Projet RExHySS Impact du changement climatique sur les Ressources en eau et les Extrêmes Hydrologiques dans les bassins de la Seine et la Somme A. Ducharne1 et l’équipe RExHySS2 Ce projet de modélisation soutenu par le programme GICC du MEEDDAT est ciblé sur les bassins versants de la Seine et de la Somme, tous deux soumis à un climat océanique et dont les débits sont significativement influencés par les nappes souterraines. Le principe général d’une étude d’impact hydrologique du changement climatique est d’utiliser les conditions climatiques du futur simulées par un modèle de climat global en fonction d’un scénario d’émission en gaz à effet de serre pour le XXIème siècle. Il s’agit alors de transformer ces estimations climatiques (en particulier températures et précipitations) en grandeurs caractéristiques du fonctionnement hydrologique des bassins versants étudiés (débits et niveaux des nappes phréatiques). On utilise pour cela des modèles hydrologiques de bassin, qui sont d’abord calés sur les conditions actuelles, puis utilisés pour simuler le fonctionnement du bassin sous différents scénarios climatiques. Une étape préliminaire importante est celle de la régionalisation des scénarios climatiques. On parle aussi de désagrégation ou de descente d’échelle. Il s’agit d’introduire les hétérogénéités spatiales non résolues par les modèles climatiques de grande échelle, tout en corrigeant les distributions spatio-temporelles des défauts statistiques les plus pénalisants pour la simulation hydrologique. Les méthodes sont nombreuses mais reposent toutes sur une phase d’apprentissage en temps présent, afin que le climat récent simulé ressemble après régionalisation au climat récent observé à petite échelle. Nous utilisons ici les méthodes quantile-quantile (Déqué, 2007) et des régimes de temps (Boé et al., 2006), développées récemment par la communauté française pour rendre compte des changements de variabilité du climat, de l'échelle journalière à interannuelle, en plus du changement de climat moyen. Elles permettent donc d’aborder l’impact du changement climatique sur les extrêmes hydrologiques (crues, étiages) en plus des ressources en eau. Pour appréhender les incertitudes liées à la modélisation du climat, nous avons classiquement multiplié les scénarios de changement climatique. Nous avons ainsi produit 12 scénarios régionalisés, caractérisés par différents modèles climatiques et scénarios d’émissions utilisés pour les simulations du GIEC, et différentes méthodes de régionalisation. Ces 12 scénarios régionalisés ont servi à simuler débits et niveaux des nappes par 6 modèles hydrologiques, afin de pouvoir également analyser les incertitudes liées à ces modèles, qui couvrent les principales différences entre les grandes écoles de modélisation hydrologique (hydrométéorologiques vs hydrogéologiques, distribués vs globaux3, à bases physiques vs conceptuels) et ont tous été testés en temps présent avec de bonnes performances. Une question de fond concerne la validité des climats et des débits ainsi simulés. Elle ne peut être testée que par référence aux observations passées. Nous avons donc comparé le climat récent simulé par le modèle climatique ARPEGE, puis régionalisé par les deux nouvelles méthodes utilisées, avec le climat observé, tel qu’analysé dans la base de données SAFRAN de Météo-France (Quintana-Sequi et al., 2008). Les analyses préliminaires montrent des biais faibles et des distributions des valeurs journalières réalistes. Les écarts entre les débits simulés à partir de ces scénarios régionalisés et à partir des forçages SAFRAN sont plus importants, mais ils restent acceptables, pour l’ensemble des modèles hydrologiques disponibles. Les différents scénarios de changement climatiques que nous avons régionalisés selon ces 1 Coordinatrice du projet ; UMR Sisyphe, UPMC/CNRS ; Contact : [email protected] Boé J, Bourqui M, Crespi O, Déqué M, Evaux L, Gascoin S, Habets F, Hachour A, Leblois E, Ledoux E, Lepelletier T, Maisonnave E, Martin E, Moulin L, Oudin L, Pagé C, Perrier A, Ribstein P, Rieu J, Sauquet E, Terray L, Thiéry D, Viennot P. 3 Pour les hydrologues français, un modèle global simule un bassin versant dans sa globalité, sans en décrire les hétérogénéités internes, ce qui correspond au sens français de global. Ce terme se traduit par « lumped » en anglais, et la confusion ne doit pas être faite avec l’anglicisme courant qui utilise global pour planétaire. 