COURS V

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COURS V
Les figures
1. La définition et les types de figures
L’étude des figures, leur nomenclature, c’est l’héritage des
Anciens. La figure consiste à détourner le sens par un emploi
expressif qui s’écarte de l’emploi canonique de l’unité linguistique.
Citons l’opinion de G. Molinié («le Dictionnaire de rhétorique ») : il
considère qu’il y a figure «lorsque l’effet de sens produit ne se réduit
pas à celui qui est normalement engagé par l’arrangement lexical et
syntaxique occurrent ».
Les orateurs antiques employaient les figures dans leurs discours
pour éveiller et retenir l’attention du public, pour mettre en relief ou
atténuer leurs idées, pour frapper l’imagination par l’originalité de
l’expression et de points de vue. Mais le rôle stylistique des figures
dépasse de beaucoup le champ de la rhétorique, elles s’emploient
partout, surtout dans les textes littéraires et la conversation courante,
on peut les rencontrer dans les textes scientifiques, publicistes,
administratifs, et autres.
Traditionnellement, on distingue quatre catégories de figures :
 Figures de diction ou d’élocution, portant sur le Sa, la forme du
mot : assonance, allitération, onomatopée, etc.
 Figures de construction, portant sur la structure syntaxique dans
laquelle les mots sont engagés : antithèse, anacoluthe,
constructions parallèles, etc.
 Figures de sens ou tropes, portant sur le Sé de certains mots, le
détournement de liens habituels entre le Sa et le Sé visé :
métaphore, métonymie, synecdoque, etc.
 Figures de pensée, portant sur le sens global de l’énoncé, il y a
écart entre le sens propre des mots formant cet énoncé et le sens
implicite que cet énoncé reçoit dans le contexte :
personnification, ironie, hyperbole, etc.
G. Molinié répartit les figures en figures microstructurales et
figures macrostructurales. Les premières sont immédiatement
repérables dans le microcontexte, dans un énoncé relativement court,
sont isolables, on peut les réduire à un mot. Ex : « Je n’aime pas les
maisons neuves, leur visage est indifférent » (Sully-Prudhomme). On
reconnaît d’emblée la figure dans le mot visage, car les maisons ne
peuvent pas en avoir. Les figures microstructurales incluent les figures
d’élocution, de construction et les tropes.
Les figures macroctructurales ne se signalent pas
immédiatement, pour les repérer on a besoin du macrocontexte ; elles
ne peuvent pas être réduites à un mot, tout l’énoncé y est entraîné.
Comme exemple, on peut analyser la suite du poème de SullyPrudhomme :
Je n’aime pas les maisons neuves
Leur visage est indifférent ;
Les anciennes ont l’air de veuves
Qui se souviennent en pleurant.
Seul, le macrocontexte permet d’interpréter l’énoncé comme une
personnification, les maisons sont représentées comme des êtres
vivants, ayant une physionomie, des sentiments, pouvant pleurer, se
souvenir, etc. Nous voyons que les figures macrostructurales peuvent
avoir pour support les figures microstructurales, dans notre exemple
nous relevons une comparaison «ont l’air de veuves qui... » et deux
métaphores «visage », «indifférent ». Les figures macrostructurales
incluent les figures de pensée et les lieux, «stéréotypes logicodiscursifs », (voir G. Molinié, Dictionnaire de la rhétorique).
Les figures de diction ont été brièvement présentées dans le
chapitre consacré à la phonostylistique.
2. Les tropes (figures de sens)
2a. Le mécanisme du sens figuré. Fonctions et types de tropes
Le même référent peut être désigné directement, par le mot au
sens propre et indirectement, par son indice secondaire : une femme –
une panthère. L’appellation panthère est détournée, et le sens
supplémentaire qui apparaît, c'est le sens imagé ou figuré. «Le sens
imagé, c’est la vision cumulée de deux images » (V.G. Gak).
