Génétique médicale: Le séquençage nouvelle génération

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H i g H l i g H t s 2 011 : g é n é t i q u e m é d i c a l e
Le séquençage nouvelle génération
Un saut quantique dans l’explication des maladies génétiques
Anita Rauch
University of Zurich, Institute of Medical Genetics, Schwerzenbach
Depuis la publication du séquençage du génome humain,
soit près de dix ans, nous enregistrons une hausse ex­
ponentielle dans l’explication des anomalies des gènes
à l’origine des maladies génétiques. A l’heure actuelle,
les causes moléculaires de 3000 maladies environ sont
déjà connues. Toutefois, cela correspond à la moitié seu­
lement des maladies génétiques identifiées, alors que de
nouvelles entités de maladie sont découvertes chaque
jour, ce qui n’est pas étonnant au vu du nombre estimé
de 22 000 gènes. L’explication des causes des maladies
génétiques est essentielle à plus d’un titre, tant pour les
patients affectés que pour les progrès de la médecine.
La connaissance des causes moléculaires contribue à
l’établissement d’un diagnostic étiologique pour les
maladies cliniquement complexes, ce qui permet par la
suite une optimisation du traitement grâce à la connais­
sance de la progression attendue de la maladie. En
outre, la compréhension des mécanismes patholo­
giques moléculaires permet le développement de nou­
velles approches thérapeutiques.
L’explication du diagnostic étiologique
améliore la prise en charge thérapeutique
Anita Rauch
Financé par
Novartis pour un
essai clinique
sur le syndrome de
l’X fragile.
Ainsi, une hypoacousie de perception infantile par
exemple peut être due un défaut isolé de l’oreille, qui
sera traité efficacement par un implant cochléaire. Tou­
tefois, une hypoacousie de perception peut également
masquer une pathologie plus complexe des canaux ioni­
ques, qui s’accompagne sur le plan clinique d’anoma­
lies de la conduction cardiaque difficiles à diagnostiquer
et d’un risque d’arrêt cardiaque subit. L’hypoacousie de
perception peut également constituer le premier symp­
tôme d’une maladie métabolique à progression lente
qui, si elle n’est pas identifiée et traitée, entraîne d’autres
lésions d’organe et un déficit intellectuel.
De plus, il existe d’innombrables autres entités qui peu­
vent potentiellement être à l’origine de la maladie. Cela
s’applique également à de nombreux groupes de mala­
dies hétérogènes, tels que les handicaps mentaux, la
micro­ ou macrosomie, les maladies du tissu conjonctif et
bien d’autres. En raison de l’importante hétérogénéité
clinique et moléculaire, la pose du diagnostic est habi­
tuellement complexe et elle s’assimile souvent à une
douloureuse odyssée. La mise en évidence d’un défaut
génétique connu permet généralement d’établir un diag­
nostic clair et de prévoir tout aussi précisément la pro­
gression attendue de la maladie, l’éventail des compli­
cations et les options thérapeutiques. En outre, les
connaissances en matière de mécanismes moléculaires
à la base d’entités cliniques définies constituent la condi­
tion préalable au développement de nouvelles approches
thérapeutiques. Cela s’avère être particulièrement vrai
pour les groupes de maladies considérées jusqu’à présent
comme étant absolument incurables, par ex. le handi­
cap mental. Dans le syndrome de l’X fragile, actuel­
lement la plus fréquente et la plus étudiée des formes
monogéniques de handicap mental, une transduction
accrue des signaux d’un récepteur glutamatergique
synaptique est observée. Un antagoniste relativement
spécifique est disponible pour ce récepteur glutamater­
gique et l’expérimentation animale a démontré qu’il en­
traîne une amélioration significative du tableau symp­
tomatique. Ce principe actif est également bien toléré
par l’homme. Il est actuellement administré sous forme
de comprimés à des patients atteints du syndrome de
l’X fragile dans le cadre d’essais cliniques afin d’élucider
son efficacité quant à l’amélioration des capacités cogni­
tives et adaptatives.
Limites des anciennes méthodes
diagnostiques
En l’absence d’hypothèse clinique claire sur une maladie
précise ou lorsque de nombreux gènes peuvent être
considérés comme étant à l’origine de la maladie, le diag­
nostic génétique par les techniques classiques se heurte
rapidement à ses limites. Seul dans le cas de maladies
neurocognitives et de syndromes complexes de malfor­
mation, pour lesquels les anomalies chromosomiques
sont une cause fréquente, un outil efficace est disponible
depuis peu, l’analyse chromosomique moléculaire haute
résolution par le biais de «l’array­CGH», qui permet de
diagnostiquer à prix raisonnable des centaines de mala­
dies chromosomiques connues sur l’ensemble du génome
à l’aide d’un seul et unique test. Cependant, même avec
ce test, une partie considérable des maladies restent
inexpliquées.
