Le bon vendeur

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Acireph
colloque octobre 2001
Compte rendu de l’atelier STT
Les sciences et technologies tertiaires, un domaine à explorer pour les profs de philo ?
Compte rendu de l’atelier STT :
LE BON VENDEUR
Sylvie Cordesse Marot, professeur d’économie et gestion en 1ère et
terminale STT au lycée Comte de Foix d’Andorre
Etre invitée en tant que professeur d’économie et gestion à ce colloque de l’ACIREPH m’a paru très
intéressant : en effet, majoritairement le public extérieur à nos sections connaît peu ce que nous
enseignons. Les sciences et technologies tertiaires sont souvent perçues comme une simple
accumulation de procédés et d’automatismes destinée à former des exécutants. Pourtant elles sont
constituées de théories, de méthodes et d’observations qui permettent d’analyser le monde et d’agir
dans des domaines spécifiques. Elles représentent un mode de pensée et d’action sur le monde. D’autre
part, j’ai supposé que les organisateurs avaient également le souci de mettre les professeurs de philo en
liaison avec les professeurs techniques.
Comment dans le cadre d’une heure et demie d’intervention au colloque faire pénétrer les professeurs
de philosophie dans cet univers de façon à attiser leur curiosité envers ces disciplines et éventuellement
changer leur regard sur nos enseignements ? En les interpellant sur quelques représentations-clés des
technologies tertiaires.
I Quelles interpellations apporter au colloque ?
a) Les sciences et technologies tertiaires sont d’authentiques domaines de culture. En effet, elles
étudient le fonctionnement des organisations grâce à des ensembles d’idées, de faits et de
théories. Parmi eux, certains ont une image relativement positive liée à la manipulation des
chiffres (la gestion, la comptabilité, la finance seraient ennuyeuses et difficiles mais sérieuses) ;
d’autres sont franchement dévalorisés comme le marketing (action et communication
commerciales en termes scolaires) qui serait facile et plaisant mais peu sérieux et donc réservé à
un certain profil d’élèves peu impliqués dans leurs études.
Il n’y a pas de champ de culture qui mérite d’être dévalorisé. Hiérarchiser les sciences par
rapport aux lettres ou aux techniques et les techniques entre elles n’a aucun sens. Ce
classement ne peut servir qu’à justifier des dominations sociales.
b) Les contenus des technologies tertiaires sont particulièrement peu connus des non spécialistes.
Autant les technologies industrielles ont une certaine légitimité et servent de référence quand il
est question de technique, autant les savoirs commerciaux ou comptables semblent peu
intéresser le grand public. Or ces domaines valent la peine d’être explorés.
c) Les collègues des disciplines d’enseignement général assimilent souvent l’apprentissage des
techniques à la pratique des techniques. Par exemple j’entends dire en salle des profs que
pendant les cours de comptabilité on refait toujours la même chose. Pourtant comme en anglais
ou en physique lorsqu’on travaille un concept de gestion, on va le présenter aux élèves, proposer
quelques exercices d’application puis quand la notion est assimilée on aborde un autre point du
programme. L’apprentissage d’une technique est totalement différente de sa mise en pratique
puisque le comptable qui enregistre des factures va effectivement répéter de nombreuses fois
une opération qu’il maîtrise parfaitement.
d) La formation de l’esprit critique de l’élève et du citoyen passe par une démarche pédagogique qui
lui permet d’être partie prenante de sa formation. Ecouter passivement des savoirs pré digérés
en sachant qu’il faudra les réciter tels quels un peu plus tard me semble aussi aliénant en
techniques administratives qu’en histoire ou en philosophie. Ma pratique de l’enseignement du
marketing en terminale STTACC et de l’économie et du droit en 1ère STT me démontre tous les
jours qu’il n’y a pas de discipline plus formatrice qu’une autre. Parfois j’arrive à faire vivre aux
lycéens des situations de recherche porteuses qui vont les inciter à construire des concepts et à
réfléchir sur leurs limites et d’autres fois mes dispositifs ne fonctionnent pas. Ces difficultés sont
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Compte rendu de l’atelier STT
sans lien avec la nature de la matière que j’enseigne. Il est arrivé que des élèves sortent de mon
cours de marketing en disant : « on réfléchit tellement ici qu’on a presque mal à la tête en
sortant ».