Le trope repose sur l’opposition sens propre – sens figuré. On
peut représenter ce phénomène ainsi :
Sa panthère
Sé1
Sé2
Sens propre
Sens figuré
Animal
Femme
Le sens figuré fait l’objet d’étude de deux sciences : la
lexicologie et la stylistique. Aucun stylisticien n’a laissé de côté le
problème de tropes ; impossible de nommer tous les savants qui s’en
occupaient, il faut se résigner à mentionner quelques noms le plus
souvent cités, en commençant par Aristote (« La Rhétorique ») et
Quintilien (« Institution oratoire »), en passant par les Français
C. Ch. Dumarsais (« Les tropes ») et P. Fontanier (« Les figures du
discours »), sans oublier, J. Cohen (« Structure du langage poétique »),
J. Tamine (« Métaphore et syntaxe »), G. Bachelard (« L’image
littéraire »), D. Bouverot (« Comparaison et métaphore »), G. Genette
(« Figures »), M. Le Guern («sémantique de la métaphore et de la
métonymie »), P. Ricœr («la métaphore vive »), I. Tamba-Mecz («le
sens figuré ») et beaucoup d’autres. Parmi les linguistes de notre pays
citons R. Boudagov, V. Vinogradov, K. Dolinine, Z. Khovanskaïa,
V. Gak, etc.,1
Pour comprendre la nature du sens figuré, considérons les
exemples ci-après :
 J’en ai mangé des manuels, des dictionnaires, des textes.
(A. Spire)
 J’en ai mangé des huîtres.
 Je mangeais en lisant un manuel.
 Voici ton manuel. Et mange.
Les travaux de nos linguistes étant plus accessibles à l’étudiant russe, nous ne
citons pas ici leurs titres; voir Lectures conseillées (T.P.)
1
Nous reconnaissons immédiatement un énoncé figuratif : c’est le
premier exemple. Mais grâce à quels indices ? I. Tamba-Mecz estime
que pour cela trois particularités sont pertinentes : l’étendue du trope
(plus qu’un mot), les relations syntaxiques spéciales (la juxtaposition
simple ou des relations canoniques – ex. 2, 3 – ne suffisent pas à créer
un trope), une situation énonciative déterminée (le quatrième exemple
peut être interprété différemment selon la situation). I. Tamba-Mecz
estime : « Le sens figuré résulte de la combinaison d’au moins deux
unités lexicales engagées dans un cadre syntaxique défini et se
rattachant à une situation énonciative déterminée » («le sens figuré »,
p. 32).
I. Tamba-Mecz distinguait dans la structure interne du trope les
éléments suivants : I. Sé – (signifié 2) ; 2. Sa – (signifiant) ; 3. base du
rapprochement du Sé et du Sa ; 4. relation logique existant entre Sé et
Sa.
Considérons un exemple : « Ma nuit est un cercueil » (Céline).
Nous y relevons : 1. Sé – nuit ; 2. Sa – cercueil ; 3. la base du
rapprochement – l’idée de la peur : la nuit et le cercueil font peur,
s’associent à la mort, au noir. 4. la relation logique – l’identification.
Ch. Bally estimait que la signification figurée peut s’effacer, il
distinguait trois degrés de cet effacement :
 Les tropes vivants, occasionnels, à l’emploi unique. L’image
reste vive, nouvelle. Ex. : « L’eau des mares se ride
mélancoliquement » (P. Gamarra).
 Les tropes usuels. Ils sont employés par tous les usagers et
figurent dans les dictionnaires. Ex. : La peste, la vache, mon
petit lapin – ces mots s’emploient comme des nominations
expressives de l’homme. Même si l’image n’est plus nouvelle,
les valeurs appréciatives, émotionnelles persistent.
 Les tropes «morts » ont pratiquement perdu le caractère imagé
de leur signification et s’emploient comme des appellations
directes des objets et des phénomènes de la réalité. Ex. :
trombone (au sens de «скрепка»), punaise (кнопка).
Si la lexicologie ne s’intéresse qu’aux tropes qui font partie du
vocabulaire commun, la stylistique se concentre principalement sur le
premier type de tropes, mais les tropes usuels sont aussi pris en
considération par la stylistique, car ils représentent un moyen
important de caractérisation.
La sphère privilégiée du fonctionnement des tropes – les œuvres
littéraires et la communication quotidienne. Ces styles manqueraient
de vie et de relief si on se contentait à exprimer les idées uniquement
par leurs appellations directes.
Les tropes peuvent accomplir les fonctions suivantes dans un
énoncé littéraire :
 Exprimer les idées philosophiques de l’auteur ;
 Exprimer les idées principales et secondaires du texte ;
 Mettre en évidence les motifs des actions des personnages, les
caractériser ;
 Exprimer les émotions et les sentiments de l’auteur et des
personnages ;
 Exprimer les sentiments
d’appellation dans la langue.
complexes
qui
n’ont
pas
Dans le texte littéraire les tropes sont le plus souvent liés entre
eux et forment tout un système.
