La sociologie de Talcot Parsons et la hiérarchie cybernétique du pouvoir Essai conceptuel par Patrick JJ Daganaud 1980 Tous droits réservés 1. Une dimension cinétique Il faut d'abord comprendre que l’étude sociologique telle que l'a conçue Parsons ne se satisfait pas d’une dimension structurale statique qui ne témoignerait que de l’existence des interrelations entre les structures sans pouvoir vraiment les explorer. Or, comme le mentionnent Pierre Bélanger et Guy Rocher (1970), en éducation, trois axes caractérisent l’étude sociologique : L'analyse du système scolaire comme système social, l’exploration de l’école et même de la classe comme système d’interactions à l’intérieur d’un groupe restreint et, d’un point de vue environnemental, l’analyse des interactions entre l’école et la société. Si le premier et le troisième de leurs axes référent aux structures sociales, le second reprend la perspective microsociologique de Gurwitch et symbolise les mouvements sociaux qui animent les structures. Cette préoccupation cinétique cherche à renseigner sur les interactions entre les groupes et sous-groupes sociaux. En outre, elle fonde le concept même d’action sociale. D’ailleurs pour compléter notre réflexion, nous nous fierons à nouveau aux explications de Guy Rocher (1968): L’action sociale présente tous les traits d’un véritable système et (il) est possible de l’analyser comme tel. On y trouve en effet les principaux éléments constitutifs d’un système: a) des unités ou parties (...) c’est-à-dire des actes sociaux posés par (les) personnes, c’est-à-dire des actes qui sont normativement orientés (...). b) des facteurs d’organisation ou de structuration (...); ce sont les modèles, les rôles et les sanctions (...); c) la structuration des unités s1affirme en particulier par leur interdépendance (...) d) une sorte d’échange, de complémentarité, d’interaction mais un équilibre sans cesse mouvant.1 1 ROCHER, G. (1968) Introduction à la sociologie générale: Éditions Hurtubise H.M.H. tome 1 page52 La sociologie s’avère donc utile lors de l’analyse des structures et des interrelations du domaine scolaire. Elle appuie ses appréhensions sur une double vision de la réalité sociale, selon, d’une part, un axe vertical statique, celui des structures et, d’autre part, un axe horizontal dynamique, celui des interactions. Le lecteur aura, sans doute, remarqué que j'ai fait disparaître l’un des trois axes mentionnés par Bélanger et rocher ainsi que par Gurwitch. Bien que j’aie précisé la raison de cette disparition, il convient que j’y revienne: il s’agit, en effet, d’une confusion volontaire qui rassemble deux axes dont la dimension est indubitablement structurale (c’est-à-dire l’école, sous-ensemble de la société et l’école comme système social) en un seul axe qui englobe toutes les structures sociales possibles, y compris celles que les sociologues cités ont omis, tels les sous-systèmes sociaux stables formés par les cycles, les degrés et même les équipes de travail au sein du système social qu’est l’école. Ainsi tout en reconnaissant des plans macro et microsociologique d’analyse, nous simplifions une appréhension de l’éducation tout en la complétant selon les besoins situationnels. Parce que notre étude se déroule dans un système social, parce qu'elle comprend un ensemble complexe d’actions sociales interreliées, parce qu’enfin nous savons l’utilité de la sociologie dans ces circonstances, nous croyons justifié de procéder à ce type d’analyse. Cependant, avant d’exposer le choix de notre modèle théorique, nous demanderons au lecteur de prendre connaissance du tableau 1, représentatif de la double dimension de l'approche sociologique. Tableau 1 : les deux axes de l'analyse sociologique AXE DYNAMIQUE DES ACTIONS SOCIALES FONCTION SPATIALE PLAN MACROSOCIOLOGIQUE INSTITUTIONS GROUPEMENTS PARTIELS ENTREPRISES NORMES MODÈLES SANCTIONS PLAN DES INTERDÉPENDANCE FAMILLE RÔLES SOCIAUX INTERDÉPENDANTS FONCTION TEMPORELLE GROUPEMENTS PARTIELS AXE GROUPES SOCIAUX MICRO- PLAN ASSOCIATIONS