II Comment interpeller ?
J’ai choisi d’essayer de mettre les collègues de philo un peu brutalement en situation d’élèves de
terminale STT ACC afin qu’ils découvrent brièvement un aspect d’un champ de culture
technologique. Je souhaitais qu’ils réfléchissent directement sur le contenu de formation des
lycéens. J’ai cherché un thème qui reflète bien les principes de base de marketing1 qui sont l’écoute
des clients ou des marchés, l’analyse des besoins réels (qui diffèrent souvent des demandes
exprimées), et l’adaptation de l’offre à ces besoins.
J’ai volontairement sélectionné un sujet peu théorique, écartant tout travail chiffré afin d’aborder un
domaine de savoir peu prestigieux. Mon pari était : « si les stagiaires comprennent que le marketing
peut contribuer à la formation de l’homme et du citoyen, leur regard évoluera aussi sur toutes les
autres branches tertiaires. » J’ai choisi de proposer aux participants de vivre une séquence de travail
animée quelques jours plus tôt en classe « l’entretien d’achat vente » en le centrant sur le problème
« qu’est-ce qu’un bon vendeur ? »
J’ai proposé un dispositif de pédagogie active suivi d’une discussion collective pour plusieurs
raisons :
1) La pédagogie active est très répandue en STT. Les recommandations officielles incitent
fortement les enseignants d’économie et gestion à la pratiquer. Le travail de groupe est valorisé,
la nécessité de développer l’autonomie, l’initiative et le sens des responsabilités est énoncée. De
plus nous disposons de plages horaires souvent longues, peu propices aux cours traditionnels.
Cependant la pédagogie active ne se confond pas forcément avec une démarche pédagogique
positive : bon nombre de professeurs s’appuient sur ces consignes pour enliser leurs élèves
dans des suites d’exercices répétitifs tirés de pochettes de travaux dirigés d’éditeurs où toutes
les réponses sont prévues à l’avance, où les concepts ne sont jamais questionnés. Pratiquer une
pédagogie active en STT fait l’unanimité ; mais à travers quels contenus, quels enjeux et quelles
procédures ?
2) Pour moi, construire un concept (ici celui du bon vendeur) et réfléchir sur ses limites passe par
une démarche active d’auto-socio-construction du savoir. La plage horaire courte dont je
disposais pouvait permettre d’interpellation sur ce thème plus qu’une réelle séquence
d’apprentissage.
3) J’attendais de la discussion que chaque stagiaire s’exprime sur ce qu’il avait appris concrètement
au cours de cette séquence ; qu’il réfléchisse sur la nature de ce champ culturel. Enfin qu’il
évalue l’impact du dispositif proposé, ses limites et l’intérêt de cette méthode pédagogique.
1
Voir les encadrés ci-dessous.
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III Quel déroulement de cette séquence ?
Le tableau suivant récapitule les consignes de travail et une analyse rapide des grandes étapes du
travail réalisé.
Commentaires
Cette courte phase d’écriture est une
amorce à la réflexion. Elle permet l’énoncé
des représentations individuelles.
25 mn
Cette séquence exige une implication
physique et émotionnelle de la personne ce
qui doit favoriser par la suite l’apprentissage
de savoirs. Les participants expriment ici
leurs représentations sur la vente ce qui va
permettre leur mise en travail.
10 mn
Cet ensemble de mots mis en commun
permet de contextualiser le problème puis
de dépasser les représentations sousjacentes. Il sert de référence commune
pendant la discussion.
Rapidement je communique aux stagiaires ce qui s’est passé en classe : j’ai relevé les
qualificatifs concernant le bon et le mauvais vendeur. Puis les élèves ont élaboré sur
transparents des catégories de vendeurs (des bons et des mauvais) qu’ils ont nommées et
présentées à l’ensemble de la classe. La discussion a fait émerger les éléments de cours
suivants :
Le bon vendeur est celui qui sait écouter le client : il est capable de détecter la vraie demande et
de proposer le produit le plus adapté. Il maîtrise des outils pour conduire l’entretien : typologies
de clients, phases de la vente2, etc. Il connaît bien son produit. Il a un comportement adapté et
positif. Son objectif est plutôt de fidéliser le client à long terme que de vendre immédiatement.
