Platon: le procès de la démocratie africaine

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Platon: le procès de la démocratie africaine
COLLECTION « PENSÉE AFRICAINE
»
Dirigée par Manga-Akoa François
En ce début du XXIème siècle, les sociétés africaines sont
secouées par une crise des fondements. Elle met en cause tous les
secteurs de la vie. Les structures économiques, les institutions
politiques tels que les Etats et les partis politiques, la cellule
fondamentale de la société qu'est la famille, les valeurs et les normes
socio-culturelles s'effondrent. La crise qui les traverse les met en
cause et au défi de rendre compte de leur raison d'être aujourd'hui.
L'histoire des civilisations nous fait constater que c'est en période
de crise que les peuples donnent et expriment le meilleur d'euxmêmes afin de contrer la disparition, la mort et le néant qui les
menacent. Pour relever ce défi dont l'enjeu est la vie et la nécessité
d'ouvrir de nouveaux horizons aux peuples africains, la Collection
«PENSEE AFRICAINE» participe à la quête et à la création du
sens pour fonder de nouveaux espaces institutionnels de vie africaine.
Déjà parus
Arona
MOREAU,
Pour
refaire
l'Afrique...
par
où
commencer ?, 2008.
Lucien A YISSI, Corruption et gouvernance, 2007.
Lucien A YISSI, Corruption et pauvreté, 2007.
Simon MOUGNOL, Pour sauver l'Occident, 2007.
Marcel BIVEGHE MEWI, La rencontre des rationalités:
cultures négro-africaines et idéal occidental, 2007.
Jean-Baptiste
KABISA BULAR PAWEN, Singularité
des
traditions et universalisme de la démocratie, 2007.
Joël MYSSE, Mondialisation, cultures et éthique, 2007.
Samuel SAME KOLLE, Naissance et paradoxes du discours
anthropologique africain, 2007.
André Julien MBEM, Mythes et réalités de l'identité culturelle
africaine, 2006.
Antoine NGUIDJOL
Platon:
le procès de la démocratie africaine
L'Harmattan
<D L'Harmattan,
2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005
http://www.librairieharmattan.com
diffusion. harmattan@wanadoo.
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-05593-3
EAN : 9782296055933
fr
Paris
AVANT PROPOS
LES CHANGEMENTS POLITIQUES EN GRECE
AuVIème SIECLE AVANT I.-C.
«Les événements racontés par le poète n'ont pas toujours
en eux-mêmes un bien vif intérêt; [sa pensée] pourtant n'a pas
vieilli d'un jour. C'est que l'homme, [...] dont il a tracé la
vivante et fidèle image, est encore aujourd'hui ce qu'il était au
temps de Périclès et de Nicias, avec les mêmes vices peu s'en
faut, avec les mêmes vertus. Le tableau de ses passions, de ses
erreurs, de ses crimes, et la consolante
peinture de sa
magnanimité
et de ses dévouements,
n'ont pas perdu, ne
perdront jamais, cet autre intérêt plus vif et plus intime qui
saisit aux entrailles tout lecteur vraiment digne de se dire à luimême le mot du poète: «je suis homme, et rien de ce qui est
humain ne m'est étranger.» (pierron, Histoire de la littérature
grel'que)
L'AGONIE
DE L'ARISTOCRATIE
ATHENIENNE
La disparition de l'aristocratie athénienne s'amorce dès
l'époque classique du fait de l'accroissement de la population des
villes et, par extension, de la concurrence des métèques enrichis
par le commerce et l'artisanat. L'ascension politique de ces
derniers doit aussi, dans une certaine mesure, à la rivalité acharnée
que se livrent les Eupatridesl, qui pousse certains d'entre eux à
solliciter l'appui des classes inférieures
et à contribuer
indirectement à leur prise de conscience politique. C'est donc:
«au cours du Vlème siècle que disparaissent, dans un grand
nombre de cités grecques les vieilles constitutions fondées sur le
régime aristocratique et le principe de la solidarité familiale, et que
triomphe une législation nouvelle mieux adaptée à la situation de
fait. Cette évolution [...] a eu pour principale étape une forme de
gouvernement originale: c'est la tyrannie. » Oean Hetzfeld, Histoire
de la Grèt'eantique, Payot, Paris, 2002, p. 113)
Etrange modernité que l'instauration de la tyrannie si l'on se fie
au sens que nous lui accordons aujourd'hui2.
Historiquement donc, la tyrannie est dans la Grèce du Vlème
siècle avant J.-C. une expérience politique nouvelle. Elle
n'implique, au début, aucune idée de domination oppressive et
arbitraire. Le mot tyrannie fait simplement référence au pouvoir
d'un seul homme découlant non de l'hérédité ou du droit divin,
mais du prestige personnel, conjugué avec la faveur du petit
peuple et le soutien d'une force militaire efficace.
