chemin de fer, des industries et des ponts Le premier pont, celui de la Nydegg en 1844, n’était pas encore rentable, car trop bas. Ainsi la difficulté à franchir la pente raide du Aargauerstalden et du Muristalden restait. Il n’y avait pas de constructions nouvelles à l’Est de l’Aare. En plus, avec l’arrivée du chemin de fer et l’emplacement de la gare à l’Ouest du centre historique et les possibilités d’expansion vers l’Ouest, le centre d’activités se déplaçait à l’extrémité Ouest de la cité. La construction du premier pont de chemin de fer en 1858 (le « pont rouge ») constituait ainsi la première possibilité d’expansion sur la rive droite de l’Aare. Voulant profiter de la construction d’un grand pont, on avait décidé de l’utiliser en même temps pour les piétons et les chariots qui passaient par un caisson directement à côté des voies ! Appelé « l’étrangleur », ce pont faisait peur aux gens (par sa taille inhabituelle et son aspect brut d’une construction métallique bientôt rouillée) et n’était pas très agréable à passer – surtout lors d’un passage simultané d’une locomotive à vapeur ! Il n’est alors pas étonnant que la terre desservie au Nord de la ville ne se vendait pas de la manière souhaitée, et le prix baissait. Le quartier de la Lorraine était surtout habité par les ouvriers (devant passer « l’étrangleur » tous les jours pour se rendre au travail…). le premier pont de chemin de fer A partir de la deuxième moitié du 19e siècle, le phénomène des immigrés et émigrés saisonniers apparaît. L’échange entre la ville et la campagne se faisait dans les deux directions, les mois d’échanges étaient surtout avril et octobre : d’une part, des ouvriers de chantiers venaient à Berne exclusivement pendant l’été, d’autre part, des manœuvres agriculteurs, ayant passé l’hiver en ville, émigraient pendant l’été à la campagne pour travailler. La population de la ville de Berne était constituée de trois quarts d’habitants fixes et d’un quart d’immigrés saisonniers. Deux tiers de ces derniers avaient entre 15 et 35 ans. La proportion hommes / femmes des immigrés était équilibrée, les hommes travaillaient de préférence dans l’industrie et les femmes comme domestiques dans des maisons bourgeoises5. Les saisonniers, qui constituaient la couche sociale la plus pauvre, habitaient d’abord les cours arrière, les caves et les mansardes de la cité historique. Avec des nouvelles industries se formaient de plus en plus de quartiers d’ouvriers aux extrémités de la ville : le long du fossé de l’Aare ou des voies ferrées. (Matte, Lorraine, Felsenau). les premiers quartiers d’ouvriers ______________________________________________________________________________________________________ 4) informations tirées de « Bern – eine Stadt bricht auf », Ch. Lüthi & B. Meier, Haupt Verlag, Berne, 1998, page 164 5) informations tirées de « Bern – eine Stadt bricht auf », Ch. Lüthi & B. Meier, Haupt Verlag, Berne, 1998, page 167 13 Une particularité des quartiers construits entre 1880 et 1910 est l’organisation claire d’axes routiers, de ronds-points et l’image d’ensemble complète de la forme de la ville. Ce périmètre (ill. 08) est encore aujourd’hui ce que l’on appelle souvent « la ville » de Berne. Les ensembles planifiés étaient avant tout des quartiers de logements. Pour la première fois des appartements plus grands, de trois à cinq pièces, étaient construits. Ces grandes maisons villas (aujourd’hui souvent remplacées par des immeubles continus, par exemple à la Länggass) avaient pour la plupart leurs propres jardins, bordant les rues larges, plantées d’arbres le long des axes principaux. Des établissements culturels complétaient les quartiers résidentiels. L’exemple le plus complet d’une telle planification est le Kirchenfeld ainsi que son pont dans l’axe Viktoriaplatz – Helvetiaplatz. des axes structurants vers 1900 De nombreuses cités-jardins d’influence anglaise et pour la plupart constituées de maisons familiales, voyaient le jour dans les années 1930 et 1940 : Gurten, Liebefeld, Weissenstein, Veielihubel, Wylergut – pour en nommer que quelques-uns. A Berne, elles ne contenaient cependant pas de commerces ou de places de travail, comme le prévoyait le modèle anglais. les premières cités-jardins purement résidentielles Dans les années 