Chapitre 2 Mécanisme des fractures J.-C. Dosch Les facteurs qui entrent en considération dans l'établissement d'une fracture sont multiples. Sans vouloir être exhaustif citons pêle-mêle : force, résistance, contrainte, architecture vertébrale, anisotropie, module d'élasticité, seuil de rupture, vitesse ou durée du traumatisme, lieu d'application des forces, niveau d'énergie, rôle des parties molles. Ces facteurs sont bien connus pour le squelette appendiculaire [1]. Mais qu'en est-il pour le rachis ? Pourquoi un traumatisme affecte-t-il plutôt la vertèbre que le segment mobile rachidien, plutôt le corps vertébral que l'arc postérieur ? Comment évolue la séquence des lésions ? Peut-on prévoir le risque fonctionnel ou neurologique ? À ce jour et faute de modèle expérimental validé, nous ne pouvons que constater les dégâts. Des réponses semblent se dessiner sur les bases de la théorie des éléments finis. En attendant, nous nous contenterons d'une approche purement sémiologique, en proposant un ensemble d'images clés qui par exclusion ou association contribuera au diagnostic. Nous prendrons pour modèle une vertèbre type laissant volontairement de côté, par soucis de clarté, la charnière cervico-occipitale en raison de sa complexité anatomique et biomécanique. Architecture vertébrale Elle intervient de plusieurs manières dans la genèse des lésions. Matériau Le matériau qui compose la vertèbre est réparti de manière à supporter un maximum de charge. Il est de type composite comportant une matrice qui est essentiellement collagène et un os minéral. Le collagène n'a aucune résistance à la compression mais une grande résistance à la traction. Inversement, l'os minéral est plus résistant à la compression qu'à la traction. Ce matériau, ainsi constitué, est anisotrope, c'est-à-dire que ses propriétés changent selon les directions de l'espace. Vertèbre Le corps vertébral et les processus articulaires constituent les piliers de la vertèbre. Ils sont réunis entre eux par les pédicules en avant et les lames en arrière. Ces piliers, comme n'importe quel autre os de l'organisme, ont une résistance propre à chaque type de traumatismes. L'arc neural, principalement formé d'os corticodiaphysaire de type haversien, peut être assimilé à un segment diaphysaire, le corps vertébral essentiellement constitué d'os spongieux à une chondro-épiphyse. La trabéculation du corps vertébral reproduit les lignes de force. Les travées verticales témoignent des contraintes en compression, les travées horizontales des contraintes en traction. Leur enchevêtrement explique en partie la résistance croissante à la compression de l'avant vers l'arrière, du mur antérieur à l'isthme en passant par le mur postérieur (fig. 2.1). Cette analogie entre vertèbre et os long a son équivalent dans la pathogénie des lésions traumatiques. Elle permet le réemploi de la terminologie des fractures appendiculaires avec leur sousentendu biomécanique. On peut donc parler de : • fracture–enfoncement, fracture–séparation, avulsion, contusion osseuse pour le corps vertébral ; • solution de continuité transversale, verticale, oblique, voire spiroïde pour l'arc postérieur. Traumatologie du rachis © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 0001592278.INDD 33 9/7/2012 9:17:06 PM 34 Notions de bases fondamentales a b c Fig. 2.1 Architecture vertébrale. Trabéculation dans le plan axial (a), sagittal (b) et coronal (c). Notez le renforcement des trabécules du mur postérieur en regard des pédicules. La présence d'une zone de moindre résistance du mur postérieur entre les pédicules explique en partie son effraction dans le canal vertébral dans les traumatismes en compression. Disque intervertébral Le disque est l'élément essentiel de l'amphiarthrose intervertébrale. Il comprend une partie centrale, le nucléus pulposus, et une partie périphérique, l'annulus fibrosus. Le nucléus riche en collagène de type 2 et en protéoglycanes est proche du fibrocartilage. Ces fibres sont réparties dans tous les plans et se prolongent dans les plaques cartilagineuses des plateaux vertébraux adjacents. Il est fortement hydraté, présente une précontrainte aux forces de compression et subit un mouvement de l'eau en va-et-vient qui contribue