INDIVIDUS SOCIALISÉS DES PLAN DES STATIQUE PAYS STRUCTURES SOCIÉTÉS MICROSOCIOLOGIQUE 2. Présentation du modèle théorique Pour procéder à une analyse cornplète et efficace, c’est-à-dire respectueuse des deux axes qui articulent l’appréhension sociologique, il nous faut recourir à un modèle théorique fondé sur cette articulation bidimensionnelle. Nous devons également trouver dans ce modèle l’occasion de greffer les éléments qui caractérisent une philosophie sociale, donc trouver une entrée apte à recueillir les données propres à cette philosophie. Enfin, le modèle choisi doit fournir une assise conceptuelle logique pour nous permettre d’y appuyer notre analyse. Afin que le lecteur s’imprègne de notre préoccupation majeure, nous lui proposerons, à titre de réflexion et avant d’introduire notre modèle, cette autre justification de notre démarche; elle illustre parfaitement notre optique et nous la devons à Malcom Adiseshiah: La théorie et la pratique du développement, malgré une certaine technicité, ne constituent pas à proprement parler une matière technique. Au sens le plus profond, elles relèvent de la philosophie, puisqu'elles supposent un jugement de valeur sur la société, sur le “ bien-vivre ” des hommes et des nations. Au sens le plus large, elles ressortissent à la politique, puisqu’elles appellent des décisions et des choix quant aux fins et aux moyens de l’action économique et sociale. Ce ne sont pas les connaissances techniques qui donnent autorité pour traiter un tel sujet.2 2 .1. Description du modèle théorique C’ est du sociologue Talcott Parsons que nous provient le modèle qui nous a semblé remplir le plus adéquatement les critères fixés pour la qualité de notre analyse. Nous reviendrons d’ailleurs à ce sujet dans la partie 2.2 suivante, lors d’une critique du modèle proposé. Guy Rocher (1968) expose clairement les structures d’un des modèles parsoniens, qui regroupe le système général de l'action et le sous-système social. Il faut noter, en premier lieu, qu’il existe des entités, complètes en elles-mêmes, formées d’un ou plusieurs individus dont l’existence est liée à deux ressources vitales, la connaissance et l’action. 2 ADISESHIAH Malcom. S (1970) Pour que mon pays s'éveille Paris: Les Presses de L’UNESCO. p.14 Ces deux ressources sont interdépendantes et l’une résulte de l’autre, faisant intervenir l'expérience, synonyme de l’action, comme effet et comme cause de la connaissance. Ce débat est toutefois d’ordre philosophique et, pour l'heure et ce qui nous intéresse, il nous suffit de savoir que le système général de l’action comporte quatre sous-systèmes : celui de la culture, celui du système social, celui des personnalités et enfin, celui des organismes biologiques. D’autre part, pour assurer la vie, la survie ou le progrès des entités mentionnées, l’action remplit, selon ses quatre sous-systèmes, des fonctions équilibrantes qui sont : pour la culture, la stabilité normative; pour le système social, l’intégration; pour les personnalités, la poursuite des buts; et, pour les organismes biologiques, l’adaptation. De chacune de ces quatre fonctions se dégage plus ou moins d’information ou plus ou moins d’énergie : ainsi, on comprendra que l’adaptation, au niveau des organismes biologiques, nécessite plus d’énergie et moins d’information, et que, au contraire, la stabilité normative, au niveau culturel, exige plus d’information et moins d’énergie. Ce phénomène est appelé ordre hiérarchique du contrôle cybernétique de l’action et nous aurons l’occasion d’y revenir. Puisque le sous-système social de l’action peut être une entité complète ( tel, le groupement partiel de l’école), son fonctionnement procède du système général de l’action : on y retrouve les mêmes fonctions, selon le même ordre hiérarchique de contrôle cybernétique. Toutefois des composantes et des ensembles structuraux qui explicitent la notion de système social viennent s’ajouter à sa description. Le tableau 2 schématise ces données que nous allons à présent approfondir. Tableau 