Une bonne formation est essentielle.
1 heure
Phase 4 Discussion
La difficulté d’animation de cette phase est
Qu’avez-vous appris sur les techniques de d’éviter les fuites devant les problèmes
vente ? Comment avez-vous vécu le dispositif ?
posés et qui dérangent : former des
A la fin projection des transparents des élèves.
personnes qui analysent, et théorisent grâce
total :
1h45
à l’intérêt de ce champ culturel, la nécessité
de pratiquer la construction du savoir.
10 mn
Consignes de travail
Phase 1 « La vente, à quoi ça sert ? »
Travail individuel d’écriture ; faire circuler les
papiers pour mettre en commun rapidement.
Phase 2 : Jeux de rôles
Deux groupes doivent présenter un jeu de rôles
montrant un bon vendeur et deux groupes
joueront le mauvais vendeur.
Préparation en groupes puis jeux devant tout le
monde.
Phase 3 Une « provision » de mots
Tour de table : chaque stagiaire donne les
caractéristiques du bon vendeur. J’inscris tous les
mots sur un tableau.
IV Quelles productions ont été réalisées ?
L’évolution de la séquence a été ponctuée par des basculements successifs par rapport à la vision
positive ou négative de la vente. Le pôle négatif est caractérisé par l’idée que la vente est une arnaque ;
le pôle positif refléte l’idée que la vente est un service rendu au client. Dans la première approche la
vente est considérée comme le nœud du système capitaliste, dans la deuxième comme un rouage parmi
d’autres de ce système. Comme en classe, lors des phases collectives (travaux de groupes et
discussion) la mise en évidence de contradictions a été fortement marquée par des rapports de force
entre les interventions et des prises de pouvoir dans les groupes.
Phase 1 : « La vente, à quoi ça sert ? » Travaux d’écriture individuels
J’imaginais que les professeurs de philosophie imprégnés des idées de Platon et Aristote exprimeraient
surtout le rejet de l’activité commerciale en tant qu’immorale. Les écrits sont plus nuancés.
Présentation d’extraits de textes de stagiaires :
2
Accueil, découverte des besoins par des questions (le vendeur cherche les décalages entre la demande exprimée et le besoin
réel, il analyse les motivations), présentation des produits susceptibles de satisfaire les besoins réels et argumentation adaptée à
la personnalité du client, objections du client (le vendeur doit décrypter les objections sincères ou non et fondées ou non) et
réponse aux objections, enfin conclusion de la vente, règlement éventuel et fin de l’entretien en rassurant le client sur son achat
le cas échéant.
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Le point de vue peut être économique : « La vente sert à l’échange des produits du travail ».
« A remplacer le troc, c’est plus pratique ».
Certains présentent bien le vendeur au cœur d’un système. « La vente sert à satisfaire les
besoins ou les désirs d’un acheteur grâce à ce que peut offrir un vendeur, vendeur à qui la
vente permet de vivre c’est à dire de satisfaire par l’achat ses propres désirs et besoins par
l’intermédiaire d’un autre vendeur. Mais peut être qu’en fait la vente sert à satisfaire la
cupidité du vendeur en profitant de la naïveté d’un acheteur qui croit désirer ce qu’il achète ».
