Le drame romantique 1. Tragédie et comédie Dès l’Antiquité grecque, on distingue la tragédie et la comédie. Cette distinction est fondamentale dans le théâtre français du XVIIe siècle qui obéit à des règles strictes : Corneille et Racine illustrent le premier genre ; Molière, le second. Complétez ce tableau en vous référant au cours vu en 4e. Tragédie Comédie Dénouement Ecriture Personnages Cadre temporel Ton Langage Sujets 2. Andromaque de RACINE Lisez et analysez la scène d’exposition. Voici un résumé succinct de l’intrigue de cette tragédie écrite en 1667. A la suite de la ruine de Troie, Andromaque, veuve d’Hector, et son fils Astyanax sont captifs de Pyrrhus, fils d’Achille et roi d’Epire. Pyrrhus devait épouser Hermione, mais il aime sa prisonnière. Or les grecs lui envoient un ambassadeur pour exiger la vie d’Astyanax : Oreste, épris d’Hermione. Pyrrhus promet à Andromaque de sauver son fils, si elle l’épouse. Dans un premier temps, Andromaque refuse et va même supplier Hermione pour son fils. Elle finit par se résoudre à accepter le mariage avec le projet de se tuer après la cérémonie. Hermione, folle de rage amoureuse, demande à Oreste d’assassiner Pyrrhus. Lorsque Oreste lui annonce la mort de Pyrrhus, Hermione l’accueille par des imprécations et se poignarde. On apprend que Andromaque a soulevé le peuple contre les Grecs. Oreste sombre dans la folie. Retrouvez, dans la scène 1 et le résumé, des caractéristiques de la tragédie reprises dans le tableau. RACINE Andromaque ACTE PREMIER SCENE PREMIERE : Oreste , Pylade ORESTE Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle, Ma fortune va prendre une face nouvelle ; Et déjà son courroux semble s'être adouci, Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici. Qui l'eût dit, qu'un rivage à mes voeux si funeste Présenterait d'abord Pylade aux yeux d'Oreste? Qu'après plus de six mois que je t'avais perdu, A la cour de Pyrrhus tu me serais rendu? PYLADE J'en rends grâces au Ciel, qui, m'arrêtant sans cesse, Semblait m'avoir fermé le chemin de la Grèce, Depuis le jour fatal que la fureur des eaux Presque aux yeux de l'Épire écarta nos vaisseaux. Combien dans cet exil ai-je souffert d'alarmes! Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes, Craignant toujours pour vous quelque nouveau danger Que ma triste amitié ne pouvait partager! Surtout je redoutais cette mélancolie Où j'ai vu si longtemps votre âme ensevelie. Je craignais que le Ciel, par un cruel secours, Ne vous offrît la mort que vous cherchiez toujours. Mais je vous vois, Seigneur ; et, si j'ose le dire, Un destin plus heureux vous conduit en Épire Le pompeux appareil qui suit ici vos pas N'est point d'un malheureux qui cherche le trépas. ORESTE Hélas! Qui peut savoir le destin qui m'amène? L'amour me fait ici chercher une inhumaine, Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort, Et si je viens chercher ou la vie ou la mort? PYLADE Quoi! Votre âme à l'amour en esclave asservie Se repose sur lui du soin de votre vie? Par quel charme, oubliant tant de tourments soufferts, Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers? Pensez-vous qu'Hermione, à Sparte inexorable, Vous prépare en Épire un sort plus favorable? Honteux d'avoir poussé tant de voeux superflus, Vous l'abhorriez ; enfin, vous ne m'en parliez plus. Vous me trompiez, Seigneur. ORESTE Je me trompais moi-même. Ami, n'accable point un malheureux qui t'aime. T'ai-je jamais caché mon coeur et mes désirs? Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs. Enfin, quand Ménélas disposa de sa fille En faveur de Pyrrhus, vengeur de sa famille, Tu vis mon désespoir ; et tu m'as vu depuis Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis. Je te vis à regret, en cet état funeste, Prêt à suivre partout le déplorable Oreste, Toujours de ma fureur interrompre le cours, Et de moi-même enfin me sauver tous les jours. Mais quand je me souvins que, parmi tant d'alarmes, Hermione à Pyrrhus prodiguait tous ses charmes Tu sais de quel courroux mon coeur alors épris Voulut en l'oubliant punir tous ses mépris. Je fis croire et je crus ma victoire certaine ; Je pris tous mes transports pour des transports de haine ; Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits, Je défiais ses yeux de me troubler jamais. Voilà comme je crus étouffer ma tendresse. En ce calme trompeur j'arrivai dans la Grèce, Et je trouvai d'abord ses princes rassemblés, Qu'un péril assez grand semblait avoir troublés. J'y courus. Je pensais que la guerre et la gloire De soins plus importants rempliraient ma mémoire ; Que, mes sens reprenant leur première vigueur, L'amour achèverait de sortir de mon coeur. Mais admire avec moi le sort dont la poursuite Me fait courir alors au piège que j'évite. J'entends de tous côtés qu'on menace Pyrrhus ; Toute la Grèce éclate en murmures confus ; On se plaint qu'oubliant son sang et sa promesse, Il élève en sa cour l'ennemi de la Grèce, Astyanax, d'Hector jeune et malheureux fils, Reste de tant de rois sous Troie ensevelis. J'apprends que pour ravir son enfance au supplice Andromaque trompa l'ingénieux Ulysse, Tandis qu'un autre enfant, arraché de ses bras, Sous le nom de son fils fut conduit au trépas. On dit que, peu sensible aux charmes d'Hermione, Mon rival porte ailleurs son coeur et sa couronne. Ménélas, sans le croire, en paraît affligé Et se plaint d'un hymen si longtemps négligé. Parmi les déplaisirs où son âme se noie, Il s'élève en la mienne une secrète joie. Je triomphe ; et pourtant je me flatte d'abord Que la seule vengeance excite ce transport. Mais l'ingrate en mon coeur reprit bientôt sa place. De mes feux mal éteints je reconnus la trace, Je sentis que ma haine allait finir son cours, Ou plutôt je sentis que je l'aimais toujours. Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage. On m'envoie à Pyrrhus, j'entreprends ce voyage. Je viens voir si l'on peut arracher de ses bras Cet enfant dont la vie alarme tant d’Etats. Heureux si je pouvais, dans l'ardeur qui me presse, Au lieu d'Astyanax lui ravir ma princesse! Car enfin n'attends pas que mes feux redoublés Des périls les plus grands puissent être troublés. Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine, Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne. J'aime ; je viens chercher Hermione en ces lieux, La fléchir, l'enlever, ou mourir à ses yeux. Toi qui connais Pyrrhus, que penses-tu qu'il fasse? Dans sa cour, dans son coeur, dis-moi ce qui se passe. Mon Hermione encor le tient-elle asservi? Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu'il m'a ravi? PYLADE Je vous abuserais, si j'osais vous promettre Qu'entre vos mains, Seigneur, il voulût la remettre : Non que de sa conquête il paraisse flatté ; Pour la veuve d'Hector ses feux ont éclaté ; Il l'aime. Mais enfin cette veuve inhumaine N'a payé jusqu'ici son amour que de haine ; Et chaque jour encor on lui voit tout tenter Pour fléchir sa captive, ou pour l'épouvanter. De son fils, qu'il lui cache, il menace la tête, Et fait couler des pleurs, qu'aussitôt il arrête. Hermione elle-même a vu plus de cent fois Cet amant irrité revenir sous ses lois, Et, de ses voeux troublés lui rapportant l'hommage, Soupirer à ses pieds moins d'amour que de rage. Ainsi n'attendez pas que l'on puisse aujourd'hui Vous répondre d'un coeur si peu maître de lui : Il peut, Seigneur, il peut, dans ce désordre extrême, Épouser ce qu'il hait et punir ce qu'il aime. ORESTE Mais dis-moi de quel oeil Hermione peut voir Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir? PYLADE Hermione, Seigneur, au moins en apparence, Semble de son amant dédaigner l'inconstance Et croit que, trop heureux de fléchir sa rigueur, Il la viendra presser de reprendre son coeur. Mais je l'ai vue enfin me confier ses larmes : Elle pleure en secret le mépris de ses charmes. Toujours prête à partir, et demeurant toujours, Quelquefois elle appelle Oreste à son secours. ORESTE Ah! Si je le croyais, j'irais bientôt, Pylade, Me jeter... PYLADE Achevez, Seigneur, votre ambassade. Vous attendez le Roi. Parlez, et lui montrez Contre le fils d'Hector tous les Grecs conjurés. Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse, Leur haine ne fera qu'irriter sa tendresse. Plus on les veut brouiller, plus on va les unir. Pressez, demandez tout, pour ne rien obtenir. Il vient. ORESTE Eh bien! Va donc disposer la cruelle A revoir un amant qui ne vient que pour elle. 3. Roméo et Juliette de SHAKESPEARE Voici un résumé très succinct du drame de Shakespeare écrit en 1594. Comparez cette intrigue à celle de Andromaque en utilisant comme base de comparaison les caractéristiques de la tragédie classique. Dans la ville italienne de Vérone, à l’époque de la Renaissance, deux familles nobles, les Montaigu et les Capulet, se vouent une haine mortelle. Cependant, Roméo, un Montaigu, aime Juliette, une Capulet. Ils bravent donc les interdits familiaux et surmontent leurs propres préjugés. Ils se marient en secret, mais Roméo est exilé pour avoir tué en duel un cousin de Juliette. Forcée d’épouser un homme qu’elle déteste, elle absorbe un narcotique puissant et passe pour morte. Roméo, croyant au décès de Juliette, s’empoisonne. Lorsqu’elle se réveille, Juliette se poignarde sur le cadavre de son bien-aimé. Voici la première scène du Roméo et Juliette de Shakespeare. Cette scène serait impensable dans une tragédie classique française. Pour quelles raisons ? SCENE 1 Vérone. Une place publique. Entrent SAMSON et GREGOIRE, de la Maison Capulet, avec épées et boucliers. SAMSON Ma parole, Grégoire ! nous ne mettrons pas ça dans notre sac. GREGOIRE Hé non, parce qu’alors nous serions des chiffonniers. SAMSON Je veux dire que si on nous met en colère, nous tirerons l’épée ! GREGOIRE Hé oui, car dans la vie faut toujours se tirer des pieds. SAMSON Je frappe vite, quand on m’énerve. GREGOIRE Mais t’es pas assez vite énervé pour frapper. SAMSON Un chien de la Maison de Montague, ça m’énerve. GREGOIRE S’énerver, c’est se remuer, pour être brave faut se tenir tranquille. Donc si tu t’énerves tu fous le camp. SAMSON Un chien de cette Maison-là ça m’énerve à me tenir tranquille ! Je prendrai le côté du mur contre les hommes et contre les filles de Montague ! GREGOIRE Ce qui prouve que t’es un faible esclave : le plus faible, il se met au mur. SAMSON Bien dit : et puisque les femmes c’est de la vaisselle fragile, elles sont toujours contre le mur ; alors j’écarterai du mur les hommes de Montague, et je presserai les filles sur le mur ! GREGOIRE La querelle est entre les maîtres, et entre nous les hommes. SAMSON C’est tout pareil ! Je me montrerai un tyran. Après que j’aurai battu les hommes, je serai cruel avec les filles. Je les passerai au fil de l’épée. GREGOIRE Au fil de l’épée les filles ? SAMSON Oui, je les passerai au fil de l’épée ou je les enfilerai, prends-le dans le sens qui te plaira. GREGOIRE Celles qui le sentiront, elles le prendront dans le vrai. SAMSON Et elles le sentiront, mon vieux ! Tant que je serai capable de tenir ferme. Car tu sais, je suis un assez joli morceau de chair. GREGOIRE Hé ! on sait bien que t’es pas un poisson. Si t’étais un poisson, tu ne serais qu’un merlan. Allons, tirele ton instrument : en voilà deux de la Maison de Montague. Entrent ABRAHAM et BALTHASAR SAMSON Mon épée nue est tirée. Toi, querelle ! je suis dans ton dos. GREGOIRE Ouais ! dans mon dos. Pour filer ? SAMSON Aie pas peur. GREGOIRE Par la Vierge, avoir peur de toi ? SAMSON Gardons la loi pour nous et laissons-les commencer. GREGOIRE En passant devant eux, je les regarderai de travers, et qu’ils le prennent comme ils voudront. SAMSON Non, comme ils oseront ! Je vais mordre mon pouce à leur figure, et, tu sais, c’est un déshonneur pour eux s’ils le supportent. ABRAHAM Est-ce pour nous que vous vous mordez le pouce, Monsieur ? SAMSON Je mords mon pouce, Monsieur. ABRAHAM Est-ce pour nous que vous vous mordez le pouce, Monsieur ? SAMSON, à Grégoire La loi est-elle de notre côté si je dis oui ? GREGOIRE Non. SAMSON Non, Monsieur, ce n’est pas pour vous que je mords mon pouce, Monsieur, mais je mords mon pouce, Monsieur. GREGOIRE Est-ce que vous cherchez une querelle, Monsieur ? ABRAHAM Une querelle, Monsieur ? Non, Monsieur. SAMSON Parce que si vous cherchez une querelle, Monsieur, je suis votre homme, Monsieur. Je sers un aussi bon maître que vous. ABRAHAM Mais pas meilleur. SAMSON Bon, Monsieur. Entre BENVOLIO GREGOIRE, à Samson Dis « meilleur » : je vois venir un des parents du patron. SAMSON Oui, meilleur, Monsieur. ABRAHAM Vous mentez. SAMSON Dégainez, si vous êtes des hommes. Grégoire, souviens-toi de la fameuse botte. Ils se battent. BENVOLIO Arrière, fous ! Rentrez vos épées, vous ne savez pas ce que vous faites. Il rabat leurs épées. Entre TYBALT TYBALT Quoi, tu as tiré l’épée parmi ces biches sans cœur ? Tourne-toi, Benvolio, et regarde ta mort. BENVOLIO Je ne fais que maintenir la paix : Rentre ton épée, ou manie-la pour séparer ces gens. TYBALT Allons, l’épée tirée, parler de paix ? Ce mot, je le hais Comme je hais l’enfer, tous les Montague et toi : En garde, couard ! Voici un extrait de la dernière scène de la pièce de Shakespeare. Frère Laurent, un moine franciscain, témoin