Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège L'étrange mouvement des ARN de transfert 04/02/13 Les mitochondries, centrales énergétiques des cellules eucaryotes, possèdent leur propre génome, indépendant de celui du noyau de la cellule. Cette particularité s'explique par leur origine. Elles correspondent en effet aux restes de bactéries qui se seraient introduites au sein d'une cellule eucaryote primitive il y a environ deux milliards d'années. Au cours de l'évolution, le génome des mitochondries s'est appauvri, perdant des gènes ou transférant une partie de ceux-ci vers le noyau de la cellule hôte. Les mitochondries ont donc besoin d'un coup de main pour répliquer, transcrire et traduire leur génome. Elles importent ainsi des protéines depuis le cytosol de la cellule. Il y a peu, les scientifiques ont découvert qu'il y avait également import d'ARN de transfert vers les mitochondries. Un volet des recherches de Claire Remacle, responsable du laboratoire de génétique des microorganismes de l'Université de Liège, vise à élucider les mécanismes qui régulent ce phénomène. Les mitochondries sont la centrale énergétique de la cellule eucaryote. C'est au sein de ces organites que l'énergie fournie par les molécules organiques est récupérée sous forme d'ATP, le carburant de la cellule. Bien que les mitochondries © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -1- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège soient une composante de la cellule eucaryote et, de ce fait, répondent aux « ordres » donnés par l'ADN à partir du noyau, elles possèdent un ADN qui leur est propre et qui est indispensable à leur bon fonctionnement. Cette particularité s'explique en remontant aux origines de ces organites. Il est aujourd'hui communément admis qu'ils correspondent aux restes de bactéries qui se seraient introduites au sein d'une cellule eucaryote primitive par endosymbiose il y a environ deux milliards d'années. Au cours de l'évolution, le génome de ces endosymbiontes s'est appauvri, perdant des gènes ou transférant une partie de ceux-ci vers le noyau de la cellule hôte. Ainsi d'organismes autonomes, ces endosymbiontes seraient passés petit à petit à l'état d'organites semi-autonomes. L'ADN mitochondrial est de très petite taille. « Chez l'homme par exemple, il fait environ 16 kilobases (kb) contre trois millions de kilobases pour le génome nucléaire », précise Claire Remacle chargée de cours à la Faculté des Sciences et responsable du laboratoire de génétique des microorganismes de l'Université de Liège. L'ARNt, un intermédiaire entre ARNm et acide aminé Comme son grand frère, le génome mitochondrial se réplique, est transcrit et traduit en protéines. Cependant, il ne peut assumer seul la production des protéines nécessaires au fonctionnement de la mitochondrie. « On sait depuis longtemps qu'il y a un import de protéines dans la mitochondrie depuis le cytosol de la cellule », indique Claire Remacle. « Mais l'import d'ARN de transfert vers la mitochondrie est une découverte plus récente. Cela a d'abord été observé chez les protozoaires, puis chez les plantes supérieures et ensuite chez les mammifères », poursuit la scientifique. Les ARN de transfert ou ARNt agissent un peu à la manière d'adaptateurs lors du processus de traduction de l'ARN messager (ARNm) en protéines. En effet, la succession d'acides aminés qui composent une protéine apparaît au niveau de l'ARNm de manière codée, sous forme d'une succession de codons. « Il existe 63 codons pour une vingtaine d'acides aminés, ce qui signifie que chaque acide aminé peut être représenté par plusieurs codons. Certains d'entre eux ont jusque six codons correspondants », explique Claire Remacle. Seuls les ARNt sont capables de lire ces codons grâce à un groupe de trois nucléotides localisé dans leur structure et appelé anticodon. Ce dernier s'apparie spécifiquement à la séquence complémentaire du codon présent sur l'ARNm. Outre cet anticodon, l'ARNt porte l'acide aminé correspondant au niveau du site de fixation prévu à cet effet. C'est au niveau des ribosomes que la « rencontre » entre les ARNt et les codons logés sur l'ARNm s'effectue et qu'a lieu la synthèse de la liaison entre les acides aminés qui composent la protéine (voir schéma). Répondre aux besoins de la traduction mitochondriale Pourquoi les mitochondries importent-elles des ARNt depuis le cytosol de la cellule ? Si on prend l'exemple de la microalgue verte Chlamydomonas reinhardtii la raison est assez évidente : « il n'y a que trois gènes codant pour des ARNt au niveau de l'ADN mitochondrial de 'Chlamy' or on sait qu'il en faut au moins une vingtaine pour assurer la traduction », explique Claire Remacle. La question que se posent dès lors les scientifiques est plutôt : qu'est ce qui régule cet import ? Les mécanismes qui contrôlent ce mouvement d'ARNt du cytosol vers les mitochondries restent méconnus à ce jour. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -2- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège En 2009, l'équipe de Claire Remacle, en collaboration avec des chercheurs de l'Institut de Biologie Moléculaire des Plantes (IBMP) de Strasbourg, a montré que les ARNt qui sont importés dans les mitochondries de Chlamy sont directement liés à l'usage des codons au niveau de l'ADN mitochondrial (1). « Cela signifie qu'il y a une régulation fine de ce qui est importé. Il y a une corrélation entre la nature et la quantité des ARNt importés et les ARNt dont la mitochondrie a besoin pour la traduction », précise Claire Remacle. L'import d'ARNt serait-il dès lors un processus dynamique qui s'adapte au contenu de l'ADN mitochondrial ? Ce dernier enverrait-il des signaux qui dirigent l'import des ARNt ? Pour tester cette hypothèse, Claire Remacle et Thalia Salinas, chercheuse en séjour post-doctoral Marie Curie au laboratoire de génétique des microorganismes de l'ULg, ont changé l'usage des codons au sein du génome mitochondrial. « Nous avons remplacé un codon fortement utilisé pour un acide aminé, la glycine, par un codon moins utilisé », indique Claire Remacle. Le pool d'ARNt, facteur clé du succès de la traduction Toujours en collaboration avec l'IBMP de Strasbourg et d'autres chercheurs de leur département (Prof. Patrick Motte), les deux scientifiques ont ensuite analysé les conséquences de cette légère transformation de l'algue Chlamydomonas reinhardtii. « La microalgue n'a pas aimé cette manipulation puisque nous avons observé une diminution de la traduction et de l'activité respiratoire au niveau des mitochondries », révèle Claire © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -3- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Remacle. Selon cette dernière, ces effets sont le résultat d'une modification du pool d'ARNt disponible dans la mitochondrie. Ainsi, l'import d'ARNt dans les mitochondries n'est pas un processus dynamique qui s'adapte au contenu de l'ADN mitochondrial. Ces travaux publiés dans PLoS Genetics (2) suggèrent plutôt que le niveau d'ARNt importés dans la mitochondrie résulte d'une adaptation co-évolutive entre le mécanisme d'import d'ARNt et les besoins de la mitochondrie pour faire fonctionner sa machinerie de traduction. « Le concept nouveau ici est que nos résultats impliquent que le pool d'ARNt au niveau de la mitochondrie et l'usage des codons ont évolué ensemble », synthétise Claire Remacle. Très fondamentale, cette recherche et les découvertes qui en découlent pourraient cependant servir dans des domaines plus appliqués. « A l'heure actuelle des laboratoires tentent d'augmenter l'expression de gènes au niveau des chloroplastes d'algues pour produire des anticorps ou des produits à haute valeur ajoutée », reprend Claire Remacle. « Nos travaux montrent qu'il faut être attentif à l'usage des codons et qu'il ne suffit pas de remplacer des codons faiblement utilisés par des codons fortement utilisés pour augmenter la traduction. Plus que la « force » du codon, c'est la balance des ARNt qui importe pour ne pas perturber la traduction ». En effet, suite à la transformation effectuée chez Chlamy, alors que les chercheurs n'ont changé les codons que pour un seul gène, ils ont observé des perturbations au niveau de la traduction de six gènes présents dans le génome mitochondrial ! (1) Elizaveta Vinogradova,Thalia Salinas, Valérie Cognat, Claire Remacle, and Laurence Maréchal-Drouard. Steady-state of imported tRNAs in Chlamydomonas mitochondria are correlated with both cytosolic and mitochondrial codon usages. Nucleic Acids Res. 2009 April; 37(5): 1521-1528. Published online 2009 April. doi: 10.1093/nar/gkn1073. (2) Thalia Salinas, Francéline Duby, Véronique Larosa, Nadine Coosemans, Nathalie Bonnefoy, Patrick Motte, Laurence Maréchal-Drouard, Claire Remacle. Co-Evolution of Mitochondrial tRNA Import and Codon Usage Determines Translational Efficiency in the Green Alga Chlamydomonas. PLoS Genet. 2012 Sep;8(9):e1002946. doi: 10.1371/journal.pgen.1002946. Epub 2012 Sep 20. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017 -4-