AIRES MARINES PROTÉGÉES Traditionnellement, l'utilisation de l'espace marin, en particulier la pêche, a été réglementée par les populations locales afin de protéger des ressources essentielles pour leur survie, mais c'est seulement au début du XXe siècle que les fondements de la conservation des espaces marins ont été établis. Commence alors une évolution dans les mentalités, les concepts et leur mise en œuvre : on est passé de la gestion de l'usage de l'espace marin à la création de petites aires protégées marines, à gestion très stricte, pour finir par privilégier la gestion d'espaces de grande dimension à usages multiples. Si l'objectif est resté le même – la protection du milieu marin et/ou de ses espèces – cette évolution est le résultat d'une meilleure connaissance du domaine marin, mais aussi d'une sensibilisation du public et des utilisateurs de ce milieu. L'ÉVOLUTION DU CONCEPT D'AIRE MARINE PROTÉGÉE Au début du xxe siècle, la gestion du milieu marin se limite à réglementer l'ensemble des activités menées par les individus, et notamment la pêche commerciale. Sa mise en œuvre est assurée au niveau national par diverses agences gouvernementales. Lorsque c'est nécessaire, les décideurs se réfèrent à des accords ou à des institutions internationales tels que le Conseil international pour l'exploitation de la mer, fondé en 1902, la Convention pour la protection des phoques du Pacifique nord, signée en 1911 entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie et le Japon, ou, plus récemment, la Commission internationale baleinière, créée en 1947, et la Convention internationale sur le droit de la mer, adoptée en 1982. Une deuxième approche du concept de protection du milieu marin a vu le jour dans la seconde partie du xxe siècle. L'objectif est alors de créer de petites aires marines protégées au sein de l'espace maritime national, généralement adjacentes à des aires terrestres protégées, afin d'assurer une plus grande protection de ces sites en appliquant des principes de gestion différents. Selon leur rôle, les aires protégées sont appelées : réserves de pêche, lorsqu'elles doivent permettre d'assurer la reproduction des espèces commerciales (poissons, crustacés) ; – parcs marins, lorsqu'elles protègent une – espèce, un écosystème ou un paysage sous-marin tout en permettant en partie de nombreuses activités touristiques ou commerciales ; 1 sanctuaires marins ou réserves intégrales, lorsqu'elles visent une – évolution naturelle du milieu ; dans ce cas, aucune activité humaine n'est possible sur ces lieux. C'est dans le cadre de cette politique nationale de conservation qu'ont été adoptées de nouvelles législations. On peut citer, entre autres, aux États-Unis, la loi de 1972 sur la protection marine ainsi que le programme national sur les sanctuaires marins, ou encore au Japon (1972), en Grande-Bretagne (1973), en France et en Allemagne (1976), l'adoption de textes majeurs sur la conservation de la nature. Cette période a aussi été l'une des plus importantes pour la déclaration d'aires marines protégées : parcs marins et réserves marines en Méditerranée, tels que Port-Cros (1963), Cerbère-Banyuls (1974) et Scandola (1975) en France, Castellabate (1972) et Portoferraio (1971) en Italie, Zembra (1973) et Zembretta (1977) en Tunisie, ou, dans l'hémisphère Sud, le parc marin de la Grande Barrière de corail (Australie), fondé en 1975. La troisième approche s'est développée surtout depuis les années 1980. Elle consiste à établir des aires protégées de grande dimension, pouvant être multinationales, à usages multiples et fondées sur un système de gestion intégrée. À l'intérieur de cet espace, les niveaux de protection sont différents selon l'importance des ressources naturelles (rareté, richesse), l'intérêt scientifique ou économique et l'usage que l'on veut en faire à long terme. La similarité avec l'évolution des espaces protégés terrestres est grande, passant, dans beaucoup de pays, de petites aires situées au milieu de zones de développement à de vastes espaces englobant les sites précédemment protégés, ce qui renforce leur protection. C'est par une zonation de l'espace et de ses usages que l'on gère ces grands ensembles qui comportent ainsi, à la fois, des réserves de pêche, des parcs marins, des sanctuaires ainsi que de nouvelles zones récemment dénommées (réserves scientifiques, réserves strictes...). De manière idéale, cette nouvelle approche nécessite une gestion coordonnée entre les domaines marins et terrestres. La prise en compte des diverses influences possibles est nécessaire. Celles-ci proviennent, pour n'importe quelle partie du domaine marin, des territoires adjacents : le domaine marin alentour, l'atmosphère qui la surplombe, les fonds océaniques et le domaine terrestre qui la borde. Les deux premiers éléments sont en mouvement permanent et pratiquement incontrôlables, une influence transmise par eux pouvant avoir sa cause à des milliers de kilomètres. Le troisième est plus ou moins stable à l'échelle humaine et son évolution est liée aux mouvements très lents des plaques tectoniques et à des épisodes catastrophiques (tremblement de terre, volcanisme). 2 Le dernier élément est le siège principal des activités humaines, ses influences peuvent être redoutables. Par exemple, les réserves situées à proximité du delta du Rhône ou en Camargue sont sous l'influence de toutes les activités existant le long de ce fleuve et de ses affluents, non seulement en France mais aussi en Suisse. D'une manière idéale, la gestion intégrée ne sera que meilleure si elle est le fait d'une seule autorité ou agence. C'est le cas en France pour les grands fleuves, chacun d'entre eux étant géré par une seule agence de bassin. DÉFINITION ET RÔLES D'UNE AIRE MARINE PROTÉGÉE En se référant aux standards internationaux, notamment à la classification établie par l'Union internationale pour la conservation de la nature (U.I.C.N.), une aire marine protégée (quel que soit son nom) peut être définie comme « toute zone de balancement des marées ou marine, comprenant les eaux, la faune, la flore, les caractéristiques historiques et culturelles couvertes par une législation visant à protéger tout ou partie de l'environnement marin et de systèmes terrestres adjacents ». Les aires marines protégées ont des objectifs divers qui peuvent être : de protéger et de gérer des espaces marins ou des estuaires afin – d'assurer leur viabilité à long terme et de respecter leur diversité génétique ; de protéger des espèces ou des populations animales ou végétales – dont le statut est considéré comme endémique, rare, vulnérable, menacé, en préservant les habitats considérés comme critiques pour ces espèces ; de protéger et de gérer des espaces nécessaires au cycle naturel d'espèces économiquement importantes ; – de limiter les activités autour d'une zone sensible ; – d'assurer l'accès aux ressources naturelles des populations pouvant être affectées par la création des aires protégées ; – de préserver, de protéger et de gérer les sites historiques, – culturels et les paysages naturels afin d'en faire bénéficier les générations futures ; de faciliter l'accès à la connaissance du milieu marin dans un but – de conservation, d'éducation ou de développement du tourisme ; de permettre, en les réglementant, les activités humaines qui respectent les objectifs ci-dessus ; – 3 de favoriser la recherche et la formation afin d'assurer un suivi – permanent du milieu à l'intérieur de l'aire protégée et en zone périphérique ; dans cette dernière, certaines activités peuvent être réglementées, voire interdites, par l'administration régionale ou centrale. CRÉATION D'AIRES PROTÉGÉES Une meilleure connaissance des aires existantes a permis de mieux en apprécier la valeur et a poussé des pays ou des organisations à développer ces zones afin de mieux gérer les milieux et les espèces les peuplant. La création de ces aires de protection est souvent fort complexe en raison de la multiplicité des juridictions du domaine marin et côtier. À chaque niveau d'intervention – local, régional, national et international –, la responsabilité est souvent partagée entre différentes administrations, chacune ayant sa législation, accompagnée de décrets d'application parfois contradictoires. La prise de décision par une seule administration est insuffisante. La concertation entre les diverses administrations s'impose, et le recours à un niveau supérieur (souvent le Premier ministre) est souvent nécessaire mais parfois considéré comme hors de proportion au regard de l'objectif visé. Lenteurs, retards et changements de gouvernement enterrent souvent le projet au niveau administratif, même si les associations restent très actives. Depuis quelques années, ce sont en général les acteurs économiques en relation avec un environnement de qualité, et en particulier le secteur lié aux loisirs (organisateurs de voyages, hôteliers), qui sont demandeurs d'espaces protégés à proximité des zones touristiques. L'impact économique d'une aire protégée croît considérablement d'année en année avec la réduction des espaces naturels de qualité. Les visiteurs ont une influence directe sur l'économie locale et nationale (emplois) ou indirecte avec les activités associées aux loisirs (agences de voyages, visites guidées, plongées, etc.) et les services qui les entourent. Cet impact économique est difficilement évalué par les gouvernements, mais l'impact social, en termes d'emplois en particulier, est important et peut emporter la décision.. Voir de plus en plus grand semble l'objectif pour réussir à gérer un espace protégé. Il faut donc souvent envisager des mesures internationales. Aujourd'hui, les efforts sont beaucoup mieux récompensés au niveau national qu'au niveau international. Par exemple, il a été facile de créer un espace marin multinational pour l'Antarctique, mais le traité signé par les différents pays n'a toujours pas été mis en œuvre, cet espace n'étant encore qu'un « parc de papier » (expression consacrée) avec une gestion quasi inexistante. 4 En revanche, dans chaque pays, les efforts de conservation sont importants. Parmi les parcs de nouvelle génération, les plus connus et les plus grands sont aujourd'hui, pour l'hémisphère Sud, le parc de la Grande Barrière de corail, qui protège près de 2 000 kilomètres de côtes australiennes et de récifs, et, pour l'hémisphère Nord, le réseau d'aires marines protégées le long de la côte égyptienne du golfe d'Aqaba, qui couvre près de 260 kilomètres et qui, avec l'extension en cours le long des côtes est de la mer Rouge, constituera un ensemble de plus de 1 000 kilomètres. En réalité, au niveau international comme au niveau national, la multiplication des aires protégées, tant marines que terrestres, résulte d'une prise de conscience. En 1992, à Rio de Janeiro, lors de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (C.N.U.E.D.), l'accent a été mis sur la protection de notre seul espace vital, la planète Terre, avec un chapitre entier consacré à la protection des océans. Le nombre de demandes de création de sites et leur répartition montrent que cette prise de conscience est générale. Toutefois, notons que les déclarations de sites sans réelle gestion peuvent s'avérer plus néfastes que bénéfiques, servant de justification pour d'autres actions. La gestion intégrée de l'espace terrestre, d'une part, et celle de l'espace marin, d'autre part, est de plus en plus efficace, les scientifiques ayant défini les problèmes et les administrations ayant précisé leurs rôles. Le problème majeur restant à traiter ces prochaines années concerne l'interface entre ces deux milieux. La gestion intégrée de la zone côtière (parties terrestre et marine) est un des sujets majeurs des grandes organisations internationales, notamment le Programme des Nations unies pour l'environnement (P.N.U.E.) ou pour le développement (P.N.U.D.), la Banque mondiale, l'U.I.C.N. ou le W.W.F. (World Wildlife Fund), spécialement dans les pays en développement. Alain JEUDY-DE-GRISSAC Bibliographie A. Price & S. Humphrey, « Application du concept de réserve de la biosphère aux aires marines et côtières », rapport de l'atelier de travail U.N.E.S.C.O., 1993 U.I.C.N. de San Francisco (14-20 août 1989), Marine Conservation and Development Report, I.U.C.N., Gland, Suisse. 5 sites Internet: http ://www.iucn.org http ://www.wwf.org http ://www.wcmc.org http ://www.environnement.gouv.fr http ://www.sinaiparks.gov.eg BIODIVERSITÉ Le terme biodiversité apparaît pour la première fois dans la littérature scientifique, sous sa forme anglaise (biodiversity), quelques années avant la conférence de Rio (1992) puis se diffuse dans le monde entier après cet événement. Consacré à l'environnement et au développement durable dans le cadre d'un programme des Nations unies, ce « Sommet de la Terre », auquel ont participé de nombreux chefs d'État, a donné le jour à la Convention sur la diversité biologique, ratifiée par la grande majorité des pays, à l'exception notable des États-Unis d'Amérique. Dans ce contexte politique et mondial, marqué par des préoccupations et des engagements concernant l'environnement et le développement de la planète, le mot biodiversité a pris un sens sensiblement différent de celui de l'expression « diversité biologique », permettant de faire sortir cette notion de la sphère des seuls biologistes. De la diversité du vivant au concept de biodiversité 6 Que la vie se manifeste sous des formes très diverses est un fait bien connu, et de longue date. Quand ils peignaient des bisons, des lions, des sangliers ou des antilopes, les hommes des cavernes témoignaient déjà, entre autres, de leur connaissance d'un monde vivant diversifié. Depuis lors, les naturalistes, paléontologues, systématiciens, puis écologues et généticiens n'ont cessé de faire état de la diversité du vivant, c'est-à-dire de la richesse des espèces vivantes et disparues, de la variabilité génétique au sein des populations d'une même espèce, de la diversité des fonctions écologiques qu'elles assument et des écosystèmes qu'elles constituent. Ainsi, apparue il y a 3,8 milliards d'années dans les eaux de la planète Terre, sous forme de molécules puis de protocellules capables de s'autorépliquer, la vie n'a cessé de se diversifier tout en se transformant. Quand de nouvelles espèces naissaient, d'autres disparaissaient : comme les individus qui les constituent, les espèces sont mortelles, mais leur durée de vie se compte, en moyenne, en millions d'années. Aujourd'hui, la Terre héberge plus d'une dizaine de millions d'espèces – les estimations varient entre 10 et 30 millions – mais seulement 1,7 million sont connues, c'est-à-dire décrites et nommées. Connues, c'est trop dire en effet : pour l'écrasante majorité d'entre elles, on ignore à peu près tout de leur biologie, de leurs caractéristiques fonctionnelles, de leur rôle dans l'écosystème planétaire, de leurs utilisations possibles par l'homme. 7 À la source de cette profusion d'espèces, on trouve une omniprésente variabilité génétique, la prodigieuse capacité de multiplication des êtres vivants et la mécanique implacable de la sélection naturelle. À l'analyse apparaît tout d'abord un ordre taxonomique, qui traduit l'organisation phylogénétique de la diversité du vivant ; ensuite, un ordre écologique exprime l'organisation fonctionnelle de cette diversité. Le premier résulte du processus de spéciation : les nouvelles espèces qui apparaissent procèdent d'espèces mères ; en d'autres termes, il existe des relations de parenté entre toutes les espèces (fig. 1). Quant à l'ordre écologique, il est issu de la dynamique des interactions qui s'exercent au sein de systèmes – les écosystèmes – constitués de populations naturelles et de leur environnement physique (biotope, climat) [fig. 2]. Par le jeu des interactions de compétition, prédation, parasitisme, mutualisme et sous l'effet de contraintes exercées par le cadre physico-chimique et climatique, les différentes espèces ajustent leurs niches écologiques, évoluent ou disparaissent localement. On imagine aisément qu'à l'échelle de l'évolution cette diversité écologique – diversité des espèces et diversité des fonctions écologiques (niches) – ait pu être canalisée et organisée du local au planétaire. La diversité du vivant est donc un fait bien établi. Il paraît souhaitable de réserver l'emploi du néologisme biodiversité – qui certes signifie littéralement la même chose – au concept qui s'est dessiné dans les coulisses de Rio et qui donne corps à la Convention sur la diversité biologique. Parler de la diversité du vivant dans ce cadre, c'est dire autre chose que ce qu'entend habituellement 8 le systématicien, le généticien ou l'écologue dans son univers de spécialiste. C'est à la fois cela et davantage. Et c'est donc différent à deux titres. Tout d'abord, notre attention est désormais attirée sur les interdépendances qui existent entre les trois composantes majeures de la diversité du vivant : la variabilité génétique, la diversité des espèces et la diversité fonctionnelle ou écologique, classiquement abordées séparément par des spécialistes portés à s'ignorer. Bref, c'est l'idée même de diversité qui prend de l'importance. Ensuite, et c'est la rupture conceptuelle la plus significative, nous sommes invités à sortir du seul champ des sciences de la nature : le concept de biodiversité n'appartient pas aux seuls biologistes. Il inscrit la diversité du vivant au creux des enjeux, préoccupations et conflits d'intérêts qui se sont fait jour à Rio et qui expliquent qu'une Convention internationale, signée par 188 pays et l'Union européenne, s'impose aujourd'hui aux gouvernements du monde entier (même à ceux qui, comme les États-Unis, ont refusé de s'engager) pour organiser le développement des connaissances, la protection et l'utilisation durable de la diversité du vivant, ainsi qu'un juste partage des bénéfices qui en découlent. 2Les enjeux de la biodiversité Raison d'être de la diversité du vivant Si la diversité apparaît aussi omniprésente, constamment renouvelée, restaurée après chaque grande crise d'extinction, c'est qu'elle assure une fonction essentielle pour l'expression et le maintien de la vie. De fait, il n'y a pas de vie sans diversité : c'est une caractéristique intrinsèque du vivant. 9 Les risques associés à l'appauvrissement génétique des populations animales ou végétales sont aujourd'hui bien connus. Ils sont de trois types : une adaptabilité amoindrie face aux changements de l'environnement ; – un développement accru de l'expression des gènes délétères ; – une diminution des systèmes de défense, immunitaires ou autres, – exposant davantage les individus à l'agression des agents pathogènes. L'homme a appris à ses dépens que l'homogénéisation génétique des variétés de plantes produites et cultivées à une échelle industrielle les exposait particulièrement aux ravageurs – virus, champignons ou insectes – doués de capacités d'évolution et de pullulation rapides. Ainsi, en 1970, tandis que les pratiques de croisement et de sélection avaient réduit 85 % du maïs cultivé aux ÉtatsUnis à une presque totale homogénéité génétique, la résistance de cette plante à l'helminthosporiose, une maladie cryptogamique, fut surmontée par le champignon et l'épidémie provoqua des dégâts considérables. En 2000, une équipe chinoise a montré que la diversité génétique du riz accroissait considérablement la résistance de cette céréale à la pyriculariose, la principale maladie fongique qui l'affecte : en associant aux variétés sensibles à la maladie d'autres variétés, on a pu accroître le rendement des cultures de 89 %, tandis que la maladie reculait de 94 % par rapport à des cultures monovariétales. Au point que le recours à des fongicides fut abandonné (Zhu et al., 2000). 10 Si la variabilité génétique est, pour toute espèce, une assurance pour parer à l'imprévu, on peut considérer dans les mêmes termes la diversité des espèces et donc celle des écosystèmes pour l'homme et ses besoins connus ou à venir. De fait, alors que l'on parle beaucoup de changements climatiques, à l'heure où l'utilisation des sols et des milieux est profondément affectée par les besoins des hommes, on ne peut douter que les conditions de l'environnement se modifieront dans les années et décennies à venir. Pour y remédier et mieux gérer à notre convenance et d'une façon durable les systèmes biologiques dont nous dépendons, il faudra pouvoir disposer de toute la diversité des « compétences écologiques » qui existent dans la nature : gènes, complexes de gènes ; espèces, complexes d'espèces ; écosystèmes et paysages. Au-delà de l'intérêt économique évident des ressources génétiques que représentent les espèces et des raisons éthiques qui militent en faveur de la sauvegarde de ces dernières, l'érosion de la biodiversité a des implications écologiques : une perte de la diversité génétique, par le jeu de la réduction – des effectifs au sein des populations, puis l'extinction des populations et des espèces ; une rupture et une perte des performances écologiques à l'échelle des écosystèmes. – Le premier point, très médiatisé, fait oublier le second : comment les espèces assurent, par leur diversité, la durabilité des écosystèmes. Cette question est encore insuffisamment étudiée mais on peut avancer que les espèces et leur diversité peuvent avoir un rôle écologique important assurant la 11 « résilience » des écosystèmes soumis à des perturbations, c'est-à-dire leur capacité à se rétablir après celles-ci. La perte d'espèces, l'amenuisement continu des populations naturelles et la simplification des habitats peuvent atteindre un seuil critique et conduire finalement à la rupture du fonctionnement et de la résilience des écosystèmes – donc à leur effondrement irréversible ; d'autres espèces, ravageurs ou fléaux, peuvent alors s'introduire et amplifier le processus. Un potentiel de ressources renouvelables précieux La prodigieuse diversité des espèces (diversité génétique comprise) est une source encore largement inexplorée de produits alimentaires, de matériaux (papier, vêtements, bois, fibres...) et de ressources pharmaceutiques. L'agronomie ne cesse de tirer profit de cette diversité, non seulement des rares espèces effectivement exploitées à une échelle industrielle (riz, blé, maïs...) mais aussi de quantité de variétés et espèces sauvages qui sont des sources de gènes pour améliorer les variétés exploitées (gènes de résistance à la sécheresse ou à tel ou tel ravageur, par exemple). Le domaine médical fait de même. Éléments essentiels de la médecine traditionnelle – 80 % de la population mondiale y a toujours régulièrement recours –, les plantes restent à la base de la médecine moderne. On peut citer la morphine, extraite du pavot, la quinine provenant du quinquina, la digitaline de la digitale, l'aspirine du saule et de la reine-des-prés. Aux États-Unis, 25 % des ordonnances prescrites comportent des médicaments dont les principes actifs sont tirés ou dérivés 12 de plantes. Cela atteint 41 % si l'on y ajoute animaux et micro-organismes. Plus de 70 % des traitements anticancéreux prometteurs sont issus d'êtres vivants, notamment de plantes tropicales. En 1997 déjà, le chiffre d'affaires des médicaments dérivés de sources biologiques dépassait les 100 milliards de dollars aux États-Unis. À lui seul, le ginkgo, ou arbre aux quarante écus, représente un chiffre d'affaires de 500 millions de dollars par an, grâce aux molécules très efficaces qui en sont dérivées pour contrer les maladies cardio-vasculaires. La biodiversité marine est également mise à profit dans cette recherche intensive de nouvelles molécules actives. La description, depuis les années 1980, de 3 000 à 4 000 substances nouvelles synthétisées par les organismes marins – algues, invertébrés ou micro-organismes – a permis de caractériser près de 500 molécules actives : antitumorales, antivirales, immunomodulatrices, antibiotiques, antifongiques, anti-inflammatoires, inhibiteurs enzymatiques et moléculaires agissant au niveau des systèmes nerveux ou vasculaires. Actuellement, trois médicaments d'origine marine sont commercialisés : un antibiotique (la céphalosporine), un antitumoral (la cytarabine) et un antiviral (la vidarabine). Une trentaine de molécules sont à des stades de développements divers. Pour le biologiste, frappé par la diversité et par la sophistication des mécanismes de défense mis au point au cours de milliards d'années d'évolution par les espèces exposées, comme celle de l'homme, à une multitude d'agents pathogènes, de parasites et de prédateurs, quoi de plus naturel que de chercher à détourner ces armes chimiques à notre profit ? La sélection naturelle a retenu dans tous 13 les milieux des espèces capables de résoudre les problèmes posés par un environnement hostile – températures extrêmes (bactéries des sources hydrothermales), lutte contre des pathogènes ou des parasites, protection vis-à-vis de consommateurs trop avides ou de compétiteurs dangereux. La biodiversité apparaît donc, pour l'espèce humaine et les autres, comme un atout en termes d'adaptation et de survie à long terme. Mais, c'est aussi un enjeu puisqu'il s'agit de ressources précieuses, avec les conflits d'intérêt que cela suppose. Quand on aura souligné que la biodiversité est principalement une richesse des pays tropicaux et que les grands groupes industriels et pharmaceutiques sont des firmes internationales ayant leur siège dans les pays du Nord, on comprendra mieux les tensions et polémiques qui se sont développées avant la conférence de Rio et qui se poursuivent autour de la Convention sur la diversité biologique. Des services écologiques Le tissu vivant de la planète est organisé en écosystèmes. Pour faire image, en assimilant la planète à un être vivant, comme le propose James Lovelock avec son concept Gaïa, on pourrait dire que les écosystèmes constituent les organes de la biosphère. Ainsi, les savanes, les forêts tropicales et tempérées, les déserts, les systèmes cultivés, les lacs, les rivières et les océans sont autant de systèmes vivants qui assurent des fonctions essentielles dont bénéficie l'homme, directement ou indirectement. On parle à ce propos de services écologiques : recyclage des déchets organiques, production de matières vivantes, pollinisation, régulation des climats, purification de l'eau, etc. Ce 14 concept – qui vise à faire prendre en compte des processus écologiques qui, s'exerçant hors marché, étaient tenus jusque-là pour « sans valeur » – a conduit au développement d'une nouvelle discipline : l'écologie économique. Faisant le lien entre écologie et économie, elle devrait favoriser la prise de conscience de l'importance de la biodiversité et des fonctions assurées par les écosystèmes pour le bon développement des sociétés humaines. L'évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millennium Ecosystem Assessment, M.E.A.), étude mondiale de grande ampleur conduite de 2001 à 2004 et lancée par Kofi Annan dans le cadre des Nations unies, a donné à cette préoccupation un retentissement planétaire et marque une étape majeure dans l'évolution de l'écologie. Les services écologiques sont regroupés en grandes catégories, selon qu'ils contribuent à des activités de « soutien de base », de production des « biens », de « régulation », ou d'ordre « culturel » (fig. 3). Vers une sixième crise d'extinction Avec le succès écologique et économique de l'espèce humaine, on est entré dans la sixième crise d'extinction d'espèces. Les cinq précédentes furent la conséquence de catastrophes géologiques (éruptions volcaniques...) ou astronomiques (chutes de météores), généralement suivies et amplifiées par des changements climatiques et, donc, écologiques. La crise actuelle s'en distingue parce qu'elle est le fait de l'homme (crise anthropique) mais aussi parce qu'elle s'inscrit sur une échelle de temps beaucoup plus restreinte et dans un espace géographique de plus en plus 15 monopolisé par l'homme et ses activités. Elle menace les fondements mêmes d'un développement durable des sociétés humaines. Elle a pour origine cinq phénomènes : la destruction des écosystèmes (pollutions, déforestation, fragmentation des habitats, etc.) ; la pression excessive sur les espèces exploitées (chassées, pêchées, récoltées ou utilisées à des fins industrielles) ; la prolifération d'espèces exotiques introduites ; le réchauffement climatique ; enfin, les extinctions en cascade qui résultent, par exemple, de la disparition d'une espèce clé. Mais la cause première est évidemment le succès écologique et technologique de l'homme, marquée par une croissance exponentielle de ses besoins en ressources et en espace. Les estimations des taux d'extinction sont assez précises pour les groupes taxonomiques les mieux connus et les plus accessibles : vertébrés et plantes supérieures. Pour les autres groupes, on ne peut qu'avancer des extrapolations hasardeuses. Celles-ci sont fondées sur la relation qui existe entre richesse spécifique S (nombre d'espèces) et superficie du milieu A, et qui permet d'évaluer un taux d'extinction à partir d'un calcul simple de taux de déforestation. La plupart des estimations des taux d'extinction produites dans la littérature spécialisée reposent sur un enchaînement d'extrapolations écologiquement fondées. Le point de départ est le constat d'une diminution croissante de la superficie des milieux naturels abritant des faunes et des flores très riches, avec une forte proportion d'espèces endémiques – c'est-à-dire propres à ces régions et 16 inexistantes ailleurs. Le plus souvent, le raisonnement s'applique aux forêts tropicales – qui couvrent 7 % de la surface terrestre et hébergeraient plus de 70 % des espèces vivantes, hors océans. Ainsi, sachant que, en Amazonie, la richesse spécifique des peuplements de plantes et d'oiseaux augmente de 10 % lorsqu'on accroît la surface de forêt explorée de 50 %, on en déduit que si la déforestation réduit la forêt amazonienne à 50 % de sa surface initiale, alors on entraîne une perte de 10 % des espèces qui y sont associées. Que sait-on vraiment des effets de la déforestation et de la fragmentation des grandes forêts tropicales humides ? On dispose de deux grandes séries d'expérimentations qui apportent des informations concrètes sur les effets écologiques de la réduction de la superficie habitable et de la fragmentation du milieu. Depuis la première installation, en 1819, des Britanniques à Singapour, île de 618 kilomètres carrés à la pointe de la péninsule malaise, plus de 95 % des cinq cent quarante kilomètres carrés de végétation primitive ont été totalement défrichés. Sur les quelque vingt-quatre kilomètres carrés de forêts qui subsistent aujourd'hui, moins de 10 % représentent la forêt primaire. Pour cette région du monde, on dispose d'inventaires faunistiques et floristiques historiques. En confrontant ces données avec les recensements effectués par son équipe, l'écologue australien Barry W. Brook (université de Darwin) a pu estimer les extinctions locales survenues depuis cent quatre-vingt trois ans, en relation avec la déforestation à grande échelle (Brook et al., 2003). Par souci d'efficacité et de rigueur, 17 l'échantillonnage des peuplements actuels a été focalisé sur des groupes taxonomiques relativement bien étudiés : plantes vasculaires, crustacés décapodes d'eau douce (écrevisses), papillons, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères. Par ailleurs, de manière à reconstituer la faune primitive de Singapour de 1819, il a fallu compléter les premiers recensements fiables réalisés dans les années 1870 à partir de listes établies pour la péninsule malaise voisine. Sur 3 996 espèces ainsi recensées, 881 ont disparu, soit 28 %. Les groupes les plus affectés, avec des taux d'extinction compris entre 34 et 48 %, sont les papillons, les poissons, les oiseaux et les mammifères – animaux les plus visibles et les mieux connus. À l'opposé, amphibiens et reptiles ont peu souffert de la déforestation massive, avec des taux d'extinction compris entre 5 et 7 %. Les plantes, comme les crustacés, affichent des taux d'extinction intermédiaires, à hauteur de 25 %. Une analyse plus fine montre, en outre, que la plus grande part des extinctions ont frappé les espèces inféodées à des habitats forestiers : 33 % des espèces forestières ont disparu, contre 7 % seulement dans le cas des espèces à plus large tolérance. On peut parler d'extinction en masse (ici à l'échelle locale de Singapour), mais on relève avec intérêt la diversité des réponses enregistrées selon les groupes considérés et leurs spécificités écologiques. Une seconde étude d'un grand intérêt porte sur une expérimentation en vraie grandeur réalisée dans la forêt amazonienne au Brésil (Laurance et al., 2002). En 1979, le World Wildlife Fund (W.W.F.) et le National Institute for Amazon Research du Brésil lancent un projet ambitieux et de grande envergure 18 ayant pour objectif premier d'établir expérimentalement la taille minimale critique des écosystèmes. Ainsi, au début des années 1980, à quatre-vingts kilomètres au nord de Manaus, onze fragments forestiers de un, dix, cent et mille hectares ont été isolés de la grande forêt environnante par des espaces larges de 80 à 650 mètres convertis en pâturages. Les zones de forêts isolées ont été clôturées pour éviter la pénétration des bovins. Parallèlement, des parcelles de tailles identiques furent délimitées dans le bloc forestier proche afin de constituer des témoins pour l'expérimentation projetée. L'ensemble de l'aire d'étude couvrait environ mille kilomètres carrés. Point essentiel de ce projet, des données d'abondance rigoureusement standardisées avaient été collectées avant l'isolement expérimental des divers fragments, pour les arbres, les oiseaux, les amphibiens, les reptiles et quelques groupes d'invertébrés. Les principaux résultats apportés par ce programme, après vingt-deux ans d'études, confirment la prédiction selon laquelle le taux d'extinction dans les « îles » est négativement corrélé à leur superficie. En effet, une fois isolés, les fragments forestiers perdent des espèces à des taux très élevés, et cela d'autant plus rapidement qu'ils sont petits. La disparition de beaucoup de grands mammifères, de primates et d'oiseaux, très sensibles à la taille de leur habitat, a même été observée dans les fragments relativement grands (cent hectares). Conséquence sans doute de l'appauvrissement des peuplements d'oiseaux et de mammifères, les coléoptères des bouses et mangeurs de cadavres furent fortement affectés quelques années à peine après l'isolement des 19 zones boisées. Pour quelques groupes particuliers, on a enregistré des enrichissements faunistiques, à partir des prairies et habitats secondaires environnants (du fait de la faible productivité des pâturages, beaucoup de ranches furent en effet progressivement abandonnés et des forêts secondaires de trois à quinze mètres de hauteur y ont proliféré). Ce fut le cas des petits mammifères et des amphibiens. La majorité des spécialistes, sur la base de données bien étayées pour les plantes, les vertébrés et quelques groupes d'invertébrés, estiment que le taux d'extinction actuel des espèces est mille fois supérieur au taux « naturel ». La sixième crise d'extinction, imputable cette fois à l'homme et à ses activités, est bien une réalité : les experts en évaluent chaque année les menaces (tableau). Conservation et gestion de la biodiversité La prise de conscience par la communauté scientifique de cette crise d'érosion massive de la biodiversité a suscité l'émergence d'une nouvelle discipline au début des années 1980, la biologie de la conservation. Toutefois, les préoccupations relatives à la protection de la nature furent bien antérieures : le premier parc dit national voit le jour en 1872 aux États-Unis (parc de Yellowstone) ; l'Union internationale pour la protection de la nature (U.I.P.N. devenue depuis U.I.C.N., Union internationale pour la conservation de la nature) est constituée en 1948 et, en France, la loi sur les parcs nationaux est votée en 1960, suivie de la création du parc national de la Vanoise en 1963. 