2b. La comparaison
La comparaison se définie comme un rapport de ressemblance
entre deux objets.
Il existe des comparaisons courantes ou logiques qui rapprochent
des réalités de même nature en vue d’établir l’équation dirigée dans le
sens de l’évaluation rationnelle, précise, objective : Elle est aussi
élégante que sa sœur.
La stylistique étudie les comparaisons imagées qui peuvent être
figées, stables (Il est chauve comme le genou de ma grand-mère, il
court comme le vent, etc.) ou occasionnelles : « Nana flairait l’odeur
des feuilles comme un jeune chien ». (E. Zola). Les comparaisons
imagées rapprochent les réalités différentes par leur nature, elles se
distinguent par l’originalité de cette similitude.
La structure intérieure de la comparaison inclut : l’élément А –
Sé ou le comparé (Cé), l’élément В – Sa ou le comparant (Ca), le
référent virtuel de l’énoncé ; l’élément С – la base du
rapprochement entre A et B appelé autrement tertium comparationis ;
l’élément m – l’outil comparatif – la conjonction de comparaison ou
un autre élément grammatical ou lexical ayant l’idée de la
comparaison : aussi... que, pas plus... que, tel, comparable,
ressembler, en, de, les verbes dire, croire au Conditionnel, etc.
L’élément В dans les comparaisons figées est habituellement le
porteur typique de la qualité désignée par l’élément C, c’est pourquoi
la caractérisation de l’élément A est renforcée par la comparaison à
quelque chose qui en est le symbole :
A
C
m
B
Elle est brune ? – Oui, comme un merle (M. Pagnol).
Le rendement stylistique des comparaisons occasionnelles tient
essentiellement de l’originalité du rapprochement, plus cette
identification est inattendue, plus la comparaison est évocatrice,
suggestive, mystérieuse, voire énigmatique, cf. :
 Son linge est blanc comme neige. (Oui, naturellement.)
 Il a le geste précis d’un ordinateur. (Juste !)
 ...raide comme un bécarre chez les dièses. (F. Martin) (C’est
vraiment inattendu ! Mais juste, on se le représente tout de
suite.)
 Cette dame a le nez comme un ver solitaire. (G. Apollinaire)
(Et ce ver, comment est-il ? long ? pâle ? Amusante
similitude !)
 La terre est bleue comme une orange. (P. Eluard) (Mais
pourquoi ? L’orange n’est pas bleue... Il faut réfléchir...)
Les principales fonctions des comparaisons dans les textes
littéraires sont multiples. On peut les répartir en trois grandes
catégories :
 la fonction ornementale, esthétique, surtout prisée par la
rhétorique classique. « La comparaison peut contribuer
infiniment à la beauté du discours, et en être un des ornements
des plus magnifiques » (P. Fontanier) : « Derniers lilas pareils
à des baisers très las » (G. Apollinaire) ;
 la fonction argumentative, elle est propre aux comparaisons
motivées à l’aide desquelles on fait mieux comprendre ce qui
est décrit, on insiste sur la vérité de ce qui est dit : « ... les
casseroles en aluminium rangées par taille comme une famille
nombreuse devant le photographe » (R. Sabatier) ;
 la fonction cognitive, propre aux comparaisons qui éveillent
l’imagination du lecteur, qui s’adressent au monde des
sentiments, au monde imaginaire : « Elle observait le bonheur
de son fils avec un silence triste comme quelqu’un de ruiné
qui regarde, à travers les carreaux, des gens attablés dans son
ancienne maison » (G. Flaubert).
La nature de cette figure est toujours discutée, certains
chercheurs la rapportent aux figures de construction ou aux figures de
pensée.
2c. La métaphore
La métaphore se base sur le transfert de la nomination d’un
référent sur un autre lié au premier par la ressemblance. D’autres
définitions soulignent la parenté de la métaphore et de la comparaison :
« La métaphore c’est une comparaison en raccourci » (Vandriès) ; « La
métaphore est un transfert de sens en vertu d’une comparaison qui est
dans l’esprit » (D. Bouverot).
