Colloque organisé par le GREITD, l’IRD et les Universités de Paris I (IEDES), Paris 8 et Paris 13 «Mondialisation économique et gouvernement des sociétés : l’Amérique latine, un laboratoire ? » Paris, 7-8 juin 2000 Session I : MONDIALISATION MARCHANDE ET FINANCIERE. Session I-2 : Mondialisation et souveraineté monétaire CRISES FINANCIERES ET REGULATION POLITIQUE EN AMERIQUE LATINE JAIME MARQUES-PEREIRA RESUME On étudie dans ce texte les ressorts politiques de l’endettement et ses effets sur le régime monétaire. Le poids du confit distributif apparaît ainsi comme force dominante d’une trajectoire macro-économique conforme un cycle d’ ajustements des hausses des actifs financiers, entretenus par la politique monétaire. L’inconnue est alors de savoir si la société civile peut amener un débat sur une alternative de souveraineté monétaire assise sur l’intégration régionale. Cela suppose de nouveaux modes de délibération politique de la richesse tant par les Etats que par la société civile. La question mérite toutefois d’être posée. Le règlement monétaire du conflit distributif a conduit à une hégémonie de la finance qui est non seulement vulnérable d’un point de vue économique mais qui, en outre, ne garantit pas nécessairement la légitimité politique. Pousser les organisations des marchés à définir des normes de prudence financière ne lève en rien les aléas économiques et politiques. Estuda-se neste texto as raízes políticas do endividamento e seus efeitos sobre o regime monetário. O peso do conflito distributivo apparece assim uma força dominante de uma trajetória macroeconômica conformando um cyclo de ajustes da inflação dos ativos financeiros, entretida pela política monetária. O que permanece no escuro é a evolução possível da sociedade civil, no sentido de saber se ela pode vir a abrir um debate sobre uma alternativa de soberania monetária se assentando na integração regional.Tal perspectiva supõe novos padrões de deliberação política da riqueza tanto pelos Esados quanto pela sociedade civil. A questão merece no entanto ser levantada. A regulação monetária do conflito distributivo fez o leito da hegemonia da finança mas esta é vulnerável, não apenas do ponto de vista econômico mas tambem enquanto a legimidade política não pode ser considerada consolidada. Levar as organizações do mercado a prescreverem regras de prudencia financeira não anula os riscos poíticos ou econômicos da aposta néo-liberal. Que peuvent faire les gouvernements latino-américains pour prévenir la menace de nouvelles crises financières ? Qu’est devenue leur souveraineté monétaire dans le contexte de la mondialisation financière ? Les Etats composent désormais avec le pouvoir financier, la souveraineté monétaire n’est donc pas inexistante. Celle-ci est, plus que jamais, est un enjeu de politique intérieure. La légitimité des Etats est désormais liée à celle dont dispose le pouvoir de la finance mais le choix du régime de change (et la négociation internationale allant de pair) ne sont pas des questions seulement financières. Le débat de « politique » monétaire, à proprement parler, ce sont aussi des questions d’économie et la façon de les poser modifie la politique des intérêts en jeu. Dans cette optique, la politique monétaire des trente dernières années en Amérique latine, paraît une parfaite illustration de la thèse classique en sociologie politique sur la modernisation conservatrice, une modernisation économique qui reproduit les anciens systèmes politiques. Dans la longue durée, à la différence des autres pays occidentaux et d’une partie du monde asiatique, l’industrialisation n’aura pas été, en Amérique latine, l’occasion de liquider l’héritage des inégalités, propres aux sociétés rurales oligarchiques. La politique monétaire a joué dans cette pesanteur de l’histoire un rôle décisif. Depuis les années Professeur d’économie à l’Université de Lille I, chercheur au Centre de recherche et documentation de l’Amérique latine (CREDAL-CNRS) ; Email : [email protected] 2 70, elle est redevenue, comme à l’époque de gloire de l’exportation de produits primaires au début du 20ème siècle, une politique d’endettement international. Celle-ci gouverne les prix relatifs de l’économie et aura ainsi réduit à néant l’espoir de voir la démocratie modifier substantiellement le cours de l’histoire sociale en Amérique latine. Avec l’endettement extérieur, le titre financier s’impose comme forme d’énonciation de la richesse qui déterminera toujours plus sa répartition1. La dette n’était pas qu’un excès fortuit de dépenses de l’Etat. D’un point de vue macro-économique, la dette a transformé en problème de paiements externes le déclin de rentabilité de l’investissement productif dans les années 60, du à des marchés trop restreints. De façon récurrente, les opérateurs financiers craignent l’occurrence de ruptures de paiement depuis la crise de la dette extérieure des années 80. Dans la nouvelle phase critique inaugurée par la crise mexicaine de 94, à l’inverse de la décennie dite perdue des années 80, marquée par la dévaluation constante du taux de change, c’est la montée des déficits commerciaux et/ou budgétaires, autorisés par l’ancrage des parités sur le dollar, qui augmente le service de la dette ; à un point où le creusement des déficits est jugé insoutenable et force – dans la crise - à la dévaluation. La finance finit par être victime de son propre succès. En imposant à l’Etat un usage de la monnaie qui limite sa liberté pour répartir la richesse sociale, elle engendre les déséquilibres qui la font passer de l’optimisme au pessimisme. La crise de la dette des années 80 et les crises financières récentes sont, de ce point de vue, l’expression d’un conflit structurel entre deux modes de partage de la richesse où se jouent les marges de manœuvre de l’action gouvernementale. Ce conflit est d’abord politique même s’il se donne à voir sous la seule apparence économique du prix des biens, des services et du travail. Il est, en dernier ressort, un conflit symbolique portant sur l’énonciation des titres de la richesse entre le pouvoir du marché, surtout financier, et le pouvoir politique. Dans ce conflit se délimite désormais le territoire du pouvoir de la finance, le monde économique où peut s’imposer son mode d’évaluation. Ce ne sont plus seulement de titres de richesse qu’il s’agit, mais de moyens de production en général. La finance évalue le prix du capital physique de l’entreprise et le coût de son financement éventuel. En fixant les taux d’intérêts et les taux de change, elle détermine en grande partie la compétitivité de l’entreprise ; elle dicte l’arbitrage technique entre capital et travail, elle soumet à la concurrence internationale l’emploi et les salaires. Cette régulation des rapports sociaux est à la fois économique et politique. Le cours de bourse et les taux de change deviennent des facteurs décisifs de la conjoncture. Le débat d’experts sur la politique monétaire oriente alors, voire régente, le débat de politique générale et s’impose dans la parole publique une représentation financière de la souveraineté. Ce qui devient une doctrine monétaire produit les crises et les règle par ailleurs, ceci sur deux plans. Le prêteur en dernier ressort, devenu en partie international, la légitimité politique se pose au premier chef en termes de capacités de règlement. La loi du marché, entonnée dans la rhétorique politique ressource alors la légitimité gouvernementale sur ce qui est manifestement une illégitimité flagrante : l’anomie sociale engendrée par le chômage et la précarité du travail. La vulnérabilité financière se double d’un déficit de légitimité mais celuici n’ouvre manifestement pas, jusqu’à présent, de voie à une quelconque alternative. Le Rappelons que l’endettement est aux origines historiques de la monnaie, contrairement à ce que laisse croire la fable du troc qui l’assimile à une procédure marchande à terme différé. La souveraineté monétaire des Etats, dans sa forme contemporaine qu’est la banque centrale, renvoie dans la longue durée à la fonction originelle mais toujours actuelle de la monnaie comme représentation de la totalité sociale. Cette qualité symbolique lui permet précisément d’être un instrument crédible à la fois de l’échange marchand et de la finance (Aglietta et Orléan, 1998). 