Améliorer et consolider la représentation des processus dans les modèles intégrés des environnements physiques de la Terre. A. - Eléments de contexte, enjeux scientifiques, état de l'art (national/international) A1 - La modélisation intégrée des systèmes physiques de l'environnement terrestre La modélisation numérique est devenue au fil des années une des pierres angulaires des recherches développées en sciences du climat et de l'environnement. Les modèles intégrés des systèmes physiques complexes de l'environnement terrestre, sont aujourd’hui développés et utilisés tant pour l'étude du climat et de ses possibles modifications futures, que pour la prévision numérique du temps et des conditions océaniques, ou pour la prévision et la surveillance de la qualité du milieu (air ou mer). Nous entendons ici par « modèles intégrés » des modèles couplant un certains nombre de processus de dynamique et physicochimique et visant à un certain degré de réalisme dans la représentation d’un sous système plus ou moins complexe de l’environnement de la Terre, par opposition à la modélisation de processus individuels ou à des modèles plus académiques. La décennie passée a vu arriver à maturité une communauté de "modélisateurs" et un certain nombre de ces outils intégrés : modèles globaux de circulation atmosphérique ou océanique, modèles de climat (utilisés par exemple pour les simulations du GIEC), modèles couplés chimie-climat globaux, modèles méso-échelle permettant de représenter explicitement les phénomènes convectifs, modèles de bio-géochimie marine, etc ... Ces modèles sont différents dans leurs configurations (contenu physique, résolution spatiale) parce que développés pour différents objectifs et échelles spatiotemporelles. Pour autant, les processus individuels sont souvent représentés dans ces modèles sur la base de concepts et 'paramétrisations' relativement similaires. Ces modèles ont également en commun de faire intervenir une grande gamme d'échelles spatiales : échelle à laquelle on représente explicitement la dynamique et le transport dans le milieu considéré, prise en compte de processus sous-maille (dynamique non résolue, hétérogénéités aux interfaces, etc ...), échelle microscopique (chimie, microphysique, ...). A2 – Des processus mal connus à l'origine d'incertitudes majeures sur les modèles L'amélioration de la représentation de certains de ces processus est un élément clef des progrès qui pourront être réalisés dans les prochaines années dans ce domaine. C'est le cas en particulier de la représentation des processus de couche limite et de convection dans les modèles atmosphériques. La rédaction en cours du 4ème rapport du GIEC souligne le poids des nuages de couche limite dans l'amplitude de la réponse climatique à l'augmentation des gaz à effet de serre et dans l'incertitude de la prédiction de ce changement par les modèles de climat. Les processus nuageux, et les nuages de glace en particulier, restent de façon générale une des composantes les plus incertaines du système climatique. Or, s'ils peuvent commencer à être modélisés de façon explicite dans des configurations régionales et sur des échelles de temps courtes, ces processus ne peuvent être représentés dans les modèles globaux aux échelles climatiques qu'au travers de 'paramétrisations' relativement simplifiées (et, de ce point de vue, l’augmentation des capacités de calcul ne permettra pas de s’affranchir totalement des paramétrisations à un terme prévisible). La paramétrisation des couches limites très stables et encore très mal comprises des régions polaires est également un point clef de la simulation d'une des régions les plus sensibles du globe. Et la bonne représentation de ces processus de couche limite et de convection, ainsi que la dynamique des échanges entre la troposphère et la stratosphère, est évidemment essentielle non seulement pour la météorologie mais aussi pour le transport et transformation d'espèces chimiques ou d'aérosols dans l'atmosphère. De même une meilleure représentation de l’impact radiatif des nuages est également importante. On retrouve une problématique similaire dans l'océan ou les processus de mélange doivent être paramétrisés de façon différente suivant qu'on s'intéresse à l'océan global, profond ou à des simulations à très haute résolution des écoulements côtiers, avec là aussi un impact de premier ordre sur le transport de constituants dans l'océan. On peut mentionner également le problème particulièrement sensible des franchissements