Catastrophe climatique : pour rester en vie, mieux

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Défricheurs du social
Posté 22 décembre 2014 par Natacha Seguin
Catastrophe climatique : pour rester en vie, mieux vaut regarder la Terre
depuis le ciel ?
Aujourd’hui, que ce soit vu du ciel avec des outils extrêmement sophistiqués ou depuis le tapis de
la forêt amazonienne, les constats sont les mêmes en matière de réchauffement climatique. Si les
constats sont les mêmes, les risques pour les individus qui les observent ne le sont pas.
« La Terre est bleue comme une orange », Paul Eluard
Tous les ans, l’Agence spatiale américaine (Nasa) comme l’Agence spatiale européenne (ESA) sont
présentes à la Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies sur le Changement
Climatique (CoP). Pour les agences spatiales, comme pour de nombreuses autres organisations qui
produisent des outils sur le changement climatique, l’enjeu est de taille : donner à voir une
représentation du changement climatique, tenter de montrer quelles en sont les causes, comment le
système terrestre changera, et comment la science peut fournir un bénéfice à la société (programme
« Hyperwall Science Stories, www.gsfc.nasa.gov/hw).
Lorsque l’on pense au changement climatique, à ses acteurs, les agences spatiales ne s’imposent pas
comme des évidences. Et pourtant, leur rôle est essentiel. D’une part, le climat fonctionne comme un
système complexe et il est intéressant de prendre de la distance pour en comprendre les interactions
et les satellites peuvent aider à nous les montrer à l’œil nu : tendances du réchauffement climatique
sur le long terme, mouvements de circulation de l’air à la surface de la Terre, progression de
l’acidification des océans, déplacements des courants marins El Nino/La Nina, fonte des glaciers de
l’Arctique, érosion des côtes, …
D’autre part, les agences spatiales créent une représentation du monde à partir de laquelle les
gouvernements, les personnes en position de décision élaborent des politiques, des stratégies pour
défendre certains intérêts. Par exemple, dans son ouverture à la journée des entreprises (le
Bingoday !), la secrétaire générale de la Conférence sur le changement climatique a rappelé qu’il y
avait deux moteurs dans les discussions depuis la première CoP : la science et le secteur privé.
A partir de ce constat, nous posons plusieurs questions auxquelles nous n’avons pas encore de
réponse : la représentation du monde proposée par la Nasa est-elle la même que celle de l’Agence
spatiale européenne ? Existe-t-il un lien entre la mise en image du changement climatique vu du ciel
par la Nasa et la politique américaine en matière de lutte contre la catastrophe climatique ? Quelle
est l’incidence des multinationales américaines ou étrangères (françaises, notamment) qui financent
les lobbys climato-sceptiques sur le travail des scientifiques de la Nasa et d’autres instituts ?
Ces questions sont un peu loin de l’événement que nous voulons partager avec vous et qui en
soulève lui aussi de nombreuses questions quant à l’avenir de notre planète. Nous quittons le ciel
pour la forêt amazonienne.
Le combat à mains nues
Ce n’est pas avec les outils de cette science-là que les premières victimes de la catastrophe
climatique, partout dans le monde, se battent. Il n’en demeure pas moins qu’ils observent in situ ce
que les modèles intégrés dans les satellites montrent : la forêt amazonienne que les scientifiques
considèrent comme le poumon de l’humanité recule de manière inquiétante du fait des abattages
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illégaux, de la pollution du fleuve avec l’orpaillage, de l’installation de laboratoires clandestins pour
fabriquer de la drogue…
En septembre 2014, quatre syndicalistes indigènes Ashaninka qui défendaient la forêt amazonienne
contre les coupes illégales de bois ont été assassinés, leur corps jeté dans le fleuve. Ils avaient
témoigné, photos à l’appui, des changements qu’ils observaient dans la forêt, des saccages, de la
pollution des eaux, de la mort des animaux…et avaient donné les noms des personnes qui les
menaçaient de mort. Le Gouvernement péruvien avait accepté d’agir mais trop tard. Sa politique est
paradoxale en matière de protection de l’environnement : d’un côté, il signe avec la Norvège un
contrat de 192 millions de dollars pour réduire d’ici 2021 la déforestation, de l’autre, il offre des
concessions pour augmenter l’agriculture intensive, les mines, l’abattage du bois, le forage pétrolier
en Amazonie à la frontière entre le Pérou et l’Equateur. D’un côté, il reconnaît légalement le droit
des populations ancestrales à vivre sur le territoire comme ce fut le cas en 2003 avec la communauté
de Saweto, celle dont était issue les quatre syndicalistes Ashaninka, et de l’autre, il laisse sans
protection les défenseurs qui sont en première ligne dans la forêt amazonienne pour la protection de
la nature. Ceux-ci, qui sont présents dans la CoP, comme organisations non gouvernementales avec
l’appellation « peuples indigènes » témoignent du fait que dans de nombreux pays, ils sont
considérés par les gouvernements comme des « sous-hommes » alors même que leur combat à une
portée universelle. En effet, ce ne sont pas seulement des arbres ancestraux qui sont abattus, ce sont
des puits de carbone dont l’humanité entière profite.
Selon un rapport de la Banque mondiale, 80% des exportations de bois péruvien sont d’origine
illégale. Le Pérou semble particulièrement s’illustrer en la matière puisque le Programme des Nations
Unies pour l’Environnement estime que le commerce illégal mondial du bois représente 10 à 30% du
commerce du bois. Un commerce illégal qui génère des profits substantiels : un tronc d’essence de
de mahogany peut valoir selon l’Agence internationale de l’environnement 11 000$ sur le marché
parallèle.
L’abattage illégal génère une violence extrême dans la forêt amazonienne, notamment au Pérou qui
dispose pourtant depuis 1975 d’une loi qui confère aux populations indigènes la propriété pleine et
entière de leurs terres. Ainsi, un rapport de l’ONG Global Witness classe le Pérou au 4ème rang des
pays les plus violents pour les protecteurs de l’environnement, derrière le Brésil, le Honduras et les
Philippines. Depuis 2002, 57 activistes écologistes y ont été assassinés et l’on constate une
amplification et une accélération du phénomène depuis 2010.
Dans tous les pays d’Amérique du Sud ou d’Amérique Centrale, les témoignages sont les mêmes. Au
« Cumbre de los pueblos », plusieurs intervenants (syndicalistes, scientifiques, habitants,
agriculteurs…) sont venus témoigner de la même criminalisation des mouvements sociaux, des
mêmes catastrophes : pollution des eaux, maladies, disparition de la biodiversité. Les réponses des
pouvoirs politiques ne semblent ni à la hauteur des attentes des populations en termes de protection
des droits de l’Homme, ni à la hauteur des enjeux pour lutter contre la catastrophe climatique.
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