LA GASTROSTOMIE AU QUOTIDIEN : UNE COLLABORATION MEDICO CHIRURGICALE Elisabeth Carricaburu (1), Arnaud Bonnard (1), Marc Bellaiche (2), Laurent Michaud (3) (1) Service de chirurgie viscérale hôpital Robert Debré (Paris) (2) Service de gastro entérologie hôpital Robert Debré (Paris) (3) Service de gastro entérologie hôpital Jeanne de Flandres (Lille) Après un premier élan, un premier bilan… Les dix dernières années ont été, en ce qui concerne les gastrostomies percutanées (GPE), celles de l'enthousiasme adolescent.. La gastrostomie est un geste chirurgical, connu de longue date. La mise au point, dans les années 1980 en pédiatrie, d'une technique percutanée, a conduit à un grand élargissement des indications chez l'enfant, avec un pic dans les années 1990. Parallèlement, depuis l'utilisation des vielles sondes de Pezzer, de nombreux progrès ont été réalisés dans l'appareillage de ces gastrostomies, Le temps passant, le retour d'expérience avec une morbidité et une mortalité non négligeables a conduit à plus de modération dans les indications et nous sommes maintenant arrivés à une période de maturité. La prise en charge des gastrostomies doit être multi disciplinaire. Le chirurgien a toute sa place à côté du gastro-entérologue car il possède les différentes techniques (opératoire ou non), et est parfois amené à gérer les complications Les indications de la GPE : « ça se discute » Entre les médecins et chirurgiens Toute nutrition entérale ne justifie par la mise en place d’une gastrostomie. Lorsqu’elles existent, les alternatives doivent être évoquées, (par exemple, gastrostomie transitoire de renutrition chez un enfant poly handicapé devant bénéficier d'une chirurgie rachidienne et ayant une sonde gastrique bien tolérée). La GPE est un geste potentiellement dangereux, surtout sur un terrain débilité, pouvant conduire à une chirurgie lourde. La discussion conduisant à décider si la gastrostomie doit être isolée ou associée à un geste anti-reflux doit être multidisciplinaire. Parfois la nutrition par gastrostomie améliore le reflux (par amélioration de l’état nutritionnel et adaptation du débit d’alimentation), parfois elle l’aggrave. La fréquence et l’importance des vomissements chez certains enfants encéphalopathes guident aussi l’attitude. Mais c’est sur ce terrain que les interventions antireflux sont les moins performants et les plus morbides… Il est volontiers décidé dans notre expérience de proposer chez les reflueurs une GPE dans un premier temps, éventuellement complétée dans un second temps à un geste chirurgical anti reflux Avec les parents Dans le cadre de pathologies lourdes ou l’indication de gastrostomie est souvent incontournable, une discussion franche et claire devra avoir lieu avec les parents en pré opératoire, évoquant les inconvénients et risques de la technique, mais mettant également en avant les avantages escomptés, en particulier sur l’amélioration de la qualité de vie de la famille. Les grands axes qui nous paraissent important d’aborder sont les suivants : - L’alimentation par gastrostomie permet « d’économiser » 1/3 de temps en moyenne par rapport à d’autres types de nutrition, temps que l’on pourra passer ensemble de façon plus agréable que des séances de nourrissage infructueuses durant des heures souvent dans la contrainte - La gastrostomie n'empêche pas l’alimentation per os, mais prévenir qu’au bout d'un certain temps, bon nombre d'enfant arrête de s'alimenter (les poly handicapés notamment) - Les soins sont simples à l'eau et au savon permettant les bains en piscine ou mer - Elle facilite grandement le passage de médicaments - Elle facilite l’hydratation donc peut améliorer le transit. - La gastrostomie est réversible (indépendamment du pronostic de la maladie sous jacente. - Il faut vérifier que le mode d'accueil de l'enfant reste possible avec une gastrostomie (formation du personnel) Gastrostomie par coelioscopie pour tous ? Certaines équipes proposent de systématiquement poser les gastrostomies percutanées avec assistance coelioscopique. A notre avis, seuls quelques cas requièrent cette technique, notablement plus lourde que la gastrostomie percutanée simple. Les déformations rachidiennes importantes conduisant à un échec de ponction ou des patients multi opérés sont les principales indications. De plus, les résultats sont souvent moins bons, la zone d'accolement de l'estomac à la paroi ne se faisant alors pas spontanément, conduisant à une sonde placée en traction, conduisant à l’apparition de suppurations de la paroi et cicatrisation