COMPTES RENDUS Mauricio SEGURA, Janusz PRZYCHODZEŃ

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Ethnographie - Fictions? 28-3, 2004
Ethnography - Fictions? 28-3, 2004
Etnografia -Ficciones? 28-3, 2004
COMPTES RENDUS
Mauricio SEGURA, Janusz PRZYCHODZEŃ, Pascal BRISSETTE, Paul CHOINIÈRE et Geneviève
LAFRANCE (dir.), Imaginaire social et discours économique. Montréal, Département d’études
françaises de l’Université de Montréal, 2003, 148 p., réf.
D’entrée de jeu, il convient de préciser que l’ouvrage dont il est question ici n’a pas de prétentions
anthropologiques explicites. Son ancrage disciplinaire et théorique y est clairement établi par les
auteurs comme appartenant à l’analyse socio-discursive et à la veine sociocritique des études sur
l’imaginaire social. L’ambition des auteurs est d’y analyser « le regard oblique que jette la littérature
sur la vie économique » (p. 8) et, plus précisément, les contextes discursifs qui ont conditionné la
méfiance de plusieurs littéraires, par ailleurs forts différents, face à l’argent.
Les textes de la première partie portent sur les représentations critiques du capitalisme dans des
œuvres littéraires québécoises et françaises. La dépossession de Menaud, maître draveur et l’avarice
chez Un homme et son péché sont ici mises en regard par Janusz Przychodcheń ; Anne Caumartin
aborde la critique de la société de consommation dans l’œuvre de Jacques Godbout ; Marc Angenot y
fait un survol érudit du rapport à l’argent dans la littérature française du XIXe siècle et Mauricio
Segura revient sur la critique de la société de consommation, mais dans le contexte français des années
soixante. Il n’est pas possible ici de résumer les contributions importantes de chacun de ces textes,
mais tous traitent de ces « apories de l’argent » (Przychodzeń) qui entrent dans les consciences et
deviennent agents de servitude. Angenot note bien que la littérature peut devenir un site de résistance
par rapport à ces discours et à ceux qui les véhiculent, comme elle l’a été lors de la grande expansion
capitaliste du XIXe siècle. Caumartin et Segura montrent également que les discours critiques face à
l’argent et la spirale de la consommation qui lui donne une valeur sociale toujours plus grande,
peuvent connaître une flambée même dans les sociétés dites « d’abondance ».
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Sylvain David, Johann Sadock et Olivier Parenteau examinent
tour à tour des œuvres littéraires qui entrent en résonance avec les écrits anthropologiques pour relever
l’envers de cette abondance imaginaire, c’est-à-dire certaines représentations de l’« indigent ».
L’intérêt que porte la discipline anthropologique à la pauvreté et à sa description détaillée semble lui
avoir fait oublier un aspect important de ce phénomène, celui de la construction imaginaire de ces «
pauvres » par ceux qui ne le sont pas. En fait, une lecture sociocritique des travaux d’Oscar Lewis, ce
Zola anthropologique, serait probablement fort instructive quant au rôle que les anthropologues ont
eux-mêmes joué dans cette construction du pauvre et de sa culture. Et ce serait une contribution
importante à l’inventaire des « figures de l’indigent » amorcé par les auteurs de cette section à partir
de matériaux littéraires.
La troisième partie de l’ouvrage quitte un peu la question des constructions et représentations
discursives de divers tropes économiques en littérature ; elle se penche plutôt sur l’analyse sociale de
l’« économie » de l’acceptation et sur la diffusion des auteurs et des ouvrages littéraires. Le texte de
Michel Lacroix, intitulé « Des formes de capital dans les sociabilités littéraires », particulièrement
intéressant, analyse comment le capital social se convertit en capital symbolique, voire en capital
économique, dans les cercles mondains parisiens du début du XXe siècle. Anthony Gliboer, pour sa
part, poursuit cette réflexion sociale en se penchant sur les réseaux littéraires privés. Il s’attarde à
l’imbrication de stratégies textuelles et de stratégies institutionnelles que révèlent les poésies dites «
cénaculaires » (diffusées par leurs auteurs à travers cénacles et salons pendant la période romantique
en France), pour en arriver à décrire le fonctionnement de ces réseaux de reconnaissance mutuelle – si
importants pour les carrières de l’écrit.
La dernière section du livre retourne à des études davantage centrées sur le contenu des œuvres
littéraires et examine le langage du don (et le don de langage) dans Delphine de Madame de Staël
(texte de Geneviève Lafrance) et dans La fille errante (texte de Florence Ogilvy-Magnot). Encore une
fois, voir la question du don traitée par des littéraires, et par des méthodes littéraires, peut devenir une
invitation au dialogue entre deux champs d’études qui, malheureusement, se croisent encore trop peu
souvent.
La lecture de cet ouvrage à travers la lentille des problématiques anthropologiques peut s’avérer fort
stimulante et dynamisante. Ce que les auteurs font pour le discours économique dans le roman pourrait
stimuler l’analyse d’autres types de discours qui, eux, seraient plus proches des matériaux
ethnographiques traditionnels. Les anthropologues vivent dans des sociétés, et étudient des sociétés, où
les revenus monétaires ont souvent acquis une grande importance dans la vie des gens, et où les
discours sur ces thèmes abondent. Pourtant, dans une discipline qui accorde une grande place aux
études sur l’économie en tant que relation sociale, les anthropologues semblent, paradoxalement,
éprouver une certaine réticence à se pencher sur les discours qu’articulent leurs informateurs à propos
de l’argent ; à tel point que l’on serait en droit de se demander si la discipline anthropologique, comme
le champ littéraire, n’aurait pas elle aussi hérité de cette « antique peur de l’or » dont traite Angenot (p.
35).
L’ouvrage présenté ici nous permet d’attaquer de front la question du rapport discursif et imaginaire à
l’argent. Le concept d’imaginaire social, qui était quelque peu en dormance depuis le milieu des
années quatre-vingt et qui semble reprendre du service en philosophie (Taylor 2004), en études
littéraires (dans le présent ouvrage par exemple) et chez les anthropologues sociaux se disant «
poststructuralistes » (par exemple Escobar 1998), peut devenir un pont intéressant pour entreprendre le
type de dialogues auxquels nous invite implicitement cet ouvrage. Imaginaire social et discours
économique est donc un livre dont la fécondité théorique peut facilement dépasser le champ des études
littéraires.
Références
ESCOBAR A., 1998, Encountering Development. Princeton, Princeton University Press.
TAYLOR C., 2004, Modern Social Imaginaries. Durham, Duke University Press.
Martin Hébert
Département d’anthropologie
Université Laval
Québec (Québec) G1K 7P4
Canada
Centre de recherches et d’études anthropologiques (CRÉA) et Université Lumière Lyon 2, Tohu-bohu
de l’inconscient : paroles de psychiatres, regards d’anthropologues. Actes de colloques. Bron, Éditions
la Ferme du Vinatier, 2001, 80 p.
Ce petit livre est le premier volume d’une série de quatre publications1 issues des rencontres intitulées
« Tumultes et silences de la psychiatrie » organisées par le Centre Hospitalier Le Vinatier, une
institution psychiatrique de la région lyonnaise (France), dont le but était de « favoriser les
mouvements entre l’établissement hospitalier et son environnement social et urbain » (p. 7), comme le
note la responsable du projet Carine Delanoë-Vieux, et cela autour de trois axes : un axe patrimonial et
muséographique, un autre centré sur la production et la diffusion artistique, le dernier enfin centré sur
la recherche et le débat en sciences sociale. Faisant alterner les contributions d’ethnologues (François
Laplantine, Jean Benoist, Axel Guïoux et Evelyne Lasserre), d’un psychiatre (Jean Guyotat) et d’un
écrivain (Sylvie Doizelet), le propos est ici de s’interroger sur la nature du dialogue qui peut s’établir
entre la psychiatrie et l’anthropologie aujourd’hui.
Dans son texte, Jean Benoist s’interroge sur les relations entre approche clinique et approche
ethnographique. Alors que « ce qu’essaie de connaître l’anthropologue, c’est l’expérience de la vie que
représente ce fardeau, la façon dont cette expérience se construit au croisement de ce qui est le plus
individuel en eux et de ce qui est modelé par la société » (p. 17), le psychiatre quant à lui « pénètre
nécessairement dans le même territoire, même si sa préoccupation est de comprendre, par delà sa
culture et son histoire, l’individu, tandis que celle de l’anthropologue est de découvrir, à travers
l’expérience de l’individu, sa culture » (ibid.). Ainsi le regard du clinicien et celui de l’ethnologue
n’est pas le même et les informations que chacun d’eux tire de ses observations sont différentes.
L’écart entre les deux démarches n’interdit pas le dialogue des deux disciplines. Si l’anthropologie a
un message à livrer à la médecine, c’est celui de la contextualisation, car l’individu n’existe finalement
pas en tant que tel, mais de par sa position dans un faisceau de relations. Toutefois, cette
contextualisation ne peut se cantonner à l’attitude de la clinique interculturelle qui en s’intéressant par
exemple à « l’immigré » le fige dans sa culture d’origine en oubliant qu’ils s’agit d’un individu « en
trajectoire », ce qui doit amener, selon Jean Benoist, à se méfier des situations où le « culturel » est un
alibi, un faux-semblant. Si la médecine et la psychiatrie ne sont pas à l’abri d’une utilisation dévoyée
de l’anthropologie, l’ethnologie n’en est pas moins protégée d’une utilisation vulgaire de la psychiatrie
ou de la psychologie. Et l’auteur de rappeler avec Georges Devereux que s’il faut « postuler
l’interdépendance de la donnée sociologique et de la donnée psychologique » (p. 24), cela nécessite de
« postuler en même temps l’autonomie absolue tant du discours sociologique que du discours
psychologique » (ibid.).
La contribution de François Laplantine expose, à la manière d’un cours et pour ensuite la critiquer,
l’approche ethnopsychiatrique de Georges Devereux. S’inspirant des travaux de la physique
quantique2 pour élaborer sa théorie de la complémentarité, Devereux estime que tout phénomène est
redevable de deux explications, l’une psychologique, l’autre ethnologique, mais que cette double
démarche ne peut se faire en même temps. L’ethnopsychiatrie (ou ethnopsychanalyse) n’est pas une
approche additive. Psychologie et ethnologie se distinguent par leur méthodologie mais sont incluses
réciproquement, « le psychisme étant de la culture intériorisée et la culture du psychisme projeté » (p.
30). Des théories quantiques, Devereux tire une autre idée, celle de la réintégration du rôle du
chercheur dans le champ de l’observation. La présence de l’observateur ne doit pas seulement être
considérée comme une source de déformation qu’il s’agirait de minimiser par l’objectivation mais
comme une source d’information qu’il faut exploiter par l’analyse de la situation transférentielle et
contre-transférentielle qui se joue dans l’interaction. En postulant l’existence de sociétés malades,
Devereux interroge à la fois la psychiatrie et l’ethnologie « et c’est sur ce point, comme le note
Laplantine, que le relativisme culturel des ethnologues rejoint le dogmatisme des psychiatres qui
s’accordent à définir le pathologique par l’inadaptation » (p. 31). La pensée de Devereux ébranle sur
ce point le modèle fonctionnaliste qui est incapable de penser le changement et dont le paradigme «
d’ordre et de non-temps » neutralise les dimensions historique et affective des phénomènes. Enfin,
dans la continuité de Freud, il utilise une méthodologie des correspondances et « utilise des
phénomènes culturels comme instruments révélateurs d’organisations psychologiques et de troubles
psychopathologiques » (p. 33). Reconnaissant l’apport de Devereux, Laplantine formule toutefois une
série de critiques autour de son idéal positiviste et universaliste. Pris dans une logique où chaque
culture est une recomposition d’invariants, la pensée de Devereux relève du « bricolage »
levistraussien et « permet bien de penser le recyclage mais nullement le métissage ». Ainsi,
l’universalité de Devereux se présente « comme un bloc à l’abri de l’histoire » et Laplantine de
fustiger « le côté obscur de la pensée des Lumières qui [...] ne retient que les aspérités, les contrastes,
[...], et répugne à penser les contradictions, [...], les nuances chromatiques, mais aussi
épistémologiques » (p. 35). Pour Laplantine, il ne faut pas renoncer à tout critère du normal et du
pathologique, dont le critère est la souffrance, mais un sentiment tel que la mélancolie par exemple est
un sentiment métis qui « n’a pas la pureté et la franchise d’un “tableau” psychopathologique
clairement indentifié » (p. 37). De fait Laplantine plaide en faveur d’un changement de regard de
l’anthropologie. Estimant que « la recherche ethnopsychiatrique [...] ne peut être stabilisée aujourd’hui
dans des unités discursives apaisées » (p. 38), il dénonce l’écriture sur la folie comme trop linéaire et
régulière, catégorielle et classificatoire, et estime que l’ethnographe à beaucoup à apprendre des textes
littéraires en ce domaine. Nous ne suivrons pas Laplantine sur ce dernier point, dans la mesure où
l’entreprise ethnologique reste à nos yeux, quitte à ne pas suivre la vague postmoderne qui caractérise
l’anthropologie contemporaine, une entreprise de raison et non une entreprise littéraire.
Au final si ce petit livre, dont nous n’avons rendu compte que partiellement, témoigne de la richesse
de l’entreprise pour ses participants et de l’ouverture du centre psychiatrique de Bron, le lecteur reste
toutefois sur sa faim et aurait préféré qu’on laisse plus de place, à côté des réflexions
épistémologiques, théoriques et parfois rhétoriques sur le dialogue entre les deux disciplines, aux
résultats de travaux d’enquête de terrain sur la psychiatrie, comme le titre le laissait entendre.
David Michels
Centre d’Anthropologie de Toulouse
39, allées Jules Guesde
31000 Toulouse
France
Patrice BIDOU, Le Mythe de Tapir Chaman. Essai d’anthropologie psychanalytique. Paris, Éditions
Odile Jacob, 2001, 259 p.