à sa nutrition. L'annulus est, quant à lui, proche de la structure d'un ligament. Il est formé de plusieurs couches de lamelles concentriques formant un angle de 30° par rapport au plateau vertébral. Ainsi constitué, le disque constitue un amortisseur et un transmetteur de forces. Il contribue grandement à la stabilité et la mobilité du rachis. Il résiste davantage aux forces de compression que le corps vertébral. Il est sensible aux forces de traction. Ligaments On décrit des ligaments communs continus à plusieurs vertèbres et des ligaments discontinus siégeant uniquement entre deux vertèbres adjacentes. Le ligament longitudinal antérieur (LLA) s'étend du clivus à la deuxième pièce sacrée. Il est formé de plusieurs couches fibreuses. Les fibres profondes adhèrent au périoste de la face antérieure des corps vertébraux et pontent l'annulus fibrosus. Les fibres superficielles et longues assurent une contention passive qui limite l'extension. Le ligament longitudinal postérieur (LLP) prolonge la membrana tectoria. Il s'étend de la face posté- 0001592278.INDD 34 rieure de C2 au sacrum. Sa structure rejoint, à quelques différences près, celle du ligament commun antérieur. L'adhérence aux corps vertébraux est globalement moindre. Les fibres profondes entrent directement en contact avec celles de l'anneau fibreux. À l'étage cervical, le LLP recouvre toute la face postérieure du corps vertébral et contribue avec le disque à la stabilité vertébrale. À l'étage thoracolombaire, il se rétrécit, ne couvre plus qu'une partie du corps vertébral, mais garde des expansions latérales en regard des disques intervertébraux. Sa contribution à la stabilité fait encore l'objet de discussions. Son rôle est plutôt de contenir les hernies discales en regard contre la moelle et les racines. Le ligament supra-épineux est un cordon fibreux fixé sur les bords libres des processus épineux. Au rachis cervical, il est remplacé par le ligament nucal qui donne insertion aux muscles superficiels de la nuque. Le ligament jaune se caractérise par sa grande richesse en fibres élastiques permettant un allongement de 5 à 50 %. Au-delà de 50 %, la rigidité augmente et permet d'absorber une grande quantité d'énergie avant que la rupture ne survienne. La place des ligaments intertransversaires et interépineux reste encore à définir. Muscles Les muscles paravertébraux, disposés symétriquement de part et d'autre de la colonne ont une action directe sur le rachis. On distingue les muscles courts et les muscles longs, répartis en plusieurs plans. Ils agissent comme des stabilisateurs dynamiques extrinsèques. Les muscles ventraux sont fléchisseurs, 9/7/2012 9:17:06 PM Chapitre 2. Mécanisme des fractures les muscles dorsaux érecteurs. La contraction simultanée de muscles antagonistes augmente la rigidité de la colonne vertébrale. Ces muscles assurent les fonctions de maintien de la statique et de cinétique du mouvement. Unité fonctionnelle rachidienne Elle peut être définie comme le plus petit segment rachidien supportant la biomécanique du rachis. Elle comprend une amphiarthrose en avant et deux diarthroses en arrière (fig. 2.2). Elle a pour centre de mobilité le nucléus pulposus, voire la partie postérosupérieure du corps vertébral. Elle autorise trois sortes de mouvements : l'inclinaison frontale et sagittale, la rotation axiale, la translation. Elle concentre toutes les forces traumatiques et est à l'origine de toutes les complications. 35 ligne. Elles sont une réponse à l'érection du tronc. La lordose cervicale apparaît dès que l'enfant commence à soutenir sa tête, puis passe, sous l'action conjuguée de la croissance des corps vertébraux et l'orientation des processus articulaires, par des phases de majoration et de diminution. La lordose lombaire apparaît secondairement vers la deuxième année lors de l'apprentissage de la marche. Elle se caractérise par une augmentation rapide du volume discal L4–L5 et une position plus centrale du nucléus pulposus sur le plateau vertébral. Les courbures alternées du rachis – lordoses cervicale et lombaire, cyphoses thoracique et sacrococcygienne – sont définitivement fixées pendant la puberté. Parallèlement à ces courbures, on remarque, dans le plan axial, une