« La vente présuppose un certain système d’échanges et donc une certaine relation entre au
moins deux personnes. Pour qu’il y ait vente il faut également un objet x qui va déterminer la
relation entre les deux personnes, la première devenant alors le vendeur de l’objet x et la
seconde le client. »
D’autres posent le problème des rapports entre vente, besoins et désirs. « La vente est
l’envers de l’achat. Si l’achat a un sens (il faut posséder les produits dont on a besoin) alors
la vente a un sens quand elle répond à des besoins. Elle en a moins quand elle les crée car
alors elle n’a pour but que de développer la production de l’entreprise. » « Vendre c’est
réveiller un désir plus ou moins inconscient ou créer un désir qui n’existait pas encore chez le
futur acheteur ; dans le cas extrême faire désirer quelque chose de totalement inutile voire
nuisible ». « La vente a deux fonctions : pourvoir d’un bien, d’un service une personne qui en
ressent l’utilité, le besoin. Réaliser un profit matériel de cette transaction. »
Enfin quelques textes sont résolument négatifs : « ça sert pour l’acheteur à se procurer ce
dont il croit avoir besoin, pour le vendeur à garder son job, pour le producteur à enrichir son
entreprise et à faire preuve de sa puissance ». « Cela ne sert pas à grand chose de bien
sinon à convaincre un interlocuteur » « A gagner de l’argent pour soi-même, pour un autre, à
se débarrasser de ce dont on ne veut plus chez soi, à faire acquérir par les acheteurs (le
peuple) ce qu’on veut qu’il possède ».
Phase 2 : Jeux de rôles : le mauvais vendeur et le bon vendeur
La préparation des jeux de rôles est essentielle : elle permet des discussions de fond en petits groupes.
Le sujet incontournable est bon vendeur par rapport à quoi ? A l’intérêt du client ? De l’entreprise ? De la
société entière ? La consigne de jouer devant le grand groupe est à la fois ludique et difficile. Le jeu crée
des liens forts entre les participants mais il exige une implication du corps qui est particulièrement
désécurisante.
Trois groupes sur quatre ont présenté une scène. Le groupe qui s’est abstenu avait la mission du bon
vendeur qui est bien plus difficile à élaborer que celle du mauvais parce qu’elle oblige à rompre avec les
représentations dominantes.
a) Compte rendu des jeux de rôles :
Situation 1 : le mauvais vendeur est grossiste en produits de sport. Des clients veulent lui
acheter cinquante tutus. Le vendeur dénigre son produit. Il refuse de bouger. Il décourage
ses clients.
Situation 2 : le mauvais vendeur travaille dans un magasin d’articles pour sourds. Le vendeur
passe son temps au téléphone dans une conversation privée. Il n’a pas le produit commandé.
Il n’écoute rien.
Situation 3 : Le « bon vendeur » dans une célèbre grande surface d’électroménager accueille
une cliente qui vient récupérer l’aspirateur qu’elle avait apporté à réparer. Elle doit repartir
sans sa machine mais l’amie qui l’accompagne fait l’acquisition imprévue d’un lave vaisselle.
Un des vendeurs apparaît comme un bon technicien, il connaît bien son produit, il est
convaincant. Il procède activement à la vente forcée.
b) Analyse des jeux de rôles :
Les jeux de rôle du mauvais vendeur font apparaître en négatif les qualités du bon vendeur : l’intérêt
pour le client, la disponibilité, la connaissance du produit. La saynète du bon vendeur montre des
professionnels roublards et manipulateurs.
La diversité des approches des textes produits dans la phase 1 a disparu : le jeu de rôles fait émerger
des représentations moins abstraites et plus émotionnelles que l’écriture. Pour l’essentiel, les scènes
dénoncent les abus de la vente. Les phases suivantes vont permettre un retournement de l’approche
collective.
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Phase 3 : La provision de mots
J’écris tous les qualificatifs du bon vendeur sous la dictée des stagiaires, sans discuter ni classer. Ces
adjectifs reflètent à nouveau des approches diverses aussi bien positives que négatives. Ils sont
significatifs d’une certaine culture du groupe.