Paradoxalement, si la tyrannie a un ennemi au début, ce n'est
pas le peuple, mais les grandes familles qui monopolisent le
pouvoir politique et économique. En effet, la plupart des tyrans
doivent leur pouvoir à l'assentiment du petit peuple, c'est-à-dire à
la majorité. On comprend dès lors pourquoi à cette époque la
tyrannie et l'égalité formelle ne sont pas des notions antinomiques.
1
Les Eupatridesreprésententles populationsautochtones,les « bien nés », et,
par extension, les nobles Athéniens.
2
C'est que l'on confond généralement
la tyrannie classique avec le
despotisme. Mais les mots ont une histoire qui les éclaire et à laquelle il est
souvent utile de se référer.
A titre d'exemple, Pisistrate est le premier tyran d'Athènes.
Pourtant il accède au pouvoir en s'opposant au parti aristocratique
et en s'appuyant sur le petit peuple à qui il donne des droits
politiques et de nouvelles opportunités économiques grâce à une
réforme agraire ambitieuse et à l'instauration d'une caisse de crédit
agricole.
Ceci n'est guère étonnant car Pisistrate fut, avant son accession
au pouvoir, le chef de ftie des Diacriens ; un parti essentiellement
composé d'ouvriers agricoles auxquels se joignirent peu à peu de
nombreux mécontents, des créanciers lésés par la législation de
Solon et parfois des citoyens d'origine douteuse3.
La situation fut exactement la même dans les colonies grecques
du sud de l'Italie où la plupart des dirige an ts étaient à la fois des
tyrans mais aussi d'ardents défenseurs de la constitution
démocratique. Même le très décrié Denys 1er (voir Platon, Lettre
T/II), qui régna sur Syracuse pendant trente huit ans, fut aussi un
ardent défenseur de la paix, de la stabilité régionale, des
institutions et du peuple: «Ennemi des riches, il confisque leurs
biens et libère les esclaves. [Même si] ce geste doit être interprété
[...] comme un moyen de s'assurer une majorité à l'Assemblée en
créant de «nouveaux citoyens », ou de constituer une masse de
manœuvre en cas de danger. [...]. Denys 1er est donc un tyran
« populaire », dans la mesure où il ne porte aucun titre précis
(d'ailleurs les monnaies qu'il bat ne portent ni son nom ni son
effigie), continue de convoquer l'Assemblée et laisse subsister les
Magistratures. » (Luc Brisson, Platon Lettres, introduction, p. 44)
En conclusion, «Les tyrans du VIème siècle, même lorsqu'ils
appartiennent à des familles aristocratiques, sont en principe les
défenseurs des droits du peuple; c'est le peuple qui leur confère
au début les pouvoirs extraordinaires [...]. Plusieurs d'entre eux
créent ou maintiennent des constitutions démocratiques, [...]
assurent Ve] développement économique et contribuent à V1
embellissement [de la cité]. La tyrannie à ses débuts est pour les
cités grecques une époque de prospérité et de splendeur [...]. Aussi
ne faut-il pas s'étonner
de rencontrer
cette forme de
3
A une époque où la citoyenneté n'était pas accessible à tous et où le nombre
des citoyens était largement inférieur à celui des métèques et des esclaves.
8
gouvernement
dans les pays où l'hellénisme est le plus
entreprenant et ami des nouveautés. En Asie 1vfineure, dès le
début du VIème siècle, Thrasybule est tyran de J\1ilet, Pythagoras
celui d'Ephèse, Pittacos à Mitylène, Polycrate à Samos... » Oean
Hetzfeld, op. cit.)
PISISTRATE, LE TYRAN, LE STRATEGE ET LE FONDATEUR
DE LA GRANDEUR D'ATHENES
Pisistrate, né vers -600, 1er tyran athénien et réformateur; il
peut être considéré comme ayant assuré les bases militaires et
fmancières de l'impérialisme athénien. «Précurseur des stratèges
du Vèmesiècle, il eut le mérite de comprendre que l'avenir de sa
patrie était sur la mer. [...]. Il est probable que ce fut Pisistrate qui
assura à la marine athénienne la libre navigation du golfe
saronique, en s'emparant [...] de l'île de Salamine. ». (Ibid. p.126)
Salamine qui, dans la mémoire des Athéniens restera le lieu
mythique
où la démocratie
triompha
déftnitivement
de
l'oppression.