et complice des amours de Roméo et Juliette, raconte l’histoire de ceux-ci à leurs parents et au Prince de Vérone. Comparez le style de cette scène à celui de la première. Que pouvez-vous conclure de cette comparaison ? FRERE LAURENT Je serai bref car le peu de temps qui reste à mon souffle N’est pas aussi long que ce sombre récit. Roméo, ici mort était le mari de cette Juliette Et elle, ici morte : la fidèle épouse de ce Roméo. Je les mariai ; le jour de leurs noces cachées, Ce fut le jour où mourut Tybalt, et cette mort Fit bannir le jeune marié de notre ville ; Pour lui, non pour Tybalt, Juliette languissait. Vous, afin de lever le siège de sa douleur, L’ayant fiancée, voulûtes la marier de force Au comte Paris ; elle vint me trouver Et avec des yeux fous me dit d’imaginer Quelque moyen de la sauver de ce mariage ; Sinon elle se tuerait dans ma cellule. Alors, instruit par mon art, je lui donnai Un stupéfiant qui produisit l’effet que j’attendais Car sur elle il coula la forme de la mort. Cependant j’écrivais aussi à Roméo Pour qu’il vînt en cette horrible nuit-ci M’aider à la retirer de sa fausse tombe Quand l’effet du poison se serait épuisé. Mais celui qui portait ma lettre, Frère Jean, Par un accident se trouvait retardé Et hier soir me rendait ma lettre. Alors, tout seul A l’heure prévue pour son réveil je suis venu La prendre au caveau, pour la garder cachée Jusqu’au jour où Roméo serait prévenu. Quand j’arrivai, Un peu avant le réveil, ici gisaient Le noble Paris, le fidèle Roméo. Elle se réveillait ; je la suppliai de s’enfuir, De supporter avec résignation l’œuvre du ciel ; Mais un bruit m’effraya, m’éloigna de la tombe Et elle trop navrée pour partir avec moi, Contre elle-même il semble bien fit violence. C’est tout ce que je sais ; Et du mariage la Nourrice était avertie. Si en tout cela Une chose avorta par ma faute, que ma vieille vie Quelques heures avant son temps soit sacrifiée À la sévérité de la plus dure loi. 4. Un texte théorique : Victor HUGO, Préface de « Cromwell », 1827(extraits). Les Romantiques préfèreront Shakespeare à Racine. Pourquoi ? Qu’est-ce que le drame romantique selon Hugo? Nous voici parvenus à la sommité poétique des temps modernes. Shakespeare, c'est le Drame ; et le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, le drame est le caractère propre (…) de la littérature actuelle.(…) Voilà ce qu'a su faire entre tous, d'une manière qui lui est propre et qu'il serait aussi inutile qu'impossible d'imiter, Shakespeare, ce dieu du théâtre, en qui semblent réunis, comme dans une trinité, les trois grands génies caractéristiques de notre scène : Corneille, Molière, Beaumarchais. On voit combien l'arbitraire distinction des genres croule vite devant la raison et le goût. On ne ruinerait pas moins aisément la prétendue règle des deux unités. Nous disons deux et non trois unités, l'unité d'action ou d'ensemble, la seule vraie et fondée, étant depuis longtemps hors de cause. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que les routiniers prétendent appuyer leur règle des deux unités sur la vraisemblance, tandis que c'est précisément le réel qui la tue. Quoi de plus invraisemblable et de plus absurde en effet que ce vestibule, ce péristyle, cette antichambre, lieu banal où nos tragédies ont la complaisance de venir se dérouler, où arrivent, on ne sait comment, les conspirateurs pour déclamer contre le tyran, le tyran pour déclamer contre les conspirateurs, chacun à leur tour (…) Il résulte de là que tout ce qui est trop caractéristique, trop intime, trop local, pour se passer dans l'antichambre ou dans le carrefour, c'est-à-dire tout le drame, se passe dans la coulisse. Nous ne voyons en quelque sorte sur le théâtre que les coudes de l'action ; ses mains sont ailleurs. Au lieu de scènes, nous avons des récits ; au lieu de tableaux, des descriptions. De graves personnages placés, comme le chœur antique, entre le drame et nous, viennent nous raconter ce qui se fait dans le temple, dans le palais, dans la place publique, de façon que souventes fois nous sommes tentés de leur crier : " Vraiment ! mais conduisez-nous donc làbas ! On s'y doit bien amuser, cela doit être beau à voir ! " A quoi ils répondraient sans doute : " Il serait possible que cela vous amusât ou vous intéressât, mais ce n'est point là la question ; nous sommes les gardiens de la dignité de la Melpomène française. " Voilà ! (…) L'unité de temps n'est pas plus solide que l'unité de lieu. L'action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu'encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. Verser la même dose de temps à tous les événements ! appliquer la même mesure sur tout ! On rirait d'un cordonnier qui voudrait mettre le même soulier à tous les pieds. Croiser l'unité de temps à l'unité de lieu comme les barreaux d'une cage, et y faire pédantesquement entrer, de par Aristote, tous ces faits, tous ces peuples, toutes ces figures que la providence déroule à si grandes masses dans la réalité ! c'est mutiler hommes et choses, c'est faire grimacer l'histoire. (…) Il suffirait enfin, pour démontrer l'absurdité de la règle des deux unités, d'une dernière raison, prise dans les entrailles de l'art. C'est l'existence de la troisième unité, l'unité d'action, la seule admise de tous parce qu'elle résulte d'un fait : l'œil ni l'esprit humain ne sauraient saisir plus d'un ensemble à la fois. Celle-là est aussi nécessaire que les deux autres sont inutiles. C'est elle qui marque le point de vue du drame ; or, par cela même, elle exclut les deux autres. Il ne peut pas plus y avoir trois unités dans le drame que trois horizons dans un tableau. (…) Disons-le donc hardiment. Le temps en est venu, et il serait étrange qu'à cette époque, la liberté, comme la lumière, pénétrât partout, excepté dans ce qu'il y a de plus nativement libre au monde, les choses de la pensée. Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes. Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l'art ! Il n'y a ni règles, ni modèles ; ou plutôt il n’y a d’autres règles que les lois générales de la nature qui planent sur l’art tout entier, et les lois spéciales qui pour chaque composition résultent des conditions d’existence propres à chaque sujet. (…) On conçoit que, pour une œuvre de ce genre, si le poète doit choisir dans les choses (et il le doit), ce n'est pas le beau, mais le caractéristique. Non qu'il convienne de faire, comme on dit aujourd'hui, de la couleur locale, c'est-à-dire d'ajouter après coup quelques touches criardes çà et là sur un ensemble du reste parfaitement faux et conventionnel. Ce n'est point à la surface du drame que doit être la couleur locale, mais au fond, dans le cœur même de l'œuvre, d'où elle se répand au dehors, d'elle-même, naturellement, également, et, pour ainsi parler, dans tous les coins du drame, comme la sève qui monte de la racine à la dernière feuille de l'arbre. Le drame doit être radicalement imprégné de cette couleur des temps ; elle doit en quelque sorte y être dans l'air, de façon qu'on ne s'aperçoive qu'en y entrant et qu'en en sortant qu'on a changé de siècle et d'atmosphère. (…) Nous n'hésitons pas, et ceci prouverait encore aux hommes de bonne foi combien peu nous cherchons à déformer l'art, nous n'hésitons point à considérer le vers comme un des moyens les plus propres à préserver le drame (…) contre l'irruption du commun ( …). Et ici, que la jeune littérature, déjà riche de tant d'hommes et de tant d'ouvrages, nous permette de lui indiquer une erreur où il nous semble qu'elle est tombée, erreur trop justifiée d'ailleurs par les incroyables aberrations de la vieille école. Le nouveau siècle est dans cet âge de croissance où l'on peut aisément se redresser. (…) Cette muse, on le conçoit, est d'une bégueulerie rare. Accoutumée qu'elle est aux caresses de la périphrase, le mot propre, qui la rudoierait quelquefois, lui fait horreur. Il n'est point de sa dignité de parler naturellement. (…) Cette Melpomène, comme elle s'appelle, frémirait de toucher une chronique. Elle laisse au costumier le soin de savoir à quelle époque se passent les drames qu'elle fait. L'histoire à ses yeux est de mauvais ton et de mauvais goût. Comment, par exemple, tolérer des rois et des reines qui jurent ? Il faut les élever de leur dignité royale à la dignité tragique. C'est dans une promotion de ce genre qu'elle a anobli Henri IV. C'est ainsi que le roi du peuple, nettoyé par M. Legouvé, a vu son ventre-saint-gris chassé honteusement de sa bouche par deux sentences, et qu'il a été réduit, comme la jeune fille du fabliau, à ne plus laisser tomber de cette bouche royale que des perles, des rubis et des saphirs ; le tout faux, à la vérité. (…) On comprend que dans tout cela la nature et la vérité deviennent ce qu'elles peuvent. Ce serait grand hasard qu'il en surnageât quelque débris dans ce cataclysme de faux art, de faux style, de fausse poésie. Voilà ce qui a causé l'erreur de plusieurs de nos réformateurs distingués. Choqués de la roideur, de l'apparat, du pomposo de cette prétendue poésie dramatique, ils ont cru que les éléments de notre langage poétique étaient incompatibles avec le naturel et le vrai. L'alexandrin les avait tant de fois ennuyés, qu'ils l'ont condamné, en quelque sorte, sans vouloir l'entendre, et ont conclu, un peu précipitamment peut-être, que le drame devait être écrit en prose. Ils se méprenaient. Si le faux règne en effet dans le style comme dans la conduite de certaines tragédies françaises, ce n'était pas aux vers qu'il fallait s'en prendre, mais aux versificateurs. Il fallait condamner, non la forme employée, mais ceux qui avaient employé cette forme ; les ouvriers, et non l'outil. (…) Le vers est la forme optique de la pensée. Voilà pourquoi il convient surtout à la perspective scénique. Fait d'une certaine façon, il communique son relief à des choses qui, sans lui, passeraient insignifiantes et vulgaires. (…) 5. Le Romantisme. Rappel des caractéristiques du mouvement romantique et de quelques représentants. Exposé du professeur : prise de notes. 6. Victor HUGO, Hernani ou l’honneur castillan, 1830. Cette pièce est à l’origine d’une « bataille » célèbre ! Le champ de la « bataille d’Hernani » 25 février 1830, les partisans du romantisme occupent, des heures avant la représentation, la Comédie-Française. L’élégance provocante, la barbe et les cheveux longs, le cœur enflammé par des débats et des vers, ils attendent de pied ferme l’ennemi : les classiques. Depuis des jours, l’effervescence va croissant parmi les littérateurs, les journalistes, les politiques. Victor Hugo, jeune poète de vingt-huit ans, militant depuis la préface de Cromwell pour un drame moderne, auteur interdit de Marion Delorme, opposant déclaré et incompris à la peine de mort, vient d’achever une nouvelle pièce Hernani ou l’honneur castillan. Les fuites permises par un censeur indélicat ont alimenté la polémique ; la crainte du scandale et de l’échec a conduit l’auteur et la direction du théâtre à se passer de la claque rémunérée pour ne s’appuyer que sur des fidèles. À quelques minutes du lever du rideau, la tension est à son comble. Première réplique, première provocation : l’enjambement de « C’est bien à l’escalier/Dérobé » fait frémir les tenants de la prosodie classique. Quand l’assistance découvre ensuite un roi d’Espagne qui s’enferme dans un placard, les esprits s’enflamment. La bataille du premier soir est remportée par les partisans de la pièce. C’est un triomphe. Les comédiens, en particulier Mlle Mars en Doña Sol, ont soutenu avec brio la pièce. Trente-huit représentations suivront en 1830 qui, à quelques exceptions près, seront autant de batailles durant lesquelles sifflets, applaudissements, exclamations, rires, altercations mettront à l’épreuve le talent impassible de la troupe. Hernani fait voler en éclats les règles du théâtre classique définies au XVIIe siècle. Les unités de temps, de lieu et d’action ne sont pas respectées. L’alexandrin est bousculé par des enjambements et des césures inhabituels. L’irruption du concret ou du familier dans le texte soulève des protestations. À l’inverse, on reproche à l’auteur les excès de lyrisme et l’expression trop directe des sentiments, en clair, le côté mélodrame populaire de la pièce. Le style est considéré comme systématique et exagéré. À cette bataille proprement littéraire s’ajoute une bataille sociale. Trop d’inconvenances sociales et morales émaillent la pièce. La noblesse du comportement du bandit Hernani et l’attitude brutale du roi Don Carlos constituent un renversement de situation inacceptable, de même que l’amour de la fille d’un grand d’Espagne exprimé sans retenue à un homme de basse extraction. On admire la puissance d’imagination du poète, mais on regrette qu’il la mette au service d’une histoire si extravagante. Mais la vraie bataille, c’est Hugo qui nous en donne l’enjeu dans sa préface, elle est politique. « À peuple nouveau, art nouveau » nous dit-il. Contre les ultras favorables aux Bourbons, mais aussi contre les libéraux, conservateurs en art, Hugo écrit pour la France de 1830 née de la Révolution et veut délivrer la scène des formes littéraires établies pour la Cour. Les allusions à la religion ou à la royauté ont été gommées avant la représentation, reste un formidable appel à la liberté d’expression, au service de la Liberté. Comme l’écrit Anne Ubersfeld, le véritable enjeu de la bataille d’Hernani est « démocratique ». Joël Huthwohl,Conservateur-archiviste de la Comédie-Française Voici la scène d’exposition de Hernani. Montrez en quoi cette première scène est représentative du drame romantique défendu par Hugo. ACTE PREMIER Scène première Saragosse. Une chambre à coucher, la nuit. Une lampe sur une table. Doña Josefa Duarte, vieille, en noir, avec le corps de sa jupe cousu de jais à la mode d'Isabelle-laCatholique ; Don Carlos. DOÑA JOSEFA, seule. Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenêtre, et met en ordre quelques fauteuils. On frappe à une petite porte dérobée à droite. Elle écoute. On frappe un second coup. Serait-ce déjà lui? C'est bien à l'escalier Dérobé. Un quatrième coup. Vite, ouvrons. Elle ouvre la petite porte masquée. Entre don Carlos, le manteau sur le visage et le chapeau sur les yeux. Bonjour, beau cavalier. Elle l'introduit. Il écarte son manteau, et laisse voir un riche costume de velours et de soie à la mode castillane de 1519. Elle le regarde sous le nez et recule. Quoi! Seigneur Hernani, ce n'est pas vous? — Main-forte! Au feu ! DON CARLOS, lui saisissant le bras. Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte! Il la regarde fixement. Elle se tait effrayée. Suis-je chez doña Sol, fiancée au vieux duc De Pastrana, son oncle, un bon seigneur, caduc, Vénérable et jaloux? Dites. La belle adore Un cavalier sans barbe et sans moustache encore, Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux, Le jeune amant sans barbe, à la barbe du vieux. Suis-je bien informé? Elle se tait. Il la secoue par le bras. Vous répondrez, peut-être. DOÑA JOSEFA. Vous m'avez défendu de dire deux mots, maître. DON CARLOS. Aussi n'en veux-je qu'un. — oui, non. — ta dame est bien Doña Sol De Silva? Parle. DOÑA JOSEFA. Oui. Pourquoi? DON CARLOS. Pour rien. Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure? DOÑA JOSEFA. Oui. DON CARLOS. Sans doute elle attend son jeune? DOÑA JOSEFA. Oui. DON CARLOS. Que je meure! DOÑA JOSEPHA. Oui. DON CARLOS. Duègne, c'est ici qu'aura lieu l'entretien? DOÑA JOSEFA. Oui. DON CARLOS. Cache-moi céans. DOÑA JOSEFA. Vous? DON CARLOS. Moi. DOÑA JOSEFA. Pourquoi? DON CARLOS. Pour rien. DOÑA JOSEFA. Moi, vous cacher? DON CARLOS. Ici. DOÑA JOSEFA. Jamais. DON CARLOS, tirant de sa ceinture un poignard et une bourse. Daignez, madame, choisir de cette bourse ou bien de cette lame. DOÑA JOSEFA, prenant la bourse. Vous êtes donc le diable? DON CARLOS. Oui, duègne. DOÑA JOSEFA, ouvrant une armoire étroite dans le mur. Entrez ici. DON CARLOS, examinant l'armoire. Cette boîte! DOÑA JOSEFA, refermant l'armoire. Va-t'en, si tu n'en veux pas. DON CARLOS, rouvrant l'armoire. Si. L'examinant encore. Serait-ce l'écurie où tu mets d'aventure Le manche du balai qui te sert de monture? Il s'y blottit avec peine. Ouf! DOÑA JOSEFA, joignant les mains avec scandale. Un homme ici! DON CARLOS, dans l'armoire restée ouverte. C'est une femme, est-ce pas, Qu'attendait ta maîtresse? DOÑA JOSEFA. Ô ciel! J'entends le pas De doña Sol. Seigneur, fermez vite la porte. Elle pousse la porte de l'armoire qui se referme. DON CARLOS, de l'intérieur de l'armoire. Si vous dites un mot, duègne, vous êtes morte. DOÑA JOSEFA, seule. Qu'est cet homme? Jésus mon dieu! Si j'appelais?... Qui? Hors madame et moi, tout dort dans le palais. Bah! L'autre va venir. La chose le regarde. Il a sa bonne épée, et que le ciel nous garde De l'enfer! Pesant la bourse. Après tout, ce N'est pas un voleur. Entre doña Sol, en blanc. Doña Josefa cache la bourse. Voici un résumé de la pièce. Acte I Le roi Le roi d'Espagne Don Carlos et un proscrit chef de bande Hernani, qui veut venger son père jadis mis à mort par le père du roi, se trouvent face à face dans la chambre de Dona Sol, dont ils sont épris. La Jeune fille aime Hernani mais elle est fiancée à son oncle, Don Ruy Gomez de Silva, qui s'indigne en voyant deux hommes chez sa nièce. Le roi justifie sa présence et fait passer Hernani pour quelqu'un de sa suite. Acte II Le bandit Don Carlos rode autour du palais de Silva. Il tombe sur Hernani qui est venu enlever Dona. Le roi refuse de se battre avec Hernani et laisse échapper son rival. Acte III Le vieillard Le jour des noces de Dona Sol et de Ruy Gomez, un pèlerin frappe à la porte du château de Da Silva, c'est Hernani. Sa tête est mise à prix, mais le Duc défend qu'on le dénonce. Arrive Don Carlos. Après son départ Ruy Gomez et Hernani complote pour tuer le roi. Hernani promet à Don Ruy qu'en cas de victoire, il lui offrira sa tête. Acte IV Le tombeau Don Carlos est averti du complot. Au moment de son élévation à l'empire sous le nom de Charles Quint, ses soldats s'emparent des conjurés Hernani et Ruy Gomez. Le roi veut inaugurer son règne par une mesure de clémence et unit Dona Sol et Hernani qui est en réalité Juan d'Aragon, grand d'Espagne. Acte V La noce Au palais d'Aragon s'achève le mariage quand retentit le son d'un cor, c'est Don Ruy qui rappelle à Hernani sa promesse. Celui-ci s'empoisonne avec sa compagne et Don Ruy se poignarde sur leurs cadavres. Ecriture d’un texte informatif. Voir feuilles après Musset. 7. MUSSET, On ne badine pas avec l’amour, 1834. Etudiez la scène d’exposition. Une place devant le château LE CHOEUR Doucement bercé sur sa mule fringante, maître Blazius s'avance dans les bleuets fleuris, vêtu de neuf, l'écritoire au côté. Comme un poupon sur l'oreiller, il se ballotte sur son ventre rebondi, et, les yeux à demi fermé, il marmotte un Pater Noster dans son triple menton. Salut, maître Blazius, vous arrivez au temps de la vendange, pareil à une amphore antique. MAÎTRE BLAZIUS Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d'importance m'apportent ici premièrement un verre de vin frais. LE CHOEUR Voilà notre plus grande écuelle ; buvez maître Blazius ; le vin est bon ; vous parlerez après. MAÎTRE BLAZIUS Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d'atteindre à sa majorité, et qu'il est reçu docteur à Paris. Il revient aujourd'hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries qu'on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse personne est un livre d'or ; il ne voit pas un brin d'herbe à terre, qu'il ne vous dise comment cela s'appelle en latin ; et quand il fait du vent ou qu'il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. Vous ouvririez des yeux grands