SANTÉ ANIMALE PERTES DE LAIT ET DE PROFITS Les antibiotiques sont-ils tous nécessaires? Par KIM MACDONALD, médecin vétérinaire, doctorante, Université de l’Île-du-PrinceÉdouard, GREG KEEFE, médecin vétérinaire, directeur, Maritime Quality Milk, Université de l’Île-du-Prince-Édouard et ANNE-MARIE CHRISTEN, agente de transfert, RCRMB, FMV, Université de Montréal. Et s’il existait un moyen de réduire l’usage des antibiotiques? La mammite est décidément une maladie trop familière de l’industrie laitière. Elle est la plus coûteuse et celle qui requiert l’usage le plus fréquent d’antibiotiques parmi toutes les maladies des vaches laitières. Estimés à 180 $ par cas, les profits perdus peuvent devenir assez substantiels au cours d’une année. Ils résultent principalement du rejet de lait dû à la présence d’antibiotiques et à son apparence anormale. Plusieurs producteurs traitent automatiquement les cas de mammite dès leur apparition dans l’espoir que la vache guérira rapidement et pour prévenir les pertes de production de lait à long terme. Mais tous les antibiotiques n’ont pas été créés égaux et ce ne sont pas tous les cas de mammite qui en nécessitent. En fait, les différents antibiotiques présents sur les tablettes de votre armoire sont destinés à tuer des bactéries bien spécifiques. Si un cas de mammite est causé par autre chose qu’une de ces bactéries, alors l’antibiotique n’est d’aucune utilité pour éliminer l’infection. BACTÉRIES GRAM POSITIF OU GRAM NÉGATIF? Au moment d’écrire ces lignes, c’est l’été à l’Île-du-Prince-Édouard et les moustiques de tout acabit sont nombreux comme d’habitude! Plusieurs 40 NOVEMBRE 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS sont faciles à tuer d’un bon coup de « tapette » tandis que d’autres demandent plus d’efforts à cause d’une quelconque carapace. La différence entre les bactéries est similaire à celle observée entre ces bestioles. Les bactéries Gram négatif possèdent une coquille protectrice externe qui empêche la plupart des antibiotiques de pénétrer la bactérie pour la tuer. Par chance, cette armure protectrice n’est pas invincible, le système immunitaire de la vache étant capable, dans la plupart des cas, d’attaquer et de tuer la bactérie. Voilà pourquoi certaines vaches atteintes d’une mammite à coliformes, légère à modérée, peuvent guérir rapidement sans le recours aux antibiotiques. Dans les cas où la mammite ne guérit pas, il faut consulter votre médecin vétérinaire pour convenir d’un traitement antibiotique ciblé. Les coliformes E. coli, Klebsiella et Entero bacter sont de type Gram négatif. Les bactéries Gram positif sont comme les moustiques : quelquefois difficiles à attraper, mais lorsqu’ils sont bien en vue, ils sont facilement écrasés. Ces bactéries n’ont pas la coquille protectrice des coliformes, ce qui facilite la pénétration de la cellule par les antibiotiques et leur élimination. La persistance de certaines infections découle de la capacité de ces bactéries à se cacher à l’intérieur des cellules du pis où ni les antibiotiques ni le système immunitaire de la vache ne peuvent les trouver. Le risque encouru, si on ne traite pas les infections à Gram positif aussitôt qu’elles sont détectées, est qu’elles peuvent devenir persistantes et réduire la production laitière ou servir de réservoir pour infecter les autres vaches du troupeau. Les bactéries Staph. aureus, les streptocoques et différents staphylocoques sont de type Gram positif. UNE INFECTION FANTÔME Les producteurs laitiers sont souvent déconcertés devant des résultats de laboratoire négatifs alors que le lait est clairement anormal et que les vaches présentent indéniablement une mammite. Comment est-ce possible? Dans certains cas, la cause de la mammite peut être une espèce de bactérie qui ne se cultive pas facilement en laboratoire. Mais la plupart du temps, la bactérie a déjà été éliminée par l’armée de cellules