Par son œuvre politique intérieure, Pisistrate prépara l'arrivée
de la démocratie en mettant définitivement fm à la domination
politique de l'aristocratie, et en assurant la domination militaire et
commerciale d'Athènes en mer Egée. C'est lui qui pérennisa
l'approvisionnement
vital d'Athènes en blé4, une assurance qui
permit longtemps à celle-ci de résister efficacement à de
nombreuses tentatives de siège.
«Pisistrate [...] comprit l'importance du ravitaillement en blé
pour une cité qui grandissait sur un sol peu fertile, et où une
4 Sur le caractère vital du commerce du blé pour Athènes, il faut noter que la
consommation du blé tenait une place essentielle dans l'alimentation des
Athéniens. Depuis toujours, la production de blé n'a jamais suffi à couvrir les
besoins de la ville, même si cette dernière possédait deux plaines fertiles, celle
du Pédion et celle d'Eleusis où Déméter est supposé avoir révélé les mystères
de l'agriculture aux hommes. L'agriculture athénienne marquée par la trilogie
blé olivier vigne a toujours accusé un déficit en matière de production
céréalière. D'où l'urgence de maintenir un ravitaillement extérieur: de Béotie,
d'Italie du sud ou des rives du Pont Euxin, compte tenu des conditions
géographiques particulières marquées par la prédominance de montagnes et de
rochers.
-
9
portion sans cesse croissante de la population se tournait vers le
commerce, l'industrie et la marine: c'est pourquoi il voulut lui
assurer la libre communication avec les terres à blé de la mer noire
par des établissements5 aux Dardanelles. » (Ibid. p.127)
A l'actif de Pisistrate aussi le contrôle du commerce en mer
Egée, de l'important centre commercial et religieux de Délos,
l'acquisition de colonies dans les Cyclades, l'installation de son ami
Lygdamis comme tyran de Naxos. Sur le plan intérieur, Pisistrate
est l'instigateur d'une vaste réforme politique et sociale qui
prolonge l'œuvre de Solon, notamment avec la création de
tribunaux ambulants. Il s'attaque aux privilèges des riches, résout
la question agraire, favorise l'industrie et le commerce maritime:
«A l'intérieur, Pisistrate [...] se contenta d'une réforme électorale
qui, supprimant le tirage au sort dans la désignation des
archontes6, lui assura chaque année dans ce collège des places
pour lui et ses parents et amis; cette situation lui permit de
prendre des mesures destinées à consolider la paix civile et à
favoriser la prospérité de l'Attique. Il avait le sentiment très juste
qu'une classe paysanne contente de son sort était, dans un pays
5
Le terme « établissements» athéniens renvoie aux clérouquies. Une
clérouquie, c'était un groupement de citoyens, à qui l'on confiait un morceau
de territoire, le klèros, confisqué à une cité étrangère pour sa mise en valeur.
La clérouquie se distinguait de la colonie du fait qu'elle était juridiquement un
prolongement de la cité d'origine en territoire étranger. C'était comme une
sorte de garnison athénienne permanente. Quant à la colonie sa différence
essentielle avec la clérouquie portait sur le fait que la première était d'office
autonome. La colonie était avant tout une cité à part entière qui pouvait
cependant garder des liens politiques et culturels avec la cité d'origine. Mais
ce n'était absolument pas indispensable comme le montrent les cas
d' Epidamme, de Corcyre et de Corinthe qui, nonobstant le fait d'être les
colonies des uns et des autres, furent de redoutables rivaux et les principaux
facteurs déclencheurs de la guerre du Péloponnèse.
6 Le terme archonte sert à désigner l'un des magistrats de la cité et renvoie à la
hiérarchie politique ancienne dont les pouvoirs furent fortement diminués
après la réforme de Clisthène. Il y avait trois archontes dans une cité et cette
division correspondait aux trois pouvoirs de l'époque: l'archonte éponyme
était le vrai chef de la cité; le fait que l'année au cours de laquelle il exerçait
le pouvoir portait son nom était une symbolique très forte; l'archonte-roi
présidait le tribunal de l'aréopage et présidait les fêtes religieuses; et
l'archonte polémarque qui était le commandant de l'armée. Le pouvoir de ce
dernier allait connaître une restriction sensible au bénéfice des stratèges, dont
Périclès.
10
encore foncièrement agricole, la meilleure des garanties contre les
révolutions. Deux créations habiles furent destinées à la satisfaire:
d'abord celle d'une sorte de caisse de crédit agricole, avançant aux
petits propriétaires les fonds nécessaires pour [...] améliorer leur
matériel; ensuite, l'institution de tribunaux ambulants, pour éviter
aux paysans ces voyages à la ville qui, dans aucun pays, ne rendent
la justice aimable aux cultivateurs. » (Ibid.)