de seuil dans les océans. La représentation des surfaces continentales est également encore une source de limitations importante du réalisme des modèles. Même si de nombreuses avancées dans ce domaine ont été réalisées ces dernières années, la représentation de nombreux processus reste à améliorer. Au niveau biophysique il est important de mieux représenter l’hydrologie dans les sols ainsi que le routage de l’eau en surface en en sous sol. La thermodynamique doit être également améliorée par une représentation plus explicite des processus à l’intérieur de la canopée. Le rôle des cycles biogéochimiques sur le climat est fondamental. L’amélioration de la représentation des ces processus reste donc un enjeu majeur pour les années à venir. On peut noter en particulier les processus biogéochimiques dans les sols ainsi qu’une représentation du cycle de l’azote. Absent de la plupart des modèles, il est pourtant fondamental de par ces interactions avec le cycle du carbone et de l’eau mais également par son rôle à la fois sur les gaz à effet de serre (e.g le N2O) et sur la chimie atmosphérique (e.g NOx). La prise en compte la dynamique de l’utilisation des sols et des pratiques culturales ainsi que de l’irrigation est également essentielle quand on s’attaque au changement climatique futur. Pour finir, un enjeu majeur pour l’amélioration des processus de surface reste la représentation de l’hétérogénéité sous maille que ce soit au niveau des processus ou de la desagrégation/agrégation des champs échangés à l’interface. chimie ... Chimie rapide/hétérogène. La prise en compte de la chimie (homogène et hétérogène)et de la microphysique des aérosols et de l’interaction aérosols-nuages dans l'atmosphère ou de la bio-géochimie dans l'océan est également un des enjeux à la fois pour l'étude des variations du climat et des cycles mais aussi pour toutes les applications relatives à la qualité du milieu. A noter que certaines composantes comme la bio-géochimie marine sous la couche mélangée sont pour l'essentiel encore inconnues. Dynamique des écosystèmes marins et terrestres. Effets directs/indirects, aérosols, DMS. A3 – De la recherche amont sur la modélisation des processus. La consolidation et l'amélioration du réalisme des modèles passe donc par un travail de fond sur la compréhension de ces processus et sur leur représentation dans les modèles intégrés. Or, ce travail amont est rarement mis en avant dans les grands programmes internationaux comme ENSEMBLES ou GMES qui mettent l'accent en général sur l'utilisation de ces modèles pour une problématique appliquée (prévision saisonnière, prévision du changement climatique, ...). A noter cependant que le programme AMMA, largement soutenu par l'INSU, fait lui une large part à l'amélioration de la modélisation des processus atmosphériques et océaniques mais en en se focalisant sur une zone atelier particulière. Pour que des réels progrès puissent être réalisés, il est de première importance de soutenir, en marge de ces grands programmes appliqués, une recherche de pointe sur l'amélioration de la représentation des processus physiques et dynamiques dans les modèles intégrés, en favorisant, quand c'est possible et profitable, les échanges entre les différents types de modèles, le test sur différentes configurations des mêmes paramétrisations, etc ... Il est par exemple important d'encourager les dynamiques créées récemment et qui visent à tester les mêmes paramétrisations dans différents modèles atmosphériques existant dans la communauté nationale (ARPEGE-climat, ARPEGE-Prévision, méso-NH, AROME, ALARO, LMDZ), ou, dans un même modèle, à la fois pour le climat et couplées à la chimie (voire sur d'autres planètes). Nous sommes à une période particulière où l'arrivée à maturité de plusieurs outils dans la communauté nationale, au terme de lourds investissements de développement, doit permettre de revenir plus sereinement sur le contenu des modèles et de conduire à de réelles avancées dans ce domaine. Ces développements pourront également s'appuyer dans les prochaines années sur l'arrivée de satellites de nouvelle génération (géostationnaires à haute résolution, satellites défilants avec télédétection active, ...), la production en routine d'observations in-situ et de télédétection par des observatoires de surface (type SIRTA) et les campagnes d'observation intégrées comme AMMA. Cela passe aussi par le soutien de profils de chercheurs qui travaillent sur les processus et cherchent à definir des paramétrisations