2 méthodes s’accordent sur un réchauffement au cours du 21ème siècle, qui s’accompagne d’une baisse importante des précipitations estivales. Si le signe d'évolution des précipitations hivernal n'est pas certain, les cumuls annuels baissent d’ici à 2100, de 11% en moyenne sur l'ensemble des scénarios considérés. Ces changements climatiques régionaux entraînent un assèchement prononcé des bassins étudiés au cours du 21ème siècle, selon l’ensemble des modèles hydrologiques. Cet assèchement se traduit par une baisse des nappes phréatiques, qui contribue à la baisse les débits. Nos analyses indiquent ainsi une baisse de 150 m 3/s du débit moyen de la Seine à son exutoire (Poses) entre le temps présent et l'horizon 2100, soit 28% du débit moyen actuel. Les incertitudes autour de cette valeur sont d’environ 50 m3/s, et proviennent d'abord des modèles climatiques, puis des modèles hydrologiques. Cette baisse relative du débit est assez uniforme à l’échelle saisonnière, et se répercute donc sur les hautes et les basses eaux. La réponse des valeurs extrêmes des débits est un peu plus contrastée, puisque les débits des étiages les plus sévères 4 baisseraient fortement, alors que les pointes de crue les plus rares5 ne changeraient pas significativement. A cette exception près, tous les changements ci-dessus, qu’ils concernent le climat régional ou ses conséquences hydrologiques, sont robustes face aux incertitudes analysées. Nous avons aussi étudié les conséquences du changement climatiques sur l’irrigation des cultures. Les besoins en irrigation et leurs conséquences sur les débits et les niveaux des nappes peuvent être simulés dans le bassin de la Seine grâce au modèle couplé STICS/MODCOU. Nous avons pu montrer que le modèle agronomique STICS simule des doses d’irrigation assez réalistes dans les régions irriguées, mais qu’il est insuffisant pour prédire les zones effectivement irriguées, qui ne couvrent actuellement que 2.7% de la surface agricole utile. Les irrigations potentielles simulées par STICS sous changement climatique ne peuvent donc pas être utilisées comme une image de l’irrigation future. L’augmentation relative des doses potentielles d’irrigation simulées par STICS – de 50 à 60% selon les deux scénarios de changement climatique examinés – peut néanmoins être utilisée pour modifier l’irrigation actuelle, sous l’hypothèse que les systèmes de cultures restent inchangés. La question qui se pose alors est de savoir si cette demande en eau accrue pour l’irrigation reste compatible avec les autres usages de l’eau. En d’autres termes, une augmentation des débits prélevés en nappe à des fins d’irrigation (passant éventuellement par la création de nouveaux forages) ne risquet-elle pas de déprimer les formations aquifères et de limiter ainsi le débit de base des rivières ? De fait, ces besoins supplémentaires pour l’irrigation s’ajouteront aux importants déficits d’alimentation des nappes aquifères calculés sous changement climatique, et qui expliquent la baisse des niveaux des nappes indiquée précédemment. Le recharge des nappes calculée par le modèle hydrodynamique MODCOU dans le bassin de la Seine baisse de 1/3 en moyenne entre le temps présent et l'horizon 2100, ce qui correspond à un déficit d'alimentation supérieur à 2500 Mm 3/an, et approche les volumes actuellement prélevés tous usages confondus6. Au vu des premiers résultats acquis sur la Beauce, où l’irrigation est la plus intense, nous pouvons d’ores et déjà nous demander si l’irrigation des grandes cultures restera viable au regard des autres usages de l’eau sur le bassin. La sévérité des impacts simulés résulte de la conjonction du réchauffement et de la baisse des précipitations annuelles. Celle-ci constitue un changement notable par rapport à d’autres analyses (e.g. Ducharne et al., 2007 ; Dankers and Feyen, 2008) postulant une stabilité des cumuls annuels de précipitation sous changement climatique, dans cette zone de transition entre l’Europe du Nord, où les précipitations annuelles devraient augmenter, et celles du Sud, où elles devraient diminuer. L’évolution des précipitations est certainement l’élément le plus incertain des projections du changement climatique, mais la baisse des précipitations annuelles que nous anticipons dans les bassins de la Seine et de la Somme représente la meilleure projection actuellement disponible, car convergente pour de nombreux scénarios de changement climatique correspondant à l’état de l’art (IPCC, 2007), et pour deux méthodes de régionalisation totalement différentes mais validées en climat récent sur le domaine. 