Enfin, Pisistrate réforma l'armée et dota Athènes d'une flotte
puissante grâce aux subsides tirées de l'exploitation des mines d'or
du Pangée et du Laurion. A sa mort en -527, il légua à son flls
Hippias une Athènes puissante et prospère qui plus est à la tête
d'une fédération puissante, la liguede Délos.
LA MORT DE PISISTRATE ET LE DEBUT DE L'AGITATION
POLITIQUE EN ATTIQUE
Les flls de Pisistrate se partagèrent le pouvoir à la mort de ce
demier. Le pouvoir politique et l'administration revinrent à
Hippias, le pouvoir religieux, les beaux-arts et la littérature à son
cadet Hipparque. La prospérité et la stabilité politique instaurées
par Pisistrate durèrent jusqu'à la conspiration d'Harmodios et
d'Aristogiton:
«Par suite d'une fausse manœuvre, ce fut
l'inoffensif Hipparque qui fut assassiné; Hippias, le véritable
détenteur du pouvoir survécut. Comme on peut penser, le danger
lui aigrit le caractère; il devint un despote violent et soupçonneux
[...]. Les Alcméonides, expulsés depuis l'affaire de Cylon, sentirent
que le moment était venu de rentrer à Athènes. )} O. Hetzfeld, op.
cit.)
Une première tentative de pénétrer en Attique échoua, ce qui
contraignit les Alcméonides à faire appel à Sparte. «Les trente
années qui suivirent sont remplies de luttes: les Eupatrides
essayent de défendre leurs anciens privilèges [...] tandis que les
petites gens, journaliers des campagnes et ouvriers de la ville, de
plus en plus nombreux et de plus en plus remuants, tentent de
prendre part au gouvernement de la cité7. En - 560, trois partis
7 L'histoire de I'Hellade ne fut jamais homogène. Tout en tenant compte de
quelques modifications de surface, elle était encore celle qu'Hésiode avait
décrit deux siècles plus tôt: une tension extrême entre la ville et la campagne;
entre l'aristocratie et les masses paysannes.
Il
étaient en présence:
celui des nobles, recrutés parmi les
propriétaires de la plaine athénienne (pédiens); celui du juste
milieu composé surtout de bourgeois aisés et de commerçants, en
particulier ceux qui habitent les petits ports (paraliens) ; enfm celui
des démocrates, où figuraient surtout les pâtres, et ouvriers
agricoles employés dans les grands domaines (Dia cria) [...] mais
auxquels se joignit bientôt toute une population de mécontents,
créanciers lésés par la législation de Solon, citoyens d'origine
douteuse. Chacune de ces factions était [...] dirigée par un
Aristocrate; les Pédiens avaient pour chef Lycurgue; les Paraliens,
Mégalès de la grande famille des Alcméonides; les Diacriens
Pisis tra te. » (Ibid. p. 124-125)
LA CHUTE D'HIPPIAS ET L'AVENEMENT DE CLISTHENE
Clisthène, réformateur et homme politique athénien né en 570, accède au pouvoir après qu'Hippias ait été lâché par ses alliés
spartiates.
De retour de Delphes où il s'était exilé après la brouille avec
Hippias, Clisthène affronta Isagoras que les spartiates venaient de
porter au pouvoir en remplacement d'Hippias. Mais ce dernier ne
put s'imposer. De plus, le parti aristocratique était en proie à de
graves dissensions internes: «L'agitation qui, depuis l'expulsion
d'Hippias, se remarquait dans le parti aristocratique, donna à
Clisthène l'occasion de proposer aux Athéniens d'importants
changements constitutionnels. [...]. Clisthène remplaça les quatre
vieilles tribus ioniennes par dix tribus d'un caractère tout à fait
artificiel8, qui n'étaient plus elles-mêmes des circonscriptions
locales, mais qui comprenaient chacune trois «trittyes », c'est-àdire des portions de territoire situées l'une dans la ville ou ses
faubourgs immédiats, la deuxième sur la côte, la troisième à
8 Le synoecisme est cette technique de l'aménagement du territoire inventée
par Clisthène consistant à regrouper les « maisons », c'est-à-dire les villages
de manière à constituer des entités territoriales nouvelles composées chacune
de parties de la côte (paralia), de la ville (astu) et de la campagne (mésogéia).
Le synoecisme est donc la formation d'une seule communauté politique faite
de plusieurs bourgades qui « décident d'habiter ensemble» sans qu'il y ait
besoin d'un transfert de population. La nouvelle cité, désormais constituée
d'un seul corps civique, se dote d'une assemblée du peuple, d'un conseil
permanent et de magistratures.