1940 et 1950, la ville connaissait une véritable explosion d’ensembles de quartiers d’habitations. Pendant cette période, plus de 1000 appartements furent construits par année6 – des immeubles de 3-4 étages, à toitures inclinées et orientés perpendiculairement à la rue – par exemple à Ausserholligen, Bümpliz, Wankdorffeld, Felsenau, Tiefenau, Murifeld. La typologie propre à cette époque constitue aujourd’hui un des éléments marquants de l’image urbaine de la ville de Berne. Les quartiers des alentours constituaient dès lors les endroits préférés pour l’habitation, et la cité historique devenait d’avantage encore le centre commercial de la ville : des cours intérieures étaient couvertes pour y installer de grands magasins dépassant la taille d'une parcelle, et ceci surtout dans la partie Ouest, du côté de la gare. Ici, les agrandissements continuent plus loin encore – entre 1975 et 1989, la surface brute utile a été augmentée de 116'000m 2, ce qui correspond à un immeuble de 29 étages d'une surface de 20m x 20m 7… la cité historique devient centre commercial La partie Est de la cité est depuis 1954 protégée par les règles communales des monuments et sites (interdisant notamment la démolition des murs coupe-feu entre deux parcelles et l’exploitation des cours intérieures) ; la cité a ainsi pu garder ses petits magasins ainsi qu’un aspect plus « calme ». Depuis 1983 l‘ensemble de la cité historique est inscrite au patrimoine mondial (Unesco). la mise sous protection ______________________________________________________________________________________________________ 6) informations tirées de « Stadtplanung in Bern », J. Sulzer & office de planification Berne, Benteli Verlag Bern, 1989, page 28 7) informations tirées de « Bern – eine Stadt bricht auf », Ch. Lüthi & B. Meier, Haupt Verlag, Berne, 1998, page 86 14 Parallèlement aux premières discussions de protection de la cité historique, la politique des transports des années 1950 était d’amener les autoroutes le plus près du centre-ville, inspiré du modèle américain. Un « triangle de tangentes » était planifié en 1952, voulant compléter la construction des autoroutes par des routes express passant par le centre de la ville, ayant trois nœuds comme la Schützenmatte, l’Eigerplatz et le Thunplatz8. La tangente Est devait passer à travers la place du Zytglogge et aurait nécessité sa démolition. La tangente Ouest se serait réunie en partie avec l’autoroute passant devant le quartier de la Länggass. La seule réalisation de cette idée est aujourd’hui le pont Monbijou (1962) comme tangente Sud, liant les quartiers du Mattenhof et du Kirchenfeld. des planifications autoroutières aux années ‘50 L’organisation de l’autoroute construite forme effectivement une sorte de triangle délimité par les sorties d’autoroutes du Ostring, du Weyermannshaus et du Wankdorf. Les « tangentes » suivent heureusement des tracés plus excentrés que planifiés. Le contour par la forêt de Bremgarten a été réalisé non pas par volonté politique, mais parce que le passage planifié devant la Länggass s’avérait trop compliqué. le « triangle de tangentes » Si la planification de la nouvelle gare centrale avait été entreprise quelques années plus tôt, elle aurait probablement détruit tout le centre Ouest de la cité historique : c’était grâce aux premières réflexions de protéger le patrimoine dans les années 1960, que le référendum populaire rejetait l’idée d’une gare centrale au Bärenplatz ! Les voies et les dépôts auraient dû traverser toute la cité, par les ponts du Kirchenfeld et de la Lorraine. Lors de la construction de la gare à l’emplacement actuelle du Bubenbergplatz, les autorités proposaient encore une fois la traversée du Bärenplatz, cette fois-ci pour la déviation du trafic automobile en quatre voies parallèles, proposition également rejetée par un référendum. la nouvelle gare centrale dans les années ‘60 Néanmoins, la nouvelle gare construite à l’endroit de l’ancien terminal, s’avère aujourd’hui comme mauvaise solution. Un contre-projet des années 1950 proposait de profiter de la construction d’une nouvelle gare, en la déplaçant vers l’Ouest, vers la Laupenstrasse. Il prévoyait que les problèmes de circulation se laissaient difficilement résoudre à l’endroit étroit de l’ancienne gare (celui d’aujourd’hui)9. Dix ans après la proposition du contre-projet, la population votait pour le projet prévu par les CFF d’une nouvelle gare à l’ancien emplacement. Le Masterplan gare centrale qui résout actuellement – entre autres – les problèmes de circulation, tend de nouveau à déplacer quelques activités principales vers la Laupenstrasse. Trente ans après la construction de la nouvelle gare, on revient ainsi à l’idée du contre-projet, de libérer de la place entre la gare et la cité historique. les problèmes actuels et le Masterplan gare centrale ______________________________________________________________________________________________________ 8) informations tirées de « Berner Visionen », Bern. Gesellschaft zur Pflege des Stadt- und Landschaftsbildes, Läderach, 1997 9) informations tirées de « Berner Visionen », Bern. Gesellschaft zur Pflege des Stadt- und Landschaftsbildes, Läderach, 1997 15 Avec la croissance rapide de la mobilité individuelle, les lieux d’habitations s’étendaient de plus en plus en périphérie. Ayant toujours connu un certain succès des planifications de grands quartiers d’habitations, la ville de Berne était également réalisatrice de quelques-uns des premiers ensembles de tours locatives en Suisse. A partir des années 1960 se sont construits le Tscharnergut (20 étages), le Fellergut, Bethlehemacker, Wylerfeld, Wittigkofen, Gäbelbach. 90% de l’offre de ces immeubles sont des appartements de 3½ pièces de taille moyenne, avec des chambres de surface réduite 10. les ensembles de tours locatives dans les années ’60 et ‘70 Les lignes de chemins de fer régionaux se sont multipliées et depuis 1996, l’ensemble du réseau en forme de « toile d’araignée » fonctionne sous une direction centrale et porte le nom officiel de RER Bernois. Depuis 1970, la commune de la ville de Berne perd de sa population, se déplaçant vers les communes des alentours. Depuis les années 1990, c’est même l’agglomération entière qui perd de sa population, se déplaçant cette fois-ci vers des villes régionales connectées au RER11. la finition du réseau RER et une décroissance continue Dans la ville de Berne, les lignes S1-S5 parcourent toutes un tronçon commun d’une longueur d’environ 6km, allant de Ausserholligen au Wankdorf. Ces deux extrémités de la « voie city » font aujourd’hui l’objet d’études majeures. Elles constituent les « pôles principaux de développement » de la planification urbaine. L’idée est de promouvoir de nouveaux centres publics (un centre commercial avec cinémas, piscine, bureaux et un hôtel) à Brünnen, près d’Ausserholligen et au Wankdorf (nouveau stade de football – le match d’inauguration de la coupe européenne en 2008 aura lieu à Berne – une tour d’hôtel ainsi qu’une nouvelle halle de la foire régionle BEA – une meilleure desserte des transports publics et individuels12). la « voie city » et les projets actuels La place de la gare centrale faisant l’objet de projets de transformations et d’améliorations devrait être allégée du grand trafic automobile. Le projet actuellement en cours de réalisation à la gare centrale (nouveaux halls à l’intérieur du bâtiment) permet un apport de lumière naturelle. Un prolongement des quais et l’aménagement d’une nouvelle passerelle contenant des commerces, sont prévus pour un futur proche. En même temps, mais indépendamment de cette planification urbaine à grande échelle, un maître d’ouvrage privé est l’initiateur d’un grand musée, le centre Paul Klee, dans la Schosshalde. C’est à nouveau depuis longtemps que des projets de cette ampleur à vocation publique ont lieu à Berne. Ces nouveaux pôles publics pourront peut-être alléger le centre historique de sa surexploitation commerciale et déplacer une part de la vie publique vers des quartiers d’habitation autour de la cité historique centrale. ______________________________________________________________________________________________________ 10) informations tirées de « Bern – eine Stadt bricht auf », Ch. Lüthi & B Meier, Haupt Verlag, Berne, 1998, page 204 11) informations tirées de « Bern – eine Stadt bricht auf », Ch. Lüthi & B Meier, Haupt Verlag, Berne, 1998, pages 108 et 109 12) voir l’interview du 27 août 2002 avec Monsieur J. Sulzer, planificateur de la ville de Berne, pages 44-47 du mémoire 16