Redéfinir la prospérité au Sud. Stéphane Leyens Résumé Depuis la fin de l’époque coloniale, la prospérité dans la Sud a été conçue sous les auspices des Nations occidentales et des institutions internationales qui ont vu le jour à la suite de la seconde guerre mondiale. Les politiques de développement et de coopération ont été modulées aux conceptions occidentales de prospérité et de progrès, définies essentiellement en termes de croissance des biens matériels, et ont été évaluées à l’aune d’indicateurs de comptabilité nationale (PIB). Très tôt, de sévères critiques sont adressées à l’encontre de ces politiques en raison de leur incapacité à répondre aux besoins les plus urgents des populations. Au courant des années 80, un nouveau paradigme du développement, issu de ces critiques, trouve son assise théorique dans les travaux de l’économiste indien Amartya Sen. Un des apports essentiels de Sen, à la fois en économie du développement et en philosophie politique, consiste en un élargissement de la « base informationnelle » (les indicateurs, prospectifs et évaluatifs) utilisée pour penser la prospérité (et la justice). L’idée centrale est de considérer les ressources matérielles (mesurées, par exemple, par le PIB) seulement comme un moyen (parmi d’autres) du développement, la fin de celui-ci étant les possibilités réelles qu’ont les personnes de mener les vies qu’elles ont raison de valoriser – ce que Sen appelle les « capabilités ». Une des caractéristiques fondamentales de l’approche par les capabilités est son indétermination foncière. Contrairement à une approche centrée sur les ressources matérielles (objectives et quantifiables), déterminer ce que les personnes valorisent ne peut se faire qu’en contexte et requiert une approche participative. L’approche participative est cruciale pour deux raisons. D’une part, elle est un moyen pour mettre en évidence les capabilités prioritaires des populations et, ainsi, les termes dans lesquels la prospérité doit se penser. D’autre part, la participation active des agents aux prises de décision relatives à leur vie et à l’organisation de la société (leur « fonction d’agent » – agency) est facteur en soi de prospérité. Ainsi la participation des femmes dans les instances de prise de décision ainsi que dans la vie publique et économique contribue à lever les inégalités entre les sexes et à équilibrer les « conflits de coopération » domestiques. En agrandissant leur sphère de participation, les femmes quittent leur rôle de patientes de décisions qui leur échappent et deviennent des agents à part entière. Elles prennent pleinement conscience de leurs intérêts, de la contribution réelle qu’elles apportent à la société et de leur force. Elles acquièrent ainsi la capacité de faire entendre leur voix et d’assurer une répartition plus équitable des tâches et des biens. Sur base d’une discussion sur les rapports entre approche par les capabilités, participation et question de genre, l’article a pour objectif de montrer les promesses, et les limites, d’une manière de penser la prospérité dont l’intérêt déborde largement le seul contexte du développement au Sud.