12
l'intérieur
[. ..]. Dans cette organisation
nouvelle, l'esprit
régionaliste qui avait amené Pisistrate au pouvoir était condamné à
disparaître ; d'autre part, perdus dans la masse des citoyens
qu'accroissait l'admission dans la cité d'étrangers, d'affranchis et
d'esclaves [...] les anciens groupements, familles, phratries, tribus
aristocratiques, centres de conspiration et soutiens d'un droit
archaïque et périmé, ne devaient plus subsister que comme
d'inoffensives
associations
paroissiales
d'un
caractère
essentiellement religieux. Les dix tribus servirent de base à la
création du conseil de 500 membres élus à raison de 50 par tribu
~a Boulè).» (Ibid. p. 129-130)
En somme, la réforme de -508 ruina à tout jamais l'ancienne
répartition politique reposant sur la richesse et l'origine familiale
au profit d'une nouvelle répartition territoriale.
L'Attique était désormais composée de la ville, de la côte et de
l'intérieur, chaque partie du territoire étant à son tour composée
de dix dèmes ou l'antonspar lesquels se défmissait désormais la
citoyenneté athénienne. Les dèmes eux-mêmes se réunissaient en
trittyes ou districts,et ces derniers en tribus. La réunion des tribus
formait la cité.
Clisthène
fut donc le premier
à inaugurer la répartition
districts - tribus auxquels
des Assembléesparticulières.
politique du territoire en l'anIonscorrespondaient
LA
RESISTANCE
DU
PARTI
REFORMES DE CLISTHENE :
Il est naturel
dicter un nouvel
ne put instaurer
l'image de celles
ARISTOCRATIQUE
AUX
que le parti aristocratique ne se soit pas laissé
ordre politique sans réagir. Et même si Clisthène
une constitution radicalement démocratique à
qui verront le jour au Vème siècle avant J.-C. -
parce que les grandes magistratures
civiles et militaires restaient
encore aux mains des quatre classes censitaires - il n'en reste pas
moins que les aristocrates
s'inquiétaient
de voir leurs anciens
privilèges et leur autorité s'amenuiser. En réaction, ils fomentèrent
un coup d'Etat, aussitôt soutenu par Cléomène, l'un des rois de
Sparte.
13
«Le parti aristocratique
s'inquiétait de ces restrictions
successives apportées à son prestige et à son autorité. Il se prépara
à la résistance. Il trouva un appui assez inattendu [...] chez l'un des
rois de Sparte, Cléomène qui, à la tête d'une petite armée, entra en
Attique, s'installa sur l'Acropole et exigea le départ de Clisthène. »
(Ibid. p.130).
Mais le coup de force échoua lamentablement. Cléomène fut
militairement contraint de quitter l'Acropole. Clisthène reprit le
pouvoir. Sa réforme politique put ainsi voir le jour.
THEMISTOCLE
ET LA CREATION
GUERRE ATHENIENNE
DE LA MARINE DE
Thémistocle fut le premier à comprendre que malgré la
bravoure de ses marins et la configuration géographique de ses
côtes qui mettait la ville théoriquement à l'abri des menaces,
Athènes restait toujours vulnérable du côté de la mer.
Et bien qu'il soit né d'une famille de commerçants sans grande
culture ni fortune, Thémistocle concentrait en lui les qualités
essentielles de l'homme d'Etat. Il possédait notamment le don de
prévision de l'avenir et une capacité rapide de décision et
d'improvisation. Déjà bien avant la bataille de Marathon qui signa
la première grande victoire des Grecs sur les Perses, il avait repris
les grands projets de Pisistrate, notamment les grands travaux
d'aménagement du port du Pirée. Lorsqu'on découvrit en 485
les gisements d'argent de Maronnée, le mérite revint à
Thémistocle de faire voter par l'Assemblée que cette manne
financière fut intégralement affectée à la création d'une véritable
marine de guerre. Décision qui s'avéra décisive pour Athènes lors
de la bataille de Salamine9.
CIMONI0,
STRATEGE
LEADER
DU PARTI IMPERIALISTE
LE PLUS POPULAIRE
DEVENU
LE
D'ATHENES
Le jeune Cimon s'était imposé comme le leader incontesté
d'Athènes; au grand dam des protestations du vieux Thémistocle
9 Qui libéra définitivement Athènes de toute intervention perse en Attique. La
marine de guerre athénienne eut aussi un rôle décisif dans la première partie
de la guerre du Péloponnèse.
10Cimon est le fils du Général athénien Miltiade, le vainqueur de Marathon.
