Section 7 L`idée de connexion nécessaire

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Section 7 L’idée de connexion nécessaire
L’objet de la section est d’enquêter sur la nature de l’idée de connexion
nécessaire à partir de l’impression dont elle dérive. Cette méthode, déjà posée
dans la section 2, permet à Hume de critiquer la thèse selon laquelle la
connexion nécessaire entre une cause et un effet correspondrait à un pouvoir
dans la cause. De ce pouvoir dans la cause, montre Hume, nous n’avons aucune
impression : l’idée en est donc vaine, il s’agit d’une prétendue idée ou encore
d’un terme philosophique auquel n’est attaché aucune idée. En revanche, il
convient de fixer le sens précis du terme de « connexion nécessaire » que Hume
appelle aussi « pouvoir » (power) mais dont il ne suppose pas d’emblée qu’il se
trouve dans les qualités sensibles de la matière. Les adversaires qui ont mal
compris l’idée de pouvoir sont Locke, d’une part, les occasionalistes comme
Malebranche d’autre part. La critique de Malebranche est d’autant plus
intéressante que sa thèse est elle-même une critique de l’idée de qualité occulte,
donc, d’une certaine manière de l’idée de pouvoir. De sorte que Hume emprunte
plusieurs éléments de la critique malebranchienne de la connexion nécessaire
entre objets. Cependant, Malebranche, en rapportant toute efficace à Dieu,
autrement dit en plaçant une connexion nécessaire entre Dieu et tous les
événements, apparaît aux yeux de Hume comme un adversaire, quoique plus
raffiné.
La première partie a pour objet de chercher l’idée de force ou de connexion
nécessaire dans toutes les sources d’où les philosophes ont supposé qu’elle
dérivait. Le résultat est négatif. La deuxième partie examine une source non
encore examinée et établit la théorie de Hume. La connexion nécessaire
correspond à une transition coutumière de l’imagination d’un objet à son
concomitant habituel. La connexion nécessaire existe dans la pensée et non dans
les objets.
Plan de la 1ère partie : a) la méthode : faire retour à l’impression d’où dérive
l’idée de connexion nécessaire et examiner toutes les sources d’où cette
impression pourrait provenir. 3 sources vont être éliminées.
b) cette source n’est pas les objets externes
c) ni une impression interne comme la volonté, qu’elle
porte sur les organes du corps (c1) ou sur les facultés de l’âme (c2).
d) ni la volition de l’Auteur de la nature
a) La méthode.
La section s’ouvre sur une comparaison des avantages et des inconvénients des
sciences mathématiques et des sciences morales. Les idées mathématiques sont
claires et déterminées là où les idées des sciences morales (opérations de
l’entendement, passions) sont ambigues. En mathématiques, deux objets ne
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peuvent être confondus, de rigoureuses définitions en fixent les idées (alors que
la philosophie morale procède, on l’a vu par description) et si on ne dispose pas
de définition pour un objet mathématique, l’objet peut être présenté aux sens
pour que la méprise soit évitée. Bref, les mêmes termes expriment les mêmes
idées. En philosophie morale au contraire, les limites entre objets sont plus
vagues (vice et vertu se distinguent moins bien que l’isocèle et le scalène), la
réflexion ne permet pas toujours de présenter l’objet original à la mémoire. Bref
des objets semblables sont bientôt pris pour les mêmes. Mais les avantages des
sciences morales contrebalancent ce désavantage : les inférences qui enchaînent
les idées morales (raisonnements moraux) sont plus courtes que les
démonstrations qui s’appuient sur les idées mathématiques. Cependant, étant
donné le retard de la philosophie morale comparé au progrès de la géométrie, on
peut supposer que la difficulté liée à l’obscurité des idées et l’ambiguïté des
termes est plus épineuse que le soin requis pour poursuivre une chaîne de
raisonnement longue et complexe.
Les idées de pouvoir, force, énergie ou de connexion nécessaire sont les plus
obscures qui soient en métaphysique. Hume va bientôt les prendre comme
synonymes. La méthode pour fixer la signification de ces termes consiste à faire
retour à l’impression d’où dérive leur idée, conformément à ce que Hume a posé
à la fin de la section 2, lorsqu’il a montré que les limites qui distinguent les
impressions sont plus évidentes que celles qui départagent les idées. Toute idée,
rappelle Hume à présent, est une copie d’impression soit externe, soit interne
(impression de sensation ou de réflexion). Il convient de produire l’impression
d’où une idée dérive pour lever son obscurité. Cet éclairage jeté sur les idées par
le truchement de l’examen des impressions est comparé à l’usage d’un
« nouveau microscope » propre aux sciences morales, puisque les idées les plus
simples et les plus infimes peuvent être grossies et devenir objet d’examen.
Pour trouver l’impression d’où dérive l’idée de connexion nécessaire, Hume
examine les source d’où elle pourrait provenir. Ces sources sont aussi des
hypothèses avancées par d’autres philosophes que Hume
b) les sens externes.