20 Progressivement les idées évoluent, dans l'esprit que préconisera, au début des années 1990, la Convention sur la diversité biologique. Cela conduit à la publication, dès 1982, de la Stratégie mondiale de la conservation, devenue Stratégie mondiale pour la biodiversité en 1992, qui souligne le besoin de sauvegarder le fonctionnement des processus écologiques tout en prêtant attention aux exigences de développement. Le saut majeur exprimé par ce texte, relativement à la philosophie dominante dans les milieux dédiés à la protection de la nature avant Rio, réside dans le fait que la conservation de la biodiversité ne se réduit pas à la protection des espèces sauvages dans des réserves naturelles mais consiste aussi, et principalement, à sauvegarder les grands écosystèmes de la planète appréhendés comme la base même et le support de notre développement. Certes, la même idée était déjà à l'origine du concept de réserve de biosphère et du programme Man and Biosphere (M.A.B.) de l'U.N.E.S.C.O. Concernant explicitement les relations entre les sociétés humaines et la biosphère, ce dernier s'inscrivait clairement dans une perspective d'écodéveloppement, dès son lancement en 1971. Pour des raisons variées, qu'il serait trop long d'analyser ici, la relance apportée par la Stratégie mondiale pour la biodiversité était nécessaire ; elle s'appuyait sur des connaissances et une prise de conscience élargies. Cette dynamique post-Rio a d'ailleurs contribué à relancer le dispositif mondial des réserves de biosphère, dans le cadre de la Stratégie de Séville conçue au terme d'une conférence d'experts 21 organisée par l'U.N.E.S.C.O. dans cette ville en mars 1995. Un des points saillants de ce document est le nouveau rôle attribué aux réserves de biosphère dans la mise en œuvre des résultats et recommandations de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement de Rio, et notamment de la Convention sur la diversité biologique. Ce que traduit cette dynamique, c'est une mobilisation planétaire des acteurs de la conservation et de la gestion de la nature et de ses ressources, des O.N.G. qui ont su s'imposer avec un éclat particulier depuis Rio comme de la communauté scientifique concernée. Bibliographie J. E. M. Baillie, C. Hilton-Taylor & S. N. Stuart, A Global Species Assessment, U.I.C.N., 2004 R. Barbault, Un éléphant dans un jeu de quilles. L'homme dans la biodiversité, Seuil, Paris, 2006 R. Barbault dir., Actes de la conférence internationale « Biodiversité, science et gouvernance », éd. du Muséum national d'histoire naturelle, Paris, 2006 R. Leaky & R. Lewin, La Sixième Crise d'extinction. Évolution et catastrophes, Flammarion, Paris, 1997 C. Lévêque & J.-C. Mounolou, Biodiversité, Dunod, Paris, 2001 M. Loreau, S. Naem & P. Inchausti, Biodiversity and Ecosystem Functioning. Synthesis and Perspectives, Oxford Univ. Press, 2002 Millennium Ecosystem Assessment (M.E.A.), Ecosystems and Human Well-Being : a Synthesis, Island Press, Washington D.C., 2005 E. O. Wilson, La Diversité de la vie, Odile Jacob, Paris, 1993 ; L'Avenir de la vie, Seuil, 2003. 22 W.R.I., U.I.C.N. & P.N.U.E., Stratégie mondiale pour la biodiversité, édition française de la Global Biodiversity Strategy (1992), publié par le Bureau des ressources génétiques et le Comité français pour l'U.I.C.N., 1994. site officiel de la Convention sur la biodiversité : www.biodiv.org. site du programme « L'homme et la biosphère » de l'U.N.E.S.C.O. : www.unesco.org/mab site de l'U.I.C.N. : www.uicnredlist.org site de l'Institut français de la biodiversité : www.gis-ifb.org site du World WildFund (W.W.F.) : www.panda.org site de l'Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (M.E.A.) : www.millenniumassessment.org RIO (CONFÉRENCE DE), 1992 La Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (C.N.U.E.D.), qui s'est tenue à Rio de Janeiro du 3 au 14 juin 1992, a réuni les représentants de 178 pays (dont 117 chefs d'État) et plus de 20 000 participants. Ce « Sommet planète Terre » ou « Sommet de la Terre », préparé par deux ans de travaux préliminaires, reste un événement historique. Il a mis en évidence le caractère indissociable de la protection de l'environnement et du processus de développement ; fait prendre conscience de la nécessité d'un partenariat à l'échelon mondial et d'un engagement politique au plus haut niveau. Il a installé au niveau international le concept de « développement durable » (sustainable development), mode de développement qui répond aux besoins du présent tout en permettant aux générations futures de répondre aux leurs, et qui intègre les composantes environnementales, économiques et sociales. 23 Pour mesurer les progrès de mise en œuvre des résolutions, promouvoir le partenariat international et encourager de nouvelles activités, une Commission du développement durable (C.D.D.) a été constituée. Composée de plus de 50 pays membres, elle se réunit chaque année pour faire le point sur un certain nombre de questions. Pour que la C.N.U.E.D. ne soit pas simplement le plus important sommet mondial qui ait jamais eu lieu, les programmes nationaux et les arrangements internationaux devaient donner des résultats décisifs, et amener des changements significatifs. De fait un certain nombre d'avancées effectives sont nées de la conférence de Rio. L'avant Rio Les avancées antérieures à Rio La C.N.U.E.D. s'est déroulée à l'occasion du vingtième anniversaire de la Conférence de Stockholm de 1972. Ce premier sommet mondial avait pour objet exclusif la protection de l'environnement de l'homme. En pratique, il a essentiellement suscité la création du Programme des Nations unies pour l'environnement (P.N.U.E.). En 1983, l'O.N.U. crée la Commission mondiale de l'environnement et du développement ; elle publie, en 1987, le rapport Brundtland, du nom de son animatrice norvégienne Gro Harlem Brundtland, intitulé Notre Avenir commun. Ce rapport attire l'attention des responsables politiques des divers pays du monde, industrialisés ou en voie de développement, sur le lien univoque existant 24 entre la protection de la biosphère et le développement durable de l'humanité. La même année, le Protocole de Montréal (signé le 16 août 1987 et entré en vigueur le 1er janvier 1989) vise à protéger la « couche » d'ozone stratosphérique qui protège la Terre des rayons ultraviolets nocifs pour toute existence biologique. Ses signataires se sont engagés à réduire, voire à éliminer, les émissions de divers gaz à effet de serre, notamment les chlorofluorocarbures (CFC.), qui détruisent la couche d'ozone. Celle-ci semble aujourd'hui stabilisée, ce qui constitue la première réalisation internationale concrète en termes de préservation de l'environnement global naturel. À son ouverture, la C.N.U.E.D. s'appuyait donc sur un cadre de réflexions et de mise en œuvre déjà bien construit. Les scientifiques – au-delà des controverses suscitées par l'événement – apportaient, par les progrès de leurs travaux et de leurs modélisations, une meilleure connaissance des processus, tout en posant les problèmes cruciaux : les pluies acides, l'élimination des déchets toxiques ou radioactifs, le défrichement abusif, l'accroissement de l'effet de serre, etc. Ils avaient en outre mis en lumière le caractère nécessairement global et planétaire d'une lutte efficace pour la préservation de l'environnement. Un contexte géopolitique marqué par l'affrontement Nord-Sud Les gouvernements des pays occidentaux se voyaient sans cesse aiguillonnés par la forte montée en puissance des mouvements écologiques et des organisations non gouvernementales (O.N.G.), tandis que le Tiers Monde percevait l'écologie comme un luxe réservé aux pays riches. Le cadre 25 géopolitique dans lequel s'inscrivait la C.N.U.E.D. devait donc s'affranchir d'une confrontation NordSud en faisant prévaloir l'idée que le développement durable relevait d'un intérêt commun. Les conférences préparatoires écartèrent ainsi les sujets majeurs d'affrontements. Ce fut notamment le cas pour la démographie. Les accords conclus à Rio La Charte de la Terre La Déclaration de Rio, ou Charte de la Terre, contenait 27 principes sur la bonne gestion des ressources de la Terre, appuyés sur le concept de « développement durable ». Après le premier principe – « les êtres humains ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature » –, suivent plutôt des recommandations à l'usage des États telles que : « Les États ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources », tout en ayant le devoir de veiller à ce que ces activités « ne portent pas atteinte à l'environnement d'autres États... » (principe 2) ; le droit au développement doit tenir compte de l'environnement et des besoins des générations présentes et futures (principe 3) ; le développement durable doit être renforcé « par des échanges de connaissances scientifiques et techniques » (principe 9) ; il convient de développer « le droit international concernant la responsabilité et l'indemnisation, en cas d'effets néfastes, de dommages causés à l'environnement » en dehors des limites des États (principe 13) ; « L'absence de certitude absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard » la protection de l'environnement (principe 15) ; les États doivent 26 promouvoir l'internationalisation du principe « pollueur-payeur » sans fausser le jeu du commerce international et de l'investissement (principe 16). La mise en œuvre de ces 27 principes n'est cependant pas contraignante, mais laissée à la bonne volonté des pays signataires – ce qui a pu entacher la Déclaration d'une certaine inefficacité. Quatre autres documents ont été adoptés à Rio : la Convention sur le changement climatique, la Déclaration sur la protection des forêts, la Convention pour la protection des espèces, et l'Agenda 21. La Convention sur le changement climatique La Convention sur le changement climatique se limita à une convention-cadre, non contraignante, par laquelle 150 pays se sont engagés à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre pour la fin du xxe siècle. En prise directe avec les choix énergétiques des nations, et se heurtant notamment à une résistance de la part des États-Unis inquiets pour leur industrie, elle fut adoptée dans le flou le plus complet. Ce d'autant plus que les dissonances étaient encore nombreuses parmi les scientifiques quant aux causes réelles du réchauffement climatique observé. La Déclaration sur la protection des forêts La question de la protection des forêts fit l'objet de vifs débats entre les pays du Nord et ceux du Sud, les premiers s'attachant à défendre les grandes forêts équatoriales de façon à préserver leur rôle écologique (comme régulateur climatique et comme patrimoine mondial de la biodiversité), les 27 seconds cherchant avant tout à exploiter ces biens nationaux. L'Inde, le Brésil, l'Indonésie et la Malaisie s'opposèrent aux textes proposés par les pays industrialisés, les réduisant à une simple « déclaration » de 17 principes. La Convention pour la protection des espèces La convention sur la biodiversité porte sur la protection de la faune, de la flore et des espaces naturels. Le texte signé à Rio par 154 pays – sans les États-Unis – constitue l'amorce d'un accord sur un partage équitable des ressources biologiques de la planète entre les pays du Nord et ceux du Sud. Contre des compensations financières versées aux pays du Sud, les pays du Nord se sont vu officiellement accorder le droit d'exploiter les espèces biologiques – l'homme constituant la seule exception – et les micro-organismes présents dans les pays du Sud et de breveter toutes ces espèces ainsi que leurs dérivés génétiques. L'Agenda 21 L'Agenda 21 (le chiffre 21 signifiant « pour le xxie siècle »), ordonné en quarante chapitres, était une liste d'une centaine d'initiatives à prendre pour concilier les exigences du développement économique et de la protection de notre environnement naturel. Les pays riches ayant cependant refusé d'en financer directement la réalisation, ce document constituait essentiellement un texte d'orientation général, faisant le pendant, sur le mode concret, aux principes énoncés dans la Déclaration de Rio. 28 L'après-Rio Les apports financiers L'examen de la question du financement est un préalable à toute considération sur la réalisation des objectifs fixés à Rio. En 1992, le secrétariat du Sommet de la Terre avait évalué à plus de 600 milliards de dollars par an, jusqu'à l'an 2000 inclus, le montant nécessaire aux pays en développement pour exécuter les activités énumérées dans l'Agenda 21. La plupart des pays donateurs s'étant engagés à affecter en moyenne 0,7 % de leur produit intérieur brut (P.I.B.) à cette opération – l'ensemble équivalent au montant de l'Aide publique au développement (A.P.D.), soit approximativement à 125 milliards de dollars –, on en vint à admettre que cette somme suffirait. En fait, l'A.P.D. est tombée en moyenne à 0,33 % du P.I.B. des donateurs en 1992 et à 0,27 % en 1996, à l'amère déception des pays en développement. Dans le même moment, l'investissement privé étranger à destination de ces pays a presque triplé, atteignant environ 250 milliards de dollars en 1996 – ce qui donna naissance à l'idée que les flux des capitaux privés avaient à l'avenir un rôle décisif à jouer dans le financement du développement durable. Notons cependant que, selon un rapport de la Banque mondiale (« Faire progresser le développement durable », 1997), les trois quarts des flux d'investissements privés transfrontières à destination du monde en développement profiteraient seulement à 12 pays. 29 Enfin, le Fonds pour l'environnement mondial (F.E.M.), créé après Rio dans le cadre de la Banque mondiale, a reçu environ 2,8 milliards de dollars en six années pour des projets visant à protéger la biodiversité, le milieu marin ou l'équilibre climatique. Les avancées significatives Pourtant, le suivi des accords conclus à la C.N.U.E.D., le lancement de nouveaux programmes et des mises en œuvre réelles montrent bien que l'esprit de Rio souffle toujours. Nous citerons ici les avancées les plus significatives. La lutte contre la désertification Une convention, ayant pour vocation de lutter contre la désertification et d'atténuer les effets de la sécheresse, a été établie en juin 1994 et est entrée en vigueur en décembre 1996. Elle favorise toutes les actions faisant intervenir une démarche de coopération internationale et de partenariat : amélioration de la productivité des cultures, régénération des sols, conservation et gestion durable des ressources hydriques et terrestres, etc. Plusieurs projets ont d'ores et déjà été entrepris, notamment en Égypte, en Algérie, au Burkina Faso, en Israël ou en Syrie. L'accord sur la pêche hauturière En décembre 1995, a été conclu un accord sur la pêche hauturière contraignant les pays signataires à préserver et à gérer de manière durable les stocks naturels de poissons, ainsi qu'à régler 30 pacifiquement tout différend, en particulier pour ce qui concerne les populations de poissons qui « chevauchent » les frontières des zones économiques exclusives (Z.E.E.) de 200 milles marins des différents pays, comme c'est le cas pour la morue, le thon ou l'espadon. Toutefois, parmi les États qui n'ont pas encore signé l'accord figurent certains des pays qui pratiquent le plus la pêche, dont le Chili, le Mexique, le Pérou, la Pologne, la Thaïlande et le Vietnam. La gestion des produits chimiques Le développement économique et social ne peut se faire sans les produits chimiques. Cependant, l'utilisation de substances comme le D.D.T., la dioxine, l'acide sulfurique, le chlordane, le mercure, le plomb, l'arsenic, etc., peut faire courir des risques importants à la santé humaine et à l'environnement. Le Sommet de la Terre, au travers de l'Agenda 21 (chapitres XX et XXI), proposait déjà des normes fondamentales de gestion des déchets dangereux au niveau national et un contrôle des mouvements transfrontières des déchets, invitant en fait à ratifier la Convention de Bâle (entrée en vigueur en mai 1992). Depuis Rio, deux nouvelles entités internationales ont été formées. Créé en avril 1994, le Forum intergouvernemental de la prévention des risques chimiques (I.F.C.S.) est destiné à renforcer la coopération entre les gouvernements, les organisations intergouvernementales et les O.N.G. en matière d'évaluation des risques chimiques et de gestion écologiquement saine des produits chimiques. Créé en 1995, le Programme interorganisations de gestion écologiquement rationnelle 31 des produits chimiques (I.O.M.C.) coordonne les efforts de six grandes organisations internationales en matière d'évaluation et de gestion des produits chimiques. Ces deux organes internationaux ont d'ores et déjà à leur actif plusieurs réalisations, dont, par exemple, l'établissement de normes internationales concernant les additifs alimentaires et les résidus de pesticides dans les aliments. La protection des espèces La Conférence des parties à la Convention sur la biodiversité se déroule chaque année pour assurer le suivi et le développement des mesures prises à Rio. En 1995 (IIe Conférence, Jakarta), était élaboré un programme pour la prévention des risques biotechnologiques. Par ailleurs, les aires protégées (réserves naturelles, parcs nationaux, sites du patrimoine mondial, etc.), dont l'Union internationale pour la conservation de la nature (U.I.C.N.) estimait, en 1998, le nombre à 12 754 réparties dans le monde, couvrent une surface cumulée de 1 204 millions d'hectares. La lutte contre le réchauffement climatique Depuis la Convention sur les changements climatiques de 1992, beaucoup a été fait pour endiguer la composante anthropique du réchauffement de la planète. Le Comité intergouvernemental qui avait rédigé cette convention à Rio a été dissous à l'issue de sa onzième session en février 1995 qui instituait la Conférence des parties comme autorité suprême en la matière. Celle-ci a tenu sa première réunion à Berlin en mars-avril 1995, adoptant le Mandat de Berlin qui devait mettre au point « un protocole ou un autre instrument juridique », à adopter en 1997 à la troisième session de la 32 Conférence des parties, sur la lutte contre le réchauffement climatique. Celle-ci s'est tenue à Ky?to en décembre 1997 et a effectivement abouti à un accord chiffré sur la réduction des gaz à effet de serre – 5,2 % par rapport au niveau de 1990 d'ici à 2012 – constituant une première historique. Il reste les décisions les plus difficiles à prendre, c'est-à-dire la mise en œuvre concrète du Protocole de Ky?to, les divergences entre les pays en développement, les États-Unis et l'Union européenne étant encore nombreuses. La quatrième session (Buenos Aires, novembre 1998) fut un échec en cela et la cinquième session prévue tenue à Bonn en octobre 1999 n'a pas suffi à gommer les mésententes. La C.N.U.E.D. a eu un mérite essentiel : faire sortir les préoccupations environnementales de leur ghetto et engager un immense chantier de préservation de l'environnement global. Faut-il s'étonner de la lenteur des prises de décisions communes et surtout de leurs mises en œuvre ? Une lecture des différents textes de la Charte de la Terre montre qu'il s'agit ni plus ni moins de vouloir établir un nouvel ordre économique et social, au profit de notre environnement global. Il y a un grand espoir pour l'humanité dans la prise de conscience réelle des dangers qui menacent la planète, dont l'homme est en grande partie responsable. Alors, s'il faut du temps pour arriver à un développement durable, espérons qu'il nous en reste assez avant que ne surviennent des bouleversements catastrophiques irrémédiables. CONSERVATOIRES DU PATRIMOINE NATUREL FRANÇAIS 33 La France est certainement le pays européen qui dispose de la plus grande diversité de paysages et de milieux naturels remarquables, abritant une flore et une faune exceptionnelles sur des espaces encore vastes. C'est aussi un des pays qui détruit le plus son patrimoine, comme l'attestent la prolifération des constructions en bord de mer et la dégradation de ses plus beaux paysages de montagne et de piémont. Peu sensibilisé à la nature, que ce soit à l'école ou dans la vie civile, le Français n'accordait que peu d'importance à la sauvegarde de la nature et à la beauté de nos côtes et de nos campagnes. Il ne faut pas s'étonner dès lors de la faiblesse de la France dans la préservation de son patrimoine naturel illustrée par la maigreur des moyens publics de l'État en faveur de la nature et par la taille modeste de ses associations. La montée en puissance du Conservatoire du littoral, établissement public de l'État qui préserve à ce jour 50 000 hectares de terrains situés préférentiellement en bord de mer, et la création des conservatoires régionaux et départementaux d'espaces naturels illustrent, cependant, une nouvelle prise en compte de la nature en France. D'autres pays européens avaient ouvert la voie. En Grande-Bretagne, depuis plus d'un siècle, le public a pris en charge la sauvegarde de son patrimoine naturel en créant des associations très puissantes, capables à elles seules d'acheter d'immenses territoires et de les aménager en harmonie pour la nature et pour les hommes. Le National Trust, première organisation privée britannique, dispose ainsi de deux millions d'adhérents qui lui ont permis d'acheter le tiers de toutes les côtes anglaises et de nombreux domaines à l'intérieur du pays, assurant la sauvegarde de patrimoines naturels et architecturaux prestigieux, dont de superbes châteaux. Il en est de même pour les Pays-Bas, où l'association privée Naturr Monumenten a réussi en trente ans à préserver la quasi-totalité des espaces naturels les plus intéressants de ce pays. Appuyée par un réseau de cinq cent mille adhérents, ce qui est considérable à l'échelle des Pays-Bas, Naturr Monumenten intervient partout pour la nature en procédant à l'achat des zones naturelles les plus belles et en les ouvrant intelligemment au public. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres Le Conservatoire du littoral est né du refus de l'opinion publique, dans les années 1970, de voir le littoral se transformer en une interminable banlieue. Son action se fonde à la fois sur l'espoir de pouvoir enrayer un processus de dégradation qui devenait gravissime et sur la volonté des pouvoirs publics, des associations et des collectivités locales d'unir leurs efforts pour fournir une réponse durable à la menace qui pèse sur un grand nombre de sites d'intérêt écologique majeur. 34 Placé sous la tutelle du ministère de l'Environnement, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est un établissement public administratif de l'État, qui a été créé par une loi du 10 juillet 1975 et qui s'est inspiré, pour partie, du National Trust britannique. Il présente certaines similitudes avec les « land trust » américains, notamment avec le California State Coastal Conservancy, créé en 1976. Le Conservatoire peut acquérir, par tous les moyens dont dispose la puissance publique, les espaces naturels fragiles et menacés. Il peut acheter à l'amiable, par préemption dans le cadre de la législation sur les périmètres sensibles, par expropriation pour cause d'utilité publique. Il peut être affectataire des biens du domaine privé de l'État ou des collectivités locales. Il est habilité à recevoir tous dons et legs, mobiliers ou immobiliers. Il peut enfin acquérir, sous forme de droits réels, toutes servitudes pouvant contribuer à la protection d'espaces naturels significatifs. Le Conservatoire est une véritable banque de la nature dont le patrimoine est inaliénable. Si le Conservatoire a la possibilité d'acheter les espaces naturels maritimes et lacustres les plus remarquables, il n'a pas la capacité juridique de les revendre. Les sites acquis seront transmis intacts aux générations futures. Sa compétence se limite aux cantons côtiers et aux communes riveraines des lacs et des plans d'eau dont la superficie est égale ou supérieure à 1 000 hectares : le Léman, Annecy, le Bourget, der Chantecoq, forêt d'Orient, Vouglans, Serre-Ponçon, Sainte-Croix-du-Verdon, Vassivière, Bort-les-Orgues, Sarrans et Pareloup. Le Conservatoire intervient en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, île de la Réunion). Le choix des acquisitions est effectué par le conseil d'administration du Conservatoire, après avis des conseils de rivages et consultation des communes concernées. Le Conservatoire intervient, en priorité, dans trois cas : lorsque la pression foncière est particulièrement forte et qu'elle – menace, à court ou moyen terme, des sites naturels remarquables ; seule l'acquisition permet alors d'écarter définitivement la menace d'urbanisation ; lorsque la gestion des terrains est défectueuse et que ce défaut d'entretien menace la – qualité ou la diversité biologique du site ; lorsque le site, par sa situation ou son étendue, mérite d'être ouvert au public. – 35 Outre ces trois critères, le Conservatoire privilégie les acquisitions de sites qui ont une valeur nationale, par leur intérêt ou par leur dimension. Une importance particulière est attachée à la diversité biologique des milieux (importance et rareté des espèces animales et végétales) et à leur valeur paysagère. Les acquisitions réalisées varient de quelques hectares à plusieurs centaines ou milliers d'hectares : 2 hectares pour le site de Lugrin, sur les bords du lac Léman, près de 5 000 hectares d'un seul tenant, pour le massif des Agriate, en Haute-Corse. Parmi les grands sites acquis par le Conservatoire figurent les réserves naturelles du platier d'Oye et de la baie de Canche, dans le Pas-de-Calais ; le parc ornithologique du Marquenterre, dans la Somme ; l'estuaire de l'Orne, dans le Calvados ; les sites historiques du débarquement en Normandie ; l'île de Tatihou et le cap Levy, dans la Manche ; la baie d'Audierne et les dunes de Keremma, dans le Finistère ; les marais d'Yves et de Brouage, en Charente-Maritime ; le domaine de Certes, en Gironde ; l'île Sainte-Lucie, sur les bords de l'étang de Bages-Sigean, dans l'Aude ; La Palissade, l'Étourneau et Le Ligagneau, en Camargue ; le Cap Corse et les Agriate, en Haute-Corse ; Senetosa, en Corse du Sud, etc. Une classification schématique fait ressortir la composition du patrimoine du Conservatoire, en fonction du type de milieux protégés : 17 % de zones humides ; – 12 % de massifs dunaires ; – 18 % de bois et de forêts ; – 35 % de maquis ; – 11 % de landes et de garrigues ; – 5 % de prairies ; – 2 % de terres cultivées. – Inconstructibles, les terrains du Conservatoire sont protégés de façon rigoureuse : le camping, le caravaning, le motocross et la circulation automobile sont interdits. Aménagés pour l'accueil du public, ils sont ouverts à tous. Chaque acquisition nouvelle fait l'objet d'un bilan écologique, qui est suivi d'un programme de restauration et d'aménagement : fixation des massifs dunaires, ouverture de sentiers pédestres, réalisation d'aires de stationnement en périphérie des sites, travaux de défense contre l'incendie, entretien des zones humides, etc. 36 Des conventions de gestion sont passées entre le Conservatoire et les collectivités locales concernées (départements et communes). Les massifs boisés sont gérés par l'Office national des forêts. Des gardes recrutés par les communes, grâce à l'aide financière des départements, assurent la surveillance et l'entretien quotidien des principaux domaines du Conservatoire. En octobre 1990, les collectivités et les organismes gestionnaires