1 3 blocage de la demande par la croissance des inégalités reproduit, sur un plan sociologique, le pouvoir de la finance. Une monnaie unique du Mercosur pourrait être le moyen qui donne à un gouvernement économique supranational la capacité de soutenir des politiques étatiques susceptibles d’engager un régime de croissance plus créateur d’emploi reposant sur l’expansion d’un grand marché régional. L’inconnue est de savoir si la société civile peut amener un tel débat. L’alternative d’une souveraineté monétaire assise sur l’intégration régionale suppose de nouveaux modes de délibération politique de la richesse tant par les Etats que par la société civile. On arrive à cette conclusion en retraçant tout d’abord comment le règlement monétaire du conflit distributif a conduit à une hégémonie de la finance sans garantir réellement la légitimité politique. On montre ensuite comment la politique consistant à pousser les organisations des marchés à définir des normes de prudence financière ne lève en rien les aléas économiques et politiques. Le risque systémique de paniques financières existe bel et bien sur les marchés émergents. LA MONTEE EN PUISSANCE DE LA FINANCE Le règlement monétaire du conflit distributif Le pouvoir de la finance globale en Amérique latine s’est mis en place sur la base de l’endettement avec lequel ont renoué les gouvernements dans les années 70 après avoir cherché à y échapper durant un demi siècle d’effort de substitution des importations. L’endettement a sonné le glas d’une stratégie de développement qui cherchait à réduire la dépendance extérieure due aux déficits récurrents du compte courant. Les banques internationales ont poussé les pays à s’endetter dans les années soixante-dix mais, bien évidemment, ceux-ci y ont aussi trouvé leur intérêt. La dette n’a pas été que spéculation financière ; la facilité de contracter des emprunts dans les années 70 a pu être mise à profit pour financer l’importation d’intrants de plus en plus coûteux. Ils ont alors permis l’implantation d’une industrie de biens d’équipement. On a ainsi réduit le coût du capital et limité le déclin de la rentabilité du à une progression insuffisante de la demande grevant les économies d’échelle. La croissance de la consommation reposait essentiellement sur les classes moyennes. Au tournant des années 80, les grandes banques internationales ont considéré que la dette accumulée devenait insoutenable une fois qu’a commencé, à la fin des années 70, la hausse des taux d’intérêt et du dollar, suite à l’apparition du double déficit, commercial et budgétaire, des Etats-Unis. La dette interne prendra alors le relais pour assurer le financement des paiements externes qu’il n’était plus possible d’obtenir auprès des banques internationales. Cette nouvelle situation induit dévaluation et montée des taux d’intérêt internes. Le conflit distributif se développe alors dans cette conjoncture, déjà donc marquée par de fortes pressions inflationnistes. Lorsque s’arrête la possibilité de refinancement des intérêts et des encours arrivant à échéance, les paiements de la dette latino-américaine seront ponctionnés sur la richesse nationale. Cela se fera d’abord par l’inflation et ensuite, dans un contexte de stabilité des prix, par la mise en œuvre de la flexibilité du travail. 4 Dans un premier temps, la dévaluation permet de dégager l’excédent commercial significatif qui procure les devises nécessaires pour solder le service de la dette externe. L’inflation s’accélère dans la foulée de l’émission de titres de dette interne, ceci à des taux d’intérêts croissant au rythme de la dévaluation. L’emprunt par le Trésor public des devises aux mains des exportateurs accélère au même rythme la concentration de la richesse : ceux qui n’ont pas de pouvoir sur le marché – les salariés qui ne sont des faiseurs de prix que s’ils en ont la capacité politique – voient leurs revenus réels diminuer ; même lorsque les grèves se multiplient pour obtenir une récupération ex post de la perte de pouvoir d’achat engendrée par ce qu’on a alors appelé l’impôt inflationniste. Dans un second temps, le conflit distributif, après avoir été contourné par le régime monétaire inflationniste, peut alors être neutralisé dans un environnement de stabilité des prix que procurent les régimes de change fixe (ou de bandes de flottaison), associés à la concurrence des produits importés2. Dans la foulée du retour de la croissance que permet la désinflation, la politique de libéralisation des marchés est largement approuvée dans l’opinion publique. Les effets distributifs de la désinflation conduisent à une envolée provisoire de la demande interne, par ailleurs renforcée par celle du crédit à la consommation s’appuyant sur l’endettement international des banques locales. La différence entre les taux d’intérêts interne et externe garantit leurs profits. Mais la croissance creuse le déficit commercial qui conduit alors à une convergence d’effets récessifs. La crise monétaire est, en quelque sorte, l’anticipation qu’en font les opérateurs financiers. L’inflation des années 80 n’a pas été, de façon générale, le fait d’un laxisme budgétaire ou d’une dérive distributive face à la montée des grèves (même s’il existe des exceptions), comme l’ont prétendu dans les années 80 les experts des organismes internationaux en taxant les gouvernements latino-américains de populisme économique (Dornbusch et Edwards, 1987 ; Sachs, 1990). La dérive inflationniste matérialise la convergence des nouveaux impératifs comptables des banques internationales et des intérêts des détenteurs de titres de la dette. Les banques doivent d’autant plus recouvrir désormais le service de leurs créances que la concurrence se développe entre elles. L’exercice de la souveraineté monétaire est, dans la foulée, délégué au FMI qui dirige dès lors la conduite de la politique économique. Les acteurs et les arènes de décision de la nouvelle donne de la gouvernance monétaire mondiale sont mis en place. Le plan Brady la consolidera dans la relance de l’endettement, désormais nourri par le déficit commercial que provoque la libéralisation économique. Le déficit commercial commence à prendre un tour critique, faisant monter la prime de risque des emprunts internationaux, ce qui renchérit le crédit à la consommation et les coûts financiers des entreprises. La désinflation arrive par ailleurs à son terme et ses effets positifs sur la demande interne disparaissent sans que l’essoufflement de cette dernière soit relayé par un dynamisme des exportations suffisant pour tirer la croissance. La tendance à la stagnation de la demande interne est en outre accentuée par le renouvellement des équipements que favorise la surévaluation du change faisant suite à l’afflux massif de capitaux, qu’il s’agisse d’investissements directs ou de portefeuille 3. L’économie d’emploi 2 Pour une analyse détaillée voir Lo Vuolo et Marques-Pereira, 1999. Les investissements directs s’orientent principalement sur les privatisations outre le rachat d’entreprises locales qui ne sont pas compétitives face à l’aiguisement de la concurrence qu’engendre l’ouverture commerciale. Les investissements de portefeuille sont favorisés par la libéralisation financière et leur expansion s’entretient d’ellemême par la tendance à la hausse des cours de la bourse qu’ils provoquent et par la stabilité du change nominal 3 5 qui s’ensuit se combine avec la réorganisation productive. La flexibilité du travail est ainsi mise en œuvre, par la promulgation de nouveaux statuts d’emploi précaire, ou plus simplement, par la non application de la loi. La frontière entre le salariat et secteur informel se brouille. La part des salaires dans la richesse nationale recommence à plonger. Egalement