« Le bon vendeur doit vendre n’importe quoi à n’importe qui. Il est patient, aimable,
convaincu, disponible, diplomate, efficace, rhétorique, psychologue, sans scrupules, de
mauvaise foi, rusé, flatteur, pas collant, franc, il connaît son produit, il est séducteur,
séduisant, perspicace, intuitif, bien habillé, pas trop habillée (femme), crédible, complice, pas
cooljeuniste, observateur, convaincant, pas raciste, attentif, souple, type européen,
souriant. »
Les mots apportés par mes élèves étaient plus crus, moins corrects et plus axés sur les
caractéristiques physiques. Ils reflètent bien les problèmes de langue liés au trilinguisme du
pays. Par exemple : « gentil, il ne se ronge pas les ongles, il ne se tripote pas et ne tripote
pas les clientes, il n’a pas mauvaise haleine, bien tenu, ne fait pas attendre, il montre ce qui
peut t’aller, il négocie le prix, il parle la langue du client, travailleur, etc. »
Les modèles théoriques sont très riches sur ce sujet. Lendrevie et Lindon 3mettent l’accent
sur quatre qualités de base : l’ego ou besoin ardent de réussir, l’empathie ou sens
psychologique qui est presque opposée à l’ego, un aspect physique agréable et un sens
développé de l’organisation. Marc Corcos4 met l’accent sur le niveau de l’intérêt que le
vendeur porte à son produit et à son client. Il montre qu’en possédant des qualités identiques
un vendeur peut être efficace ou inefficace. Par exemple, un vendeur portant un fort intérêt
pour le produit et un faible intérêt pour le client sera soit « dynamique et super-technicien »
soit « agressif ou haute pression ». S’il montre des dispositions moyennes dans ces deux
domaines, il sera soit « réaliste ou débrouillard » soit « manipulateur ou roublard ».
Ces classifications sont unanimes pour démontrer que le bon vendeur est celui qui écoute le
client et qui connaît bien son produit. Ces qualités lui permettent de privilégier la fidélisation
du client et non l’achat immédiat.
Phase 4 : La discussion collective
Je souhaitais que les participants échangent sur ce qu’ils avaient ressenti au cours des différentes
étapes du travail, qu’ils réfléchissent sur ce qu’ils avaient appris sur le métier de vendeur, qu’ils
questionnent les consignes de travail proposées. Pendant toute la discussion j’ai essayé de recentrer le
débat sur la dimension formatrice (ou non) de jeux de rôles, sur l’intérêt du champ culturel du marketing.
Par la suite, en analysant les productions réalisées, je me suis rendu compte que tous les germes
étaient présents pour que ces thèmes soient abordés. Pourtant, la première partie de la discussion a
porté essentiellement sur la dénonciation de la vente et sur le manque d’éthique des vendeurs5. Ensuite
une intervention a renversé la situation et enfin d’autres approches ont pu s’exprimer. J’ai été étonnée
de l’importance des prises de pouvoir dans le débat. Elles ont permis l’expression parfois passionnée
des contradictions.
Au cours de la discussion, j’ai ressenti que les professeurs de philosophie se situaient entre deux
extrêmes par rapport à leurs collègues d’économie et gestion : à un pôle ils se considèrent comme
porteurs (peut être exclusifs ?) d’éthique6, à l’autre ils cherchent à explorer ce qui peut être formateur
dans ce champ culturel.
a) Quelques éléments de la première partie de la discussion:
3
dans le Mercator éditions dalloz
dans Les techniques de vente qui font vendre aux éditions Dunod
5
A ce sujet, la revue française du marketing a publié un numéro spécial passionnant marketing et éthique n°153-154 1995 ; la
revue française de gestion a également édité sur ce thème un dossier éthique et pratique de la gestion n°74 juin, juillet, août
1989
4
Alors qu’une partie de l’assistance dénonçait vigoureusement les limites de l’éthique du vendeur, j’ai été étonnée que
personne ne se questionne sur le fait que le colloque était sponsorisé (bien légitimement à mes yeux) par une société privée !
Sur ce thème, le livre de Naomi Klein No logo Editions Actes Sud 2001 dénonce la tyrannie des marques et s’inquiète du poids
grandissant des firmes sur toutes les formes d’éducation sous prétexte d’activités de parrainage !
6
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Compte rendu de l’atelier STT
« L’éthique du vendeur entre en collision avec l’enseignement du professeur de philosophie.