La structure interne de la métaphore se compose des mêmes
éléments que celle de la comparaison, mais sans outil comparatif.
Certains éléments peuvent être implicites. Selon leur nombre on
distingue :
 la métaphore à trois termes (A, В, С) – « Vous n’êtes qu’une
pie bavarde » (M. Aymé) ;
 la métaphore à deux termes (А, В) – «le désert, une mer de
sable » (A. de St.-Exupéry), (BC) – «quel singe coiffé » ;
 la métaphore à un terme (В) – «ma fleur ! »
Au point de vue grammatical les métaphores peuvent être
nominales (Mon beau navire, ô ma mémoire – G. Apollinaire),
verbales (L’ombre violente des touffes de giroflée éclaboussait le mur
rugueux – J. Gracq), adjectivales (Mon esprit amer – P. Verlaine) ou
adverbiales (J’ai quitté Madrid... parcourant philosophiquement les
deux Castilles – Beaumarchais).
Selon la sémantique des images on distingue :
 la métaphore spatiale : « Une mer de sable » ;
 la métaphore anthropomorphique : « Quelle princesse ! » ;
 la métaphore animalomorphique : « Zoé est une vraie
dinde » (E. Zola) ;
 la métaphore synesthésique, reposant sur le transfert entre les
sensations auditives, visuelles, tactiles, etc. : couleur criarde,
voix rugueuse, goût piquant ;
 la métaphore avec le transfert concret/abstrait : les idées
rondes et roulantes (G. de Maupassant).
La métaphore peut souligner les dimensions des référents ou
mettre en relief les qualités, alors, on distingue la métaphore
quantitative (un abîme de tristesse) et la métaphore qualitative (le
velours de son regard).
Si dans un texte plusieurs métaphores se basent sur la même
image, nous sommes en présence de la métaphore filée ou il y a la
répétition du même sème du Ca. Le Clézio décrit une ville détruite par
la guerre : ... forêts de pylône et de poteaux télégraphiques, lacs, cubes
de verre, plages de nickel, plaines de tôle ondulée. Jamais aucun
paysage au monde n’avait été si vaste, si profond («la Guerre »). La
métaphore filée accentue l’idée du retour de la ville à l’état sauvage en
opposant les réseaux nature/culture.
La métaphore accomplit dans les textes littéraires les mêmes
fonctions que la comparaison : la fonction ornementale, esthétique ; la
fonction explicative et la fonction cognitive. Mais, dans la
comparaison, les deux réalités rapprochées restent à une certaine
distance et conservent quelque autonomie, dans la métaphore le lien
est rendu plus étroit. L’expression métaphorique suggère les choses
plus vite et fait immédiatement appel à l’imagination du lecteur.
L’interprétation des métaphores est une tâche difficile qui ne
peut pas s’apprendre en analysant deux ou trois phrases, nous nous
limiterons ici juste par un exemple.
Dans l’océan de ta chevelure... (Ch. Baudelaire)
L’écrivain identifie les deux termes Ca océan et Cé chevelure. La
base du rapprochement reste implicite : l’auteur n’impose pas une
interprétation unique, il recourt à la suggestion. Les qualités du Ca sont
attribuées au Cé. On peut voir le volume des cheveux, leur
déploiement, leur mouvement (les vagues bercées ou portées par le
vent), on peut aussi éprouver les sentiments qu’inspire habituellement
l’océan : admiration, envoûtement, effroi ou bien le désir de les
explorer, de s’y noyer... Bref, le lecteur doit faire un effort
d’imagination et découvrir toute une gamme de connotations qui
s’attachent (pour lui) à l’océan. Le décodage de la métaphore est
souvent individuel et pluriel.
2d. La métonymie
La métonymie et ses variantes, la synecdoque et l’antonomase,
sont des figures basées sur la contiguïté, c’est à dire, sur le rapport de
voisinage, de coexistence, d’interdépendance. Ces rapports sont
objectifs et ne dépendent pas de la vision personnelle de l’auteur, à
l’encontre de la métaphore où celui qui fait le transfert de la
nomination se base sur la ressemblance qu’il établit lui-même (voir
plus haut chevelure et océan).