des terrains du Conservatoire se sont regroupés au sein de l'association Rivages de France, afin de développer entre eux des échanges techniques et d'assurer une plus large information du public sur la protection des espaces naturels. En 1995, à l'occasion de son vingtième anniversaire, le Conservatoire s'est donné pour objectif d'acquérir, au cours des cent ans à venir, 150 000 hectares nouveaux, laissant ainsi aux générations futures 200 000 hectares protégés, soit 20 % du littoral. Ainsi l'État, les associations et les collectivités locales unissent-ils leurs efforts pour que les rivages restent, partout où cela est encore possible, des lieux de vie et de liberté. Daniel BEGUIN Conservatoires d'espaces naturels non littoraux, L'exemple du Conservatoire des sites lorrains Si la Lorraine n'apparaît pas comme une région spectaculaire sur le plan du paysage, elle abrite toutefois un patrimoine naturel encore remarquable comme vient de le démontrer un récent inventaire national sur les zones naturelles à grande valeur écologique. Cinq cent cinquante zones ont été décrites tant sur le plan de la faune que de la flore, révélant de réelles surprises sur l'importance du patrimoine biologique lorrain. Au total et sur une superficie régionale de 24 300 kilomètres carrés, les zones naturelles couvrent à peine 2 % de ce territoire, hors zones forestières, soit au maximum 50 000 hectares pour quatre départements concernés (Meuse, Moselle, Meurthe-etMoselle, Vosges). C'est peu, mais c'est beaucoup au regard des régions voisines, voire des pays voisins, où le patrimoine actuel devient quasi inexistant. Par conséquent, ces zones donnent à la Lorraine une immense responsabilité dans cette partie centre-ouest de l'Europe. Autrefois très importantes, puisque après la Seconde Guerre mondiale elles couvraient au moins trois fois cette superficie, les zones naturelles de Lorraine sont en voie de disparition et de dégradation très rapide. Les pelouses calcaires à orchidées de la Meuse, les tourbières des Hautes-Vosges, les étangs du plateau Lorrain, la vallée de la Moselle sauvage sont quotidiennement le théâtre de la 37 disparition de notre patrimoine biologique. Le ministère de l'Environnement a bien tenté de classer certains sites parmi les plus exceptionnels, mais la tâche supposait une action plus spectaculaire et durable qu'une simple mesure consécratoire. L'action en profondeur qui s'imposait est la raison d'être du Conservatoire des sites lorrains (C.S.L.), association privée qui a pris en charge dès 1985 un vaste programme de sauvegarde du patrimoine biologique régional. Travaillant en partenariat étroit avec l'ensemble des acteurs concernés par la sauvegarde de la nature en Lorraine, le C.S.L. a pu assurer la survie de plus de 3 000 hectares de nature prestigieuse. Disposant d'un conseil scientifique, de plusieurs centaines de bénévoles et d'une équipe salariée opérationnelle, le C.S.L. gère aujourd'hui plus de quatre-vingts espaces naturels sur la région, allant de quelques hectares à plus de 500 hectares d'un seul tenant. Certains de ces sites sont aménagés pour l'accueil du public tandis que les zones les plus fragiles font l'objet d'un suivi scientifique attentif. Enfin, de nombreuses zones naturelles préservées par le C.S.L. sont confiées en gestion aux agriculteurs moyennant un cahier des charges respectueux du patrimoine. Les autres conservatoires régionaux Il existe au début des années 1990 quatorze conservatoires régionaux d'espaces naturels regroupés au sein d'une fédération nationale, Espaces naturels de France, pour laquelle l'écomusée Ungersheim joue le rôle de contact avec le public. Encore embryonnaire, la stratégie de ces conservatoires s'articule préférentiellement sur les achats et les locations des zones naturelles les plus prestigieuses. Elle recueille déjà un écho très favorable de la part du grand public qui répond de plus en plus aux appels financiers, mais aussi des régions et départements enfin soucieux de la sauvegarde de leur patrimoine et de leurs paysages. Pour la France, l'enjeu est d'importance car il ne s'agit ni plus ni moins que d'assurer le maintien du patrimoine naturel sur plus de 10 % de l'espace rural, soit plusieurs millions d'hectares. Dominique LEGRAIN Bibliographie A. Comolet, L'Évaluation et la comptabilisation du patrimoine naturel : définitions, méthodes et pratiques, L'Harmattan, Paris, 1994 B. Desaigues & P. Point, L'Économie du patrimoine naturel : la valorisation des bénéfices de l'environnement, Économica, Paris, 1993 D. Desforges, Camargue, La Renaissance du livre, Paris, 1997 38 Direction régionale de l'environnement Bretagne - Conseil régional de Bretagne, Le Patrimoine naturel en Bretagne, Ouest-France, 1997 Espaces naturels de France, Espaces naturels en France : la protection des paysages au quotidien, Nuée bleue, 1996 F. Mosse, À la découverte des réserves naturelles de France, Nathan, Paris, 1996 J.-A. Prades, L'Éthique de l'environnement et du développement, coll. Que sais-je, P.U.F., Paris, 1995. Chronologie des premiers parcs naturels 1864Yosemite Grant (Californie, États-Unis), qui prendra le nom de Yosemite National Park en 1890. 1872Parc de Yellowstone (Wyoming, États-Unis), 888 708 ha. 1879Royal National Park (Australie), 14 620 ha. 1886Glacier National Park (Canada), 135 250 ha. 1894Tongariro National Park (Nouvelle-Zélande), 67 404 ha. 1898Sabie Game Reserve, qui deviendra le Parc national Kruger en 1926 (Afrique du Sud), 1 817 146 ha. 1903Nahuel Huapi (Argentine), 785 000 ha. 1907Etosha (Namibie), 2 227 000 ha. 1909Sarek (Suède), 195 000 ha. 1914Parc national suisse (unique parc de Suisse), 16 887 ha. 1918Covadonga (Espagne), 16 925 ha. Ordesa Y Monte Perdido (Espagne), 15 608 ha. 39 1922Gran Paradiso (Italie), 70 200 ha. 1925Virunga (Zaïre), 780 000 ha. 1926Matobo (Zimbabwe), 42 500 ha. 1928Thingvellir (Islande), 5 000 ha. 1929Kaieteur (Guyana), 58 559 ha. 2 Volcans (Rwanda), 15 000 ha. 1930Pico Cristal (Cuba), 15 000 ha. Veluwezoom (Pays-Bas), 4 800 ha. 1932Killarney (Irlande), 10 129 ha. 2 Bialowieza, qui deviendra Bialowieski en 1947 (Pologne), 5 317 ha. 1934Vitocha (Bulgarie), 26 607 ha. 2 Chubu-Sangaku (Japon), 174 323 ha. 2 Mount Canlaon (Philippines), 24 558 ha. 1935Berbak (Indonésie), 162 700 ha. 2 Iztaccíhuatl-Popocatépetl (Mexique), 25 679 ha. 2 Retezat (Roumanie), 54 400 ha. 2 Dinder (Soudan), 890 000 ha. 1936Corbett (Inde), 52 082 ha. 1937Mont Olympe (Grèce), 4 000 ha. 2 Rancho Grande, qui reçoit le nom de Henri Pittier en 1953 (Venezuela), 107 000 ha. 2 Itatiaia (Brésil), 30 000 ha. 1938Pyhätunturi (Finlande), 4 300 ha. 2 Wilpattu Block 1 et 5 (Sri Lanka), 56 831 ha. 1939Day (Djibouti), 10 000 ha. 2 Taman Negara (Malaisie), 434 351 ha. 1942Toubkal (Maroc), 36 000 ha. 1946Nairobi (Kenya), 11 721 ha. 40 1948Pelister (Macédoine), 12 500 ha. 2 Tatransky (Tchécoslovaquie), 74 111 ha. 1963Parc national de la Vanoise (France), 52 839 ha. Parc national de Port-Cros, 2 475 ha. 2 Cette liste recense les premiers parcs créés pour les pays mentionnés, parcs reconnus comme tels par l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature). La superficie indiquée est celle lors de la création du parc. LA PROTECTION DES ESPÈCES L'expression d'une volonté de protection de la nature est relativement récente dans l'histoire des sociétés humaines. Si l'on adopte comme critère principal la mise en place d'aires protégées – réserves ou parcs naturels – on en relève les premiers signes à la fin du xixe siècle, avec la création aux États-Unis, en 1872, de l'un des premiers parcs nationaux du monde, celui du Yellowstone. Il faut cependant attendre la première moitié du xxe siècle pour voir ce mouvement s'affirmer : en Europe, les premiers parcs naturels sont créés, par la Suède, en 1909 ; suivent la Suisse (1915) et la Grande-Bretagne (1949). En France, la réaction est plus tardive encore, si l'on excepte l'initiative particulière de la Société nationale de protection de la nature, association privée à but scientifique et philanthropique, qui crée en 1928 la réserve zoologique et botanique de Camargue. Ce n'est qu'en 1960 que fut votée la loi sur les parcs nationaux, et en 1963 que le premier d'entre eux, celui de la Vanoise, fut ouvert. L'Union internationale pour la protection de la nature (U.I.P.N.) est constituée en 1948. Sa transformation, huit ans plus tard, en Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (U.I.C.N.) entérine l'idée que la préservation de la nature doit s'inscrire dans une perspective plus large. La publication par l'U.I.C.N., l'U.N.E.P. (Programme des Nations unies pour l'environnement) et le W.W.F. (Fonds mondial pour la nature) de la Stratégie mondiale de la conservation, en 1980, marque une nouvelle étape : elle souligne le besoin de sauvegarder les processus écologiques et donc de maintenir des espaces protégés, mais en accordant une place importante aux exigences de développement économique. Cette évolution a été marquée par deux sommets planétaires : la Conférence des Nations unies sur l'environnement de Stockholm qui, en 1972, fait des problèmes d'environnement une priorité pour les gouvernements de la planète ; la Conférence des Nations unies pour l'environnement et le développement de Rio de Janeiro qui, en 1992, à partir d'un éclairage porté sur l'érosion de la biodiversité et sur les menaces de changements climatiques, souligne l'interdépendance entre développement et protection de l'environnement. 41 La mort des espèces, comme celle des individus, est un phénomène naturel, destinée inexorable. À partir de l'analyse des restes fossiles, les paléontologues estiment que la durée moyenne de vie des espèces est comprise entre 1 et 2 millions d'années pour les mammifères, et autour de 10 millions d'années pour les invertébrés terrestres ou marins. En outre, ils ont mis en relief cinq grandes crises d'extinction au cours des temps géologiques, qui éliminèrent entre 65 et 85 % des espèces et jusqu'à 95 % au Permien, il y a 250 millions d'années. La plus connue de ces extinctions massives, celle du Crétacé-Tertiaire (il y a 65 millions d'années), fut notamment marquée par la disparition des dinosaures, parmi de nombreuses autres espèces. À l'origine de ces catastrophes, qui s'étalèrent toutefois sur plusieurs milliers, voire millions d'années, on évoque des cataclysmes d'origine interne ou externe à la Terre, comme des éruptions volcaniques ou des chutes de météorites. La crise d'extinction actuelle diffère des précédentes : elle est le fait de l'homme et s'inscrit, non plus sur des millions d'années, mais seulement quelques siècles, voire quelques décennies. Elle résulte de quatre phénomènes : la dégradation des milieux (pollutions, fragmentation de l'habitat, déforestation, etc.) ; la surexploitation des espèces (chasse, pêche, récolte) ; l'introduction d'espèces exotiques (destructeurs de l'habitat comme les chèvres et les moutons, prédateurs ou compétiteurs efficaces comme les chats et les chiens, vecteurs de maladies comme les rats et les moustiques) ; les extinctions en cascade, qui résultent, par exemple, de la disparition d'une espèce clé. On sait que c'est la réduction des effectifs et de la diversité génétique des populations qui précipite les espèces vers l'extinction et qu'il existe un lien étroit entre la superficie du milieu habitable, l'effectif des populations considérées et la richesse spécifique locale. Cela permet de souligner que le point clé, pour une conservation durable de la biodiversité, est la sauvegarde ou la restauration de milieux naturels diversifiés de superficie importante. Mais notre espèce aussi a besoin d'espace ! Là est le problème. De fait, au-delà des facteurs immédiats, qui conduisent des espèces à l'extinction, il faut considérer les causes premières, toutes liées à ce que l'on peut appeler le succès écologique de l'espèce Homo sapiens sapiens : l'augmentation de la population humaine et de ses besoins en ressources naturelles (on estime qu'elle consomme, détourne ou accapare 39 % de la production végétale terrestre) ; le poids croissant d'un système économique qui prend peu en compte l'environnement, le renouvellement des ressources naturelles et l'intérêt des générations futures ; la mondialisation de l'économie et la réduction de la gamme des produits provenant de l'agriculture, de la 42 sylviculture ou de la pêche ; la prédominance de systèmes législatifs et institutionnels favorisant l'exploitation non durable des ressources ; l'insuffisance des connaissances et de leurs applications. Face à cette situation de crise, trois types de mesures sont mis en œuvre pour protéger les espèces : la création d'espaces protégés, parcs ou réserves ; l'élaboration de réglementations et d'interdictions ; la protection ex situ et le recours aux techniques de réintroductions et de renforcements des populations. Les espaces protégés Définitions Une aire protégée est, selon l'U.I.C.N, « une zone de terre ou de mer particulièrement consacrée à la protection de la biodiversité et des ressources naturelles et culturelles qui lui sont associées, et gérée selon des lois ou d'autres moyens efficaces ». On compte, dans le monde entier, plus de quatre mille cinq cents aires protégées représentant, avec une superficie totale de 4,5 millions de kilomètres carrés, environ 3,5 % des terres émergées. En France, départements d'outre-mer (D.O.M.) compris, on dénombrait, en 1997, 129 réserves naturelles (dont 7 dans les D.O.M.), couvrant 131 418 hectares en métropole et 188 149 hectares dans les D.O.M., et 7 parcs nationaux (dont 1 en Guadeloupe), s'étendant sur 353 865 hectares en métropole et 17 381 hectares en Guadeloupe. En matière d'espace protégé, il convient d'accorder une attention particulière à ce que l'on appelle les réserves de biosphère. C'est en 1974 qu'un groupe de travail du programme sur L'Homme et la biosphère de l'U.N.E.S.C.O. émet l'idée de réserve de biosphère. L'originalité du concept, par rapport à la perception classique des réserves et à l'opinion qui prévalait à l'époque en matière de protection de la nature, est de prendre en compte simultanément les objectifs de conservation et de développement. Les réserves classiques sont définies par rapport à la nature ; les réserves de la biosphère partent d'interrogations et de réflexions sur les relations entre les sociétés humaines et leur environnement naturel. Celles-ci ont été conçues pour répondre à l'une des questions essentielles qui se posent aujourd'hui : comment concilier la conservation de la biodiversité et des ressources biologiques avec leur utilisation durable ? Les réserves de la biosphère sont des aires protégées aménagées à titre individuel par les États, qui les soumettent à l'approbation de l'U.N.E.S.C.O. pour leur insertion dans le réseau mondial des réserves de la biosphère. 43 Chaque réserve de biosphère doit remplir trois fonctions fondamentales, qui sont complémentaires et interactives : – une fonction de conservation, pour assurer la sauvegarde des paysages, des écosystèmes, des espèces et de la variabilité génétique ; – une fonction de développement, pour encourager une économie durable au niveau local sur les plans écologique, sociologique et culturel ; – une fonction logistique, pour la recherche, la surveillance continue, la formation et l'éducation en matière de conservation et de développement durable aux niveaux local, régional et planétaire. Ces aires comportent : une zone centrale strictement protégée, une zone tampon, où peuvent s'exercer des activités non destructrices soigneusement réglementées et une zone de transition permettant le développement d'activités économiques durables, compatibles avec l'environnement. Elles associent donc résolument la conservation – qui est leur objectif ultime – et le développement durable dans les principaux écosystèmes de la planète. Elles constituent aussi un réseau mondial de recherche et de surveillance écologique et contribuent à sensibiliser, éduquer et former aux problèmes d'environnement. L'U.N.E.S.C.O. a approuvé la création de 324 réserves de la biosphère, dont 127 en Europe. Cinq sont implantées en France : Camargue, Cévennes, vallée du Fango (Corse), Iroise (partie de l'Atlantique s'étendant au large de la Bretagne) et Vosges du Nord. Les attributs d'une bonne réserve Les réserves doivent être conçues de manière à satisfaire les objectifs qui ont conduit à en décider la mise en place. Au-delà de spécificités écologiques propres aux espèces ou aux écosystèmes concernés, la théorie de la biogéographie insulaire de Robert MacArthur et Edward Wilson et les modèles de populations minimales viables constituent des bases utiles pour orienter les choix. La taille est le premier critère à considérer, puisque la richesse spécifique des peuplements et les effectifs des populations dépendent d'abord de la superficie de l'aire protégée. Ainsi, si l'objectif est de sauvegarder une population durable d'ours grizzlis, il faudra envisager la mise en réserve de quelque 13 000 à 14 000 kilomètres carrés d'habitat favorable à cette espèce pour abriter une population viable de 50 à 90 individus. On pourra se contenter, en revanche, de réserves de quelques hectares pour préserver certaines populations d'insectes. 44 Un vaste débat a divisé les théoriciens de la conservation, « popularisé » par la dénomination de S.L.O.S.S., (Single Large Or Several Small). En d'autres termes, optimise-t-on mieux la conservation par une seule réserve de grande superficie ou par plusieurs petites, représentant éventuellement au total une superficie équivalente ? C'est Jared Diamond qui, frappé par le caractère insulaire des réserves, a, le premier, en 1975, prôné explicitement l'application de règles issues de la théorie de la biogéographie insulaire pour la conception des aires protégées. La superficie, la forme et le degré d'isolation par rapport à des types de milieux similaires sont des éléments essentiels à considérer. Ainsi, de grandes réserves, d'un seul tenant, permettraient d'assurer plus efficacement la conservation de davantage d'espèces que de plus petites couvrant, au total, une même superficie ; de même, des réserves proches les unes des autres, ou liées par des corridors protégés d'habitat naturel, permettront de sauvegarder plus d'espèces que des réserves isolées ou éloignées les unes des autres. La réponse aux questions posées par l'interrogation S.L.O.S.S. dépend de divers éléments : la différence entre les probabilités d'extinction des petites et grandes populations concernées ; le nombre des populations en cause ; l'importance des fluctuations interannuelles des conditions environnementales et spécialement leur degré de corrélation entre parcelles différentes ; la probabilité de recolonisation après extinction locale. Ainsi, quatre petites réserves pourront conférer un temps de persistance supérieur à celui d'une seule grande réserve de même surface totale s'il n'y a pas de possibilité de recolonisation et si les fluctuations des conditions environnementales ne sont pas corrélées dans les petites réserves entre elles. Les mesures légales Les listes rouges Actuellement, deux organisations internationales définissent le statut des espèces animales et végétales du globe : l'U.I.C.N., qui s'occupe de toutes les espèces, et la Convention sur le commerce international des espèces en danger (C.I.T.E.S.). Le système actuel de classification des espèces en danger s'est développé à partir de l'usage des livres ou listes rouges de l'U.I.C.N. Au début des années 1960, le rôle de ces documents était de fournir l'information sur la distribution géographique des espèces en attirant l'attention sur celles qui se trouvaient menacées. Avec le temps, les livres rouges commencèrent à dégager des priorités et à classer les espèces par ordre croissant de besoins de conservation, en distinguant des espèces « en danger », « menacées » ou 45 « vulnérables », selon le niveau de risque. Les résultats sont satisfaisants, au moins pour les oiseaux et les mammifères. En revanche, plantes et invertébrés furent moins bien répertoriés, et cette lacune entraîna certains biologistes à suggérer que l'on devrait plutôt concentrer les efforts sur la conservation des peuplements et des écosystèmes en danger. Ainsi, certains pays ciblent maintenant leurs lois sur la protection des milieux. De nombreux États ont utilisé le modèle des listes rouges pour définir leurs propres approches de la protection des espèces en danger. Utile en général, ce système a pu occasionnellement provoquer des bévues. En particulier, une espèce à vaste répartition et en pleine vitalité est parfois perçue comme rare, parce que considérée dans un pays situé en bordure de son aire géographique. L'avocette et le balbuzard pêcheur en sont d'excellents exemples. Depuis 1950, ces deux espèces ont recolonisé la Grande-Bretagne, où des naturalistes avisés ont soigneusement gardé leurs nids et suivi leurs populations. Ainsi, ces deux espèces ont inspiré une attention conservationniste croissante, bien qu'aucune ne fût en danger à l'échelle planétaire. Autre problème : les listes rouges donnent la plus grande importance aux espèces hautement menacées, lorsque l'espoir d'une protection efficace au moment de leur inscription est mince. Peut-être serait-il préférable, par souci d'efficacité, de privilégier les espèces pour lesquelles une chance raisonnable d'échapper à l'extinction existe. Environnementalistes, juristes et politiciens demandent des moyens – scientifiques et politiques – plus acceptables pour déterminer si une espèce est en danger. Les tentatives légales pour protéger des espèces en danger se heurtent souvent à l'insuffisance de données scientifiques. De fait, on connaît si peu de chose sur la grande majorité des espèces – et moins encore sur leurs rôles dans le fonctionnement des écosystèmes – qu'on se trouve confronté au dilemme suivant : créer des lois pour sauver toutes les espèces possibles ou bien privilégier quelques-unes d'entre elles qui, exigeant de grandes étendues d'habitat, opèrent en tant qu'« espèces parapluies ». Légiférer à propos de telles espèces revient à en protéger du même coup une multitude d'autres, relativement inconnues, qui partagent le même milieu. La protection de la chouette tachetée du nord-ouest des États-Unis donne un exemple de cette stratégie. La chouette tachetée septentrionale, (Strix occidentalis caurina) habite les forêts de pins Douglas du nord-ouest des États-Unis. Ces forêts sont qualifiées de « vieilles » parce que beaucoup de leurs arbres sont multicentenaires, encroûtés de lichens et autres petites plantes épiphytes, qui contribuent à former une canopée complexe. Pendant des décennies, les amateurs d'oiseaux avaient repéré cette espèce comme un résident peu commun de ces forêts du nord-ouest des États-Unis, mais à peu près rien d'autre n'était connu 46 sur elle jusqu'à la fin des années 1960. En 1967, un étudiant de l'université d'État de l'Oregon enregistra les chants de la chouette et put cartographier la distribution de l'espèce dans l'Oregon ; son travail révéla que la chouette tachetée vivait exclusivement dans les vieilles forêts de la côte nord-ouest des États-Unis. Il montra que chaque couple demande un domaine vital de 2 600 hectares, dont 1 000 devant être constitués par de la vieille forêt. Jusqu'en 1990, l'exploitation continue de ces forêts avait rapidement réduit le nombre des fragments d'habitat suffisamment vastes pour entretenir des chouettes tachetées. La Cour fédérale suspendit alors l'exploitation de ces forêts jusqu'à ce qu'un plan de préservation puisse être mis en œuvre. Les besoins de la chouette en matière d'habitat se trouvaient en conflit direct avec les intérêts de l'industrie forestière, qui cherchait à remplacer les vieilles forêts, à croissance lente, par des lots à croissance rapide, exploitables au bout de soixante à quatre-vingts ans. Depuis les années 1950 principalement, l'exploitation des forêts, les incendies et les éclaircies pour l'agriculture avaient réduit les vieilles forêts du nord-ouest du Pacifique à moins de 10 % de leur aire d'origine. Comme ces forêts hébergent de nombreuses espèces animales et végétales uniques, la chouette tachetée a servi d'espèce parapluie, et sa protection contribua à assurer aussi la survie durable de beaucoup d'autres, moins « médiatiques ». La chouette tachetée septentrionale est l'une des trois sous-espèces de Strix occidentalis, ce qui a conduit l'industrie forestière à faire valoir que ladite chouette n'était pas aussi unique que cela et que sa protection, accomplie au prix d'un ralentissement de la production de bois, donc de pertes d'emplois, n'était pas justifiée. Cet argument ignore le fait que la majorité des emplois liés à l'exploitation du bois seront perdus une fois la forêt complètement exploitée. Au rythme d'exploitation élevé des années 1980, la plus grande partie de la vieille forêt aurait disparu vers 1995, et avec elle les emplois qui lui étaient liés. Si les tentatives pour sauver la chouette tachetée ont coûté quelques emplois dans l'industrie du bois, elles en ont aussi créé d'autres, la plupart dans des secteurs différents, spécialement dans les domaines de l'environnement et de l'éducation, à travers la découverte des oiseaux et de leur écologie. À la faveur de ces études, les biologistes ont développé des modèles plus réalistes pour les espèces distribuées en métapopulations, c'est-à-dire des populations séparées dans l'espace mais interconnectées par des flux d'individus. Tout cela a contribué à éclairer les débats sur l'évaluation des risques d'extinction pour d'autres espèces en danger. 47 La loi sur les espèces en danger des États-Unis La loi sur les espèces en danger des États-Unis (The Endangered Species Act) a été signée par Richard Nixon en 1973. La décision d'inscrire une espèce comme « en danger » est prononcée quand l'une des cinq conditions suivantes est remplie : la destruction de son habitat est avérée ; l'espèce est surexploitée (les individus sont éliminés à un taux supérieur à celui de leur reproduction) ; elle souffre de pertes par maladies ou par prédation ; les lois existantes sont inadéquates pour protéger l'espèce ; il y a d'autres facteurs, naturels ou anthropogéniques, qui affectent sa persistance. Une fois inscrite sur la liste, l'espèce ou la population considérée ne peut être affectée, c'est-à-dire que les agences fédérales ne peuvent autoriser, financer ou conduire aucune action de nature à menacer sa persistance. Actuellement, c'est un système à deux niveaux, sur le modèle des livres rouges de l'U.I.C.N., qui classe toute espèce inscrite soit comme « en danger », soit comme « menacée ». Une espèce « en danger » est « toute espèce menacée d'extinction sur tout ou partie de son aire » ; une espèce « menacée » est « toute espèce qui, selon toute vraisemblance, pourrait devenir en danger dans un futur prévisible ». Les espèces inscrites comme « en danger » ou « menacées », à la fois dans le monde et aux États-Unis, sont inégalement distribuées entre les différents groupes biologiques. Il y a un biais évident en faveur des mammifères et des oiseaux, les groupes les plus négligés étant les invertébrés et les plantes. Cela traduit, dans une certaine mesure, la fascination des hommes pour les mammifères et les oiseaux. Il faut également signaler que les spécialistes qui les étudient sont plus nombreux. Par ailleurs, le déséquilibre vient aussi probablement du fait que les spécialistes retiennent délibérément des espèces à exigences d'espace élevées, parce qu'elles jouent le rôle d'espèces parapluies et contribuent à protéger des écosystèmes spécifiques. Une fois l'espèce enregistrée, la loi préconise qu'un plan de restauration soit mis en œuvre pour éliminer les risques d'extinction. Des critiques se sont élevées contre cette loi, malgré son succès évident. Outre les biais taxonomiques décrits ci-dessus, deux problèmes supplémentaires ont été relevés : la lenteur avec laquelle les espèces sont inscrites et l'effectif réel des populations quand elles sont inscrites, problèmes d'ailleurs liés. En effet, au moment où l'espèce est enregistrée, son effectif a sans doute encore beaucoup décru, et se situe à un stade où la réversibilité est peut-être compromise (habitat détruit, par exemple). 48 La directive européenne Habitats-faune-flore Le 21 mai 1992, le Conseil des ministres de la Communauté européenne adoptait la directive 92/43, ou directive « Habitats-fauneflore ». Elle a pour objectifs, d'où son nom, de « contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen ». Cela doit aboutir à la constitution d'un réseau européen de sites, le réseau Natura 2000. Tous les six ans, un rapport rendant compte de l'application de la directive doit être établi par chaque État membre. La directive détermine, par ailleurs, les recherches et les travaux scientifiques nécessaires à ses objectifs ainsi que les procédures de réintroduction d'espèces indigènes et d'introduction éventuelle d'espèces non indigènes. Les mesures de protection s'appliquent actuellement à 293 espèces animales et 490 espèces végétales, dont, respectivement, 141 et 62 sont présentes en France. Citons, à titre d'exemple, la loutre d'Europe, la tortue d'Hermann, l'euprocte des Pyrénées, le papillon Apollon et l'orchidée spiranthe d'été. L'un des objectifs majeurs de la directive est de maintenir ou de restaurer les habitats naturels et les espèces d'intérêt européen dans des conditions favorables, en établissant des aires spéciales de conservation. Une attention particulière doit être accordée à plus de deux cents types d'habitats et aux sites qui hébergent des espèces protégées. Ce sont ces aires spéciales de conservation qui doivent former le réseau écologique de sites Natura 2000 et permettre la réussite des objectifs fixés par la directive. La protection ex situ La gestion des ressources génétiques Le concept de ressources génétiques a émergé dans le contexte de la sélection des plantes et des animaux domestiques. L'expression recouvre l'ensemble des espèces, races, variétés et génotypes, qui peuvent être utilisés à cette fin pour une plante ou un animal donné. À l'origine, les premiers sélectionneurs de plantes puisaient dans les variétés locales, appelées aussi cultivars primitifs. Progressivement, se sont imposés des cultivars modernes, protégés eux par un droit d'obtention végétale. Ces lignées de sélection et l'ensemble du matériel sont le produit du travail des sélectionneurs. Obtenues en conditions contrôlées, leurs caractéristiques génétiques sont bien connues. Cela explique leur importante valeur pour les entreprises qui en ont la propriété : là est la base de leur compétitivité. 