utilisable dans les modèles globaux B - Problèmes scientifiques : angles d'attaque, méthodologie B1 – Le triptyque observation in-situ, modélisation explicite, paramétrisation Grâce à la montée en puissance des moyens de calculs, certains processus représentés au travers de paramétrisations dans les modèles globaux commencent à être représentés explicitement dans des configurations réalistes sur des échelles spatio-temporelles plus petites (simulations des grands tourbillons dans les couches limites océaniques ou atmosphériques, simulations explicites de la convection et des précipitations orageuses ou orographiques avec des mailles kilométriques, simulation résolvant les tourbillons ou les courants côtiers dans l'océan, etc ...). L'arrivée à maturité de ces modèles permet de disposer d'une gamme complète d'outils pour avancer dans la compréhension des processus de petite échelle et leur représentation dans les modèles intégrés. La modélisation explicite des processus est aussi une façon naturelle de faire le lien entre l'échelle de l'observation in-situ , de l’observation à méso-échelle (par télédétection) et paramétrisation. Pour ce qui est de la paramétrisation de la couche limite et de la convection nuageuse, cette approche a déjà fait ses preuves dans des projets internationaux comme EUROCS (une batterie de cas tests ont été construits avec des modèles explicites, en s'appuyant souvent sur des campagnes de terrain, pour tester et inter-comparer des paramétrisations de modèles de climat) ou GCSS. Cette approche est particulièrement bien adaptée à l'exploitation des résultats d'une campagne de terrain comme AMMA. En fonction des problèmes abordés, cette approche devrait également permettre de définir des campagnes dédiées et pilotées par la modélisation. B2 – Approches alternatives. Une alternative consiste à sélectionner ou 'stratifier' les observations d'un côté et les résultats de modèles intégrés de l'autre en fonction de caractéristiques grande échelle, de façon à isoler des situations ou tel ou tel processus est davantage mis en jeu. Cette approche est particulièrement adaptée à l'exploitation de données satellites (et notamment les satellites de nouvelle génération qui vont permettre pour certains d'accéder à une description fine des processus sous-tendant les paramétrisations). Dans le même ordre d'idée, les modèles de grande échelle peuvent également être utilisés dans des configurations à grille raffinée pour attaquer directement des conditions particulières. Ces approches sont particulièrement pertinentes pour l'exploitation des séries longues de données in-situ et de télédétection (ARM, SIRTA) à condition qu'on mette au point là aussi des méthodologies de sélection de cas. Le fait de disposer sur ces sites de séries temporelles longues et quasi-continues de données permet d’aborder les processus aux échelles de temps courtes (diurne et inférieure) et longues (variabilité interannuelle) et d’échantillonner des situations classiques (variations synoptiques et saisonnières) ou exceptionnelles (canicules, tempêtes). B3 – Une recherche pluridisciplinaire Dans un certain nombre de cas, la réussite des développements nécessite qu'on soit capable de mobiliser des compétences au travers de plusieurs disciplines. C'est le cas par exemple quand on s'attaque à l'effet indirect des aérosols qui doit faire intervenir depuis la microphysique jusqu'à la dynamique atmosphérique, les questions de transport-chimie, dans l'atmosphère ou l'océan, déjà mentionnées plus haut, l'hydrologie des surfaces continentales, mesurée à l'échelle de la parcelle par des communautés relativement éloignées de la nôtre. La modélisation des processus est un domaine où il serait profitable de renforcer le lien entre "modélisateurs" théoriciens et expérimentateurs, par exemple avec la communauté des spécialistes de la mécanique des fluides géophysiques. C- proposition d'actions, de programmes, de positionnement (à 4-5 ans) C1 - Mise en oeuvre Pour des raisons à la fois historiques et de connaissance observationnelle ou théorique des différents processus, le degré de maturité est très divers dans les différentes communautés de "modélisateurs". Dans le cas des processus atmosphériques, l'approche explicitée ci-dessus est déjà largement répandue. La dynamique existe entre les différents acteurs - notamment autour des projets physique-commune et AMMA -. Un des objectifs importants pour les 4 ans qui viennent sera de renforcer ces synergies dans l’atmosphère, d’une