14
qui n'eut de cesse d'alerter les Athéniens sur les dangers découlant
de l'approbation de la politique expansionniste que souhaitait
Cimon. Mais ce dernier - auréolé de ses victoires sur les Perses sur
les côtes de Pamphylie en -468, du passé glorieux de son père
Miltiade, vainqueur de la bataille de Marathon, de sa richesse et de
sa générosité - n'avait plus aucun rival politique à sa taille.
«Thémistocle, qui essaya de s'opposer à ce courant, y perdit son
prestige; non content de se débarrasser de lui par l'ostracisme (en
-472), ses adversaires profitèrent de son absence pour monter
contre lui une accusation destinée à réussir dans une cité où le
nationalisme était exacerbé [...]. On prétendit qu'il entretenait,
ainsi que Pausanias [...] des rapports avec la cour de Suse; des
racontars absurdes [...] le représentèrent négociant secrètement
avec Xerxès dès le lendemain de Salamine. Pausanias fut mis à
mort; Thémistocle dut quitter la Grèce et se réfugier en Asie
I\1ineure. [...]. Son départ laissa le champ libre à ses adversaires. »
O. Hetzfeld, op. cit. p. 185)
La politique de Cimon, dans laquelle la cupidité fmancière et
matérielle se conjuguait parfaitement avec l'esprit expansionniste,
inquiéta bientôt les alliés d'Athènes. En Thrace, les populations
locales massacrèrent par dépit les forces athéniennes envoyées
pour s'approprier les richesses minières de Maronnée. Et Thasos,
en désaccord avec la mainmise athénienne sur une région qu'elle
fut la seule à exploiter, décida en guise de protestation, de quitter
la confédération. En réaction, les forces athéniennes l'assiégèrent
par la mer et la contraignirent à livrer ses vaisseaux et à lui payer
un tribut. Quant à Naxos, d'alliée au départ, les Athéniens ne
tardèrent pas à en faire une sujette devant lui payer un tribut:
«Ainsi se modifiait peu à peu la nature de la confédération
athénienne. Elle devenait un empire dont Athènes prenait la tête.
Bien des cités durent subir le sort de Naxos et de Thasos, les uns
contre leur gré, les autres par leur faute, trop heureuses de se
libérer de toute obligation militaire et de s'en remettre à la flotte
athénienne pour la protection de la mer Egée. » (Ibid.)
15
PERICLES:
ALLIES
L'HERITAGE
D'UN EMPIRE
EN CRISE AVEC SES
Le rêve oriental de Cimon, en Egypte notamment, s'était
terminé dans un bain de sang; ce qui contraignait son successeur
Périclès à devoir réorienter la politique extérieure d'Athènes vers
la stabilisation de la confédération; car déjà la Béotie, après avoir
affronté les troupes athéniennes à Chéronée en - 447, avait
reconstitué sa propre ligue; tandis que Mégare et l'Eubée
entraient en insurrection contre Athènes.
Pour se donner du temps, Périclès proposa habilement une
convention de paix valable pour trente ans à Spartell qui
commençait elle aussi à s'inquiéter de l'impérialisme athénien. Par
cette convention, Athènes renonçait à toute prétention sur Mégare
et sur le Péloponnèse.
LA GUERRE DU PELOPONNESE
Cette «grande»
guerre12 commence
territoriale entre deux voisins13.
par une banale
dispute
Epidamme dont le territoire est envahi par les Illyriens
demande à Corcyre de l'aider à s'en débarrasser militairement.
Mais Corcyre n'y prête aucune attention14. Désemparée,
Epidamme se tourne vers Corinthe qui s'empresse de l'aider,
trouvant là l'occasion de protester vigoureusement contre la
concurrence économique que Corcyre lui mène dans la mer
Adriatique.
Il Sparte apparaît au yème siècle avant J.-C. comme une cité brillante et
puissante face aux Perses et comme la première rivale de l'Etat athénien avec
lequel elle livrera une guerre longue de 27 ans (de -431 à -404).
12Qui ne laisse aucunement augurer d'une conflagration générale.
13 Ce d'autant plus que Sparte fut lente à s'émouvoir de l'importance
stratégique que prenait Athènes, et notamment de sa singulière tendance à
s'immiscer dans les affaires intérieures des cités voisines.
14 La véritable raison, raconte Hérodote, c'est que les démocrates
épidammiens avaient eu la malheureuse idée d' ostraciser les aristocrates de
leur pays. Ces derniers ayant trouvé refuge en Illyrie voisine venaient semer
de graves troubles dans leur pays d'origine, ce que les démocrates
épidammiens supportaient de moins en moins. Aussi décidèrent-ils d'en finir
en lançant une offensive militaire à laquelle ils demandèrent à Corcyre de
s'associer. Mais Corcyre refusa son aide.
