HISTOIRE ET PETITES HISTOIRES DE LA MEDECINE ET DES MEDECINS UV 405 P. PILARDEAU PLAN 1 MEDICUS LA GENESE Magie et chamanisme Les saints guérisseurs, les miracles MEDECINE ET CIVILISATION MEDECINE PREHIPPOCRATIQUE La médecine assyrienne La médecine égyptienne La médecine hébraïque et chrétienne LA MEDECINE GREQUE La médecine crétoise, mycénienne et pré hippocratique La médecine hippocratique La médecine post hippocratique LA MEDECINE A ROME LA MEDECINE ARABE LE MOYEN AGE Le haut moyen âge (476-1100) Le moyen âge (1100-1453) LA RENAISSANCE DE LA RENAISSANCE AUX LUMIERES REVOLUTION, EMPIRE ET MEDECINE MILITAIRE DES ROMANTIQUES AUX IMPRESSIONISTES MEDICUS 2 La médecine, de medicus « médecin » est définie dans les dictionnaires modernes comme une science destinée à soigner les malades (et non pas les maladies). Cette distinction est fondamentale, car elle intègre dans l’exercice professionnel les dimensions humaine et artistique indispensables. Ainsi, même si l’on peut considérer la médecine comme une science, très imparfaite d’ailleurs, il n’en est pas de même de son exercice, qui lui relève de l’art. Les plus anciens papyrus, et Hippocrate lui-même, mettent en exergue cette dualité en distinguant la part du scientifique (examen, remède) et celle de l’art (diagnostique, prescription). « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », pourrait se traduire dans notre discipline par « Médecine sans humanisme n’est que cautères sur jambe de bois ». Dès les origines, c’est la conscience qui domine la science. Le guérisseur, le chamane, le sorcier… traitent l’âme autant que le corps. Toute l’histoire de la médecine est empreinte de l’importance qu’il faut attacher au patient dans sa globalité humaine (physique, psychologique et sociale). Ce n’est qu’à la révolution française que le rationalisme prôné par les philosophes comme Hegel et Descartes placera la science au centre de la réflexion médicale. La révolution des mœurs, l’industrialisation, l’exode rural, la technique au service de la santé, refouleront peu à peu la part d’humanisme à sa portion congrue, ravalant le malade à une maladie, le patient à un cas, l’homme à un bilan biologique ou radiologique, jusqu’à ce que le médecin ne communique qu’avec l’ordinateur trônant sur le bureau. Ce cours envisagera dans un premier temps l’histoire de la médecine en fonction des différentes civilisations, et dans un second temps, en fonction de ses spécialités de la renaissance à nos jours. Ce document ne concerne que l’histoire de la médecine périméditerranéenne à l’exclusion d’autres civilisations (précolombienne, Indou, Chinoise) dont la richesse médicale est considérable mais dont l’influence sur la médecine occidentale reste relativement faible. Il est enrichi d’une multitude de « petites histoires » à mon sens aussi importantes que les grandes. Ces bruits et ces chuchotements qui ont traversé le temps et les mémoires consignent le fondement même des pulsions humaines, la peur, l’envie, la haine, l’amour, le désintéressement, l’humanisme... Ils s’inscrivent, dès les origines, comme un bruit de fond qui parcoure les siècles mais dont l’origine reste toujours identique, comment exister ? LA GENESE « Le seigneur Dieu forma donc l’homme du limon de la terre ; il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme devint vivant et animé » (Genèse II, 7). La conscience lui viendra plus tardivement (en mangeant le fruit défendu) en même temps que la perte de l’immortalité et l’appréciation du bon et du mauvais (Genèse III, 7). Pour les trois religions monothéistes, la naissance de la Médecine peut se situer à ce moment ; prise de conscience de la mort et du corps (douleur lors de l’accouchement, sueur au front…), présence de forces macrocosmiques supérieures (Dieu), possibilité de communier avec ces forces et de les orienter vers le bien ou le mal. Traduit en langage athéiste la démarche demeure identique en supposant qu’une telle conception ait pu prévaloir à la naissance de l’humanité. Quels sont donc les gènes premiers du phénotype médical ? Comment est-on passé de la conscience individuelle à la conscience collective, autrement dit comment a-t-on pu imaginer d’interférer dans le microcosme d’autrui pour son bien ou son malheur. Des éléments de réponses se trouvent dans les premiers textes arrivés jusqu’à nous (sumériens, égyptiens, chinois…). Tous ces documents se réfèrent en premier lieu à l’équilibre cosmique, le jour et la nuit, la position des astres, les cycles de la nature environnante. Bien avant que l’imaginaire de l’homme invente l’atome (Démocrite, Leucippe en 400 Av JC) et compare cette partie indivisible de l’univers au cosmos, des astronomes lisaient déjà des signes dans les étoiles et les rapportaient aux convulsions humaines (guerre, épidémie, sécheresse…). Avec ou sans Dieu (les