La cuisine collective Decembre 2002 http://www.la-cuisine-collective.fr/dossier/this/articles.asp?id=10 Gastronomie Moléculaire Les fonctions du four Décembre 2002 imprimer l'article Un des Séminaires de gastronomie moléculaire a été consacré aux matériels utilisés en cuisine. La séance a duré toute une journée, en présence d'utilisateurs (les cuisiniers, évidemment) et de fabricants. La discussion fut passionnante, parce qu'était enfin posée la question essentielle: que fait le cuisinier, et, de ce fait, de quels instruments a-t-il vraiment besoin? C'est la réponse à cette question qui seule peut guider des fabricants dans la conception et la réalisation d'instruments utiles. Comme les débats seraient impossibles à retranscrire ici, je vous propose d'examiner la question des fours. Desquels avons-nous besoin ? Quelles doivent être leurs caractéristiques ? Chauffer, mais comment? Commençons par le commencement : la cuisson des viandes. Et commençons par le commencement : le bouillon. C'est l'âme des ménages, disait Jules Gouffé, et sa déclaration n'est pas inexacte, car le bouillon qui est produit sert à faire les sauces, les fonds, des soupes, consommés… La cuisson d'un bouillon n'est pas une simple extraction, comme cela a été écrit, ni une expansion de la viande (la viande elle-même, au contraire, se contracte quand elle est chauffée). Non, il s'agit d'une opération double qui consiste en une sortie du jus qu'il est plus juste de nommer " expression " (la viande se presse comme une éponge), suivie de réactions chimiques, lesquelles transforment l'eau teintée en rouge par les jus en un liquide brun, parfumé et savoureux. Pourquoi la cuisson dure-t-elle plusieurs heures et pourquoi ne se contente-t-on pas de hacher de la viande que l'on mettrait dans l'eau ? Parce qu'il faut le temps que les réactions chimiques se fassent. A quelle température le bouillon doit-il cuire ? Tant que les réactions chimiques qui font brunir le bouillon resteront mal connues (ce qu'elles sont aujourd'hui), on sera bien en peine de répondre à cette question. La tradition veut que le bouillon ne fasse que frémir et qu'il ne bouille surtout pas. Autrement dit, la température doit être comprise entre 20 et 100 °C. D'autre part, les recettes classiques stipulent que la cuisson doit être très régulière. Comment chauffer régulièrement à une température comprise entre 20 et 100 °C ? La casserole posée sur une plaque électrique ou à gaz est, aujourd'hui en tout cas, un mauvais procédé : le rendement de ces appareils est très mauvais, ce qui a une foule d'inconvénients. D'abord, un mauvais rendement est synonyme de perte économique : après tout, il faut payer ce gaz et cette électricité. D'autre part, ces mauvais rendements sont des désastres écologiques : pensez que 10 millions de Français (je ne parle même pas des autres nations) cuisinent chaque jour, et que, chaque jour, ils perdent ainsi en chaleur rejetée dans la cuisine jusqu'à 80 pour cent de l'énergie qu'ils dépensent ! S'ils chauffent la pièce, en hiver, pourquoi pas, mais en été ? Et, de surcroît, ils s'imposent l'emploi de hottes aspirantes, qui consomment également de l'énergie, en plus du bruit qu'elles font. Au total, c'est un gâchis énergétique. Revenons donc à la question : comment préparer le bouillon ? La plaque à induction est clairement un ustensile qui s'impose. Certes son prix est aujourd'hui excessif, mais un achat massif des particuliers et des professionnels conduirait à un abaissement des prix (regardez les fours à microondes : de 5 000 francs, il y a seulement dix ans, ils sont passés à moins de 100 euros aujourd'hui). Autre possibilité : le four, s'il est bien réalisé. Bien réalisé signifie que la température dans le four ne doit pas différer notablement de la température de consigne, laquelle doit être indiquée en degrés Celsius : avec les graduations 1 à 10, comment savoir si notre four est à une température comprise entre 20 et 100 °C ? Bien réalisé