Bientôt le bulletin de météo solaire

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dossier
ses collègues ont montré que les modèles
climatiques, qui prenaient en compte la
variation de la concentration d’ozone avec
les cycles solaires, prédisaient un chauffage de l’atmosphère 20 % plus important
que les autres. De quoi mettre la puce à
l’oreille des climatologues ? Pour Sacha
Brun en tout cas, il serait temps que ceuxci intègrent soigneusement les fluctuations d’éclat de tout le spectre solaire dans
leurs modèles. En attendant, “il est un peu
prétentieux, d’affirmer que le Soleil n’est
pour rien dans le réchauffement climatique !” note l’astrophysicien.
Didier Hauglustaine, qui a participé à
la rédaction du rapport du Giec, assure
que, par rapport au rôle des gaz à effet de
serre, les effets du rayonnement solaire
ultraviolet sur le réchauffement planétaire sont minimes. “Ils sont comptabilisés
dans la fourchette d’incertitude que nous
avons donnée : le Soleil est responsable de 3
Bientôt le bulletin
de météo solaire
Les colères du Soleil ont de fortes répercussions sur notre
monde technologique. Pour anticiper les crises de notre astre,
les scientifiques tentent de mettre au point une météo solaire. Soho a
ouvert la voie. Ses successeurs pourraient enfin concrétiser ce projet.
Julien Bourdet
L
après cette entrée en matière, notre planète
reçoit de plein fouet un nuage de particules
extrêmement énergétiques, libérées par le
Soleil au cours d’éjections de masse coronale (EMC), comme les baptisent les astrophysiciens. Devant cette avalanche d’énergie, certains satellites se mettent automatiquement en veille, d’autres subissent
d’importants dégâts sur leurs panneaux
(1) Dossier de mars 2005, C&E n° 418.
solaires, un satellite japonais d’étude du
climat, Adeos 2, est même définitivement
perdu. Autour de la planète rouge, la sonde
Mars Odyssey perd un de ses instruments.
Dans la station spatiale, les astronautes,
prévenus de l’arrivée du panache solaire,
s’abritent dans le module le mieux protégé des radiations. Sur Terre, des aurores,
normalement visibles aux hautes latitudes, apparaissent à Nice et au NouveauMexique (États-Unis). Dans les jours qui
suivent, d’autres tempêtes solaires coupent
une partie du réseau électrique en Suède
et obligent les compagnies aériennes américaines à détourner leurs vols passant audessus des pôles par peur d’exposer les
passagers à de trop fortes radiations.
Plus récemment, en janvier 2005 et en
décembre 2006, des éruptions moins violentes ont, elles aussi, fortement perturbé
les activités technologiques. À chaque fois,
l’alerte a été donnée, mais toujours après
le déclenchement de la tempête solaire, ce
qui ne laisse que peu de temps pour réagir.
Aujourd’hui, les scientifiques tentent de
mettre au point une véritable météo solaire,
Hinode/Jaxa/Nasa
E 28 octobre 2003, une éruption
gigantesque éclate sur le Soleil. En
une heure à peine, les premières
conséquences se font déjà sentir sur Terre.
Sous l’effet du rayonnement intense, les
communications haute fréquence (HF) sont
interrompues et il devient impossible de
s’orienter à l’aide des satellites GPS. Mais
le pire reste à venir. Moins de 20 heures
à 15 % du réchauffement”, indique le chercheur du LSCE. Quant aux modèles climatiques, qui s’appuient notamment sur les
données de la dendrochronologie, ils sont
sans doute corrects dans leurs grandes
lignes. Au moins pour l’époque actuelle. La
preuve ? “Le réchauffement des deux dernières décennies a été prédit dès les années
1980”, souligne Valérie Masson-Delmotte.
❚
Et le Soleil n’y est pour rien.
Le satellite japonais
Hinode révèle
les boucles de matière
qui se développent
depuis une tache
solaire en surface
jusque dans la
couronne, le long
des lignes de champ
magnétique. Mieux
mesurer ce champ
est un des enjeux de
la météo solaire.