disposition particulière des processus articulaires. L'orientation des interlignes zygapophysaires est adaptée aux conditions biomécaniques propres à chaque étage : en bas et en avant pour la flexion– extension au rachis cervical, en avant et en dedans pour la rotation axiale au rachis thoracique, en arrière et en dedans pour le verrouillage au rachis lombaire (fig. 2.3). L'ensemble, comprenant les trois colonnes de Louis, les courbures et les articulations Fig. 2.2 Unité fonctionnelle rachidienne. L'amphiarthrose antérieure comprend le corps vertébral réuni par le disque et les ligaments communs antérieur et postérieur. Les diarthroses postérieures comprennent les processus articulaires réunis par le complexe ligamentaire postérieur : ligament jaune, capsule articulaire, ligaments interépineux et surépineux. Courbures rachidiennes L'ensemble des unités fonctionnelles constitue le rachis. Louis le considère comme un système à trois colonnes reposant principalement sur l'empilement des piliers et de leur moyen d'union. Les courbures rachidiennes facilitent l'équilibre du rachis, renforcent sa résistance aux contraintes en compression d'un facteur 10 par rapport à une colonne recti- 0001592278.INDD 35 Fig. 2.3 Courbures rachidiennes. Lordoses cervicale et lombaire, cyphose thoracique (schéma du milieu). Adaptation fonctionnelle de l'orientation des interlignes articulaires aux courbures (schémas de droite). Augmentation progressive de la taille des corps vertébraux contrastant avec la conservation du diamètre canalaire transversal (schémas de gauche). 9/7/2012 9:17:08 PM 36 Notions de bases fondamentales zygapophysaires, conditionne la déformation plastique du rachis, et prédispose chaque segment à des lésions traumatiques plus ou moins spécifiques. Mécanismes lésionnels Les quatre mécanismes élémentaires sont la compression, la traction, la rotation et le cisaillement. Ils peuvent agir de manière isolée ou en association. Théoriquement, ils peuvent s'exprimer dans n'importe quel plan de l'espace (fig. 2.4). En pratique, la compression prédomine dans le plan craniocaudal, la traction dans le plan sagittal, la rotation dans le plan axial transverse. Lésions par compression On parle de mécanisme de compression si la force traumatique agit perpendiculairement aux plateaux vertébraux (fig. 2.5). C'est le mécanisme le plus fréquent. Il regroupe environ deux tiers des lésions traumatiques vertébrales. La nature des lésions dépend de la violence du traumatisme et de l'état du disque. Les contusions osseuses sont des lésions à faible énergie. Elles sont en rapport avec des fractures de l'os trabéculaire respectant l'os cortical. Ces contusions osseuses n'ont pas de traduction radiographique ou scanographique. Le diagnostic repose sur l'IRM. Elles sont sans conséquences cliniques. Fig. 2.4 Mécanismes. Principales forces traumatiques : la compression (flèches rouges), la traction (flèches vertes), la rotation et/ou le cisaillement (flèches courbes). Théoriquement, ces forces peuvent s'exprimer dans les trois plans de l'espace. 0001592278.INDD 36 9/7/2012 9:17:10 PM Chapitre 2. Mécanisme des fractures Fig. 2.5 Traumatisme par compression. Force de compression (flèche) agissant perpendiculairement au plateau vertébral. Le corps vertébral peut être tassé ou fracturé. L'appareil ligamentaire est plissé mais reste intègre. Le tassement vertébral correspond à une perte de hauteur du corps vertébral. Expérimentalement, il survient sur un nucléus altéré (fig. 2.6). L'atteinte prédomine sur le plateau supérieur. Il est de type cunéiforme si la compression survient sur un rachis en légère flexion. Il est global si la compression agit dans un plan strictement vertical, auquel cas les plateaux vertébraux vont rester parallèles. Les traumatismes les plus violents génèrent, après 37 impact, une onde de choc responsable d'un éclatement centrifuge du corps vertébral avec possible effraction d'un fragment de mur postérieur dans le canal rachidien. Les processus articulaires restent intacts. La paroi postérieure du canal rachidien peut présenter, selon le degré d'éclatement transversal, un trait de fracture vertical à extension craniocaudale. Il peut être uni- ou bicortical, partiel ou