49 Enfin, on ne peut passer sous silence une dernière source ou composante des ressources génétiques, les formes sauvages et adventices, qui prennent de plus en plus d'importance dans le contexte actuel d'érosion de la biodiversité. Elles représentent un réservoir de diversité génétique qui, encore immergé dans son environnement naturel et en interaction avec celui-ci, poursuit une évolution interdite aux formes cultivées modernes. Les sélectionneurs n'y puisent cependant qu'en dernier recours, car elles véhiculent aussi, évidemment, des spécificités indissociables propres à leur caractère sauvage. Avec les progrès de la biologie, non seulement les formes sauvages de la même espèce biologique (le pool génique primaire) peuvent être utilisées, mais aussi les espèces apparentées (pool secondaire), voire les espèces des genres voisins (pool tertiaire), sans qu'il y ait de limite théorique (Chauvet et Olivier, 1993). Comme dans d'autres domaines de la conservation, les acteurs et les modalités mises en œuvre – adaptées évidemment aux objectifs et motivations propres à chacun – sont divers. Il s'agit : – des instituts de recherche, avec les banques de gènes qu'ils gèrent et entretiennent ; – du secteur privé, constitué notamment par les firmes semencières qui entretiennent des collections de travail et des lignées de sélection très précieuses ; – des gestionnaires de patrimoine, tels les parcs naturels régionaux, à l'origine de programmes de conservation élaborés et de la relance des produits du terroir. Les collections de ressources génétiques sont couramment appelées banques de gènes. Elles sont conservées de différentes façons, selon les types biologiques considérés : en verger pour les arbres fruitiers ; en champ pour les plantes pérennes à multiplication végétative ; en chambres froides (à + 4 0C ou à — 20 0C) pour les plantes à graines. Le recours à des techniques de conservation plus élaborées, comme le maintien dans l'azote liquide, est possible pour les cas difficiles ou pour réduire le coût de la conservation et accroître l'intervalle entre chaque régénération, évitant ainsi les risques de dérive génétique. Chez la majorité des espèces de plantes, les graines sont adaptées pour survivre dans le sol, parfois jusqu'à plusieurs dizaines d'années. De telles graines, que l'on appelle semences orthodoxes, se conservent aisément, après séchage, à + 4 0C ou, mieux, à — 20 0C. De fait, la longévité des graines est d'autant plus grande que l'on abaisse la température de conservation. Ainsi, dans les 50 conditions optimales, les graines de céréales peuvent conserver leur capacité de germination jusqu'à une centaine d'années ; les graines de lotus atteignent plusieurs centaines d'années et le record est détenu par un lupin, avec plus de dix mille ans. On qualifie de récalcitrantes les graines qui ne se comportent pas de façon normale. Il s'agit, en particulier, de grosses graines comme les glands de chênes ou celles de nombreux arbres tropicaux. Ces graines sont détruites par le froid ou elles n'ont aucune dormance et germent dès qu'elles sont tombées au sol. On a recours alors à d'autres techniques de conservation, au champ (verger ou arboretum) ou in vitro. La conservation in vitro consiste à prélever des fragments de plantes et à les garder en conditions contrôlées sur support de gélose en éprouvette. Cette technique de culture in vitro est plutôt utilisée pour la production en masse de plantes horticoles. L'objectif de conservation suppose, au contraire, de ralentir la croissance. On a alors recours à la cryogénie : les fragments prélevés sont maintenus dans l'azote liquide (de — 150 0C à — 196 0C), ce qui permet une conservation à très long terme. La gestion des banques de gènes est cependant assez lourde : ces banques nécessitent un entretien et un suivi régulier, qui tendent à se relâcher avec le temps. Elles présentent, en outre, le double inconvénient d'être soumises à des pressions de sélection spécifiques (propres aux conditions de conservation et d'entretien) et d'échapper à la sélection naturelle. Certains généticiens des populations considèrent donc qu'un tel mode de conservation statique ne permettrait pas de fournir les caractères d'adaptation aux changements de l'environnement. Aussi l'idée a-t-elle été émise de développer des modes de conservation dynamique, en cultivant au champ des populations très hétérogènes, qui pourraient évoluer librement et faire apparaître des combinaisons de caractères inédites (Chauvet et Olivier, 1993). Pour les races d'animaux domestiques, l'entretien de troupeaux in situ reste la meilleure stratégie. Malgré son coût, diverses associations et institutions ont mis en place des programmes de conservation. Les parcs zoologiques Système de conservation des espèces animales très ancien, les parcs zoologiques ont permis la sauvegarde de plusieurs espèces. En 1923, le bison d'Europe n'existait plus qu'en captivité. Il a pu être réintroduit avec succès dans les forêts polonaises. Il en est de même de l'oryx d'Arabie, anéanti dans les années 1960, et récemment réintroduit en Arabie Saoudite et en Oman. En 1997, un programme était en cours pour le cheval de Przewalsky, avec un troupeau vivant en semi-captivité dans le parc national des Cévennes, avant l'étape décisive de sa réintroduction en Mongolie. 51 Pour les populations captives dans le monde, une série de livres généalogiques, ou stud-books, ont été élaborés. Cent neuf registres de ce type sont actuellement reconnus par la commission pour la survie des espèces de l'U.I.C.N. Quatre-vingt-cinq d'entre eux concernent les mammifères, un les amphibiens, quatre les reptiles et dix-neuf les oiseaux. Dans la mesure où, comme on l'a vu, l'espérance de survie d'une population dépend de sa faculté d'adaptation aux variations de l'environnement, l'existence en son sein d'une diversité génétique suffisante est une condition fondamentale à prendre en compte. Cela suppose donc une gestion particulière des populations captives et, en particulier, de la conduite de la reproduction. On est encore loin d'atteindre les conditions satisfaisantes, qui consisteraient à traiter les échantillons captifs comme des éléments d'une population biologique à part entière. Ainsi, un recensement, effectué au début des années 1980 par l'International Tiger Studbook, montrait que sur mille deux cents tigres de Sibérie captifs, soixante seulement étaient issus du milieu naturel et, parmi eux, six avaient contribué à l'apport de 60 % des gènes. Cela veut dire que la plus grande partie de la diversité originelle a été perdue et que le taux de consanguinité de la population captive est très élevé. Les réintroductions et renforcements de populations La réintroduction du vautour fauve dans les Cévennes L'évolution des populations dépend, d'une part, des capacités naturelles des individus à survivre et à se reproduire et, d'autre part, des interactions des individus avec l'environnement (climat, ressources, autres populations). Les démographes élaborent des modèles mathématiques, qui intègrent ces facteurs, afin de connaître le devenir des populations. La théorie est récente et complexe, et il faut en général avoir recours à l'informatique pour étudier ces modèles. Les chercheurs ont développé plusieurs logiciels qui leur permettent d'aborder de nombreuses questions théoriques et pratiques concernant la démographie d'espèces très différentes et, spécialement, les questions complexes posées par la gestion et la conservation des espèces menacées. L'un de ces logiciels a notamment été utilisé avec succès dans le cas de la réintroduction du vautour fauve dans les Cévennes. Le vautour fauve a disparu du Massif central en 1945. De 1981 à 1986, soixante et un animaux de cette espèce – en provenance d'Espagne et des Pyrénées françaises – ont été réintroduits dans les Cévennes. Cette opération est un succès, puisque la population compte actuellement presque deux cents individus. Les gestionnaires du programme (Fonds d'intervention pour les rapaces et Parc national des Cévennes) ont choisi de relâcher des vautours adultes plutôt que des jeunes. L'intérêt du lâcher d'adultes est d'obtenir 52 plus rapidement des animaux nés en nature. En revanche, vraisemblablement du fait de leur captivité avant confrontation à l'habitat naturel, les adultes ont des capacités altérées de survie et de reproduction, ce qui n'est pas le cas pour les jeunes. Ces deux stratégies de réintroduction ont été comparées à l'aide du logiciel U.L.M. (Unified Life Models), après intégration des données mesurées sur le terrain. La stratégie « adultes » apparaît effectivement préférable à la stratégie « jeunes » : la taille de la population naturelle obtenue est plus importante et le risque d'extinction moindre. La probabilité d'extinction est calculée en simulant l'impact de fluctuations aléatoires de l'environnement et des effectifs sur le devenir de la population. Le modèle, qui est général et paramétrable, peut s'appliquer à d'autres programmes de réintroduction pour lesquels il faut décider de l'âge des individus à relâcher. Une telle approche de modélisation et simulation paraît indispensable pour asseoir la biologie de la restauration sur des bases scientifiques solides et guider les stratégies de réintroduction. Une théorie à construire En dépit du nombre croissant de programmes de réintroduction, cette pratique essentielle de la biologie de la conservation souffre de l'absence relative d'un cadre théorique solide. L'essentiel des recherches en matière de réintroduction porte sur le problème des croisements en captivité, lequel requiert des études sur les risques liés à la consanguinité, sur les perturbations comportementales entraînées par la captivité et sur les conséquences populationnelles de maladies épidémiques. De nombreux efforts sont consacrés au maintien d'une diversité génétique élevée dans les populations captives et réintroduites. Il reste cependant à évaluer dans la nature les conséquences tant de la dépression consanguine (inbreeding) que de la dépression hybride (outbreeding). Dans le cas des renforcements de population, l'impact des lâchers sur la population résiduelle demande les plus grandes précautions quant à l'origine des individus déplacés. Le biais vers les aspects génétiques ne doit pas masquer le besoin d'une connaissance a priori de l'écologie des espèces réintroduites. De fait, les aléas démographiques et environnementaux sont supposées avoir un effet possible important sur les très petites populations, comme dans le cas des espèces réintroduites. En outre, tous les facteurs capables d'affecter la viabilité des populations agissent sur les taux de survie et de fécondité, quelle qu'en soit l'origine, génétique, comportementale ou environnementale. Aussi, une bonne appréciation de la démographie des espèces candidates à la réintroduction – souvent mal connue 53 du fait de leur statut d'espèces menacées – est de première importance pour mieux cerner les possibles effets de tous les facteurs qui peuvent affecter le succès de la réintroduction. Par ailleurs, le suivi des populations réintroduites est trop souvent négligé, bien qu'il puisse fournir une évaluation précieuse des méthodes adoptées et du succès de l'opération. On manque cruellement de critères rigoureux pour cela. Il faudrait des estimations précises des paramètres démographiques, fondement d'une modélisation possible de divers scénarios de la dynamique de la population, incluant des événements catastrophiques hypothétiques. La reproduction effective du premier individu sauvage né dans l'aire de lâcher peut néanmoins être utilisée comme critère à court terme du succès de la réintroduction. Il faut souligner que les réintroductions, en tant qu'expériences à grande échelle, constituent un cadre précieux pour des études écologiques sur la dynamique de la biodiversité, qui présentent un intérêt fondamental. Tout d'abord, les réintroductions concernent des espèces rarement étudiées dans la nature. Le suivi de telles populations réintroduites ou renforcées constitue donc une excellente opportunité pour étendre nos connaissances sur une plus vaste gamme de modèles animaux et végétaux. Ensuite, les populations réintroduites pourraient présenter des caractéristiques induites par la colonisation, phénomène rarement étudié dans la nature, bien que fortement mis en relief par les études récentes du fonctionnement des métapopulations. Enfin, les programmes de réintroduction pourraient faciliter les études du rôle des espèces clés dans l'organisation des communautés. La biologie de la conservation Définition L'émergence de la biologie de la conservation est une réponse de la communauté scientifique à la crise d'extinction actuelle. De fait, les changements planétaires induits par l'homme précipitent le plus grand épisode d'extinction que la vie ait connu depuis la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d'années. Si nous ne réagissons pas rapidement et de façon significative, la génération suivante n'aura pas la même opportunité de redresser la situation à laquelle nous faisons face. Ainsi, la biologie de la conservation est bien, dans tous les sens du mot, une discipline de crise : elle doit passer du statut de science qui enregistre des catastrophes à celui d'une science d'action, qui permette d'élaborer des plans scientifiquement fondés pour empêcher les catastrophes écologiques. C'est une nouvelle discipline de synthèse qui applique les principes de l'écologie, de la 54 biogéographie, de la génétique des populations, de l'anthropologie, de l'économie, de la sociologie, etc., au maintien de la diversité biologique sur l'ensemble de la planète. La biologie de la conservation présente trois spécificités : – Elle s'appuie maintenant sur une base théorique et intègre des modèles écologiques et génétiques appliqués à des situations du monde réel. – Alors que la conservation traditionnelle s'enracine largement dans une philosophie économique de type « utilitaire », dont la motivation première est de maintenir des productions élevées (on s'intéresse à un petit nombre d'espèces – cerfs, truites, essences d'arbre, etc., dont on cherche à maximiser la production – au détriment de la biodiversité), la nouvelle biologie de la conservation accorde de l'importance à l'ensemble de la biodiversité et lui attribue une valeur intrinsèque. Elle considère, dans cette perspective, que la gestion doit être orientée vers la biodiversité et les écosystèmes planétaires plutôt que vers quelques espèces particulières. Des écosystèmes intacts et diversifiés, au fonctionnement durable, apparaissent comme essentiels, véritables « systèmes support de vie » nécessaires pour notre propre développement en tant qu'espèce. – Enfin, la nouvelle biologie de la conservation – et il conviendrait pour cela de parler plutôt de sciences de la conservation, sinon d'écologie de la conservation – embrasse les contributions d'autres disciplines. En particulier, elle reconnaît pleinement que l'apport des sciences sociales, de l'économie, de la science politique peut avoir finalement plus d'impact dans les avancées et la portée réelle de la conservation que les sciences biologiques elles-mêmes. Principes et caractéristiques de la biologie de la conservation La biologie de la conservation moderne est dominée par trois idées majeures : la vie sur Terre est marquée par le changement évolutif, par une dynamique écologique et par l'omniprésence de l'homme. Elle reconnaît sept principes pour la mise en œuvre d'une conservation durable de la biodiversité. Ces principes, énoncés dans une synthèse publiée en 1996 par M. Mangel et ses collaborateurs, reposent sur trois constats : – l'ensemble des principes considérés antérieurement pour la conservation des ressources vivantes sauvages demandait une mise à jour ; 55 – ceux-ci ne furent pas aussi efficaces qu'ils auraient dû l'être, probablement parce qu'ils manquaient de mécanismes de mise en œuvre ; – tous les problèmes de conservation comportent à la fois des aspects scientifiques, économiques et sociaux, et ceux-ci doivent être inclus dans les solutions proposées. Principe no 1 : « Le maintien durable de populations saines pour l'ensemble des ressources biologiques sauvages n'est pas compatible avec une croissance illimitée des besoins et des demandes des hommes pour ces ressources. » On ne saurait, en effet, concevoir la possibilité d'une croissance infinie dans un système fini. La population humaine ne peut augmenter indéfiniment sans porter atteinte aux ressources naturelles qui lui sont nécessaires. Aussi, l'élément de base le plus critique pour tout effort de conservation est la stabilisation puis l'infléchissement de la population humaine et de la pression qu'elle exerce sur la biosphère et ses ressources. De fait, pour que les conditions d'un développement durable soient accomplies, il faut que les hommes exploitent leurs ressources de manière à en permettre le renouvellement naturel : qu'ils apprennent à vivre des intérêts sans affecter le capital. Principe no 2 : « Le but de la conservation devrait être d'assurer toutes les options d'utilisation présentes et futures en maintenant la biodiversité dans toutes ses composantes, génétique, spécifique et écosystémique. » Cet objectif suppose : de gérer la pression exercée sur les écosystèmes de manière à préserver leurs traits essentiels ; d'identifier et de protéger les zones, espèces et processus qui sont particulièrement importants pour la sauvegarde des écosystèmes ; d'éviter autant que possible la fragmentation des aires naturelles. Principe no 3 : « L'évaluation des possibles effets écologiques et socioéconomiques de l'utilisation des ressources naturelles devrait précéder toute mesure d'extension ou de restriction de celle-ci. » Traditionnellement, l'utilisation des ressources naturelles est fondée sur la conviction que les propriétaires des ressources ont le droit d'en faire ce qu'ils veulent ; si une ressource n'est la propriété de personne, elle peut être utilisée par tout le monde, et cette utilisation ne peut être restreinte sauf si quelque individu ou entité légalement habilité s'y oppose. Or la mise en œuvre de ce dernier principe pour une conservation durable de la biodiversité suppose des conditions sensiblement différentes. Il faut en particulier identifier les 56 incertitudes et les présupposés relatifs au cycle de vie, à l'état et au rôle dans l'écosystème de l'espèce ressource considérée ainsi qu'à l'impact du contexte socioéconomique. Principe no 4 : « La réglementation relative à l'utilisation des ressources vivantes doit reposer sur la connaissance de la structure et de la dynamique de l'écosystème concerné et prendre en compte les influences écologiques et socioéconomiques qui affectent directement et indirectement l'utilisation de ces ressources. » Principe no 5 : « La gamme complète des compétences et connaissances, apportées par les sciences de la nature et de la société, doit être mobilisée pour traiter des problèmes de conservation. » Il faut en particulier : – impliquer la totalité des disciplines nécessaires au stade le plus précoce possible ; – reconnaître que la science n'intervient qu'en partie dans la conservation des ressources vivantes, limitée à l'investigation et à la description de certaines catégories de phénomènes et processus ; ainsi, la science peut être utilisée pour fixer les limites des activités compatibles avec les objectifs de la conservation, y compris les incertitudes sur ces limites, mais elle ne peut dicter à la société où celle-ci doit opérer dans le cadre de ces limites ; – demander de larges consultations, parce que, potentiellement, toutes les questions de conservation ont des implications biologiques, économiques et sociales et que l'ignorance de l'une ou de l'autre de ces composantes peut conduire à des conflits défavorables à une conservation effective. Principe no 6 : « Toute conservation efficace suppose la prise en compte et la compréhension des motivations, intérêts et valeurs de tous les utilisateurs et acteurs en cause. » Cela suppose de donner la responsabilité de gestion aux groupes d'intérêts locaux, ce qui accroît les motivations à conserver, spécialement s'il existe un lien entre l'activité de conservation et les bénéfices apportés par cette activité. Principe no 7 : « Une conservation efficace demande une communication interactive, réciproque et continue ». L'information et la sensibilisation des populations locales et du public est, en matière de conservation, un élément essentiel pour un succès durable. Robert BARBAULT 57 Bibliographie R. Barbault, Des baleines, des bactéries et des hommes, Odile Jacob, Paris, 1994 ; La Biodiversité. Introduction à la biologie de la conservation, Hachette, Paris, 1997 M. Chauvet & L. Olivier, La Biodiversité, enjeu planétaire, Sang de la Terre, 1993 A. P. Dobson, Conservation and Biodiversity, Scientific American Library, 1995 M. Mangel et al., Principles for the Conservation of Wild Living Resources, Ecological Applications, 1996 G. K. Meffe & C. R. Carroll, Principles of Conservation Biology, Sinauer, 1994 F. Ramade, Éléments d'écologie appliquée, McGraw-Hill, 1995 D. Tilman, D. Wedin & J. Knops, « Productivity and Sustainability Inflenced by Biodiversity in Grassland Ecosystems », in Nature, vol. 379, 1996 E. O. Wilson, La Diversité de la vie, Odile Jacob, 1993 W.R.I., Global Biodiversity Strategy, W.R.I., I.U.C.N., U.N.E.P., 1992. U.I.C.N Dénommée tout d'abord Union internationale pour la protection de la nature (U.I.P.N.), puis Union internationale pour la conservation de la nature (U.I.C.N.), cette organisation a vu le jour au terme d'une longue maturation. En effet, dès 1910, le médecin Paul Sarasin, de Bâle, propose au VIIIe Congrès international de zoologie à Graz (Autriche) la création d'une Commission internationale pour la protection de la nature. Le gouvernement fédéral suisse sollicité convoque une réunion internationale à Bâle en 1913 qui jette les bases de la future U.I.C.N. Après la Première Guerre mondiale, les autorités suisses se désintéressent du projet qui est alors repris par les Pays-Bas. Un Bureau international pour la protection de la nature est reconnu juridiquement en 1934, mais le second conflit mondial vient interrompre son essor. L'Union internationale pour la conservation de la nature est finalement créée le 5 octobre 1948 à Fontainebleau, grâce à l'appui énergique de Julian Huxley, premier directeur de l'U.N.E.S.C.O. Son rôle est de promouvoir et de coordonner les actions de protection de la nature au niveau mondial. C'est à l'U.I.C.N. que l'on doit la première utilisation du concept 58 de « développement soutenable » (sustainable development, traduit, à tort, par développement durable) lors du lancement, en 1980, de la Stratégie mondiale pour la conservation des ressources vivantes au service du développement soutenable. W.W.F. Organisation internationale de droit privé, créée en 1961 par l'Union internationale de conservation de la nature (U.I.C.N.), le W.W.F. était à l'origine le sigle de World Wildlife Fund devenu en 1986 le World Wide Fund for Nature, c'est-à-dire Fonds mondial pour la nature. Cette nouvelle dénomination reflète l'évolution de l'organisation, laquelle, après avoir concentré ses activités sur la protection des espèces, agit aujourd'hui sur l'ensemble des domaines de la protection de la nature et de l'environnement. Le siège international du W.W.F. se situe à Gland, en Suisse. Avec plus de 5 millions de membres et des représentations dans plus de cinquante pays, le W.W.F. est la plus importante organisation internationale de défense de l'environnement. Il rassemble environ 2 000 collaborateurs et gère en permanence quelque 500 projets concrets de protection de la nature dans le monde entier. Depuis sa création, le W.W.F. a mené à bien plus de 11 000 projets dans 130 pays. Au niveau mondial, le W.W.F. met l'accent sur la protection des forêts, des mers, des côtes, des écosystèmes d'eau douce (lacs, cours d'eau et zones humides), mais également sur la préservation de l'équilibre climatique et sur les problèmes liés à la consommation d'énergie. Parmi ses nombreuses réalisations, grâce aux fonds collectés, on peut citer la protection du delta du Danube en Roumanie, celle des lagunes de Valence en Espagne, celle d'estuaires aux Pays-Bas, les sauvegardes du rhinocéros blanc en Ouganda, du rhinocéros de Java, du tigre de Java, du tigre de l'Inde et d'Indonésie, de l'oryx d'Arabie, de l'orang-outan de Sumatra, etc. Le W.W.F. a aussi permis la création de plus de 260 parcs nationaux et réserves et la mise en place de nombreuses stations de recherche. 59 En France, le siège de la section nationale se situe à Versailles. Cette dernière a contribué au financement de nombreux projets en faveur des zones humides, à la réintroduction du lynx, à des opérations de sensibilisation et d'information sur les thèmes qu'elle défend. Le logo du W.W.F. est le panda géant de Chine, symbole qui l'a rendu célèbre. Le W.W.F. édite et diffuse une revue trimestrielle, le Panda, lancée en 1980. Des espaces naturels protégés : pour quoi faire ? Débat avec Samuel Depraz, maître de conférence à l’université Jean Moulin Lyon 3 et Stéphane Héritier, maître de conférences à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne ; ils sont membres de l’UMR CNRS 5600 "Environnement, ville, société". La Cloche, 25 février 2009 Mercredi 25 février 2008, le café de la Cloche était particulièrement animé. Tout d’abord, parce que le procès engagé par Philippe, son gérant, contre son propriétaire qui lui demandait brutalement un loyer augmenté de 300% a abouti. Nous voilà rassurés : les cafés géo lyonnais ne seront pas expropriés ! Ce soir-là, les cafés géo étaient également ravis d’accueillir deux des universitaires [1] au cœur de l’actualité française sur les espaces naturels protégés. Rappelons en effet qu’en quelques mois, au numéro 82/4 de Géocarrefour intitulé Les parcs nationaux entre conservation durable et développement local, coordonné par S. Héritier, se sont ajoutés les livres intitulés Géographie des espaces naturels protégés : genèse, principes et enjeux territoriaux de S. Depraz paru chez Armand Colin (collection « U »), et Les parcs nationaux dans le monde, protection, gestion et développement durable, co-dirigé par S. Héritier et L. Laslaz, paru chez Ellipses. Cette actualité est le témoin d’un nouveau regard porté par les géographes sur les espaces naturels protégés. S’efforçant de les construire comme un objet géographique original, ils les envisagent dorénavant comme le reflet des rapports que tissent les hommes avec les milieux que ces derniers considèrent comme naturels. Questionnant les rôles économiques, sociaux, culturels ou politiques que remplissent ces espaces, ils rendent alors possible le débat les concernant, leur simple fonction écologique n’allant plus forcément de soi - ou n’étant plus exclusive. « A quoi servent les espaces naturels protégés ? » est d’ailleurs une question souvent entendue par ces deux chercheurs. Les réponses couramment apportées se basent sur deux types distincts d’argumentation : les écologistes accordent une valeur morale à ces espaces, véritable sanctuaire face à une nature dégradée fortement par l’homme, tandis qu’un autre type d’argumentation, plus utilitariste, s’interroge sur la réelle valeur fonctionnelle de ces espaces naturels dorénavant classés. Voguant entre ces deux visions, Samuel Depraz et 60 Stéphane Héritier vont donc revisiter ce soir les différentes fonctions assignées aux espaces naturels protégés à travers six questions (im)pertinentes. « Les espaces naturels protégés servent-ils vraiment à protéger la biodiversité ? » Stéphane Héritier interroge d’abord l’évidence selon laquelle borner un espace où s’exerce une réglementation spécifique serait un moyen efficace pour protéger la diversité des espèces animales et végétales qui s’y trouvent. Il rappelle tout d’abord que le postulat sur lequel repose cet outil reste catastrophiste, ravivant l’image d’une nature menacée par l’homme, pensé alors seulement comme agent destructeur de sa biodiversité. Or, certains cas invalident ce mode de pensée. Ainsi, il a été démontré que l’homme pouvait être un facteur de biodiversité, notamment dans les secteurs d’abattis brûlis (cf. travaux de P. Descola et la thèse de L. Eloy [2] par exemple). Par ailleurs, les périmètres des espaces naturels protégés ont été en fait souvent conçus pour protéger certaines espèces en particuliers, comme les grands animaux en Afrique ou les bêtes à cornes dans les Alpes (bouquetins), parce que certains groupes leur accordent de la valeur et posent un regard positif sur elles. Dans le même temps pourtant, ces espaces ont entraîné la destruction d’autres espèces qui, temporairement, ne recueillaient pas l’attention favorable de l’homme. Ainsi, au Canada, et notamment dans les parcs nationaux, un programme d’élimination des prédateurs, concernant surtout les coyotes, loups et couguars, a été mis en place dans les années 1930. Considérées comme « nuisible », ces espèces faisaient concurrence aux chasseurs ; par ailleurs, cette période était caractérisée par une attention particulière à la grande faune faisant office de gibier (game). Si cette politique d’extermination des prédateurs s’est achevée au début des années 1960 au Canada, d’autres pays tels que la Chine [3], n’hésitent pas à délivrer des permis de chasse dans leurs parcs nationaux (pour chasser l’Antilope du Tibet par exemple). La chasse sportive constitue l’une des trois atteintes principales à l’environnement dans les parcs nationaux chinois avec le braconnage (panda géant de Chine) et la surcueillette de plantes utilisées dans la pharmacopée chinoise. Les espaces naturels protégés servent, sans doute, à protéger la biodiversité, ou au moins certaines espèces ; mais pas uniquement et pas partout, tant les stratégies des Etats, les mesures de gestion et les pratiques locales peuvent parfois limiter la portée de cet objectif. « Les espaces naturels protégés, des espaces récréatifs pour les citadins ? » Ces exemples ne remettent pas en cause la fonction protectrice première de ces espaces, mais ils montrent leur grande hétérogénéité de gestion à travers le globe, où l’écologisme joue un rôle variable. Samuel Depraz rappelle en effet que l’écologisme est postérieur aux espaces naturels protégés, comme le montre l’exemple du Yellowstone, premier parc national américain fondé en 1872. Celui-ci est né de l’expédition lancée en 1870 par Washburn, composée de militaires, d’hommes politiques, d’un journaliste, d’un juriste, et de représentants de sociétés privées, notamment des chemins de fer. Le compte-rendu de cette expédition montre à quel point celle-ci dépasse largement le simple cadre scientifique. Le romantisme y est ainsi patent : l’élite américaine 61 qui compose cette expédition célèbre le « merveilleux », le « sublime » et le « mystique » de cette nature, notamment dans ses formes les plus exceptionnelles comme les geysers. La nature y apparaît comme servant à communier avec Dieu. Si finalement cet espace naturel est classé, c’est à travers le prisme qu’ont les Américains de l’époque de la nature, savant mélange d’une approche esthétisante de celle-ci, de romantisme européen et de transcendantalisme américain. Les raisons présidant à ce classement ne sont en fait pas du tout écologiques : il s’agit de faire partager cette nature au plus grand nombre, car la plus grande crainte alors vis-à-vis de cet espace naturel n’est pas sa disparition mais sa confiscation par le secteur privé, qui empêcherait l’homme d’apporter sa mission civilisatrice à cet espace. Il n’existe alors aucune dichotomie entre l’homme et la nature : au contraire, cette dernière doit être le témoin de la construction de la nation américaine et ces parcs en deviennent le symbole. De ce fait, ils doivent faire l’objet d’aménagements, notamment touristiques (voies carrossables, panoramas, hôtels...) que réclament les citadins américains en quête du pittoresque que cette nature incarne. Finalement, le parc ne classe pas la nature en elle-même, mais la relation que l’homme tisse avec elle, s’inscrivant alors dans un paradigme très anthropocentré. Le parc du Yellowstone a ensuite fait école, notamment dans beaucoup de pays neufs, ou dans certains pays européens comme le montrent les exemples des Naturparke d’Alfred Toepfer, des parcs anglais et néerlandais. D’une certaine manière, les classements UNESCO, concevant certains sites naturels comme patrimoine mondial de l’Humanité, sont héritiers de cette approche. Les espaces naturels protégés, une réponse à nos angoisses collectives ? D’une manière générale, Stéphane Héritier remarque que classer un espace naturel protégé semble être un outil répondant à la grande « angoisse du dérèglement [4] », pour reprendre