16
Les Corinthiens envoient donc une escadre aux Epidammiens.
Mais la bataille qui s'engage se solde par la victoire des
Corcyréens. Pour se venger de l'humiliation, les corinthiens se
préparent à une attaque de plus grande envergure. Les corcyréens
apeurés se tournent alors vers Athènes. L'Assemblée athénienne,
présidée par Périclès accorde son soutien. Les corinthiens
interprètent le vote de l'Assemblée athénienne comme une
rupture de la convention de paix de trente ans et sollicitent à leur
tour l'engagement militaire de Sparte à leurs côtés. Les spartiates
hésitent, mais un autre événement vient bientôt envenimer la
situation: « peu de temps après [...] un décret athénien ordonne à
Potidée en Chalcidique, ville de la confédération, mais ancienne
colonie corinthienne restée en rapport avec sa métropole, de raser
ses fortifications, de donner des otages, et de chasser les
magistrats que Corinthe y envoyait chaque année. En même
temps, Athènes décidait l'envoi d'une escadre et d'un corps de
débarquement de deux mille hommes [...]. Corinthe envoyait deux
mille hommes de secours [...]. Cette fois les hostilités étaient
directes.
»
0 Hetzfeld,
histoire de la Grèce antienne, p. 243-244)
Corinthe vole au secours de Potidée, tandis que Sparte envahit
l'Attique en -431 comme le stipule un accord secret.
***
Les dix premières années de la guerre se soldent par un
équilibre général des forces, Athènes conservant la suprématie en
mer, Sparte celie de la terre grâce à ses redoutables hoplites.
En -430, une épidémie de peste dévaste Athènes, menaçant de
lui faire perdre la guerre. Périclès, élu stratège pour la quatorzième
fois, ne voit d'autre issue que dans un accord de paix avec Sparte,
ce qui lui vaut d'être désavoué par ses concitoyens, démis de ses
fonctions et mis à l'amende.
Il moura plus tard des suites de la peste, remplacé par
Démosthène15. Ce dernier inflige deux défaites à la ligue du
15Démosthène, homme d'Etat athénien, orateur de grand talent et adversaire
de Philippe II de Macédoine, père du futur Alexandre le grand. En plus d'être
le commandant en chef des armées athéniennes qui remplaça Périclès et
s'illustra dans les batailles décisives qui contraignirent Sparte à signer la
« paix de Nicias» en -421 - il est aussi l'auteur des Philippiques.
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Péloponnèse en -426. D'autres victoires décisives permettront à
Athènes de contraindre Sparte à accepter la paix dite « de Nicias»
en -421.
La paix de Nicias
Athènes conserve, aux termes de cet accord l'intégralité de son
territoire, de sa flotte ainsi qu'une position avancée en territoire
ennemt.
Tandis que Sparte signe la « paix de Nicias », d'autres membres
s'y refusent, semant ainsi la division au sein de la ligue du
Péloponnèse. Corinthe et Argos décident de créer une ligue
concurrente appelée la « ligue d'Argos ».
La paix dite « de Nicias» signée pour durer cinquante ans vole
soudain en éclats. La ligue d'Argos elle-même ne résiste pas à
l'alliance stratégique conclue entre Argos et Athènes sous
l'influence d'Alcibiade16.
Sparte gagne toutefois la bataille décisive de Mantinée en 418
avant J.-C., contraignant du même coup Argos à quitter sa
coalition avec Athènes.
La conquête de Syracuse
Lorsque Athènes attaque Syracuse en -415, Sparte se porte
immédiatement au secours de cette dernière.
La Sicile était alors réputée pour ses richesses dont l'étalage
venait renforcer le mythe du luxe dans lequel vivaient les cités
16 Alcibiade, né en -450 d'une famille aristocratique, meurt en -404 au
moment où Athènes, vaincue par l'armée spartiate, est intégrée de force dans
la ligue du Péloponnèse. Eduqué par son tuteur Périclès, il fut aussi le disciple
de Socrate avec lequel il participa à la bataille de Potidée, au début de la
guerre du Péloponnèse en -431. Il incarnait l'avenir de l'idéal démocratique et
la puissance politique et matérielle d'Athènes. Pourtant, ce général doué et
fort bien éduqué se fera remarquer négativement par ses nombreux scandales
qui lui vaudront d'être convoqué pour un procès auquel il échappera en
demandant asile en territoire ennemi. Condamné par contumace, il reviendra
cependant à Athènes, à nouveau commandant de l'armée, gagnant même
quelques batailles, mais en perdant un certain nombre. Ayant perdu finalement
tout prestige, il se réfugiera en Thrace où il sera assassiné sur ordre de
Lysandre en -404.