complet et a pour corollaire une augmentation de la distance interpédiculaire. Quoi qu'il en soit, c'est l'orientation verticale de cette solution de continuité sur l'arc postérieur qui permet de rattacher le tassement à un mécanisme par compression axiale. Les ligaments du segment mobile rachidien restent intacts et contribuent par ligamentotaxis au rétablissement de la hauteur du corps vertébral lors des manœuvres de réduction sous traction. Le disque intervertébral résiste en général aux contraintes en compression. Le « pincement » observé sur les radiographies standard est le plus souvent en rapport avec un affaissement du plateau vertébral supérieur [2, 3]. La fracture–séparation répond à une impaction du nucléus pulposus sur le plateau vertébral supérieur de la vertèbre sous-jacente. Cette lésion ne peut théoriquement survenir que si le nucléus est sain (fig. 2.7). Le trait de fracture est vertical et siège de préférence dans un plan frontal d'où l'image en diabolo sur une radiographie de profil. L'hémivertèbre antérieure se déplace en avant. Le recul de l'hémivertèbre postérieure provoque un diastasis interapophysaire. L'incarcération du disque dans la solution de continuité peut retarder la consolidation, ou entretenir une pseudarthrose. Fig. 2.6 Tassement vertébral. Si le traumatisme agit sur un disque plus ou moins altéré les forces sont uniformément réparties sur le plateau vertébral. Le disque agit comme un objet contondant. L'énergie résiduelle après impact est dissipée sous forme d'une onde de choc causant un éclatement vertébral de type centrifuge (cercles rouges). 0001592278.INDD 37 9/7/2012 9:17:11 PM 38 Notions de bases fondamentales Fig. 2.7 Fracture–séparation du corps vertébral. Si le traumatisme agit sur un nucléus sain les forces sont concentrées sur le plateau vertébral. Le nucléus agit comme un objet tranchant. La solution de continuité siège préférentiellement dans le plan coronal, plus rarement dans le plan sagittal. L'énergie résiduelle après impact est dissipée sous forme d'une onde de choc initiant le déplacement interfragmentaire. Lésions par traction Elles représentent environ 15 % des lésions rachidiennes. On parle de traumatisme de traction si la force s'exprime perpendiculairement à l'axe du rachis, généralement dans le plan sagittal. Elle détermine un mouvement d'hyperflexion si elle agit de l'arrière vers l'avant (fig. 2.8a), d'hyperextension si elle agit en sens inverse (fig. 2.8b). Dans les traumatismes par accélération–décélération, des forces de sens contraire peuvent s'exercer successivement. Ainsi dans le whiplash injury ou coup du lapin, on observe tour à tour une hyperextension du rachis cervical inférieur, une hyperflexion de la charnière cervico-occipitale, une hyperextension de l'ensemble du rachis. Ces traumatismes mettent en tension les différents composants du segment mobile rachidien : ligament longitudinal antérieur et disque lors de l'hyperextension, complexe ligamentaire postérieur, ligament longitudinal postérieur et disque lors de l'hyperflexion. Par analogie aux travaux expérimentaux sur les lésions du ligament croisé antérieur du genou [4], on admet que la rupture siège sur le ligament si le traumatisme est à haute vélocité et concerne l'enthèse si le traumatisme survient à faible vitesse. L'avulsion de l'enthèse peut, à l'instar de la fracture de Chance, être le point de départ d'une fracture vertébrale transversale. Les traumatismes en traction sont rarement 0001592278.INDD 38 purs. Le plus souvent, ils s'expriment par l'intermédiaire d'un point d'appui sur la vertèbre. On parle alors de lésion en flexion–compression, les forces en présence étant, dans ce cas, réparties de part et d'autre du pivot de rotation. En l'absence de luxation, les lésions du segment mobile rachidien sont difficiles à reconnaître sur les radiographies standard. Il faut savoir l'évoquer en présence d'un épaississement des parties molles prévertébrales, une avulsion du listel marginal antérieur, un tassement cunéiforme, un clivage horizontal du pédicule, une décoaptation des processus articulaires, une augmentation de l'espace interépineux par rapport aux étages adjacents de plus de 2 mm au rachis cervical ou de 7 mm au rachis lombaire. L'espace intervertébral doit faire l'objet d'une attention toute particulière. L'augmentation de hauteur du disque est, plus que son pincement, un indicateur précieux. Chez le jeune enfant, il correspond, à l'instar d'un décollement épiphysaire des os long, à une avulsion de la plaque cartilagineuse [5]. Chez l'adulte, on peut admettre qu'il répond à une annulation de la précontrainte suite à une rupture des ligaments longitudinaux antérieur et postérieur. L'épaississement discal doit donc être interprété, jusqu'à preuve IRM du contraire, comme une lésion instable du segment mobile rachidien. 