C’est la source apparemment la plus évidente pour découvrir la force causale.
Or Hume a montré que lorsque l’on considère un cas singulier de connexion
entre une cause et un effet, on ne peut découvrir aucun pouvoir secret de la
cause à partir de ses qualités sensibles. Tout ce qui apparaît aux sens externes
dans tel cas isolé de production d’un objet, c’est que tel événement en suit un
autre. L’esprit n’a affaire qu’à une succession d’objets (le mouvement d’une
boule suit celui d’une autre boule qui la choque) et s’il considère un premier
objet à sa première apparition, il est totalement incapable de prévoir l’effet qui
s’ensuivra. Les qualités sensibles d’un objet, comme sa solidité, son étendue,
son mouvement, n’indiquent aucun événement qui en résulterait. Certes l'esprit
peut connaître par l’expérience que la chaleur accompagne toujours la flamme,
mais il n’a aucune idée de la connexion qu’il y a entre elles. Bref aucun corps
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ne découvre jamais à l’esprit un quelconque pouvoir qui pourrait être l’origine
de l’idée de connexion nécessaire. L’idée d’une force générale dans la matière,
une force qui mettrait le tout en mouvement, ne peut pas non plus remplir cette
fonction : elle n’apparaît jamais dans aucune des qualités sensibles des corps.
C’est ici une remarque de Locke qui est commentée. Locke supposait que l’on
peut acquérir une certaine idée de pouvoir, à partir de l’expérience des
changements dans la matière. D’après Locke, le « flux continuel » dans lequel se
trouvent les qualités sensibles et les substances fait concevoir à l’esprit que les
êtres sensibles sont sujets au changement. Du coup, l’esprit acquiert l’idée de
pouvoir passif, notamment par l’expérience du mouvement : le mouvement « est
dans le corps une passion plutôt qu’une action ». Par suite, selon Locke, l’esprit
conclut « qu’il y a quelque part un pouvoir capable de faire ce changement » et
il acquiert ainsi une certaine idée de pouvoir actif (Essai, II, 21, 4).
Locke précisait cependant que ce n’est pas tant par le moyen des sens et par
l’observation des corps, mais plutôt par la réflexion que nous faisons sur les
opérations de notre propre esprit que nous acquérons une idée « claire et
distincte » du pouvoir actif. L’idée de pouvoir actif qui vient des corps est
quelque peu « obscure » et « imparfaite » puisqu’elle donne à connaître non pas
le commencement et la production de l’action « mais une simple continuation de
passion ». Au contraire, d’après Locke, la réflexion sur les effets de notre
volonté nous donne une idée claire du pouvoir de commencer une action, soit du
commencement du mouvement, soit du commencement de la pensée. Hume va
aussi critiquer cette assertion, en réfutant les deux hypothèses.
c) examen des effets de la volonté :
c1) sur les organes du corps : le texte FP examine cette hypothèse. Hume ne nie
pas que le mouvement suit la volonté : c’est là un fait d’expérience courante.
Mais Hume avance trois arguments pour montrer que le commandement de
notre volonté sur notre corps ne nous donne aucune idée de la force, du pouvoir,
ou de l’énergie par laquelle ce mouvement se fait. 1. Nous ne connaissons ni la
nature de la substance spirituelle, ni la nature de la substance matérielle, ni le
mystère de leur union. 2. Si nous avions une idée du pouvoir qui nous permet de
mouvoir nos organes, nous saurions pourquoi ce pouvoir est limité à certains
organes seulement. C’est l’expérience et non pas une connaissance intime de la
connexion secrète entre volonté et mouvement du corps qui nous donne à
connaître leur corrélation. 3. Un argument vient de Malebranche : la manière
dont le mouvement de certains esprits animaux ou nerfs aboutit, à terme, au
mouvement d’un membre nous est inconnue. Nous ne connaissons donc pas par
sentiment intérieur le pouvoir originel qui va de la volonté au mouvement
terminal.
c2) sur les idées. Hume utilise des arguments semblables pour montrer, contre
Locke, que le commandement de l’esprit sur ses idées ne donne pas l’idée de
pouvoir actif. 1. La nature de l’âme humaine, des idées et l’éventuelle aptitude
de la première à produire les secondes nous est inconnue. Nous expérimentons
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cette production volontaire d’idées mais la manière dont l’opération est réalisée
passe notre compréhension. 2. Le commandement de l’esprit sur ses idées est
limité : on a plus de pouvoir sur les idées que sur les sentiments ; or nous en
ignorons la raison ultime. La nature de l’autorité en question nous échappe donc.
3. Le troisième argument est neuf : le commandement de l’esprit sur ses idées
varie selon les circonstances, or on n’en peut rendre raison sinon par
l’expérience. Si nous n’avons pas conscience des raisons des variations de la
force, c’est que nous n’avons pas conscience intime de la force elle-même.
d) la volonté de Dieu ne donne pas non plus l’idée de force.
C’est la théorie de l’occasionalisme de Malebranche qui se trouve examinée.