entamée par la montée du chômage, la demande interne fléchit ; ceci, d’autant plus rapidement que le creusement du déficit commercial exige une montée des taux d’intérêts et qu’il faut alors refroidir plus encore l’activité pour éviter une détérioration trop rapide du compte courant. L’endettement a ainsi fait du taux d’intérêt un instrument de bouclage des comptes externes. L’ « équilibre » des règlements s’avère toutefois problématique dès lors que la croissance des exportations se révèle insuffisante. Mais, le cours des actifs financiers est devenu le paramètre d’ajustement des prix relatifs, et au premier chef, de celui du travail. La flexibilité du marché du travail devient alors essentielle. L’inflation n’est plus nécessaire pour réduire le prix relatif du travail. Une fois la désinflation réalisée, la part des salaires dans la richesse nationale diminue à nouveau. Le régime monétaire aura préservé avec continuité la concentration de la richesse. La pression sociale est neutralisée par l’inflation dans un premier temps et ensuite paralysée par la désinflation. Sans trop de résistance, la flexibilité du marché du travail peut être mise en œuvre. Le traumatisme social qu’a impliqué les hautes inflations a laissé le champ libre à l’action publique et aux nouvelles politiques des firmes en matière de gestion du travail après le retour à la stabilité des prix. La désinflation sape la légitimité des syndicats par leur opposition à l’ouverture économique. L’illusion monétaire a empêché de tenir un discours politique cohérent qui mobilise les travailleurs. La restructuration productive tend à individualiser les rapports de travail et à opérer une scission entre les employés non qualifiés à qui l’on offre plus que des contrats précaires et ceux plus qualifiés qui bénéficient d’accroissements de salaires, souvent substantiels. La productivité s’élève avec le renouvellement des équipements, favorisée par l’ouverture et les nouvelles formes d’organisations du travail. La rénovation du mouvement syndical des années 70 et 80 est chose du passé. En Argentine, la centrale péroniste accepte la profonde rénovation du droit du travail et du droit social. Les syndicats de branche les plus importants mettent même en place des organismes de retraite par capitalisation. Au Brésil, le mouvement syndical est désormais marqué par l'ascension de « Força sindical » qui adhère aux nouvelles formes de gestion du travail et relègue au second plan la CUT (Central Unica dos Trabalhadores), centrale issue des grandes grèves des années 70/80 qui a été à l’origine du principal parti d’opposition, le Parti des travailleurs. La menace de le voir accéder au gouvernement est désormais écartée. Au Mexique, les syndicats traditionnels, relais du parti gouvernemental issu de la Révolution des années 20, souffrent de moins en moins la contestation des syndicats indépendants. Le pacte de stabilité des prix et des salaires et les réorganisations productives consacrent dès le tournant des années 80/90 l’alignement du mouvement syndical sur la politique de coopération avec le patronat qu’on observait dans le Nord du pays depuis la fin des années 70 dans le cadre de l’expansion des maquilas, entreprises de sous-traitance de production de biens destinés au marché nord-américain. L’inflation qui, dans les années de crise de la dette, manifestait aux yeux des observateurs politiques une incapacité de l’Etat à nouer des pactes sociaux révèle plutôt a signifiant en fait une valorisation du change réel (c’est-à-dire, en termes de parité de pouvoir d’achat) qui entraîne une dégradation de la compétitivité-prix tant que l’inflation locale demeure plus élevée que l’inflation mondiale. 6 posteriori une volonté d’y échapper. Le Mexique mettait alors en lumière l’utilité d’un pacte de stabilisation des prix et des salaires. La dérive vers l’hyperinflation a été évitée dans ce pays grâce au corporatisme ; à l’opposé de régimes politiques tels que le Brésil où le clientélisme n’était pas encadré pas un pouvoir central disposant du monopole de la décision dans la finance publique et de la capacité de négocier le niveau des prix (Marques-Pereira et Théret, 1999). Les intérêts financiers ont en tous cas prédominé de façon générale dans les choix de politique économique. Au-delà des différences observables entre formes nationales de légitimation politique qui ont marqué la conduite des politiques monétaires, l’action gouvernementale s’approuve en quelque sorte par défaut une fois qu’elle laisse d’être débattue du fait de l’anomie sociale qu’elle engendre. Le reflux des luttes sociales va de pair avec l’imposition d’une vision marchande de la société qui n’est plus contestée suite à la dissolution des anciennes formes d’action collective du monde productif accompagnant la détérioration du marché du travail. Hégémonie de la finance et déficit de légitimité politique Des droits sociaux à une représentation financière de la société Les Etats cherchent à rendre leur légitimité compatible avec celle de leur politique monétaire qui prend désormais le nom de crédibilité aux yeux du monde financier. Le pari semble tenir tant que la vision financière de la monnaie repousse les limites à la transformation du travail en simple marchandise. A ce titre, la financiarisation de l’économie est aussi une « financiarisation » de la légitimité politique. La stabilité monétaire est devenue le principal bien public. Elle garantit la réélection de nombreux présidents – Menem en Argentine, Cardoso au Brésil, Fujimori au Pérou. Au Mexique, c’est moins la stabilité monétaire que la perspective d’une croissance économique exportatrice assurée par l’intégration au marché nord-américain qui garantit la continuité du maintien au pouvoir du parti gouvernemental. De façon générale, on peut observer que la précarité croissante des conditions d’emploi et la baisse des salaires réels pour les travailleurs les moins qualifiés, condamnés à une rotation croissante, suscitent peu d’opposition. Une telle évolution est certes dénoncée par les syndicats ou par les partis d’opposition mais l’idée néolibérale d’une monnaie devenant pure marchandise s’est imposée dans le champ politique. D’un point de vue théorique, une telle idée est tenue pour une utopie mais les mythes sont, on le sait, des illusions nécessaires à l’ordonnancement social. Même si l’Etat, en tant que forme particulière d’organisation politique des sociétés humaines, se dédouble aujourd’hui en instances de pouvoir national et international avec la mondialisation et la régionalisation des marchés, la nécessité demeure d’un pouvoir souverain pour fixer les règles contractuelles qui leur permettent de fonctionner. C’est là une évidence - au premier chef, en ce qui concerne le marché de l’argent ; la nécessité d’un prêteur en dernier ressort en témoigne. Il n’empêche que les relations marchandes tendent aujourd’hui à fixer les prix relatifs conformément aux normes de rentabilité de la finance. Par delà l’image médiatisée de la société casino qui conforte le mythe d’une monnaie apolitique, il faut, à des fins analytiques, souligner le fait que la bourse soit devenue l’arène publique où se décide la norme du gouvernement d’entreprise qui préside à la négociation sociale de l’organisation et de la rémunération du travail. L’efficacité de la norme - au sens de son pouvoir de normaliser les comportements - ne se fonde plus ni sur celui du droit du travail ni sur celui de possibles conventions collectives. L’Argentine en donne un exemple emblématique : la couverture des accidents du travail est du ressort des assurances privées et les hôpitaux publics sont soumis à la concurrence, au même tire que l’assurance retraite (Pautassi, 1999). Cet auteur signale la transformation de la catégorie juridique de droit du 7 citoyen en celle de droit du consommateur. Plus globalement, il faut rappeler que le jugement financier prétend en fait légitimer, de lui-même, la règle de marché qui rehausse l’évaluation boursière de toute entreprise