Ciel & Espace > Mai 2007
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dossier
SOLEIL : UNE ÉTOILE SOUS SURVEILLANCE
Première éruption pour Hinode
DR
Nasa
Le 13 décembre 2006, Hinode a surpris ce spectaculaire flash lumineux provoqué
par la collision de particules sur la surface solaire, juste à côté d’une tache.
Hinode/Jaxa/Nasa
>
Pour sa première observation d’une éruption solaire, le satellite
japonais Hinode n’a pas déçu. Réalisées le 13 décembre 2006, ces
images montrent avec une résolution inégalée comment les taches
solaires se tordent et s’enchevêtrent jusqu’à la rupture qui libère
une énorme quantité d’énergie. “Surtout, c’est la première fois que
nous disposons de mesures aussi précises du champ magnétique
à la surface du Soleil, l’ingrédient essentiel pour élaborer un modèle
d’éruption”, note Guillaume Aulanier, de l’observatoire de Paris. Ce
sont en effet les fortes variations du champ magnétique qui modèlent
les taches solaires et provoquent les éruptions plus haut, dans
la couronne. “Ces résultats sont grisants. Comme Soho à son époque,
ils promettent un nouveau bond en avant dans notre connaissance
des colères du Soleil”, s’enthousiasme l’astronome.
Guillaume Aulanier, astronome à l’observatoire
de Paris, ne doute pas que l’on disposera un jour
de bulletins de météo solaire. Selon lui,
les satellites Stéréo et Hinode devraient amorcer
ce mouvement.
Draperies colorées de lumière, les aurores
polaires (photographiées ici depuis la
navette spatiale) sont la conséquence la plus
visible des tempêtes solaires.
ou météo de l’espace, qui, à l’instar de son
équivalent terrestre, prévoit quand et avec
quelle force le Soleil va faire des siennes.
“Cette jeune discipline n’en est qu’à ses balbutiements”, reconnaît Guillaume Aulanier,
de l’observatoire de Paris. Pour preuve,
les chercheurs n’ont pas encore identifié
les indices certains qu’une colère solaire
va éclater dans les prochaines heures.
Actuellement, tout est affaire de statistiques. Dès qu’une zone active se forme
sur le Soleil (avec ses fameuses taches
solaires), elle est observée sous toutes les
coutures depuis le sol et dans l’espace :
émissions en rayons X et en ultraviolets,
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avant-coureurs d’une éruption. Le premier
a été lancé en septembre 2006, le second le
sera en 2008. Tous deux sont des enfants
du satellite Soho. Ils reprennent le concept
des instruments de l’observatoire solaire
de l’ESA et de la Nasa. En fonctionnement
depuis plus de dix ans, Soho a, par la finesse
de ses observations et la régularité de ses
mesures, changé radicalement notre vision
Les fils de Soho
du Soleil (voir encadré p. 45) et ouvert la
Aussi, dans la communauté scientifique, voie vers la prévision. “Mais aujourd’hui,
on attend beaucoup des satellites japo- toute la substantifique moelle a été extraite
nais Hinode et américain Solar Dynamics de cette mission. C’est maintenant à ses sucObservatory (SDO) qui pourraient être les cesseurs d’accomplir le pas vers une météo
premiers à découvrir de véritables signes solaire”, affirme Guillaume Aulanier.
forme du champ magnétique à cet endroit,
taille, localisation sur l’astre… Tous les événements sont minutieusement consignés
et si la configuration rappelle une situation
déjà vue, l’alerte est donnée. Mais “ces critères morphologiques ne sont pas suffisants
si nous voulons développer un bulletin digne
de ce nom”, poursuit Guillaume Aulanier.
Ciel & Espace > Mai 2007
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dossier
Les leçons de Soho
Un cycle solaire complet de 11 ans,
avec un minimum en 1996 et un
maximum en 2000, a été étudié par
Soho. Principal enseignement : même
en période supposée calme, le Soleil
connaît de fortes éruptions. Le nombre
d’éjections de masse coronale (EMC) ne
baisse en effet que très peu pendant un
minimum alors que les taches solaires,
elles, disparaissent totalement.