comme la porte que voilà, de le voir dérouler un des parchemins qu'il a coloriés d'encres de toutes couleurs, de ses propres mains et sans en rien dire à personne. Enfin c'est un diamant fin des pieds à la tête, et voilà ce que je viens annoncer à M. le baron. Vous sentez que cela me fait quelque honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l'âge de quatre ans ; ainsi donc, mes bons amis, apportez une chaise que je descende un peu de cette mule-ci sans me casser le cou : la bête est tant soit peu rétive, et je ne serais pas fâché de boire encore une gorgée avant d'entrer. LE CHOEUR Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit Perdican, et il n'était pas besoin, du moment qu'il arrive, de nous en dire si long. Puissions-nous retrouver l'enfant dans le coeur de l'homme ! MAÎTRE BLAZIUS Ma foi, l'écuelle est vide ; je ne croyais pas avoir tant bu. Adieu ; j'ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont à monseigneur ; je vais tirer la cloche. Il sort. LE CHOEUR Durement cahotée sur son âne essoufflé, dame Pluche gravit la colline ; son écuyer transi gourdine à tour de bras le pauvre animal, qui hoche la tête, un chardon entre les dents. Ses longues jambes maigres trépignent de colère, tandis que, de ses mains osseuses, elle égratigne son chapelet. Bonjour donc, dame Pluche ; vous arrivez comme la fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois. DAME PLUCHE Un verre d'eau, canaille que vous êtes ! un verre d'eau et un peu de vinaigre. LE CHOEUR D'où venez-vous, Pluche, ma mie ? Vos faux cheveux sont couverts de poussières ; voilà un toupet de gâté, et votre chaste robe est retroussée jusqu'à vos vénérables jarretières. DAME PLUCHE Sachez, manants, que la belle Camille, la nièce de votre maître, arrive aujourd'hui au château. Elle a quitté le couvent sur l'ordre exprès de monseigneur, pour venir en son temps et lieu recueillir, comme faire se doit, le bon bien qu'elle a de sa mère. Son éducation, Dieu merci, est terminée, et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse fleur de sagesse et de dévotion. Jamais il n'y a rien eu de si pur, de si ange, de si agneau et de si colombe que cette chère nonnain ; que le Seigneur Dieu du ciel la conduise ! Ainsi soit-il. Rangez-vous, canaille ; il me semble que j'ai les jambes enflées. LE CHOEUR Défripez-vous, honnête Pluche ; et quand vous prierez Dieu, demandez de la pluie ; nos blés sont secs comme vos tibias. DAME PLUCHE Vous m'avez apporté de l'eau dans une écuelle qui sent la cuisine ; donnez-moi la main pour descendre ; vous êtes des butors et des malappris. Elle sort. LE CHOEUR Mettons nos habits du dimanche, et attendons que le baron nous fasse appeler. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuse bombance est dans l'air d'aujourd'hui. Ils sortent. Projection de la pièce : mise en scène de Caroline Huppert. En quoi cette pièce est-elle un drame romantique ? Analysez les deux personnages principaux : Camille et Perdican. Voici quelques textes théoriques expliquant la préférence des Romantiques et permettant de définir le drame romantique. TRAVAIL . Rédigez une synthèse de ces textes. Veillez à y introduire, en guise d’exemples, les résultats des exercices ci-dessus. TEXTE 1 (…) La lecture de Shakespeare permet aux Romantiques de légitimer deux points de rupture essentiels avec le classicisme. L’aristotélisme, on le sait, distingue soigneusement les genres en fonction du mode de représentation adopté : la tragédie représente des hommes « plus grands que nature » ; la comédie les met en scène en les dépréciant. Or, dit-on, Shakespeare, à l’image de la vie, récuse cette distinction. Le drame y tresse comique et tragique. Les « héros » côtoient les « clowns », le prince de Danemark dialogue avec des acteurs ou des fossoyeurs, et le prince de Galles est le compagnon de débauche du gros Falstaff… Le théâtre selon Aristote institue un système ségrégationniste. Il ne peut donc donner de la réalité qu’une vision fragmentaire, mutilée, là où Shakespeare réussit à en offrir une représentation totalisante, et par là même, véridique. ROUBINE J.-J., Introduction aux grandes théories sur le théâtre, Paris, Nathan. TEXTE 2 Si Aristote ou l’abbé d’Aubignac avaient imposé à la tragédie française la règle de ne faire parler ses personnages que par monosyllabes, si tout mot à plus d’une syllabe était banni du théâtre français et du style poétique (…), les tragédies faites par des hommes de génie plairaient encore. (…) Comment peindre avec quelque vérité les catastrophes sanglantes narrées par Philippe de Comines, et la chronique scandaleuse de Jean de Troyes, si le mot pistolet ne peut absolument pas entrer dans un vers tragique ? STENDHAL, Racine et Shakespeare, 1825. TEXTE 3 Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes. Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l’art ! Il n’y a ni règles ni modèles. (…) Ce qu’il (l’auteur de la préface) a plaidé au contraire, c’est la liberté de l’art contre le despotisme des systèmes, des codes et des règles. Il a pour habitude de suivre à tout hasard ce qu’il prend pour son inspiration, et de changer de moule autant de fois que de composition. Le dogmatisme, dans les arts, est ce qu’il fuit avant tout. HUGO V., Préface de « Cromwell », 1827. TEXTE 4 C’est sur le terrain du théâtre que devait se livrer la bataille romantique. Plusieurs raisons à cela. D’abord la question du renouvellement du théâtre tragique était agitée depuis le deuxième quart du XVIIe siècle, et cent ans de discussion et d’essais à ce sujet légitimaient un changement que tant de bons esprits, depuis Voltaire, réclamaient ou tentaient. De plus, le théâtre pouvait être considéré comme une sorte de symbole de la littérature française ; s’il changeait, s’il s’adaptait à une nouvelle conception de l’art, c’était démontrer que cette nouvelle conception avait triomphé. C’est aussi dans ce genre que les modèles étrangers s’imposaient avec le plus d’autorité, comme l’avaient fait les Français ; les auteurs dramatiques plus que les poètes lyriques (car le lyrisme classique était reconnu comme médiocre), pouvaient passer pour les champions des deux groupes ; et dans quel genre les règles étaient-elles plus étroites, plus évidentes, plus nombreuses ? Enfin, il semblait que le théâtre fût pour le poète le meilleur moyen de conquérir une large audience, et le chemin le plus court qui menât à la gloire. (…) (…) le drame est un genre complet : il contient le lyrisme et l’épopée, tandis que la tragédie est un genre étriqué d’où sont bannies toutes les sources vives de la poésie. Le