Critique

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Economie nationale
26 mai 2004
"Livre blanc (suite)"
L’attractivité de la place économique suisse en jeu
Etude de M. Andrea Regazzoni
Commentaires & critique
A certains égards, votre étude est vraiment « rafraîchissante » ! Alors que la sinistrose sévit un
peu partout dans le pays, que tout le monde s’inquiète du déficit de croissance de notre économie, de sa perte de compétitivité, des conséquences néfastes de l’isolement de la Suisse en
Europe, etc., etc., vous concluez de manière positive, arguant que la plupart des réformes prônées en leur temps par les deux livres blancs ont été adoptées et mises en place ; ou, à tout le
moins, sont en passe de l’être. Somme toute, la Suisse, selon vous, garde son rang et a de
bonnes chances de le garder... Bref, on est loin du politically/economically correct de l’heure.
A noter, en supposant que votre diagnostic soit exact, qu’il y a peut-être là comme un paradoxe. On pourrait en effet être tenté d’arguer que les inquiétudes en question sont nécessaires,
en tant qu’aiguillon, pour éviter à la Suisse de s’endormir sur ses lauriers ; mais en même
temps qu’elles empêchent peut-être beaucoup de Suisses d’être pleinement heureux et de profiter entièrement des fruits de leur prospérité !
Cependant, il se pourrait bien que le paradoxe ne soit qu’apparent : la diminution du bien-être
présent liée aux dites inquiétudes tend à garantir - en probabilité - la prospérité future, de sorte
que la valeur présente du bonheur actuel et futur est peut-être maximisée par rapport à une
situation où il n’y aurait pas d’inquiétudes et où on profiterait pleinement du bien-être présent.
Par ailleurs, il n’est pas sûr du tout qu’il y ait vraiment un « déficit de bonheur présent » : les
enquêtes d’opinion tendent à montrer que les Suisses sont en général heureux dans la vie...
De manière générale, votre rapport est bien présenté et argumenté. Il se lit aisément et avec
intérêt. Il est aussi bien écrit (malgré quelques scories), surtout que vous n’êtes pas, j’imagine,
de langue maternelle française. Il ne manque pas non plus d’originalité et il a un petit côté
provocant tout à fait bienvenu. Pour tout cela, un grand merci !
Commentaires plus ponctuels
(1) Pour commencer, une toute petite remarque sur la forme : vous tendez à écrire « le
Pays » (p.ex. vers le milieu de la page 4 et vers le bas de la p. 12). Cette majuscule ne
se justifie pas, car il ne s’agit pas là d’un nom propre. Idem pour « la Mondialisation »
vers le milieu de la p. 6.
(2) Autre petite remarque sur la forme : la moins mauvaise traduction de l’allemand
« Ordnungspolitik » (p. 6, n. 4) est peut-être « politique des conditions cadres ».
(3) Pp. 6-8 : bon résumé du premier livre blanc. Idem pour le « programme de revitalisation » du CF aux pp. 9-10.
(4) P. 11, ver le milieu : « Le rejet de l’accord sur l’EEE était cependant un signal de fermeture et d’une certaine résistance au changement (...) ». Ce n’est pas sûr du tout,
dans la mesure où, en décembre 1992, le peuple - surtout, il est vrai, en Suisse aléma-
2
nique - n’a en réalité pas voté sur l’EEE, mais bien plutôt sur la demande d’adhésion
que le CF, dans l’enthousiasme qui avait suivi le vote positif sur l’entrée au FMI, avait
déposée au printemps de cette année-là. M. Oggi avait aussi dit que l’EEE était
« l’antichambre » de l’adhésion. Bref, le peuple ou une grande partie du peuple a voté
sur autre chose que la question qui lui était soumise. Le rejet de l’EEE, par une toute
petite majorité populaire et une forte majorité des Cantons, ne peut ni ne doit donc être
interprété dans le sens que vous indiquez.