part (couplages dynamiques, thermodynamique, microphysique), entre l’atmosphère et la surface d’autre part, et pour finir avec la chimie atmosphérique.. Cette extension est en partie prévue déjà dans le cadre d'AMMA. D'autres domaines ne sont pas aussi mûrs et il faut alors promouvoir le lien entre les équipes qui travaillent sur les mesures locales et la modélisation intégrée quand ce n'est pas fait. Une difficulté supplémentaire, pour les surfaces continentales par exemple, vient du fait que les modélisateurs de la grande échelle et les chercheurs travaillant sur les processus dépendent de divisions différentes du CNRS. Il faut donc renforcer les liens avec les sections du CNRS concernées par des programmes communs par exemple ou une concertation par rapport à la prospective. C2 - Soutien aux activités de développement En matière de développement de paramétrisation et de modélisation, le nerf de la guerre, c'est le personnel et les moyens de calculs, et des moyens significatifs sont dépensés dans ce domaine par les instituts de recherche publics français. En revanche, les besoins annexes de la communauté sont relativement marginaux (missions, publications). La vitalité de la recherche dans ce domaine nécessite donc qu'on soit capable de pérenniser sous une forme ou sous une autre des soutiens de base appropriés aux travaux de développement amont. Or ces actions sont souvent relativement difficiles à défendre dans le cadre des programme existants, soit parce qu'ils ne sont pas assez spécifiquement grande échelle pour le PNEDC, soit pas assez exclusivement méso-échelle pour le PATOM, ou parce qu'ils sont à cheval entre climat et chimie, ou avec les surfaces continentales, etc La procédure ACI permettrait d’encourager le développement de telles actions. La solution avancée du guichet unique (un projet de recherche unique co-financée par différents programmes) peut être une solution. Mais ne faut il pas penser plus en amont à trouver un moyen de financer sans administration superflue le soutien de base nécessaire à toute activité de recherche et laisser travailler les comités de sélection quand des arbitrages lourds sont en jeu ? C3 - Liens avec l'observation Une partie importante des recherches en modélisation peut reposer sur des observations déjà existantes ou programmées. On peut penser à l’exploitation sous un angle nouveau des données des expériences TOGACOARE, FASTEX, MAP, etc… De ce point de vue, une incitation pourrait être faite sur la valorisation de campagnes passées utilisées comme un ensemble de données. On a déjà souligné d’autre part l'apport attendu des nouvelles générations de satellites et des mesures in-situ routinières. Mais on peut penser également, le cas échéant, proposer des campagnes d'observation dédiées à une question particulière. La question est donc posée de savoir si il ne faudrait pas favoriser le développement de campagnes dédiées, motivées par la modélisation, et de taille inférieures aux grandes campagnes comme AMMA (on peut penser aux exemples de PYREX dans les années 80 ou MAP dans les années 90).. Si une telle option est retenue, il est important que ces campagnes puissent s'appuyer sur des dynamiques pluridisciplinaires (Dynamique/chimie/surface/rayonnement). Une action doit être menée également au niveau des observatoires. La labellisation des observatoires a privilégié récemment la reconnaissance de mesures dédiées d'une quantité particulière observée sur le long terme. Or cette approche est orthogonale aux besoins de la modélisation mentionnés ci-dessus qui nécessite au contraire qu'on soit capable de co-localiser au maximum un jeu de données multi-varié (par exemple le regroupement physique des données de composition de l'atmosphère du LSCE, de télédétection active et passive, ou les données de sol disponibles sur des sites proches comme ...). Nous proposons qu'une réflexion soit rapidement menée en ce sens. Dans tous les cas, il est important de mettre l'accent sur la nécessité d'aller jusqu'à l'étape de test des nouvelles paramétrisations dans des modèles intégrés. Il semble que dans certains cas, des campagnes récentes, justifiées par la modélisation, n'aient pas abouti à une mise en oeuvre et au tests de nouvelles approches dans des modèles intégrés faute de communication entre certaines communauté. Les programmes doivent chercher les moyens de mobiliser plus de chercheurs sur ce travail de concertation entre études de processus/développement de paramétrisations/intégration dans un modèle.