2 Système général de l’action et sous-système social parsoniens PHILOSOPHIE INTÉGRATION SYSTÈME SOCIAL POURSUITE DES BUTS ADAPTATION PERSONNALITÉS ORGANISMES BIOLOGIQUES + - FONCTIONS STRUCTURALES + ENSEMBLES STRUCTURAUX STABILITÉ VALEURS SOCIALISATION INTÉGRATION NORMES DROIT NORMATIVE - COMPOSANTES POURSUITE DES BUTS ADAPTATION COLLECTIVITÉS RÔLES POLITIQUE ÉCONOMIE ORDE HIÉRARCHIQUE DE CONTRÔLE SOCIAL + - - RICHE EN ÉNERGIE CULTURE NORMATIVE RICHE EN ÉNERGIE STABILITÉ SOUSSYSTÈMES RICHE EN INFORMATION FONCTIONS SOUS-SYSTÉME SOCIAL ORDE HIÉRARCHIQUE DE CONTRÔLE CYBERNÉTIQUE DE L’ACTION RICHE EN INFORMATION SYSTÈME GÉNÉRAL DE L’ACTION + D’abord, précisons que la notion de système social qui « porte sur les conditions impliquées dans l’interaction d’individus humains réels qui forment des collectivités concrètes, composées de membres déterminés »3 rejoint, par son intégration du phénomène de l’interaction, la notion d’action. Par ailleurs, notre citation nous permet de dire qu’une organisation, un de ses sous-systèmes, un groupe de travail de ce sous-système constituent autant de systèmes sociaux. Tout système social possède une structure interne composée de divers éléments qui le définissent comme une entité dynamique. Ces éléments constituent les composantes structurales du système social visé. Elles forment des canaux par lesquels passe la culture pour se transcrire et se réaliser dans la vie concrète d’une société et de ses membres. On reconnaît donc : les rôles, résultantes de l’appartenance des individus aux différentes collectivités du système, les collectivités, regroupements autour des valeurs, des idéologies, dotés de règles d’application destinées aux membres, les normes, lois ou règles sur lesquelles l’individu calque ses comportements pour garantir son appartenance à une collectivité, les valeurs, qui définissent les orientations culturelles et philosophiques du système tout entier. A ces composantes structurales du système social (dont il ne faut pas oublier qu’il est un sous- système du système général de l’action), correspondent des impératifs fonctionnels qui répondent aux “problèmes d’ajustement” auxquels est confronté tout système social. C’est sur l'observation systématique de l’état de ces impératifs que peut se fonder une évaluation de la santé et de la viabilité organisationnelles. Nous avons figuré l’interrelation aux composantes structurales : 1. l’impératif fonctionnel d’adaptation qui réclame du système et de ses membres un appel et un recours à des moyens pratiques pour réaliser les objectifs du système, 2. l’impératif fonctionnel de poursuite des buts qui exige du système ou d’une de ses parties constituantes une définition des objectifs du système et leur atteinte, 3. celui d’intégration qui oblige à la coordination des unités ou parties du système, 4. enfin celui de la stabilité normative qui commande que les valeurs du système soient connues de ses membres, qu’ils les acceptent et s’y plient. 3 ROCHER, Guy. (1968) Introduction à la sociologie générale. Montréal: H.M.I. p. 311 Liés également aux composantes structurales et correspondant aux moyens dont se dote le système social pour observer les impératifs fonctionnels, nous trouvons des ensembles structuraux qui sont, en fait, les grands domaines de l’organisation de l'action sociale. Selon le rnême ordre d’interrelation aux composantes et aux impératifs, nous sommes en présence de : 1. l’économique, liée aux rôles et à l’adaptation, 2. la politique, liée aux collectivités et à la poursuite des buts, 3. le droit, lié aux normes et à l’intégration, 4. la socialisation, liée aux valeurs et à la stabilité normative. Ces domaines sont ceux que nous connaissons avec les structures internes qui les régissent. Ordre hiérarchique de contrôle cybernétique Le modèle parsonien témoigne aussi du contrôle de l'action. À ce sujet, nous revenons à la notion d’ordre hiérarchique de contrôle cybernétique que nous avons introduite antérieurement. La cybernétique nous renseigne sur deux éléments