plus longue. Adapter le matériel Peu importe (stomathérapeute, médecin ou chirurgien) qui assure le suivi des gastrostomies, mais cette prise en charge doit être organisée au sein de l'établissement et l'ensemble des dispositifs existants doit être proposé aux familles, en exposant les avantages et inconvénients de chacun (facilité de pose, durée de vie, maniabilité…) Les sondes peuvent être préférées par des parents chez des enfants porteurs de corset, permettant un raccord rapide à l'alimentation. Les dispositifs les plus pérennes sont les sondes mises en place lors de la pose de la gastrostomie, et nous les laissons volontiers jusqu'à usure quasi-complète. Les boutons à ballonnet seront proposés ensuite en première intention, mais l’usure rapide des ballons, les enfants agités qui vont de façon répétitive arracher le bouton gonflable conduit à proposer des boutons de Bard plus solide, mais dont la mise en place est plus à risque de disjonction pariétale en raison de la tension qu’elle nécessite sur un matériel plus large et plus dur (en parapluie). Les boutons devront être évités en début d'utilisation chez les enfants cachectiques devant prendre rapidement du poids. En pratique, nous proposons de garder la sonde le plus longtemps possible et de procéder au changement lors de l’usure de celle-ci. La nécessité de procéder à ce changement en consultation ou sous contrôle endoscopique est encore débattue au sein de notre équipe, mais il doit être fait sous sédation et un contrôle de bonne position intra gastrique est souhaitable quand la pose est dite «difficile» Il faut veiller à ne pas augmenter le calibre des sondes en cas de fuites, mais à régler le serrage. La perte du dispositif d’appareillage de la stomie (bouton dégonflé et perdu, bouton ou sonde arrachée, ou rupture spontanée d’une sonde usée) est un motif de consultation en urgence. Il serait souhaitable que l'ensemble des pédiatres ou chirurgiens puisse connaître les dispositifs disponibles et en disposer afin d'éviter le remplacement par des sondes vésicales inadaptées. Complications à moyen et long terme Le rôle du chirurgien La fistule gastro-colique, rare, est de diagnostic difficile. En per opératoire, l’intervention sera rapide, évitant le passage d’air trop important et l’ascension du colon par tension du ligament gastro-colique. Le diagnostic pourra être évoqué sur une simple suppuration abondante. Une ponction trans-colique sera difficilement dépistée par les opacifications. L’enfouissement de la collerette interne : la mise en place d’une nouvelle GPE par le même orifice cutané est le traitement le plus simple. Rôle du médecin Mesures préventives Laisser la peau respirer La face inférieure du matériel doit se retrouver quelques millimètres au-dessus de la peau. S’il existe une impression d’aile de papillon, la sonde est trop serrée et une irritation va en être la conséquence Bien rincer Il est important que les médicaments donnés par la gastrostomie soient sous forme liquide ou broyés et dissous avant leur administration. Il est nécessaire de rincer la gastrostomie à l’eau après chaque utilisation (10 à 20 cc) pour éliminer les résidus alimentaires. Soins locaux quotidiens : Il faut maintenir la peau propre et sèche au pourtour de la stomie, la nettoyer quotidiennement au savon, et ne pas hésiter à soulever le dispositif de contention externe pour nettoyer le pourtour de la stomie. Il faut également faire tourner d’un demi tour la sonde lors de son entretien quotidien afin de prévenir les problèmes d’adhérences et d’irritation de la peau en regard du dispositif externe de contention. Soucis de gastrostomies a) Rupture du ballonnet Les ballonnets en silicone durent habituellement plusieurs mois, en moyenne 5 mois avec des extrêmes allant jusqu’à 16 mois Le principal risque, lors de l’éclatement du ballonnet, est l’expulsion du bouton et la fermeture de la stomie. En effet, un orifice de gastrostomie non appareillé peut se fermer rapidement en quelques heures. Les parents ont habituellement une sonde de rechange adaptée à leur domicile, afin de réaliser ou de faire réaliser le remplacement. Dans tous les cas, si ce changement ne peut être réalisé immédiatement, il est indispensable de cathétériser la stomie avec soit l’ancien matériel, soit avec une sonde même de petit calibre afin d’éviter la fermeture de cette stomie. b) Métaplasie gastrique La métaplasie gastrique correspond à une colonisation de l’orifice de la gastrostomie par de la muqueuse gastrique donnant un aspect de bourgeon charnu, secrétant, pouvant