4 Débit mensuel minimal annuel de fréquence quinquennale (ayant une probabilité 1/5 chaque année de ne pas être sous-passé, et noté QMNA5) 5 Débit journalier maximal annuel de fréquence décennale (ayant une probabilité 1/10 chaque année d’être surpassé, et noté QJXA10) 6 Prélèvements globaux de 3025 Mm3 dans le bassin de la Seine en 2001 pour les usages domestiques, industriels et agricoles , dont 60 % en eaux de surface et 40% en eaux souterraines (source : Agence de l’Eau Seine-Normandie) Références citées Boé J., L. Terray, Habets F. and E. Martin (2006). A simple statistical-dynamical downscaling scheme based on weather types and conditional resampling, J. Geophys. Res., 111, D23106. Dankers R. and Feyen L. (2008). Climate change impact on flood hazard in Europe: An assessment based on high-resolution climate simulations. J. Geophys. Res., 113, D19105, doi:10.1029/2007JD009719 Déqué M. (2007). Frequency of precipitation and temperature extremes over France in an anthropogenic scenario: Model results and statistical correction according to observed values, Global and Planetary Change, 57,16-26, doi:10.1016/j.gloplacha.2006.11.030 Ducharne A., Baubion C., Beaudoin N., Benoit M., Billen G., Brisson N., Garnier J., Kieken H., Lebonvallet S., Ledoux E., Mary B., Mignolet C., Poux X., Sauboua E., Schott C., Théry S. and Viennot P. (2007). Long term prospective of the Seine river system: Confronting climatic and direct anthropogenic changes. Science of the Total Environment, 375, 292-311, doi:10.1016/j.scitotenv.2006.12.011 IPCC, Working Group I (2007). Climate change 2007: the physical science basis. 4 th assessment report, Genève. Quintana-Seguí P., Le Moigne P., Durand Y., Martin E., Habets F., Baillon M., Franchisteguy L., Morel S. and Noilhan J. (2008). The SAFRAN atmospheric analysis: Description and validation. J. Applied Meteorol. and Climatology, 47, 92–107. Le projet RExHYSS est ciblé sur les bassins versants de la Seine et de la Somme, tous deux soumis à un climat océanique, avec une influence significative des nappes souterraines sur les débits. Sur ces bassins, 12 scénarios climatiques s’accordent sur un réchauffement au cours du XXIème siècle, avec une baisse des précipitations, tant en moyenne estivale qu’en moyenne annuelle. Ces changements climatiques ont été interprétés par 6 modèle hydrologiques qui indiquent un assèchement prononcé des bassins étudiés d'ici à la fin du XXIème siècle. Le débit moyen de la Seine à son exutoire (Poses) pourrait ainsi baisser de 150 m3/s, soit environ 28% du débit moyen actuel. Les incertitudes autour de cette valeur sont d’environ 50 m3/s et proviennent d'abord des modèles climatiques, puis des modèles hydrologiques. La baisse du débit moyen se répercute sur les hautes et les basses eaux, mais la réponse des valeurs extrêmes est plus contrastée, puisque les débits des étiages les plus sévères7 baisseraient fortement, alors que les pointes de crue les plus rares8 ne changeraient pas significativement. Ces changements du débit s'accompagnent d'une baisse significative des niveaux des nappes phréatiques, mais ces dernières seront aussi davantage sollicitées pour répondre à une demande en irrigation accrue sous changement climatique, ce qui intensifierait la baisse des niveaux de nappe et des débits. Au vu des premiers résultats acquis sur la Beauce, où l’irrigation est actuellement la plus intense, nous pouvons d’ores et déjà nous demander si l’irrigation des grandes cultures restera viable au regard des autres usages de l’eau sur le bassin. La sévérité des impacts hydrologiques simulés résulte de la conjonction du réchauffement et de la baisse des précipitations annuelles. L’évolution des précipitations est certainement l’élément le plus incertain des projections du changement climatique, mais la baisse des précipitations annuelles que nous anticipons dans les bassins de la Seine et de la Somme représente la meilleure projection actuellement disponible, car convergente pour de nombreux scénarios de changement climatique correspondant à l’état de l’art (IPCC, 2007). 7 Débit mensuel minimal annuel de fréquence quinquennale (ayant une probabilité 1/5 chaque année de ne pas être sous-passé, et noté QMNA5) 8 Débit journalier maximal annuel de fréquence décennale (ayant une probabilité 1/10 chaque année d’être surpassé, et noté QJXA10)