signifie aussi que le rendement des fours soit bon, ce qui a fait récemment l'objet d'une labellisation : si vous voulez que vos enfants aient encore des combustibles fossiles et que la Terre ne se réchauffe pas trop vite, n'hésitez pas à préférer des fours bénéficiant du label européen " économie d'énergie ". La cuisson des viandes Du bouillon, qui fait une mauvaise viande (le " bouilli ", auquel les gastronomes ont jeté l'anathème), passons à la bonne viande. Peu d'entre nous la voudraient dure. Donc, à moins d'avoir un bon boucher qui ne délivre que de la viande tendre, il faudra l'attendrir. Cela n'est pas difficile, pour qui sait que la viande est composée de cellules musculaires, lesquelles sont analogues à des sacs contenant du blanc d'œuf (en fait, de l'eau et des protéines), gainés d'un tissu dur : le collagène. Attendrir la viande, c'est éviter de faire trop durcir l'intérieur des fibres musculaires (pensez aux œufs durs dont le blanc est caoutchouteux, quand la cuisson est trop longue) et c'est aussi dissoudre le collagène, afin que le liquide de cuisson se charge de gélatine. A quelle température effectuer ces opérations ? La réponse est simple : dès 55 °C, le collagène se dissout dans l'eau, mais la dissolution est lente. Doit-on alors cuire la viande à 55 °C ? C'est un peu risqué, pour des raisons microbiologiques : aux trop basses températures, les micro-organismes prolifèrent, surtout quand ils ont tout ce qu'il leur faut, à savoir de l'eau et des nutriments. Voilà pourquoi le braisage à l'ancienne était un si beau procédé : la vive chaleur initiale tuait les microorganismes, en surface, en même temps que, faisant brunir l'extérieur de la viande, elle formait des molécules sapides et aromatiques (réactions de Maillard et autres) ; puis la longue cuisson à feu très doux, dans la braisière, " cendres dessus et dessous ", permettait de dissoudre le collagène, ce qui attendrissait la viande. Sur le site Internet de La Cuisine Collective, un lecteur irrité (pourquoi ? et pourquoi ne m'a-t-il pas écrit directement?) a prétendu que je prétendais être l'inventeur des cuissons basse température. Non, je n'ai jamais dit ni écrit avoir inventé ce procédé : en revanche, je maintiens que la cuisson sous vide basse température n'est pas, pour la partie basse une invention récente… puisque le braisage bien fait est précisément une telle cuisson. A signaler d'ailleurs, dans la même veine que le braisage, les œufs " hamine " des communautés juives de Grève et de Turquie, où les œufs cuisent dans de la cendre tiède, ou bien encore les " œufs des sources chaudes " (omsen tamago) des Japonais, etc. Je le répète, la cuisson basse température n'est pas une invention moderne, mais nous savons aujourd'hui quelles sont les températures à retenir pour la faire mieux. Quel ustensile utiliser pour la pratiquer ? Après la dernière guerre, la " marmite norvégienne " s'était répandue, et il est vrai qu'elle donnait d'excellents résultats : viandes fondantes, juteuses, parfumées… Mais elle avait des relents de restriction, et elle ne pouvait notamment pas faire brunir les viandes, afin de leur donner ce brun externe délicieux. Autrement dit, elles ne pouvaient chauffer suffisamment. Une casserole ferait-elle mieux l'affaire ? Oui si le système de chauffage sur lequel elle repose permet une cuisson lente et longue. A l'heure où l'on travaille 35 heures, où les personnels de cuisine (domestique ou de restaurants) ne peuvent rester longuement à surveiller les fourneaux, la cuisson lente s'impose (on la lance la veille pour le lendemain, ou bien le matin pour le soir, et peu importe une heure de cuisson de plus ou de moins) et on doit disposer de systèmes capables de maintenir la chaleur douce sans variations. Le gaz, pourquoi pas, mais à condition qu'on puisse le laisser allumé en toute sûreté quand on est absent. L'électricité, de même, mais à condition qu'un système coupe le courant en cas de surchauffe détectée. A