ALCIBIADE ALCIBIADE 450-404 avant J.

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ALCIBIADE
ALCIBIADE 450-404 avant J.-C.
La vie d’Alcibiade, à la fin du Ve siècle avant J.-C., coïncide, à Athènes, avec
une période de transformations profondes où l’esprit civique et les traditions cèdent
devant les progrès de l’individualisme et de la critique. Alcibiade appartient déjà au
IVe siècle; c’est un personnage politique hors série, un «héros» au sens moderne du
terme. L’ambiguïté de son comportement, l’obscurité de ses intentions, les
divergences des historiens sur ses actes et sur leur interprétation, le rendent difficile
à juger. L’ambition semble avoir été son seul guide; il lui a sacrifié son honneur et les
intérêts de l’État. Aurait-il pu sauver Athènes? En fait, il a contribué à l’affaiblir.
L’homme
Alcibiade, né en 450 avant J.-C., se rattache aux deux plus grandes familles
d’Athènes: par sa naissance aux Alcméonides et à Périclès, par son mariage aux
Kérikes. Sa brillante intelligence, ses dons d’orateur s’avivent à fréquenter des
esprits distingués: tout jeune, il se lie d’amitié avec Socrate. Mais celui-ci n’eut pas
d’influence réelle sur Alcibiade qui, en dépit de l’«esprit philosophique» que lui a
reconnu Platon, choisit le monde extérieur et la politique. Le Banquet témoigne de
leur rupture et, dans le Gorgias , Alcibiade sera dénoncé par Socrate comme le
«complice» de Calliclès, théoricien de la violence et de la volonté de puissance. Une
exceptionnelle beauté pousse Alcibiade vers la vie publique, les succès et les
plaisirs. Cette beauté masque l’homme véritable; elle excuse ses excès envers les
hommes et les dieux. Elle commande cette élégance raffinée, ces chaussures rares,
ce manteau de pourpre traînant dans la poussière, ce luxe, l’entretien d’une écurie
de courses, la préciosité du langage. Les défauts et les extravagances d’Alcibiade
séduisent au lieu d’irriter. Partout il est l’objet d’engouement et de flatteries; il
participe en 416 aux jeux Olympiques: plusieurs cités lui offrent une tente, paient ses
frais de séjour, fournissent sa nourriture, celle de ses chevaux et les bêtes pour le
sacrifice. Athènes l’autorise à utiliser les vases d’or de la cité pour célébrer sa
victoire. Chéri de tous, le bel et riche Alcibiade tend à s’identifier à la loi. Comblé par
la fortune, intelligent, courageux, excellent soldat, il apparaît comme le successeur
désigné de Périclès, mais l’enthousiasme qu’il déchaîne «s’adresse plus à sa
personne qu’à son mérite». Son manque de caractère, son égoïsme, sa vanité, une
ambition forcenée l’entraînent à pratiquer une politique instable, voire malhonnête,
qui se solde au total pour Athènes par une série de malheurs.
Le champion de l’impérialisme athénien
De 420 à 415, Alcibiade apparaît comme le continuateur de Périclès et le
champion de l’impérialisme athénien. Lorsqu’il entre dans la carrière politique, la
guerre du Péloponnèse connaît une trêve et Athènes traverse une brillante période.
Nicias a signé la paix avec Sparte en 421: cette paix, Alcibiade ne l’accepte pas. Il
prépare la revanche d’Athènes. Il veut la guerre qui peut ouvrir à son ambition un
champ illimité. On l’écoute; il est élu stratège en 420; il a trente ans.