Bernard JUILLERAT, Penser l’imaginaire. Essai d’anthropologie psychanalytique. Éditions Payot,
Lausanne, 2001, 309 p., bibliogr. Index.
Qu’est-ce que l’anthropologie psychanalytique? Deux ouvrages récents en tracent les contours : Au
cours de divers séjours chez les Tatuyo (Nord-ouest de l’Amazonie), Patrice Bidou a recueilli, auprès
de cinq informateurs, des récits qui forment la trame du Mythe de Tapir Chamane. Il propose d’en
révéler le ressort profond, la sexualité, qui expliquerait pourquoi le corpus de cette région, pourtant
très riche en documents, fut délaissé par Lévi-Strauss dans sa fresque des Mythologiques. S’il ne
néglige pas la dimension narrative du mythe, qu’il entend même réhabiliter contre le structuralisme,
Patrice Bidou procède avant tout, le long des six derniers chapitres, à une exégèse psychanalytique du
« matériel narratif » qui ne tient aucun compte des diverses situations d’interlocution de ces récits (qui,
quand, comment, pourquoi) et ses éventuels enjeux. Une fois isolés et rassemblés ces récits en texte,
l’auteur leur donne cohérence et sens avec cet idiome commode qu’institue la psychanalyse. L’effet
est indiscutable : tout se tient, tout est dit. Comme si du travail ethnographique même ne se dégageait
rien d’autre que des informations complémentaires, mais composites – des fragments – subordonnées
et à la disposition de l’intelligibilité du texte.
Patrice Bidou spécifie sa démarche par deux décisions conceptuelles majeures : 1. Contrairement à une
influente tradition d’anthropologie psychanalytique, il distingue et hiérarchise clairement le mythe et
le rêve : le mythe traite du rêve et lui fait des emprunts. Le mythe ne se confond pas avec le rêve, c’est
une forme de cure : « Le mythe n’est pas un rêve, mais le traitement d’un rêve ancien et récurrent,
comme dans une cure » (p. 21). 2. D’où le parallèle entre les mythes et les vignettes cliniques
freudiennes qui sont, dans la bouche du Chaman Tatuyo, à la fois récit de maladie et de traitement. On
ne saisit pas très bien la pertinence de cette analogie qui escamote aussi bien la façon de faire de Freud
que du chaman ; Freud au contraire du Chaman ne prétendait pas soigner avec ces vignettes. Il s’avère
alors que la question de l’efficacité symbolique reste en suspens : prétendre soigner avec des récits
dans un langage indirect (situé dans un autre temps, avec d’autres acteurs tout en semant des référents
et des métaphores communes pour y insérer progressivement le ou les auditeurs). Dès lors, si l’unique
vertu de l’anthropologie psychanalytique est de faire voir autrement par un certain arrangement des «
données » le symbolique, l’ethnologue doit ou se résoudre à produire lui-même une forme moderne et
savante de mythologie (l’anthropologie?) ou convenir que l’intelligibilité s’obtient essentiellement par
un surcroît d’ethnographie.
Alors que l’activité symbolique, question léguée par Marcel Mauss, est au cœur des préoccupations de
l’anthropologie, les ethnologues n’ont guère cessé d’en rendre compte en des termes empruntés à la
psychologie, notamment. C’est pourquoi, si débat il y a, il se réduit ordinairement à la question de
savoir à quel modèle psychologique recourir pour expliquer au mieux le « matériel » ethnographique.
Ainsi, le recueil de textes de Bernard Juillerat s’ouvre-t-il sur une critique, fort pertinente et depuis
longtemps attendue, de l’anthropologie cognitive représentée en France par Dan Sperber et Pascal
Boyer. Elle porte essentiellement sur deux aspects : la réduction du mental au biologique qui relève de
l’acte de foi ; la confusion entre mécanisme psychologique et origine psychique. Bernard Juillerat
néglige néanmoins ce raccourci essentiel : l’anthropologie cognitive prétend expliquer la production
de significations par un traitement défectueux de l’information. Après avoir épinglé les dérives
cognitivistes de l’anthropologie, Juillerat réitère et prolonge hélas! un Manifeste, cosigné avec Patrice
Bidou et Jacques Galinier dans le numéro 149 de L’Homme, pour une anthropologie psychanalytique.
Il lui importe donc de défendre et d’illustrer, travaux à l’appui, l’apport de la psychanalyse freudienne
à l’étude d’objet symbolique réputé bien circonscrit comme les mythes, les rites, croyances,
cosmologie… son programme étant de « reconstruire les processus inconscients partagés par les
individus d’une même société et la façon dont ils sont traduits en symboles culturels partagés par tous
» (p. 11).
Aussi croise-t-il ses propres articles ou chapitres d’ouvrages pour tisser la trame historique et
théorique d’une collaboration fructueuse entre anthropologie et psychanalyse non sans en rappeler les
handicaps3. Il pense trouver une issue à ce dialogue dans une stricte division et hiérarchisation des
rôles. S’il inclut la psychanalyse au sein d’une anthropologie pluridisciplinaire, et en fait l’étude d’un
psychisme universel et autonome, il en restreint l’application à « certains types de matériaux ». À
aucun moment il ne s’interroge sur l’hétérogénéité de la psychanalyse ni sur la sociohistoire
qu’exigerait la notion de psychisme avant tout usage. Son problème est plutôt de montrer le nombre de
médiations nécessaires pour expliquer comment les représentations inconscientes individuelles passent
au collectif... Ce qui est en effet très problématique. Pour étayer sa démarche, il réunit ensuite des
travaux menés sur son terrain de Nouvelle-Guinée auprès des Yafars. La lecture a de quoi laisser
perplexe, voire sceptique. La facilité avec laquelle Juillerat propose des interprétations analytiques est
d’autant plus curieuse qu’il relève sur ces « matériaux » des références œdipiennes évidentes. On ne
peut pas s’empêcher de penser qu’il révèle ce qu’il présuppose. Il est donc permis de s’interroger en
amont sur l’opportunité de recourir à des modèles psychologiques ou des théories du mental pour
aborder l’activité symbolique, mais aussi, plus généralement, pourquoi l’anthropologie, dans le sillage
de Claude Lévi-Strauss, tend à se doter ou s’identifier à une psychologie?
Samuel Lézé
Laboratoire de sciences sociales
École normale supérieure
48 boulevard Jourdan
75014 Paris
France
José DE ACOSTA, Natural and Moral History of the Indies. Direction de Jane E. Mangan, avec une
introduction et un commentaire de Walter D. Mignolo. Traduction de l’espagnol par Frances LópezMorillas, Durham et Londres, Duke University, 2002, 536 p.
Quand on parle de l’histoire de la recherche archéologique au Nouveau Monde, Acosta fait figure de
précurseur en ce qui concerne l’origine des populations autochtones. En effet, au XVIe siècle, l’on
attribuait généralement l’origine des civilisations indiennes aux Étrusques, aux Égyptiens, ou encore à
l’Atlantide ou au continent de Mu. Acosta est le premier à proposer que les premières populations du
Nouveau Monde ont pénétré le continent à partir de l’Asie par le détroit de Béring. Il propose même
une date de deux mille ans avant notre ère pour ce passage, respectant toutefois en cela la Bible. C’est
pourquoi je voulais relire cet ouvrage.
Le livre Historia Natural y moral de las Indias a été publié pour la première fois en 1590. Le père José
de Acosta (1540-1600), son auteur, est un jésuite qui fut missionnaire au Nouveau Monde et plus
particulièrement au Mexique et au Pérou, bien qu’il ait également séjourné dans les Caraïbes et en
Bolivie. Le but de son ouvrage était de présenter et de faire du sens avec ce « Nouveau Monde » et ses
pratiques culturelles. Il s’agit en fait d’une conceptualisation des « Indes » dans une perspective
philosophique et théologique plus vaste. Le livre, écrit en espagnol, fut immédiatement traduit en
italien, français, anglais, hollandais et latin, sans doute du fait de l’intérêt que suscitait la connaissance
de ces nouvelles contrées.
Acosta a été influencé par de nombreux écrits de chroniqueurs et de missionnaires débarqués au
Mexique et au Pérou au début du XVIe siècle. Pour ce qui est du Mexique, Acosta a puisé beaucoup
dans le manuscrit Tovar (Juán de Tovar), sans doute inspiré du codex Ramirez, lui-même influencé par
les écrits de Durán. Pour ce qui est du Pérou, ce sont les écrits de Juán Polo de Ondegardo qui ont joué
ce rôle. La Historia était en fait une introduction à un manuscrit plus important qu’Acosta avait écrit
auparavant, De procuranda Indorum salute, une sorte de théologie de la libération de l’époque.
On trouve en introduction au texte d’Acosta un long prologue de quelque quatre-vingts pages
d’Edmundo O’Gorman, traduit de l’édition mexicaine de 1940. La perspective de l’auteur est critique
et remet en question la valeur des textes historiques. Pour ce dernier, l’approche d’Acosta est déjà très
postmoderne, dans le courant de la nouvelle critique britannique.
L’ouvrage se compose d’une introduction portant sur la place du Nouveau Monde dans la
configuration de la terre dans le contexte de la conversion et de sept Livres :
Livre I : Cosmologie, géographie, Histoire et origine du Nouveau Monde ; Livre II : Équateur habité? ;
Livre III : Configuration « naturelle » des « Indes » : air, eau, terre, feu; Livre IV : Minéraux, plantes
et animaux ; Livre V : Êtres humains, Religion ; Livre VI : Éducation, système d’écriture, chronologie,
politique, économie ; Livre VII : Traité du passé, de « l’histoire ».
L’ouvrage d’Acosta aura de l’intérêt pour deux groupes de lecteurs : ceux qui s’intéressent à la
Mésoamérique ou à l’aire andine, et plus spécifiquement aux périodes qui précèdent la conquête
espagnole. Bien que de nombreuses informations soient tirées de textes antérieurs, elles sont ici
présentées dans une autre perspective qui devrait être considérée par le spécialiste de ces cultures. Je
crois toutefois qu’il sera d’un grand intérêt pour les historiens et particulièrement les historiens des
idées et des idéologies. En effet, l’ouvrage d’Acosta sera lu plus tard, au XIXe siècle, à l’époque de
l’éclatement des nationalismes et également de la naissance de l’anthropologie. O’Gorman, le
présentateur, invite le lecteur à s’éloigner des idéologies nationales pour comprendre le passé et à
regarder la constitution et la transformation du monde moderne-colonial et les phénomènes de
globalisation de 1500 à aujourd’hui. Acosta écrivait l’histoire que les Amérindiens n’avaient pas. Mais
nulle part il ne reconnaît les connaissances et la contribution de ces derniers à cette histoire.
Louise-Iseult Paradis
Département d’histoire
Université Laval
Québec (Québec) G1K 7P4
Canada
Christopher PINNEY et Nicolas PETERSON (dir.), Photography’s Other Histories. Durham et
Londres, Duke University Press, 2003, 286 p., illustr., bibliogr., index.
L’invention de la photographie par le procédé du daguerréotype date de 1839. Stephen Sprague
explique dans son texte « Yoruba photogaphy », publié dans African Art en 1978, que le
daguerréotype est arrivé en Afrique seulement trois mois après son invention. Il souligne d’autre part à
quel point les Yoruba ont activement intégré cette technologie à leur culture. Au-delà, son analyse
défend l’idée d’une histoire de la photographie qui s’est étendue à l’ensemble du globe presque
immédiatement après son invention. Ce texte, reproduit dans Photography’s Other Histories devient à
la fois précurseur et emblématique du projet de ce livre.
Dans l’introduction programmatique, Christopher Pinney, le principal coordonnateur de l’ouvrage,
évoque l’importance d’aborder la pratique de la photographie en tant que pratique culturelle. La
plupart des travaux sur la géographie de la pratique photographique a appliqué les théories
occidentales à d’autres contextes et donc reste sur un point de vue eurocentriste. Or Pinney souhaite
montrer que la photographie est une technologie soumise à des appropriations culturelles et susceptible
de s’intégrer à d’autres histoires.
Dans cette optique, les douze textes de l’ouvrage couvrent un large ensemble géoculturel et de
situations postcoloniales : Australie, Nouvelle Guinée, Chine, Japon, Pérou, Kenya, Inde et Nigeria.
Le livre s’ouvre sur « Personnal Archives », une partie composée de trois textes autobiographiques. Ils
peuvent être lus comme des témoignages du lien qui se constitue entre la construction identitaire et la
photographie support de récits. « Relating to Photographs » le texte de Jo-Anne Driessens raconte la
découverte de son passé aborigène à travers les photographies de la collection Tindale et notamment la
rencontre avec la photographie de son arrière-grand-père. Les deux autres parties du livre présentent
des textes plus attendus, se situant dans le registre anthropologique et des visual studies.
La photographie dans les écrits anthropologiques a souvent été abordée par le thème de l’outil de
représentation de l’Autre, l’analyse portant sur les effets idéologiques des images. La partie « Visual
Economies » entend nuancer et complexifier ces approches qui présupposent un accord absolu entre
l’image et les forces idéologiques qui la motivent. Aussi, la plupart des textes de cette partie
reprennent-ils ce thème de la représentation de l’Autre et des constructions de stéréotypes, mais ils
montrent que la photographie n’a jamais un plein contrôle sur ce que l’image représente. Le texte de
Nicolas Peterson sur la relation de la photographie et la culture aborigène approfondit ce thème. Celui
de Christopher Wright, sur les rapports entre la photographie de tatouages de Francis Barton et la
photographie érotique, est révélateur d’une photographie comme un espace de multiples négociations
intercultu-relles.