atomistes grecs étaient athées) l’homme n’était que le reflet de la mécanique stellaire, un corps obéissant aux lois célestes et dont le fonctionnement intime relevait des conjonctions planétaires que celles-ci soient divines ou non. La médecine est donc née de ce besoin de communiquer et d’influer sur le microcosme en faisant appel à des « transmetteurs » qui, suivant les civilisations seront chamans, scribes, astrologues 3 alchimistes, sorciers, guérisseurs, hommes médecine pour terminer momentanément leur évolution en médecin. Dès la période néolithique (15 000 ans avant JC), l’homme réalise une véritable révolution portant sur la prééminence du symbolique. La religion se développe suivant une logique transcendantale. Le culte des morts apparaît et l’on pense pouvoir guérir les malades en créant une communication cosmique. Entre -3000 et moins -1000 se met en place une culture de la trépanation (on a découvert 510 crânes trépanés dont 250 en France pendant cette période), c'est-à-dire de la voie de transfère direct entre l’intérieur du crâne et les puissances célestes. Dans certaines régions, l’on trouve dans les ossuaires, jusqu’à 17% de crânes trépanés (Baumes chaudes). Cette intervention avait de bonnes chances de cicatriser, puisque de 56 à 70% des crânes retrouvés, présentaient un biseau de régénération (la cicatrisation intervient six à huit semaines après l’intervention). Crânes néolithiques trépanés Hormis la trépanation elle-même, on retrouve la symbolique du « mal extirpé » dans la sacralisation de la rondelle crânienne qui peut être portée au tour du cou comme amulette. Dans pratiquement toutes les civilisations (Mésopotamienne, Egyptienne, précolombienne)… les trépanations présenteront un caractère magique en rapport avec la conscience, l’âme et le psychologique. L’ablation de la pierre de folie au moyen âge semble ainsi perpétrer la continuité de ces pratiques empiriques. La technique de trépanation incas nous est particulièrement bien connue : Trépanation par fragmentations contiguës (Musée de Nasca) Le sujet devant subir l’intervention était préalablement rasé, on appliquait ensuite, pendant 24 heures, des feuilles de coca sur la peau pour provoquer une sorte d’anesthésie locale. Le sujet lui-même consommait de la drogue comme anesthésiant. 4 La trépanation était réalisée par percussion avec un couteau d’obsidienne (pierre très dure taillée), après avoir disséqué et récliné la peau. Avant la fermeture, l’opérateur plaçait une prothèse qui pouvait être une plaque d’or, d’argent ou de coucourbe préalablement séchée et découpée. La suture était ensuite réalisée avec des mandibules de fourmis (en tenant les fourmis par l’abdomen, on positionnait les mandibules sur chaque berge de la plaie avant, d’un coup sec, de sectionner la fourmi au niveau du thorax pour ne laisser en place que la tête). L’acide formique libéré lors de cette opération servait d’antiseptique. Les jours suivants on appliquait sur la plaie du miel comme antibactérien (la très forte osmolarité du glucose jouait un rôle de lyophilisant, interdisant toute prolifération bactérienne). Magie et chamanisme La magie, au même titre que la médecine, est un art visant à produire par des procédés occultes des phénomènes inexplicables pouvant engendrer le mal (magie noire) ou le bien (magie blanche). Envisagée d’un point de vue purement scientifique, on peut considérer que «La magie correspond à une activité tendant à produire un effet dont la relation directe avec celle-ci n’est pas subjectivement explicable par la loi de causalité » (Lexa F.1929). D’un point de vue psychanalytique, la magie induit l’activation par l’inconscient de processus psychosomatiques susceptibles de produire des manifestations cliniques, objectivement indépendantes de l’objet initial, et dénuées de toute traçabilité scientifique. Quelle que soit la définition retenue, la magie s’exerce toujours en plusieurs temps : = L’étude des signes (osselets, astrologie, boule de cristal, entrailles d’animaux sacrifiés, volutes de fumée… ou tout autre médiateur) susceptibles d’établir le diagnostic. = La communication, le sorcier, grâce à la transe (de lui-même ou de son patient) entre en contact avec les puissances divines ou sataniques dont il espère pouvoir tirer profit (incantation, envoûtement, formule magique...) = La prescription peut alors être prescrite sous différentes formes, charmes, philtres, potions, prières, jeûne, scarification, sacrifice animal... Dans tous les cas le patient doit être prévenu qu’il est sous l’emprise d’un charme ou d’un envoûtement. Ces trois phases, sont communes aux pratiques magiques quelle que soit la civilisation, depuis que le développement de la conscience a permis de concevoir un au-delà, et l’existence de forces susceptibles d’être orientées par un rituel connu du seul