Dès ce moment, il s’emploie à précipiter la rupture avec Sparte. Exploitant une
alliance «illégale» entre Sparte et la Béotie, il intervient dans le Péloponnèse,
conclut en juillet 420 une alliance défensive de cent ans avec les ennemis de Sparte
coalisés (Élis, Argos, Mantinée). En Achaïe, il soutient Argos en guerre contre
Épidaure, alliée à Sparte. Excellente politique, qui pouvait affaiblir Sparte en
l’isolant. Mais, à Athènes, le parti de la paix l’emporte avec Nicias. En 418, Alcibiade
n’est pas réélu. Une confusion extrême règne alors dans la cité: des hétairies,
nouveaux groupements politiques s’appuyant sur la force, s’y déchaînent. La rivalité
d’Alcibiade et de Nicias paralyse toute activité. Pour sortir de l’inaction, Hyperbolos
présente une proposition d’ostracisme visant Alcibiade et Nicias (418 ou 417). Les
deux hommes s’accordent pour déjouer ce plan: ils sont tous deux élus stratèges,
Hyperbolos est banni. Ces divisions sont sans nul doute responsables de
l’affaiblissement d’Athènes; pendant ce temps, le roi de Sparte, Agis, s’empare des
villes d’Arcadie et bat les armées d’Athènes et d’Argos à Mantinée. Chassée du
Péloponnèse, Athènes hésite entre deux courants: Nicias la pousse vers la Thrace,
Alcibiade vers l’Occident; Alcibiade va l’emporter.
L’expédition de Sicile reflète-t-elle un «grand dessein» d’Alcibiade? A-t-il
réellement voulu s’appuyer sur la Sicile pour conquérir Carthage, puis l’Espagne, et
constituer un empire athénien d’Occident?
En fait, il y a toujours eu à Athènes des partisans d’une politique occidentale,
soit pour empêcher la constitution d’un empire dorien sous l’hégémonie de
Syracuse, soit pour demander à l’opulente Sicile des ressources à distribuer au
peuple. Alcibiade voit l’occasion d’exercer sa volonté de puissance sur ce vaste
terrain d’opérations. Mais, dans la nuit du 7 au 8 juin 416 (?), les Hermès des
carrefours sont mutilés: l’opinion accuse Alcibiade, dont l’irrévérence religieuse et la
débauche sont notoires. Il se défend, demande une enquête. L’Assemblée décide
de surseoir au jugement, l’expédition doit partir. Alcibiade, conscient du danger,
s’incline cependant: c’est en Sicile qu’il apprend la deuxième accusation
(eisangelia ) lancée contre lui. On lui reproche d’avoir parodié les mystères
d’Éleusis. Un vaisseau de l’État est dépêché en Sicile pour ramener Alcibiade; il y
monte puis s’en échappe, gagne Élis, Argos, enfin Sparte. Il est condamné à mort
par contumace et ses biens sont confisqués. C’est la ruine totale, morale et
matérielle.
Un jeu complexe entre Athènes, Sparte et la Perse
Ainsi Alcibiade s’est soustrait aux lois. Plutôt que d’être jugé, il a préféré rompre
avec Athènes et se réfugier chez l’ennemi. Une autre phase de sa vie politique
commence avec cette trahison. Pendant plusieurs années, jusqu’en 408, réduit au
rôle de conseiller, il s’efforcera en vain, mais par tous les moyens, y compris la
trahison et le mensonge, de reconquérir la position et l’influence perdues.
Qu’on l’ait appelé à Sparte (selon Thucydide) ou qu’il s’y soit rendu de
lui-même, il n’en demeure pas moins à son service de 414 à 412. Sparte, au début,
se méfie de lui et, malgré ses conseils, envoie Gylippos en Sicile. La catastrophe de
413, qui ruine la flotte athénienne, donne raison à Alcibiade. Les relations avec la
Perse passent à cette date au premier plan: le moment semble venu pour la Perse et
Sparte de mettre la main sur l’Empire athénien affaibli. Dans cette conjoncture,
Alcibiade se montre très actif. Il conseille à Sparte d’accepter les offres des satrapes
de Lydie et de Phrygie, Tissapherne et Pharnabaze. L’envoi d’une escadre de 40
vaisseaux en Ionie est décidé, mais Alcibiade ne reçoit que cinq navires. De plus, il
ne peut exercer son commandement: accusé d’avoir séduit la femme d’Agis, il est
condamné à mort malgré les éclatants succès personnels remportés à Chios, Milet,
Érythrées, Clazomène.