On distingue plusieurs types de métonymies selon le transfert de
la nomination, parmi les types les plus répandus sont :
 on prend le contenant pour le contenu et vice-versa : boire une
bouteille (= boisson),
 on prend le producteur pour le produit : un beau Millet (=
tableau),
 on prend le lieu d’origine pour le produit : un bordeaux (= vin
fabriqué à Bordeaux),
 On prend la conséquence pour la cause et vice-versa : ce
travail est remarquable (= le résultat de ce travail), je tremble
(j’ai peur),
 On prend la qualité pour le porteur de cette qualité : la bonté
même (= une femme très bonne),
 On prend le concret pour l’abstrait et vice-versa : la botte (=
l’oppression, la tyrannie), cet emploi devient souvent
symbolique : le lys (= la royauté française),
 On prend le tout pour la partie et vice-versa, c’est le cas de la
synecdoque : avoir un toit (= une maison), La France gagne
(=l’équipe de France),
 On prend un nom propre pour un nom commun, c’est le cas de
l’antonomase : un Don Juan (= qui court les femmes).
La métonymie est à la base de plusieurs nominations lexicalisées
qui sont entrées dans le vocabulaire français. La stylistique étudie
uniquement des métonymies occasionnelles et leurs fonctions. La
valeur stylistique de la métonymie se base sur la focalisation sur un
détail, une qualité, une caractéristique qui est mise en relief. Par
exemple, l’expression métonymique gagner son pain qui veut dire
gagner de l’argent concentre notre attention sur le fait que l’argent
gagné suffit juste pour subsister, acheter le nécessaire. Quand on
appelle une femme les Yeux Noirs (R. Vaillant), cela veut dire qu’elle
a des yeux exceptionnels, les yeux qu’on remarque tout de suite, mais
cette nomination ne dit plus rien sur cette femme, ni son caractère, ni
son physique, ni ses habitudes. La métonymie et la métaphore
divergent de façon très marquée par la nature de la caractérisation, si la
première a l’effet d’un verre grossissant dirigé sur un détail, l’autre
présente une gamme indéfinie de caractéristiques et associations.
2e. La périphrase et l’épithète parmi les tropes
Notons encore que les métaphores et les métonymies sont
souvent entraînées dans des structures particulières, par exemple, dans
des périphrases. La périphrase, c’est un groupe de mots qui remplace
un seul nom. La stylistique n’étudie que les périphrases imagées, les
emplois tels que «la capitale de la France » pour «paris » ne
contiennent pas d’effet stylistique spécial.
Parfois, on range la périphrase parmi les tropes, mais elle ne
représente pas de transfert de sens particulier, on y relève toujours une
des figures de sens ou de pensée (ironie, personnification) : La tribu
prophétique (Ch. Baudelaire), une périphrase pour désigner les
Bohémiens, c’est une métonymie (ils prédisent l’avenir) ; Ces rois de
l’azur (Ch. Baudelaire) pour désigner les albatros, c’est aussi une
périphrase imagée, nous y relevons une métaphore rois, et une
métonymie, azur pour le ciel bleu.
Les périphrases sont très émotionnelles : lyriques, ironiques ou
autres : Elle est frappée d’un mal qui ne pardonne pas... – désigne
l’amour de façon pathétique (M. Pagnol).
Un problème pareil concerne les épithètes ; souvent, on les
rapporte aux tropes. Certes, il existe des épithètes imagées, mais elles
ne contiennent pas de transfert spécifique, et il y a des épithètes qui ne
contiennent aucune image particulière (grandiose, immense). On ne
peut non plus réduire les épithètes aux adjectifs, l’épithète prend
plusieurs formes grammaticales, outre les adjectifs, elle peut
s’exprimer par un substantif, un verbe, un participe, une locution ou
une proposition :
Et ils rient d’un rire carnassier de l’ignorance, le rire féroce du
mouton aux mille dents ! (D. Pennac)
L’épithète sert à caractériser les substantifs, elle peut exprimer
des émotions, des appréciations, elle peut être métaphorique,
hyperbolique ; etc. : Il avait sa correction habituelle, linge fin,
redingote irréprochable ; et elle se trouva honteuse d’être vue par lui
dans la rue, en peignoir, ébouriffée, traînant des savates (E. Zola).
Mon cœur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux
Et planant librement à l’entoure des cordages ;
Le navire roulait sous un ciel sans nuages,
Comme un ange enivré d’un soleil radieux.
(Ch. Baudelaire)
Comme des lyres, je tirais les élastiques de mes souliers blessés...
(A. Rimbaud).