sorcier, magicien ou chamane. Le fondement de la magie repose sur l’existence de forces invisibles sur lesquelles le chaman, le magicien ou l’homme médecine peut agir. Ces forces s’expriment entre le macrocosme universel et le microcosme de l’organisme par des similitudes directes. Ainsi les quatre éléments, le feu, l’eau, l’air et la terre constituent ils un équilibre subtil à la fois dans l’organisme et l’environnement. Le Yin et le Yang des médecines traditionnelles chinoises, se retrouvent à la fois dans le climat (chaud, sec, humide, froid) et la géographie du lieu (vallée, altitude, milieu aquatique, désert). De la même façon en Mésopotamie, puis en Grèce, chaque planète sera sensée influer sur le comportement d’un individu et ses éventuels dérèglements (sujets lunatique, uranien, martial, saturnique, solaire…). Dans ce cadre, les relations entre les puissances macrocosmiques et l’individu, peuvent être en partie maîtrisées par des rituels, des talismans ou des amulettes. La tentation de « traiter » naîtra tout naturellement de l’observation des astres et de la croyance en ces forces qui seront bientôt rationalisées en divers dieux, spécialisés dans des domaines très précis, depuis la lutte contre la stérilité, le traitement des asthénies diverses et même la prévention (prémunition contre les épidémies, la famine, les grossesses pathologiques…). 5 L’écriture magique, les religions, l’alchimie (à l’origine de la pharmacopée), la cabale… enrichiront peu à peu cet art qui, sous les coups du naturalisme d’abord, puis du cartésianisme et du rationalisme ensuite, aboutira aux conceptions modernes de la médecine au milieu du 19ème siècle. Les saints guérisseurs, les miracles Au-delà des « intermédiaires patentés » sus cités, d’autres entités ont été sollicitées pour apporter la guérison. Ces dernières présentent la particularité d’avoir achevé leur vie terrestre pour œuvrer dans le ciel (pour les croyants) comme intercesseur entre Dieu et les hommes (toujours le même principe). Bien que selon la formule célèbre, il faille mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints, ces intermédiaires sont une multitude à travers le monde et les civilisations. Quand leur action bénéfique se réalise, on parle alors de Miracle. Saint guérisseur, mode d’emploi : Premièrement choisir la spécialité du Saint en fonction de la pathologie (Saint Cadot pour la surdité, Saint Bernard pour les maladies de peau, Saint Elm pour les douleurs intestinales et les accouchements…). Certains d’entre eux sont plus généralistes (Sainte Bernadette par exemple). Deuxièmement, effectuer le rituel correspondant à la demande, toucher une pierre, boire de l’eau, s’immerger, planter un clou dans un arbre, effectuer un pèlerinage… Troisièmement attendre le résultat. Si ce dernier est positif et sans rapport avec une action médicale concomitante, la manifestation du saint patron peut être considérée comme miraculeuse. Cette intersession divine a toujours été considérée comme prodigieuse (De miraculum, prodige), donc inexplicable de façon rationnelle et susceptible de provoquer l’étonnement (mirari, s’étonner). La médecine moderne est-elle encore capable d’effectuer des miracles, ou tout au moins des prodiges ? Peut être, tant qu’une part d’inconnue et d’humanisme perdurera, certainement plus, quand le rationalisme scientifique aura tué définitivement la croyance en l’homme ! 6 MEDECINE ET CIVILISATION L’histoire de la médecine c’est l’histoire de l’humanité. Art parmi les arts, partie intégrante de la philosophie, la médecine est indissociable de notre conscience d’homme, vouloir la raconter c’est vouloir raconter l’homme. Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts, Les morts au contraire instruisent les vivants François René de Chateaubriand Si l’histoire de la médecine ne commence qu’avec les premières tablettes d’argiles, c’est qu’il a fallu attendre l’invention de l’écriture pour retrouver les premiers éléments de diagnostic. En fait, la tentative de soigner débute avec la conscience humaine et la conceptualisation de la mort c'est-à-dire à la naissance de l’homme. Dieu lui-même n’a-t-il pas réalisé la première anesthésie « Dieu envoya donc à Adam un profond sommeil » (Genèse II, 21) ; pour cloner Eve « Et le seigneur Dieu, de la côte qu’il avait tirée d’Adam, forma la femme… » (Genèse II, 22). Chaque civilisation, chaque culture même, a « inventé » sa médecine à partir de données rationnelles ou irrationnelles, de mélanges subtils de croyances, de psychologie et de véritables recettes pharmaceutiques. Certaines de ces pratiques sont toujours utilisées aujourd’hui, soit par attachement aux traditions, soit plus prosaïquement quand la médecine conventionnelle aboutit à un cul de sac, et n’est plus en mesure de proposer une solution thérapeutique efficace. Chronologie des civilisations 5000 2000 1000 500 0 500 1000 1500 Sumer Egypte Hébreux Grèce Pré hippocratique Grèce hippocratique Grèce post hippocratique Rome Arabe Moyen âge occidental Hippocrate Hippocrate étant considéré comme le père de la médecine, il est classique de scinder la médecine en trois grandes époques, pré hippocratique, hippocratique et post hippocratique. 