annonçant une vaste opération de réduction des coûts. Il faut, en ce sens, parler d’hégémonie de la finance ; son pouvoir est à la fois politique, économique et idéologique. Les opinions publiques perçoivent sans doute que l’investisseur contrôle le pouvoir souverain et peuvent à maintes reprises contester cette évolution mais ce que signifie une société de marché est bien loin d’être l’objet d’un débat politique qui en éclaire les réels enjeux. L’absence de considération des intérêts des salariés, comme producteurs et comme consommateurs, témoigne d’un triomphe de la métaphore du marché qui s’inscrit dans les comportements culturels. L’idée même de limites posées à l’autonomie des mécanismes de marché vis-à-vis d’un cadre institutionnel qui s’attache à préserver une solidarité sociale est remise en cause. Mis en difficulté dans leur tâche de garantir les équilibres financiers des systèmes de protection sociale, les Etats s’adossent sur une évolution sociologique faisant prédominer une vision marchande, utilitariste, de l’individu4 pour cautionner l’idée que leur rôle doit se limiter à assurer le bon fonctionnement des marchés sur lequel pourrait ainsi reposer le bienêtre social. Quitte à mettre en place des politiques qui, au pire, garantissent la survie de ceux qui n’ont pas les qualifications donnant à leur activité une valeur marchande, ou au mieux, les aide à les acquérir. Ce changement majeur des valeurs cardinales de l’ordre social conduit à faire des Etats de simples exécutants d’une gouvernance mondiale contrôlée par la finance. La vision libérale de la plus grande efficacité sociale d'une économie orientée par les lois du marché, par rapport à celle qui obéit à des impératifs sociaux, s'impose au sens commun comme une évidence du fait des restructurations économiques actuelles. L’organisation et le marché du travail détruisent désormais le sentiment d’appartenance de classe, le remplaçant par « l’individualisme négatif » du repli sur soi générateur d’anomie sociale (Castel, 1995). Lorsque se dissolvent les collectifs de travail et que la montée de l'exclusion sociale suscite la peur du basculement dans la pauvreté et la stigmatisation, le problème de l'insertion tend en effet à devenir une question avant tout individuelle. En l'absence d'acteurs collectifs qui puissent la traduire en revendications de droits sociaux, l’insertion est alors de plus en plus vécue sur le registre du « sauve qui peut ». Dans la ville latino-américaine, la citoyenneté se représente de façon dominante sur un registre sécuritaire et il s’agit là d’une sécurité non plus sociale mais privée. La sociologie urbaine a montré comment la propriété de l’habitat, en devenant le centre des stratégies de survie, s’est imposée comme idée de la citoyenneté. L’accès à un logement sûr est le gage de sécurité du lien à la communauté5 (Kovarick, 1999). Le reflux des luttes qu’on observe dans le monde du travail va de pair avec l'absence de représentation politique de ceux qui vivent la précarité et l'exclusion. L’incapacité du 4 C’est là un changement de valeurs consacrant une société régie par la concurrence et une nouvelle forme d’individualisme borné à la consommation. Cette nouvelle représentation de l’individu a profondément modifié les catégories de jugement de la légitimité de l’Etat. La capacité de l’action publique d’accroître les opportunités de gain des individus est devenue prioritaire sur sa capacité de préserver la solidarité, voire la cohésion sociale. Cette évolution sociologique s’inscrit dans le sillage d’une évolution contradictoire de la légitimité des systèmes de protection sociale. Leur performance est aujourd’hui essentiellement évaluée à l’aune des valeurs marchandes, autrement dit, par une simple mesure de l’efficacité de l’offre de services collectifs satisfaisant des utilités individuelles (Habermas, 1978). On sait que la mobilité du travail, comme d’ailleurs les stratégies matrimoniales, s’ordonnent dans les réseaux locaux qui font ainsi de l’accès à l’habitat un déterminant de la plupart des trajectoires professionnelles. 5 8 syndicalisme de répondre à cette situation rend possible ce qui n’est, en fait, qu’un consensus par défaut. Le renoncement des Etats à exercer leur souveraineté monétaire est cautionné : il apparaît comme la condition de la désinflation et du maintien du pouvoir d'achat – du salaire ou des revenus d'assurance et d’assistance sociale. La perception que se forgent les acteurs sociaux de l’absence de plein emploi déresponsabilise l’Etat d’une telle situation. La mondialisation du capital est vue comme une marche de l'histoire qui limite l'intervention publique. L'expérience latino-américaine illustre bien cette évolution de l’imaginaire social. Dans ce cas, l’enjeu était de déresponsabiliser l’Etat de l’abandon du projet de parvenir à un plein emploi qui n’a jamais existé mais dont l’objectif proclamé n’en était pas moins l’utopie légitimante des régimes populistes (Lautier, 1993). Les aléas politiques de la vulnérabilité financière Le régime monétaire a restauré la légitimité du pouvoir politique en neutralisant le conflit distributif mais celui-ci demeure sous tension, et il continuera d’en être ainsi, que ce soit avec constance comme porte à le croire la dynamique du marché du travail (Lo Vuolo et Marques-Pereira, 1999), ou que ce soit dans la chronicité des crises financières 6. Le conflit sur la répartition est d’abord sous tension du fait des « problèmes » chroniques de convertibilité des avoirs financiers et monétaires. La vulnérabilité financière a en outre des dédoublements politiques. A chaque crise d’humeurs de la finance, la récession qui s’ensuit aggrave chaque fois plus le déséquilibre du marché du travail. La tension que fait peser la liquidité financière à caractère spéculatif impose enfin un dosage entre l’arme budgétaire et l’arme monétaire qui se révèle alors une quadrature du cercle. La hausse des taux d’intérêts, dans le but de stopper la fuite de capital, a été perçue comme aveu de la perte de contrôle, accélérant plus encore la débandade. A la racine de la crise, il y a l’évolution d’un système productif que le marché ne pousse manifestement pas de lui-même à produire l’équilibre des échanges extérieurs, ce qui fait douter de la validité des équilibres de long terme du taux de change par la seule grâce du marché. L’hégémonie de la finance s’est échafaudée dans le champ monétaire et c’est précisément sur ce plan qu’elle se révèle aujourd’hui problématique. La finance ne peut se passer de prêteur en dernier ressort. Ce n’est pas là une simple faille à laquelle on peut remédier par une règle de prudence mais une règle générale de monnayage des dettes privées et publiques qui est en jeu. Ce n’est donc pas là une simple convention que peut passer la communauté financière mais une règle souveraine qu’elle n’est pas, par nature, habilitée à édicter vu sa logique spéculative. La gouvernance mondiale prétend faire office de règle souveraine mais il est permis de douter de l’efficacité d’une norme de prudence que se donneront les imprudents pour empêcher la prise de risque financier inconsidérée. Dans l’hypothèse plausible d’une récurrence des crises financières, qu’on justifie dans le point suivant, faut-il croire cependant que les sociétés aient dit leur dernier mot ? Dans la vaste recomposition territoriale qu’a engagée la mondialisation financière, l’économique et le politique ont chacun leur dynamique propre prolongeant les formes nationales de l’histoire du capitalisme et de l’Etat. Les alliances que nouent aujourd’hui les Etats - des accords de libre échange aux unions monétaires - mettent en scène un recomposition territoriale alternative de la souveraineté par le biais de l’intégration régionale. Sa réalisation ou non se décidera dans l’évolution que connaîtra le déficit de légitimité des La nouvelle dynamique du marché du travail n’est plus altérée par le cycle de croissance et de stagnation ou récession qu’implique le déséquilibre externe récurrent de l’économie. La flexibilité du travail désormais mise en place signifie qu’il y aura de moins en moins d’indexation des salaires sur les hausses de productivité et de plus en plus la possibilité de réaliser des économies de main d’œuvre, même dans les phases de récupération de la croissance, ce dont atteste d’ores et déjà les données relatives aux salaires et à l’emploi pour l’ensemble du continent (voir Haussman et Gavin, 1996). 