Il quitte Milet, s’installe auprès de Tissapherne et le persuade de suivre son
plan: user Sparte et Athènes l’une contre l’autre pour mieux triompher des deux. S’il
flatte les intentions de Tissapherne, l’ennemi héréditaire des Grecs, c’est qu’il
espère reconquérir une position de force: il y réussit, car il semble alors diriger la
politique perse à l’égard de la Grèce. Il met tout en œuvre pour rentrer à Athènes, lui
fait connaître ses intentions réelles, et ose lui promettre l’alliance du Grand Roi, si la
démocratie est renversée. Mais les exigences de Tissapherne (poussé peut-être par
Alcibiade, qui a peur d’être désavoué) font échouer les négociations. Cependant, à
Athènes, un régime de terreur aboutit à la chute de la démocratie (printemps 411) et
à l’établissement d’un régime oligarchique; seule, la flotte de Samos demeure fidèle
à la démocratie. Ses chefs, Thrasybule et Thrasyllos, ont besoin d’un appui extérieur
contre le nouveau gouvernement athénien et contre Sparte: ils font appel à
Alcibiade, qui accepte.
Par un retournement de situation imprévu, le banni est élu encore une fois
stratège. Il aide les démocrates à opérer dans l’Hellespont et, en octobre 411,
contribue à la victoire d’Abydos sur le navarque spartiate Mindaros. Le
gouvernement oligarchique d’Athènes, battu par Sparte devant Érétrie, cède la
place à une démocratie modérée dirigée par Théramène. À la même date, la perte
de Byzance et de l’Eubée crée l’affolement à Athènes, privée de blé: seul Alcibiade
semble pouvoir la sauver. On lui offre de revenir pour se laver de l’accusation de
415. Il ne veut pas se présenter en état d’infériorité et les mains vides: il cherche
donc à renouer avec Tissapherne pour négocier son appui éventuel. Mais celui-ci le
fait emprisonner. Alcibiade s’évade et retourne auprès des démocrates de Samos: il
participe à la victoire de Cyzique, qui rétablit la position d’Athènes dans la
Propontide et les Détroits, et rouvre la route du blé. Ce succès momentané lui
permet de demeurer à la tête de la flotte sans rentrer à Athènes.
Le retour à Athènes et l’exil définitif
Une brusque aggravation de la situation précipite son retour. Athènes,
menacée en Grèce et dans ses colonies d’Asie (perte de Nisaia de Pylos, de
Corcyre), rappelle Alcibiade. Il est réhabilité par les prêtres d’Éleusis. En 408, il est à
nouveau élu stratège. Par un coup de maître, il efface le passé et affronte Sparte en
faisant célébrer les mystères d’Éleusis selon le rite antérieur (la procession passe
par la terre et non plus par la mer). Il a recouvré d’un coup sa popularité; on lui
accorde les pleins pouvoirs. Il n’en use pas. La possession de l’Hellespont assurée,
il préfère reconquérir l’Ionie. Mais la situation a changé: Lysandre, navarque hardi et
sans scrupule, commande maintenant la flotte du Péloponnèse; derrière lui, il n’a
plus des satrapes hésitants, mais le propre fils du Grand Roi, Cyrus, qui a reçu le
titre de Karanos, prince souverain. Malgré les ordres d’Alcibiade, son ami Antiochos,
commandant de la flotte athénienne, engage la bataille contre Lysandre à Notion et
subit une lourde défaite (406). Tenu pour responsable, Alcibiade n’est pas réélu.
Pour échapper aux tribunaux, il se retire en Chersonèse où il compte des amis parmi
les princes thraces. Lorsque, en 405, la flotte athénienne vient s’abriter dans la petite
rade d’Aigos Potamos, Alcibiade en personne vient montrer à son chef les dangers
que font courir l’étroitesse du port et l’absence d’arrière-pays. Il conseille Sestos,
mais il n’est pas suivi. C’est le désastre: Lysandre anéantit la flotte athénienne;
l’Empire maritime s’écroule; Samos capitule en dernier. Sparte impose à Athènes le
gouvernement des Trente, hostile à Alcibiade, devenu le symbole de la démocratie.
Celui-ci se rend alors auprès de Pharnabaze; là, il entre dans la légende. Les Trente
poussent Lysandre à exiger sa mort. On met le feu à sa chambre; il s’enfuit, mais
succombe sous les coups de ses gardiens; la femme qui était auprès de lui recueille
et brûle son corps (404 env.).
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