Même si l’épithète ne fait pas partie de figures particulières, son
rendement stylistique reste très important.
3. Les figures de construction
Les figures de construction peuvent être envisagées dans les
chapitres consacrés à la syntaxe expressive mais aussi dans les
chapitres consacrés au lexique. Car le lexique est arrangé dans les
structures syntaxiques de manière à acquérir des significations
particulières, principalement connotatives. L’inventaire de ces figures
est très riche, nous ne mentionnons que les plus répandues.
Ces figures s’organisent le plus souvent autour de la répétition, la
symétrie et l’opposition, la rupture.
3a. Figures de répétition
La répétition simple consiste à répéter plusieurs fois le même
mot afin d’en intensifier le sens : Cueillez, cueillez votre jeunesse
(P. de Ronsard).
La répétition partielle consiste à répéter les mots de la même
famille : Car tout se muait en sons dans cette âme sonore... Elle
chantait. Tout était chant. (R. Rolland).
Le polyptote consiste à utiliser dans une phrase un même mot aux
formes variables, par exemple, un verbe aux formes temporelles
différentes, un substantif au singulier et au pluriel, etc. : Ce roman –
ces romans emmêlés – est vraiment faux (M. Schneider).
L’antanaclase, c’est la répétition d’un mot, mais avec des
significations différentes : Le cœur a ses raisons que la raison ne
connaît pas (Pascal).
L’anaphore consiste à répéter les mêmes mots en tête de
plusieurs groupes syntaxiques :
Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu !
Ni vu ni connu,
Hasard ou génie ?
A peine venue
La tâche est finie...
(P. Valéry)
L’épiphore, c’est la reprise des mêmes termes en fin des
ensembles syntaxiques ; dans le poème bien connu de J. Prévert la
phrase Pour toi, mon amour se répète après chaque strophe.
Les combinaisons de l’anaphore et de l’épiphore peuvent prendre
les formes suivantes :
L’antépiphore, c’est la répétition de la même expression en tête
et en fin de plusieurs groupes syntaxiques, par exemple, le poème de P.
Verlaine «crépuscule du soir mystique » commence et finit par la
même expression : Le Souvenir avec le Crépuscule.
L’anadyplose (ou épanaphore) consiste à répéter au début de la
phrase le terme qui fermait la phrase précédente : J’étais en bas, je suis
en haut. En haut, à jamais ! me voilà lord (V. Hugo).
Le chiasme, c’est la répétition croisée contenant souvent une
opposition : Et ils, c’est tout le monde : les patrons pour les employés,
les employés pour les patrons, les domestiques pour les maîtres de
maison, les maîtres de maison pour les domestiques, les automobilistes
pour les piétons, les piétons pour les automobilistes... (P. Daninos).
Lé pléonasme, c’est la redondance d’un même sème entre deux
termes d’un syntagme, par exemple, la neige froide, l’océan liquide.
3b. Figures symétriques et asymétriques
Les constructions parallèles, ce sont deux ou plusieurs phrases
ou expressions ayant la même structure syntaxique où s’établissent les
correspondances entre les idées : Quand un Anglais rencontre un
Anglais, il lui dit : « Comment allez-vous ? » et il lui est répondu :
« Comment allez-vous ? » Quand un Français rencontre un Français,
il lui dit «comment allez-vous ? » et l’autre commence à lui donner des
nouvelles de sa santé. (P. Daninos).
L’antithèse est une figure d’opposition symétrique, elle met en
relief le contraste entre deux notions : De grand langage peu de fruits.
(Proverbe).
L’oxymore est une figure d’opposition asymétrique qui consiste à
attribuer à un phénomène des caractéristiques contraires ou
incompatibles avec le Sé : L’ascension t’élèvera et t’amoindrira
(V. Hugo) ; Le cher ennemi héréditaire... (P. Daninos). L’oxymore fait
surgir le caractère contradictoire des phénomènes, des actions, des
idées et des objets.
3c. Figures contenant une rupture
L’anacoluthe consiste à rompre la structure syntaxique au milieu
de la phrase et continuer par une autre structure, cette figure met en
relief les émotions de l’auteur : Exilé sur le sol au milieu des huées, ses
ailes de géant l’empêchent de marcher (Ch. Baudelaire). La phrase
devrait se poursuivre normalement *... il a de la peine à marcher car
ses ailes de géant l’empêchent. Mais la «bonne » construction ne rend
pas toute la violence des sentiments ni l’impression du désordre
produite par l’anacoluthe.