La troisième partie « Self-Fashionning and Vernacular Modernism » expose le point de vue «
subalterniste » qui parcourt l’ouvrage. Se plaçant sous le thème de la « provincialisation » de l’histoire
de la photographie, cette partie est la plus proche de l’intention initiale du livre. Le texte de Deborah
Poole sur l’artiste péruvien Figueroa Aznar, explique comment le style moderniste de l’artiste a été
modelé par ce qu’on pourrait appeler une compréhension péruvienne de la photographie. Les textes de
cette partie s’attachent aux procédés d’inculturation de la pratique photographique. En cela,
l’aboutissement est bien de montrer que la photographie ne doit pas être considérée comme une
technologie occidentale diffusée de par le monde, mais comme une technologie prise dans des
réinventions et composant d’autres histoires.
Dans la relative absence de travaux anthropologiques sur la pratique photographique, ce livre aux
diverses pistes innovantes – même si elles peuvent nuire à la cohérence de l’ensemble – est un outil
roboratif. Cependant, en participant au développement de la thématique des modernités vernaculaires,
l’ouvrage poursuit les ambiguïtés culturalistes de cette notion qui tend à réifier les cultures et à
retomber dans la logique du relativisme culturel. Cela est particulièrement palpable dans le principe
même du livre en présupposant un ensemble homogène euro-américain face à la diversité de ces autres
histoires de la photographie. Cette bipartition reconduit en quelque sorte le thème du Grand Partage.
Or, c’est oublier que cet ensemble euro-américain est tout autant soumis à des inflexions locales et à la
diversité de sa photographie.
Cédric Vincent
Centre d’Études Africaines - École des Hautes Études en Sciences Sociales
38 rue de Torcy
75018 Paris
France
Toby MORANTZ, The White Man’s Gonna Getcha : The Colonial Challenge to the Crees in Quebec.
Montreal, McGill-Queen’s University Press, Native and Northern Series, 30, 2002, xxviii + 370 p.,
illustr., bibliogr., index.
Dans cet ouvrage, Toby Morantz poursuit son étude en profondeur de l’histoire de la colonisation de la
région de la baie James et des transformations qui en découlent pour les Cris. Son livre précédent, écrit
en collaboration avec Daniel Francis, La traite des fourrures dans l’est de la baie James, 1600-1870,
étudiait la première phase du contact entre Cris et Européens (puis Euro-américains ou Canadiens),
lorsque leurs relations étaient essentiellement commerciales, centrées sur la traite des fourrures. Les
auteurs concluaient à l’existence d’une réelle autonomie des Cris dans la conduite de la traite, en
particulier en raison de l’absence de monopole régional exercé par la Compagnie de la baie d’Hudson,
concurrencée par des commerçants français puis par la Compagnie du Nord-Ouest – concurrence qui
s’est achevée en 1821. Le début du XIXe siècle est aussi marqué par une réduction de la ressource
animale, la prolifération des postes commerciaux à l’intérieur des terres et l’emploi d’Amérindiens
saisonniers. Mais le grand bouleversement des relations débute avec l’acquisition par le Canada, en
1870, du bassin de la baie d’Hudson (connu sous le nom de Terre de Rupert) concédé deux siècles plus
tôt par l’Angleterre à la Compagnie qui en tire son nom. La région entre alors dans une logique
véritablement coloniale avec l’arrivée de missionnaires chrétiens – qui évangélisent les autochtones
avec succès – et d’agents gouvernementaux (provinciaux et fédéraux). C’est l’objet de ce deuxième
ouvrage.
L’action étatique s’est d’abord concentrée, dès les années 1930 et 1940, sur la préservation de la
ressource, en régulant et même en interdisant – avec la collaboration de la Compagnie de la baie
d’Hudson – la chasse aux castors, inversant avec succès la diminution catastrophique de leur nombre.
Si les autochtones ont reconnu l’intérêt de telles mesures, ils ont cependant perdu par là le contrôle de
cette ressource essentielle et de certaines terres. Puis, au cours des années 1950, c’est la mise en place
d’une gamme complète de programmes publics (aide sociale, scolarisation, actions sanitaires) qui
transforme leur mode de vie. L’instauration d’un contrôle sur la société par une bureaucratie étatique
extérieure et paternaliste, persuadée de savoir ce qui convient le mieux aux Cris (et aux Inuit),
caractérise ce que Toby Morantz appelle un « colonialisme bureaucratique », concept largement ignoré
par l’historiographie canadienne. Cette forme de colonialisme se distingue du colonialisme plus
traditionnel, lequel implique la colonisation des terres, le refoulement toujours plus loin des
autochtones ou leur transformation en dominés. En se fondant sur l’histoire orale des Cris, l’auteur
montre que ces bouleversements ne se sont pas faits sans résistance. La plus remarquable est sans
conteste la réussite des autochtones, au début des années 1970, à imposer des négociations au
gouvernement québécois sur son projet de construction de gigantesques barrages hydro-électriques
dans la baie James. Les Cris ont alors obtenu, d’une part, la modification du projet, pour réduire les
dommages à l’environnement, et des compensations financières – favorisant l’essor d’une économie
autochtone qui s’éloigne de la chasse et de la cueillette avec le développement d’une activité forestière
et touristique. Mais ils ont aussi obtenu, d’autre part, la reconnaissance de leur autonomie politique par
l’instauration de pouvoirs locaux et d’une autorité régionale, contrôlant l’éducation, la santé et les
services sociaux placés sous juridiction provinciale, mais financés par la fédération. Ainsi, le régime
foncier et les relations sociales qui le fondent persistent et, trente ans après ce premier accord, les Cris
ont su, selon Toby Morantz, conserver leur identité, tout en s’adaptant à la réalité canadienne et
mondiale.
Ce travail fouillé, en confrontant les politiques coloniales (ici bureaucratiques) aux modalités
d’adaptation et de résistance d’une société amérindienne, démontre toute l’importance de ne pas
simplement considérer comme des victimes les populations autochtones incorporées à l’économiemonde. Mais le cas des Cris de la baie James, précisément en raison des conditions singulières d’une
politique de comptoirs en concurrence puis d’un colonialisme bureaucratique, ne permet pas pour
autant d’occulter l’anéantissement des sociétés amérindiennes confrontées à l’expansion d’une
économie-monde pratiquant un colonialisme traditionnel! Même si, là aussi, une réalité amérindienne
persiste presque partout, et si le désastre passé resurgit parfois même avec force…
Référence
MORANTZ T., 1984, La traite des fourrures dans l’est de la baie James, 1600-1870. Sillery, Presses
de l’Université du Québec.
Yann Guillaud
Centre de recherche sur le Brésil contemporain
54 boulevard Raspail
75006 Paris
France
Marc Rogin ANSPACH, À charge de revanche. Figures élémentaires de la réciprocité. Paris, Éditions
du Seuil, collection « La couleur des idées », 2002, 140 p., bibliogr.
Depuis plusieurs années, Marc Rogin Anspach nous entraîne dans le labyrinthe de la circularité du don
propre à la vie sociale et individuelle. Son livre aborde d’une façon originale l’articulation entre
donner-recevoir-rendre soumise aux pressions d’une société en perte de socialité et de références au
sacré. Au cœur de ce triangle en mouvement, Marc Anspach part d’abord à la recherche du « troisième
élément » qui fait que le don et le contre-don ne s’annulent pas réciproquement, bien au contraire :
l’échange des cadeaux ou des coups (la vengeance) passe toujours à un autre niveau logique, celui de
la relation, plus précisément, de la relation chargée d’une « quantité supplémentaire qui est le hau » ou
son équivalent : « En lançant un message, en faisant un don, on se tourne vers l’avenir que l’on compte
susciter » (p. 54). Cependant, la question épineuse de la réciprocité négative s’impose rapidement.
Dans ce domaine, un des exemples donnés est issu des travaux de Godbout que l’on résumerait ainsi :
« c’est toujours moi qui fais la vaisselle ». Cette phrase contient un message implicite : « tu ne donnes
pas assez ». Dans ce cas, les deux partenaires aboutissent, de fil en aiguille, à « un endettement mutuel
négatif », un « cercle vicieux » aussi paradoxal que la vengeance : « Dans les sociétés étudiées par
Sahlins, Mauss ou Lévi-Strauss, la réciprocité sert à entretenir la relation, on échange pour échanger,
car les échanges font vivre la relation. Mais dans le couple qui veille implicitement à respecter
“l’échange symétrique de valeur rigoureusement équivalent”, cette “collusion” entre partenaires se fait
au préjudice de la relation » (p. 90).
Comment s’en sortir? Le passage à la dette mutuelle positive exige, selon Marc Anspach, « une sorte
de saut » permettant de retrouver la spontanéité sans attendre un retour immédiat : donner pour
recevoir, peut-être, un jour, puisque, rappelons-le, « la définition même du don implique la liberté de
réponse » (p. 27). Afin d’aboutir à la compréhension d’un tel « saut », l’auteur fait appel à l’École de
Palo Alto : la métamorphose positive de la réciprocité négative ne peut avoir lieu que si les partenaires
concernés arrivent à méta-communiquer, c’est-à-dire à établir un échange ayant comme objet leur
façon d’agir. Pour l’auteur, il s’agit plutôt d’autotranscendance : au lieu de rester dans une circularité
négative qui, à terme, détruit la relation entre les humains, il faudrait tendre vers une
autotranscendance qui remet le lien entre les hommes au cœur de la réciprocité et permet
d’appréhender autrement l’imbrication dynamique entre liberté et contrainte. Porté par la conviction
que le discours est un fait constitutif de l’humanité, Marc Anspach critique les promoteurs du
libéralisme qui rabattent la transcendance à l’immanence. Pour étayer ses critiques, il développe un
parallèle entre le social, l’économique et le biologique aboutissant à la théorie des cercles reliant
l’individuel et le collectif : « La boucle ne saurait se boucler sans passer par ce métaniveau que
constitue la relation elle-même. La transcendance de la transcendance est un processus qui ne
s’achèvera jamais » (p. 132). Dans ce processus où le meilleur et le pire se croisent, « les plus
insidieux ennemis de la société ouverte sont aujourd’hui ceux qui présentent comme inévitable la
domination totale du monde par le marché » (p. 133).
« À charge de revanche » se lit à deux niveaux : d’une part, une recherche contemporaine sur le don
dans la réciprocité, centrée sur l’avenir de notre vivre-ensemble (Hannah Arendt) ; d’autre part, une
critique sans concession d’une économie globale qui utilise largement l’esprit du don. L’auteur inscrit
ses réflexions dans un grand cercle de références pluridisciplinaires. Les deux niveaux d’Anspach
convergent vers une synthèse ouverte qui promet au lecteur une suite riche en rebondissements : ainsi,
le concept d’autotranscendance se prête à une mise en équation non seulement avec le hau et le
potlatch, mais aussi, sur un autre plan, avec la « collusion » entre économique, religieux et guerre
totale, comble d’une immanence qui, paradoxalement, annule même la réciprocité négative du
politique : y a-t-il encore une autotranscendance possible entre une société rasée de la planète et l’État
destructeur-modèle de la démocratie? Son analyse des discours de Roosevelt mériterait donc un
prolongement vers le XXIe siècle.
Une fois le livre refermé, le lecteur se trouve devant et dans ses propres cercles (vicieux, vertueux?) de
réciprocité, au quotidien.
Marie Maïlat
Laboratoire Éducation, Socialisation, Subjectivation, Institution — ESSI
Université Paris VIII
23 rue Philippe de Girard
75010 Paris
France
Alain TESTART (dir.), Aux origines de la monnaie. Collaborateurs : J.-J. Glasner, B. Menu, F.
Thierry. Paris, Éditions Errance, 2001, 144 p., illustr., réf.
Comprendre les raisons de l’existence de la monnaie et son histoire devrait être une tâche centrale
pour les économistes. Pourtant, nombre d’entre eux se contentent d’énumérer les fonctions de la
monnaie (dans l’ordre suivant : intermédiaire des échanges, mesure et réserve de la valeur) et se
limitent à un évolutionnisme des plus succincts pour toute analyse historique. À l’origine, n’importe
quel bien pouvait servir d’équivalent pour faciliter les échanges, c’était l’économie de troc. Mais des
métaux « précieux » (or, argent ou alliage des deux) prennent ensuite la place de ces quasi-monnaies.
Puis, la véritable monnaie (dont le nom grec signifie « loi ») apparaît au VIe siècle avant notre ère,
lorsqu’en Lydie puis en Perse et dans toutes les cités grecques, l’autorité frappe les pièces métalliques
de son sceau pour garantir la valeur inscrite, c’est l’acte de naissance de l’économie monétaire. Enfin,
les inventions de la monnaie fiduciaire puis scripturale ne sont qu’une adaptation technique au fil du
développement économique, débouchant sur l’économie de crédit. L’interrogation sur la signification
de la monnaie et son histoire est dès lors, pour l’essentiel, laissée aux anthropologues et aux historiens.
Ce petit livre, qui ne déroge pas à la règle, déconstruit ces fameuses fonctions de la monnaie et
constitue une critique sans concession de la fable monétaire de nombreux économistes, en étudiant
l’histoire de la monnaie non seulement dans les sociétés étatiques, mais aussi dans les sociétés dites
primitives (c’est-à-dire sans État). L’anthropologue Alain Testart rédige l’introduction et un chapitre
de réflexion théorique sur la distinction entre moyens d’échange et de paiement, pour délimiter les
particularités des monnaies primitives. Les chapitres suivants traitent de sociétés étatiques : la
Mésopotamie du IIIe millénaire avant notre ère, par l’historien Jean-Jacques Glassner ; l’Égypte de
l’époque pharaonique, par la juriste Bernadette Menu ; et la Chine dont la singularité par rapport à
l’Occident est que sa monnaie, dès le début (6 000 ans avant notre ère), est essentiellement fiduciaire.
Cela a pour corollaire la multiplicité de ses supports, le monopole d’émission décrété au IIe siècle
avant notre ère étant fréquemment remis en question jusqu’à l’avènement de la république populaire
en 1949, selon François Thierry, conservateur en chef du département des Médailles, monnaies et
antiques de la Bibliothèque nationale de France. L’ouvrage illustre ainsi différentes variations
historiques sur le lien monétaire avant l’avènement et le développement de la monnaie métallique
frappée.