9/7/2012 9:17:13 PM Chapitre 2. Mécanisme des fractures 39 a b Fig. 2.8 Traumatisme par traction. a. Mécanisme par hyperflexion. Les lésions osseuses et/ou discoligamentaires s'étendent de l'arrière vers l'avant. b. Mécanisme par hyperextension. Les lésions osseuses et/ou discoligamentaires s'étendent de l'avant vers l'arrière. Lésions par rotation et/ou par cisaillement Ces lésions font suite à un moment de torsion ou de translation s'exerçant perpendiculairement à l'axe du rachis dans un plan horizontal. Ces lésions sont propres aux traumatismes à haute énergie et doivent être évoquées de principe chez le polytraumatisé. Elles représentent environ 19 % des lésions 0001592278.INDD 39 rachidiennes et s'accompagnent fréquemment de complications neurologiques. Les tassements et les déplacements intervertébraux sont constants dans le plan sagittal et/ou dans le plan coronal. Aux fractures verticales et horizontales décrites précédemment viennent s'ajouter des fractures zygapophysaires, des fractures des processus transversaires, des décoaptations ou des luxations interapophysaires postérieures. 9/7/2012 9:17:13 PM 40 Notions de bases fondamentales Instabilité vertébrale traumatique La notion d'instabilité a été introduite par Nicoll pour les fractures du rachis thoracolombaires [6]. Les études biomécaniques sur le rachis, la quête d'un modèle expérimental pour les fractures vertébrales, les progrès de la chirurgie et de l'imagerie ont petit à petit permis de conceptualiser l'instabilité, identifier les formations anatomiques en cause, élaborer des classifications, modifier les bases thérapeutiques. De toutes les définitions, nous retiendrons pour sa clarté celle de White et Panjabi pour qui « une lésion est cliniquement instable si, dans des conditions d'utilisation normale, le rachis ne peut plus maintenir des rapports normaux sans risque d'irritation ou de complication médulloradiculaire » [7]. L'évolution des idées, partant d'une conception d'un rachis à deux colonnes – une colonne antérieure à vocation statique et une colonne postérieure à vocation dynamique (fig. 2.9) – témoigne de la complexité croissante de ce problème. Il nous paraît intéressant d'en énumérer les grandes étapes. Lorentz Böhler partait du principe sine qua non qu'un bon résultat fonctionnel ne pouvait s'appuyer que sur une parfaite réduction anatomique des lésions. Nicoll constate toutefois qu'une dégradation anatomique peut néanmoins survenir en cours de traitement et altérer la qualité du résultat clinique. Il ne peut s'expliquer cela qu'en introduisant la notion d'instabilité ayant pour facteurs : la comminution du corps vertébral, la déchirure discale, la rupture du ligament interépineux (fig. 2.10a). Fort de ce constat, a b P A Fig. 2.9 Rachis à deux colonnes. Une colonne antérieure (A) à vocation statique. Une colonne postérieure (P) à vocation dynamique. il abandonne la classification de Böhler et propose une nouvelle classification fondée sur les mécanismes suivants : le tassement cunéiforme par compression, le tassement latéral par flexion–rotation, la fracture– luxation par flexion–compression, les fractures isolées de l'arc neural par rotation. Sont considérés comme stables les tassements antérieur et latéral ainsi que les fractures isolées de l'arc neural au-dessus de L4. Sont considérées comme instables les fractures–luxations, et toutes les fractures de l'arc neural en L4 et L5. c Fig. 2.10 Premiers supports de l'instabilité. a. Pour Nicoll, l'instabilité a pour cause la comminution du corps vertébral, la déchirure discale, la lésion du ligament interépineux. b. Pour Decoulx et Rieunau, l'instabilité repose sur l'atteinte du mur postérieur et des structures discoligamentaires attenantes. c. Pour Holdsworth, l'instabilité repose sur l'atteinte du complexe ligamentaire postérieur. 