6 9 Etats. La gouvernance internationale n’empêchera pas les crises financières mais reste à savoir si elle réussira toujours à faire prévaloir une représentation financière de la souveraineté. L’histoire des territoires du politique n’est pas close. Les prix Nobel attribués cette année à la théorie de la zone monétaire optimale de Mundell et à l’action civile de « Médecins sans frontières » signalent à quel point la souveraineté nationale est mise en cause mais aussi que la gouvernance mondiale reste très problématique7. GOUVERNANCE MONDIALE OU SOUVERAINETE REGIONALE ? Le consensus nouveau sur les règles de prudence financière Les opportunités offertes par les marchés émergents se sont fondées sur des croyances qui, ex post, peuvent paraître un leurre. Celui-ci n’en a pas moins généré des gains financiers. L’ancrage des monnaies qui fixe leur cours à celui du dollar (ou en fonction d’une moyenne de celles des principaux marchés d’exportation) était une garantie à laquelle les opérateurs financiers ont cru et continué de croire ; même en parfaite connaissance du risque après la crise mexicaine. Le pari demeurait jouable tant que le FMI fournissait sa caution morale. Les croyances à la hausse du cours des actions et en la pertinence de crédits de plus en plus risqués se confortent les unes les autres dans l’optimisme tant des marchés que des Etats. Au-delà de la multiplicité des causes de la crise financière et des désaccords sur leur importance respective, se dégage de ce constat un consensus sur les circonstances qui rendent erratique la spéculation ; la faiblesse des systèmes bancaires, l’opacité des bilans et l’aléa moral dû aux garanties gouvernementales8 (Eichengreen, 1999). Ce consensus sur la réforme de l’architecture des institutions internationales exprime une rationalité purement procédurale. Il engage les pays industrialisés à restreindre les placements spéculatifs sur les marchés émergents et, pour limiter l’aléa moral, à imposer aux créanciers la prise en charge d’une partie des pertes. Au premier chef, c’est la responsabilité des USA et de la GrandeBretagne qui serait impliquée puisque c’est essentiellement sur leurs marchés financiers que se négocient les titres souverains des pays émergents. Le débat d’experts sur les crises financières reconnaît ainsi la nécessité d’un contrôle modulé des flux pour stabiliser les taux de change en restreignant la spéculation sur les monnaies périphériques. Mais, ce qui devrait aller de soi ne se réalisera pas nécessairement. Les Etats ne procéderont pas un tel agencement des intérêts par la politique publique tant que leur légitimité ne sera d’avantage mise en cause. Le régime de croyances financières qui marque les croyances politiques9 n’est pas fondamentalement modifié par l’existence d’un consensus sur les failles des marchés financiers. Il tombe certes sous le sens à la lumière de la succession de crises que les gouvernements ne devraient pas s’engager, pour limiter la volatilité inhérente aux régimes de change flottant, à défendre un objectif explicite qui n’est qu’une promesse à terme intenable, comme ils l’ont fait avec l’ancrage monétaire (Eichengreen, 1999). On peut néanmoins se demander si ce n’est pas là un vœu pieux. L’ubiquité de l’événement est sur un plan symbolique significative. La question de l’omission humanitaire des Etats se noie dans la confusion des genres en primant les initiatives de la société civile qui y pallient. Le rappel du poids d’ajustement qui tombe sur le marché du travail dans un processus d’unification monétaire signale en tous les cas où est le problème économique. 8 A l’origine, le terme renvoie au problème de l’encouragement au risque inconsidéré que ne peut éviter l’assurance. 9 En ce sens, l’analyse d’un régime des croyances financières doit mettre en perspective celle de leur dimension cognitive, telle que l’exprime le concept de convention, avec leur sociologie politique (cf. Lordon, 1999). 7 10 La plupart des experts s’accordent sur l’idée d’édicter de nouvelles normes concernant l’endettement de court terme des marchés émergents mais ils ne savent comment limiter l’aléa moral qui permet d’ignorer les déséquilibres macro-économiques jusqu’à ce qu’ils soient considérés comme insoutenables. Forcer les créanciers à restructurer la dette des pays émergents ne garantit en rien ce qui se passera par la suite du côté du compte courant ou des finances publiques. On croit remettre les compteurs à zéro, comme l’a cru le plan Brady, mais il n’y a aucune raison de penser que les comportements des acteurs à l’origine des déficits se modifient une fois la confiance rétablie. On peut douter que la sanction des pertes non socialisées suffise à justifier auprès de ceux qui les subissent le contrôle des capitaux spéculatifs. Si les débiteurs et les créanciers s’entendent pour financer la dette, même à prime de risque croissante, ce qui est le cas, les gouvernements des pays riches sont bien forcés de l’accepter pour que se finance le déficit du commerce extérieur des marchés émergents. Croire que les crises financières peuvent être évitées par plus de rationalité organisationnelle peut paraître une perspective réaliste, dit-on, face au caractère utopique d’un gouvernement mondial. C’est là ne pas voir que celui-ci se met d’ores et déjà en place. Les banques centrales soutenues par un fonds international ont réglé les crises de liquidité et garanti le statu quo. Les gouvernements mis en demeure de socialiser les pertes le font alors au gré des contraintes de légitimité qu’ils doivent affronter. Le débat qu’a suscité le sauvetage des banques mexicaines, dont la dette ont été transformée en titres publics, ne semble pas avoir remis en cause le système politique. La thématique de la corruption n’engage en tous cas, jusqu’à présent, aucun débat de doctrine économique. La dernière campagne électorale en Argentine en est un autre exemple. Certains auteurs mettent en avant le fait que la gouvernance de l’économie mondiale s’écrive essentiellement dans le droit des affaires ou le droit commercial. La discussion d’opinions sur la règle – sa publicité qui cautionne sa légitimité juridique – se limite à la communauté des dirigeants économiques. Les délégations gouvernementales dans les négociations internationales ne représentent vraiment que ces derniers et le reste de la société demeure dans la rue, aux grilles des arènes de décisions. C’est là, dit-on, une « commercialisation de la souveraineté » qui consolide une finance en quelque sorte off shore (au même titre que les zones franches) mais qui est aussi appelée à régir l’arène politique où se fixeront les normes écologiques et les « filets » de protection sociale (Palan, 1998). Ce « constitutionalisme libéral » projette un nouveau régime international qui ne laisse fondamentalement à charge des Etats en matière économique que l’exécution des règles établies par des organisations telles que l’OMC ou le FMI (Gil, 1999). La demande effective bridée et la récurrence prévisible des crises financières Que l’ordre de la gouvernance mondiale soit ainsi codifié ne réglera en rien ce qui est un problème macro-économique. Les gains financiers que procure l’endettement ne sont pas appelés à disparaître. Les gouvernements peuvent éviter les dévaluations à chaud provoquant la panique qui amplifie les crises financières. Mais, pour les prévenir réellement, il ne s’agit pas seulement de refroidir les ardeurs haussières survalorisant les actifs et le change, comme le suggèrent les experts qui soulignent la capacité de résistance à la contagion de la crise