Or, ce retour sur la « monnaie avant la monnaie » est riche d’enseignement et montre l’importance des
différents modes de circulation des biens et services qui coexistent dans toute société : la réciprocité, la
redistribution et l’échange. Aux trois fonctions de la monnaie de la plupart des économistes, il
convient alors d’en ajouter une quatrième : la monnaie comme instrument de paiement, qui ne
s’assimile à la médiation des échanges qu’avec le développement des relations marchandes, comme
l’avait déjà souligné Polanyi. De par sa nature, la fonction de paiement (qui, en dehors de l’échange,
correspond à des obligations politiques, judiciaires et familiales unilatérales) est première. La fonction
d’intermédiaire des échanges s’en déduit, ce qui montre bien, selonTestart, que la monnaie n’existe
pas pour faciliter les échanges, mais est une cause de l’échange, puisqu’elle permet de se libérer de
toutes les obligations. Dès lors, la monnaie est aussi objet de l’échange, d’où découle sa fonction de
réserve de valeur, comme Keynes l’avait remarqué contre les néo-classiques pour lesquels la monnaie
n’était qu’un voile. En définitive, la fonction de la monnaie comme mesure des valeurs est la moins
cruciale. La singularité de la monnaie primitive est qu’elle est un moyen de paiement, et non
d’échange de biens, celui-ci étant fondé sur la réciprocité – ou système de dettes et de créances
interpersonnelles tendant à se compenser sur le long terme, en raison de la faible division du travail.
En revanche, notre monnaie moderne (qui ne disparaît toujours pas dans la circulation, comme la
monnaie primitive) invente l’anonymat, car elle s’insère également dans l’échange de biens, et son
acquisition devient une nécessité pour survivre. Tandis que dans les sociétés primitives les obligations
concernent des personnes, dans les sociétés de marché généralisé l’obligation concerne un objet, le
crédit s’effaçant devant la monnaie.
Ce livre montre ainsi que la monnaie n’est pas le résultat du développement du marché, mais lui
préexiste, étant même un lien social central – aux modalités cependant changeantes – par l’unité et
l’interdépendance qu’elle institue au sein d’une société.
Yann Guillaud
Centre de recherche sur le Brésil contemporain
54 boulevard Raspail
75006 Paris
France
Kalman APPLBAUM, The Marketing Era. From Professional Practice to Global Provisioning. NewYork et Londres, Routledge, 2004, 283 p., fig., schémas, tabl., réf., bibliogr., index.
Anthropologue de formation, Kalman Applbaum est passé par la Harvard Business School, puis a
dispensé des cours de gestion du marketing à la J.L. Kellogg Graduate School of Management de
Chicago. Il signale dans son propos liminaire la piètre attention que les sciences sociales ont portée au
marketing, cet aspect vital de l’expansion du commerce et des grandes corporations. Par son livre,
Applbaum propose de contribuer à combler cette lacune.
Le but de l’ouvrage est de montrer l’aspect culturellement déterminé du marketing ainsi que sa logique
de fonctionnement afin d’en mieux saisir le rôle dans la marchandisation croissante qui caractérise le
capitalisme de notre époque. À cette fin, l’auteur puisera habilement à la littérature des affaires et du
marketing, à plusieurs classiques des sciences sociales et de l’économie, à ses expériences de terrain
auprès de hauts responsables du marketing dans diverses corporations de grande envergure.
Dans la première section du livre, Applbaum s’emploie à esquisser le marketing contemporain : plus
que publicité ou vente, le « concept marketing » est une façon d’envisager et de diriger l’entreprise.
Dans un monde où les avantages comparatifs en termes de coûts de production tendent à s’aplanir, le
marketing devient un outil central des entreprises. En effet, c’est en s’assurant que ses produits et
services seront vendus – et à répétition – au consommateur, qu’une entreprise a le plus de chances de
se démarquer et de conquérir des parts de marché.
« La recherche de la satisfaction des besoins du consommateur tout en rencontrant les exigences de
l’entreprise forme la colonne de ce qui parmi les gens de marketing est universellement connu comme
le concept marketing » (p. 29, ma traduction). La logique qui sous-tend le marketing, trempée dans le
néoclassicisme économique, prend pour acquise la conception que les besoins sont éternels et
cherchent une satisfaction immédiate. Et on comble ces besoins par la consommation.
Applbaum distingue clairement le marketing d’une simple relation d’échange entre vendeur et
acheteur. Il parle plutôt d’un complexe système d’approvisionnement (system of provisioning) où
entrent en relation consommateurs et gens de marketing. Dans une sorte d’accord tacite, les premiers
informent de leurs « besoins » les seconds, qui en retour élaborent les marchandises les plus
appropriées qui soient. D’où une nécessité permanente d’approfondir la recherche sur les
consommateurs.
Pour le marketing, l’issue ultime est le marché global : considérer le monde comme un unique marché
qu’il faut investir et maîtriser. Comment en vient-on à promouvoir à grande échelle des produits
standardisés? Divers moyens sont déployés afin de contrôler toutes les variables du marché : investir
au départ les produits de valeur-signe ; lancer des campagnes d’éducation à la consommation ;
manipuler l’environnement physique et culturel où se produisent les échanges ; etc. Et comme le
marketing est plongé dans une conception occidentale (libérale) de l’humain et des besoins, cela se
transpose dans les moyens déployés, en Occident comme ailleurs. Le marketing va décomposer
l’expérience humaine pour la réarticuler avec la consommation puisque dans le canon du marketing,
liberté et identité se réalisent et s’actualisent par la consommation. L’entreprise prend alors une
couleur coloniale : on fonctionne à partir de pratiques et d’idéaux typiquement occidentaux comme la
valorisation de la modernité.
La seconde section de l’ouvrage nous transporte dans la généalogie du marketing : partant du présent,
Applbaum remonte vers le passé, non pas pour expliquer ce qui s’est produit, mais bien pour décrire
comment les changements qui y sont survenus ont rendu le présent (le marketing et sa légitimité)
logiquement possible. Suivant notamment Geertz et Sahlins, il se penche sur les préalables qui ont
conduit aux résultats présentés en première portion du livre (p. 122).
En quête des fondements moraux qui ont mené au marketing, Applbaum fait appel aux Tawney,
Weber et autres Polanyi pour remonter dans le temps. Il part de la Réforme puis des Lumières, qui ont
contribué à l’émergence des notions de rationalité, d’égalité, de libertés individuelles. Ce sont les
assises de l’économie libérale, le terreau de la révolution du marketing. Cette révolution prend forme
dans le 19e siècle étatsunien. Le marketing naissant va se juxtaposer aux idéaux moraux protestants
jusqu’au 20e siècle où, après des développements majeurs dus entre autres aux Candler (Coca-Cola),
Welch (Welch’s) et consorts, il sera repris dans le monde de la recherche, théorisé, disséminé,
systématisé. À la faveur de la Seconde Guerre mondiale, le marketing aura terrassé toutes les critiques,
toutes les réserves majeures entretenues à son égard, et triomphera comme force motrice du
capitalisme. Cette longue marche, que l’auteur dessine avec force exemples et détails, permet de
comprendre les méandres qui ont mené au marketing d’aujourd’hui, tout en étant d’une lecture fort
agréable.
Applbaum lève magistralement le voile sur la logique interne culturellement déterminée du marketing,
sur cet agent de marchandisation croissante du monde. Il pave la voie pour une anthropologie du
marketing, avenue dont on peut dire, à la lecture de cet ouvrage, qu’elle demandait résolument à être
dégagée afin que d’autres s’y engagent.
Martin Lambert
Département d’anthropologie
Université Laval
1398, rue de la Sapinière
Lévis (Québec) G6K 1B7
Canada
Bernadette TILLARD, Des familles face à la naissance. Paris, L’Harmattan, Collection Savoir et
formation, 2002, 298 p., bibliogr.
On connaît l’intérêt marqué depuis quelques décennies pour la petite enfance. Médecin de formation,
l’auteure Bernadette Tillard emprunte une démarche ethnologique pour étudier le lien entre
l’éducation et la petite enfance, dès les premiers moments de la vie. Dans son ouvrage, elle présente
les résultats d’une recherche effectuée auprès d’une population défavorisée du quartier populaire de
Lille-Moulins en France, qui tente d’identifier les conditions d’accueil et d’intégration des enfants à
leur famille. L’auteure cherche aussi à comprendre les obstacles qui tiennent les familles défavorisées
à distance des services sanitaires. Le choix de s’attarder sur ces deux univers, celui de la famille et
celui du système médical, relève du fait que « la médicalisation participe maintenant aux différentes
étapes critiques de la vie humaine » (p. 10) et que les naissances n’y échappent pas.
L’auteure présente d’abord un bref historique de la présence de l’État français dans le domaine de la
petite enfance en rappelant l’évolution des programmes de santé publique et l’émergence du Service
de protection maternelle et infantile. Tillard s’intéresse ensuite à l’évolution des perceptions populaires
sur les maternités, qui, il y a moins d’un siècle, étaient un lieu où l’on « accouche dans le déshonneur »
(p. 102) et sont devenues le lieu où naît toute la population. Elle soutient qu’une telle intrusion de
l’État dans le domaine de la famille provoque inévitablement des changements dans la façon dont la
famille approche la grossesse et prépare la naissance.
Les résultats de la recherche sont présentés selon deux grands axes, l’un traitant de la préparation à la
naissance et l’autre explorant l’attribution des noms de l’enfant dans les familles. Dans la première
partie, Tillard se penche sur la façon dont la naissance est perçue par les femmes. On y retrouve les
principales perceptions de la fécondation et les expressions populaires entourant la découverte de la
grossesse. L’auteure met ensuite en relief l’annonce personnelle de la grossesse à l’entourage et elle
s’interroge sur une nouvelle recommandation de droit social qui impose la déclaration de la grossesse
avec suivi médical et social. Or, elle remarque que cette déclaration est parfois perçue comme une
menace (la possibilité de se faire retirer son enfant par les services sociaux). Résultat de cette
perception, certaines femmes préfèrent ne pas déclarer la grossesse et refuser le suivi médical par
crainte des services sociaux. Tillard aborde aussi les perceptions que les mères ont de leur grossesse,
de l’enfant qu’elles portent ainsi que du rôle joué par l’échographie dans cette construction de l’enfant
à naître. La première partie se termine sur le statut de la famille, qui change avec la venue d’un enfant,
et sur ce que l’on attend de la mère lors de son séjour à la maternité.
La seconde partie intitulée « Décrire la parenté », explore les contraintes de l’état civil français quant à
l’attribution des noms et la reconnaissance de l’enfant. On y découvre différentes stratégies qui tentent
d’intégrer le nouvel enfant dans la famille et le rôle que jouent les traditions familiales, culturelles,
religieuses des familles dans l’attribution du nom, la reconnaissance paternelle et celle de la fratrie.
Des schémas de parenté sont présentés au fil des chapitres afin d’illustrer quelques exemples
d’attribution des noms et d’inscription dans l’un ou l’autre des lignages. L’auteure explore ces
éléments par le biais de la filiation, l’alliance et la germanité. Tillard s’attarde aussi aux alliances et
aux relations de pouvoir qui influencent ces choix. Elle traite brièvement de la question des couples
exogames et de l’adoption de traditions nominales en fonction de l’origine culturelle des parents, de
même que des emprunts culturels qui s’observent parfois dans le choix du nom. Elle se penche aussi
sur le lignage et l’héritage patrimonial chez les populations défavorisées où la transmission terrienne et
matérielle est quasi inexistante.
Résultat d’un terrain de recherche fertile, l’ouvrage de Tillard se distingue par la qualité des
informations recueillies et l’originalité du regard ethnologique sur la périnatalité. Elle réussit en effet à
dresser un tableau éclairant de la préparation et de l’arrivée d’un nouvel enfant. La qualité de la
première partie nuit, d’une certaine façon, à la seconde, qui ne parvient à dégager qu’une grande
diversité de situations et ne se prête guère à la généralisation.
Cependant, Des familles face à la naissance expose clairement le rôle tenu par le système médical dans
la préparation à la naissance et l’arrivée d’un nouvel enfant. Or, Tillard souligne à quel point la
grossesse et la naissance, telles que les perçoivent les mères, peuvent différer du discours et des
pratiques exemplaires dont les services médicaux et sociaux font la promotion. Aussi, bien que ce ne
soit pas là son objectif principal, l’auteure démontre-t-elle qu’en s’imposant rapidement auprès des
familles, l’État n’a pas su composer avec les pratiques et le discours des femmes entourant la
périnatalité. Cet ouvrage apporte visiblement un nouvel éclairage sur le domaine de la petite enfance et
suggère la prudence quand il s’agit d’interpréter les « obstacles » que connaissent certains programmes
et recours sanitaires publics.
Sandra St-Laurent
Département d’anthropologie
Université Laval
7, Arnhem Road
Whitehorse (Yukon) Y1A 3B5
Canada
Agnès MARTIAL, S’apparenter. Ethnologie des liens de familles recomposées. Paris, Éditions de la
Maison des sciences de l’homme, 2003, 308 p., bibliogr., annexes.
Version retravaillée d’une thèse de doctorat, S’apparenter met en lumière la famille recomposée saisie
du point de vue des dynamiques internes à la définition et la mise en pratique des liens beauxparentaux longtemps demeurés, comme la famille recomposée elle-même, sans nom et sans
reconnaissance. Cette reconnaissance, en dépit de la recrudescence de la « nouvelle famille » depuis
les années soixante-dix, demeure partielle comme en atteste la rhétorique, évoquée par Martial, de la «
demande de droits » (formule paradigmatique, s’il en est, de l’air du temps). Le recours à une série
d’entretiens, à du matériel médiatique (journaux, téléromans, revues) grossissant parfois à souhait
certains des traits électifs et soi-disant spontanés de ces familles en quête de cohérence, et une
accentuation théorique du point de vue de l’enfant pour combler le déficit de la sociologie de la famille
sur ce chapitre, supportent et orientent le propos, qui est dans son ensemble instructif et bien ordonné.