drame, enfin, est un genre libre, où le génie peut se déployer sans contrainte, et interpréter la nature dans toute sa variété. Mais, si proche de la nature que soit le drame, c’est cependant avant tout une œuvre d’art, une oeuvre soumise à des contraintes artificielles, dont la principale est le vers. Hugo repousse le drame en prose et maintient l’alexandrin, libéré et assoupli. VAN THIEGHEM Ph., Le romantisme français, PUF, coll. « Que sais-je », 1999. TEXTE 5 La théorie romantique du théâtre reprend à son compte l’aspiration au réalisme du siècle précédent ou celle du roman contemporain. On le sait, le romancier défini par Stendhal a pour objectif de peindre « les mœurs actuelles, telles qu’elles sont depuis deux ou trois ans « (ce sera Armance), de donner « une peinture de la France telle qu’elle est en 1830 » (ce sera Le Rouge et le Noir). C’est la fameuse métaphore du roman : « Un roman, c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin. » Cette aspiration au réalisme rapproche théoriciens et créateurs de tout bord politique. Stendhal est libéral. Mais Hugo, pour lors, monarchiste, revendique la même exactitude mimétique. (…) La fameuse Préface de Cromwell que Hugo publie en 1827 est un retentissant manifeste pour une nouvelle dramaturgie. Et le réalisme doit en être la pierre de touche. Mais cette pétition de principe, proclamée avec une vigueur et une arrogance toutes polémiques, va rapidement se heurter à la vie quotidienne des théâtres. Elle dérangeait les habitudes d’un public qui restait imprégné d’une culture aristotélicienne, du respect frileux des règles et des bienséances. Elle agaçait des comédiens peu enclins à remettre en cause des modes d’interprétation que récusait la nouvelle esthétique. ROUBINE J.-J., op.cit.. NOM : PRENOM : CLASSE : MUSSET, On ne badine pas avec l’amour 1) Les deux héros, Camille et Perdican : Quel âge ont-ils tous les deux ? Quels sont leurs liens de parenté ? Se sont-ils déjà rencontrés ? 2) Quel est le projet que le Baron a confié avoir pour eux ? 3) Tout se passe-t-il comme le Baron l’avait prévu ? Racontez la première rencontre entre les deux héros : que refuse de faire Camille ? 4) Maître Bridaine et Maître Blazius se méfient aussitôt l’un de l’autre… ils ont pourtant un point commun, lequel ? 5) L’acte II débute par une explication franche entre les deux héros. Qui est contre le mariage qu’on a prévu pour eux ? Pourquoi ? 6) A qui le jeune héros décide-t-il alors de faire la cour ? Pensez-vous qu’il considère cela comme sérieux ? 7) Où Camille donne-t-elle rendez-vous à celui qu’on lui destinait ? Pourquoi dans ce lieu précis ? 8) Camille parle alors de sa conception du mariage. En a-t-elle une belle idée ? Que s’est-il passé au couvent pour qu’elle pense cela ? 9) Qu’est-ce qui a poussé Camille à demander une dernière rencontre avec Perdican ? Qui assiste aussi, cachée, à ce rendez-vous ? Que va-t-il alors se passer ? 10) Quelle décision prend alors le jeune garçon ? Cela sera-t-il possible ? 11) Que pensez-vous des deux héros ? Justifiez votre réponse. 12) Cette pièce est un drame romantique : justifiez en vous basant sur les éléments théoriques. Musset On ne badine pas avec l’amour Les personnages de la pièce Deux types de personnages, qui ont des fonctions bien différentes : 1. les personnages bouffons : le Baron, Blazius, Bridaine, dame Pluche 2. les personnages qui ont une réelle consistance et un rôle sérieux, voire tragique : Perdican, Camille, Rosette. I) Les bouffons Un type de personnages que l'on rencontre dans d'autres pièces de Musset (par exemple, le personnage de Claudio, mari ridicule dans Les Caprices de Marianne). 1. Leur consistance a) Ce sont des types, reconnaissables à leurs manies et à leur profession : Blazius : le précepteur Bridaine : le curé (toujours ridiculisé chez Musset) Ils n'ont pas de prénom, mais sont identifiés par leur nom de famille, leur catégorie sociale ou professionnelle. b) Leurs manies ressemblent parfois à des vices : l'ivrognerie, le pédantisme, la conception étroite et bornée de la religion. c) Avec ces personnages, Musset ne se livre à aucune analyse psychologique : ils n'ont pas d'individualité et réagissent de manière automatique. 2. Leur ridicule a) Leur apparence physique, exagérée, fait rire : la bedaine de Blazius, la maigreur de dame Pluche... b) Leurs propos sont émaillés de tics de langage, et leur parole est vide (exemple : le latin de Blazius). Ils s'appuient sans cesse sur les conventions, seul mode de pensée qu'ils connaissent Des personnages qui incarnent en quelque sorte la bêtise humaine ! 3. Leur intérêt pour l'intrigue Ils forment un arrière-plan rigide par rapport aux trois jeunes gens, et constituent une gêne supplémentaire pour que les héros parviennent à se comprendre. Exemples : c'est Blazius qui arrache la lettre de Camille et en conséquence, Perdican va s'en emparer (III 2). Bridaine dénonce (III 5) les avances que Perdican fait à Rosette. Des personnages souvent présents au début de la pièce (ce sont eux qui l'ouvrent), et qui disparaissent quand l'atmosphère devient tragique. Des fantoches qui donnent un moment l'illusion de la comédie et dont la vanité (la futilité) fait ressortir la complexité de Camille et de Perdican. II) Perdican, Camille et Rosette Ce sont trois personnages qui n'apparaissent jamais ni tous les trois ensemble ni de manière isolée, mais toujours deux à deux. Perdican et Camille sont actants ; Rosette est passive. Jusqu'à la dernière scène, Perdican et Camille sont en lutte l'un contre l'autre et se servent alternativement de Rosette. À la dernière scène, ils se sont enfin avoué leur amour et se trouvent donc réunis, mais Rosette, qu'ils ont oubliée, intervient contre eux pour les séparer par sa mort (dont on ne sait si elle est subie ou voulue). 1. Rosette C'est le personnage le plus simple et le plus innocent de la pièce. Elle a exactement le même âge que Camille (c'est sa soeur de lait). Jolie physiquement ("il n'y a pas de plus jolie fille que toi",), elle est de condition sociale médiocre : c'est une paysanne. Mais elle est assez intelligente pour se méfier de Perdican, quoi qu'elle en dise. Ses deux traits principaux : - c'est une enfant : une victime désignée et particulièrement innocente ; - c'est un être sensible et intelligent, qui essaie de résister à l'amour de Perdican, dont elle mesure plus ou moins les conséquences, mais qui s'y donne totalement, au point de mourir de chagrin à la dernière scène. 