Sa formation pose le problème de la VERITE et de la RESPONSABILITE. En effet, le
marketing n’enseigne pas au vendeur à dire toute la vérité. Parce que sa préoccupation est
de dégager du profit, le vendeur ne donne que les arguments qui mettent son produit en
valeur. Par exemple un produit peu durable est présenté plutôt sous l’angle de son prix
avantageux alors qu’un produit cher sera plutôt montré comme durable. La philosophie
s’oppose à toutes les valeurs de l’entreprise et du marketing. En STT il faudrait enseigner aux
élèves qu’il vaut mieux démissionner de son poste de vendeur plutôt que d’accepter de
vendre des produits de mauvaise qualité. Le professeur de philosophie est hors de la société
capitaliste. Son rôle devrait être de casser tout ce que les élèves apprennent en
enseignement technologique. Est-ce viable ? »
b) Une intervention fait basculer le débat
« Le débat est en train de faire porter toute la responsabilité du système capitaliste sur les
épaules du vendeur. Le vendeur, comme l’enseignant n’est qu’un rouage de cette société. Il y
a un préjugé philosophique contre les métiers du commerce. Le bon vendeur est un vendeur
formé qui sait écouter son client et répondre à son besoin réel. Valoriser le champ de
formation tertiaire est essentiel. Contrairement aux techniques industrielles les formations
tertiaires ont beaucoup de mal à acquérir une légitimité parce qu’on sous estime la richesse
de ce champ culturel. »
C) Quelques éléments de la deuxième partie de la discussion:
« La démarche pédagogique suivie ici est très impliquante. Elle pourrait être adaptée à un
cours de philosophie. En enseignant le marketing, on peut essayer de développer l’esprit
critique. Quand les élèves conçoivent des catégories de vendeurs, qu’ils les confrontent à un
cours, ils apprennent à problématiser et à conceptualiser. Même quand ils enseignent en STT
les profs de philo assimilent dans leur cours la technologie à l’artisanat ou aux technologies
industrielles. Il faut nous intéresser davantage à ce qu’enseignent les collègues d’économie
et gestion. C’est facile de trouver des échos entre le programme de philo et celui d’économie
droit. Il faudrait prendre conscience de nos préjugés et aborder aussi les contenus
technologiques. Nous devons reconnaître l’utilité sociale du vendeur. C’est intéressant de
questionner l’éthique de la vente en philosophie, mais ne nous privons pas de réfléchir sur
nos pratiques en cours de philosophie : construire un cours, c’est chercher l’essentiel mais
c’est aussi évacuer les parties qui paraissent trop difficiles ou celles où on se sent
incompétent. Alors la VERITE pour nous ? »
Cette phase d’exploitation n’a pas vraiment induit une analyse réflexive du dispositif puisque les
stagiaires n’ont pas évalué pas à pas l’évolution de leur pensée. Le professeur qui essaie d’initier ses
élèves à la métacognition rencontre le même type de freins. La construction de concepts propres à la
formation du vendeur a été survolée. J’ai senti un changement de regard sur l’action et la
communication commerciales et au delà sur les technologies tertiaires et une certaine curiosité pour la
richesse de ce champ culturel.
V Critique du dispositif mis en place
Le peu de temps dont je disposais m’a contrainte à faire des choix dans les travaux proposés.
J’ai animé ce dispositif sur une plage horaire plus longue dans deux situations :
En classe, les élèves ont classé les qualificatifs des vendeurs et ils ont donné un titre à chaque
catégorie.
Exemple de productions d’élèves :
Le mauvais vendeur :
Jérôme, Olga, Sliman
Vendeur agaçant : collant, tripote, ronge les ongles, fait attendre, désordonné
Vendeur fêtard : fume, pue, mauvaise haleine, rote, orgueilleux, fainéant
Vendeur méchant : ne fait pas son métier, orgueilleux, insulte, insolent, impatient, pas poli, se fiche du client
Vendeur mal dans sa peau : paranoïaque, n’articule pas, a des tics, agressifs, nerveux.