Le chambardement généalogique auquel donnent lieu, pour un temps, la recomposition, la séparation
préalable et, dans une moindre mesure, le remariage est illustré avec détail et il offre l’avantage de
démontrer, même avec force nuances, l’aspect temporaire, inconfortable, de l’électivité généralement
inscrite en lettres dorées au-dessus des « Nouvelles familles ». Parents redevenus des enfants à la suite
d’une rupture et, possiblement, d’un retour dans le giron maternel ou paternel ; enfants parentalisés,
confidents, psychologues et précocement « sexologues » en intention ; petits-enfants propulsés au rang
d’enfants de leurs grands-parents et rejoignant, presque à équidistance par rapport à ceux-ci, leurs
propres parents ; rivalité pour le titre de conjoint entre l’enfant et le nouveau partenaire ; enfants
organisant, officiant et offrant cadeaux lors du remariage de leur père ou mère – plusieurs
permutations se réalisent ainsi, comme le montre Martial, le long de la chaîne généalogique. Dans
certains cas, c’est un réalignement au modèle traditionnel, à la famille nucléaire, mariée, co-résidente
et procréatrice qui vient rétablir le cours normal du montage des générations et de la puissance
d’engendrement. Par rapport au « malaise indéfinissable » que crée l’ajout de figures parentales, par
leur relais attestant de la difficulté à gagner une famille sans en perdre une autre, et, dans l’intervalle,
par la mobilité inversée des positions échéant à parents et enfants, le remariage et l’engendrement d’un
nouvel enfant à sa suite apparaissent comme deux dynamiques marquant la recomposition du sceau de
formation de crise, sinon de turbulence passagère et plurielle.
L’adoption par le beau-parent et la redéfinition, jamais complète ni égalitaire, des lignes de
transmission sont deux autres dimensions abordées qui étayent quelque peu cette dernière vision,
implicite seulement, de par la recherche incertaine de modèle qu’elles dévoilent, de par le rôle de
normalisation et d’officialisation de la nouvelle formation familiale qu’elles doivent malgré tout
remplir. L’éducation des enfants laisse de son côté entrevoir, par l’intermédiaire des témoignages
exposés et, dans certains cas, des schémas également utilisés pour l’adoption et la transmission,
l’exercice différentiel de l’autorité beau-parentale contestée, l’inscription polémique de la présence du
nouveau conjoint dans l’espace domestique, le jeu complexe d’entrecroisement dans la diffusion des
savoir-faire ou savoir-vivre, des styles ou techniques corporelles et manies s’acheminant bon gré mal
gré des nouveaux parents aux enfants.
De toutes les questions abordées par l’ouvrage, la plus importante théoriquement (et
proportionnellement) demeure celle de l’inceste beau-parental et de son ambiguïté foncière dans le
code pénal. Cela permet à Martial d’évaluer le potentiel de l’inceste du second type, théorisé par
Héritier, à saisir cette forme contemporaine d’interdiction – passant par l’effacement même du terme «
inceste » dans les textes de lois français. Martial offre un panorama sur l’ancienneté du problème – en
cas d’inceste entre le mari et la fille de sa nouvelle femme, le Lévitique ne condamnait-il pas tous trois
au feu? – et pose certaines des formes sous lesquelles elle apparaît encore en pratique aujourd’hui –
formes dont la seule figure du « beau-père abuseur » tend à payer médiatiquement les frais ; elle
s’intéresse ensuite à ce qu’elle considère comme la transition décisive de la conception « substantiviste
» du lien de parenté vers une conception « pragmatique » et « ancrée dans les faits », transition que
suppose et dévoile, à sa manière, la variabilité et le caractère aujourd’hui conditionnel de l’interdit de
cet inceste beau-parental.
Ici comme ailleurs, la réflexion est limpide et repose solidement sur l’expérience comme sur la
littérature ; les différentes dimensions présentées succinctement ici s’intègrent bien au portrait
d’ensemble de la recomposition familiale, laquelle se dégage ainsi de l’ombre où elle logeait jusqu’à
une période récente.
Simon Lavoie
Département d’anthropologie
Université Laval
Québec (Québec) G1K 7P4
Canada
Dilip Parameshwar GAONKAR (dir.), Alternative Modernities. Durham et Londres, Duke University
Press, 2001, 363 p., réf., index.
Le présent ouvrage est la première livraison de la collection « Public Culture Millenial Quartet » dans
laquelle sont réédités des numéros spéciaux de la revue Public Culture fondée par Arjun Appadurai.
Réunissant une palette de spécialistes en philosophie, anthropologie, science politique, linguistique,
histoire, et études littéraires – parmi lesquels d’éminentes figures telles que Homi Bhabha, Dipesh
Chakrabarty, Dilip P. Gaonkar et Charles Taylor –l’ouvrage est composé de treize contributions.
Le volume s’ouvre sur l’article introductif « On Alternative Modernities » de Gaonkar qui retiendra
singulièrement notre attention. Le texte discute comment des auteurs comme Marx, Nietszche,
Foucault et Habermas ont contribué à l’analyse de la modernité. D’emblée, Gaonkar pose la question
qui structure le reste de son étude, celle du sens même de l’expression « modernités alternatives ».
Pour commencer, il affirme que cette expression implique, au moins de manière sous-jacente, que la
modernité est quelque chose à laquelle le sujet contemporain ne peut échapper. La modernité,
rappelle-t-il, est un processus dont l’Occident constitue le lieu originel de déploiement ; toutefois, elle
se retrouve partout aujourd’hui. Sa dissémination lente et toujours inachevée est tributaire des contacts
entre peuples, du commerce, du fait de la colonisation, du nationalisme et plus récemment des flux de
migrants, des médias d’information, etc. L’Occident n’en est plus le seul dépositaire ni le seul
pourvoyeur.
Par ailleurs, Gaonkar soutient que l’idée d’une modernité alternative exige aussi que l’on fasse la
distinction entre la modernisation sociétale et la modernité culturelle. Sur ce point, il nous paraît que
l’auteur peut être rapproché d’Alain Touraine, dont, soit dit en passant, il ne semble pas connaître les
travaux. La modernisation sociétale, montre-t-il, est surtout l’instauration d’un ordre bourgeois dont la
matrice tient en l’institutionnalisation de l’économie industrielle de marché. En opposition à cette
modernisation sociétale a émergé la modernité culturelle apparue au départ dans les milieux avantgardistes des écrivains et des artistes romantiques de la fin 18e siècle avant de s’étendre, grâce aux
médias d’information et de divertissement à d’autres univers sociaux. Jusqu’à ce qu’elle connaisse un
nouveau tournant au 19e siècle, à la suite de son rejet par l’ethos de la classe moyenne. S’appuyant sur
l’œuvre critique de Baudelaire vis-à-vis de l’ethos et du discours des générations précédentes, Gaonkar
avance une idée intéressante sur la modernité, à savoir que celle-ci est normative, que c’est la
conscience d’une époque qui s’imagine avoir définitivement réalisé la transition de l’« ancien » au «
nouveau ».
Un autre article sur lequel nous nous attarderons, pour des raisons arbitraires liées à notre intérêt pour
les études africanistes et parce qu’il illustre parfaitement le sujet de ce volume, est l’article de Michael
Hanchard. Dans « Afro-Modernity : Temporality, Politics and the African Diaspora », Hanchard
apporte une contribution essentielle à la littérature africaniste, en particulier à celle qui analyse
l’expérience et les pratiques des peuples d’ascendance africaine. Il met à l’épreuve l’idée banalisée qui
pose ces peuples comme des antithèses de la modernité occidentale. Cette idée, on le sait, qui participe
de la construction ou – selon la préférence d’aucuns – de la représentation du monde noir par
l’Occident provient directement des réflexions de penseurs canoniques tels que Hegel, Kant ou Hume.
La question suivante qui innerve l’argumentation annonce d’emblée sa démarche de s’inscrire en
porte-à-faux avec l’idée précédente : comment et par quels modes les peuples d’origine africaine ontils été des sujets modernes? Rappelant d’abord que les idéaux de la modernité tels que la justice, la
démocratie ont inspiré depuis le 19e siècle les mouvements transnationaux noirs, Hanchard précise
ensuite, en s’appuyant sur des africanistes comme Basil Davidson et John Thornton, que les peuples
africains sont aussi les producteurs de civilisations et de pratiques qui ont eu un impact considérable
sur le développement de l’Occident.
Hanchard reprend pour sa démonstration la thèse novatrice de Paul Gilroy qui soutient l’existence
d’une modernité africaine se posant comme une contre culture de la modernité (devrions-nous l’écrire
avec un grand M?). Il se demande toutefois si la modernité africaine (qu’il nomme parfois
modernisme) constitue simplement une critique de l’Occident ou si son existence renvoie à une des
nombreuses voies divergentes de la modernité. Sa réponse est que cette modernité africaine consiste en
l’incorporation sélective de technologies, de discours, d’institutions modernes à l’origine occidentales
dans un univers culturel et politique africain en vue d’élaborer une modernité autonome distincte de
celle de l’Occident.
Outre les deux articles présentés, les textes qui composent ce volume traitent d’enjeux très localisés de
la modernité, comme en Russie, à Shanhai, à Trinidad et ailleurs ; certains textes sont plus théoriques,
comme l’entretien avec Homi K. Bhabha et l’exposé de Charles Taylor. L’ensemble est donc bien
équilibré et fournit un cadre solide pour la réflexion sur les « autres » modernités.
Abdoulaye Gueye
Département de sociologie
Université d’Ottawa
C.P. 450, succursale A
Ottawa (Ontario) K1S 6N5
Canada
Annette LEIBING (dir.), Tecnologias do corpo. Uma antropologia das medicinas no Brasil. Rio de
Janeiro, NAU Editora, 2004, 302 p., bibliogr.
En 1997, Annette Leibing réunissait des écrits d’anthropologues brésiliens dans un volume intitulé
The Medical Anthropologies in Brazil. L’objectif était de rendre disponible au monde anglophone
l’importante production d’anthropologies médicales au Brésil. En 2004, l’auteure publie, cette fois à
l’intention du public national, une anthropologie des médecines mettant en scène des analyses
anthropologiques portant sur divers aspects de la santé au Brésil.
Tecnologias do corpo (Technologies du corps) se déploie autour de trois volets ; la santé mentale en ce
qu’elle déborde ses frontières biologiques ; les savoirs et la connaissance, en ce qu’ils se côtoient ; et
les contextes, en ce qu’ils s’articulent à une réalité nationale, voire transnationale. Tous les textes
réunis dans cette anthologie amènent à réfléchir sur la question des liens essentiels entre le corps
subjectif (vécu par expérience) et le corps objectif (matériel, biologique) eu égard à la santé et à ses
biotechniques, ce que Luna (2004) décrit comme étant un signal de la réception du thème de
l’embodiment (incorporation) par les divers auteurs.
Biehl ouvre la discussion du volet de la santé mentale en illustrant comment les avancées scientifiques
et les technologies inspirent les politiques de santé et acquièrent du même coup une vie sociale. Russo
et al. entraînent ensuite le lecteur dans le débat oscillant entre une conception physique et une
conception morale des troubles mentaux. Le dualisme corps-esprit ferait place à un monisme
physicaliste radical sous l’orientation biologique que prend aujourd’hui la psychiatrie. L’article de
Redko évoque aussi l’inadéquation de ce monisme physicaliste en faisant valoir le rôle fondamental de
la religion aux côtés de celui de la biomédecine dans la compréhension des psychoses. Leal Ferreira
termine par une illustration d’une forme de contrôle social biochimique de la santé mentale.
Camargo Jr. aborde le thème des savoirs et de la connaissance avec une épistémologie comparative
des stratégies par lesquelles s’acquièrent les savoirs de médecins-professeurs. Caroso et al. explorent
les modes d’acquisition des savoirs grâce auxquels les personnes donnent un sens aux causes des
maladies au-delà de la reconnaissance objective et du diagnostic formel. Rabelo et Alves explorent
quant à eux les implications que l’articulation entre expérience et corps apporte pour les sciences
sociales et en particulier pour l’anthropologie de la santé. Ce dernier texte est le seul qui porte sur un
problème seulement théorique, alors que tous les autres sont « localisés » dans le contexte brésilien.
Dans le troisième volet, Camargo da Silva illustre la catastrophe biotechnique nucléaire de Goiâna afin
de démontrer comment les désastres, et leur gestion, sont le résultat d’actions issues de relations de
pouvoirs. Elle relate une souffrance sociale vécue différemment, compte tenu de divers groupes
sociaux, inégalité qui échappe au paradigme mathématico-biomédical. Saillant propose une analyse
des savoirs relatifs aux soins domestiques dans des banlieues amazoniennes, décrits comme lieux de
métissages par excellence, tels qu’ils s’articulent (ou non) aux savoirs hiérarchisés issus du système
biomédical public ou privé. Les notions de métissage et de hiérarchie éclairent les difficultés de
coopération entre ce qui apparaît comme deux univers de soins. Forline explique comment le
déséquilibre nutritionnel des Guajà se produit au moment où ceux-ci connaissent certaines formes de
rencontres avec la société nationale. Il conclut qu’à cet égard l’autonomie autochtone favorise un bienêtre plus élevé. Enfin, Leibing et Groisman « localisent » les narratifs de femmes âgées qui souffrent
d’hypertension à l’intérieur des hiérarchies, violences et marginalisations de leurs banlieues
défavorisées (favelas, asfalto) de Rio de Janeiro. Le corps ainsi contextualisé fait comprendre
comment le fait de quantifier la santé s’ancre dans nos manières de nous situer dans le monde.
Les ruses de la technique ont pénétré l’activité humaine dans tous les domaines et se sont accélérées
depuis plus de 200 ans. Il n’est pas surprenant alors que la biotechnique s’approprie en quelque sorte
le corps, le réduisant à un objet, tout en laissant entendre qu’elle se préoccupe de toute son humanité.