noter que certaines plaques à induction sont équipées d'un tel système. Le four, enfin, surtout s'il est électrique, permet de faire ces braisages lents s'il est conforme à ce que nous avons décrit plus haut. De surcroît, s'il dispose d'un gril puissant, il fera le brun délicieux dont on a besoin, pour la première opération. Pas seulement la viande Notez que la viande, si elle est prise ici comme deuxième exemple, n'est pas seule concernée par la cuisson basse température. Les daubes, ragoûts et autres plats en sauce se font selon le même principe. Les terrines, également, bénéficient des chauffages réguliers et doux : au lieu de mettre la terrine au four à 150 °C au bain marie (lequel limite la température à 100 °C), essayons donc d'allonger le temps de cuisson, mais de cuire à plus basse température ; vous m'en direz des nouvelles. Les poissons, eux, contiennent très peu de collagène, de sorte que le chauffage à basse température leur convient bien. Classiquement, on les poche (et le liquide de pochage ne doit pas bouillir, sous peine de former une chair cartonneuse) en casserole, mais avez-vous essayé le poisson au four, à basse température ? Si vous avez pris soin de caresser la surface avec de l'huile ou du beurre fondu (clarifié ?), l'eau de la chair ne s'évaporera que très peu, et la chair ne croûtera pas. Les œufs, aussi, sont meilleurs à basse température, parce que le blanc caoutchouteux est alors évité, ainsi que l'odeur de soufre. Dans un précédent article de cette même revue, j'évoquais les œufs durs parfaits. J'aurais pu aussi bien évoquer les royales ou les crèmes prises (crème brûlée, crème vanille, etc.) qui sont bien plus réussies à basse température. Pour les légumes ? Là, on ne peut donner d'indications générales, car les lentilles ne se cuisent pas comme les pommes de terre, lesquelles diffèrent des poireaux ou des choux-fleurs. On sait que le blanchiment de certains légumes (dans l'eau bouillante) ôte de l'amertume et, surtout, évite des changements de couleurs intempestifs. La casserole (toujours avec les restrictions précédentes) est alors un bon outil, puisqu'elle permet de chauffer rapidement de l'eau. La même casserole fera les cuissons à l'anglaise (est-ce un bon procédé ? je laisse la cuisson pour une autre fois). Le four ? Pourquoi pas, aussi, mais attention aux températures trop basses, qui n'amollissent pas suffisamment les légumes fibreux. Et tout le reste… Notre panorama n'est pas complet. Il manque les pâtisseries variées, qui se cuiront bien au four, à des températures variées, selon les pièces. Par exemple, une meringue se cuit bien à 150 °C, pendant quelques instants, afin de former une croûte, puis à 100 °C environ, afin de sécher partiellement l'intérieur. Une tarte, en revanche, brunira excessivement si la température est trop chaude, et une température de 180 °C lui conviendra, toujours au chaud. (quoi que l'on puisse aussi cuire les fonds de tarte à blanc dans une poêle). Le pain? Cette fois, il faudra un four très chaud, avec une chaleur tombante, disent les bons artisans. Les tomates séchées ? Tomates ou olives dénoyautées, il vous faudra un four à une température inférieure à 100 °C dont l'humidité pourra s'échapper. Ce n'est pas pour rien que les fours de pâtissiers ont des ouras que l'on peut ouvrir. Et ainsi de suite. La liste est longue, mais on voit combien un bon four s'impose en cuisine, pour griller, certes, mais surtout pour des cuissons lentes, à basse température. Vous oubliez le rôtissage, me diraton ! Je répondrai que le seul bon rôti, ont toujours déclaré les gastronomes, relayés par Madame Saint Ange et bien d'autres, ne se fait jamais au four : le rôtissage en enceinte d'air chaud n'est qu'un pis aller, qui ne remplacera pas un véritable rôtissage par exposition à des rayonnements infrarouges, qu'ils viennent d'un feu de sarments de vigne ou, plus couramment, d'un grill, porte ouverte. C'est ainsi que la cuisine sera encore plus belle !