7 MEDECINE ASSYRIENNE Il y a environ 5000 ans, l’homme établissait en Mésopotamie (le Pays entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate) un premier système d’écriture. La plus célèbre des Cités-états construites dans la région fut Sumer (3000 ans avant JC). Le sumérien se confondit peu à peu avec d’autres écritures de l’empire d’Akkad pour donner le dialecte babylonien. Les chaldéens, un des derniers peuples héritiers de Babylone, développèrent l’astronomie, l’astrologie, la médecine... Parallèlement ils inventèrent des instruments scientifiques originaux (astrolabe, système de poids et mesure, cadran de l’horloge…) et mirent au point une chronologie basée sur le nombre 60 que nous conservons encore aujourd’hui pour les minutes et les secondes. Comme beaucoup de peuples avant eux, les mésopotamiens pensaient que la maladie était une malédiction divine en rapport avec une violation du code moral. Les Dieux étaient nombreux, et leurs compétences multiples, mais celui de la médecine était représenté tenant à la main un serpent à deux têtes (et non pas encore les deux serpents du caducée propre au Dieu Mercure). La mue du serpent symbolisait la mort et la régénérescence, la maladie et la guérison. Les connaissances anatomiques étaient pratiquement inexistantes. Il semble que le foie, ait été considéré comme le centre vital du fait de la convergence des vaisseaux portes, hépatiques et cave. Hormis le foie, aucun autre organe n’a été noté dans les milliers de tablettes d’argiles concernant la médecine. Les étudiants étaient formés dans des écoles « religieuses » et se servaient de tablettes d’argile pour graver les connaissances dispensées (on en a recensé plusieurs dizaines de milliers sur le site de Ninive). Les médecins soignaient les dignitaires et les notables tandis que les barbiers chirurgiens (déjà à cette époque) opéraient à la fois les nobles, les esclaves et même les animaux. La rémunération du praticien variait en fonction de la richesse du patient, de 2 shekels pour un esclave (payé par le maître) à 5 shekels pour un notable. La médecine vétérinaire était moins bien rémunérée, 1/6 de shekel pour opérer un âne (et encore si celui-ci était guéri). Les rémunérations étaient relativement élevées (la location d’un logement coûtait à l’époque 5 shekels) mais le métier n’était pas sans risques (en cas d’échec thérapeutique, les mains du praticien pouvaient être tranchées…). Le Code d’Hammourabi, la plus ancienne réglementation médicale connue (vers 1700 ans avant JC), précise le mode d’exercice et les devoirs de ces praticiens. Le diagnostic était divinatoire, on le posait après étude des astres, la réalisation d’incantations et une sémiologie frustre, sur laquelle on ne dispose que de très peu de documentation (toux, expectoration, douleur, frisson, convulsion, diarrhées…). Une autre technique diagnostique consistait à étendre le malade à l’extérieur de sa maison pour que les passants, qui avaient souffert de troubles semblables, donnent leur avis sur le type de maladie et le traitement qui leur avait réussi. Les maladies étaient regroupées par symptôme ou par localisation anatomique, mais il est bien difficile aujourd’hui de reconnaître de quelle pathologie il s’agissait. Les patients qui présentaient de la fièvre étaient isolés pour éviter que les esprits malins qui les possédaient ne s’en prennent aux proches. Cette notion de « sortilège contagieux » a certainement limité le risque épidémique important dans cette région. La pharmacopée était très importante, des centaines de produits extraits d’animaux, de plantes ou de substances minérales, étaient administrés au patient per os, en fumigation, en lavement ou sous forme de suppositoire. La posologie et les heures des prises médicamenteuses dépendaient essentiellement de la position des astres. La chirurgie était employée pour les ruptures de tendon, les plaies, les abcès et les trépanations dont l’indication était vraisemblablement d’ordre magique. 8 MEDECINE EGYPTIENNE Parallèlement à la médecine sumérienne, se développe en Egypte un art médical qui ne trouvera son équivalence que beaucoup plus tard en Europe (au 16ème siècle) La période pharaonique s’étend de la première dynastie 5300 à 2800 Av JC) à la 32ème dynastie (dite ptolémaïque qui prend fin à la mort de Cléopâtre VII en -30 Av JC). 