La question des technologies du corps est des plus importantes si on ne veut pas que celles-ci prennent
une place démesurée, devenue une fin en soi. C’est le rappel de cet engouffrement des biotechnologies
« globales » du corps dans des réalités « locales » qui constitue la plus grande force de ce livre et le
rend d’intérêt international.
Références
LUNA N., 2004, Resenha (Edição no. 21) in Comunidade virtual de antropologia. Consulté sur
Internet (www.antropologia.com.br/resenha.html), novembre 2004.
Julie Laplante
Université de Montréal et Universidade Federal de Rio de Janeiro
4760, chemin de la Doncaster
Sainte-Adèle (Québec) J8B 1R8
Canada
Geneviève CRESSON et François-Xavier SCHWEYER (dir.), Profession et institutions de santé face
à l’organisation du travail. Aspects sociologiques. Rennes, Éditions ENSP, 2000, 222 p.
L’organisation du travail dans l’industrie est un phénomène sur lequel se sont penchés économistes et
chercheurs en sciences sociales ; elle est particulièrement adaptée à un secteur de production de biens.
Dans les services, la question peut se poser de sa pertinence, tant les phénomènes de productivité sont
difficiles à cerner. À l’hôpital, la taille réduite des services de soins et donc des effectifs qu’il est
possible de prendre en compte, l’éparpillement des malades accru par la disparition dans les années
soixante-dix des salles communes (ce que l’on a appelé l’« humanisation » des hôpitaux), mais
également un encadrement légal et réglementaire théoriquement fort contraignant alors que le
glissement des tâches est constant, tout se conjugue pour rendre plus malaisée l’appréhension de
l’organisation du travail. C’est cette gageure qu’ont affrontée les quatorze auteurs de cet ouvrage qui, à
l’initiative du Comité de recherche 13 « Sociologie de la santé », de l’Association internationale des
sociologues de langue française, présente des travaux récents. Si le système de santé et les hôpitaux
français sont placés au centre de l’étude, la dimension comparative est prise en compte avec une
approche du système chilien et de la profession médicale en Algérie, mais également par les
expériences anglaise, canadienne, belge, analysées dans plusieurs articles. L’étude comparative des
carrières et relations au sein du corps médical hospitalier en Europe, par Carine Vassy, permet ainsi de
mieux percevoir que les spécificités françaises sont bien réduites et que des dynamiques semblables se
retrouvent dans les divers pays. De même, sans que soit négligé le métier-roi des services de soins,
celui de l’infirmière (et Isabelle Féroni explique bien à quel point la rhétorique de l’identité infirmière
élaborée par ses élites se révèle un « piège »), d’autres professions sont prises en compte : les
médecins, bien sûr, mais aussi les aides-soignantes, les directeurs (François-Xavier Schweyer se
demande ainsi quel rôle peuvent jouer dans l’organisation des soins les directeurs d’hôpital4 qui ne
disposent pas de la légitimité technique que possèdent, par exemple, les médecins), les cadres de santé,
les pharmaciens.
L’hôpital est aujourd’hui confronté à des modes de gestion qui, au-delà de certains aspects loufoques
(qui relèvent de l’acclimatation de méthodes de management à un milieu qui s’adapte mal à des
pratiques creuses et superficielles), sont passionnantes à étudier et reviennent peu ou prou dans la
plupart des contributions. L’informatique également, qui depuis un quart de siècle a bouleversé
l’organisation de l’ensemble de l’activité économique, n’a pas épargné l’hôpital. Quant à la dimension
émotionnelle du travail, elle y est essentielle. Elle a été récemment étudiée dans ses aspects
sociologiques (Arborio 2001), ethnologiques (Vega 2000) et psychologiques (Molinier 2003).
Eléonore Lépinard revient sur ce point, n’hésite pas à évoquer une « division du travail sentimental »,
notamment des soignantes, par exemple en direction des parents de jeunes opérés, qui permet
précisément de mettre en œuvre cette distanciation qui est « la condition de leur pratique
professionnelle ». Dans la dernière partie, c’est le cas extrême des services de soins palliatifs,
euphémisme qui désigne l’accompagnement de la fin de vie, qui remet en cause une division du travail
qui a toujours eu du mal à être appliquée. Le premier de ces services, destiné à des patients en phase
terminale de cancer et de tuberculose, a été institué en Grande Bretagne en 1967 ; ils se sont largement
développés à la fin du siècle. Face à la mort, il semble que s’estompent les frontières des
qualifications, précisées pour que les malades ne soit pas victimes de l’incompétence de travailleurs
hospitaliers accomplissant des tâches qui nécessiteraient un autre niveau de formation. Le glissement
des tâches, assez général à l’hôpital, n’est pas en ce cas contingent, mais bien une nécessité de
l’organisation du travail, et cela nous renvoie bien sûr à la dimension émotionnelle de l’exercice
hospitalier. On peut cependant se demander s’il n’y a pas quelque danger, par les fins mêmes de ces
services, à les percevoir (ou même à suggérer cette perception) comme des prototypes d’une
organisation du travail hospitalier, qui pour le coup en serait bouleversée. Dernier élément, et non des
moindres, la personnalité du patient et de sa famille sont de plus en plus pris en compte, évolution qui
fait disparaître les derniers vestiges de l’hôpital des indigents, du temps du Grand Renfermement.
Geneviève Cresson n’hésite ainsi pas à parler de « l’activité parentale » lors de l’hospitalisation
d’enfants mucoviscidosiques5.
Bien sûr, malgré une indéniable volonté de mise en perspective, la dimension historique est souvent
lacunaire, à l’aune des travaux sur le personnel et le travail hospitaliers au XXe siècle. Ainsi, en
France, le monde de l’hôpital semble être aujourd’hui fort troublé par une réduction de la durée du
travail, au demeurant sans commune mesure avec l’accroissement des effectifs hospitaliers qui entre
1950 et 1995 ont été multipliés par six. Or, les administrations hospitalières ont déjà été confrontées à
une réduction imposée par la loi, notamment pour la journée de huit heures en 1919, et ont su s’en tirer
pour le plus grand profit des malades et des travailleurs hospitaliers qui, dans les services de soins
parisiens, ont vu la journée de travail passer de 12 h 15 à 8 h. Cet ouvrage de sociologie est riche, et il
indique des pistes sur lesquelles les historiens pourraient avec bonheur s’aventurer.
Références
ARBORIO A.-M., 2001, Un personnel invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital. Paris, Anthropos.
MOLINIER P., 2003, L’énigme de la femme active. Égoïsme, sexe et compassion. Paris, Payot.
VEGA A., 2000, Une ethnologue à l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien infirmier. Paris, Éditions des
Archives contemporaines.
Christian Chevandier
Centre d’histoire sociale du XXe siècle
9 rue Mahler
75181 Paris Cedex 04
France
Charles ZERNER (dir.), Culture and the Question of Rights. Durham, Duke University Press, 2003,
289 p., illustr., bibliogr., index.
Ce collectif dirigé par Charles Zerner, professeur d’études environnementales au Collège Sarah
Lawrence de New York, s’inscrit clairement au cœur des préoccupations actuelles de l’écologie
politique. Le thème central de l’ouvrage concerne les revendications territoriales et les droits d’accès
aux ressources naturelles des peuples autochtones de Malaisie et d’Indonésie, revendications qui se
situent à l’intersection de la prestation culturelle, de la poésie et de la politique.
Les riches exemples ethnographiques formant le corps de ce volume permettent d’explorer des
contextes sociaux où différentes formes de prestations (chants, musique, poésie, rituels) illustrant
comment ces sociétés sont reliées à la nature et au territoire. Souvent relégués au statut de
divertissements par les gouvernements, agences internationales et instances juridiques, ces spectacles
revêtent un caractère politique très fort pour ceux qui possèdent les clés nécessaires pour en
comprendre le sens. Cet ouvrage amène donc le lecteur à réfléchir sur la façon dont se répercute la
confrontation de postures épistémologiques et ontologiques différentes dans le cadre des
revendications territoriales, lorsque se construisent ces revendications et quand différents acteurs les
interprètent.
Zerner et ses collègues (Anna Lowenhaupt Tsing, Marina Roseman, Stephanie Gorson Fried, Nancy
Lee Peluso, Donald Brenneis et Jane Monnig Atkinson) traitent de la question selon trois axes : la
construction culturelle de la nature en tant qu’artefact ; la construction culturelle de la nature sous une
forme idéelle ; et l’aspect politique sous-jacent aux modes de représentation des relations à la nature,
aux ressources et au territoire. Ainsi, dans la foulée des écrits d’écologie politique, les différents
auteurs prennent soin de déconstruire les idées reçues concernant la « forêt », la « jungle », la « mer »,
les « ressources naturelles ». Ils nous font voir dans quelle mesure des concepts tels que le « sauvage
», l’« originel », l’« intact » contribuent à rendre invisibles les relations qu’entretiennent les
populations locales avec leur milieu naturel, rendant également invisibles l’occupation, l’utilisation et
la gestion qu’elles font de ces territoires (Zerner, Peluso). Ces qualificatifs risquent d’entraîner une
perte de légitimité de certaines revendications, ce qui incite des groupes d’intérêts, nationaux ou
internationaux, à revendiquer le droit d’exploiter et de développer ces zones dites inoccupées.
Les délibérations concernant les requêtes relatives aux territoires et à l’accès aux ressources sont donc
présentées dans ce livre comme des négociations interculturelles. S’y expriment différentes
symboliques et conceptions matérielles associées à la nature à travers de formes multiples
d’expressions culturelles (rituelles, artistiques, scientifiques, juridiques, etc.) et où les rapports de
forces sont inégaux. La traduction unidirectionnelle des revendications faites par les populations
locales, revendications dites « charismatiques » (Tsing), dans les termes juridiques, scientifiques et
économiques issus de la logique occidentale, est une illustration des rapports de forces en présence. La
réflexion suscitée, entre autres par Roseman, Brenneis et Atkinson, sur « l’art » de la cartographie est
une illustration éloquente de la manière selon laquelle les institutions occidentales imposent la
traduction des réalités locales à travers une grille d’analyse présentée comme neutre. Incorporant en
elle-même les conventions culturelles de la société dont elle est issue, la cartographie a souvent pour
effet d’effacer des relations aux lieux ne pouvant s’exprimer de façon visuelle.
Actuellement, la traduction des revendications charismatiques sous une forme bureaucratique, sorte de
« résistance par la convergence » (p. 15), est une stratégie employée par certains groupes pour faire
reconnaître leurs droits (chapitre de Fried, p. 142). Néanmoins, celle-ci entraîne nécessairement une
perte de sens et des distorsions qui s’effectuent souvent au détriment des groupes locaux. Par
conséquent, l’enjeu souligné par les auteurs se situe au-delà de la reconnaissance de l’équivalence des
revendications en elles-mêmes lorsque ces dernières sont traduites sous une forme bureaucratique. Cet
enjeu réside plutôt dans la nécessité de reconnaître la légitimité politique de leurs formes ainsi que la
pluralité des manières par lesquelles différents groupes affirment ou réaffirment leur appartenance,
leurs relations et leurs droits relativement à un lieu donné.
Pris dans son ensemble, cet ouvrage nourrit la réflexion sur les notions de propriété, le rapport au
territoire et à la ressource et le concept de droit y étant associé, tout en prenant un soin particulier à ne
pas tendre vers l’homogénéisation des populations locales, de leurs relations à la nature et de leurs
revendications. En somme, les thèmes abordés par les auteurs de ce collectif, bien qu’inspirés par le
contexte malais et indonésien, touchent à des questions qui dépassent largement ces frontières
géographiques.
Annick Thomassin
Département d’anthropologie
Université Laval
2450 rue Careau
Québec (Québec) G1P 2R7
Canada
David H. PRICE, Threatening Anthropology. McCarthyism and the FBI’s Surveillance of Activist
Anthropologists. Durham, Duke University Press, 2004, 426 p., bibliogr., index.
Au cours des années 1950, le sénateur américain McCarthy lança un programme de lutte
anticommuniste extrémiste. Un climat de suspicion généralisé s’installa durablement aux États-Unis,
justifiant que soient bafoués, par le FBI, la CIA ou la NSA, le droit ou la liberté fondamentale des
individus. Ainsi, de nombreux anthropologues furent non seulement inquiétés pour leur appartenance
au Parti communiste ou pour leurs activités marxistes militantes, mais aussi, et le point mérite d’être
souligné ici, pour leurs travaux anthropologiques. Afin de retracer l’histoire de cette période noire de
l’anthropologie américaine, David H. Price s’est appuyé sur un considérable corpus de lettres privées,
de littérature grise et d’entretiens. L’accès aux archives du FBI, déterminant pour étudier les
techniques d’intimidation et les dossiers des anthropologues suspectés, fut rendu possible grâce au
Freedom of information Act. Deux questions parcourent le texte : dans quelle mesure l’anthropologie
peut-elle menacer des intérêts d’État? Quel est l’impact du contexte politique répressif sur le
développement de la recherche anthropologique américaine?
Les 16 chapitres de cet ouvrage très documenté se lisent comme un roman policier. Une partie
seulement se consacre aux cas d’anthropologues communistes ou marxistes ayant fait l’objet
d’enquêtes ou d’intimidation, d’autres se penchent sur l’histoire du FBI (notamment sur Hoover qui
régna 50 ans à sa tête : 1924-1972), ses techniques et ses informateurs privilégiés. Certains
anthropologues, comme G. P. Murdock n’ont pas hésité à prendre l’initiative de dénoncer (une lettre
au directeur du FBI, intégralement reproduite, est tout à fait édifiante) des membres de l’Association
Américaine d’Anthropologie. En ne faisant pas respecter le droit à la liberté de pensée et
l’indépendance du monde de la recherche, cette association contribua largement, tout comme les
universités (en exigeant dès 1949 que tout enseignant signe un serment anticommuniste), à isoler les
victimes de cette répression.