mexicaine qu’a démontré le Chili grâce aux barrières à l’entrée du capital spéculatif. Le fonds du problème est révélé par le fait que le timide rebond de l’investissement qu’on a observé dans les années 90 ne s’accompagne que sur un temps relativement court d’une pleine utilisation des capacités de production et d’une hausse de la demande effective, chroniquement remises en cause par la crise financière (Ffrench-Davis, 1999). Manquent dès lors les ressorts d’une croissance économique auto-entretenue. L’écart de compétitivité avec les pays développés ne permet pas qu’elle soit tirée par les exportations, et encore moins 11 d’équilibrer le commerce extérieur, d’autant plus que la hausse du change grève la compétitivité. Le cercle vertueux de croissance, engendré au départ par la libéralisation doublée de l’ancrage monétaire, est ainsi devenu un cercle vicieux. Si les banques ont trop prêté en devises, la montée des ruptures de remboursement produit le retournement des anticipations de gains des créanciers internationaux, si ce n’est déjà fait par la trajectoire du compte courant. Le Mexique a été en 1994 la première illustration de ce scénario (Goldstein et Calvo, 1996) qui se répète cette année au Brésil. Le déficit commercial de l’Argentine au moment de la crise mexicaine lui a fait subir de plein fouet l’effet de contagion dont la communauté financière internationale prend alors conscience. Les règles de son système monétaire, qu’imposent la fixité du change, engagent la récession par la restriction de la masse monétaire dont le niveau suit de façon mécanique les réserves de devises. Particulièrement rigoureuses, les normes prudentielles de son système bancaire complètent un dispositif qui réduit la panique financière mais la cure d’austérité est plus grave (Quenan et Miotti, 1999). La confiance reviendra toutefois d’autant plus vite que la forte réduction des importations sera suivie des effets bénéfiques qu’aura le Mercosur sur les exportations grâce à la croissance brésilienne faisant suite à la désinflation. L’Argentine se retrouve dépendante de la conjoncture économique de son voisin comme le montre la forte récession qu’elle connaît à nouveau depuis la récente dévaluation de la monnaie brésilienne, et il continuera d’en être ainsi à moins qu’elle parvienne à accroître sa part du marché mondial agro-alimentaire. Si tel n’est pas le cas, on ne peut exclure l’hypothèse que la fixité du change soit remise en cause pas une fuite de capital. Les opérateurs de marché, conscients de l’ampleur de la dévalorisation des patrimoines que peut signifier la dévaluation, vu l’encours des dettes essentiellement libellé en dollars, font sans doute le pari d’une large opération de sauvetage international. La dynamique macro-économique qui a mené à la crise ne peut plus être aujourd’hui identifiée à un coût d’interférence du politique dans le fonctionnement des marchés et l’on en vient même à parler maintenant de coût d’une libéralisation économique mise en route sans prendre en considération le tempo des effets de la finance sur l’économie réelle. Comme la confiance revient après la cure d’austérité, éventuellement soutenue par un fonds de stabilisation internationale, les gouvernants latino-américains ont tablé jusqu’à présent sur la perspective de la reprise et continuent de le faire. On sait que celle-ci a eu des effets distributifs et créateurs d’emploi mais qu’ils ne compensent pas les pertes engendrées par la récession. Le consensus post-Washington ne sera probablement pas aussi effectif que celui qu’il remplace. On sait qu’il ne générera plus de cercles vertueux distributifs. Le facteur désinflation n’existe plus et, si l’on limite les entrées de capitaux en cas de nouveau rush, il n’y aura pas de financement de la consommation qui puisse compenser la baisse que lui fera subir l’ avancée de la flexibilité du travail. Le temps de la bonanza économique est révolu, ce qui rouvre le débat gouvernemental sur l’intervention économique de l’Etat. Le diagnostic des effets pervers de la politique monétaire sur l’accumulation a été établi par la CEPAL et cautionné par ce qu’il y a d’hétérodoxe dans l’establishment économique international, après que la crise mexicaine ait mis en lumière comment certains équilibres ne s’obtenaient qu’au prix d’autres déséquilibres. Le remède qui s’impose est celui d’une régulation financière qui redonne à l’Etat les moyens d’une politique industrielle et d’une politique des revenus permettant un développement endogène desde dentro en économie ouverte10. L’idée que la politique monétaire grève le potentiel de croissance reste L’expression est de Sunkel (1991). On a montré ailleurs (Marques-Pereira et Théret, 1999) que la trajectoire passée de l’industrialisation par substitution des importations a donné au Brésil les moyens d’une croissance en 10 12 toutefois un verdict d’économistes latino-américains superbement ignorés, quel que soit leur renom. Les failles du marché – qu’elles soient ou non seulement financières - ne sont manifestement pas seules en cause ; ce sont les choix publics qui organisent l’asymétrie des pouvoirs des marchés. On est ainsi amené à prévoir, en dehors du Mexique dont l’intégration au marché nord-américain peut sans doute réduire son déficit commercial, que les crises financières se répéteront sur le reste du continent. Il n’y a pas mise au ban des marchés internationaux comme dans les années 80. Tout au contraire, le taux de change du Brésil s’est stabilisé mais les taux d’intérêt réels autour de 20% rendent son taux d’endettement pour le moins menaçant. Les risques structurels de nouvelles crises de paiement n’ont en rien été enrayés. La possibilité de leur occurrence n’est pas exclue par l’opinion financière ; le Brésil et l’Argentine sont restés jusqu’il y a peu dans la ligne de mire. La chronique annoncée n’est pas seulement la réitération d’opportunités de gains sur la base des mêmes prises de risques que cautionnent les instances de la gouvernance mondiale en proclamant que les crises financières ont été maîtrisées ; elle fait figure de mécanisme régulateur dans le sens d’un double effet de système : on a là un mécanisme de dégonflement des bulles spéculatives mais aussi de régulation politique. La crise est l’occasion de poursuivre plus avant la redéfinition de la souveraineté qui sert le pouvoir de la finance. La vulnérabilité des monnaies latino-américaines est régulée, mais l’hégémonie de la finance n’est pas vraiment assurée sur le plan de la légitimité que peuvent alors faire valoir les Etats. L’action gouvernementale peut sans doute paraître difficilement contestable dans un paysage social avant tout marqué par l’incapacité des acteurs collectifs à s’opposer à l’éclatement des statuts d’emploi induit par la restructuration productive. Faut-il croire pour autant que le monde du travail soit définitivement soumis à des règles de négociation sociale qui permettent de faire porter toujours plus le poids de l’ajustement sur le marché du travail ? On pourrait multiplier les exemples qui conduisent à s’interroger sur les conditions d’un dépassement de la déroute de l’action sociale après une décennie porteuse des mouvements de démocratisation. Le nouveau gouvernement De La Rua d’Argentine parvient apparemment à faire passer réforme de la législation du travail qui ne doit, semble-t-il, qu’entériner une gestion du travail déjà de facto rendue flexible. La négociation nouvelle des programmes de qualification et de reconversion des travailleurs, gérés par les syndicats, les patrons et les pouvoirs locaux se généralise pour obtenir la paix sociale en dépit des mises à pied et de la détérioration du marché du travail. Dans la crise financière, la légitimité gouvernementale est toutefois mise à l’épreuve et l’on voit mal quels dividendes politiques peut rendre l’économie à l’avenir. La souveraineté monétaire en suspens La perte d’autonomie de la politique monétaire a des formes d’expression politique spécifiques à chaque pays. Si l’on réfléchit à la prévention des crises financières en Amérique latine, il faut privilégier les cas de l’Argentine et du Brésil du fait que ces deux pays conditionnent l’avenir du Mercosur. Le tour que peut y prendre le débat politique est pour l’instant une inconnue : la coalition gouvernementale a changé en Argentine sans qu’il y ait de revirement programmatique et l’on ne sait encore ce qu’elle deviendra au Brésil. Il faut toutefois noter que les premiers signes d’un débat contradictoire de politique économique commencent à y voir le jour. Il ne s’agit pas de se livrer ici à une quelconque prospective économie ouverte qui repose sur l’acquisition d’avantages compétitifs acquis grâce à la taille de son marché interne. Une telle stratégie de croissance suivie jusqu’au plan Real s’est retrouvée alors au second plan et son redéploiement à l’échelle du Mercosur se retrouve dès lors mis en cause une fois que la politique monétaire manifeste son impact négatif sur la demande interne. 