0001592278.INDD 40 9/7/2012 9:17:15 PM Chapitre 2. Mécanisme des fractures Decoulx et Rieunau [8] insistent sur le rôle fondamental du mur postérieur constitué par « la partie postérieure du corps vertébral sur laquelle s'insèrent les deux pédicules et qui limite en avant le canal rachidien ». Cette notion de mur postérieur intègre les structures discoligamentaires, à savoir les parties postérieures attenantes du disque et du ligament longitudinal postérieur (fig. 2.10b). Elle leur paraît si importante qu'ils se contentent de « diviser les fractures du rachis dorsal et lombaire, simplement en fracture sans lésion du mur postérieur et en fracture avec lésion du mur postérieur, les premières relevant d'un traitement physiothérapique ou orthopédique, les secondes de l'appareil plâtré, avec ou sans réduction, ou de la greffe différée ». Pour Holdsworth [9], l'instabilité vertébrale résulte d'une atteinte du complexe ligamentaire postérieur (CLP), entité qu'il définit comme comprenant non seulement le ligament interépineux de Nicoll mais encore le ligament supra-épineux, le ligament jaune et les capsules articulaires (fig. 2.10c). Il retient six types de fractures : le tassement cunéiforme par simple flexion, la burst fracture par compression axiale, les lésions par extension, les luxations par hyperflexion, les fractures–luxations par rotation, les lésions par cisaillement. Les trois premières préservent le complexe ligamentaire postérieur et sont considérées comme stables. Les trois dernières affectent le complexe ligamentaire postérieur et font partie des lésions instables. Roy-Camille, suite aux travaux de Ramadier, expose la théorie du segment vertébral moyen (SVM) qui associe au mur postérieur les pédicules, les processus articulaires, les lames (fig. 2.11). Toutes les atteintes du SVM associées à un déplacement initial sont instables. Il ne précise pas les facteurs de risque liés aux lésions non déplacées. Louis [10] développe réellement les théories de l'instabilité. Lors du symposium sur les fractures instables du rachis en 1977 il définit clairement trois types d'instabilités : une instabilité proprement dite, une instabilité potentielle, une instabilité thérapeutique. L'instabilité proprement dite a pour support sa théorie des colonnes (fig. 2.12). Pour Louis, « l'architecture et la stabilité du rachis se résument à deux grands systèmes l'un vertical fait de trois colonnes ostéoligamentaires, l'autre horizontal et métamérique fait de trois ponts osseux – les deux pédicules et la réunion des deux lames – et de trois processus servant de bras de levier – les 0001592278.INDD 41 41 Fig. 2.11 Segment vertébral moyen (SVM) de Roy-Camille. Le SVM comprend toutes les structures péricanalaires. Toutes les atteintes du SVM associées à un déplacement initial sont instables. Fig. 2.12 Les trois colonnes de Louis. Système vertical tripode à trois colonnes comprenant une colonne antérieure (corporéodiscale) statique, et deux colonnes articulaires postérieures dynamiques. Système horizontal métamérique comprenant des ponts osseux (pédicules et lames) et des haubans (processus transversaire et épineux) réunis par le segment mobile rachidien. L'atteinte d'au moins deux colonnes est responsable d'instabilité. Chaque colonne étant constituée d'une alternance de segments osseux fixes et de segments ligamentaires mobiles, on peut distinguer l'instabilité osseuse (spontanément réversible) et l'instabilité ligamentaire (spontanément irréversible). 