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grecques du sud de l'Italie. Ce mythe, vivace auprès des Grecs de
Grèce suscitait la convoitise dont allait se nourrir l'impérialisme
athénien et l'ambition démesurée d'un Alcibiade.
Le mythe de la prospérité de la Sicile et de Syracuse en
particulier provoqua en effet deux tentatives d'invasion dont la
plus célèbre fut l'œuvre des Athéniens.
***
En -427, cédant à la tentation expansionniste, Syracuse attaque
Léontinoi. Cette dernière, invoquant un traité de défense signé en
-433, fait appel à Athènes qui se porte aussitôt à son secours en lui
envoyant une vingtaine de trières.
Ce conflit dure deux ans et ne prend fm provisoirement qu'au
congrès de Géla en -424. Mais l'agitation politique reprend du poil
de la bête deux ans plus tard en Sicile:
«Les oligarques de Léontinoi, pour empêcher un partage des
terres réclamé par les démocrates, font appel aux Syracusains qui
dispersent les éléments « populaires» et qui accueillent les riches à
Syracuse. Quelques-uns, insatisfaits, retournent à Léontinoi, où ils
sont rejoints par la majorité des démocrates, et font appel à
Athènes. [...]. Alcibiade, l'avocat le plus ardent de l'invasion arrive
à convaincre l'Assemblée d'intervenir. Athènes décide alors
d'envoyer, en juin -415 deux cent cinquante navires et vingt cinq
mille hommes commandés conjointement par le général Nicias17,
Lamachos et Alcibiade18. » (Luc Brisson, Platon uttres, op. cit. p.
41)
Le scandale
des Hermès
L'expédition athénienne prend la mer sous le commandement
de Nicias, de Lamachos et d'Alcibiade. Mais au cours du périple,
ce dernier est urgemment rappelé à Athènes pour répondre des
délits dont il est accusé, et particulièrement au sujet du scandale
des Hermès. Cependant, au lieu de rentrer à Athènes, Alcibiade
décide de trahir sa patrie en demandant l'asile politique à Sparte.
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Le Général Nicias est mis en scène par Platon dans le Lachès.
Alcibiade
est l'un des personnages
du Banquet
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de Platon.
Privés d'Alcibiade, et, après avoir reçu renforts et subsides,
Lamachos et Nicias attaquent Syracuse au printemps -414, mais
rapidement ils perdent l'avantage que leur procurait l'effet de
surpnse.
Lamachos meurt lors de l'expédition, laissant Nicias seul aux
commandes de l'armée athénienne. L'espoir renaît chez les
Athéniens lorsque le Général Démosthène est envoyé en renfort
au printemps -413. Mais la situation se détériore à nouveau après
quelques succès lorsque les spartiates envoient le général Gylippe
mener la contre-offensive. Les Athéniens subissent une série de
revers militaires qui tournent au véritable massacre. Les survivants
Athéniens sont jetés dans les carrières de Syracuse. D'autres sont
vendus comme esclaves. La mise à mort de Nicias et de
Démosthène en -413 conclut la piteuse campagne de Syracuse qui
voit s'éloigner le rêve athénien de s'approprier les richesses
mythiques de l'une des cités les plus florissantes du sud de l'Italie.
La défaite des troupes athéniennes à Syracuse sonne le glas du
prestige d'Athènes, entraînant de nombreuses défections au sein
de la ligue de Délos. Seules les cités de Lesbos et de Samos lui
restent fidèles. Au demeurant, la défaite athénienne provoque un
coup d'Etat oligarchique. Le régime démocratique est remplacé.
Mais l'armée et la marine athéniennes refusent de se rallier au
nouveau régime dit « des quatre cents»
qui [mit par s'effondrer
au bout de quatre mois d'existence. Alcibiade, rappelé de son exil
spartiate essaie de redorer le blason des troupes athéniennes; mais
après une série de victoires, il ne peut résister au rouleau
compresseur de l'armée spartiate. Les troupes coalisées encerclent
Athènes, la soumettent à un blocus terrestre et maritime absolu.
La ville affamée capitule en -404. Elle est contrainte de dissoudre
la ligue de Délos, d'abattre ses fortifications du Pirée et de livrer sa
flotte. Les spartiates installent à Athènes un régime oligarchique
qui se transforme peu à peu en tyrannie, la « tyrannie des trente» à
laquelle participent des parents de Platon, Critias et Charmide.
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