1
La zone convective tourne plus vite
à l’équateur qu’aux pôles, alors que
la zone radiative, la plus interne,
tourne d’un seul bloc. C’est l’une
des découvertes de l’héliosismologie,
qui mesure la vitesse de propagation
des ondes sonores à l’intérieur du Soleil
et permet de déduire les différences
de température au sein de l’étoile.
2
Comment ? En réalisant des observations
beaucoup plus précises, ces nouveaux satellites devraient identifier avec une finesse
jusqu’ici inégalée la source des éruptions.
Les scientifiques soupçonnent ainsi les
changements du champ magnétique dans
l’atmosphère du Soleil d’être responsables
des colères de l’astre. Avec un magnétographe ultrasensible, chacun des deux
satellites cartographiera en détail ce champ
magnétique à différentes altitudes et donnera des indications précieuses pour comprendre le déclenchement des éruptions.
L’origine des EMC a été établie
grâce au coronographe et à la
caméra en ultraviolet du satellite.
Ces éjections de matière prennent
naissance bas dans la couronne solaire,
sous l’influence du champ magnétique,
avant d’être poussées vers le haut.
3
Colères solaires en relief
Les taches solaires se forment
très profondément sous la surface
de l’étoile, comme le montre
l’héliosismologie.
4
5
Des tremblements, qui ressemblent
à des rides à la surface de l’eau,
ont été photographiés sur le Soleil.
Ils résultent de la chute de particules
pendant une éruption et sont utilisés
comme moyen d’alerte.
6
Nasa/ESA/Soho/EIT
De Soho, les “météorologues solaires” ont
tiré une autre leçon importante. Certes, ses
images d’éjections de matière coronale sont
utilisées pour évaluer le temps que cellesci mettront à arriver sur Terre. “Mais nous
ne sommes pas à l’abri des fausses alertes,
loin de là”, souligne Jean-Jacques Valette,
ingénieur à CLS, entreprise française spécialisée dans la météo de l’espace. En clair :
les images à elles seules ne permettent pas
de dire si la bouffée de particules solaires
se dirige bien vers la Terre ! Pour en avoir
le cœur net, il faut compter sur un autre
satellite, ACE de la Nasa, placé au même
endroit que Soho, à 1,5 million de kilomètres de la Terre dans la direction du
Soleil et qui détecte le flot de particules.
C’est aussi pour connaître la direction des
EMC que la Nasa a lancé en octobre non
pas un, mais deux satellites pour sa mission Stéréo, placés de part et d’autre de la
Terre. Cette vision en 3D nous permettra
de voir la matière se propager depuis le
ESA
>
Depuis son lancement en 1995, le satellite Soho a révolutionné nos connaissances
sur le Soleil. Il a confirmé en images et en mesures ce qui n’était que suspecté sur
son fonctionnement intime. Les six grandes avancées de la sonde de l’ESA et de la Nasa.
Les taches solaires sur la face
cachée peuvent être observées
dix jours avant qu’elles
apparaissent sur la face visible, grâce
à l’héliosismologie. Un atout pour
anticiper une éruption potentielle.
En dix ans d’observations du Soleil,
Soho a permis à la discipline de faire un
pas de géant. Les satellites qui lui ont
succédé reprennent, en les améliorant,
une bonne partie de ses instruments.
Ciel & Espace > Mai 2007
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dossier
SOLEIL : UNE ÉTOILE SOUS SURVEILLANCE
Avion et radiations
Soleil et confirmera si elle peut atteindre
ou non notre planète.
Mais tous ces progrès ne suffisent pas.
Pour voir le jour, la météo solaire doit
combler un grave manque actuel : ses
satellites de surveillance, qui assurent
en permanence des mesures rapidement
utilisables pour lancer l’alerte, se comptent sur les doigts de la main. Hormis
ACE et Goes, un satellite géostationnaire
de l’Agence américaine de météorologie
(NOAA), qui détecte les particules solaires à leur arrivée sur Terre, aucun autre
engin n’est véritablement dédié à la météo
de l’espace. “Cet aspect-là est encore peu
envisagé dans la conception des missions
scientifiques”, insiste Jean-Jacques Valette.