9/7/2012 9:17:17 PM 42 Notions de bases fondamentales processus transverses et le processus épineux ». Chaque élément lésé est affecté d'un coefficient (fig. 2.13). Il est coté 1 pour l'ensemble des solutions de continuité complète d'une des trois colonnes, 0,5 pour les fractures des ponts et les solutions de continuité incomplètes d'une colonne, 0,25 pour l'ensemble des apophyses transverses ou des épineuses. Si la somme atteint ou dépasse 2, on peut considérer la fracture du rachis comme instable. Chaque colonne étant constituée d'une alternance de segments osseux fixes et de segments ligamentaires mobiles, on peut distinguer l'instabilité osseuse (caractère temporaire) et l'instabilité ligamentaire (caractère définitif). L'instabilité potentielle a été introduite pour attirer l'attention sur le risque de déplacement secondaire en cas de rachis neurologique à radiographies normales. On pensait alors que les lésions médullaires ne pouvaient être en rapport qu'avec une luxation. L'instabilité thérapeutique est induite par l'action du chirurgien sur les voies d'abord, lors des manœuvres de réduction ou de décompression. Denis [11] remet en cause la théorie de Holdsworth. En l'occurrence, il constate que les seules lésions du complexe ligamentaire postérieur ne sont pas suffisantes pour créer une instabilité dans le système à deux colonnes. Il imagine donc une colonne intermédiaire, interposé entre le corps vertébral et l'arc neural. Cette « troisième » colonne est formée par la face postérieure du corps vertébral, le ligament longitudinal postérieur, la partie postérieure du disque. Elle correspond en fait, et sans le désigner, au mur postérieur de Decoulx et Rieunau. La colonne antérieure ne comprend plus que le ligament longitudinal antérieur, les parties antérieures du disque et du corps vertébral. La colonne postérieure reste inchangée. Fort de ce concept, il reconsidère l'atteinte des trois colonnes en fonction des mécanismes, accorde un rôle crucial à la colonne intermédiaire, propose une nouvelle classification des fractures du rachis et hiérarchise l'instabilité en degrés : premier degré purement mécanique, second degré d'origine neurologique, troisième degré mixte, mécanique et neurologique (fig. 2.14). 1 pt 0,5 pt 0,25 pt 1 pt 0,5 pt 0,25 pt Fig. 2.13 Cotation de l'instabilité selon Louis. Chaque élément lésé est affecté d'un coefficient. Il est coté 1 pour l'ensemble des solutions de continuité complète d'une des trois colonnes, 0,5 pour les fractures des ponts et les solutions de continuité incomplète d'une colonne, 0,25 pour les processus transverses et épineux. Si le score atteint ou dépasse 2, la lésion rachidienne est décrétée instable. 0001592278.INDD 42 9/7/2012 9:17:20 PM Chapitre 2. Mécanisme des fractures 43 Au terme de cet historique, on retiendra que l'instabilité vertébrale traumatique peut être osseuse ou ligamentaire, temporaire ou définitive, immédiate ou potentielle. Elle est amplifiée en cas de trouble neurologique. Sa présence conditionne la prise en charge clinique. Nous reviendrons sur ces aspects quand nous aborderons les lésions vertébrales en fonction de leur topographie. Références A M P Fig. 2.14 Les trois colonnes de Denis. Denis interpose une troisième colonne entre la colonne antérieure (A) et la colonne postérieure (P). L'instabilité repose sur l'atteinte de cette colonne intermédiaire ou moyenne (M). Vaccaro [12] et le Spine Trauma Study Group (STSG) proposent une approche ayant pour objectif la prise en charge clinique. Leur nouvelle classification TLICS (toracolombar injury classification and severity score) prend en compte le mécanisme, le complexe ligamentaire postérieur et le statut neurologique. Il affecte 4 points au maximum à la morphologie des lésions (compression 1, rotation/cisaillement 3, traction 4), 3 points au maximum à l'état du CLP (intact 0, suspect ou indéterminé 2, rompu 3), 3 points au maximum à l'état neurologique (intact 0, trouble radiculaire et/ou atteinte sensitivomotrice complète de la moelle 2, atteinte sensitivomotrice incomplète de la moelle ou syndrome de la queue-de-cheval 3). Le score de sévérité évolue entre 1 et 10 points. Le traitement est conservateur pour un score inférieur à 3, chirurgical si le score est supérieur ou égal à 5. Le mur postérieur disparaît en tant que concept. Son atteinte est directement intégrée dans l'analyse morphologique des lésions. 0001592278.INDD 43 [1] Meyreuis P, Cazenave A, Zimmermann R. Biomécanique de l'os. Application au traitement des fractures. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). 14-031-A-30. 2004. [2] Oner FC, et al. Changes in the disc space after fractures of the thoracolumbar spine. 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