l’expression employée par S. Depraz, angoisse qui peut se décliner de quatre manières : l’angoisse du manque, de la destruction des milieux de vie, de la disparition de certaines espèces et finalement de celle de l’homme. Cette volonté de protéger des ressources manquantes ou pouvant manquer, comme les ressources forestière, n’est pas nouvelle, comme le montre l’Ordonnance de Colbert (1669) sur les Forêts Royales. Notons toutefois qu’il ne s’agit pas de protéger le bois pour lui-même mais bien parce qu’il constitue une ressource essentielle à l’économie du Royaume et à sa défense (le bois était utile à la marine de guerre, considérée comme un instrument de la puissance du Royaume) Protéger des ressources naturelles par peur de leur disparition est plus généralement le reflet d’une lecture catastrophiste de l’action anthropique sur les milieux naturels, qui trouve ses racines dans l’ouvrage de l’Américain G.P Marsh (1801-1882) Man and Nature (publié initialement en 1864) réédité sous le titre The Earth as Modified by Human Action (en 1874). Ce diplomate et philologue américain, revenu de mission diplomatique en Europe (notamment en Italie), décrit une Europe à la démographie galopante, épuisant ses sols, ses forêts et l’ensemble de ses capacités productives à cause de cultures et d’élevages trop intensifs. Cet ouvrage est considéré dans le mouvement environnementaliste américain comme fondateur de la protection moderne de la nature et procède finalement plus d’une démarche anthropocentrée qu’écocentrée. La succession de Conférences Internationales concernant la protection de la nature, de 1885 à 1913, en est d’ailleurs révélatrice : il s’agit de protéger les saumons du Rhin, les oiseaux migrateurs, les mammifères 62 africains... c’est-à-dire des espèces très ciblées dont il faut maintenir les stocks puisqu’elles peuvent être utiles à l’homme. Plus tard, le livre de R. Carlson, Silent Spring (1962), marque un tournant. Il ne s’agit plus de la disparition possible d’une espèce, mais de toutes les espèces d’une partie de la chaîne alimentaire, également essentielle pour ses fonctions polinisatrices. L’inquiétude liée à la modernisation des pratiques agricoles (utilisation massive des pesticides principalement et des insecticides) la conduit à décrire ce que pourrait advenir alors de la vie sur terre. Une angoisse renouvelée avec la médiatisation des inquiétudes liées à la destruction du « poumon vert de la planète », la forêt amazonienne. Aujourd’hui, ce type de discours s’est multiplié, pour deux raisons selon S. Héritier. Tout d’abord parce que les scientifiques fournissent de plus en plus d’arguments aux décideurs politiques dans le cadre de la « scientifisation de la politique [5] » (Habermas), servant la légitimation de leurs décisions. D’autre part, l’angoisse de la survie humaine est d’autant plus prégnante que le monde est perçu dorénavant comme fini dans tous les sens du terme [6] - ranimant certaines formes de discours millénaristes. Les espaces naturels servent-ils à faire de l’argent ? Samuel Depraz poursuit en posant cette question un peu provocatrice, interrogeant plus largement la valeur des espaces naturels protégés. Ces derniers sont-ils un placement, un investissement coûteux ou une source de revenus ? Il serait naïf de ne pas considérer la protection de la nature comme un secteur économique à part entière aujourd’hui, comme le rappelle ces quelques chiffres issus du National Park Service (NPS) aux Etats-Unis : aujourd’hui, les parcs naturels américains gèrent 2,4 milliards de dollars de budget annuel, 20 000 employés, 137 000 volontaires et plus de 400 millions de dollars de charges sociales. On ne peut donc que constater à quel point le volume engagé est important dans ces espaces naturels protégés. Pour autant, s’agit-il d’un secteur rentable ? A vrai dire, Samuel Depraz insiste sur la complexité à dresser le bilan des espaces naturels protégés. D’un point de vue strictement comptable en effet, le bilan apparaît rapidement négatif : les coûts directs (employés, infrastructures...) et indirects (expropriation, indemnisation...) pèsent lourd, d’autant que s’y ajoutent des coûts d’opportunités liés au classement de l’espace en espace naturel protégé, c’est-à-dire tout ce qu’il ne pourra pas devenir à cause de ce classement. Par contre, les bénéfices sont plus diffus : il existe un impact variable sur le secteur touristique (accueil du public, visites des parcs, vente de la production locale) mais dont la délimitation est délicate : jusqu’à quelle distance, et dans quelle proportion l’espace protégé est-il à l’origine du bénéfice ? En outre, d’autres dimensions échappent souvent aux bilans comptables : la protection face aux risques (notamment ceux contre les avalanches ou l’érosion, une valeur « assurantielle »), mais aussi l’information générée par le parc sur le territoire, le bienêtre procurée aux populations, l’éducation en matière environnementale dont le parc est le support... C’est tout ce que l’on nomme la « valeur d’existence » d’un espace protégé, et qui reste irréductible à toute tentative d’évaluation quantifiée. Le résultat du bilan économique sera donc fortement biaisé par la manière dont on aborde l’espace protégé. Le besoin d’évaluation comptable relève en fait surtout d’un débat politique autour de la légitimité des espaces naturels protégés. Face à ce biais idéologique et à la complexité des méthodes mises en œuvre, il semble 63 donc plus pertinent d’adopter une logique s’articulant autour du couple coût/efficacité en fonction des objectifs politiques et sociaux assignés de manière large à l’espace naturel protégé. Les espaces naturels protégés servent-ils à mettre en réserve des ressources à exploiter ultérieurement ? Stéphane Héritier attire alors l’attention sur le fait qu’il est frappant aujourd’hui de constater à quel point l’histoire de la protection des espaces naturels a été structurée par des utilisations conjoncturelles, où les mesures restrictives ont alterné avec celles d’utilisation des ressources. En théorie, les espaces naturels protégés sont généralement déclarés inaliénables, mais la réalité est souvent éloignée de ces intentions déclarées : des multitudes de ressources y sont exploitées, notamment pour des motifs de défense nationale. Ainsi, à l’occasion des deux guerres mondiales du XXe siècle, ils ont permis (notamment au Canada ou aux Etats-Unis mais ces exemples peuvent être multipliés) de fournir des minerais ou des denrées alimentaires, en jouant le rôle des réserves de pêche et de chasse par exemple. Rod Cole [7] explique également que, durant la période soviétique, les zapovedniks (réserves naturelles, considérées comme des « étalons de la nature - etalon prirody » dont certains sont aujourd’hui classés dans la catégorie II - parc national - de l’UICN) ont été soumises à des grandes « purges » en 1951 et 1961. En 1951, le nombre de réserves est passé de 128 à 40 (parmi les 40 restantes, la superficie des plus grandes a été réduite). Créées et défendues par le régime, elles furent, pendant cette période de tensions avec l’Ouest, considérées comme un obstacle à l’exploitation de certaines ressources minérales, forestières ou à la mise en valeur agricole. En ce sens, les espaces naturels protégés servent de réserves pour des moments exceptionnels de l’histoire du pays. En appartenant à l’Etat, leurs ressources peuvent être facilement mobilisées en cas de conflits comme en cas de crise. Après la crise de 1929, par exemple, les grands parcs nord-américains furent utilisés pour fournir du travail à bon nombre de chômeurs, assurant ainsi un revenu minimal à des centaines de familles. Aujourd’hui, les recherches, les moratoires et les logiques de sanctuarisation qui sont en œuvre aux pôles peuvent être probablement lus selon cette clé d’interprétation : il ne s’agit pas seulement de répondre à une inquiétude collective les concernant, mais aussi de prospecter leurs richesses et, pour les Etats, de se positionner déjà comme futurs utilisateurs (ou exploitants) légitimes de celles-ci. Les espaces naturels protégés sont-ils des outils géopolitiques ? Samuel Depraz termine par cette dernière question, non moins polémique puisqu’elle permet d’interroger la dimension géopolitique des espaces naturels protégés. Il insiste tout d’abord sur la lisibilité internationale que procure la création d’un espace naturel protégé, permettant alors au pays concerné de s’insérer dans un réseau de coopération internationale. Pour certains régimes non-démocratiques, ces parcs peuvent alors constituer un excellent moyen de se racheter une bonne conscience. Par ailleurs, les espaces naturels protégés peuvent remplir une fonction stratégique aux frontières posant problème, en aidant à leur fixation. Ce fut par exemple le cas entre le Chili et l’Argentine durant les années trente. Ce rôle frontalier explique la position volontairement périphérique de certains espaces naturels protégés. 64 Enfin, moins avouable encore, certains espaces naturels protégés permettent le contrôle et le déplacement ou la sédentarisation forcée de certaines populations. L’espace naturel protégé est alors le prétexte à répression. Ce fut par exemple le cas en Afrique du Sud au temps de l’apartheid. Aujourd’hui encore, les espaces naturels protégés sont responsables de contraintes sur les droits coutumiers affectant jusqu’aux possibilités d’existence des tribus nomades, comme l’ont dénoncé les Massaïs en Tanzanie. Ils entraînent toujours des évictions et des déguerpissements forcés : on estime actuellement à 14 millions le nombre des réfugiés « victimes » de la protection de la nature (C. Geisler). Certes, aujourd’hui, la concertation et l’indemnisation des victimes sont encouragées mais elles restent le témoin en creux de la violence faite à ces populations et de la dépossession territoriale dont ils sont les victimes. La dimension géopolitique des espaces naturels protégés peut être également interrogée par d’autres acteurs que ceux publics. Ainsi, des entreprises privées utilisent les espaces naturels protégés comme un outil marketing pour se forger une bonne image, en sponsorisant certaines actions. Certains particuliers vont même se substituer à l’autorité publique lorsqu’ils constatent des défaillances avérées de la part de l’Etat, notamment dans les pays du Sud, en achetant des terres à titre personnel pour ériger ces domaines en « réserves naturelles privées ». Parfois ces « espaces naturels protégés » deviennent en fait des isolats pour tourisme de luxe, où le label « réserve naturelle » est surtout une marque d’appel. Dans ce cas, l’espace dit naturel et protégé sert un contrôle territorial sélectif et élitiste. Les organisations non-gouvernementales (ONG), comme WWF ou Greenpeace ne sont pas épargnées par cette logique géopolitique. Elles sont d’ailleurs parfois appelées BINGOS (Big International Non-Governmental Organizations) par leurs détracteurs. En faisant pression pour que la dette d’un pays pauvre soit réévaluée s’il s’engage dans un programme de protection de la nature, ou en se substituant à l’Etat dans la gestion de certains espaces naturels protégés, elles constituent en effet des acteurs géopolitiques de poids. Se pose alors au final la question d’une « ingérence écologiste » (G. Rossi) des pays du Nord sur le Sud. QUESTIONS Le terme d’ « espace naturel protégé » désigne des réalités très différentes. Il est de ce fait peut-être abusif d’accuser les écologistes de la mauvaise gestion qui peut être fait de ces parcs ? S. Depraz : Vous touchez là une question épineuse : le problème de l’objet d’étude. De quoi parle-t-on exactement ? Le terme d’espace naturel protégé est très polysémique. Dans ces conditions, que prendre en compte dans leur étude ? On s’aperçoit finalement que toutes les logiques précédemment évoquées s’entremêlent le plus souvent, même si certaines peuvent être plus prégnantes que d’autres dans certains cas. L’UICN a certes proposé une typologie pour tenter de clarifier les différents statuts existant de par le monde, mais elle ne prend pas en compte toutes les dimensions des parcs et réserves, notamment les dimensions sociales. Chaque espace naturel protégé est bien une problématique en soi. S. Héritier : Pour revenir aux espaces naturels protégés comme mise en réserve de ressources exploitables, il ne faut pas croire que systématiquement, cette volonté a présidé à la création d’un espace naturel protégé. Dans certains cas, l’existence des ressources a été découverte après le classement. Il s’agit finalement le plus 65 souvent d’une conjonction d’intérêts, qui n’est d’ailleurs pas étrangère au positionnement de grandes organisations telles que Greenpeace ou le WWF : même si des intérêts géopolitiques (à différentes échelles) président à la création d’un espace naturel protégé, au moins il est protégé. Cette concordance d’intérêts est donc considérée comme fructueuse, au moins dans un premier temps. Dans ce contexte, il est difficile d’identifier nettement toutes les intentionnalités et d’accuser certains de cynisme pur. Vous avez décrit les nombreux conflits relatifs aux espaces naturels protégés, mais a contrario existe-t-il aujourd’hui des parcs comme instrument de paix et de coopération internationale ? S. Héritier : Il existe des parcs dont la gestion internationale marche plutôt efficacement en dépit d’actions modestes. C’est par exemple le cas du Parc International de la Paix [8] de Waterton-Glacier, entre le Canada (Alberta) et les Etats-Unis (Montana). Toutefois, celle-ci est liée à la conjoncture, et depuis le 11 septembre 2001, les financements et les opérations d’envergure sont de moins en moins importantes et les visiteurs venant du Canada, effectuant une excursion dans le parc ou une randonnée nécessitant de passer la frontière américano-candienne, doivent désormais se faire enregistrer par les douanes américaines, même au milieu de l’espace protégé. J’aurai tendance à dire que les parcs sont plutôt les symptômes d’une bonne entente qu’un instrument au service de la paix : les relations entre états sont prépondérantes et, généralement, elles déterminent la réussite de l’élaboration d’un espace naturel protégé transfrontalier, pas l’inverse. S. Depraz : Il n’existe finalement qu’un endroit où ce projet a été développé à une vaste échelle : en Afrique du Sud, avec les Peace Park et la fondation du même nom qui promeut ce modèle de parcs pour la paix. Cependant, si l’idée a été très populaire dans les années 1990 pour rapprocher les pays voisins de l’Afrique du Sud après la chute de l’Apartheid, les projets ralentissent nettement aujourd’hui. Que fait-on des hommes habitant dans les espaces naturels protégés ? S. Héritier : Les espaces naturels protégés ne sont en effet jamais créés dans des espaces complètement vides d’hommes. En ce sens, ils procèdent bien d’un instrument de colonisation, car les populations locales y sont en général vues comme gênantes. L’exemple du parc national Wood Buffalo au Canada (AlbertaTerritoires du Nord Ouest) en est ainsi représentatif. Les populations amérindiennes ont été amenées à se regrouper dans des villages en périphérie du parc suite à sa création. De 1922 à 1930, la législation fut renforcée, limitant leurs droits d’accès au territoire (réduction des possibilités de pêche, de chasse et de trappe) à l’exception des trappeurs travaillant traditionnellement pour la Compagnie de la Baie d’Hudson, nécessitant au préalable l’obtention de permis de chasse auprès de l’administration du parc. Cette situation aboutit - entre autres conséquences - à la paupérisation des populations amérindiennes, qui virent leur économie traditionnelle bouleversée et leur tissu social s’effondrer. Cet exemple est malheureusement assez représentatif de ce qui s’est passe dans bien des régions du monde. S. Depraz : Aujourd’hui, la démarche de création d’un espace naturel protégé est plus participative : on insiste sur la nécessaire « co-gestion » des parcs et leur organisation contractuelle. Toutefois, même si ce discours se développe sur la scène internationale, il reste difficile à mettre véritablement en œuvre sur le terrain. Surtout, il ne procède pas d’une véritable négociation : les populations autochtones ne sont pas vraiment 66 consultées sur la nécessité de création ou non du parc, mais plutôt sur ses modalités de gestion, auxquelles elles peuvent être éventuellement associées. Il s’agit alors plus d’une procédure douce de persuasion. Compte rendu : Emmanuelle Peyvel (relu et amendé par les intervenants) Pour aller plus loin : Ce café géographique a été enregistré par Radio Pluriel. Des extraits sont disponibles en ligne : http://www.radiopluriel.fr/spip/Les... [1] Signalons également la publication récente de l’ouvrage suivant : Aubertin C. et Rodary E., 2008, Aires protégées Espaces durables ?, Montpellier, IRD Editions. [2] Eloy, L., 2005, Entre Ville et Forêt : le futur de l’agriculture amérindienne en question. Transformation agraire en périphérie de São Gabriel da Cachoeira, Nord-ouest amazonien, Brésil. Thèse de l’Université Paris III - La Sorbonne Nouvelle, Institut des Hautes études d’Amérique Latine [3] Cf. article de Gillaume Giroir dans la revue Géocarrefour, Les parcs nationaux entre conservation durable et développement local. [4] In S. Depraz, 2008, Géographie des espaces naturels protégés, p. 88 et suiv. [5] Il est utile de faire le lien avec la conférence donnée par Lionel Laslaz dans le cadre d’un café géo précédent : http://www.cafe-geo.net/article.php3 ?id_article=832 [6] Une remarque à mettre en lien avec une partie du discours sur le développement durable, en partie fondée sur une lecture très inquiète de la pérennité de l’humanité et qui semble annoncer, comme l’écrit Olivier Lazzarotti (Revue des 2 Mondes, oct.-nov. 2007), que « le futur, déjà écrit, est celui de la fin ». [7] Rod Cole signe l’article consacré à la Russie dans l’ouvrage S. Héritier et L. Laslaz (dir.), 2008, Les parcs nationaux dans le monde, protection, gestion et développement durable, Paris, Ellipses. [8] Cf. Héritier S., 2004 « Here, at last, is Peace - Le Parc International de la Paix Waterton-Glacier et la gestion transfrontalière des espaces protégés » (Alberta, Canada - Montana, Etats-Unis), Etudes canadiennes / Canadian Studies, n° 57, décembre 2004, p. 51-71. URL pour citer cet article: http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1523 « Sanctuaire de la nature » Disneyland ou espace rural à production labellisée ? Quels projets de campagne dans les Parcs Nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour) ? Lionel LASLAZ Agrégé de Géographie, ATER au Département de Géographie de l’Université de Savoie ( Laboratoire EDYTEM - CNRS UMR 5204) 67 Le 15 septembre 2008 Mots-clés : Parc National, zone centrale, Vanoise, Ecrins, Mercantour, Alpes, « nature », campagne, protection de l’environnement, développement local, label, segmentation spatiale, espace vécu, conflits d’usage. Key words :National Park, central area, Vanoise, Ecrins, Mercantour, Alps, “nature”, rural space, environmental protection, local development, label, spatial segregation, living space, usage conflicts. La question de la fonction et de la finalité des espaces protégés et des campagnes qu’ils englobent, au cœur des débats sur la réforme des Parcs Nationaux depuis 2003, se pose dès leur création. Les populations locales les perçoivent alors, avec réticence, comme un moyen de survie d’une agriculture exsangue et un outil de développement touristique ; les porteurs du projet, des élites urbaines pour l’essentiel, les considèrent, eux, comme l’unique chance de maintien et de subsistance de géosystèmes traditionnels mis à mal par l’urbanisation touristique massive de la montagne alpine durant les années 1960-1970. Les trois espaces protégés concernés englobent de hautes vallées alpines depuis respectivement 1963, 1973 et 1979. Le Parc National de la Vanoise est situé en Savoie et compte 32 078 habitants (1999) en zone périphérique (plus d’habitat permanent zone centrale). Le Parc National des Ecrins est partagé entre les Hautes-Alpes (zone périphérique de 1243 km²) et l’Isère (zone périphérique de 540 km²). Le Parc National du Mercantour occupe l’essentiel du Haut Pays des Alpes Maritimes et le Nord-Est des Alpes de Haute-Provence (28 communes de 8 vallées pour 18 000 habitants). Ces espaces montagnards sont caractérisés par une marginalité relative par rapport aux grands bassins de décision économique, mais ceux-ci les alimentent en population touristique : Côte d’Azur et Aire Urbaine niçoise pour le Mercantour, bassins marseillais et grenoblois pour les Ecrins, population rhônalpine et parisienne pour la Vanoise. Les missions assignées aux Etablissements Publics Administratifs « Parcs Nationaux » sont : la protection (finalité première), la fréquentation touristique induite et « l’éducation des visiteurs » recommandée ; les pratiques ancestrales sont tolérées (élevage) mais ont longtemps été considérées comme peu compatibles avec la mission fondamentale de préservation. Le statut d’espace protégé à réglementation rigoureuse des Parcs Nationaux est en effet très contraignant, ce qui ne va pas sans poser de lourds problèmes de gestion, au sens plein du terme. En ce sens, l’intitulé du colloque « Faire campagne » implique, par l’emploi de ce verbe, de réfléchir aux actions, aux décisions et à la gestion opérées au sein de ces espaces ; il renvoie au projet de campagne que les sociétés souhaitent instaurer, notamment à travers les activités qu’elles y développent, qui contribuent à façonner les paysages et les territoires. 68 Figure 1 69 70 Trois angles d’attaques peuvent dès lors guider notre propos : les différents usages, notamment dans les zones centrales des Parcs Nationaux alpins français, se traduisent par des interactions mais aussi par des conflits. Les acteurs ont chacun des priorités diverses que les gestionnaires d’espaces protégés tentent de concilier… La problématique des possibilités de développement et de maintien de l’activité économique dans les hautes allées alpines se pose en filigrane : quels sont les moyens les plus adaptés pour y parvenir, là où notamment la conception caricaturale entre un tourisme « doux » et de masse se profile ? Enfin, ce développement et ses usages débouchent sur des disparités spatiales et de procédures. Dans ce contexte, notre propos s’attachera à démontrer que les Parcs Nationaux alpins français se sont caractérisés par une logique initiale de préservation exclusive, qui parfois s’est instaurée sans tenir compte des activités traditionnelles. La diversification des objectifs de la protection et la conciliation nécessaire avec les populations locales nuancent aujourd’hui cet antagonisme. La deuxième partie posera la question de « l’utilisation » touristique des Parcs Nationaux, ou ce que certains opposants ont dénoncé comme le détournement de l’objet initial des Parcs Nationaux en agence touristique, ceux-ci servant de plus d’alibi à l’aménagement touristique hivernal massif de la haute montagne alpine. La dernière partie soulèvera la question de la place de l’agriculture dans le « projet de campagne » des Parcs Nationaux, qui longtemps marginalisée revient aujourd’hui au premier rang des préoccupations, face à la poursuite de la désagrégation socio-économique de l’agropastoralisme alpin, jugée négative. I – « Faire sans campagne » : les Parcs Nationaux alpins français exclusivement outils de protection : Les Parcs Nationaux alpins doivent-ils être des espaces « déshumanisés » ? La question se pose pour leurs zones centrales, marquées par un recul de la présence et de l’activité humaines (essentiellement pastorale), dont certains scientifiques considèrent qu’il s’agit d’un bien plus que d’un mal. Les défenseurs du Parc National sont dans les années 1960 et 1970 surtout des biologistes pour lesquels l’homme est un « intrus » ; le Professeur Clément BRESSOU, Membre de l’Institut et du Conseil Scientifique du Parc National de la Vanoise, déclare fin mai 1969 lors de la fameuse « Affaire de la Vanoise » : « c’est l’homme qui est l’ennemi ». La loi de création des Parcs Nationaux implique en effet que les zones centrales ne comportent aucune construction lourde, voire aucun lieu d’habitat permanent. Cela explique les contorsions et les découpes de celles-ci. La logique qui a prévalu dans la création des Parcs Nationaux alpins français est celle d’une « protection par réaction » (aux aménagements touristiques), voire par « prévention » (LASLAZ, 2004). En anticipant et en empêchant les aménagements touristiques, les zones centrales conservaient un aspect relativement « préservé ». C’est le sens de la législation, qui par un système de contrôle, de gardiennage (les garde-moniteurs), de surveillance et de répression (amendes et procès-verbaux), interdit et limite toute forme de dégradation des espaces concernés. Considérés comme des « espaces de nature » dite « vierge » (en fait, par exemple en Vanoise, 60% de la superficie de la zone centrale est formée d’alpages, portant les traces d’une forte anthropisation), les espaces protégés en France sont affublés de qualificatifs comme : « sanctuaire », « îlot de nature », « citadelle », « derniers remparts de la nature », impliquant une dissociation du monde humanisé. Cette vision est tronquée car il s’agit d’espaces anciennement anthropisés. Dans les imaginaires urbains contemporains, la nature est définie comme ce qui ne porte pas la « marque visible » de l’homme ; certes, mais ici elle porte une marque héritée, et les artefacts anciens (chalets, chapelles) sont volontiers assimilés à de la « nature », par leur caractère jugé « authentique ». En fait, ce sont les restes d’une civilisation agropastorale délitée qui font office de référent culturel de la « nature » et d’espace sacralisé. La longue procédure de rénovation des chalets d’alpage en zone centrale des Parcs Nationaux, liée d’une part à la réglementation de la zone centrale, d’autre part à la Loi Montagne, enfin au bon vouloir des diverses administrations consultées, tend à conforter ce type d’appréciation. La procédure à suivre pour l’obtention d’un permis de construire en 71 zone centrale s’appuie sur un dossier du demandeur comprenant 9 pièces à fournir. Le délai total de délivrance des autorisations s’échelonne de 6 mois à 2 ans, ce qui explique les fortes réticences à enclencher ce type de procédure, mais aussi les travaux effectués sans autorisation, car la dégradation du bâti est parfois plus rapide que l’administration française… Vingt-cinq travaux sans permis ont ainsi été déférés devant la justice en 1999 en Savoie. Les rénovations demeurent au final peu nombreuses, en raison du coût. Elles concernent les chalets privés, et sont rares quand il s’agit de chalets communaux. Il existe de plus une sélectivité des remises en état, une dichotomie entre patrimoine repris et patrimoine à l’abandon, entre espaces actifs et ceux qui le sont moins. Ensuite, ces chalets ne sont pas des objets de musée dont le cadre correspondrait au paysage montagnard ; il s’agit d’espaces de production et de vie, le litige demeurant l’usage agricole ou résidentiel de ces chalets. Enfin, l’instrumentalisation légitimatrice des processus de rénovation fait que de nombreux acteurs surfent sur cette vague pour se donner une caution d’authenticité : les Parcs Nationaux, mais aussi les stations de sports d’hiver (tout en cultivant l’art de « faire du néo », c’est-à-dire un bâti pseudo-traditionnel qui s’en donne l’apparence sans en avoir l’utilité et sans en utiliser les matériaux). L’idée selon laquelle la finalité première des Parcs Nationaux serait scientifique et destinée à « mettre sous cloche » des espaces peu anthropisés est donc latente depuis leur création. La création de la première Réserve Intégrale de France dans le fond du cirque du Lauvitel (689 ha), qui abrite le plus grand lac naturel du massif des Ecrins, au bord duquel se rendent 45 000 promeneurs chaque année, conforte ce postulat. Elle est instituée par décret interministériel le 9 mai 1995, mais votée le 6 décembre 2001 par le Conseil d’Administration du Parc National des Ecrins à l’issue de longs et houleux débats par 13 voix pour, 11 contre et 2 abstentions. Le « Fond » était très exceptionnellement visité, ce qui justifiait le choix de ce site ; l’exploitation forestière a été arrêtée en 1922, et le dernier pâturage remonte à 1947. Propriété d’Etat depuis 1977, le terrain est attribué en dotation au Parc National. L’analyse de l’évolution écologique de ce site avec des espaces équivalents, mais soumis à une utilisation et une fréquentation humaines, est le but de cette opération. Figure 2 Mais une bonne part des superficies des zones centrales appartenant aux communes (en Vanoise notamment) et aux particuliers (près de 15% dans le Mercantour), les mesures de protection s’appliquent à des propriétés privées, et utilisées de manière ancestrale (alpages ou forêts communales dont les habitants exploitent les richesses). Une propriété privée implique des droits d’usage, d’usufruit, voire d’abus (tout propriétaire peut en théorie détruire son bien), droits incompatibles avec la réglementation de la zone centrale. D’ailleurs, dès les années 1960, les graffitis relevés en Maurienne et en Tarentaise indiquaient : 72 « Non au parc ; pourquoi ? Nous y sommes nés Nous y vivons Nous y payons des impôts Nous en sommes les propriétaires ». Les Parcs Nationaux, « bien commun de la Nation », revêtent ce lourd paradoxe d’être en partie des biens privés… 73 Figure 3 74 75 Il s’agit cependant aussi de « faire campagne » pour des citadins avides de « grands espaces », supposés « naturels ». C’est-à-dire qu’au-delà de la préservation s’établit une logique de découverte et d’éducation du public à la nature. II – « Faire campagne »… de promotion : des « parcs d’attraction » ? Le succès de la fréquentation des Parcs Nationaux alpins français s’établit dès le lendemain de « l’Affaire de la Vanoise », premier grand conflit environnemental (CHARLIER, 1999) déclencheur d’intérêt pour la « nature » alpine et la pratique de la randonnée, jusqu’alors fort marginale. Les prévisions sont alors très optimistes sur l’attractivité des espaces protégés dans une société en forte dynamique d’urbanisation. Mais la fréquentation se tasse depuis les années 1980, et les trois Parcs Nationaux connaissent un nombre de visiteurs alternant entre 600 000 pour le Mercantour et 1 million pour les Ecrins, chiffres à envisager avec beaucoup de prudence en fonction des comptages et des estimations effectuées (comptages routiers, nuitées de refuges, types de découverte de la zone centrale…). Durant la période estivale, les zones centrales sont plus fortement fréquentées que le reste de l’année, mais de manière très sélective, autour des sentiers principaux, et dans les refuges majeurs. Ainsi si certains refuges atteignent près de 10 000 nuitées par an (Col de la Vanoise, Les Merveilles, refuge des Ecrins), d’autres dépassent péniblement les 200, au point que pour des questions de rentabilité, la direction du PNV, par exemple, a abandonné l’idée d’un gardiennage pour ces refuges « sous-fréquentés » (le Cuchet, la Martin ou le Turia) ; ce sont des refuges appartenant au Parc National, le seul à en posséder, ce qui constitue une lourde contrainte. Mais où est dès lors leur fonction de service ? Les six principaux sites concernés par la « surfréquentation » sont ainsi (comptages effectués dans les Parcs Nationaux alpins français) : Le Col de l’Iseran (P.N.V.) : 216 000 personnes en 1992. Le Col de la Vanoise (P.N.V.) : 100 000 personnes en 1992. le Pré de Madame Carle (P.N.E.) : 200 000 visiteurs en 1992, 137 465 en 1996. La Bérarde (P.N.E.) : 180 000 visiteurs en 1992, près de 