1ére 16ème 25ème 32ème 5300 à 2800 1570 à 1320 1180 à 1070 jusqu’à 30 Av JC Vers moins 2000, l’Egypte pharaonique comptait environ 7 millions d’habitants répartis entre la haute Egypte et la basse Égypte (région du delta), population relativement faible compte tenu de la taille de l’Egypte, mais paradoxalement assez dense du fait des zones d’occupation du territoire (le long du Nil et dans le delta). = Sources historiques L’histoire de la médecine égyptienne nous est connue par les récits des voyageurs grecs de l’époque de Ptolémée, des romains (César et Antoine) et par un certain nombre de papyrus médicaux dont les plus importants sont le papyrus d’Ebers (sorte d’encyclopédie médicale), le papyrus d’Edwin Smith (pharmacologie et pathologie médicale), le papyrus de Berlin n° 3038 (remèdes et indications), ainsi que de nombreux fragments de papyrus traitant d’une pathologie ou d’un symptôme. Les indications contenues dans ces documents ont pu être complétées par l’étude des momies et des ostraca médicaux (tessons de poteries). Matériel chirurgical Papyrus Ebers 7766 9 Parmi les voyageurs les plus connus citons Strabon (-50 Av JC) et surtout Diodore de Sicile, célèbre pour son histoire universelle (même époque). = Le médecin égyptien Le médecin égyptien « sounou » ou littéralement « celui qui s’occupe de l’homme qui souffre » peut être généraliste, ou comme le décrit très bien Hérodote spécialiste et, ne s’intéresser qu’à une seule maladie ou à un groupe de maladies. Sounou On trouve ainsi le dentiste, l’ophtalmologiste, le spécialiste des remèdes par voie rectale (le berger de l’anus), le médecin des maladies « cachées », le médecin du ventre (intestin et utérus), les médecins spécialisés dans l’utilisation des cautères (chirurgiens ?), les sages femmes à la limite du monde médical et qui ont déjà leur autonomie. Les médecins exercent au niveau du palais des pharaons (doyen, médecin de la grande maison, directeur des médecins), au niveau des chantiers (ouvriers travaillant aux nécropoles ou à l’édification des temples), ou encore dans un domaine agricole. Les pharmaciens ne constituent pas encore une profession indépendante. Ce sont les médecins, ou assistants (infirmier ou garde malade ?), qui préparent les médications dont les recettes sont souvent complexes, à base de plantes (4 ou 5 par préparation) de graines, d’huile ou de bière. Les aides médicaux effectuaient les différents bandages et pansements. La formation des médecins était assurée dans « des maisons de vie » par des médecins travaillant en collaboration avec les prêtres et les scribes (lettrés). Le recrutement, variable suivant les époques, concernait les enfants de médecin et certainement aussi des « boursiers » comme cela semble être le cas sous la domination de Darius 1er. La rémunération de ces médecins était variable suivant leur position sociale. Si les « grands médecins » pouvaient percevoir des sommes importantes, se voir attribuer des esclaves, des métaux précieux, des femmes, du bétail et même un emplacement funéraire, le médecin de rang plus modeste ne recevait que des rations de graines (un khar pour un médecin, alors qu’un potier en recevait trois). Oudja-Hor-Resnet On a gardé la trace d’un certain nombre de médecins célèbres comme Oudja-Hor-Resnet et Iouti médecins du palais, Psammerck-Seneb dentiste royal, Iri ophtalmologiste, Mererouka médecin des rameurs royaux, Imhotep vizir, architecte médecin (2700 av JC), depuis la 5ème dynastie, aussi bien en haute qu’en basse Egypte. 10 Imhotep La pratique médicale consistait à écouter et à examiner le malade pour donner un diagnostic. La formulation de ces examens dans les papyrus médicaux respecte cette chronologie « Si tu examines un homme qui, quand tu verras, quand tu sentiras sous la main…, Si le patient présente une douleur…. », « Alors tu diras il s’agit de la maladie… ». Une fois le diagnostic posé, le médecin annonce au patient s’il est capable de proposer une thérapeutique ou non « Je pourrai faire quelque chose pour cette maladie » ou au contraire « je ne peux rien faire » et dans ce dernier cas on conseille souvent au patient de s’adresser aux prêtres. Si une technique ou une thérapie existe, le papyrus décline alors les instructions pour traiter le patient : « tu en feras une réduction, tu mettras en place des tampons » la préparation « tu en feras une réduction, tu mettras en place des tampons » et la composition du remède « résine de térébinthe, noyaux de date, galène, natron… », la manière de le préparer « a broyer fin, à tamiser à travers une étoffe… », son mode d’administration « tu fumigeras le vagin de la femme, à répandre sur les yeux, à appliquer sur la plaie, à introduire dans l’anus… » et la durée du traitement « pendant la totalité de la nuit, pendant quatre jours… ». Bien avant que les canons de la médecine hippocratique servent de référence, la démarche médicale moderne était déjà en place. La large part réservée