Le bon vendeur :
Vendeur dans l’âme : attentif, gentil, bien tenu, poli, patient
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Vendeur sûr de lui : actif, connaît bien son métier, souriant, il n’a pas honte, crâneur
Vendeur timide : sincère, souriant, maladroit, qui ne se trompe pas, gentil, ne colle pas, patient
Vendeur formé : ponctuel, bien élevé, aimable, poli, intéressé, résout tout
Cette réflexion les a incités à se poser des questions essentielles pour l’appropriation du cours sur la
formation du vendeur et les techniques de vente. Par exemple, « Le bon vendeur préfère t’il vendre un
produit peu adapté à son client ou rater une vente immédiate pour fidéliser le client ? » « Est-ce qu’on
naît vendeur ou est-ce qu’on le devient ? » « Un bon vendeur est-il bon pour tous les clients ou
seulement pour certains ? ». Ces questions ont permis la mise en travail des concepts : les typologies
des clients7, les phases de la vente8, les différentes situations de vente9, les documents d’aide à la
vente10, etc. De plus le problème du niveau de langage a été posé par les lycéens : comment expliquer
les mêmes idées au baccalauréat mais dans un langage soutenu ?
Plus récemment, j’ai eu l’occasion d’animer un dispositif proche auprès d’une quinzaine de professeurs
de mon lycée. Je demandais à chaque groupe (comme à mes élèves) de jouer d’abord le mauvais
vendeur, puis le bon. Cette contrainte a obligé les participants à travailler le basculement d’une situation
à l’autre donc à faire un travail d’analyse constructif dès le travail de groupe.
A la fin de la séquence, j’ai demandé un travail d’écriture cherchant les parallélismes entre bon vendeur/
bon professeur et mauvais vendeur / mauvais professeur. La discussion qui a suivi a montré toute la
dimension éthique du métier de vendeur mais aussi de celui d’enseignant. Le dispositif est donc porteur
de ce questionnement.
L’Education Nationale incite ses enseignants à travailler de façon transversale, notamment au travers de
la mise en place des TPE11. Les professeurs d’économie et gestion peuvent bénéficier d’un travail avec
les collègues de philosophie, notamment grâce à leur approche de la technique, à leur questionnement
sur l’éthique et à leur pratique de l’enseignement de l’écriture de textes argumentatifs. Inversement, les
professeurs de philosophie peuvent découvrir des domaines de culture passionnants dans les sciences
et technologies tertiaires. Le marketing dominant concerne actuellement le secteur marchand.
Cependant le marketing non marchand12 se développe. Par exemple, de plus en plus les associations
s’emparent des outils et des méthodes du marketing pour induire des comportements ou faire connaître
des idées et des actions.
En organisant des colloques réunissant des centaines de participants, l’ACIREPH démontre des
compétences certaines pour déceler les besoins de ses adhérents et les satisfaire.
Faire avancer des idées progressistes sur l’enseignement de la philosophie passe peut être par une
démarche de marketing non marchand ?
7
La typologie la plus répandue est « SONCAS » qui distingue six types de motivations : le client peut être « Sécurité »,
« Orgueil », « Nouveauté », « Confort », « Argent », « Sympathie ». Le vendeur adaptera ses arguments et son vocabulaire à
la tendance décelée chez son interlocuteur.
8
Voir note antérieure ;
9
La vente sera influencée par le lieu où elle se déroule (magasin, domicile, entreprise, exposition ou salon) et par les
interlocuteurs (particulier, distributeur, l’acheteur professionnel).
10
Par exemple l’argumentaire est un document sous forme de tableau qui regroupe les caractéristiques techniques et
commerciales du produit, les avantages qu’il présente par rapport aux besoins et à la concurrence.
11
Travaux professionnels encadrés.
12
A ce sujet : Quentin Wodon 1993 Marketing contre pauvreté Editions de l’atelier ; Jean Di Sciullo 1988 Marketing et
communication des associations Ed Juris services(guide pratique de Juris associations).