Selon Malebranche, tout le pouvoir actif vient de Dieu et les rencontres des
corps ou encore notre propre volonté, que nous appelons causes, ne sont
qu’autant d’occasions pour Dieu de produire la totalité des effets. Ainsi, c’est
une volonté particulière de Dieu qui crée en moi telle sensation à l’occasion du
mouvement de mon organe sous l’effet de l’application d’un objet extérieur.
Ainsi encore, Dieu supplée à la volonté humaine – proprement inefficace – pour
mouvoir notre bras. Ainsi enfin, il n’y a de vision qu’en Dieu : c’est Lui qui
nous rend présente toutes les idées que nous croyons susciter volontairement
dans notre esprit. Il y a donc un seul moteur dans l’univers et un grand nombre
de causes occasionnelles. Descartes n’avait fait que suggérer que Dieu serait la
force qui meut les corps.
Selon Hume, la doctrine de Malebranche est le résultat d’un certain
dogmatisme philosophique. Certes, certains philosophes comme Malebranche
ont ce privilège sur le « vulgaire », sur la généralité des hommes, qu’ils ont saisi
que l’énergie de la cause nous est toujours inconnue, qu’on ait affaire à des
événements habituels ou à des événements insolites. L’expérience ne donne à
voir qu’une CONJONCTION fréquente d’objets, sans que l’esprit puisse jamais
saisir la nature de leur CONNEXION, du moins quand on recherche cette
connexion dans les objets. Cette découverte devrait selon Hume suffire à
contenter le philosophe. Or Malebranche ne s’est pas contenté de cet aveu
d’ignorance – aveu sceptique – mais il a préféré assigné à tous les effets une
cause unique : Dieu. Ce faisant, les occasionalistes (Mbche, Cordemoy (Six
discours sur la distinction et l’union du corps et de l’âme), Louis de La Forge :
Traité de l’esprit de l’homme) généralisent à tous les événements,
extraordinaires ou ordinaires, l’explication à laquelle le vulgaire n’a recours
qu’en cas de prodige : le recours à un deus ex machina, à un principe invisible
responsable des événements dont on ignore la cause. C’est là pour Hume le
principe de la religion populaire : l’ignorance et la peur font supposer l’existence
d’une puissance invisible et intelligente. Avant Hume, Leibniz avait déjà taxé le
Dieu des cartésiens occasionalistes de deus ex machina. Selon Hume, en
dérobant à la nature toute espèce de pouvoir, les occasionalistes, loin de
magnifier les attributs divins, les diminuent paradoxalement. En effet, il eût été
plus digne du Créateur de régler une fois pour toutes la fabrique du monde en
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faisant en sorte qu’elle serve par sa propre opération tous les desseins de la
Providence, plutôt que de devoir intervenir en toute occasion pour ajuster les
parties de l’univers.
Hume avance deux arguments pour montrer que la théorie de l’énergie
universelle en Dieu ne nous donne aucune idée de la force ou de la connexion
nécessaire. 1. L’analogie est trop éloignée, avec la théorie des causes
occasionnelles, on est au « pays des fées ». On est sorti de la sphère de
l’expérience et de la vie courante par laquelle la spéculation philosophique
devrait être bornée, ainsi que l’a montré Hume dans la section 1. 2. Nous
sommes ignorants de la manière par laquelle l’esprit suprême de Dieu opère sur
lui-même ou sur les corps. Cette idée ne peut pas provenir de la réflexion sur nos
propres facultés puisque cette solution a déjà été écartée. Il n’est en rien plus
compréhensible d’affirmer que le mouvement vient de la volonté de Dieu que
d’affirmer qu’il vient de la matière la plus grossière : notre ignorance est égale
dans les deux cas.
2ème partie :
Après ces résultats négatifs, une source nouvelle va être examinée pour
montrer l’origine de l’idée de connexion nécessaire. Jusqu’ici on s’en est tenu à
l’examen de cas isolés et uniques d’opération des corps sur les corps ou bien
d’opération de la volonté sur les organes ou sur les idées. Il est apparu en
conclusion que les événements sont conjoints (conjoined) mais non pas reliés
(connected) puisque la connexion secrète échappe. Or l’idée de connexion
nécessaire surgit dès lors que l’on prend en compte non pas une instance ou un
événement particulier mais des espèces particulières d’événements et leur
conjonction constante dans l’expérience. La connexion existe mais elle est dans
l’esprit et non pas dans les objets. La connexion nécessaire n’est que la
transition coutumière de l’imagination entre un objet et son corrélatif habituel.
La coutume produit dans l’imagination un sentiment de liaison ou de connexion
et ce sentiment est l’impression-origine de l’idée de connexion nécessaire.
La section se clôt sur une double définition de la cause. Cette définition
impose de faire intervenir des circonstances étrangères à la cause : à savoir un
autre objet, son effet, et une conjonction habituelle soit entre les deux (définition
objective, point de vue objectif) soit dans la pensée qui passe de l’un à l’autre
(définition subjective). Voir p. 158.
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