à la sémiologie et au diagnostic en dehors de toute considération magique (la magie ne trouve une place qu’en thérapeutique quand les ressources médicales sont insuffisantes), donne à ces médecins, spécialistes ou omnipraticiens, une éthique tout à fait remarquable, notamment dans la connaissance des limites de leur art. Il faudra plusieurs millénaires pour retrouver la cohérence de la démarche = La santé La notion de santé était parfaitement connue des égyptiens qui se portaient des souhaits de « bonne santé, porte-toi bien ». Les effets de la consommation d’alcool sur la santé sont particulièrement bien décrits dans nombre de papyrus « Tu cours de cabaret en cabaret, prenant de la bière au point de faire fuir. La bière quand elle envahit un homme, maîtrise son âme. Tu deviens semblable à un gouvernail brisé qui n’obéit plus d’aucun côté, et comme une chapelle sans Dieu, comme une maison sans pain et dont les murs sont chancelants. Tu jettes à bas la table, les gens fuient devant toi et tu leur infliges des blessures Ah ! si tu voulais bien savoir que le vin est une abomination, si tu voulais bien maudire les liqueurs et avoir au cœur autre chose que les chopines de bière » (Papyrus Anastasi IV), ou encore « tu parles et des paroles inintelligibles sortent de ta bouche… ». Mais c’est dans le papyrus Insinger que la formule est la plus belle « Qui trop de vin se remplira, le mal aux cheveux, au lit le tiendra ». 11 = Connaissances médicales Les connaissances médicales étaient très variables suivant l’appareil concerné. Il existait souvent une assez bonne connaissance de l’anatomie tandis que la physiologie restait embryonnaire. Cette dissociation n’empêchait toutefois pas de déterminer les rapports entre sémiologie et diagnostic. + Anatomie Les connaissances anatomiques sont assez étendues chez les égyptiens qui étaient capables de déterminer non seulement les repères anatomiques externes comme la peau, l’œil, le maxillaire inférieur, la tête, les cheveux, le nez, le ventre, le sein, la bouche, l’anus, le nombril, le cordon ombilical, le phallus, la vulve et ses lèvres, le vagin… , mais aussi nombre d’organes internes du fait des éviscérations pratiquées lors de la momification, comme le cœur, l’utérus, la rate, le pancréas, l’intestin, le foie, la vésicule biliaire, l’estomac, les reins, le poumon, la moelle épinière, les méninges…. La connaissance du squelette était également très bonne avec des déterminatifs spécifiques pour les os des membres (cuisse, avant bras, jambes, voûte plantaire), les articulations (épaule, cheville), le crâne et le rachis (les rachis cervical et dorsal sont individualisés). Les médecins disposaient donc de données anatomiques sérieuses, très clairement identifiées dans les différents papyrus, qui leur permettaient de poser des diagnostics d’une étonnante précision quand les données physiologiques suivaient, ce qui n’était malheureusement pas toujours le cas. + Cardiologie Il ne s’agit pas de cardiologie au sens propre du terme mais de connaissances concernant la circulation sanguine regroupées dans un traité dit « du cœur et des vaisseaux ». Dès cette époque, le cœur est considéré comme le centre de l’âme, l’expression de l’amour. Cette entité qui perdure aujourd’hui dans les expressions courantes, « avoir bon cœur, donner son cœur, briser le cœur … », était tellement importante à cette époque que le cœur était laissé en place lors des momifications (alors que le cerveau était extrait). Les descriptions anatomiques des vaisseaux sont le plus souvent sans rapport avec l’anatomie, d’autant que les veines, les artères et un certain nombre de tubes excréteurs (glandes nasales, uretères,…) sont confondus avec les vaisseaux. La répartition des troncs vasculaires semble ainsi correspondre beaucoup plus à un schéma relevant de pratiques magiques que d’une véritable analyse anatomique (suivant les traités on compte 46 à 22 vaisseaux). Les battements du cœur sont perçus par les Egyptiens au niveau des membres et du cou, et interprétés en fonction de leur fréquence. Sa localisation à gauche et les quatre vaisseaux qui s’y raccordent sont également connus, sans que l’on sache le sens de circulation des fluides. Ainsi, l’air contenu dans les poumons est pompé par le cœur, distribué dans les artères et apporté aux tissus. Si le résultat physiologique est globalement respecté (oxygénation des tissus à partir de l’air inspiré), la physiologie du système vasculaire reste pratiquement inconnue. Cette confusion relève en partie des observations réalisées lors des embaumements. A l’ouverture des corps pour éviscération (plusieurs semaines souvent après le décès pour éviter les pratiques nécrophiliques) on constate que le sang se trouve collecté dans les gros troncs veineux, alors que la contraction post mortem des artères les font