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Compte rendu de l’atelier STT
Extraits de Le Mercator, théorie et pratique du marketing Lendrevie et Lindon éditions Dalloz
1991
La fonction principale de l’entreprise n’est plus de produire avec pour obligation accessoire d’écouler
sa production, mais de vendre afin de pouvoir continuer à produire. Dans cette nouvelle optique, le
marketing, c'est-à-dire tout ce qui concourt à la création, à la conservation et à l’élargissement de la
clientèle de l’entreprise (…) devient la fonction primordiale de l’entreprise, celle qui plus que toute
autre, conditionne sa survie, sa prospérité et sa croissance. (…) Les entreprises ont pris conscience
peu à peu de ce que pour conserver et développer leurs marchés, il ne suffit pas de chercher à écouler
une marchandise déjà produite, à un prix déjà fixé. Il faut avant même de la produire et de la concevoir
s’assurer qu’elle disposera d’une clientèle. Mieux encore, il faut partir de l’analyse des besoins du
marché pour décider ce que l’on va produire et du prix auquel on le vendra. On s’est aperçu en outre
que, pour la plupart des produits, la conservation d’une clientèle fidèle suppose que les acheteurs
soient pleinement satisfaits de leurs achats. (…)
[Le marketing s’applique aussi] aux organisations des secteurs non marchands qui ne sont pas des
entreprises, qui n’ont pas de produits à vendre et dont l’objectif n’est pas de gagner de l’argent. (…)
Plutôt que de vendre des produits, il faut parler de promouvoir des comportements.
(…) L’attitude marketing se caractérise par le souci de connaître le public pour mieux s’y adapter et
pour agir sur lui plus efficacement. (…) Cette attitude n’est pas naturelle. Les responsables des
entreprises doivent constamment se faire violence pour ne pas céder à la tentation de prendre leurs
décisions en fonction principalement de leurs idées préconçues, de leurs convictions et de leurs désirs.
Ils doivent faire un effort permanent pour voir le consommateur tel qu’il est et s’y adapter.
(…) Dans le domaine du marketing les modèles qui sont toujours symboliques, ont pour objet de
rendre explicites et si possible rigoureuses les représentations implicites, vagues et incertaines, que se
font le plus souvent les hommes de marketing des phénomènes ou des systèmes auxquels ils
s’intéressent. C’est ainsi par exemple que le vendeur se fait une certaine idée de la psychologie et des
réactions de sa clientèle. Mais cette idée est généralement vague, non formulée et par conséquent
non communicable ; elle ne constitue donc pas un modèle. Elle le devient lorsqu’elle est formulée, par
exemple, sous forme d’une segmentation de la clientèle en fonction de critères précis de
comportement. (…)
Le développement des modèles de marketing (…) conduit certains théoriciens à revendiquer pour leur
discipline le statut d’une science à part entière. (…) Le marketing s’est ouvert largement et peut
s’ouvrir plus encore à l’application de diverses méthodes scientifiques et surtout de l’esprit scientifique.
(…)
La plupart des programmes sérieux de formation à l’entretien de vente se fondent sur les principes
simples suivants :
1 Le vendeur doit en permanence être à l’écoute de son interlocuteur et doit lui poser de nombreuses
questions, plutôt que de procéder seulement par affirmations.
2 Le vendeur doit mener son entretien de manière progressive, en obtenant successivement une série
d’adhésions partielles de la part du prospect de façon à ce qu’il n’y ait pas de rupture ou de tension
mais au contraire un continuum insensible entre les étapes préalables et la conclusion de la vente ;
3 Pour pouvoir appliquer efficacement et sans maladresse ces deux principes, il faut (…) que le
vendeur les ait intériorisés, c'est-à-dire qu’à force d’entraînement il soit parvenu à les appliquer
naturellement (…) Cela suppose qu’il ait reçu une formation prolongée.
Extraits de Le Marketing selon Kotler Philip Kotler éditions Village mondial 2000
Confondre Marketing et vente est une erreur courante commise non seulement par le grand public
mais aussi par maints gestionnaires. Bien sûr le marketing comprend la vente mais il va bien au-delà.
Peter Drucker a dit que « le but du marketing, c’est de rendre la vente superflue ». Ce qu’il a voulu
dire, c’est que le rôle du marketing est de découvrir des besoins insatisfaits et de proposer des
solutions satisfaisantes. S’il y parvient, la clientèle est convaincue ; elle croit au nouveau produit, en dit
du bien et réduit ainsi l’effort de vente. Le marketing ne peut se limiter à la vente, car il intervient bien
en amont, avant même que le produit soit élaboré. Son rôle est de qualifier les besoins, d’en mesurer
l’étendue et l’intensité et de voir si une opportunité commerciale y correspond.
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