90 000 en 1996. la Vallée des Merveilles (P.N.M.) : 120 000 visiteurs en 1992. le Lac d’Allos (P.N.M.) : 120 000 personnes en 1992 ; 76 200 en 2002. De plus, cette forte fréquentation ne s’étale pas sur une année, mais sur deux, voire un mois (15 juillet-15 août). Elle est en outre très tributaire des conditions météorologiques. La « surfréquentation » tant décriée reste donc très limitée dans le temps et ponctuelle. Derrière le concept de « surfréquentation » se cache celui de « capacité de charge » des milieux accueillant les touristes (défini par G. Richez (1992) comme « le nombre maximum de visiteurs qu’un écosystème donné peut accueillir sans subir des dégradations trop importantes »). Ce concept vise à établir en termes mesurables « le nombre de visiteurs et le degré de développement qui sont susceptibles de ne pas avoir de conséquences préjudiciables aux ressources ». En d’autres termes, l’afflux touristique est-il une entrave à la préservation ? La gestion de cette fréquentation, entre des points focaux de concentration et de vastes étendues peu visitées reste un des débats permanents des gestionnaires des espaces protégés. L’enquête de fréquentation menée en 2001 dans le Parc National des Ecrins indiquait un recul relatif de la fréquentation des grands sites les plus réputés (Pré de Madame Carle, Alpe de Villar d’Arêne) au profit d’espaces plus confidentiels attirant les randonneurs soucieux d’une relative quiétude (Confolens, les Gourniers…). Pour autant il semble difficile de « faire cette campagne », dénommée « jardin des Français » par SAMIVEL en 1964, 76 sans ceux qui l’ont façonné, lui donnent sa configuration spatiale et son aspect paysager, et qui souhaitent y demeurer. D’où la difficulté de faire admettre des mesures environnementalistes très impopulaires dans ces hautes vallées alpines, notamment par des retombées économiques que la zone périphérique prévue, entre autres, à cet effet, n’a jamais véritablement assuré. Celles-ci sont considérées comme insuffisantes au regard des contraintes par les populations locales. Pour autant, toutes les communes inclues dans les Parcs Nationaux utilisent ce « label » vendeur, par l’intermédiaire des panneaux disposés à l’entrée de celles-ci, par le recours massif à l’imaginaire « nature » dans leurs publications touristiques (brochures et autres). Le label « Parc National » est d’ailleurs aujourd’hui associé à certains produits ou certaines prestations, initiative pionnière lancée par le Parc National des Ecrins, qui montre d’ailleurs toutes ses limites selon l’avis de son directeur actuel M. SOMMIER, et peu suivie dans les autres espaces protégés. Ainsi l’eau du Valbonnais mise en bouteille s’appelle Valécrin, et un label « parc national » a été associé à certains gîtes ruraux correspondant à l’éthique défendue par le parc dauphinois. Concernant l’activité touristique, des voix s’élèvent dès les années 1970 (CHAMPOLLION, 1977) pour dénoncer la marchandisation de la « nature » et la rentabilisation des espaces protégés en agences de promotion de la montagne alpine. L’auteru va même plus loin dans la dénonciation en considérant les zones centrales des Parcs Nationaux comme une caution des aménagements massifs des zones périphériques, modèle applicable au PNV, en partie au PNE (Dôme de la Lauze) et qui failli faire échouer la création du PNM (projet d’un parc en trois ou quatre noyaux pour permettre l’urbanisation). Un partage de l’espace existe donc bel et bien entre des zones périphériques tournées vers le tourisme hivernal de masse (Vanoise et Ecrins notamment) et des zones centrales qui restent intangibles en terme de constructions d’artefacts et d’infrastructures. La figure 4 propose une lecture à plusieurs niveaux de la pratique des sports d’hiver en Vanoise. Les cercles sont en liaison avec le nombre de lits compris dans chaque station ; mais pour des raisons de lisibilité, l’échelle n’est pas proportionnelle ; leur nombre varie de 250 lits pour Villaroger à près de 49 000 pour La Plagne. A l’intérieur de ceux-ci figurent quatre paramètres : le débit horaire total des remontées mécaniques, qui est en général lié à la capacité d’hébergement touristique, la pression exercée sur l’environnement par la station (enneigement artificiel, modification de la topographie des versants), la volonté d’expansion, notamment en direction de la zone centrale et des réserves naturelles. Plus ces paramètres sont sombres, plus il s’agit de grosses stations, dotées de fortes capacités d’investissements, et à fort potentiel de développement. En proportion est mesuré le dernier critère, celui du poids de la saison estivale dans l’activité économique de la station. Plus la couleur est sombre, plus il s’agit de stations familiales, souhaitant conserver une authenticité de station-village et cette bi-saisonnalité touristique. Au final, le contraste entre Maurienne et Tarentaise, hormis quelques cas spécifiques, est édifiant. Les autres indications concernent essentiellement les liaisons inter-stations et les pratiques hors-piste ou du ski d’été. Quelle place subsiste pour l’agriculture face à des deux missions initiales de protection et d’éducation à l’environnement des populations ? Comment faire en sorte que cet espace rural soit encore en partie agricole, alors même que les contraintes de l’agriculture de montagne ne sont qu’insuffisamment compensées par les plus-values liées aux labels de production ? Les espaces ruraux des Parcs nationaux alpins français, tout comme ceux des Cévennes ou des Pyrénées, conservent un ancrage agricole marqué par l’écrasante domination des élevages, principalement bovin et ovin, connaissant une mobilité saisonnière à l’échelle des vallées (remues) ou du Grand Sud-Est (transhumances). Les difficultés considérables que connaissent les agricultures des espaces montagnards sont de plusieurs ordres : 77 sociales (relative difficulté pour trouver des éleveurs et des bergers, attractivité supérieure des métiers du tourisme, vieillissement des exploitants, notamment dans le Mercantour) économiques (rentabilité et viabilité des exploitations) structurelles (gestion des alpages, indivision des terres et absence de remembrement) techniques (impossibilité de tracé de pistes pastorales, isolement des exploitations et inconfort des hébergements) Figure 4 78 III – Re-« faire campagne » : quelle agriculture en zone centrale des Parcs Nationaux alpins français ? Ainsi la commune d’Allos (zone périphérique du PNM, Alpes de Haute-Provence), a vu le quart de ses Unités d’altitude abandonnées entre 1983 et 1998 (Recensement des Unités Pastorales, 1997 et 1998). Ce sont 6 Unités Pastorales pour 2700 ha qui sont inutilisées aujourd’hui, pour 18 Unités d’altitude actives sur près de 7000 ha. Près de 50 exploitations les utilisent. Ces Unités accueillent 400 bovins, 800 ovins de la commune, mais surtout 6666 brebis du département pour près de 10 000 de la région hors département. Ces transhumants exploitent les vastes alpages, principalement communaux et publics (à hauteur de 57%) du territoire. De son côté, le PNM possède des terrains sur la commune, ce sont d’ailleurs les seuls qui lui appartiennent dans toute la zone centrale. L’Etablissement Public a acquis une mosaïque de foncier privé auprès de 36 propriétaires ; il a fallu 11 ans pour arriver à signer le compromis de vente. Le PNM loue 21 ha (11 ha en prés de fauche) en 2004 au dernier éleveur d’Allos avec des clauses de restauration des prés de fauche. La fauche mécanisée est permise par la topographie du site. Ce type de collaboration modèle reste cependant, de l’avis de tous, bien marginale et insuffisante. Des outils, comme les AFP (Association Foncières Pastorales) tentent d’être instaurés pour aider au maintien de l’activité pastorale. Il s’agit d’un remède efficace car les propriétaires d’un alpage forment cette association, dont ils ne peuvent sortir que difficilement, afin de mettre en commun l’Unité Pastorale et la proposer à des éleveurs. C’est le cas de l’alpage de Longon, sur la commune de Roure, qui a abouti grâce à la forte implication de la municipalité et du PNM, qui a poussé le projet durant 4 ou 5 ans. Depuis 1999, les 80 propriétaires travaillent en commun. Mais c’est la seule AFP de tout le département des Alpes-Maritimes. Les faibles collaborations sont donc un frein à la survie de l’agriculture. Certains élevages sont soutenus par des politiques de labellisation très porteuses, comme l’AOC Beaufort en Vanoise. Le futur label AOC de la « Tomme de la Vésubie », en cours de création par le GEDAR, est un exemple de label fromager du Mercantour, qui est plus facile à obtenir que les labels ovins. Effectivement, les aides de l’Etat représentent 50% des revenus des grands transhumants ovins et 60% de ceux des éleveurs locaux ovins ; les éleveurs touchent notamment la Prime Compensatoire Ovine et l’Indemnité Compensatoire aux Handicaps Naturels. Les éleveurs ovins des Alpes-Maritimes avaient tenté de développer le label « agneau du Mercantour », mais il s’agissait d’une marque commerciale décidée localement avec le plus grand magasin Carrefour de Nice qui garantissait un prix, et l’opération s’est arrêtée. Il n’existe donc pas de véritable label de viande reconnu, comme le label « agneau de Sisteron » qui existe déjà avec un vaste bassin de clientèle. Ceci expliquant peut-être cela. Tous les acteurs s’accordent aujourd’hui pour reconnaître le caractère impératif du maintien de l’activité agricole au sein des zones centrales. Le Parc National des Ecrins a ainsi créé dès sa fondation une « commission agricole » au sein de son Conseil d’Administration, actuellement coordonnée par le Président de la Chambre d’Agriculture des Hautes-Alpes, P.-Y. MOTTE. Le Comité Scientifique (30 mars 2001) travaille également sur les scénarios de reconquête de la commune de Saint-Christophe-en-Oisans (Isère) par l’activité pastorale qui a disparu, transformant les 2500 ha d’alpages en plus vaste espace alpin non exploité par les troupeaux. Mais il reconnaît les difficultés d’une pérennisation du pastoralisme, hormis de maigres troupeaux ovins sans gardiennage (Vallon de la Mariande et des Etançons). Les implications d’un retour des troupeaux sont multiples pour une commune de 106 habitants en proie à de lourdes difficultés, très isolée l’hiver et bénéficiant de peu de retombées du tourisme hivernal : appauvrissement écologique et fermeture paysagère, coût de l’entretien, atonie socio-économique, faiblesse des aides publiques… Figure 5 CONCLUSION : « Faire sa campagne » : les Parcs Nationaux alpins français comme reflets des perceptions individuelles 79 et collectives… Au final, il reste indéniable que chaque acteur aspire à « faire sa campagne », sorte d’idéal en réaction face aux modèles (urbains, productivistes, écologistes…) qu’il réfute. Le poids des représentations et des perceptions rend d’autant plus complexe la conciliation des attentes. La création des Parcs Nationaux alpins français s’est faite à partir d’un mode de représentation essentiellement urbain, mais celui-ci s’est heurté à l’espace vécu des populations montagnardes et néomontagnardes. Une certaine convergence des points de vue s’établit, avec des idées qui font consensus, comme le maintien d’une activité agropastorale globalement bénéfique pour les milieux écologiques et pour l’attractivité touristique. Mais des divergences subsistent sur les moyens d’y parvenir. Pour terminer par une boutade, on peut avancer que le gouvernement actuel, notamment à travers le contenu du rapport Giran et le projet de loi en cours de rédaction qui en résulte, « fait campagne » pour les Parcs Nationaux et notamment pour la création de nouveaux, alors même que les dotations de l’Etat à l’investissement et au fonctionnement de ceux-ci ne cessent de décroître… Bibliographie : ANDRE G., 30 novembre 1955 : Pour un Parc National français, Bonneval-sur-Arc, 34 pages CARLIER J., 1972 : Vanoise : victoire pour demain, Calmann-Lévy, 253 pages CHAMPOLLION A. et B., 1977 : L’écologie dénaturée : les parcs nationaux : le cas des Ecrins, La Pensée Sauvage, 103 pages COLLOMB G., 1989 : Du bon usage de la montagne : touristes et paysans dans un village alpin de Haute-Maurienne, l’Harmattan, coll. « Alternatives rurales », 207 pages CROIX N., textes réunis par, 1998 : Environnement et nature dans les campagnes : nouvelles politiques, nouvelles pratiques ?, P.U.R., coll. « Espaces et territoires », 262 pages FINGER-STICH A.S. et GHIMIRE K.B., 1997 : Travail, culture et nature : le développement local dans le contexte des parcs nationaux et naturels régionaux de France, L’Harmattan, 234 pages GARDELLE C., 1999 : Alpages : les terres de l’été - Savoie, La Fontaine de Siloé, coll. « Les Savoisiennes », 350 pages GUILLEBON E. de, dir, 1998 : Atlas du Parc National de la Vanoise, Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, 64 pages JAIL M., 1977 : Haute-Maurienne, pays du diable ?, Allier, coll. « Point triple », 244 pages JEUDY J.-M., 1986 : Vanoise : montagne de l’homme, Glénat, 187 pages LARRERE C. et R., éd., 1997 : La crise environnementale, INRA éditions, coll. « Les colloques », n° 80, 302 pages LASLAZ L., 2001 : Territoire des montagnards, espace des urbains ; les relations entre élevage, tourisme et protection de l’environnement dans un espace "naturel" : le cas de la zone centrale du Parc National de la Vanoise [Savoie, France], D.E.A. de Géographie « Interface Nature/Société », sous la dir. de X. BERNIER, Université de Savoie, 215 pages LASLAZ L. et al., 2003 : « Paysage », in Claeyssen B., coord., Le Guide du Parc National de la Vanoise, Glénat, 176 pages LASLAZ L., 2004 : Vanoise, 40 ans de Parc National ; bilan et perspectives, L’Harmattan, coll. « Géographies en liberté », 434 pages LAURENS L., 1998 : « Le réseau Natura 2000 ou la difficulté d’élaborer une politique de gestion de la nature en France », in CROIX N., textes réunis par : Environnement et nature dans les campagnes : nouvelles politiques, nouvelles pratiques ?, P.U.R., coll. « Espaces et territoires », pp 205-228. LEYNAUD E., 1985 : L’Etat et la Nature : l’exemple des Parcs Nationaux français : contribution à une histoire de la 80 protection de la Nature, Parc National des Cévennes, 70 pages OLIVIER L., dir, 2002 : Atlas du Parc National du Mercantour, Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, 80 pages P.N.V., 1997 : Plan d’aménagement 1997-2001, 55 pages PRADELLE D., 1955 : Etude pour la création d’un premier Parc National français en Savoie, 8 pages RICHEZ G., 1992 : Parcs nationaux et tourisme en Europe, L’Harmattan, coll. « Tourismes et sociétés », 421 pages SEVEGNER C., 1999 : Les Parcs Nationaux Français de montagne et le tourisme : un mariage de raison, Thèse de Doctorat en Géographie, sous la dir. de G. RICHEZ, Université d’Aix-Marseille I, U.F.R. des Sciences Géographiques et de l’aménagement, 2 volumes, 599 pages TERRASSON F., 1994 : La civilisation anti-nature, Ed. du Rocher, coll. « Conscience de la Terre », 302 pages TERRASSON F., 1997 : La peur de la nature, Sang de la Terre, 3ème édition, 192 pages TRAUB P., dir., 2000 : Atlas du Parc National des Ecrins, Ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, 64 pages VIARD J., 1990 : Le tiers espace : essai sur la nature, Méridiens Klincksieck, coll. « Analyse institutionnelle », 153 pages 1985–2005 : 20 ans de loi Montagne Bilan et propositions Comité français Une loi de développement durable avant la lettre « La montagne constitue une entité géographique, économique et sociale dont le relief, le climat, le patrimoine naturel et culturel nécessitent la définition et la mise en oeuvre d’une politique spécifique de développement, d’aménagement et de protection. L’identité et les spécificités de la montagne sont reconnues par la nation. » Loi montagne du 9 janvier 1985, art.1er La montagne fait depuis longtemps l’objet d’un traitement politique et juridique particulier. Au XIXe siècle, des lois spéciales s’attachaient déjà au problème de l’érosion des terrains de montagne et de leur nécessaire restauration. La loi Montagne du 9 janvier 1985 marque toutefois une étape charnière dans l’histoire de la politique de la montagne. Sans exemple comparable en Europe, elle constitue en effet l’aboutissement d’une réflexion sur les régions de montagne et leur devenir. Dépassant une approche jusque-là sectorielle de politiques spécifiques en matière de risques naturels, d’agriculture de montagne, de production énergétique notamment hydraulique, la directive Montagne de 1977, puis, la loi Montagne de 1985 ouvrent le champ à une démarche globale. Intégrant développement et protection, la loi Montagne préfigure une politique géographique de développement durable avant que l’expression ne soit consacrée. Il ne s’agit plus tant de déployer des réponses techniques et de développer un génie écologique mais de concevoir un projet de territoire et de 81 développement équilibré pour la montagne. Première loi appliquée à un espace géographique en tant que tel Adoptée à l’unanimité, la loi Montagne marque une étape importante et novatrice dans le traitement politique et juridique des espaces géographiques de montagne. Désormais la montagne est reconnue comme « entité » dont « l’identité et les spécificités sont reconnues par la nation ». Les espaces de montagne sont ainsi devenus avec la loi Montagne des espaces de projet : celui de l’autodéveloppement. En 1985, la loi Montagne avait en effet pour finalité « de permettre aux populations locales et à leurs élus d’acquérir les moyens et la maîtrise de leur développement en vue d’établir, dans le respect de l’identité culturelle montagnarde, la parité des revenus et des conditions de vie entre la montagne et les autres régions ». Pour cela, la loi rénovait les outils, institutions et mettait en place une nouvelle organisation de la montagne en France. Représentant 22,3% du territoire national, la montagne a en effet été divisée en 7 massifs. Six se trouvent en France métropolitaine : Alpes, Corse, Jura, Massif Central, Pyrénées, Vosges, et un en Outre-mer avec le massif des Hauts de la Réunion. Une loi d’équilibre entre développement et préservation Dès son article 1er la loi Montagne annonçait en effet une « politique spécifique de développement, d’aménagement et de protection ». Il s’agissait d’assurer au regard des particularités des régions de montagne un développement harmonieux. Cette ambition passait par la reconnaissance de 3 droits essentiels : Droit d’expression, droit à la solidarité nationale, droit à la différence. La mise en place d’institutions répondait au premier, et la création d’un fonds spécifique le FIAM (Fonds d’Intervention pour l’Autodéveloppement en Montagne), au second. Le troisième s’est traduit par des dispositions particulières en matière d’urbanisme et d’aménagement. Le développement devait en effet s’effectuer en veillant à « la protection des équilibres biologiques et écologiques, la préservation des sites et des paysages, la réhabilitation du bâti existant et la promotion du patrimoine culturel ». Mais cette ambition de développement durable ne pouvait toutefois se réaliser qu’à la condition d’une application effective de la loi Montagne. Or, dans la pratique une toute autre réalité s’est faite jour. Vingt ans après son adoption, le dispositif original de la loi Montagne a en effet profondément évolué et semble avoir perdu de sa cohérence. Paradoxalement, le droit spécial élaboré pour assurer aux régions de montagne un développement adéquat n’a pas été bien perçu par les acteurs de la 82 montagne. Une loi mal appliquée et érodée «La haute montagne constitue une partie importante du patrimoine français de sites et de milieux vivants ; ce patrimoine ne serait pas reconstituable s’il venait à être trop dégradé». Directive d’aménagement national relative à la protection et à l’aménagement de la montagne, 1977. L’avertissement que comportait déjà la Directive Montagne de 1977 semble n’avoir pas été entendu. Vingt ans après son adoption, le dispositif d’équilibre entre développement et préservation du patrimoine naturel de la loi montagne a été bouleversé. Entre la lettre et les faits les écarts se sont creusés. Des outils de protection et de planification peu utilisés Un déséquilibre fondamental marque l’application de la loi Montagne : alors que les procédures relatives à l’aménagement touristique et urbain ont été largement utilisées, les outils développés par la loi Montagne pour permettre une protection du patrimoine naturel n’ont pas été appliqués. Aucune orientation pour la haute montagne n’a été définie par les comités de massifs qui s’étaient vu attribuer cette compétence protectrice par la loi de 1985 (Art.L145-7-II C.Urb). Les instruments de planification, prévus originellement par la loi comme les prescriptions particulières de massifs (PPM), ou rajoutées par la suite comme les directives territoriales d’aménagement (DTA), n’ont pas été plus développés. Aucune prescription particulière de massif n’a été à ce jour élaborée. Une seule Directive Territoriale d’Aménagement a été approuvée pour les Alpes maritimes, soit un seul document pour une partie du massif des Alpes. A défaut d’une réelle appropriation par les collectivités publiques et instances compétentes, c’est en somme la planification territoriale qui est restée lettre morte en régions de montagne. Ni les documents spécifiques, ni le documents de droit commun également applicables en montagne, tel que les Schémas directeurs, puis les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT), n’ont été exploités. Le droit à la différence, pourtant revendiqué, n’a pas trouvé de véritable application. Dans ses conditions le « développement spécifique » promu par la loi ne pouvait que manquer de rationalisation et de cohérence. Une planification cheville ouvrière de l’équilibre Prescriptions Particulières de Massif (PPM) et Directive 83 Territoriale d’Aménagement (DTA) constituaient la cheville ouvrière du juste équilibrage entre aménagement et préservation du patrimoine naturel. Les DTA et les PPM doivent en effet respectivement : - fixer «les orientations fondamentales de l’Etat en matière d’aménagement et d’équilibre entre les perspectives de développement, de protection et de mise en valeur des territoires» (Art. L111-1-1 C.Urb) et ; - adapter « en fonction de la sensibilité des milieux concernés les seuils et critères des études d’impact spécifiques aux zones de montagne, désigner les espaces, paysages et milieux les plus remarquables du patrimoine naturel et culturel montagnard » (Art.L1457 C.Urb.). Des institutions peu dynamiques Pour donner corps au droit d’expression des régions de montagne, le Conseil national de la montagne devait être le « gouvernement de la montagne », les comités de massifs devaient pour leur part constituer les « parlements pour la montagne ». Faute de respecter une réelle périodicité le Conseil national n’a pu manifester le dynamisme et la réactivité nécessaire à un « gouvernement ». De longues périodes de dormance ont en effet émaillé son fonctionnement. Pour y remédier une commission permanente a toutefois, en 1995, été créée en son sein. Mais ce Conseil reste cantonné à rôle consultatif particulièrement limité puisque ses avis ne sont pas rendus publics. Chargés de « définir les objectifs et préciser les actions qu’il juge souhaitables pour le développement, l’aménagement et la protection du Massif », les comités de massifs ont aussi bien peu usé de leur compétence consultative sauf en matière d’instruction des projets d’Unités Touristiques Nouvelles (UTN) sur lesquels ils doivent émettre un avis. Mais en matière environnementale le récent élargissement de leur rôle consultatif, sur les classements d’espaces notamment, ne saurait répondre au nécessaire équilibrage de leur rôle ni même à leur mission de « parlement ». 84 S’ils doivent constituer une commission spécialisée UTN (Unités Touristiques Nouvelles), rien de similaire n’est prévu pour une commission environnement. La loi de 1985 leur conférait pourtant une compétence intéressante d’élaboration de recommandation particulière pour les zones sensibles et la haute montagne (Art.L.145-7 C.Urb), mais aucune n’a été rédigée. Une altération juridique préjudiciable « Il est souhaitable que la majorité des sites encore vierges le demeurent. » Directive d’aménagement national relative à la protection et à l’aménagement de la montagne, 1977 L’érosion, les révisions successives du dispositif de la loi Montagne ont fait le jeu d’une vision du développement des régions de montagne essentiellement axée sur les activités touristiques, très consommatrices d’espace et de ressources. Avec prés de 1 180 km2, le domaine skiable français est le plus grand au monde. Il figure aussi parmi les plus équipés avec prés de 4000 remontées mécaniques et 357 stations. Au total, les stations de sports d’hiver ont consacré en 2002 plus de 200 millions d’euros d’investissement dans leurs domaines skiables, soit près du tiers de leur chiffre d’affaires. De l’exception à la règle, ici aussi la pratique a tranché mais au détriment de la rationalisation et de la cohérence de l’aménagement. UTN (Unités Touristiques Nouvelles) : une procédure d’exception devenue commune Inaugurée par la Directive de 1977, reprise par la loi Montagne, la procédure d’exception des Unités Touristiques Nouvelles (UTN) devait originellement s’appliquer en l’absence de planification territoriale. Les Unités Touristiques Nouvelles reposent en effet sur une dérogation aux principes de construction en continuité et d’interdiction en site vierge. Le droit commun et l’exception se sont trouvés en définitive inversés. Le manque d’entente intercommunale et de schémas directeurs, la difficulté à modifier ceux qui existaient déjà ont généralisé l’autorisation préfectorale au cas par cas et rendu exceptionnelle la planification normale de création des UTN dans les Schémas de cohérence territoriale (SCOT). La dernière révision de la loi Montagne conforte malheureusement cette situation. L’établissement d’une procédures à deux niveaux (massif et département) selon l’importance des travaux, le relèvement des seuils pour tous les équipements, l’exclusion des petits équipements de la procédure UTN, risquent en effet de rendre toujours plus attractive cette procédure de 85 court terme au détriment d’une réflexion à plus long terme. Un aménagement touristique toujours avide d’espaces L’aménagement touristique domine la mise en oeuvre de la loi Montagne alors que d’autres secteurs, comme l’agriculture, étaient également concernés. L’extension de la superficie des domaines skiables en témoigne. Si l’heure n’est plus à la création ex nihilo de nouvelles stations de ski, l’aménagement se porte désormais vers les interconnexions entre stations. Dernier exemple significatif, le Vanoise Express. Ce téléphérique, le plus important à ce jour, a été construit pour la création de l’un des domaines skiables le plus grand au monde : Paradiski. Paradiski : des interconnexions à saute-montagne Le domaine skiable Paradiski a vu le jour le 20 décembre 2003. Il englobe les domaines skiables des 3 stations des Arcs, de Peisey-Vallandry et de la Plagne reliées par la construction du plus grand téléphérique au monde : le Vanoise express. Avec 239 pistes sur 425 km, 63 290 m de dénivelé, Paradiski est l’un des plus grands domaines skiables d’altitude reliés au monde. Il comporte 2 glaciers équipés, 470 canons à neige. Ces aménagements permettent un flux d’environ 200 000 personnes/heure. Une pression sur la ressource en eau problématique L’importance des aménagements, leur nécessaire rentabilité et le contexte de concurrence, font de la neige de culture un nouvel enjeu économique. Certains voyagistes exigent en effet la présence « d’enneigeurs » pour assurer la promotion des stations de ski. A l’heure actuelle prés de 61% des stations françaises sont équipées de canons à neige. La surenchère pour la garantie d’un enneigement suffisant et prolongé, conduit même certaines stations à implanter de telles installations sur les glaciers comme celui de la Grande-Motte à Tignes. Cette « fièvre de l’or blanc » n’est pas sans incidence négative. Très gourmande en eau, la neige de culture perturbe le cycle de l’eau en montagne (1ha nécessite 4 000m3 d’eau). 86 Ces besoins sont en constante augmentation, 10 millions de m3/an sont utilisés pour être transformés en cristaux. Or, le tiers des prélèvements en eau (1/4 des stations) s’effectue en période de bas régime des cours d’eau (étiage). La neige artificielle nécessite aussi beaucoup d’énergie : 13 000 kilowatts/ heure par an par hectare, soit l’équivalent, pour 15 hectares enneigés, de la consommation annuelle de 50 maisons. En Savoie, 150 aménagements hydroélectriques sont nécessaires pour répondre aux besoins. La création artificielle d’un manteau neigeux interfère de surcroît avec les rythmes biologiques spécifiques des espèces de montagne. Sa mise en place précoce et son maintien prolongé créent en effet de véritables décalages dans la période végétative des plantes, par l’accélération du processus d’hibernation et le retard de floraison. Par ailleurs, l’utilisation d’additif, tel que le « Snowmax » pour améliorer la production de la neige artificielle, ajouterait aux perturbations en favorisant le développement de bactéries qui modifierait la composition des sols et la qualité des eaux de montagne. Le gouvernement français a demandé un examen de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire sur ce point. Loin de représenter une solution alternative, la création de réserves d’eau et de retenues collinaires détourne une part importante de la ressource en eau et détruit les paysages d’altitude. Une politique des transports en voie de garage Le trafic routier de marchandises en transit est en augmentation constante dans les régions de montagne alors que les vallées alpines de par leur configuration montrent une vulnérabilité particulière aux pollutions générées. Plus de 20 000 camions par jour passent en effet par les Alpes et les Pyrénées. La saturation du réseau est proche. L’absence d’intégration efficace des coûts environnementaux et des coûts sociaux conduit toujours à avantager le routier par rapport au rail. La poursuite du maillage autoroutier français ne fait qu’exacerber cette situation alors qu’entre 1994 et 2004 le transport ferroviaire a diminué. Le transport combiné en montagne pourrait anticiper des solutions généralisables à l’ensemble à l’ensemble du territoire national. Cette rationalisation s’impose, le cas du tunnel du Somport l’illustre. Le trafic poids lourds à travers les Pyrénées est de plus de 16 000 PL/j en 2000, soit 2 fois plus que pour les Alpes françaises. 87 Le programme européen « Alpine Awareness » exacerbe également cette nécessité en promouvant un nouvelle politique de « déplacements doux » orientée vers les transports en commun, mais aussi les vélos, la marche pour fonder la logistique de transports vers les lieux touristiques des Alpes. Le tunnel du Somport Ouvert le 17 Mars 2003, le tunnel du Somport, devant délester l’autoroute A10 (Bayonne-Hendaye) d’une partie de son trafic a été fortement contesté. La voie ferroviaire Pau-Canfranc fermée depuis 1970 aurait pu en effet être réouverte et constituer une solution alternative à un coût bien moindre. Malgré les vives protestations des élus locaux et des associations de protection de la nature, cet ouvrage a été mené à son terme pour un montant de 540 millions d’euros (hors coût autoroutes neuves) soit 4 fois le montant alloué au ferroviaire pour toute la région MidiPyrénées sur la période 2000-2006 Un devoir de redéfinition « Il faudrait pouvoir apprécier ce que représentent, l’énergie produite en montagne, la qualité de l’eau, la beauté des paysages... Mais l’on ne sait pas calculer ces éléments qualitatifs. » Rapport parlementaire Louis Besson, Assemblée Nationale, n° 757, 1983. La nécessité d’une législation globale et cohérente La question d’un renouveau de la politique de la montagne en France se pose aujourd’hui avec une acuité pressante. La nécessité d’une nouvelle législation globale et cohérente a été plusieurs fois soulevée par les parlementaires. En dépit du dépôt de plusieurs propositions pour une nouvelle loi Montagne, l’arbitrage gouvernemental a souvent opté pour un « nettoyage » de la loi du 9 janvier 1985. 