apparaître comme « vides ». A partir de cette observation, les Egyptiens déduisirent que le sang ne se trouvait que dans le système à basse pression alors que le cœur et les artères, conduisaient de l’air provenant des poumons. Sur le plan physiopathologique la confusion est presque totale. Les vaisseaux étant en charge de transporter l’urine, l’air, le sperme, les matières fécales (en fait tout ce qui était liquide), on comprend l’importance que les Egyptiens apportaient à l’étude des excrétions (notamment fécales) et aux nombreux remèdes sensés régulariser ce « transit » très particulier (drogue, émétiques, purges, saignées…). On retrouve dans ces prescriptions pré hippocratiques les canons thérapeutiques qui régneront sur le monde médical jusqu’au 17ème siècle et même parfois au-delà (Voire Broussais). Les diagnostics en rapport avec le cœur et les vaisseaux relèvent pour beaucoup d’extrapolations prenant en compte nos connaissances modernes. 12 - - - Le vaisseau qui apporte de l’eau en excès au cœur Les vaisseaux du cœur sont muets La danse du cœur La « piqûre » du cœur Si tu examines un malade qui présente des douleurs simultanées de l’estomac, tandis qu’il a des douleurs dans son bras sa poitrine, dans un côté de son estomac…. Tu lui diras c’est la mort qui menace. Si tu examines un gonflement des vaisseaux sur la peau d’un membre et que son aspect augmente, devient sinueux et prend la forme d’un serpent, et qu’il est constitué de nombreux nœuds, comme s’il était gonflé avec de l’air… Si tu examines un gonflement des vaisseaux dans un membre d’un homme et que tu le trouves hémisphérique, et qu’il croît sous tes doigts à chaque battement… + Voies respiratoires Les poumons sont connus des Egyptiens qui les relient aux voies respiratoires supérieures et au cœur : Deux vaisseaux se trouvent sous les clavicules, l’un du côté droit, l’autre du côté gauche et reliant la gorge et le larynx, ils approvisionnent ses poumons. La signification physiologique de la respiration est également parfaitement assimilée, même si comme nous l’avons vu, la physiologie vasculaire reste nébuleuse. Quant à l’air qui entre dans le nez, il pénètre dans le cœur et les poumons, et ce sont eux qui le distribuent à tout le corps. Deux signes pathologiques sont biens connus des médecins Egyptiens, la toux et la gêne respiratoire. Pour la toux les remèdes appliqués sont particulièrement nombreux, mais la majorité d’entre eux utilisent le miel pour adoucir la gorge. Pour le nez et la gêne respiratoire il existait des fumigations à base de résines aromatiques (la fumée est aspirée à l’aide d’un roseau creux) + Voies urinaires Les pathologies urinaires étaient également bien connues des médecins Egyptiens. On reconnaît dans les descriptions : - - L’incapacité à « expulser par l’urine toute accumulation qui est dans le ventre », pour la rétention d’urine Les remèdes pour « régulariser l’urine quand le bas ventre est douloureux » ou quand « l’urine n’est plus régulière », « faire cesser l’urine quand elle est trop fréquente », « faire disparaître une douleur brûlante à la vessie, en même temps que des douleurs lorsqu’il urine », pour les dysuries avec ou sans cystite. Traitement pour cesser « les fuites d’urine », « régulariser les fuites excessives », pour la pollakiurie et les polyuries. La majorité des remèdes sont proposés per os, mais il existe également des applications péniennes. + Traumatologie 13 Les échardes et les aiguillons d’insectes étaient extraits, puis la plaie était pansée avec des produits gras. Le panaris « si du pus les entoure, si ils ont mauvaise odeur… », est traité avec du sulfure d’arsenic. Les brûlures sont parées avec des corps gras Les morsures de crocodiles (nombreux dans le Nil) ou d’animaux, étaient traitées par application de viande fraîche (antiseptique et anticoagulante). Il existe également de nombreuses recettes pour les morsures infligées par un voisin ou un ennemi. Les morsures de serpents et les piqûres de scorpion ne bénéficiaient d’aucune thérapie connue, seules les prières et les amulettes étaient utilisées. Les plaies étaient examinées (qualité des berges, inflammation, surinfection…), puis traitées en fonction de leur état (application de viande fraîche pour l’hémostase, rapprochement des berges avec des bandes collantes enduites de résine, désinfection, laissée en état et traitées par des applications médicamenteuses en cas de surinfection. Les luxations sont très bien connues et décrites par les praticiens de l’époque. La description et la pose d’anneaux pour les clavicules est particulièrement bien décrite : « Si tu examines un homme ayant une luxation des deux clavicules et si tu trouves que ses deux clavicules regardent en haut… tu les ramèneras en arrière de façon qu’elles reviennent en place, tu les banderas avec des rouleaux