13 mais de souligner l’enjeu que représente le Mercosur. D’un point de vue normatif, ce dernier représente la possibilité de constitution d’un pouvoir public supranational récupérant la souveraineté monétaire perdue des Etats et les dotant ainsi d’un pouvoir de régulation économique. La convergence macro-économique que suppose une telle perspective n’est pour l’instant qu’un exercice théorique dans le débat sur la politique monétaire, au même titre que la proposition d’adopter le dollar comme monnaie nationale11. La question de la souveraineté n’est pas abordée et celle du prêteur en dernier ressort demeure en suspens. On continuera donc à ne la considérer qu’au coup par coup, au gré des ruptures de paiement et les créanciers continueront de jouer sur l’aléa moral pour tirer parti des déséquilibres économiques tant qu’ils les jugent soutenables et qu’ils seront tolérés par les populations. Il est ainsi manifeste que la souveraineté monétaire n’est assurée qu’en très dernier ressort, ce dont témoigne précisément la gestion des crises financières. Mieux assurer la souveraineté monétaire, c’est redonner au pouvoir politique la possibilité de limiter la liquidité financière, sans quoi la monnaie devient un actif financier comme un autre et ne peut dès lors soutenir une régulation économique efficiente. Une telle possibilité ne peut être envisagée, dans le contexte des relations internationales actuelles, que sur la base de l’intégration régionale. Vu l’intégration marchande et financière déjà existante, seuls des pouvoirs publics représentant des blocs régionaux peuvent apparaître comme des acteurs faisant le poids face à des opérateurs dont le marché est mondial. L’Europe y a été conduite de par son histoire de guerres. L’Amérique latine est confrontée au même problème et, si le projet du Mercosur en est la traduction géopolitique manifeste, le caractère particulièrement tendu des négociations commerciales entre le Brésil et l’Argentine à l’heure actuelle (Scharzer, 1999) démontre toutefois que la souveraineté monétaire que peuvent faire valoir ces Etats face au pouvoir de la finance est devenue si réduite qu’ils se retrouvent, du moins jusqu’à présent, dans l’incapacité de mettre en route la convergence macroéconomique qui ouvrirait la voie à une telle perspective. Peut-on conjecturer, face aux aléas économiques et politiques que signifie le statu quo, qu’une conception alternative de la politique économique (ne se réduisant plus à la seule gestion du court terme) pourrait alors émerger dans le débat politique ? La question peut être posée au regard des clivages d’opinion dans l’administration publique brésilienne sur la politique monétaire, autrement dit, dans la perspective de ce que peut révéler son héritage nationaliste et programmateur face au pari d’asseoir la crédibilité d’un excédent budgétaire à laquelle est suspendue l’opinion financière (Sallum, 1999). Les aléas d’un tel pari, doublés de ceux qui pèsent sur le commerce extérieur argentin, ont ébranlé le Mercosur. Les marchés ont imposé la dévaluation de la monnaie brésilienne et la nouvelle donne commerciale entre les deux pays se négocie mal. Le Mercosur semble condamné à se dissoudre dans le projet d’un libre échange continental que promeuvent les Etats-Unis si les décideurs politiques latinoaméricains se résignent de facto à une trajectoire économique de stop and go, et donc à gérer l’alternance entre recherche de stabilité monétaire et de gains de compétitivité12. Pour l’instant, il est manifeste que les décideurs n’entrevoient pas d’alternative tant il est vrai que la possibilité d’une autre politique est conditionnée à celle d’une délibération politique sur les questions monétaires dont l’absence fait paraître pour l’instant utopique toute politique monétaire qui ne soit pas du gré des marchés financiers. 11 Voir sur la question Salama, 1999. Toutes choses demeurant égales par ailleurs sur le front externe ; ce qui n’est pas sûr mais sans doute probable à moyen terme. 12 14 Si ce qu’on appelait autrefois les classes productives redevenait acteur politique, les gouvernants seraient-ils amené à suivre le cours de l’histoire qu’ébauche la construction européenne, c’est-à-dire, à faire également de l’économie le moyen de réaliser la vision géopolitique alternative de la souveraineté dont est porteur le Mercosur ? C’est là le conflit symbolique qui se joue dans l’imaginaire politique entre l’utopie libérale d’une monnaie purement marchande et le projet d’une monnaie commune. Cette dernière perspective ne peut qu’être tenue pour un mirage en l’absence de tout débat politique sur la souveraineté. Le mirage a pourtant sa cohérence : l’intégration économique peut être le moyen de desserrer la contrainte externe si elle rend possible une substitution nouvelle d’importations qui favorise l’exportation tout en redonnant du dynamisme au marché interne 13. Un régime économique moins cyclothymique, autorisant une réversion de l’aggravation du chômage et de la précarité du travail, est concevable dans l’intégration régionale si celle-ci ouvre la voie à un arbitrage politique entre investissement productif et placement financier en redonnant au pouvoir public l’usage de l’instrument monétaire qui lui permette d’en fixer les conditions de valorisation respectives. Le partage de la souveraineté monétaire entre Etats latino-américains leur éviterait de la déléguer à des autorités internationales dont la norme de politique monétaire est à l’origine de la crise. Les chances et les écueils d’un tel scénario renvoient à l’évolution que connaîtra la légitimité politique, et donc, à la société civile. QUELLE LEÇON TIRER DE LA FRAGILITE FINANCIERE LATINO-AMERICAINE ? L’exercice de la souveraineté monétaire a considérablement évolué depuis la remise en cause des accords de Bretton-Woods. L’importance qu’ont pris les arbitrages privés sur les marchés des changes a réduit le pouvoir de régulation des politiques monétaires. Celles-ci ne sont plus le monopole des Etats-nations. L’administration de la monnaie relève également de ce qui est appelé une gouvernance mondiale qui ordonne le jugement financier des politiques des Etats et fixe le cours des titres souverains. Les pouvoirs internationaux hérités de BrettonWoods gèrent tant bien que mal les anticipations du marché. La contrainte externe s’est imposée comme le maître mot qui justifie les choix de politiques économiques qu’il faut rendre crédibles aux yeux du monde financier. Il a fallu plus de dix ans pour nouer les accords de Bretton-Woods après que la crise de 1930 ait consterné les observateurs de l’époque sur les dégâts potentiels des marchés financiers déréglementés. Les bienfaits de la libéralisation des marchés financiers demeurent incontestés dans les discours officiels mais avoir révélé qu’il faut prévenir leurs crises impose la publicité du débat sur ses règles de fonctionnement. Celui qui se noue sur les règles de prudence financière met d’emblée l’Etat hors du jeu. La volonté politique existante réduit l’action publique aux objectifs peu ambitieux de garantir l’information sur les risques financiers et de taxer les marchés peu transparents. Nul ne sait si le cours des événements remettra ou non en question l’impasse qui est faite sur les effets réels du pouvoir de la finance. La légitimité gouvernementale est d’abord affaire de politique intérieure et elle suppose de concilier l’emploi, voire la solidarité sociale – officiellement du moins – avec l’aval de la communauté financière internationale. Cet aval est aujourd’hui pensé par la théorie en tant qu’opération cognitive conditionnant la mise en œuvre de la politique monétaire. 