(5) Pp. 17-18 : réactions à la publication du deuxième livre blanc. Aux éléments
d’explication que vous fournissez, j’ajouterais le suivant. En 1996, la Suisse était en
pleine « déprime » économique, étant le seul pays de l’OCDE a avoir connu deux récessions dos-à-dos depuis le début de la décennie. Cela avait créé un climat très lourd
(dont je me souviens parfaitement) où il suffisait d’une étincelle pour mettre le feu aux
poudres (verbales). De manière générale, il est avéré en science politique que la situation conjoncturelle du moment a le plus souvent une influence significative sur le résultat des élections ; il n’est donc pas surprenant qu’elle en ait aussi eu une sur la réception réservée au deuxième livre blanc. Il reste qu’en rétrospective tout cela ne
manque pas d’étonner. - Il y a peut-être un deuxième élément d’explication, à savoir
l’influence des médias sur l’opinion publique. Il a été montré que les gens des médias
sont majoritairement à gauche - et donc en décalage flagrant avec les citoyens - et ils
sont toujours à l’affût de tout ce qui peut faire scandale, faisant flèche de tout bois et
n’hésitant pas à gonfler et à déformer tout ce qui pourrait servir leurs propres vues politiques. La publication du deuxième livre blanc, dans un contexte tendu et difficile, a
donc été du pain bénit pour eux. Rien de nouveau ou d’étonnant là-dedans. Ce qui, par
contre, est peut-être plus surprenant est que nombre de magistrats et de politiciens du
centre et de la droite (exemple : M. Delamuraz) ont jugé bon de suivre le mouvement.
(6) P. 25, section 7.1.1, le niveau de productivité : « (La Suisse) joue tout de même l’un
des rôles principaux dans l’économie mondiale ». N’exagérons rien ! L’économie
suisse représente en effet à peine un pour cent de l’économie mondiale... Par ailleurs,
c’est un fait qu’aujourd’hui elle ne tient plus du tout, dans les négociations et forums
mondiaux (OMC, OCDE, etc.), la place comparativement importante qu’elle tenait il y
a encore vingt ans.
(7) Commentaire général sur votre « Etat des lieux du ‘Standort Schweiz’ »1 (pp. 25 et
suivantes), sur votre conclusion et sur le matériel statistique dans votre annexe.
D’accord avec vous que, quand on fait un tour des lieux comme vous le faites, force
est de conclure que, après tout, cela ne va pas si mal que cela. Cela n’empêche pas
qu’il y a quand même de vrais sujet d’inquiétude. Pour ma part, j’en vois plusieurs.
Premièrement, il y a les finances publiques qui, au niveau de la Confédération et de
plusieurs Cantons, restent déséquilibrées dans la durée. Deuxièmement, il y a le fait
que « l’Etat social » a une tendance certaine et continue à l’hypertrophie et qu’il en résulte sans doute des pertes d’efficacité toujours plus lourdes, pour des gains de sécurité sociale toujours plus petits. En outre, le problème d’un déséquilibre croissant entre
nombre d’actifs et nombre de retraités n’est sûrement pas imaginaire (AVS et, dans
une moindre mesure, deuxième pilier). Par ailleurs, beaucoup de prestations du secteur
public se caractérisent pas un manque flagrant d’efficacité (pour un petit exemple, voir
la saga du giratoire de Dorigny). L’agriculture reste un « boulet » faisant problème. Le
1
« Standort Schweiz » est difficile à traduire. Une possibilité serait : « La Suisse en tant que site économique »,
mais l’adjectif « économique » est trop restrictif.
3
marché du logement, surtout locatif, ne fonctionne pas bien et fonctionne même de
plus en plus mal. Idem pour l’utilisation du sol et l’aménagement du territoire. La politique de la concurrence actuelle prête le flanc à des critiques. Malgré le succès apparent des bilatérales II, tout n’est pas résolu dans la problématique Suisse vs. UE. Etc. Vous aurez sans doute remarqué que cette liste correspond assez bien à celle des sujets
traités dans le cours d’économie nationale de cette année... Il reste que le mérite de
votre rapport est d’avoir mis en lumière l’autre côté (positif) du bilan.
(8) Une dernière remarque sur votre matériel statistique : vous avez beaucoup utilisé la
publication de l’IMD, The World Competitiveness Yearbook. Or il existe d’autres publications du même type que vous auriez pu utiliser à des fins de comparaison. Un
exemple : le graphique sur la qualité des soins de santé au haut de la p. 33. Une autre
tentative récente de mesurer cette qualité, due à l’OCDE, a mis la France au premier
rang alors que l’IMD lui attribue le cinquième rang.
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