Mais il importe de comprendre également pourquoi d’autres anthropologues non communistes comme
Oscar Lewis ou Margaret Mead (chap. 12), ont malgré tout intéressé le FBI. Outre la paranoïa dans
laquelle sombrèrent les organismes d’information (il est communiste, car il ne se présente pas comme
tel!), la suspicion se généralisa à l’ensemble des travaux anthropologiques : le FBI fait des comptesrendus et procède à des auditions d’étudiants et d’enseignants (chap. 9) dont les répercussions et
l’audience pouvaient menacer la stratification sociale inégalitaire et raciste sur laquelle se fondent les
conservateurs. Le succès du maccarthysme fut éclatant : « communiste » devint alors une catégorie
d’accusation ou de dégradation tellement redoutée que l’autocensure s’installa rapidement dans les
travaux et les enseignements. Désormais, il fallait faire les preuves de son patriotisme. L’apolitisme
qui résulta de ce dressage est, pour l’auteur, encore présent dans l’anthropologie américaine
contemporaine.
Price a parfaitement conscience du sens que prend son ouvrage dans le contexte politique américain
contemporain (chap. 16). Sur le plan méthodologique, il plaide pour l’articulation de l’approche
historiciste et présentiste. Il faut tirer ici et maintenant les leçons critiques du passé. À travers le Patriot
Act II, on ne peut que constater la résurgence d’une forme inquiétante de maccarthysme. Sur le plan
politique, l’approche postmoderne en anthropologie est vaine et pernicieuse. Comme tout solipsisme,
elle cultive ou justifie l’inaction. Price ne mentionne pas que d’autres approches (cognitive, biologique
ou symbolique) se gardent bien de prendre en compte les dimensions politiques de leur terrain. On
comprend cependant que les théories de la culture (et le relativisme culturel) qui l’ignorent souvent ont
une fonction politique de valorisation des groupes étudiés. C’est peut-être leur seul mérite.
« Lorsqu’elle est correctement pratiquée, l’anthropologie est une science menaçante » (p. 29). Sans
être forcément d’inspiration marxiste, l’anthropologie est critique. Elle contribue à étudier la
production sociale de l’inégalité et de l’ordre des choses. Si la liberté de recherche est garantie, les
sciences sociales ne peuvent s’encombrer des discours dominants qui naturalisent les hiérarchies en
espérant qu’elles demeurent inchangées. Mais lorsqu’elle n’est pas correctement pratiquée,
l’anthropologie est une science administrative et classificatrice, légitimant l’arbitraire du discours
dominant de quelques autorités locales. L’enjeu est alors de s’entendre sur ce que « correctement »
signifie pour une telle pratique. Un sens peut être sans peine exclu : « politiquement correcte ».
Samuel Lézé
Laboratoire de sciences sociales
École Normale Supérieure
48 Boulevard Jourdan
75014 Paris
France
Benoît DE L’ESTOILE et Michel NAEPELS (dir.), « Frontières de l’anthropologie », Critique, Paris,
Éditions de Minuit, tome LX, n° 680-681, janvier-février 2004, 160 p.
L’anthropologie s’est édifiée sur un monde aujourd’hui révolu. Les transformations sociales,
lorsqu’elles n’étaient pas déplorées ou occultées, furent tardivement au cœur des préoccupations d’une
discipline avant tout fascinée par les entités collectives – figures de la répétition et de l’ordre – qu’on
les nomme ethnie, culture, tradition, structure ou système symbolique. La perte de l’objet supposé, la
mise en question de son statut dans la colonisation et la critique de sa méthode ont laissé place à une
question simple mais décisive : qu’est-ce que l’anthropologie? La réponse ne se décrète pas.
L’ethnologue ne sécrète pas de lui-même l’ethnologie.
Fort heureusement, l’anthropologie s’est largement renouvelée grâce au travail de terrain et à ses
rapports aux autres sciences sociales, souvent en marge6 de ceux qui ont tenté de sauver les vestiges
d’une discipline aux prises avec le « grand partage » et son corollaire, le « paradigme ethnologique ».
Or, il est temps de sortir d’une vision éculée de l’anthropologie. C’est cet aspect que Benoît De
L’Estoile et Michel Naepels ont privilégié en présentant treize comptes-rendus brefs et toniques. Leur
ambition est de montrer dans quelle mesure l’anthropologie, portant désormais son attention sur des
questions contemporaines, avive sa propre dynamique et redessine ses frontières disciplinaires en
prenant en compte de plus larges dimensions.
Il est vain de vouloir faire un commentaire de commentaires. Je m’intéresserai donc à dégager les
apports de ce collectif et les thèmes abordés. Je distinguerai deux axes principaux qui organisent
l’ensemble des contributions : 1. Les nouveaux terrains et ses questions ; 2. le rapport de
l’anthropologie au mental.
Le concept de terrain doit être clarifié et repensé. Il est classiquement confondu avec l’unité de lieu, de
temps ou de peuple exotique. On n’a guère pris la mesure de cet obstacle épistémologique majeur.
Comme si l’objet de l’anthropologie gisait naturellement là, donné et immédiat. Il est au contraire aisé
de montrer qu’il n’existe pas d’objet ou un type de société consacré. Les études évoquées portent sur
la violence des institutions disciplinaires, les usages de la souffrance psychique, l’action politique, les
questions urbaines, l’activité scientifique, etc. Elles ont en commun le souci de construire de façon
réfléchie et de plus en plus négociée leur pertinence théorique. Le terrain peut être alors multi-sites et
peut étudier plusieurs catégories d’acteurs, éventuellement concurrents. L’unité d’analyse et l’analyse
des contextes ne se fonde donc plus sur de fausses évidences, mais à partir de problématiques
clairement formulées. De ce fait, le travail de terrain n’est pas un simple recueil des matériaux, il est
de bout en bout théorique.
L’anthropologie privilégie, au travers du travail de terrain, la dimension prosaïque de la vie sociale.
C’est une science de l’ordinaire. Or, les règles, qui en forment le cadre, ne sont pas établies une fois
pour toute, constitutives d’une sorte de présent établi par une totalité. C’est pourquoi s’impose
l’analyse des dimensions historiques, sociales, politiques ou économiques pour en décrire les ressorts.
Mais loin de se restreindre à une échelle d’analyse (le « micro »), ces recherches clarifient et rendent
intelligible l’évolution économique et sociale contemporaine. Dès lors, il ressort très clairement des
diverses contributions que le travail de terrain est le lieu de formation et de transformation des
problématiques anthropologiques.
Le cognitivisme, comme autrefois le marxisme, contraint les sciences sociales à se prononcer sur ces
acquis hypothétiques. Les sirènes de la scientificité et les promesses de crédits pourraient tenter ceux
qui n’ont pas cessé d’espérer, parfois secrètement, de naturaliser enfin la discipline. Il faut être très
clair à ce sujet. La fécondité en la matière est bien modeste au regard des ambitions affichées et de la
rhétorique de l’intimidation. Les prétentions de l’anthropologie cognitive restent depuis 20 ans à l’état
de projet ou de profession de foi aboutissant au mieux à quelques remarques d’ordre purement
épistémologique. Les travaux existants sont de maladroites applications dont l’enjeu est de se départir
des théories concurrentes, le « terrain » faisant alors office d’experimentum crucis. Pour finir, le
paradoxe cognitiviste en anthropologie pourrait se résumer ainsi : sous prétexte de redéfinir
l’anthropologie par une seule dimension, cognitive (pour rompre avec le psychologisme naïf des
théories de la culture), faisant alors figure d’avant-garde rationaliste, le domaine de prédilection
exploité par les tenants de cette démarche relève en définitive d’un combat d’arrière- garde : expliquer
les figures de l’équivoque et de l’archaïque… Ce numéro soulève bien la question, mais non le
problème. Il est à juste titre rappelé que le cognitif, à travers l’écriture notamment, peut faire l’objet de
l’anthropologie sans recourir à des théories du mental. Mais pourquoi alors avec tant d’embarras?
Il est sans doute prématuré de voir dans ce collectif une rectification positive et entièrement aboutie de
l’anthropologie. Tant de questions restent en suspens. Tant de conséquences restent à tirer des ruptures
antérieures. On a tout de même le sentiment que le cumul de ces enquêtes fait déjà sens et esquisse une
façon claire de faire de l’anthropologie.
Samuel Lézé
Laboratoire de sciences sociales
École Normale Supérieure
48 Boulevard Jourdan
75014 Paris
France
Anthropologie et Sociétés
Département d'anthropologie
Université Laval
janvier 2005
Psychologie clinique
Numéro 15 : Anthropologie et clinique
L'harmattan
ANTHROPOLOGIE
RECHERCHES ANTILLAISES
ET
CLINIQUE
:
Sous
la
direction
de
Jean
Galap
et
d'Olivier
Douville
Les Antilles françaises sont constituées de sociétés récentes issues d'une histoire particulière dont leur
moindre caractéristique est leur constitution composite à partir de populations originelles, différentes
si ce n'est antagonistes. Ces composantes proviennent des quatre coins de la planète et~ elles furent
sauvagement hiérarchisées du fait de la vocation mercantiliste de départ de ces deux vieilles colonies.
L'intention vise ici à étudier les dynamiques, les dynamismes et les fragilités, les points de rupture et
d'ancrage, les compensations et sublimations des inévitables conflits, voire les zones d'ombre propices
à
l'apparition
de
réorganisations,
de
restructurations,
de
resocialisation.
La revue P3ycbologie Clinique engagée dans un projet scientifique de déchiffrement de sens, en sa
double inscription intrapsychique et sociale, souhaite, par des réflexions issues de recherches
disciplinaires multiples, s'insérer dans le champ social des Antillais. Ce sont ces mondes antillais
marqués par l'histoire et par l'exil que nous interrogerons afin de les mieux connaître.
Ce numéro se complète de recherches qui témoignent de moments de rencontres et de dialogues entre
anthropologie
et
clinique,
hier
et
aujourd'hui.
Avec
les
contributions
de
:
Alain Abelhauser, Richard Abibon, David F. Allen, Gérard Althabe, Michel Audisio, Carina Basualdo,
Robert Berthelier, François Bertrand, Lucien Bonnafé, Daniel Boukman, Danièle Brun, Jacqueline
Carroy, Joëlle Chandey, Maryse Condé, Huo Datong, Patrick Delaroche, Olivier Douville, Dany
Joseph Ducosson, Vincent Estellon, Jean Galap, Michaël Guyader, Lydia Lacombe-Csango, Pascal Le
Maléfan, Livia Lésel, Lyne Lirus-Galap, Marycécile Lubino, Martine Menès, Sylvain Missonnier,
Laurent Ottavi, Louis.Félix Ozier-Lafontaine, Véronique Piaton-Hallé, Serge Raymond, Robert
Samacher, Monique Sélim,. Loïck M. Villerbu, Jean-Michel Vives, Claude Wacjman, Michel Gad.
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The International Journal Of Victimology
Année 2, Numéro 2, Avril 2004 JIDV.COM
ARTICLE
Traumas psychiques chez les demandeurs d’asile en
France :
des spécificités cliniques et thérapeutiques
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Par Baubet T1, Abbal T2, Claudet J3, Le Du C4, Heidenreich F5, Levy K6, Mehallel
S7, Rezzoug D4, Sturm G3, Moro MR8
La souffrance psychique des populations soumises à des conflits, des situations de violences
organisées, des déplacements forcés est aujourd’hui une donnée connue et admise par tous. Nous
rencontrons ces patients dans le cadre de notre travail en situation humanitaire (Baubet & al. 2003a et
2003b, Lachal & al. 2003), mais également en France, lorsqu’ils sont en position de demandeurs
d’asile. Il faut rappeler qu’il s’agit aujourd’hui de la seule modalité légale pour venir s’établir en
France lorsqu’on vient d’ailleurs… Nous rencontrons ces patients à l’Hôpital Avicenne, à Bobigny,
dans le cadre d’une consultation transculturelle du psychotraumatisme extrême9. Hutus rwandais, Juifs
ouzbeks, Algériens kabyles ou arabophones, Congolais du Congo-Brazzaville et de RDC, Indiens
sikhs ou du Kerala, Sri-lankais, Ivoiriens, Sierra Leonais, Peuls de Mauritanie, etc. leur histoire
témoigne de conflits qui secouent la planète, et dont beaucoup se déroulent dans le silence de la
communauté internationale, des conflits invisibles ou oubliés mais toujours actifs et destructeurs.
Notre rencontre avec ces patients nous a amenés à nous questionner : la prise en charge des patients
demandeurs d’asile présentant des troubles post-traumatiques présente-t-elle certaines spécificités ?
Nous soutenons que ces spécificités existent, qu’elles concernent à la fois le vécu pré-migratoire,
l’expérience de l’exil, la dimension transculturelle et le vécu post-migratoire, et que leur prise en
compte est nécessaire pour le diagnostic comme pour le soin. Nous n’évoquerons pas ici la question
importante de la résilience pour nous intéresser aux sujets qui présentent des tableaux de souffrance
psychologique avérée.
I. Le vécu prémigratoire : une clinique de la violence extrême et organisée
Certains demandeurs d’asile ont été exposés à des souffrances dramatiques et extrêmes. Nous ne
pensons pas que nos outils usuels, comme le concept d’Etat de stress post-traumatique, soient adaptés
à ces cas : en raison de la gravité des trauma subis, souvent sous-tendus par une cruauté extrême
(Nahoum-Grappe 1995), de leur caractère inter-humain et intentionnel, et de leur dimension collective,
témoignant d’une situation de violence organisée, c’est-à-dire d’une relation de violence exercée par
un groupe sur un autre (Rousseau 2003). Les traumas sont souvent répétés, et accompagnés de deuils
multiples. Les troubles observés répondent parfois à ce que la CIM-10 nomme « Modifications
durables de la personnalité liées à une expérience de catastrophe » ou bien le plus souvent à ce qui a
été décrit comme le tableau de « PTSD complexe » (Herman 1992, Van der Kolk 1996, Frey 2001).