13 Les expériences en ce sens existent déjà, comme le montre par exemple le cas du développement de nouvelles filières de production agro-industrielles dans le Centre-Ouest du Brésil qu'a assurées un partenariat entre le public et le privé favorisant la production locale de nouvelles technologies. 15 La rationalité des agents et de leur pouvoir de sanction n’est toutefois que la phénoménologie des marchés. La crédibilité de la politique monétaire ne se réduit pas à une question de spéculation financière ; elle s’adosse à des schèmes de perception de la légitimité et de la souveraineté que les gouvernants puisent dans la théorie économique. Les conceptions de la monnaie sont, en ce sens, déterminantes : elles dictent le partage social de la richesse. En Amérique latine, on a ainsi contourné la négociation politique du conflit distributif par l’endettement international. Le débat de politique monétaire est alors devenu le principal référentiel de l’action gouvernementale. Ce n’est pas une simple question cognitive d’anticipations. C’est là « le corpus des représentations constitutives d’un modèle du monde macro-économique majoritairement adopté par les agents », qui obtient « la validation et le soutien actif des groupes sociaux suffisamment dotés de ressources de pouvoir pour en constituer quelque chose comme le bloc hégémonique » (Lordon, 1999, p. 178 et 181). L’apparent paradoxe existant dans l’hypothèse d’une régulation politique par la crise financière n’est en fait que l’expression de la prévalence de la logique spéculative qui limite la capacité de produire et de créer de l’emploi générant de nouvelles demandes. Dans une société demeurée patrimoniale depuis le temps des colons, l’histoire longue qui va du règlement des dettes – du début des Temps Modernes à leur négociation sur les marchés financiers d’aujourd’hui, est celle de la métamorphose de l’ancien tribut sur le commerce colonial en un endettement international durable. Rendre possibles une meilleure distribution des revenus, la création d’emploi et une dynamique de demande intérieure en Amérique latine, suppose d’asseoir la souveraineté du pouvoir politique sur la finance publique que l’endettement entame de longue date. Le problème n’est sans doute pas propre à l’Amérique latine. Ni les limites à la progression de la demande effective (interne et externe) découlant d’une finance privée laissée sans garde-fous, ni la capacité d’un régime monétaire d’accroître les inégalités et de neutraliser la pression sociale de surcroît, ne sont en effet des réalités exclusives de cette région du monde. La réduction à marche forcée du déficit public en Italie est à cet égard exemplaire. De telles dynamiques revêtent en Amérique latine un caractère exacerbé en raison d’une histoire par laquelle le combat contre les inégalités qui s’est développé dans ses années 60 aux années 80 a été perdu. Ce fut là un cycle politique qui débute avec le coup d’Etat de 1964 au Brésil, se poursuit avec celui qui renverse le gouvernement de Salvador Allende, et débouche finalement dans le contexte des nouveaux régimes démocratiques, sur la mise à l’écart des ministres de l’économie qui prétendaient mettre en œuvre une réforme fiscale permettant de financer le service de la dette par l’impôt plutôt que par l’inflation, comme ce fut le cas avec l’opposition des élites économiques aux plans hétérodoxes de stabilisation au Brésil ou en Argentine dans les années 80. La stratégie de stabilisation, conforme aux préceptes du FMI, qui sera mis en œuvre par des présidents ayant mené campagne en promettant leur appui aux secteurs capables d’obtenir des gains de compétitivité et une politique de relèvement des bas salaires, tels que Menem, Cardoso ou Fujimori, scelle le renoncement à toute volonté politique de combat contre les inégalités. La trajectoire de l’Amérique latine met, en ce sens, en lumière les paramètres déterminant qu’une croissance économique faisant une large place aux marchés financiers est soutenable ou non. En termes structurels, le problème du caractère spéculatif de la finance est celui de ses effets macro-économiques et sociaux. D’un côté, le salaire et le degré de précarité de l’emploi deviennent le principal mécanisme d’ajustement aux prix de la monnaie que doit payer l’entrepreneur - un taux de change et un taux d’intérêt surévalués, et de l’autre, pour ces même raisons, les gains de compétitivité restent cependant à la traîne. 16 Faut-il croire que ce scénario n’est que le lot de marchés émergents ? Les crises financières des économies latino-américaines montrent que la gouvernance mondiale de la monnaie a été le moyen de compenser un handicap de compétitivité par une concentration des revenus. Les Etats ont ainsi annulé l’impact favorable qu’aurait pu avoir la démocratisation sur la répartition de la richesse et se sont par là abstenus de chercher à fonder un cercle vertueux de croissance sur une progression des profits associée à une dynamique de demande effective susceptible de garantir une expansion de la production plus rapide que celle de la productivité et qui soit donc créatrice d’emplois. La progression des gains financiers peut avoir, on le sait, un effet de levier sur la demande lorsque la hausse des placements en bourse se nourrit d’une progression de l’épargne salariale qui compense celle des inégalités de revenus. Ce n’est encore qu’aux Etats-Unis que la finance est ainsi devenue un ressort de croissance mais cette perspective est posée par le patronat, en Europe également, comme la voie à suivre. Rien n’est cependant joué ; on ne sait quelles seront les réactions des Etats et de l’opinion financière face aux impératifs sociaux de légitimité politique qui pèseront sur la crédibilité de la banque centrale européenne en cas de chocs asymétriques14. Quand se dégrade la compétitivité d’une région ou d’une nation, et que les finances publiques se retrouvent alors sous tension, l’ajustement par la régression sociale est d’actualité et la régulation politique qui le rend opérationnel est déjà largement en place. L’enjeu de société que recouvrent ces questions est le même de part et d’autre de l’Atlantique, à savoir la possibilité d’une souveraineté monétaire s’exerçant sur un territoire qui couvre ceux du marché de biens et services et du marché du travail. Ce n’est là qu’une condition territoriale à toute volonté politique de contrôle de la liquidité qui conduirait la finance à s’investir plus dans la sphère productive. Dans la définition institutionnelle de la souveraineté de la monnaie relevant d’une gouvernance mondiale, se joue également représentation financière de la citoyenneté promue par un système de droits de propriété dont le marché fixe la valeur, transforme les droits sociaux en actifs financiers et restaure la concurrence du travail (Orléan, 1999). BIBLIOGRAPHIE AGLIETTA, M. ET ORLEAN, A., éds., La monnaie souveraine, Odile Jacob, Paris 1998. BOYER, R., éd., Le gouvernement économique européen, Rapport au Commissariat au plan, La documentation française, Paris 1999. CASTEL,R., Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, Paris 1995. DORNBUSCH, R. et EDWARDS, S., « La macroeconomía del populismo en América Latina », El Trimestre Económico, n° 225, Mexico 1987. GIL, S., « La nouvelle constitution libérale », L’économie politique, n°2, Paris 1999. 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