Le séquençage nouvelle génération –
un saut quantique
La voie classique menant à une première identification
d’un gène responsable d’une maladie passe par la dé­
couverte d’un locus (par le biais d’une aberration chro­
mosomique révélatrice chez un patient clé ou une analyse
de liaison génétique au sein d’une grande famille) et la
mise en évidence d’une mutation par le séquençage
classique avec la méthode Sanger. Cette dernière est lente
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et coûteuse, seule la limitation du nombre de gènes can­
didats au sein du locus génétique supposé permet alors
de mettre en évidence une mutation. C’est pourquoi
jusqu’à présent les maladies identifiées étaient princi­
palement celles présentant un phénotype très caracté­
ristique ou survenant dans des familles comptant plu­
sieurs membres atteints et disponibles pour une analyse
de liaison. En revanche, les maladies sporadiques ou
bien très hétérogènes et difficilement groupables d’un
point de vue clinique ne pouvaient être expliquées que
très rarement. La mise au point d’un nouveau procédé
de séquençage, qualifié de massif parallèle, ultra-profond ou nouvelle génération, a amorcé un retournement
de tendance au cours de ces dernières années. Avec ce
procédé, dénommé ci­après NGS, il est possible de sé­
quencer l’ensemble du génome d’un humain en l’espace
de quelques semaines. Toutefois, l’interprétation de cette
abondance de données, souvent également truffée d’er­
reurs, est encore délicate, d’autant plus que jusqu’à au­
jourd’hui, les connaissances disponibles concernaient
avant tout les allèles codants. Les gènes codants pour
les protéines ne constituent que 1,5% environ de notre
génome. Pour cette raison et pour les économies de
temps et d’argent ainsi que pour permettre la génération
de données plus fiables, ce procédé est actuellement
principalement utilisé pour le séquençage de «l’exome»
humain, c’est­à­dire uniquement les zones codantes pour
les gènes. Avec le séquençage de l’exome, il est désor­
mais également possible d’identifier les gènes respon­
sables dans le cas de maladies très rares ou extrêmement
hétérogènes [1–4].
Cependant, ce procédé ne permet pas seulement de réa­
liser un saut quantique dans l’explication de maladies
jusqu’à présent non étudiées, mais il contribue égale­
ment au diagnostic de maladies hétérogènes déjà éluci­
dées. Ainsi, des protocoles de séquençage ciblés sont
désormais élaborés dans de nombreux établissements,
avec pour objectif d’analyser pour chaque cas de nom­
breux gènes identifiés comme étant responsables d’un
symptôme précis, tel que la surdité, la rétinopathie ou
l’épilepsie, en un seul séquençage. Reste encore à déter­
miner s’il ne serait pas plus simple et plus économique
de procéder à un séquençage d’exome complet lorsqu’une
maladie est soupçonnée puis d’analyser uniquement le
groupe de gènes mis en cause dans la problématique
concernée. Puisque la fonction de la grande majorité des
gènes n’est pas encore connue à l’heure actuelle, un sé­
quençage de l’exome présente en outre l’avantage qu’a
la découverte de nouveaux gènes spécifiques à une mala­
die; les données déjà rassemblées sont simplement
étudiées à nouveau, sans qu’il soit systématiquement
nécessaire de procéder à une nouvelle analyse spécifique
à cette maladie. Néanmoins, l’avenir devra dire si la
qualité et le traitement des énormes quantités de données
générées lors du séquençage de l’exome sont réellement
préférables à l’analyse ciblée des groupes génétiques
spécifiques aux maladies.
A l’heure actuelle, l’analyse des données demande éga­
lement une capacité bien plus importante que leur gé­
nération. Pour chaque individu, environ 20 000 varia­
tions de séquence sont en effet détectées lors du
séquençage de l’exome, dont la plupart ne constituent
que des polymorphismes parfaitement bénins. Tout l’art
réside dans l’identification des aberrations significatives
et de leur interprétation adéquate selon le contexte médi­
cal propre à chaque cas. Néanmoins, de nombreuses
associations redoutent que l’abondance d’informations
puisse être un poids trop lourd à porter pour un individu.
Les explications d’un spécialiste compétent concernant
les découvertes fortuites éventuelles et le droit à l’igno­
rance doivent ainsi impérativement être mis en avant
dans le cadre d’une telle analyse. Cependant, la majorité
des connaissances à haute valeur prédictive disponibles
à ce jour se limitant à des maladies rares, le risque
qu’une profusion de découvertes fortuites prédictives
soit révélée par un test génétique de ce type est, à
l’heure actuelle, plutôt faible.