saigner. Son traitement de première intention est l’application locale de nitrate d’argent que l’on peut répéter ou de cortico-tulle*. L’exérèse chirurgicale de la métaplasie est parfois nécessaire. c) Fuites autour du ballonnet Des fuites peuvent être liées à des troubles de la vidange gastrique, en rapport avec un ballonnet dégonflé ou mal adapté à la hauteur de la stomie, ou dues à un débit de nutrition trop important -et dans ce cas souvent associées à des vomissements- ou encore en rapport avec un élargissement de l’orifice de la gastrostomie. Dans ce dernier cas, ils peuvent être traités par une augmentation de la pression de contention en réalisant une légère traction sur la bague de contention externe de la gastrostomie. Il faut éviter d’augmenter de façon répétée le diamètre de la gastrostomie. d) Problèmes cutanés Rougeur locale, œdème, écoulement peuvent être en rapport avec des fuites locales et/ou une irritation cutanée par le matériel de gastrostomie, parfois due à un système de contention externe trop serré. Dans tous les cas, il faut éviter tout pansement occlusif qui favorise la macération, désinfecter la peau de façon pluriquotidienne (savon) et bien sécher le pourtour de la stomie. Les antibiotiques locaux ou généraux sont inutiles, de même que les prélèvements bactériologiques locaux. Si la peau est abîmée, on peut appliquer un colorant type éosine et une pâte à l’eau (Alloplastine*, une application 2 à 3 fois par jour) e) Obstruction du bouton ou de la sonde Le fait de rincer avec de l’eau, après chaque administration de nutriments ou de médicaments, prévient en général tout risque d’obstruction. En cas d’obstruction, peut être utilisée en première intention de l’eau tiède sous pression dans une seringue de petit diamètre, et en cas d’échec, de l’eau gazeuse. Parfois du Mucomyst* (acétylcystéine) ou de l’Eurobiol* (poudre orale, un flacon dilué dans 10 cc d’eau) ont été efficace. L’heure de la fermeture … La décision de fermeture de la gastrostomie doit être le fruit d’une décision multidisciplinaire. Les parents auront souvent tendance à vouloir fermer rapidement cette gastrostomie dès récupération d'une alimentation per os satisfaisante. Nous incitons à une plus grande prudence, compte tenu de la lourdeur d'une éventuelle fermeture et repose. En ce qui concerne les délais de fermeture, il n’existe aucun facteur prédictif de non fermeture spontanée. Nous attendons habituellement au moins un an, sous IPP, avant de fermer chirurgicalement ces gastrostomies. Dans de très rares cas, il existe d’emblée un écoulement extrêmement important, conduisant à une intervention chirurgicale rapide. Le plus souvent, il persiste un petit pertuis avec un écoulement gênant. Il s'agit d’une intervention chirurgicale avec anesthésie générale et laparotomie. Conclusion : Le chirurgien devrait être totalement impliqué dans la prise en charge des gastrostomies dans le cadre d’un travail en duo avec les gastro-entérologues, et ce du début (indication) à la fin (fermeture). Les 7 péchés capitaux 1 Oublier de stimuler l’oralité La présence d’une sonde de gastrostomie n’empêche ni la prise de bains (baignoire, piscine, mer), ni l’alimentation par voie orale 2 Se précipiter pour enlever le bouton de gastrostomie dés qu’il n’est plus utilisé 3 Augmenter le calibre de la sonde en cas de fuite 4 Tarder avant de remettre un bouton qui n’est plus en place et omettre de prescrire un bouton de remplacement du calibre adapté Tout arrachement accidentel de la sonde gastrostomie ou du bouton nécessite son remplacement en urgence. L’orifice de gastrostomie non appareillé peut en effet se refermer en quelques heures Un patient porteur d’un bouton doit toujours avoir d’avance un bouton du même type en cas de nécessité de remplacement 5 Gonfler le ballon avec de l’air Il est nécessaire de le gonfler avec de l’eau. 6 Oublier de tourner tous les jours d’un quart de tour la sonde de gastrostomie ou le bouton. 7 S’acharner à faire des pansements occlusifs autour des boutons et craindre sans arrêt la surinfection Un orifice de gastrostomie s’infecte rarement, les prélèvements bactériologiques sont inutiles et les soins locaux.suffisent Références 1) McClave SA, Neff RL. Care and long-term maintenance of percutaneous endoscopic gastrostomy tubes. JPEN J Parenter Enteral Nutr. 2006 Jan-Feb;30(1 Suppl):S27-38. 2) Delegge M, Delegge R, Brady C. External bolster placement after percutaneous endoscopic gastrostomy tube insertion: is looser better? 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