88 Or la montagne constitue un patrimoine naturel, une « infrastructure naturelle » importante, elle est aussi pour reprendre la formule internationale de l’Agenda 21 un écosystème sensible. Au-delà des problématiques d’érosion des sols, de risques naturels qui ont historiquement initié le traitement politique spécifique des régions de montagne, un autre phénomène d’érosion se précise en effet aujourd’hui : l’érosion biologique. Les écosystèmes de montagne sont en effet des écosystèmes fragiles qui abritent de nombreuses espèces menacées. La fragmentation des habitats, la disparition d’espèces comme le bouquetin des Pyrénées, les pollutions, le changement climatique grèvent fortement la pérennité de la richesse des massifs de montagne. La France expose à ce titre une situation particulièrement inquiétante. Un patrimoine naturel important IIots exceptionnels de diversité biologique, les différents étages montagnards constituent de véritables mosaïques de milieux naturels et d’écosystèmes, tels que les pelouses alpines, les éboulis, les tourbières, qui constituent autant d’habitats pour des espèces de faune et de flore elles–mêmes remarquables. L’edelweiss, la saxifrage du Mercantour, le gypaète barbu, l’isabelle en sont quelques exemples. La France accueille 4 des 5 principales zones biogéographiques européennes dont la zone alpine. La montagne expose un patrimoine doublement riche, au niveau naturel mais aussi culturel. Le Mont Perdu dans les Pyrénées, classé au patrimoine mondial de l’humanité comme bien mixte remarquable à la fois du point de vue naturel et culturel en est une illustration. La signature de la Convention alpine, le programme de travail spécial « écosystèmes de montagne » de la Convention sur la diversité biologique révèlent l’importance de la préservation des milieux montagnards pour leur richesse intrinsèque mais aussi pour les nombreux services environnementaux qu’ils procurent aux sociétés humaines, comme la régénération de la ressource en eau et l’alimentation en sédiments utiles pour la fertilité des sols. Un patrimoine protégé mais menacé La richesse de la montagne française et la qualité de ses paysages a motivé la création de plusieurs parcs nationaux, parcs naturels régionaux et réserves naturelles. Sur 53 espèces de mammifères protégés, 46 sont présentes en montagne et 10 d’entre elles n’existent pas en dehors des montagnes. Cette forte valeur patrimoniale est aujourd’hui rappelée par la Stratégie nationale pour la biodiversité adoptée par la France en février 2004, dont le plan d’action « patrimoine naturel » prévoit l’élaboration d’un plan spécifique 89 « montagne ». Mais ce patrimoine s’avère être de plus en plus menacé. En 1963 déjà, une résolution de l’UICN alertait sur les risques que font peser les projets d’aménagement sur les espaces naturels protégés de montagne. En 1988, une autre recommandation indiquait que les Alpes représentaient l’un des écosystèmes montagnards les plus menacés du monde. Les aménagements touristiques enserrent les espaces protégés et réduisent l’efficacité de leur protection. Ils interfèrent avec la nécessaire continuité des milieux naturels. Le cas du parc de la Vanoise est significatif de ce phénomène d’étouffement. La montagne française a déjà perdu des espèces comme le bouquetin des Pyrénées. Les politiques de réintroduction d’espèces en montagne, aujourd’hui nécessaires, constituent l’aveu d’un bilan négatif des politiques jusque-là menées. La loi Montagne, loi d’aménagement et d’urbanisme avait pour vocation de fixer les règles devant concilier les finalités de protection, de mise en valeur et de développement des régions de montagne. Objet d’une application partielle, la loi Montagne a finalement accompagné une politique de développement partiale où les populations locales ne trouvent pas encore les moyens d’un développement satisfaisant et équitable. Le développement du tourisme en montagne exige une politique globale. La France, premier marché européen de quads est aujourd’hui acculée à des rappels réglementaires pour juguler les conséquences négatives des pratiques sportives motorisées. A l’exemple de l’alpinisme, des bonnes pratiques doivent être instillées pour l’ensemble des activités récréatives et sportives en montagne. Les responsabilités de chacun des acteurs de la montagne doivent être reconnues. Cela appelle une nécessaire redéfinition des objectifs de la loi montagne et plus largement de la politique de la montagne en France. Le bilan de la loi Montagne établit en effet un constat plus que mitigé. L’ambition d’un auto-développement équilibré a été très tôt révisée. A cet égard la proposition d’une codification des dispositions applicables à la montagne française constituerait un préalable utile. L’équilibre et la cohérence doivent en effet être recherchés pour fonder un développement durable des régions de montagne. Le Comité français pour l’UICN : un réseau d’organismes et d’experts pour la biodiversité 90 et le développement durable Réalisation Karibu Editions 2005 • www.karibu.fr • Crédits photo : Phovoir, H. Qualizza, SEATM, T. Deslande, Mountain Wilderness, V. Neirink, A-M Reboulet, MEDD-IFEN-MNHN, Frapna, S. Sigda, C. Poinsot, A. Loccoz Créé en 1992, le Comité français pour l’UICN est le réseau de l’Union mondiale pour la nature en France. Il regroupe 44 organismes et abrite également un réseau d’environ 200 experts scientifiques regroupés au sein de commissions spécialisées et de groupes de travail thématiques. Le Groupe montagne a été créé en 1997 à l’initiative du Club Alpin Français avec pour objectif d’établir un constat des problèmes d’environnement qui se posent en montagne et d’aboutir à des propositions d’actions. Le Comité français s’est doté de deux missions principales : • Répondre aux enjeux de la biodiversité en France. • Valoriser l’expertise française au sein de l’UICN et sur la scène internationale. Les programmes du Comité français sont orientés sur les politiques nationales et internationales de la biodiversité et du développement durable, la conservation des milieux naturels sensibles (forêts, montagnes, zones côtières et humides), les aires protégées et les espèces menacées. Il accorde une priorité sur les zones importantes pour la biodiversité mondiale où la France est présente : Collectivités françaises d’Outre-mer, Méditerranée, Europe et Espace francophone. Le Comité français pour l’UICN regroupe : 2 ministères 5 établissements publics 37 ONG 200 experts Comité français 26, rue Geoffroy Saint-Hilaire 75005 Paris - France Tél : 01 47 07 78 58 Fax : 01 47 07 71 78 [email protected] - www.uicn.fr 91 L’UNESCO désigne 22 nouvelles réserves de biosphère Paris, 26 mai © Fraser Coast South Burnett Tourism Great Sandy, Australie Lors de sa 21e session qui se tient du 25 au 29 mai 2009 sur l'île de Jeju (République de Corée), le Conseil international de coordination du Programme L'Homme et la biosphère (MAB-CIC) a ajouté 22 nouveaux sites, situés dans 17 pays, au Réseau mondial de réserves de biosphère de l'UNESCO (RMRB), qui en compte désormais 553 dans 107 pays. Les nouvelles réserves sont : Vhembe, Afrique du Sud. Réputée pour sa diversité biologique et culturelle, la réserve comprend la partie nord du Kruger National Park, le site Ramsar des Makuleke Wetlands, les Soutpansberg et le Blouberg qui sont des éléments clés de la biodiversité, le paysage culturel du Mapungube et le plateau du Makgabeng, riche en art rupestre. Les activités humaines sur le site sont surtout agricoles, avec notamment la production de fruits et légumes tropicaux, l’élevage et des réserves de chasse. Les principaux groupes de la région - Venda, Shangaan et Sepedi – disposent d’un savoir autochtone particulièrement riche, qui va de la sculpture sur bois et de la confection de tambours à la médecine traditionnelle. Bliesgau, Allemagne. Cette réserve applique le concept d'« entre-ville » pour relier deux paysages très contrastés : l'un, densément peuplé et urbanisé au nord avec la ville de St-Ingbert et l'autre, faiblement peuplé et rural au sud. Le site soutient actuellement des recherches approfondies sur les évolutions écologiques de ses zones urbaines, suburbaines et rurales dans le cadre du changement climatique. Les diverses activités menées en faveur du développement durable, notamment des initiatives pédagogiques et de sensibilisation à l'environnement, constituent une source d'inspiration pour la région. Une association pour la biosphère a été spécialement créée pour le site. Swabian Alb (Jura souabe), Allemagne. Située dans le Jura européen, cette réserve est couverte de forêts de hêtres, de pins et d'épicéas, de vastes vergers, pâturages et prairies. Proche de Stuttgart, le site couvre une surface de 84 500 ha et compte 150 000 habitants. Les programmes de développement durable pour la biosphère sont liés à l'agriculture et à la sylviculture, aux entreprises vertes et à l'écotourisme, ainsi qu'à la promotion des produits locaux et des industries artisanales. Des plans ont également été mis en place pour renforcer l'utilisation des énergies renouvelables, notamment pour les transports. La réserve intègre le camp d'entraînement militaire de Münsingen, situé dans le Jura vallonné. Cette zone, interdite au public pendant 110 ans (jusqu'en 2005), est restée intacte et a conservé les caractéristiques des paysages culturels des XVIIIe et XIXe siècles. C'est l'une des plus grandes zones non morcelée et préservée des nuisances sonores du BadeWurtemberg. Great Sandy, Australie. Couvrant des territoires terrestres, côtiers et marins, la réserve abrite les plus grandes forêts pluviales poussant sur le sable. Elle comprend le site naturel de l'île Fraser et ses lacs dunaires d'eau douce, inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en 1992. La communauté locale Burnett Mary Regional Group for Natural Resources Management a promu la désignation de la zone comme réserve de 92 biosphère encourageant l'écotourisme et l'agriculture biologique de niche. Fuerteventura, Espagne. Deuxième plus grande île de l'archipel des Canaries, elle est la plus proche de la côte d'Afrique occidentale. Le site est constitué d'un vaste ensemble d'écosystèmes comprenant aussi bien des zones désertiques ou semi-désertiques que des habitats côtiers et marins. L'île est caractérisée par une riche diversité d'espèces marines (dauphins, cachalots, tortues marines qui se reproduisent sur ses plages, etc.). La réserve de biosphère constitue également l'un des principaux observatoires géo-paléontologiques du monde. La population du site met l’accent sur le développement de pratiques d’écotourisme durable. L’île investit aussi afin d’augmenter sa capacité énergétique renouvelable, principalement grâce à l’éolien et au solaire. Elle se veut un modèle de la mise en place de la directive de l’Union européenne sur l’énergie renouvelable. Altaisky, Fédération de Russie. Cette réserve s'étend sur les parties nord-est et est de l'Altaï, le long d'immenses chaînes de montagne. Remarquable par sa biodiversité et son patrimoine culturel, elle couvre 3 532 234 ha et compte 15 000 habitants. L’aire centrale fait partie des Montagnes dorées de l'Altaï, site naturel inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. La réserve, qui coopère avec celle d’Ubsunurskaya Kotlovina et celle de Khakassky, joue un rôle clé pour le tourisme, notamment le développement de l’écotourisme. La zone, qui a le statut de réserve depuis 1932, compte parmi les espaces du monde les moins affectés par l'intervention humaine et recèle une faune et flore très riche. Plusieurs peuples autochtones vivent dans l’aire de transition de la réserve : Toubalars, Tchelkanes, Télenguites, Koumandines, Téléoutes... Nokrek, Inde. Situé dans l'Etat de Meghalaya, ce point clé pour la biodiversité présente des écosystèmes et des paysages naturels préservés. Peuplée d'éléphants, de tigres, de léopards et de gibbons houlocks, la zone est également réputée pour ses variétés sauvages d'agrumes qui serviront peut-être de pool génétique pour la production commerciale d’agrumes. Pachmarhi, Inde. Situé au cœur de l'Inde, dans l'état du Madhya Pradesh, ce site abrite des réserves de tigres et d'autres réserves de faune. Sa situation, à l'interface entre des forêts tropicales, humides et sèches, et des forêts de basses montagnes subtropicales, en fait un paradis pour les botanistes. Grâce à leurs traditions sociales et culturelles, les tribus locales contribuent à la préservation de la forêt tout en tirant profit des diverses ressources alimentaires, agricoles et économiques de la zone. Similipal, Inde. Cette réserve de tigres située dans l'est de l'Inde, dans l'Etat d'Orissa, était autrefois le terrain de chasse du maharadjah du Mayurbhanj. Cet environnement tropical abonde en tigres, éléphants, panthères, cervidés et héberge de nombreuses espèces de plantes, ce qui en fait un laboratoire vivant pour les spécialistes de l'environnement. Les populations tribales de la zone vivent de l'agriculture, de la chasse et de la cueillette des produits de la forêt, mais ils ont désespérément besoin de sources de revenus complémentaires pour sortir de la pauvreté. Giam Siak Kecil – Bukit Batu, Indonésie. Cette zone de tourbières de Sumatra se distingue par son exploitation durable du bois et deux réserves de faune qui hébergent des tigres de Sumatra, des éléphants, des tapirs et des ours à collier. Le suivi des espèces phares et l'étude approfondie de l'écologie des tourbières figurent parmi les activités de recherche menées sur place. Les résultats des premières études montrent que la faune et la flore pourraient contribuer au développement économique durable de la zone et à l'amélioration de la situation économique des habitants. Le site offre aussi une expérience intéressante en matière de dioxyde de carbone (CO2) dans le cadre des mécanismes de commerce du carbone. Jabal Moussa, Liban. Ce site, qui fait face à la mer Méditerranée à l'ouest, s'étend sur les hauteurs du versant occidental de la chaîne du Mont Liban située au nord du pays. Cette zone relativement étendue (6 500 ha), sauvage et préservée, est protégée par des arrêtés municipaux visant à sauvegarder son intégrité écologique, ses systèmes naturels et ses espèces. Jabal Moussa est réputée pour la vallée d'Adonis, espace historique préservé qui inclut d’anciennes terrasses agricoles et des sentiers datant de la période romaine. Son paysage est parsemé de cours d'eau, de pacages, de forêts mixtes composées de chênaies, de pinèdes, d'oliveraies et de nombreuses espèces de plantes importantes pour l'économie. La vallée sert également d'habitat préservé à une faune variée : loups, hyènes, damans, oiseaux et reptiles. 93 Tasik Chini, Malaisie, est la première réserve de biosphère UNESCO dans ce pays. Situé au sud de la péninsule, le site est le bassin versant du lac Tasik Chini, sanctuaire de nombreuses espèces endémiques d’eau douce. Des recherches intensives et un suivi sont menés par de nombreuses institutions. Autour du lac et des rivières qui l’alimentent, l’artisanat (textiles par exemple) devrait représenter un important potentiel pour le développement de toute la région. Lagunes de Montebello, Mexique. La réserve s'étend sur une zone hydrologique d'une riche diversité biologique. Sa situation, dans le massif central mexicain, à la frontière de la région montagneuse du Chiapas et de la plaine côtière du Golfe du Mexique, lui confère une importance particulière. Son paysage karstique et sa cinquantaine de lagons de tailles diverses en font une région d'une incroyable beauté. Le site est d'une importance cruciale pour la collecte d'eau douce et la régulation climatique. Les communautés locales sont associées à la gestion des ressources écologiques du site. Elles pratiquent diverses activités agricoles en mettant de plus en plus l’accent sur les pratiques compatibles avec la protection du site. Ainsi, la production traditionnelle de café est passée à une production de café bio, alors que la reforestation et les activités touristiques sont des alternatives qui contribuent au développement durable de la zone. Ile Flores, Portugal. Cette île, qui fait partie du groupe occidental de l'archipel des Açores, constitue la partie émergée d'un mont sous-marin situé près du rift médio-atlantique. Elle est née d'une activité volcanique qui a commencé il y a moins de dix millions d'années. La réserve de biosphère comprend toute la partie émergée de l'île Flores et certaines zones marines adjacentes qui bénéficient de paysages magnifiques et d'atouts géologiques, environnementaux et culturels incontestables. De hautes falaises surplombent une grande partie de la côte parsemée d'îlots. Territoire de pêche traditionnelle, le site attire également les touristes, en particulier les adeptes de la plongée sous-marine, de la marche et de l'observation des baleines et des dauphins. Geres / Xures est une réserve transfrontalière (Espagne et Portugal), établie sur la base de la continuité biogéographique des chaînes Galaico-Miñotas et des vallées associées que se partagent les deux pays. L’importance du site d’un point de vue écologique tient à sa richesse en écosystèmes de forêts et de tourbières, ainsi qu’au grand nombre d’espèces endémiques qui se sont développées sous les influences croisées des climats océanique et méditerranéen. Avec des communautés locales qui font partie intégrante du paysage régional, des centres de développement durable ont été installés dans la réserve de biosphère. Un plan conjoint de gestion permettra aux deux pays de profiter mutuellement de leurs expériences et de coopérer à la gestion durable des écosystèmes. Mont Myohyang, République populaire démocratique de Corée. Selon la légende, ce site sacré aurait vu naître le roi Tangun, ancêtre du peuple coréen. Cette splendide zone montagneuse s'élève à près de 2 000 mètres d'altitude. Ses rochers et falaises spectaculaires offrent un habitat à 30 espèces de plantes endémiques, 16 espèces de plantes en danger dans le monde et 12 espèces animales également menacées. Le site recèle par ailleurs une grande variété de plantes médicinales. Shinan Dadohae, République de Corée. Le site couvre un archipel du sud-ouest du pays. Il est constitué de zones terrestres et marines ainsi que de grandes zones intertidales qui hébergent une extraordinaire variété d'espèces et servent de lieux de repos à des oiseaux migrateurs rares. Des formes traditionnelles de pêche (la pêche à la main, par exemple) et la production de sel continuent d'y être pratiquées. Lajat, Syrie. Situé à l'extrême sud de la Syrie, à la frontière avec la Jordanie, ce site, célèbre pour sa richesse biologique, offre quelques-uns des paysages les plus impressionnants de la région. Les dispositifs existants de pâturage en rotation, la restauration des paysages, les fouilles et la mise en valeur des ruines archéologiques de Lajat constituent autant de possibilités de développement de l'activité humaine dans le respect de la durabilité écologique. Lajat peut également servir d’outil pédagogique illustrant l'importance de la faune et la flore dans la vie et l'économie locales ainsi que l'interdépendance de la diversité culturelle et biologique. Desnianskyi, Ukraine. Situé en Polésie orientale, le long de la rivière Desna, le site de 58 000 hectares recouvre toute une mosaïque d’écosystèmes : forêts, rivières, lacs, plaines d’inondation, marécages. Il est très important pour la recherche environnementale, notamment le suivi d’espèces rares, comme les ours et les lynxs. Les principales activités humaines sont l’agriculture, la sylviculture, la pêche et la chasse sportive. Parmi les 94 activités relevant du développement durable, on trouve de l’agriculture biologique et de l’écotourisme le long de la Desna, ainsi que des activités éducatives développées dans le cadre du camp pour écoliers Desnianski Zori. Le développement d’un tourisme transfrontalier durable se fait en collaboration avec la Fédération de Russie, à travers un projet de création d’une réserve de biosphère à cheval sur les deux pays. Delta de l'Orénoque, Venezuela. Ce site se caractérise par la remarquable biodiversité de ses écosystèmes terrestres et aquatiques, qui hébergent plus de 2 000 espèces de plantes et une faune terrestre et aquatique très variée. La diversité biologique de la réserve de biosphère est complétée par la richesse culturelle du peuple Warao. La promotion des activités de production au sein du site contribue au renforcement de la communauté Warao, à la protection de leur territoire et à l'amélioration de leurs conditions de vie. Mui Ca Mau, Viet Nam. Située à la pointe sud du pays, cette réserve montre des systèmes de succession écologique sur des terres alluviales récentes. Elle joue également un rôle important en termes de conservation de la nature car elle se trouve à la frontière de la mangrove et des forêts de niaoulis. Elle constitue en outre une zone de reproduction et de nidification d'espèces aquatiques. Les programmes de développement durable de ce site concernent principalement l'écotourisme et le tourisme culturel qui ont pour mission de mettre en valeur le riche patrimoine de ses habitants. Des formations sont également prévues pour améliorer l'agriculture et la pêche. Cu Lao Cham – Hoi An est un site à la fois côtier, ilien et marin de la partie centrale du Vietnam qui est célèbre pour ses espèces marines : coraux, mollusques, crustacés et algues. La réserve de biosphère inclut également Hoi An, un site culturel du patrimoine mondial qui est un ancien port illustrant la fusion des cultures européenne et vietnamienne. En mariant des atouts culturels et des avantages naturels en termes de biodiversité, Cu Lao Cham –Hoi An est bien placé pour l’écotourisme durable. Le Conseil international de coordination a également approuvé l’extension de 4 réserves déjà existantes : Mata Atlantica (Brésil), La Campana-Peñuelas (Chili), Carélie du nord (Finlande), et Dyfi (Royaume-Uni), désormais rebaptisé Biosffer Dyfi Biosphere. Les réserves de biosphère sont des sites reconnus par l’UNESCO, dans le cadre de son Programme sur l’Homme et la biosphère, qui innovent et font la démonstration de nouvelles approches de gestion intégrée de la biodiversité et des ressources terrestres, côtières et marines. Les réserves sont aussi des sites d’expérimentation et d’étude pour le développement durable, en particulier lors de l’actuelle Décennie pour l’éducation au service du développement durable. Lancé au début des années 70, le MAB propose un agenda de recherche interdisciplinaire et de renforcement des capacités, en vue d’améliorer les relations des hommes avec leur environnement. Il s’intéresse notamment aux dimensions écologiques, sociales et économiques de la perte de biodiversité et à la limitation de cette perte. Il utilise son Réseau mondial de réserves de biosphère comme un outil d'échange de connaissances, de recherche et de surveillance continue, d'éducation et de formation, ainsi que de prise de décision participative. Auteur(s):Communiqué de presse N°2009-48 Source:UNESCOPRESSE 26-05-2009 Aires Marines Protégées en Nouvelle Calédonie Historique En 1970, la réserve intégrale Y. MERLET est créée en Nouvelle-Calédonie, il s’agit de la première réserve marine si l’on fait exception de la réserve communale de l’île de Pam créée en 1966. 95 Puis, faisant suite à la création de nouvelles réserves terrestres, le Territoire, par la délibération n° 108 du 9 Mai 1980 (homologuée par la loi 83-1047 du 8 Décembre 1983), institue sa propre nomenclature en matière d’aires protégées. On distingue ainsi depuis cette date : La Réserve Naturelle Intégrale où il est défendu de pénétrer (à fortiori d’y prélever quoique ce soit ) Le Parc Territorial où tout prélèvement est interdit La Réserve Spéciale où certaines activités particulières peuvent être interdites ou réglementées. Dans cette dernière classification on trouve les réserves spéciales de faune et les réserves spéciales botaniques. Tous ces types de réserves sont instituées après avis du Comité pour la protection de l’Environnement et sont officiellement destinées à assurer la protection de la faune et de la flore mais aussi à l’éducation et à la récréation du public. 1988 : Les Nouvelles Competences Provinciales Depuis « les accords de Matignon », la loi référendaire a confié aux Provinces des compétences relatives à l’environnement qui étaient autrefois dévolues au Territoire. Les îles Loyauté sont constituées à majorité de terres coutumières ainsi chaque parcelle de terrain et jusqu’au récif appartient à des clans propriétaires. En ce sens, la culture kanak est indissociable de son environnement et de sa nature de telle sorte que le kanak appartient à la terre et de ce fait a une responsabilité vis-à-vis de cette dernière. Responsabilité en terme de gestion de ce patrimoine hérité des ancêtres afin de le transmettre aux générations futures en bon état d’intégrité. Aussi, lorsque quelqu’un souhaite profiter d’un lieu et/ou d’en prélever des ressources (bois, plantes médicinales, animal, …) il doit présenter sa coutume (présentation, motifs de la visite, où, demande d’autorisation,…) au propriétaire concerné. Lors d’évènements coutumiers tels la célébration de la nouvelle igname, les accès à la mer sont fermés, et personne n’enfreint cette règle pour cause de punition. Le but étant de laisser au milieu le temps de se régénérer, pour être sûr d’avoir du poisson à apporter en offrande à la grande chefferie. La pêche de certaines espèces en certains lieux est interdite pour une période ou pour certains clans et réciproquement. Dans la Province Sud, les réserves marines qui avaient été mises en place à proximité du Grand Nouméa (Ilot Maître et îlot Amédée en 1981, Parc du Lagon Sud en 1989) et qui étaient peu ou pas surveillées ont bénéficié de ce changement de statut. En effet, grâce à l’achat d’un premier puis d’un deuxième bateau de surveillance dans le cadre des contrats de Développement Plan et au recrutement d’équipages, ces zones ont rapidement profité des contrôles exercés par ces deux unités. « L’effet Reserve » En théorie les principaux effets biologiques attendus après la mise en réserve d’une zone sont : Une protection et un développement des populations de reproducteurs Des apports de recrues supplémentaires susceptibles de coloniser deszones non protégées une émigration de poissons vers les zones non protégées une préservation de la biodiversité naturelle. 96 Certains « effets bénéfiques » des réserves ont pu êtredémontrés en comparant les données sur la biomasse et la diversité des espèces depoissons échantillonnées en 1990 (avant la surveillance) aux données relevées sur les mêmes sites en 1994 puis en 1998 (après 4 et 8 ans de surveillance). En 1994, il a été notamment constaté une forte augmentation de la densité et de la biomasse et une augmentation de la taille moyenne des individus (à proximité de l’îlot Amédée, la densité de poisson a été multipliée par 7,7 et la biomasse par 6,3) après 4 ans de surveillance. En 1998, les résultats des études menées sur les mêmes sites montrent une diminution de la biomasse et de la densité par rapport à 1994 mais qui restent toutefois nettement supérieures que dans les zones non protégées. Cette méthodologie de suivi des réserves a été à nouveau programmée en 2002. Les réserves ont aussi un effet bénéfique sur la biodiversité : les espèces commerciales normalement peu abondantes ou absentes sont relativement fréquentes dans les zones protégées (loche truite, perroquet bicolore). En fait, la création de réserves marines qui s’appuie sur le principe de précaution constitue un moyen de gestion relativement aisé (réglementation simple, facilité des contrôles, etc ...) pour une ressource diversifiées qu’il est autrement difficile de suivre et de gérer. Toutefois, les études menées par le LERVEM (UFP) et l’Observatoire des Récifs Coralliens piloté par T & W Consultants, ont permis également de mettre en évidence certains effets que l’on peut qualifier de pervers de la mise en réserve, comme par exemple : Une augmentation des dégradations aux abords et sur les îlots due àune plus forte fréquentation Une pression de pêche plus importante dans les zones nonréglementées situées à proximité Une modification des pyramides des âges due à la présence de gros spécimen non pêchés. Néanmoins, les utilisateurs de la mer n’étant pas que des pêcheurs (plaisanciers ou professionnels) pour qui les réserves sont vraisemblablement le « moins bon » système de gestion (concentration de l’effort de pêche, mauvaise utilisation du stock accessible), le bilan global reste positif car le rôle éducatif des réserves est fondamental, sans parler du vieil adage qui affirme qu’un poisson vivant dans un site touristique rapporte plus d’argent qu’un poisson mis à la consommation. Conclusions La protection du lagon par les réserves marines est donc bien une réalité même s’il s’agit d’une des méthodes disponibles dans l’arsenal des mesures de gestion et si certaines questions restent toujours plus ou moins en suspend : Quelle surface mettre en réserve ? (30 % de la superficie totale semble faire l’unanimité chez les scientifiques sans que l’on sache très bien sur quoi cela repose) Faut-il plusieurs petites réserves plutôt qu’une grande réserve ? (les réseaux d’aires de protection seraient un moyen de répartir le risque, mais il est plus facile de surveiller de larges bandes côtières englobant les différents biotopes : mangrove, herbiers, récifs frangeants, etc ...) Quel type de réserve, pour quel type d’utilisation ? (il conviendrait également en plus des « 30 % » de protéger certaines sites remarquables comme les passes où se font les agrégations de ponte). Dans tous les cas de figure, l’efficacité de la mise en place (ou du renforcement) des zones protégées peut être augmentée en attachant un soin tout particulier d’abord à leur mode de sélection qui doit être fait en fonction de priorités préalablement clairement définies (maintien de la biodiversité, utilisation durable d’espaces, etc ...) puis en mettent en œuvre des programmes permettant l’intégration écologique, sociale et économique (zonage et zone de transition) des périmètres protégés. Il faut également garder présent à l’esprit que l’établissement d’une réserve crée souvent des conflits avec les communautés riveraines. En effet, les populations vivant à proximité de ces dernières doivent restreindre leur usage de la zone et donc supporter des inconvénients dont profite l’ensemble de la population. Les réserves 97 marines n’échappent pas à ce type de problème même si la domanialité y est « théoriquement » plus claire et plus simple. Enfin, la mise en place de réserves a un coût, car ces dernières ne sauraient fonctionner sans une surveillance régulière. En Province Sud, outre l’achat des deux unités et les salaires des deux équipages nécessaires à une présence quasi journalière des bateaux dans les réserves, les seuls frais de fonctionnement et d’entretien des unités de surveillance varient entre 11 et 18 millions par an. Espaces naturels, espaces protégés en France : enjeux et conflits. Vialatte Camille & Bausson Céline Introduction : « Avec l’évolution actuelle des mentalités, la redécouverte de la nature, l’intérêt grandissant porté au patrimoine, et pas seulement au patrimoine bâti – une belle futaie, une rivière propre, une côte ourlée de dunes ont aussi une valeur patrimoniale -, de nouvelles méthodes de gestion apparaissent. Il s’agit d’abord de protéger certains espaces naturels, certains écosystèmes auxquels on reconnaît une valeur particulière » (DAUPHINE A., GARRY G., RICHEZ G.). Après une phase où on prônait un développement économique sans limite, on assiste à une prise de conscience des problèmes environnementaux, à partir du début des années soixante-dix, et même à un renversement de perception de l’homme face à la nature et au paysage. Les premières mesures de protection des espaces naturels apparaissent. Le terme d’espace naturel « n’est pas entendu comme synonyme de « sauvage » ou de « non anthropisé », mais comme définissant des secteurs où les couverts végétaux et la faune évoluent de manière plus ou moins spontanée depuis une durée variable. Ce sont soit des secteurs à biodiversité élevée, soit des espaces contenant une espèce végétale ou animale particulièrement rare ou menacée » (VEYRET Y.). Néanmoins ces nouvelles mesures sont confrontées aux pressions des groupes locaux mais aussi touristiques qui peuvent aboutir à de véritables conflits. Les politiques de protection doivent s’adapter aux réalités locales en essayant de concilier développement économique et protection de la nature. Il faut s’interroger sur les finalités de la protection : pour qui protège-t-on des espaces ? Et, dans quel but ? Et, selon quels critères ? Après avoir montré l’évolution de la perception de la nature et la prise de conscience récente des problèmes environnementaux, nous tenterons de dresser un panorama des différentes politiques de protection des espaces naturels. Enfin, dans un dernier temps, au travers d’études de cas, nous établirons un bilan de ces politiques en montrant la difficile conciliation entre nature et tourisme. En effet, la plupart des espaces naturels fragiles sont protégés, mais deviennent, du fait même de leur protection, des espaces labellisés qui les rendent encore plus attractifs et donc plus soumis aux contraintes. I - Le retard français dans la politique de conservation de la nature. Le mode de gestion de la nature dépend en grande partie de la perception qu’en ont les sociétés. La protection relève de choix sociétaux, politiques, idéologiques en rapport avec l’évolution de la vision de la nature par la société. 