qui sont la communication de l’information et la mécanique de commande ou de guidage de l’action. Or, dans une hiérarchie cybernétique, un système se place en haut de l’échelle s’il est riche en communication et en bas s’il est riche en mécanique de guidage, c’est-à-dire en énergie. À partir de ces données, Parsons a classifié les composantes structurales, les impératifs fonctionnels et les ensembles structuraux selon l’ordre hiérarchique de contrôle cybernétique de l’action. Il y a une juste correspondance entre ces divers éléments du système social selon qu’il s’en dégage, plus ou moins d’information ou d’énergie. Dans les faits, lorsque le système social est une organisation, le gestionnaire, responsable du contrôle des quatre impératifs fonctionnels vitaux, doit tenir compte de la hiérarchie qui s’établit selon cette cybernétique-. En particulier, il doit faire en sorte que sa gestion, son mode d’exercice du pouvoir, respecte la charge cybernétique propre à chaque domaine où s’exerce sa gestion. Ainsi lorsqu’il agira au niveau des rôles, les facteurs qu'il utilisera seront fortement énergétiques et faiblement chargés en information, mais lorsqu’il agira au niveau des valeurs, son contrôle tendra à des influences sur l'information plutôt que sur l’énergie. Là encore il convient de rappeler que cette conception repose sur la structure même du système général de l’action que nous allons d’ailleurs explorer à présent. L'action C’est en effet l’action, corollaire nécessaire de la connaissance humaine, qui fonde le soussystème social, en réponse à l’un des quatre impératifs fonctionnels qu’elle doit suivre pour sa propre efficacité, en l'occurrence celui de l’intégration. Mais le système général de l’action regroupe aussi d’autres sous-systèmes: 1. associés à la fonction d’adaptation, les organismes biologiques, 2. associés à la poursuite des buts, les personnalités, 3. associé à l’intégration, tel que nous l’avons mentionné, le système social, 4. et enfin, associée à la stabilité normative, la culture. En cela, rien de plus que ce que nous avions déjà introduit. Toutefois, il faut comprendre que la structure de l’action fonde celles de ses sous-systèmes selon le même ordre hiérarchique de contrôle cybernétique et que ce phénomène provient, au point de départ, des quatre contextes dans lesquels se situe toute action. Pour éclairer le lecteur, spécifions que l’action réfère à toute conduite humaine, individuelle ou collective, consciente ou inconsciente. Les termes d’action et de conduite sont pris au sens large, incluant non seulement les comportements observables mais aussi les pensées, les goûts, les sentiments et. les désirs. Toute action concrète est globale, c'est-à-dire qu’elle s'inscrit dans les quatre contextes à la fois et qu’elle résulte d’une interrelation de forces ou d’influences provenant de chacun d’eux. Ces contextes qui sont les sous-systèmes biologique, psychique, social et culturel que nous avons présentés, sont indissociables, sauf au plan analytique ou théorique. L’individu, quant à lui, est conditionné par les quatre contextes en même temps et il agit et réagit selon eux. C’est à ce stade qu’il est possible de comprendre dans son ensemble le concept de hiérarchie du contrôle cybernétique. L’étagement des sous-systèmes comme des impératifs fonctionnels qui leur sont adjoints, explique le degré de contrôle que peut exercer une variation voulue d’un sous-système. Il est d’ailleurs démontré que plus les variations s’exercent sur les sous-systèmes riches en information, plus leur ascendant est grand. Si, d’autre part, on ajoute à cette décomposition du système, ses unités structurales, on peut traduire notre pensée en ces mots : une variation voulue qui s’opère sur les valeurs possède un ascendant sur les autres composantes structurales, à savoir les normes, les collectivités et les rôles. En d’autres termes, nous noterions que la valeur “capitalisme” influe sur la coordination des États-Unis, sur les objectifs qu’ils se fixent et les moyens