Le zeugma, c’est la transgression de la coordination entre les
termes, syntaxique ou sémantique : ... vêtu de probité candide et de lin
blanc (V. Hugo). Dans cet exemple le poète accorde les substantifs
abstrait et concret avec le même participe, en jouant sur son sens
propre et le sens figuré.
4. Les figures de pensée
Comme on a déjà dit, les figures de pensée sont des figures
macrostructurales. Elles ne sont pas facilement isolables, leurs
contours sont flous, pour les repérer, il faut s’en tenir à un contexte
assez large, parfois aux données d’ordre culturel, extralinguistique.
4a. L’ironie
L’ironie est fondée sur la manipulation de la valeur de vérité.
C’est le décalage entre ce qui est dit et ce qu’on veut dire en vérité, le
sous-entendu. L’ironie peut prendre la forme d’une antiphrase :
Rien n’est si beau, si leste, si brillant si bien ordonné que les
deux armées... Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille
hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des
mondes, environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface.
(Voltaire)
Nous nous rendons compte que l’écrivain prend la position
contre les guerres et pour les gens qu’on force à se tuer. L’ironie se
manifeste par un éloge démesuré, par un ton pathétique pour parler de
quelque chose de vraiment mauvais et vice versa, et par des mots
dépréciatifs pour parler des vies humaines qui constituent une grande
valeur. A l’écrit, l’ironie est marquée parfois par les italiques ou les
guillemets, à l’oral, par l’intonation. Mais l’interprétation de l’ironie
n’est pas toujours facile.
La fonction de l’ironie, c’est la raillerie, la moquerie, plus ou
moins atténuée, plus ou moins gentille ou méchante. Elle est très
fréquente dans le langage quotidien, où les locuteurs sont volontiers
moqueurs, ceux qui veulent expriment leur bienveillance et sympathie
recourent souvent à l’ironie pour ne pas tomber dans le sentimental.
L’ironie est très efficace dans les textes satyriques, humoristiques,
comiques. Ex. : Âgé de cinq ou six ans, je fus victime d’une agression.
Je veux dire que je subis dans la gorge une opération qui consista à
m’en enlever des végétations. (M. Leiris) L’effet ironique se base sur
le décalage entre les associations tragiques de mot agression et le
caractère anodin d’une intervention médicale banale. Autre exemple :
Il était une fois un pays merveilleux où les femmes avait pris leur
revanche sur les hommes, elles pouvaient enfin devenir maçons,
plombiers ou champions de boxe et laissaient à leurs maris le soin de
torcher les enfants et de repriser les chaussettes. (Ph. Dumas et
B. Moissard) L’effet ironique provient ici de la parodie, le début du
texte rappelle les contes de fées, la suite n’a rien de romantique.
4b. L’hyperbole, la litote, l’euphémisme
L’hyperbole c’est une figure de pensée qui consiste à augmenter
ou à diminuer les choses avec excès. Il y a des hyperboles assez
souvent employées dans la conversation courante : Tu me casses les
pieds ! Je meurs de faim ! Mais dans les textes littéraires elles sont
plus originales et dépassent l’étendue d’un mot ou d’une locution :
Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les Enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du Dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous ces cœurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je le vois.
(J. Racine)
Les marques de l’hyperbole sont multiples : les moyens
morphologiques (le pluriel mille objets divers, tous), lexicaux (je
brûle), les références aux dieux, à l’enfer.
La fonction de l’hyperbole est essentiellement argumentative.
La litote, c’est la négation du contraire, l’effet qu’elle produit,
c’est l’amplification : Je ne détesterais pas être sous les palmiers, ce
qui signifie je désire fort être dans des pays chauds. On voit aussi une
litote quand on diminue le degré d’une réalité : Il est à l’abri du
besoin, en parlant de quelqu’un qui est très riche. En quelque sorte la
litote est l’inverse de l’hyperbole, mais l’effet qu’elle produit, c’est
aussi l’intensité.