Qui se prend à rêver d’un successeur à
Nasa
Les astronautes
(ici, Edwin Aldrin
sur la Lune
en 1969) sont
les personnes les
plus exposées aux
radiations solaires.
La prédiction
des colères de
notre étoile
est ainsi devenue
une priorité
pour la Nasa.
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R.Kord/Photononstop
>
Moyen de transport le plus sûr, l’avion représente en
revanche un risque d’exposition aux radiations
solaires. Ce risque est d’autant plus grand si le Soleil entre
en éruption et que le vol est long, en altitude et passe par
les pôles. Depuis 1996, une directive européenne fixe une
limite de radiations à ne pas dépasser pour le personnel
navigant : 100 millisieverts (mSv) (1) sur cinq ans, la même
que celle des travailleurs du nucléaire. Pour mesurer les
doses reçues après chaque vol, la France a mis en place en
2000 le système Sievert (2), qui s’appuie sur les données de
détecteurs installés en Antarctique et de dosimètres à bord
des avions. “Le personnel d’Air France ne reçoit jamais
plus de 4 mSv en un an”, affirme Jean-François Bottollier,
de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Deux hics, tout de même. Les femmes enceintes, limitées
à 1 mSv par an. Or, celles-ci volent jusqu’à la 26e semaine
En avion, le risque d’exposition aux particules solaires existe, même
s’il est faible. Une directive européenne oblige les compagnies aériennes
à protéger leurs pilotes ou hôtesses enceintes.
de grossesse. Les passagers très réguliers ensuite, qui,
eux, ne font pas l’objet d’un suivi. Des cas à examiner.
(1) En France, la radioactivité naturelle nous expose à une dose de 0,4 mSv par an
et la limite autorisée pour la population est de 5 mSv.
(2) Calculez aussi votre dose de radiations sur www.sievert-system.org
Soho mais opérationnel : “Pour prévoir les
éruptions, cet observatoire devra envoyer
des informations toutes les 15 minutes, et
pas toutes les 4 heures, comme c’est le cas
actuellement.” En 2003, juste après la tempête solaire, même le Space Environment
Center de la NOAA, qui envoie les alertes à l’échelle mondiale, faisait ce constat.
Selon lui, la NOAA devrait procéder d’urgence au lancement de toute une série de
satellites pour prendre la suite de Soho et
d’ACE, quelque peu vieillissant.
Un bulletin météo très attendu
Sur Terre, nombreux sont ceux à compter sur un bulletin de météo solaire. On
pourrait, avant une crise, rééquilibrer les
réseaux électriques, couper l’électronique
des satellites, arrêter les forages pétroliers
le temps que le système GPS redevienne
opérationnel… Aux États-Unis notamment, le domaine a le vent en poupe.
Grâce à deux acteurs surtout. D’un côté,
les militaires, qui investissent massivement dans la météo de l’espace depuis
qu’ils ont compris que le Soleil pouvait
stopper net leurs télécommunications. De
l’autre, les compagnies aériennes, qui ne
peuvent pas faire passer leurs avions par
les pôles en cas d’éruption, sous peine de
ne plus pouvoir communiquer avec le sol.
À la Nasa, le thème est même devenu
central dans son programme d’exploration. En effet, l’agence américaine ne
veut pas envoyer des hommes sur la
Lune (totalement dépourvue de champ
magnétique, donc de bouclier contre les
particules solaires) sans un système de
prévision capable de dire en temps réel si
les astronautes courent le risque de recevoir une dose mortelle de radiations (1).
Elle a ainsi baptisé son futur programme
d’observation du Soleil “Living with a
star” (Vivre avec une étoile). L’Europe,
elle, hésite encore à investir dans ce
domaine, mais l’idée fait son chemin. La
Commission européenne pourrait bientôt intégrer un volet météo de l’espace
dans son programme de recherche. Un
peu de patience et l’on pourra écouter le
❚
bulletin météo du Soleil à la radio.
(1) Le 4 août 1972, entre les missions Apollo 16 et 17, une
violente éruption de protons solaires a touché la Lune.
Malgré le blindage du module lunaire, les astronautes n’y
auraient probablement pas survécu.
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