qu’ils utilisent pour les atteindre. Nous en arrivons naturellement au changement social, qu'il soit accidentel ou provoqué. Nous parlions en effet de variation voulue opérée sur un sous-système: Il nous semble possible qu’un ou des individus, particulièrement s’ils sont placés on ligne d’autorité, exercent et obtiennent des modifications du système, modifications qui, selon la pression exercée, seraient mineures ou majeures. C’est Parsons (1966) qui nous fournit une réponse certaine à cette préoccupation. En effet, le sociologue explique qu’il n’y a pas de différence théorique entre la sauvegarde du système et son changement. Selon lui, les processus sont les mêmes et ne font intervenir que les degrés différents de contrôle cybernétique. Cela explique sa classification des changements4 en deux types : les changements d’équilibre et les changements de structure. Guy Rocher (1968), exposant les travaux de Parsons (1951, l95~, 195L 1., 1956, 1961, 1966), explique que l’on entend par changement d’équilibre toute modification du système qui n’atteint pas les structures, Le concept d’équilibre est on effet la signification pratique des ajustements du système aux transformations, des sous-systèmes. D’un autre coté, le changement de structure qui résulte d’une accumulation de tensions croissantes entre des unités du système provoque une désintégration du système tout entier. Alors que le changement d’équilibre dissout les tensions qui n’affectent que des unités du système, par le biais de la fonction de stabilité normative, le changement de structure dissout le système, dont la nature entière est corrompue, à cause d’une « inappropriation» des valeurs significatives du système culturel aux autres sous-systèmes. Parsons (1966) complète cette définition par l'établissement d’un axiome qui donne préséance au culturel et aux valeurs sur la réalisation des objectifs collectifs. Par cette révélation, on comprend davantage la perspective de l’auteur vis-à-vis l’applicabilité de son modèle à des situations tant statiques que dynamiques: Nous faisons temporairement abstraction du concept d’ évolution à long terme que véhicule aussi la sociologie parsonienne. 4 Basé sur une différenciation entre les unités existantes et celles qui les remplacent pour assurer une plus grande efficacité et la viabilité du système, ce modèle privilégie toutefois le changement du système par le système et fait a priori abstraction d’une dynamique externe qui ne serait pas, loin de là, synonyme de continuité. Puisque d’ailleurs nous en sommes à ce stade, nous nous donnerons, sans plus tarder, l’occasion d’explorer plus à fond cette limite (et d’autres) du modèle. 2..2 Critique du modèle parsonien L'analyse qui se déroule dans cet essai a été amorcée dès septembre 1977. C’est dire, puisqu’elle fut alors développée dans le cadre théorique parsonien, que j’ai expérimenté les bons et les mauvais cotés du modèle choisi. La critique la plus courante que j’ai rencontrée concerne l’aspect très généralisateur de la sociologie de Parsons. À ce propos, Guy Rocher, qui s’en inspire beaucoup, note le caractère abstrait de l’approche parsonienne. Il faut croire que l’œuvre de Parsons a le défaut inhérent à sa qualité la plus universellement reconnue qui en fait l’élaboration la plus complète en matière de théorie générale de la sociologie. Le reproche provient des études de Walter Buckley (1967) qui, tout en reconnaissant l’utilité d’un modè1e systémique, a dénoncé la trop grande influence des modè1les d’équilibre mécanique et d’homéostasie biologique5 sur la théorie parsonienne: cela, pour les restrictions imposées par ces modèles à la compréhension de l'évolution à long terme de systèmes complexes. Loin de moi l’idée de m’opposer à ce reproche d’ordre technique, toutefois, comme le souligne Rocher (1968), Buckley s’est référé à des formulations de Parsons datant de 1951 (The social system) et, ce faisant, a négligé l’introduction de la cybernétique dans la théorie du sociologue, introduction qui a considérablement enrichi l’appréhension du changement social. En outre, et c’est là que réside pour nous le plus grand intérêt, nous ne croyons pas que, confrontés à un système extrêmement complexe dont nous voudrions examiner l'évolution à long terme, au sens sociologique de cette expression, notre examen souffriraient des critiques fonctionnelles du système parsonien telles que les présente Buckley. Dans des périodes de changements même prolongés, les changements d’équilibre et de structure successifs sont tout à fait décodables. À ce titre, le modèle parsonien demeure fort convenable. 