L’euphémisme est une figure par laquelle on tente d’atténuer
l’effet choquant d’une expression trop crue, des côtés désagréables du
référent : Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine. (A. Chénier) Ici, le
verbe vivre remplace le verbe mourir. Autre exemple : dans la pièce
Tartuffe ou l’Imposteur de Molière, il y a une scène où madame
Pernelle s’en prend successivement aux personnages qui l’entourent de
façon très méchante, en les traitant de fous, d’impertinents, de
mauvais, etc., à la fin, elle dit : Je vous parle un peu franc, c’est un
euphémisme, car en réalité elle a parlé méchamment. On peut aussi
voir une litote dans cet exemple.
4c. La question rhétorique
La question rhétorique, c’est une fausse question, une assertion
déguisée ; on y observe le décalage entre la forme et la signification,
ces questions ne demandent pas de réponse, elles en contiennent une et
ne s’emploient que pour accentuer telle ou telle idée ; O saisons, ô
châteaux ! Quelle âme est sans défauts ? (A. Rimbaud). Leur tonalité
est souvent pathétique.
4d. La personnification
La personnification consiste à doter les objets, les phénomènes,
les animaux ou la nature de caractéristiques des êtres vivants. Elle
s’appuie souvent sur les figures microstructurales comme la métaphore
et la métonymie. Ex. : Déchiqueté, rompu, il gisait sur le ventre dans
la neige, telle une bête blessée à mort. Le nez de l’appareil s’était
aplati contre un butoir rocheux. L’une des ailes, arrachée, avait dû
glisser le long de la pente. ... La queue s’était détachée du corps,
comme celle d’un poisson pourri. Deux larges trous béants ouverts
dans le fuselage, livraient l’air des entrailles de tôles disloquées, de
cuirs lacérés et de fer tordu. (H. Troyat) Pour accentuer l’ampleur de
la catastrophe, l’auteur identifie l’avion écrasé avec un animal, les
mots soulignés sont des métaphores ou des comparaisons qui évoquent
des animaux.
Le rôle de la personnification est très important. Elle s’appuie sur
la vision animiste du monde, c’est pourquoi on en trouve beaucoup
dans les descriptions de la nature : Le ciel s’illuminait d’un sourire
divin. (V. Hugo)
La personnification peut aussi présenter les choses de façon
ironique, caricaturale : le tramway, un genre de girafe obèse (Céline),
miroir bienveillant (San-Antonio), ou, au contraire, leur donner une
touche lyrique, fantastique : Mais une masse informe le poursuit avec
acharnement... (Lautréamont) Il s’agit d’un omnibus qui apparaît
comme une vision de cauchemar.
L’apostrophe oratoire (ou rhétorique) qui représente une adresse
à quelqu’un ou quelque chose qui ne peut pas répondre, est aussi une
forme de la personnification : Rome, l’unique objet de mon
ressentiment ! (P. Corneille). Cette figure est le plus souvent lyrique
ou même pathétique. Pourtant, si on s’adresse à un objet qui n’a rien
d’élevé, elle devient ironique.
4e. La gradation
La gradation consiste à disposer des éléments semblables (des
synonymes, par exemple) selon une progression ascendante ou
descendante : Tout le jour, il demeura gonflé d’indignation et de
colère. A sa fureur de prêtre s’ajoutait une exaspération de père
moral... (G. de Maupassant) ; …je sentis mon amour-propre déjà prêt
à me quitter, s’estomper encore davantage et puis me lâcher,
m’abandonner tout à fait, pour ainsi dire officiellement (Céline).
Les idées qui se répètent dans une gradation peuvent concerner
les caractéristiques bien concrètes des choses : les mesures, la force, la
vitesse, le volume ; mais aussi les idées plus abstraites : les sentiments,
les appréciations, etc.
4f. La paraphrase
C’est une figure par laquelle on développe une même
information en plusieurs mots ou locutions qui en présentent divers
aspects. Elles sont surtout fréquentes dans les descriptions : La
Hollande est un songe, Monsieur, un songe d’or et de fumée, plus
fumeux le jour, plus doré la nuit, et nuit et jour ce songe est peuplé de
Lohengrin comme ceux-ci, filant rêveusement sur leurs noires
bicyclettes à hauts guidons, cygnes funèbres qui tournent sans trêve,
dans tout le pays, autour des mers, le long des canaux. (A. Camus)
Les détails qui développent le thème du «songe » constituent la
paraphrase.
Le répertoire des figures présenté dans cet ouvrage n’est pas
exhaustif, mais il permet d’identifier les figures les plus répandues.
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