Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie Dissertation 4) L’accompagnement public des secteurs : régulation ou entrave à la concurrence ? L’accompagnement public des secteurs de l’économie est un sujet retentissant d’actualité. Avec une situation économique mondiale qui ne cesse de se dégrader, l’Etat, en tant qu’agent économique, est de plus en plus amené à intervenir dans les multiples secteurs de l’économie en crise. Les innombrables plans de relance, les aides ciblées dans les secteurs bancaire et automobile sont autant d’illustrations récentes d’un regain d’interventionnisme de l’Etat. Il est important de souligner que l’Etat accompagne nombre de secteurs de l’économie au quotidien afin de stimuler la concurrence et protéger les consommateurs dans les secteurs pharmaceutiques, audiovisuels, énergétiques pour ne citer que ceux-ci. A contrario, un rapport récent du CNRS réalisé par Jean Viard a démontré que le manque d’accompagnement de l’Etat peut avoir des conséquences néfastes pour le consommateur, tel l’écho dramatique dans l’actualité de la crise en Guadeloupe et en Martinique1 . L’Etat est particulièrement prévenant dans les marchés de type monopolistique et oligopolistique. Ces structures de marchés sont les plus enclines à des dérives de prix. La concurrence y étant limitée, le consommateur final y est de facto défavorisé. Ces secteurs sont caractérisés par un faible nombre de producteurs et un grand nombre d’acheteurs. L’Etat accompagne afin donc de protéger le consommateur et en général s’emploie à favoriser la concurrence au sein d’un secteur donné. On peut alors dire que l’Etat régule. Il y a deux types de régulation : la régulation de l’économie dans son ensemble (on parle alors de politique conjoncturelle) et la régulation dite sectorielle où l’Etat agit de manière ciblé afin de rétablir l’équilibre dans un secteur donné. C’est de cette dernière dont il s’agit ici. En France, l’Autorité de la Concurrence est une des institutions compétentes en la matière. Sa mission est de lutter contre les pratiques 1 Y.C., Le Point 1901, 19 février 2009, encadré p.35 1 Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie anticoncurrentielles : plus exactement « la régulation du fonctionnement de la concurrence sur les marchés »2. Certaines actions de l’Etat peuvent cependant induire une entrave à la concurrence. Les économistes libéraux de certaines écoles argumentent en effet que plus il y a de réglementation de l’Etat, moins il y a de concurrence : en d’autres termes, l’accompagnement public restreint la concurrence. Nous verrons que deux écoles de pensée s’affrontent sur ce sujet. Ce débat illustre la question posée : l’interventionnisme de l’Etat est-il bénéfique ou au contraire nuit-il à la concurrence ? Nous verrons dans un premier temps que l’accompagnement public relève dans certains cas de la régulation, comme par exemple dans le secteur des télécoms en France. Cet exemple nous permettra par la suite d’envisager l’accompagnement public comme entrave à la concurrence avec les exemples des télécoms en France et de l’audiovisuel en Europe. Enfin, le cas des monopoles naturels et légaux permettra de porter une autre lumière sur le sujet. La conclusion fera état du débat actuel et s’interrogera sur le manque d’accompagnement public (avec pour toile de fond la crise sociale et économique dans les territoires d’OutreMer). Afin que l’ajustement de l’offre et de la demande sur les marchés s’opère (par les prix et les volumes), il faut comme condition préalable que la concurrence fonctionne correctement3. Selon Prager et Galhau, l’Etat se doit d’être aux aguets en cas de défaillances du marché. Lorsqu’il y a un déséquilibre, l’Etat intervient via la régulation. La régulation sectorielle est synonyme de réglementation. En l’occurrence, celle-ci s’applique à « organiser la concurrence dans un secteur d’activité économique de type oligopolistique et/ou instable »4. Définissons tout d’abord les types de marchés qui présentent une menace pour la concurrence et qui peuvent inciter l’Etat à agir. Les marchés de types oligopolistiques et monopolistiques présentent les caractéristiques d’une concurrence imparfaite, où les Site web de l’Autorité de la Concurrence, liens « missions » http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=12 3 Prager et Galhau, 18 Leçons sur la Politique Economique, p.72 4 Wikipedia : régulation sectorielle 2 2 Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie producteurs présents sont peu nombreux et sont capables de modifier l’équilibre du marché à eux seuls. L’oligopole est une structure de marché où « une branche d’activité donnée est dominée par un petit nombre d’offreurs »5. Le principal danger dans ce type de structure est que ces quelques acteurs font le marché. A eux seuls, ils représentent l’offre. Chaque décision prise par un des acteurs a une influence directe sur les autres. Dans ces conditions, il est plus intéressant pour ces entreprises de se mettre d’accord sur les prix par exemple plutôt que de s’engager dans une guerre des prix à la baisse. Ce qui est bien sûr illégal et constitue une entente illicite. On dit alors que ces entreprises forment un cartel. Le peu de concurrence existant dans une telle structure est balayée si les offreurs adhèrent à un cartel. Les économistes dans leur grande majorité (les libéraux inclus) s’accordent sur un type d’intervention de l’Etat : la lutte contre les ententes illicites et la formation des cartels (dans des marchés de structure oligopolistique). En effet, la politique de la concurrence (via la régulation sectorielle) constitue un outil peu contesté par les économistes de tout bord 6. Le monopole illustre le cas de concurrence imparfaite le plus extrême. Selon Samuelson et Nordhaus, le monopole est une « Structure de marché dans laquelle un bien donné est offert par une seule entreprise ».7 Cette entreprise est un market maker, qui peut déterminer son prix librement des dynamiques du secteur dans lequel elle opère. Les risques de dérive sont alors évidents. Le risque d’inertie est aussi important, puisque l’offreur unique n’a aucun intérêt à innover (alors que sur un marché plus concurrentiel, les acteurs se stimulent les uns les autres). Il est nécessaire cependant de mettre un bémol à cette vision négative du monopole : pour Schumpeter, ce sont justement les monopoles qui sont les plus à même d’innover (puisqu’ils disposent des ressources et économies d’échelles adéquats). Dans le cadre de cette théorie, il est préconisé que l’Etat n’intervienne pas de manière abusive afin de ne pas interférer avec le processus d’innovation. Après ces quelques définitions, revenons au sujet principal qui nous occupe avec un exemple de régulation de l’Etat dans le secteur des télécoms. En effet, l’accompagnement public de ce secteur a contribué à la disparition d’un monopole public à partir de 1998 et aboutit aujourd’hui à un oligopole. L’ouverture à la concurrence a effectivement permis dans un 5 Samuelson Nordhaus, Economie, p.750 Prager et Galhau, 18 Leçons sur la Politique Economique, p.80 7 Samuelson Nordhaus, Economie, p.749 6 3 Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie premier temps une baisse des prix pour les consommateurs d’environ 70%8. La concurrence a aussi permit une vraie diversification de l’offre des opérateurs avec de nouveaux services : ADSL haut débit, télévision via Internet etc. En somme, l’Etat a utilisé la régulation sectorielle dans ce secteur via l’outil de la déréglementation. Cependant, nous assistons depuis quelque temps à une nouvelle concentration des acteurs dans ce secteur. L’Etat doit ainsi être vigilant aux dérives possibles inhérentes à ce type de marché. En effet, face à des tarifs trop élevés dans la facturation des sms aux consommateurs, l’Etat est intervenu afin d’obliger les offreurs à baisser leurs prix. Un autre exemple de l’actualité récente est celui de la décision de l’Autorité de la Concurrence vis-àvis d’Orange et de son monopole de la distribution de l’Iphone en France. Ici encore, l’accompagnement public rapproché de ce secteur a fait preuve de régulation en permettant aux autres opérateurs de la téléphonie mobile français de distribuer le portable d’Apple. Cette déréglementation initiale n’a-t-elle ainsi pas à terme conduit à la formation de ce nouvel oligopole ? L’accompagnement public peut ainsi constituer une certaine entrave à la concurrence. Certaines écoles de pensées prônant le laisser-faire l’affirment depuis longtemps. Pour l’Ecole de Chicago, et George Stigler notamment (Prix Nobel d’Economie pour la théorie qui suit), la réglementation de l’Etat peut engendrer une vraie entrave à la concurrence. Les théories de la réglementation des groupes d’intérêts vont dans ce sens 9. En effet la réglementation peut avoir pour effet de restreindre l’entrée dans le secteur réglementé. Le secteur en question (souvent de type oligopolistique : faible nombre d’offreurs/producteurs) fait pression pour maintenir ou endurcir la réglementation en vigueur afin de tenir la concurrence à distance. L’accompagnement public, via la réglementation, peut alors constituer une vraie entrave à la concurrence. Prenons des exemples concrets illustrant cette théorie. Les normes élevées dans le secteur pharmaceutique favorisent fortement les entreprises déjà établies. Les plus petites sont alors exclues. La réglementation restreint donc la concurrence. Comme tous les secteurs à structure oligopolistique, il y a évidemment d’autres barrières à l’entrée très élevées qui dissuadent les plus petits acteurs (telles que les 8 9 Charles de Laubier, Les Echos, 1998-2008 : du monopole à l’oligopole du téléphone, article du 28/03/2008 Samuelson Nordhaus, Economie p. 306 4 Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie ressources requises, les compétences et le savoir faire, les économies d’échelles). La réglementation en est une. On peut cependant justifier l’existence de ces normes strictes sur la base de la santé publique. Prenons maintenant pour exemple un sujet d’actualité récente : le secteur de l’audiovisuel en Europe. La perspective dans ce secteur est quelque peu différente mais illustre bien dans quelle mesure l’accompagnement public d’un secteur peut se faire au détriment de certains acteurs de celui-ci : notamment pour des acteurs privés qui se trouvent alors en situation de désavantage par rapport à leurs homologues publics10. Tel est le cas dans l’audiovisuel au niveau européen. Les Etats européens souhaitent de nouvelles réglementations en matière d’audiovisuel en Europe afin d’assouplir les règles de financement par la publicité dans les nouveaux médias (Internet par exemple). En l’occurrence, il s’agit bien entendu de limiter ce recours à la publicité comme moyen de financement. Les groupes privés dans ce secteur ont exprimé leurs soucis quant aux agents publics utilisant leurs avantages comparatifs (grâce à l’accompagnement public et aux aides dont ils disposent : à peu près 22 milliards d’euros11 en Europe) afin de se financer dans ces nouveaux canaux de communication. Les acteurs privés les plus petits auraient ainsi un désavantage en la matière. Leur entrée sur ces nouveaux marchés de l’audiovisuel serait plus difficile, ne pouvant bénéficier que de financements limités par la publicité. Cela aboutirait à terme à une offre plus limitée. Cette réglementation aurait effectivement pour conséquence d’entraver la concurrence en accroissant les barrières à l’entrée sur ces « nouvelles plates-formes médias »12. Enfin, attardons nous sur le cas des monopoles légaux et naturels. Dans certains secteurs à caractère vital, l’Etat peut imposer la création d’un acteur unique (en n’interférant pas dans la concentration progressive et élimination des producteurs les moins performants13 ou en participant directement à ce processus) pour assurer un service donné : par exemple dans l’électricité, secteur qui d’ailleurs est en train de s’ouvrir progressivement à la concurrence 10 Site Euractiv, http://www.euractiv.fr/marche-interieur-entreprises/article/etats-membres-veulent-assouplirregles-relatives-medias-001417 11 Site Euractiv, http://www.euractiv.fr/marche-interieur-entreprises/article/etats-membres-veulent-assouplirregles-relatives-medias-001417 12 Site Euractiv, http://www.euractiv.fr/marche-interieur-entreprises/article/etats-membres-veulent-assouplirregles-relatives-medias-001417 13 Tronc Commun d’Economie : Macroéconomie, Cours de Mr. Fabrice Bittner, conférence 3 p.1 5 Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie depuis 1996. Etant donné les caractéristiques de ce marché, nous nous situons entre le monopole naturel et le monopole légal. On peut ici argumenter que l’Etat a fait preuve de régulation en favorisant EDF jusqu’en 1996: l’objectif étant d’accroître le bien être global des agents économiques. On peut aussi critiquer cette démarche, qui laissait peu de place à une quelconque concurrence. Le débat change alors de tonalité. L’accompagnement public d’un secteur à vocation à la régulation. Les entraves à la concurrence qui peuvent exister ne sont soit ni voulues ni exprimées. Dans le cas d’un monopole légal, l’action de l’Etat est de délibérément et ouvertement restreindre la concurrence. Le consommateur averti doit-il cependant s’offusquer d’une telle démarche interventionniste ? Car