5 Équilibre mécanique: équilibre des forces physiques en présence (par extension, de toutes les forces) Homéostasie biologique: Stabilisation des constantes physiologiques. Découlant de la première critique, une seconde, moins courante il est vrai, prétend que Parsons ne permet que difficilement de réaliser une analyse sociale, sans recours une théorie intermédiaire. Au risque de contredire les auteurs de cette critique, je déclarerai, au contraire, que je ne vois guère mieux qu’un sociologue et son modèle sociologique pour opérer une telle analyse. Je pense plutôt qu’il y a, dans ce cas, une confusion quant à l'utilisation ultérieure de l’analyse sociale. Si, en effet, cette analyse doit servir de tremplin à une étude d'un autre ordre quel qu'il soit, il faut admettre que les liens entre l’approche parsonienne et les théories des autres domaines culturelles ou organisationnels sont difficiles à faire et qu’alors, un modèle intermédiaire peut s’avérer nécessaire. Cependant, s’il subsiste un doute à ce propos, que l’on veuille bien considérer les éléments suivants: 1. le modèle parsonien respecte les deux axes, statique et dynamique, que nous avons cités, celui des structures sociales (notion de système social) et celui des actions sociales (système général de l’action); 2. ce faisant, il respecte la dimension structurale et la dimension cinétique de toute problématique; 3. le modèle, par le concept d’ordre hiérarchique de contrôle cybernétique intègre la notion du pouvoir telle que nous désirons la saisir; 4. par la reconnaissance des valeurs comme éléments structuraux qui précisent les cibles du système, c’est-à-dire ses orientations philosophiques présentes et à venir, dans le cadre de l’impératif fonctionnel de la stabilité normative, le modèle parsonien permet l'analyse de la philosophie sociale des individus en charge du système; 5. enfin, par son appréhension logique du changement social qui explicite la dynamique interne du modèle et autorise une analyse dans le cadre d’un programme de développement organisationnel, ce modèle théorique complète son adéquation aux circonstances. Est-ce à dire qu’il n’y a rien à reprocher à l’approche parsonienne? Je suis prêt à le garantir bien qu'il me reste effectivement une préoccupation, celle-là même que j’ai introduite au terme de la présentation du modèle : Parsons fait, a priori, abstraction d’une dynamique externe au système analysé dont les influences se feraient sentir jusqu’à l'obligation d’un changement structural du dit système. Ce que je veux signifier rejoint partiellement les deux premières critiques que j’ai exposées. Cependant cet avis est spécifique au cas où l'on aurait à expliquer, à l’aide du modèle parsonien, l’échec durant x années d’un programme ou d'une activité et, à l’aide du même modèle, de démontrer le succès potentiel à long terme de ce même programme ou de cette même activité. La difficulté apparente réside dans la conceptualisation des passages de changements d’équilibre à des changements de structure . Le découpage séquentielle des périodes de changements m'apparaît comme une réponse valable à cet argument. Pour avoir étudié, à l'aide du modèle parsonien et sur une base longitudinale de données ( 25 ans), l'évolution d'une structure culturelle, je puis en toute certitude garantir la fiabilité et la souplesse d'un modèle qui fait figure d'exception dans le domaine des analyses multidimensionnelles complexes.