Ce tableau clinique associe :
1. 1. Altération dans la régulation de l’état affectif
Elle se caractérise par divers troubles :
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troubles chroniques de la régulation des affects ;
difficultés à moduler les réactions de colère ;
comportements auto-agressifs et suicidaires ;
difficultés à moduler l’engagement dans des activités sexuelles ;
comportements impulsifs ;
prises de risque.
2. 2. Altération de l’attention et de l’état de conscience
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amnésie (totale ou partielle) ;
épisode dissociatif transitoire (dépersonnalisation, déréalisation, autres).
c. Somatisations
Celles-ci constituent souvent le motif initial de consultation :
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douleurs chroniques ;
troubles somatiques fonctionnels ;
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symptômes conversifs ;
symptômes sexuels.
d. Modifications chroniques du caractère
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altérations de la perception de soi ;
altérations de la perception de l’agresseur (mais on peut se demander si le désir de
vengeance est normal ou pathologique) ;
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altérations de la relation aux autres.
e. Altération des systèmes de sens
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désespoir ;
la perte de certaines croyances, qui soutenaient jusque là l’individu.
Les violences subies sont souvent associées à des deuils, ce qui complexifie encore le tableau clinique.
La violence extrême, intentionnelle et organisée provoque des effets qui vont au-delà de l’effroi et de
ses conséquences décrites par des auteurs comme F. Lebigot (2002). C’est ce qui fonde l’humanité
même du sujet qui est touché : les liens sont rompus, la Loi attaquée, l’ordre symbolique bouleversé,
les tabous fondamentaux brisés. La révélation de la nature possiblement monstrueuse de tout être
humain – et de soi – en surgit (Rousseau). Ce type de situation affecte non seulement les individus,
mais aussi la famille, le groupe qui se trouvent désorganisés, privés parfois de leur capacité à se
protéger les uns les autres.
II. L’expérience de la migration et de l’exil
La migration possède en elle-même des potentialités traumatiques, du fait de la rupture du contenant
culturel qu’elle implique (Nathan 1986). Des deuils sont à élaborer (de personnes, mais aussi de pays
et de statut social). Migrer c'est bien sur laisser derrière soi de la famille, des amis, un métier, un statut
social, la terre des ancêtres vivants et morts. Cela implique donc des renoncements, de la nostalgie, et
parfois des deuils inacceptables. Ce travail de deuil qui passe par les phases classiquement attribuées à
ce processus, a notamment été décrit par Grinberg & Grinberg (1986) : les sentiments initiaux de
douleur intense pour ce qui a été perdu, accompagnés de désorganisations anxieuses dans un sentiment
de détresse, de solitude, d’abandon, laissent progressivement la place à des affects dépressifs (et
éventuellement à des défenses maniaques se traduisant par une minimisation ou une dénégation du
changement survenu). Ce double mouvement de traumatisme et de perte vient redoubler celui qui est
lié aux événements vécus. L’exil, migration sans projet préalable, fuite sans espoir de retour, nécessite
un travail d’élaboration plus difficile. La situation de « demande d’asile » est encore plus complexe :
exil, oui, mais pas garanti, avec le risque de se voir refuser cet asile et de devoir être menacé
d’expulsion. On imagine sans peine combien cette insécurité dans la réalité entre en résonance avec le
sentiment d’insécurité interne.
III. La dimension transculturelle
L’éclairage de la psychiatrie transculturelle est importante à plusieurs titres : il permet d’affiner le
diagnostic, d’améliorer l’alliance thérapeutique avec le patient et sa famille, et de proposer des soins
plus efficients, notamment lorsqu’existe un codage culturel des troubles.
La culture conditionne le vécu de la maladie, et la stratégie de recherche de soins. Les anthropologues
anglo-saxons ont distingué les termes : disease (la maladie décrite par le médecin), illness (expérience
de la maladie pour le patient) et sickness (la maladie sur le plan de la scène sociale). Trois manières
très différentes de parler de la même « maladie » !
Les troubles observés répondent fréquemment à un codage culturel. Le décodage se fait à un niveau
ontologique (l’être tel qu’il est construit à partir des représentations culturelles) qui détermine les
théories étiologiques du patient (le sens) et ses logiques thérapeutiques (le « faire ») (Moro 1994).
Les tableaux cliniques correspondant aux critères diagnostiques du PTSD peuvent être retrouvés dans
des aires géographiques très diverses. Cependant, le PTSD ne couvre pas l’ensemble des réactions
observables (Baubet & Moro 2003b). Les symptômes que nous considérons comme cardinaux ne sont
pas toujours vécus comme les plus gênants par les patients ; de plus, la fréquence des formes
incomplètes ou complexes est extrêmement élevée.
Dans certaines aires culturelles, on observe des tableaux spécifiques des pathologies causées par la
frayeur, comme le susto en Amérique latine, et la khal’a au Maghreb.
Ce dernier terme, qui provient de l’arabe littéraire, renvoie au fait d’ôter, d’arracher brutalement
quelque chose, et dans le cas de la frayeur, à une séparation, une disjonction âme/corps. Lors de la
khal’a, l’âme peut quitter le corps, et des êtres surnaturels (comme par exemple un djinn) peuvent y
pénétrer. La personne touchée est dite makhlouï : son être a été enlevé, « sa raison est partie », il est
« effaré », et un djinn a profité de cet instant pour prendre possession de son intériorité. La khal’a
réalise ainsi un type particulier de possession qui est soudaine, totale, et prive le sujet de ses capacités
de résistance et de toute possibilité de « négociation » avec le djinn (Lheimeur 1990). Cliniquement,
lors de l’épisode de frayeur, la personne apparaît figée, hébétée, elle semble « ne plus être là », ne
« plus être la même », et peut uriner sur elle. C’est ce moment de sidération, caractéristique de l’effroi,
qui fait reconnaître la khal’a. La logique thérapeutique consiste alors à faire émerger la raison par un
autre trauma. Par exemple chez les Berbères du Maroc, ce peut être une brûlure circonscrite, réalisée
par surprise par un membre de la famille, par exemple à l’aide d’une cuillère chauffée au feu, réalisant
une petite marque corporelle. Ce traitement permet à la fois de répéter l’expérience traumatique dans
ce qu’elle a de douloureux, d’incompréhensible et de surprenant, tout en agissant sur l’enveloppe
corporelle, pour la « fermer ». Lheimeur (1990) donne une description de traitement de la khal’a par
une thérapeute ghawia (Maroc) qui illustre cette nécessité de provoquer un nouvel effroi. Nathan
(1990) a insisté sur la notion d’effraction repérable dans tous les modèles traditionnels de troubles liés
à la frayeur, et particulièrement sur l’idée de « bipolarité sémantique effraction/extraction » qu’on peut
finalement rapprocher des modèles psychanalytiques du trauma psychique. Il est vraisemblable qu’il
existe encore bien d’autres manières locales de comprendre la souffrance psychique liée à la frayeur.
Ces modèles ont été jusqu’ici peu étudiés et constituent une piste de recherche intéressante que
certains auteurs cherchent à explorer. On peut citer les travaux de Fox chez les Mandingues (2003),
d’Igreja au Mozambique (2003), ou de Chan chez les Hakka de Polynésie française (2003).
Les tableaux non spécifiques le plus souvent observés sont les transes, les pseudo-hallucinations, et les
somatisations, qui masquent parfois totalement la symptomatologie post-traumatique. Rechtman
(1992) a montré par exemple, auprès d’une population de réfugiés cambodgiens à Paris, la fréquence
des phénomènes d’apparitions de défunts dans le cadre de pathologies liées à des traumas extrêmes et
des deuils, sans que cela soit à interpréter dans le sens de phénomènes psychotiques. Les états aigus
d’allure délirante posent des problèmes diagnostiques importants, car on a souvent tendance à « surdiagnostiquer » une psychose, alors que ces modalités réactionnelles et défensives peuvent
correspondre à une spécificité culturelle. La psychiatrie anglo-saxonne est particulièrement sensible à
cet aspect de l’erreur diagnostique liée aux biais culturels du clinicien (Baubet & Moro 2003a).
Dans notre expérience, les somatisations, extrêmement fréquentes se présentent sous deux formes : il
s’agit soit d’une douleur chronique invalidante, soit d’une douleur plus aiguë et répétitive qui peut
constituer une véritable reviviscence traumatique (Baubet & Moro 2003b). Un long parcours médical
est souvent nécessaire avant que la dimension post-traumatique des troubles soit reconnue
(rhumatologue, gynécologue, etc).
IV. Le contexte social et politique de l’accueil (le post-migratoire).
Une fois dans le pays-hôte, les migrants se retrouvent coincés entre un discours idéal sur l’asile, la
réalité d’une opinion publique souvent hostile et des politiques migratoires contraignantes qui les
forcent sans cesse à prouver qu’ils ne sont pas des fraudeurs ou des criminels (Rousseau & Nadeau
2003). Les réfugiés qui ont vécu un trauma dans le pays d’origine vivent donc un triple traumatisme :
le traumatisme pré-migratoire, les effets potentiellement traumatiques de la migration et le
traumatisme découlant du déni de leur vécu par le pays d’accueil.
Le parcours administratif des réfugiés a des interférences très fortes avec les prises en charge
cliniques. Ils doivent en effet raconter en détail à l’OFPRA10 des événements traumatiques qu’ils n’ont
parfois jamais pu évoquer ; l’acceptation de leur dossier en dépend. Lorsque des troubles de la
mémoire ou des reviviscences traumatiques les empêchent de donner des détails précis, on leur répond
« qu’on ne les croit pas » et ils sont déboutés (Asensi & Le Du 2003). Ce processus lent, douloureux,
et hasardeux a bien sûr de lourdes conséquences sur l’expression des symptômes et les possibilités
d’élaboration. Il faut signaler ici qu’à plusieurs moments de ce parcours délicat, des certificats
médicaux sont nécessaires au patient.
La demande d’asile ne repose pas sur un constat de troubles médicaux. Le statut juridique des
demandeurs d’asile et en conséquence leur devenir social sont actuellement réglementés par les textes
supranationaux que sont les conventions de Schengen11 et de Dublin12, lesquelles, opérant un
verrouillage des frontières, offrent désormais aux états européens l’occasion d’une application très
restrictive du premier texte signé en faveur des réfugiés13, rédigé il y a cinquante ans dans un contexte
géopolitique international très différent de celui que nous connaissons actuellement. Relisons les
termes de ce texte du 28 juillet 1951 : le réfugié est une « personne qui, craignant avec raison, d’être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain
groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne
peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays 14». Dans ce
processus, un certificat médical peut être déterminant si le patient, du fait de ses troubles psychiques,
présente des difficultés dans l’évocation de son histoire, qu’il s’agisse de difficultés mnésiques, ou de
reviviscences entraînant des moments de sidération. Il faut savoir que les troubles mnésiques,
incohérences, non réponses, seront généralement interprétées par l’OFPRA comme témoignant de
mensonges ou d’affabulations de la part du requérant. Dans les autres cas, le certificat médical est un
des éléments du dossier, sans être déterminant (l’asile n’est pas accordé parce qu’on est malade, mais
parce que, pour schématiser, on serait persécuté dans son pays si on y retournait). D’autres procèdures
existent, comme le titre de séjour provisoire pour soins, destiné aux patients qui nécessitent des soins
impératifs qui ne peuvent pas leur être dispensés dans leur pays d’origine. La place du certificat
médical est alors centrale puisque c’est une pièce nécessaire à l’ouverture du dossier en Préfecture.
Les psychiatres connaissent souvent mal ces procédures et leurs interférences possibles avec la prise
en charge thérapeutique, et la collaboration avec un travailleur social s’avère toujours utile. L’attitude
observée parfois de refuser systématiquement la rédaction de certificats médicaux chez ces patients est
à notre sens injustifiable. Le psychiatre qui prend en charge le patient devrait au minimum s’assurer
alors qu’un collègue peut se charger de la rédaction de ce certificat.
Conclusion
Nous pensons avoir montré la complexité de ces situations, et ce que peut apporter une pratique qui
tienne compte à la fois de l’histoire des patients (vécu pré-migratoire et impact de la migration), des
aspects culturels, et du contexte social et politique de leur prise en charge en France. Une pratique qui
nous conduit, au quotidien, à ré-interroger nos pré-supposés théoriques, et nos manières de faire…
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society. New York : Guilford Press ; 1996.p.182-213.
1 Psychiatre, Service de Psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent et de psychiatrie générale du Pr
MR Moro. Hôpital Avicenne (AP-HP), 125 rue de Stalingrad 93009 Bobigny Cedex, Université Paris
13, (UPRES EA 3409), Médecins Sans Frontières, Paris. E-mail : [email protected]
2 Psychologue clinicien, même service
3 Assistante de service social, même service.
4 Psychologue clinicienne, même service, consultante pour Médecins Sans Frontières
5 Psychiatre, même service, consultante à Médecins Sans Frontières
6 Psychologue clinicienne, même service
7 Psychiatre, même service
8 Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, même service. Université Paris 13.
9 Cette consultation, à laquelle participent l’ensemble des auteurs de cette communication, est dirigée
par T. Baubet.
10 L’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides est un organe travaillant sous la
responsabilité du Quai d’Orsay, qui a notamment pour fonction de traiter les demandes d’asile.
Actuellement, mois de 20% des demandeurs se le voient accordé.
11 La convention d'application de l'accord de Schengen instituant un espace de libre circulation des
personnes a été signée par treize Etats membres de l'Union européenne dont la France le 19 juin 1990.
12 La convention relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile
présentée dans l'un des Etats membres des Communautés européennes a été signée à Dublin le 15 juin
1990.
13 Convention des Nations Unies de 1951, relative au statut des réfugiés. Voir : Bouchet-Saulnier
2000 : 386.
14 Article premier de la Convention des Nations unies de 1951.
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