98 1) Une nouvelle perception de la nature. Le goût pour la nature s’est développé parallèlement au mouvement romantique du XIXe siècle, à la naissance du tourisme (avec la création du chemin de fer) et à l’importance prise par les sociétés savantes à cette époque. C’est le temps des 1er guerres écologiques : Le classement d’une partie de la forêt de Fontainebleau en réserve artistique : Les peintres commencent au XIXe siècle à peindre en dehors des ateliers, ils découvrent la chênaie de Fontainebleau (instaurée par la Grande Ordonnance de Colbert 1669). Les chênes les fascinent ; ces arbres deviennent le symbole de la nature 1er lutte écologique contre la coupe de ces chênes. 1853 la réserve artistique de Fontainebleau est créée toute coupe d’arbre est interdite (les effets obtenus ne sont pas ceux qui avaient été escomptés car si la forêt présentait de tels arbres c’était grâce à une gestion quotidienne, la fin de cette gestion a entraîné une modification profonde de la forêt : de chênaie, elle est devenue hêtraie) La naissance du tourisme entraîne également une nouvelle vision de la nature. Ainsi les membres aisés du Club Alpin ou du Touring Club ont fortement contribué à diffuser des représentations spécifiques et des modes spécifiques de gestion de la nature. Ils sont, en partie, à l’origine des 1er lois sur le reboisement des terrains de montagne qui sont les 1er lois de protection de la nature et des 1er conflits d’acteurs autour de ce thème. 1882 loi RTM (restauration des terrains de montagne) résultat d’un véritable conflit de société entre les citadins qui voyaient les sociétés montagnardes responsables du déboisement par un pratique trop importante du pâturage et ces mêmes sociétés montagnardes qui refusaient d’abandonner leurs espaces de production. Dès le départ, il n’existe pas de consensus sur la protection de la nature ; les opinions divergent selon les acteurs et leurs pratiques de la nature : conflit entre locaux et monde extérieur se retrouve tout au long des différentes politiques de protection de la nature. qui protège et pourquoi ? 2) Les 1er lois. La 1er véritable idée de conservation de la nature plus générale qu’un seul secteur (montagne) se trouve dans la loi de 1906 : loi de protection des sites naturels les communes et les départements doivent souscrire les espaces classées aux usages agricoles 1er interrogation sur la sauvegarde. (Ces 1er idées de protections de la nature peuvent être rapprochées aux 1er lois sur la sauvegarde du patrimoine architectural 1913 loi sur les monuments historiques) 1927 création de la 1er réserve naturelle en Camargue (facilitée par le fait que c’est un espace très peu agricole) 1930 début du classement des sites naturels et des sites d’intérêt « pittoresque ». Il ne s’agit pas uniquement d’espaces naturels. Dans ce classement le rôle des communes est fondamental car ce sont elles qui font l’inventaire. A partir de ce classement l’Etat met en place une juridiction et des moyens financiers (lois de 1957) en un demi siècle mise en place d’une mentalité, volonté de protéger des sites remarquables ; problème de la définition des sites remarquables (pour qui et pour quels usages ?). 3) La prise de conscience des années 1960-70. Ces années marquent un nouveau tournant avec l’émergence du mouvement écologiste et d’associations de défense de la nature ainsi que naissance du discours catastrophiste : 1968, publication du rapport du Club de 99 Rome Halte à la croissance prise de conscience de la limite des ressources, de la pollution, des méfaits de la croissance. Volonté de préserver des espaces de « nature » (du moins ce qu’il en reste). Deux points forts en politique : - création en 1971 du nouveau ministère « de l’environnement et de la qualité de la vie ». - loi générale sur la protection de la nature en 1976 : elle prévoyait notamment de faire des études d’impact avant tout aménagement. Elle a été prolongée récemment par la réalisation d’un inventaire du patrimoine naturel (plus de 4000 experts) réalisation de la carte des ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique) – dans cette carte 2 types de zones sont identifiées : territoires caractérisés par la présence d’espèces, d’association d’espèces ou de milieux rares, remarquables du patrimoine régional ou national. – grands ensembles naturels (massifs forestiers, vallées, plateaux…) riches et peu modifiés ou qui offrent des potentialités biologiques. Ces années correspondent donc à la mise en place d’un arsenal juridique pour protéger le patrimoine naturel politiques globales (c’est-à-dire susceptibles de toucher tous les espaces) comme les lois sur les PNR et PNN et des politiques sectorielles (notamment pour la montagne et le littoral qui sont les deux axes privilégiés de ces politiques) II – Des espaces protégés : les différentes politiques. 1) Les Parcs Naturels Nationaux et les Parcs Naturels Régionaux. a) Les Parcs Naturels Nationaux. Le premier parc naturel, Yellowstone, est né en 1872 aux Etats-Unis. Après sa mise en place, bien d’autres parcs furent créés : Banff (Canada : 1885), Engadine (Suisse : 1911), le Grand Paradis (Italie : 1922), les Abruzzes (Italie : 1923), etc. Mais, pour ce qui concerne la France, il faut attendre 1960 ! En effet, le premier parc national français, la Vanoise, date de 1963. Depuis six autres parcs ont été créés : Port-Cros (1963), les Pyrénées Occidentales (1967), les Cévennes (1970), les Ecrins (1973), Le Mercantour (1979) et la Guadeloupe – Basse Terre (1989). Le parc des Cévennes, habité en permanence, est soumis à un régime particulier. Cinq parcs sont en projet : un en Guyane sur les îles de la Mer Iroise, deux en Corse (dont un international) au niveau des Bouches de Bonifacio, deux au niveau du Massif du Mont-Blanc (dont un en partenariat avec l’Italie). L’objectif de ces parcs est de préserver les milieux naturels qui ont un intérêt particulier contre la dégradation naturelle et les interventions artificielles. Les activités à l’intérieur du parc sont donc soumises à des règles très strictes. Néanmoins, ces parcs nationaux sont entourés d’une zone périphérique qui permet l’accueil du public. Le parc proprement dit correspond en fait à la zone centrale. De plus, une partie de la zone centrale peut être classée en « réserve intégrale ». C’est le cas de l’île de Bagaud dans le parc de Port-Cros. L’accès au public peut alors être interdit. La gestion du parc est confiée à un établissement public à caractère administratif. Le financement est essentiellement étatique. Les parcs nationaux connaissent un véritable succès visible par leur forte fréquentation, néanmoins, c’est cette même pression touristique qui est à l’origine de ses limites, comme par exemple la volonté d’implanter des stations de sports d’hiver en Vanoise. De plus, de part leur réglementation très sévère, les parcs nationaux ne peuvent être crées que dans des lieux quasi-inhabités. Ceci explique le faible nombre de parcs nationaux sur le territoire français. Ces nombreuses difficultés dans l’établissement et la gestion des parcs naturels ont aboutit à une forme de protection plus souple à savoir la mise en place de parcs naturels régionaux. b) Les Parcs Naturels Régionaux. Les Parcs Naturels Régionaux sont créés par le décret du 1er mars 1967 (depuis, plusieurs autres décrets de lois ont complété ce premier décret). Ils se créent sur « un territoire au patrimoine naturel et culturel riche mais à l’équilibre fragile et menacé ». 100 Contrairement aux parcs nationaux, leur objectif est double au travers d’une conciliation entre développement économique et conservation des milieux. En effet, la création d’un Parc Naturel Régional a pour mission de : - protéger le patrimoine naturel et paysager ; - contribuer à l’aménagement du territoire ; - favoriser le développement économique, social et culturel et de la qualité de la vie; - assurer l’accueil, l’éducation et l‘information au public ; - réaliser des actions expérimentales ou exemplaires dans ces domaines et de contribuer à des programmes de recherche. Il existe actuellement 40 Parcs Naturels Régionaux en France. On peut citer juste à titre d’exemples celui de la Brière (1970), du Vercors (1970), du Pilat (1974), du Verdon (1997), etc. En 1995, alors au nombre de 31, ils étaient rattachés à 2152 communes (1,8 millions d’habitants) représentant 38 309 kilomètres carrés soit 7 % du territoire. Ces parcs, placés sous la tutelle du ministère de l’Environnement, sont mis en place à l’initiative de la région. La gestion se fait le plus souvent au travers d’un établissement public de type syndicat mixte. Depuis le décret du 1er septembre 1994, les P.N.R. sont dotés d’une Charte établie entre l’Etat d’une part et les collectivités locales, départementales et régionales d’autre part. Cette Charte, conçue pour une période de dix ans, fixe d’une part les objectifs, les moyens financiers, les orientations et les mesures à prendre, et, d’autre part, attribue au territoire classé le label de Parc Naturel Régional qui lui permet de promouvoir une image de qualité. A échéance du contrat, les acteurs redéfinissent un nouveau projet qui permettra ou non au territoire en question la prolongation du label. c) Les Réserves Naturelles. De nombreuses réserves naturelles contiguës aux parcs ont été créées, soit pour des protections particulières, soit pour permettre le maintien d’activités dans des zones habitées ou exploitées. Les réserves naturelles ont été créées par la loi du 1er juillet 1957 (qui fait suite à la loi de 1930) mais elles n’ont été réellement définies que par la loi du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature. La protection des réserves est devenue plus sévère et donc plus efficace. Leur mission est de favoriser « la conservation et l’évolution des espèces ». Les activités y sont réglementées voire interdites. La gestion est souvent confiée à une association. Il existe aujourd’hui 149 réserves naturelles en France. Elles sont regroupées en six catégories : montagne (33 réserves naturelles), littoral (30), fleuve et rivière (19), lac, tourbière et marais (32), landes, forêt, prairie (20), roche, fossile, monde souterrain (15). Les espaces de montagnes sont les mieux représentés. Exemples : Les Aiguilles Rouges face au massif du Mont-Blanc :1974 ; les Hauts Plateaux du Vercors : 1985. 2) La protection des espaces de montagne. De nos jours, près de 30 % des espaces de montagnes sont soumis à des mesures de protection. Les premières mesures de protection des zones de montagne sont anciennes puisqu’elles datent du XIXème siècle avec la politique des R.T.M. (Restauration des Terrains en Montagne) qui consistaient à reboiser pour enrayer l’érosion et diminuer ainsi les risques naturels. Les zones de montagnes, comme le reste du territoire français, ont été ensuite concernées par la mise en place des Réserves Naturelles, des Parcs Naturels Nationaux, et enfin des Parcs Naturels Régionaux. Ce système de protection a été particulièrement utilisé en montagne. La loi du 9 janvier 1985, dite la « loi montagne », relative au développement et à la protection de la montagne est ensuite créée, certes trop tardivement. Par la création d’un Conseil National de la montagne et de Comités de massifs, elle institutionnalise la reconnaissance de la spécificité de la montagne. « La montagne 101 constitue une entité géographique, économique et sociale dont le relief, le climat, le patrimoine naturel et culturel nécessitent la définition et la mise en œuvre d’une politique spécifique de développement, d’aménagement et de protection » (Article 1er). En ce qui concerne la protection des espaces de montagnes, cette loi prévoit : - la préservation des terres agricoles et celles des « espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard » par la possible annulation d’un P.O.S. (Plan d’Occupation du Sol) ou d’un permis de construire ; - la nécessité d’une urbanisation en continuité avec les bourgs et les villages. Ce principe a été redéfini par la loi relative à la protection de l’environnement de 1995. Ceci pour éviter la création de station de sports d’hiver ex-nihilo. Par ailleurs, la nouvelle loi de 1999 en matière d’environnement a maintenu le principe des D.T.A. (Directives Territoriales d’Aménagement) créées par la loi de 1995. L’Etat peut ainsi « fixer, sur certaines parties du territoire, [ses] orientations fondamentales en matière d’aménagement et d’équipement entre les perspectives de développement, de protection et de mise en valeur des territoires ». 3) La protection des espaces littoraux. En ce qui concerne la protection des espaces littoraux, il existe deux mesures spécifiques. a) « Le Conservatoire de l’espace littoral ». Face aux conflits d’usage naissants, un contrôle et une gestion de l’espace se sont avérés nécessaires. Dans ce contexte, il est apparu que seule une action foncière protectrice pourrait assurer aux collectivités la prééminence sur les intérêts privés, en luttant notamment contre une urbanisation abusive. C’est ainsi qu’est né le Conservatoire du littoral. Sa création est tardive puisqu’elle a été officialisée par la loi du 10 juillet 1975. C’est un établissement public administratif. L’Etat est propriétaire mais la gestion est déléguée à une association, une municipalité ou un organisme public. Cet organisme peut exercer son influence sur 6935 kilomètres de rivages côtiers (D.O.M. inclus). Ses objectifs consistent à : - intervenir sur les espaces menacés soit en les achetant (propriétaire consentant ou expropriation), soit en contraignant leur propriétaire à certaines règles. Une fois acquis, les terrains deviennent inaliénables et inconstructibles. - préserver les terrains agricoles qui contribuent au maintient des espaces ouverts. En mars 1995, le Conservatoire du littoral avait acquis 44 616 hectares de terres réparties sur 339 sites et 622 kilomètres. L’espace méditerranéen, et plus particulièrement l’Ile de Beauté, est le plus concerné puisqu’il représente la moitié des terrains acquis (52 %) : 15 000 hectares sur le rivage continental et 10 600 hectares en Corse. Cette surreprésentation peut s’expliquer par le fait que cet espace subit la pression touristique et urbanistique la plus forte. Le Conservatoire du littoral concerne 15 % du linéaire côtier corse contre seulement 5 % du littoral méditerranéen ! Paradoxalement, le département des Alpes maritimes très privatisé est le moins bien représenté. Le rivage atlantique quant à lui représente 20 % du domaine du Conservatoire, celui de la mer du Nord 14 % et l’espace maritime des D.O.M. 14 %. Dans l’ensemble, la création du « Conservatoire de l’espace littoral » est un succès tant par l’ampleur de ces acquisitions que par l’ouverture des espaces littoraux au public mais aussi par la menace d’achat qu’il constitue aux éventuels projets urbanistiques intempestifs. Néanmoins, cet organisme doit faire face à des problèmes budgétaires (coût des achat des terrains). b) La loi « littoral ». 102 La loi « littoral » du 3 janvier 1986 a été créée pour faire face aux conflits d’intérêts privés et garder ainsi une cohérence entre les différents secteurs du littoral. Son principal objectif est de contrôler au travers du code d’urbanisme les espaces côtiers terrestres, maritimes et lacustres : limitation de la capacité d’accueil des espaces urbains, préservation des espaces et des milieux spécifiques. Par exemple : interdiction de construire, en dehors des espaces urbanisés, sur une bande littorale de 100 mètres. Avec néanmoins une possible dérogation pour les services publics et les activités économiques liées à l’eau. Par exemple : interdiction de construire de nouveaux réseaux routiers à moins de 200 mètres du rivage. 4) La protection des espaces ruraux. De nos jours, on assiste à une profonde mutation du monde rural et agricole lisible dans le paysage. En effet, on dénonce : - le remembrement et l’agriculture intensive pouvant aboutir à une banalisation des paysages ; - la friche qui est synonyme d’abandon ; - l’extension de la forêt qui conduit à la fermeture des paysages ; - le mitage du nombre de campagnes et le phénomène de rurbanisation qui sont ressentis comme une perte d’identité. C’est ainsi qu’est née la loi du 8 janvier 1993, dite « loi paysage ». Ses actions sont multiples : - elle exige, avant toute autorisation de construction, une étude de l’insertion dans l’environnement et de l’impact visuel. - elle renforce les dispositifs de protection en élargissant les compétences du Conservatoire du littoral, renforçant les chartes des P.N.R., et surtout, définit des Zones de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (Z.P.P.A.U.P.). - elle implique un inventaire régional paysager mais ne propose pas de critères d’évaluation des zones à protéger. Les espaces ruraux protégés ou préservés au nom de valeurs écologiques et esthétiques sont donc soumis à diverses réglementations qui tendent à y limiter ou y interdire le développement industriel et immobilier. III - Concilier nature et développement. Le but affiché de la protection des espaces naturels n’est pas de figer des paysages à un moment donné mais de permettre un développement de ces espaces comme le montre bien la législation sur les PNR. Pourtant il semble parfois difficile de concilier ces deux aspects, notamment dans le cadre d’un développement du tourisme. En effet, les espaces protégés sont souvent à la fois des paysages remarquables mais aussi des espaces où l’économie est mal en point (agriculture peu rentable, exode rural…). Il s’agit donc d’aider ces espaces à se développer tout en conservant leurs caractères exceptionnels ce qui ne va pas toujours sans mal. A partir de quelques exemples, on peut facilement mettre en évidence le jeu des différents acteurs et les conflits d’usages qu’engendrent ces espaces convoités. 103 1) Entre nature et développement : le bilan nuancé des PNR. Il est difficile d’établir un bilan pour l’ensemble des PNR car tout dépend de la voie choisie par les parcs. Dans le domaine de la protection de la nature et des sites, souci premier des PNR, la réussite est inégale car ils manquent à la fois de moyens réglementaires et de moyens financiers pour arriver à leurs fins. La lourdeur de la mise en place d’une réserve naturelle (loi de 1976) a souvent fait pencher les parcs pour une solution plus souple telles que les réserves de chasse (parc du Pilat, Corse), les parcs animaliers (Vercors, Brière) ou la protection de forêts (forêt d’Orient, forêt de l’Aigoual). Dans le cadre de la protection des paysages, les PNR ont également une politique de préservation de l’architecture typique de la région (toits en chaume) ce qui a permis une survivance de l’artisanat local la plupart du temps. Les PNR ont incontestablement contribué à mieux faire connaître le patrimoine naturel et culturel de leur région ; un souci pédagogique anime les équipes des PNR. Elles s’adressent en premier lieu aux jeunes qu’il faut sensibiliser à l’environnement, à un public d’élus et au grand public. La forme la plus spectaculaire de promotion est l’écomusée (1er écomusée à Maquèze dans les Landes). Les maisons des parcs, siège administratif et sociaux, sont également le centre d’animations, d’échanges, d’expositions….La réussite est ici plus évidente car elle demande moins de moyens et dépend surtout du dynamisme des équipes en charge du parc. Enfin, un des but des PNR est de favoriser la création d’emplois, de façon à maintenir la population locale ou du moins de freiner l’exode rural. Ce développement doit éviter les activités polluantes, être adapter au mode de vie rurale et utiliser au maximum les ressources locales. C’est, on s’en doute, l’objectif le plus difficile à atteindre d’autant plus que c’est sur ce point que les conflits sont les plus importants : que favoriser, comment favoriser ? L’effort a surtout porté sur le tourisme, nous y reviendrons en 2e partie, sur l’agriculture et sur l’artisanat. Il peut s’agir de relance générale de l’activité agricole (l’île d’Ouessant était tombée en friche totale) ou du redémarrage de cultures traditionnelles (les plantes médicinales dans le Morvan). Certains parcs ont aidé à la création de circuits de distribution efficaces pour les produits locaux (dans le PNR du Haut-Jura une Maison du fromage a été mise en place pour mieux faire connaître le bleu de Gex) ou ont reçu des labels pour des productions de qualité. L’artisanat, quant à lui, est bien adapté au monde rural car diffus et non polluant. Les réussites sont inégales car il faut avant tout des clients. C’est pourquoi les PNR développent une politique de mise en tourisme des espaces. Les régions considèrent de plus en plus les PNR comme des outils de valorisation touristique en insistant sur la qualité de l’environnement. Ils deviennent en quelques sortes des « produits d’appel ». Les PNR représentent 28 % de la fréquentation touristique du territoire. Pourtant cette mise en tourisme se révèle être parfois en contradiction avec les objectifs premiers qui sont la préservation de la nature notamment dans les zone les plus convoitées comme la haute montagne ou le littoral. 2) entre nature et tourisme : la difficile répartition de l’usage des sols . La plupart des régions se servent donc de leurs parcs ou zones protégées pour faire de la promotion touristique, le problème étant de savoir jusqu’où on peut développer le tourisme sans remettre en cause l’environnement et le paysage. Sur ce point les avis divergent autant que les intérêts. La majeur partie des PNR ont choisi de développer un tourisme diffus (exclusion des équipements lourds) en privilégiant la création de gîtes ruraux, de chambres d’hôtes, de camping à la ferme…Ils réalisent également des équipements sportifs comme des plans d’eau ou des pistes de ski de fonds pour le parc du Vercors. Les conflits d’usage sont importants dans les zones convoitées, dans la plupart des PNR de campagne dite « profonde » les enjeux sont de taille nettement moins importante que pour les parcs de haute montagne ou de bord de mer. Nous prendrons trois exemples pour traiter ces problèmes : le PNN de la Vanoise, celui de Port Cros et la politique du conservatoire du littoral. Le parc de la Vanoise : créé en 1963 dans les Hautes Alpes, ce parc est en concurrence avec le développement de très grandes stations de ski comme Tignes-Val d’Isère, les Trois Vallées, les Arcs, la Plagne et la Haute-Maurienne. Dès 1963, Tignes-Val d’Isère parvient à grignoter 3 000 ha sur le parc ; en 1966, Val d’Isère étend encore son domaine sans autorisation ; en 1973, Tignes obtient une dérogation pour s’étendre. A 104 quoi on peut ajouter les équipements d’EDF. Cet espace en apparence vide d’homme se révèle être un véritable enjeu territorial où s’affrontent des logiques diverses (protection, aménagements touristiques, production d’énergie) et des acteurs difficilement conciliables (élus, population locale, EDF, propriétaires des stations, touristes…) Le parc de Port Cros : Le PNN de Port Cros a été créé en 1963 dans une zone très fréquentée (littoral varois). Dès sa création, le parc a largement été ouvert au public ; tous les aménagements pratiqués l’ont été dans le cadre de la mise en place d’un tourisme vert : sentiers, visites des forts… tout en imposant une forte restriction de la fréquentation de l’île : il n’y pas de structure d’accueil de nuit sur l’île à part les quelques habitants. Ces mesures ont permis une sauvegarde du patrimoine mais on peut se demander face au nombre de visiteurs croissant chaque année où se situe le seuil de saturation et s’il n’a pas déjà été dépassé. Le conservatoire du littoral : l’acquisition de terrain pour les soustraire au développement touristique ne se fait pas toujours sans confits : soit avec les propriétaires des terrains qui auraient préféré en faire un autre usage et qui avaient de bons espoirs sur l’augmentation du prix de leurs patrimoines. soit avec les collectivités locales qui rêvaient à la création ou à l’agrandissement de leurs équipements touristiques et à la multiplication des résidences secondaires L’acquisition se révèle être souvent un affaire de relations tissées avec les interlocuteurs, elle peut parfois durer des années ex : dans la presqu’île de La Hague il a fallu 2 années de visites hebdomadaires auprès de certains habitants choisis pour leur connaissance du milieu et leur influence auprès des autres habitants pour parvenir à acheter en 1992 la 1er parcelle de ce site de plus de 3 000 ha. Le conservatoire joue souvent un rôle d’arbitre entre les différents groupes de pression qui ont intérêt à la gestion du site ex : sur les orientations d’un site du Calvados on recense au moins 15 groupes ayant des projets différents pour le devenir de cet espace : touristes plagistes, naturistes, pêcheurs, chasseurs, promeneurs, agriculteurs, les quatre communes riveraines…. Ces trois exemples soulignent la difficile conciliation entre la protection d’un espace et son ouverture au tourisme, seule véritable source de développement. Ils amènent également à s’interroger sur les finalités de cette protection : pour qui protège-t-on, dans quels buts ? Ces questions renvoient à l’idée que l’on a de la nature mais aussi à l’usage que l’on en fait. 3) Entre volontés nationales et préoccupations locales. Les politiques de protection de la nature ont longtemps été mises en place par un pouvoir central qui ne prenait pas forcément en considération les problèmes locaux en ce qui concerne le développement économique de ces espaces. Les PNN ont ainsi pu être ressenti par les populations locales comme des structures extérieures ne s’accordant pas à leurs préoccupations. Les élus locaux se sont battus pour obtenir une plus grande gestion de leurs espaces : ainsi les PNR sont des créations locales (à la demande des communes, départements, régions), de même, les lois montagne et littoral ont été élaborées dans une plus grande collaboration entre élus et Etat. Malgré ces efforts des pouvoirs politiques pour concilier les aspects contradictoires des politiques d’environnement : protéger la nature sans porter atteinte à l’intérêt des populations qui y vivent, les mesures de protections sont encore parfois perçues comme une atteinte à la liberté locale. L’exemple de la Vanoise peut encore être utilisé : L’apparition de ce parc a pu être perçu par les sociétés locales comme un dépossession de leur espace avec la fin du droit de chasse au chamois en altitude et l’interdiction d’utiliser les prés de fauche en altitude qui sont englobés dans le périmètre du parc. La création de ce parc a pu, en outre, être ressentie comme une nouvelle conquête de ces espaces par le monde extérieur puisque la grande majorité des touristes sont des citadins français ou étrangers. La protection de la nature semble être faite pour les citadins à la recherche d’espaces récréatifs, qui ne se soucient pas forcément des populations locales car ces endroits sont considérés comme des 105 espaces largement vides. On note d’ailleurs souvent une distorsion entre la demande des citadins d’une nature correspondant le plus souvent à un mode d’exploitation agricole en recul voire disparu. La protection de la nature soulève donc de nombreuses questions : comment concilier développement et préservation, intérêt des populations locales et des visiteurs venus le plus fréquemment de la ville, volonté politique nationale et locale. Les divergences entre les différents acteurs se retrouvent aussi au niveau local : rares sont les espaces à protéger dont les limites correspondent aux limites communales ou départementales. Les parcs ont parfois dû être créés sur plusieurs collectivités demandant soit la mise en place d’intercommunalité soit au moins la coopération des collectivités concernées qui n’ont pas toujours les mêmes intérêts. les politiques de protection doivent donc passer outre les découpages classiques administratifs. Conclusion : La multiplication des lois de protection de la nature montre la prise de conscience récente des problèmes environnementaux. Les espaces protégés à divers titres occupent une part non négligeable du territoire français. Les espaces naturels les plus concernés sont la montagne et le littoral. Ce sont d’ailleurs les deux seuls secteurs qui bénéficient de lois spécifiques : loi montagne et loi littorale. Face à ces politiques étatiques contraignantes, la mise en place des Parcs Naturels Régionaux a connu un grand succès car elle a permis la prise en charge par les collectivités locales de leur territoire. La politique des parcs a également permis une gestion plus diversifiée et plus souple des espaces naturels concernés. De plus, ces mesures ont amené une valorisation des territoires, en les labellisant. Cependant, cette valorisation tend à renforcer les conflits d’usages et d’acteurs. On peut se demander pour qui et pour quoi on protège les espaces naturels, les principaux bénéficiaires étant les touristes, et non la population locale. De telles pratiques de protection renvoient à la représentation et à la perception de la nature. Le choix des espaces à protéger est forcément subjectif, il dépend des sociétés, des idéologies et des époques. 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