somatiques qui envahit le pis lors d’une infection. Durant la bataille, des dommages sont occasionnés aux parois du quartier infecté et des morceaux de tissus endommagés sont relâchés. Ce sont UNE TOUTE NOUVELLE FICHE ILLUSTRÉE Le RCRMB a récemment concocté une toute nouvelle fiche technique illustrée s’intitulant « Outil rapide d’identification à la ferme des bactéries causant la mammite », en collaboration avec les Drs MacDonald et Keefe de l’Université de l’Île-duPrince-Édouard. Cette fiche s’inspire directement du projet de recherche mentionné dans cet article et décrit en images, étape par étape, l’utilisation des plaques de numération PetrifilmMC de 3M Canada comme système décisionnel pour le traitement de la mammite. Cette fiche est disponible gratuitement, en format PDF imprimable, sur le tout nouveau site Internet du RCRMB – www.reseau mammite.org – dans la section Boîte à outils. Une description du projet de recherche peut également être consultée dans la section Recherche. Les producteurs qui ont utilisé le système de culture au moins une fois par mois ont été capables de bien identifier et de traiter 87,5 % des infections à Gram positif. ces tissus jumelés au nombre élevé de cellules somatiques qui donnent au lait son apparence anormale. Au moment de l’observation de ce lait, l’infection est habituellement « guérie » (c.-à-d. qu’il y a absence de la bactérie respon- sable) et se résorbera en quelques jours, sans traitement. Pour ces cas, l’usage d’antibiotiques n’est pas bénéfique, car il n’y a plus de bactéries à tuer. Jusqu’à 40 % des cas de mammite au Canada ne présentent plus de bactéries au moment où ils sont détectés. On ne peut déterminer l’espèce de la bactérie responsable d’une mammite en ne se fiant qu’à l’apparence du lait ni savoir si l’infection a déjà été éliminée par la vache. Pour identifier l’agent responsable et pour connaître le traitement approprié, il faut procéder à une culture bactériologique du lait. L’idéal est d’envoyer des échantillons de lait à un laboratoire où des techniciens expérimentés vous confirmeront l’espèce bactérienne. De plus, le résultat permettra de cibler des stratégies de prévention basées sur cette bactérie. L’ennui est que vous devez faire parvenir les échantillons de lait au laboratoire et que l’obtention des résultats peut prendre plusieurs jours. Pour NOVEMBRE 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 41 SANTÉ ANIMALE térienne significative, 11 % des cas étaient causés par des coliformes et que seulement 41 % des cas de mammite étaient causés par des bactéries Gram positif d’où la nécessité d’un traitement. EST-CE QUE CE SYSTÈME DE CULTURE POURRAIT ÊTRE UTILISÉ À LA FERME POUR DÉTECTER DE FAÇON PRÉCISE LES BACTÉRIES GRAM POSITIF, LES COLIFORMES ET LES ABSENCES DE CROISSANCE? Pour identifier la bactérie responsable de la mammite et pour connaître le traitement approprié, il faut procéder à une culture bactériologique du lait avec un échantillon de lait stérile. être des plus efficaces, les décisions de traitement devraient être prises dans les 24 heures suivant la détection de la mammite. Il s’agit d’éviter que les cas qui nécessitent des antibiotiques s’aggravent ou qu’ils évoluent vers une infection chronique. Un système simple pouvant être utilisé à la ferme pour le diagnostic des cas qui nécessitent ou non un traitement pourrait s’avérer une solution intéressante… LE RCRMB ET LE MQM À LA RESCOUSSE! Récemment, des chercheurs du Réseau canadien de recherche sur la mammite bovine (RCRMB) et du Maritime Quality Milk (MQM) ont réalisé un essai clinique dans 48 fermes laitières réparties dans sept provinces canadiennes. Ils ont testé un système de culture composé de plaques de numération PetrifilmMC (3M Canada) et d’un arbre décisionnel simple. Ce système permettait de classer les infections selon qu’elles étaient à traiter (bactéries Gram positif) ou à ne pas traiter (coliformes et absence de croissance). Les résultats ont montré que 40 % de tous les cas de l’essai clinique n’ont pas présenté de croissance bac- 42 NOVEMBRE 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS Les producteurs qui ont utilisé le système de culture au moins une fois par mois ont été capables de détecter et de traiter 87,5 % des infections à Gram positif. Ils ont aussi relevé, avec une précision de 90 %, les cas qui ne nécessitaient pas de traitement, c’està-dire ceux comportant des coliformes et des absences de croissance. Toutefois, les producteurs qui ont utilisé le système moins d’une fois par mois obtenaient des résultats un peu moins précis, probablement par manque d’expérience pour l’identification des colonies de bactéries et par des manipulations faites de manière non stérile. EST-CE QUE LE TRAITEMENT SÉLECTIF DES INFECTIONS À GRAM POSITIF A AFFECTÉ LA CAPACITÉ DES VACHES À GUÉRIR? Pour comparer le traitement sélectif et le traitement universel de tous les cas, la moitié des vaches de chaque ferme a été traitée dès l’apparition de la mammite. L’autre moitié a été soumise à la culture avec le système PetrifilmMC et traitée après 24 heures seulement si une infection à Gram positif était diagnostiquée. Les producteurs ont noté le nombre de jours requis pour le retour à la normale de l’apparence du lait et pour le retour du lait dans le réservoir. La plupart des cas de mammite ont guéri à l’intérieur de deux à trois jours, peu importe si les vaches avaient été traitées immédiatement ou traitées seulement si elles avaient une infection à Gram positif. Quelques cas du groupe de culture ont nécessité un jour de plus pour la guérison, cela étant probablement dû au délai de 24 heures fixé avant le début du traitement. Cependant, il n’y avait aucune différence dans les taux de guérison bactériologique1 résultant de ce délai, car 80 % ou plus des mammites étaient exemptes de bactéries jusqu’à six semaines après le traitement sans égard aux protocoles de traitement. AVANTAGES ÉCONOMIQUES ET SOCIÉTAIRES Les antibiotiques utilisés pour le traitement de la mammite sont similaires à ceux utilisés pour traiter les infections communes chez les humains. À chaque fois qu’un antibiotique est utilisé chez des gens ou des animaux, on donne l’occasion aux bactéries de devenir résistantes. Lorsque cela se produit, l’infection devient plus difficile à éliminer et un antibiotique différent peut être requis. Pour cette raison, il est important d’utiliser les antibiotiques seulement lorsqu’ils sont nécessaires. De cette façon, ils demeureront efficaces lorsque requis… et des économies seront réalisées. Grâce au traitement sélectif, 36 % des cas de mammite de l’étude n’ont pas reçu d’antibiotiques. L’évaluation économique initiale des données de recherche a montré que le coût moyen d’un traitement antibiotique jumelé au retrait du lait du réservoir était de 139 $ si l’infection était traitée immédiatement sans la réalisation d’une culture. L’avantage économique de l’utilisation de la culture à la ferme dépend de la proportion d’infections à Gram positif versus à Gram négatif et des cas d’absence de croissance. Plus le nombre de cas non traités est élevé, plus le potentiel de retour économique est grand. En moyenne, les propriétaires de troupeaux ayant « un peu de tout » peuvent espérer épargner environ 30 $ en frais d’antibiotiques et pertes de lait pour chaque tranche de 10 $ investie dans la technologie de la culture de lait incluant le temps requis pour les manipulations. Pour plus d’information sur la culture de lait à la ferme ou sur le « Système décisionnel pour le traitement de la mammite » utilisant les plaques PetrifilmMC, veuillez contacter votre médecin vétérinaire. Des informations sont aussi disponibles en ligne au www.milkquality.ca. ■ 1 Il s’agit d’une confirmation faite par une analyse de suivi que la bactérie a été éliminée.