Que de telles découvertes fortuites puissent également
avoir des répercussions positives a été illustré lors d’un
débat dans le cadre du récent Congrès international de
la génétique humaine, qui s’est tenu à Montréal. A cette
occasion, trois des premières personnes ayant mis leur
génome à disposition pour un séquençage individuel et
la publication des données ont été interrogées sur la
manière dont elles ont fait face à cette situation. Comme
il était attendu, le gain de connaissances chez ces indi­
vidus en bonne santé, tous trois eux­mêmes généticiens,
était encore faible compte tenu de notre savoir limité en
la matière. Le célèbre découvreur de la structure de
l’ADN, James Watson, a cependant rapporté qu’une
prédisposition à un ralentissement du processus de mé­
tabolisation de certains médicaments avait été détectée
chez lui. S’il l’avait su plus tôt, il aurait été possible
d’éviter la réaction médicamenteuse grave survenue
chez son fils après qu’il ait été traité avec de tels médi­
caments. En revanche, Seong­Jin Kim, directeur d’un
laboratoire de séquençage coréen, a tiré un avantage
certain de sa connaissance plutôt déplaisante du fait
que le séquençage de son génome a révélé des facteurs
de risque de cécité liée à l’âge due à une dégénérescence
maculaire. Avec cet argument, il a en effet réussi à
convaincre sa femme de remplacer leur ancien téléviseur
par un nouvel écran LED, celui­ci ménageant les yeux
et étant donc recommandé pour ce type de prédisposi­
tion.
Un autre domaine d’application pour le NGS est le dépis­
tage des hétérozygotes chez les couples avec un désir
d’enfant. De nombreuses maladies infantiles, graves
bien que rares, sont de transmission autosomique réces­
sive et surviennent donc uniquement lorsque les deux
parents sont porteurs hétérozygotes. Ainsi, dans la po­
pulation juive ashkénaze, au sein de laquelle un groupe
précis de maladies de ce type est particulièrement fré­
quent, il est courant depuis longtemps de procéder,
avant la réalisation du désir d’enfant ou juste avant le
mariage, à un test visant à déterminer les porteurs des
gènes responsables de ces maladies fréquentes. Le risque
que les descendants soient atteints n’est accru que dans
le cas où les parents sont tous deux porteurs du gène
responsable de la même maladie. Selon les idéaux et
concepts de vie individuels, cela peut alors conduire au
choix d’un nouveau partenaire, au renoncement à avoir
des enfants biologiques ou à procéder à un diagnostic
prénatal ciblé afin de détecter cette maladie. C’est pour­
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quoi au sein de cette population, la fréquence de la forme
infantile de la maladie de Tay Sachs par exemple, géné­
ralement létale, a diminué de 90%, tandis qu’elle était
de 1:3600 il y a 40 ans. Les travaux de Bell et confrères
[5] ont récemment élargi ce concept de dépistage des
hétérozygotes avant la conception à l’ensemble de la
population. Dans cette première étude pilote, 448 mala­
dies infantiles graves ont été recherchées chez 104 per­
sonnes; les participants étaient porteurs de 2,8 (0–7) de
ces maladies en moyenne. Avant que ce type de tests
de dépistage puisse être utilisé dans la pratique clinique
courante, il est impératif de prendre la mesure de ses
bénéfices effectifs ainsi que des implications éthiques et
sociales qui en découlent.
Bilan
Avec l’introduction du séquençage nouvelle génération,
les recherches ainsi que les diagnostics ont été portés à
un niveau supérieur, ce qui apportera dans un futur
proche un gain de connaissances énorme, ainsi qu’une
amélioration et une progression insoupçonnées de l’ef­
ficacité des possibilités diagnostiques. L’application de
ces outils puissants au domaine diagnostique va toute­
fois de pair avec une prise de conscience des responsa­
bilités que cela implique et avec une formation aussi
bien des médecins que des patients.
Correspondance:
Prof. Anita Rauch
Universität Zürich
Institut für Medizinische Genetik
Schorenstrasse 16
CH-8603 Schwerzenbach
anita.rauch[at]medgen.uzh.ch
Références
1 Bick D, Dimmock D. Whole exome and whole genome sequencing.
Curr Opin Pediatr. 2011;23(6):594–600.
2 Ostrer H. Changing the game with whole exome sequencing. Clin Genet.
2011;80(2):101–3.
3 Singleton B. Exome sequencing: a transformative technology. Lancet
Neurol. 2011;10(10):942–6.
4 Najmabadi H, Hu H, Garshasbi M, et al. Deep sequencing reveals
50 novel genes for recessive cognitive disorders. Nature. 2011;478(7367):
57–63.
5 Bell CJ, Dinwiddie DL, Miller NA, et al. Carrier testing for severe
childhood recessive diseases by next­generation sequencing. Sci
Transl Med. 2011;3(65):65ra4.
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