2. Camille "La plus complexe des héroïnes de Musset » : une complexité due au jeu qu'elle joue avec les autres et avec elle-même tout au long de la pièce. Conséquence : on ne sait jamais vraiment qui elle est. a) Le premier masque Celui modelé par soeur Louise : refus de l'amour, qui lui fait peur, et méfiance à l'égard de la vie ; elle refuse donc toute relation avec son cousin. b) Le second masque Quand Camille devient amoureuse aux yeux du spectateur, elle refuse encore de se l'avouer à ellemême, et donc de l'avouer à Perdican. Deux raisons à cela : - sa volonté de punir Perdican, qui l'a fait souffrir : elle ne veut renoncer à la vie qu'après avoir éprouvé son pouvoir ; elle veut donc se faire aimer de lui, puis partir en le laissant désespéré. - sa coquetterie (exemple de la robe). c) Ses traits principaux - la fierté : elle agit en aristocrate, en orgueilleuse ; - la soif d'absolu, la passion : elle se donnait toute à Dieu ; elle se donnera toute à Perdican quand elle comprendra que l'amour humain peut être aussi magnifique que l'amour de Dieu. 3. Perdican C'est le seul personnage masculin qui ne soit pas un fantoche. C'est un personnage simple et un homme d'élite au début de la pièce : très savant, mais non pédant. Un peu désabusé par toute la science qu'il a apprise et à laquelle il préfère presque la simplicité et l'authenticité de la nature (cf. l'épisode de la fleur, I 2). Sincérité du personnage vis-à-vis de Camille, qu'il est prêt à aimer tant il est imprégné de ses souvenirs d'enfance. La nostalgie de l'enfance pèse beaucoup dans l'évolution des sentiments du jeune homme. À partir de l'arrivée de Rosette, dédoublement du personnage : - il est épris de Camille depuis l'enfance ; de plus, elle correspond à sa nature : ils sont "nés l'un pour l'autre". - il est attiré par la fraîcheur et la simplicité de Rosette qui ne le repousse pas réellement. Perdican ne se contrôle alors plus et se trompe sur les intentions réelles de ses actes. Ainsi, il n'a pas conscience que c'est par jalousie et dépit qu'il veut épouser Rosette, et non par amour réel pour elle. C'est seulement à la fin de la pièce, quand il comprend enfin Camille, qu'il redevient lui-même : Camille réunit alors les qualités qu'il cherchait en Rosette, et celles qu'elle possédait elle-même. Comme Camille, il "croyait" être sincère en voulant épouser Rosette, mais était en fait sa propre dupe. Traits principaux de son caractère : - un caractère passionné et émotif : il agit selon ses impulsions ; - une intelligence brillante ; - un attachement au passé sur lequel il cherche à s'appuyer. Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » Le drame romantique Dans la première moitié du XIXe siècle, le théâtre est touché par la volonté de renouvellement et les aspirations à la liberté que manifestent les écrivains. Héritier de la tragédie classique, le drame se définit en s’opposant aux contraintes de ce genre. Un théâtre plus adapté Stendhal dans Racine et Shakespeare et Hugo dans la Préface de Cromwell exposent les modifications du contexte socio-culturel : une sensibilité nouvelle, la nostalgie des élans héroïques dans une société conformiste, le besoin d’une réflexion sur l’engagement, sur le pouvoir, sur le destin. Pour intéresser le public contemporain, le théâtre ne doit pas chercher trop loin dans le temps ses thèmes d’inspiration. Il doit être au contraire à l’image de la vie, divertir tout en faisant réfléchir. Ces impératifs conditionnent la nature de l’action dramatique et la structure des pièces. Le refus des règles classiques Au nom du respect de la vie et de ses hasards, le drame romantique rejette les contraintes qui figeaient la tragédie dans des limites précises. Hugo ironise sur l’invraisemblable « péristyle » où se rencontrent les personnages, sur l’unité de temps de vingt-quatre heures. Il se moque aussi des événements intéressants qui se passent en coulisse, refuse que les personnages soient uniquement d’origine noble et que le langage ne soit que de la langue soutenue. Enfin, il assouplit la règle de l’unité d’action en acceptant des actions secondaires. Libéré des conventions, le drame repose sur le « mélange » des genres, des formes et des tonalités. Il peut se dérouler dans un laps de temps supérieur à vingt-quatre heures et dans des endroits différents. La diversité des époques et des lieux est primordiale. Abandonnant définitivement l’Antiquité, elle concourt à recréer une atmosphère historique et une couleur locale associées aux admirations romantiques et chargées de symboles (l’Espagne du XVIIe, la Renaissance italienne à Florence et à Venise, l’Angleterre du XVIIIe). Personnages Le drame romantique met en scène des héros déchirés entre leurs passions et leurs engagements, pris au piège de situations qu’ils n’ont pas voulues, payant par la mort leur fidélité à un idéal proche de celui de la chevalerie. Ils sont nobles ou proscrits, parfois les deux, simples domestiques, incarnation de l’écrivain misérable face aux pouvoirs de l’argent. Ils ne sont tenus par aucune ligne de comportement répondant à la bienséance. Leur langage est celui de leur condition sociale. Ils illustrent la nature humaine dans sa grandeur et dans ses faiblesses, à la fois sublimes et grotesques, tragiques et comiques. Echappant au temps, ils dépassent les modèles historiques dont ils sont issus. Leurs hésitations, leurs contradictions les rapprochent d’un public sur lequel ils exercent un fort pouvoir d’émotion. Expression et versification L’impératif de fidélité à la vie détermine aussi les modes d’expression. Le drame romantique peut être en prose. L’alexandrin n’empêche pas le caractère très rapide et très fragmentaire de certains dialogues. « Casser les vers » n’est pas un simple jeu de mots : il peut arriver qu’un alexandrin soit « disloqué » en trois ou quatre répliques. Parmi les bouleversements qui choquèrent tant les partisans des classiques figure le mélange de niveaux de langue. Mais Hugo affirmait qu’il ne faut pas faire de distinction entre les « mots sénateurs » et les « mots roturiers ». Vocation Ce théâtre offre matière à réflexion : sur les relations avec le pouvoir, sur l’honneur, sur le sens de l’action politique, sur le statut de l’écrivain. En ce sens, il se fait l’écho de préoccupations historiques tout en reflétant des situations, des comportements et des aspirations humains. Le drame romantique était adapté à une sensibilité et à une époque : certaines pièces, trop datées, ne lui ont guère survécu. Mais d’autres ont pu, grâce à la force de leur action et à la grandeur émouvante de leurs héros, traverser le temps et trouver encore, au début du XXIe siècle, un public attentif et passionné.