l’objectif de l’Etat est bien celui du bien-être global de ses concitoyens. Les développements récents en la matière sont particulièrement intéressants, avec une ouverture à la concurrence et l’arrivée de nouveaux acteurs (tels POWEO). En effet, le marché de l’électricité en Europe s’est ouvert progressivement à la concurrence depuis 1996. Comme dans le secteur des télécoms, un monopole public d’Etat laisse place à un marché en apparence plus concurrentiel. En apparence en effet, car les parallèles avec le secteur des télécoms ne manquent pas. Ces marchés qui s’ouvrent à la concurrence sont très particuliers. Les barrières à l’entrée semblent s’abaisser pour laisser plus de place à de niveaux arrivants. Ces secteurs, cependant requièrent des investissements initiaux considérables (les barrières à l’entrée inhérentes au secteur existent toujours). La probabilité que le monopole d’Etat laisse place un oligopole est alors assez élevée. Une certaine rerégulation semble alors inévitable afin de limiter les dérives connues aux structures de marché de type oligopolistique (ainsi par exemple, pour garantir des prix de consommation de l’énergie raisonnables n’excédant pas ceux de la période pré déréglementation). 6 Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie En conclusion, l’accompagnement public d’un secteur peut être perçu dans certains cas comme de la régulation et dans d’autres comme entrave à la concurrence. Celui-ci peut effectivement relever de la régulation à un moment T et avoir comme conséquence la concentration des acteurs et indirectement constituer une entrave à la concurrence à l’instant T+1. Tel est le cas dans le secteur des télécoms. En 1998, la déréglementation du secteur a permis de vrais gains pour le consommateur en termes de prix et de services. L’équilibre naturel de ce secteur a cependant dérivé vers une structure oligopolistique ; les actions diverses de l’Etat ont donc conduit à terme à une forme d’entrave à la concurrence. Au quotidien cependant, l’accompagnement de l’Etat dans ce secteur relève plus de la régulation (cas Orange/IPhone). On observe le même phénomène à l’œuvre dans le secteur de l’énergie. Certaines écoles de pensée affirment que l’intervention de l’Etat dégrade les conditions de la concurrence en favorisant certains lobbies et intérêts industriels. C’est le cas lorsque l’Etat favorise la création d’oligopoles qui soit font pression sur lui ou bien s’entendent de façon illégale en fixant les prix. L’accompagnement public peut alors participer à une entrave à la concurrence. Dans le cas de monopoles légaux et naturels, le débat est autre, et la présence de moins de concurrents est au contraire bénéfique. Encore que l’absence de régulation ait été reprochée à l’Etat dans la situation récente dans les DOM-TOM. En effet, l’inaction de l’Etat a permit la création d’un monopole dans la grande distribution. Le manque de concurrence aurait alors aboutit à une hausse injustifiée des prix (100% à 160% de plus sur les fruits et légumes qu’en métropole 14), ce qui aurait contribué au mécontentement social exprimé en Guadeloupe et en Martinique. Le coût de la vie y était d’environ 35% supérieur que sur le continent, coût anormalement élevé même si l’on considère le coût d’acheminement des denrées vers les départements d’Outremer. Cet exemple illustre le déficit de concurrence que le manque d’accompagnement public peut générer dans un secteur donné. Cette actualité récente souligne l’importance de l’accompagnement public et de son rôle de régulation dans les secteurs de l’économie. 14 Y.C., Le Point 1901, 19 février 2009, encadré p.35 7 Mark PELE Tronc Commun : Conférence de Macroéconomie M1 Finance & Stratégie Bibliographie et ressources utilisées Ouvrages consultés : - SAMUELSON/NORDHAUS, Economie 16e édition, Economica - J.C. PRAGER et F. VILLEFROY de GALHAU, 18 Leçons sur la Politique Economique, Seuil - E. BAREL, Economie Politique Contemporaine, Armand Colin - F. BITTNER, Support de cours de la Conférence, cours_03_concurrence_imparfaite Journaux consultés : - Le Point, 1901 du 19 février 2009 - Site du journal Les Echos www.lesechos.fr Sites web : - Site EurActiv.fr : L’actualité des politiques européennes en France www.euractiv.fr - Site de L’Autorité de la Concurrence www.autoritedelaconcurrence.fr - Site du Ministère de l’économie et des finances www.finances.gouv.fr - Encyclopédie en ligne Wikipedia France, articles agréés, www.wikipedia.org 8