rigides de lin, puis tu traiteras avec de la graisse et du miel jusqu’à guérison ». La distinction est même réalisée entre les luxations haute et moyenne du rachis cervical « tu trouveras que cela lui enlève le contrôle de ses deux bras et de ses deux jambes tandis que sa verge est en érection, que de l’urine tombe de son membre sans qu’il s’en rende compte tu diras c’est une luxation cervicale, mais si c’est du sperme qui survient à l’extrémité de son membre raidi qui reste immobile sans pouvoir se redresser ou s’abaisser tu diras c’est une vertèbre du milieu de son cou qui est déplacée, dans ce cas tu diras une luxation pour laquelle je ne peux rien faire.. ». Les fractures sont en général bien diagnostiquées et bien traitées. La fracture de la clavicule est réduite « tu le mettras couché sur le dos sur les deux épaules de façon à porter la clavicule en dehors jusqu’à ce que la fracture soir réduite » et immobilisée « tu lui confectionneras deux bandes de lin et tu lui appliqueras une de chaque côté du bras puis tu le penseras… ». Le diagnostic et le mauvais pronostic des fractures du crâne sont généralement assez bien exposés, y compris la fracture du rocher, où le praticien retrouve des esquilles osseuses dans le conduit auditif externe. Les crépitations perceptibles sous les doigts lors d’une fracture engrainée sont également décrites. Les fractures des membres étaient réduites et des attelles ou des contentions en toile de lin résinée pouvaient être proposées au patient. Un bâton fourchu se substituait à la canne anglaise. «tu en feras une réduction, tu mettras en place des tampons » + ORL La sphère ORL était traitée par le praticien qui pouvait prendre en charge : Le coryza (instillation nasale, gommes odorantes, applications) La fracture des os propres, réduction, « nettoyage des narines avec deux pinceaux de lin », tampons de graisse dans les narines, contention La déviation de la cloison, hémostase avec deux mèches de lin, réduction manuelle, après résorption de l’œdème (tampons gras) contention par « des rouleaux rigides de toile au moyen desquels son nez sera solidement maintenu ». Les plaies de la narine (nettoyage avec du lin, réparation par points de suture, hémostase par application de viande fraîche, traitement de la cicatrice avec une pommade grasse). 14 Les plaies de la gorge, comme pour le nez l’hémostase est réalisée avec de la viande fraîche, la plaie est suturée, un drain est laissé en place. Les otites qui sont démembrées en séreuses « simple lourdeur de l’oreille » et aigues avec « douleur lancinante, écoulement ». Les traitements sont appliqués localement par introduction de pâtes dans le conduit auditif (poudre pour assécher, acacia pour l’écoulement, tête de musaraigne si l’assèchement est trop important.). L’os ou l’arrête plantée dans la gorge était extrait avec deux doigts ou par régurgitation d’huile préalablement avalée et vomie « en appliquant deux doigts sur les deux muscles de sa gorge. Pendant cela, tu fais par les doigts une pression violente en haut, de façon que tu chasses l’huile hors de la gorge ; l’os sortira sur le champ en dehors avec l’huile ». + Odontostomatologie Les signes cliniques de la névralgie dentaire sont parfaitement imagés dans le texte recueilli dans le papyrus Anastasi IV « Tous les muscles de la face tressaillent, l’ophtalmie s’est mise dans mon œil, les vers rongent mes dents » Les premiers « dentistes » limitaient leurs interventions au raffermissement des dents (caries) par obturation (résine de térébinthe, terre de Nubie, miel) et des gencives par mastication de pâtes (pulpe de date, bière douce) qui sera crachée après usage. Ils étaient également capables de suturer une plaie de la langue et de repositionner une mandibule luxée. + Ophtalmologie, maladie des yeux Les médecins égyptiens ont toujours porté une attention particulière aux yeux et à la vue. Des centaines de recettes pour diverses affections sont aujourd’hui connues des archéologues. La blépharite « quelqu’un qui a des paupières qui ne peuvent plus produire de cils » pouvait bénéficier d’application d’eau froide dans laquelle avait macéré des feuilles d’aloès, d’acacia, chrysocolle, farine de coloquinte… ». Une formule très proche était utilisée pour l’orgelet ou l’ectropion. Pour traiter le trichiasis (cils retournés), on pourra « extirper le cil » puis poser un emplâtre local composé de sang d’animaux (âne, chien, porc, chèvre) de térébinthe et de… fiente de lézard (cette dernière prescription relève de la magie qui consiste à utiliser un animal totalement dépourvu de cil). Le « retournement des chairs de l’œil » ou ectropion répond à un mélange d’ocre jaune, de térébinthe et de chrysocolle. Canaux lacrymaux Le larmoiement post traumatique est traité par application de solution de térébinthe et de diverses plantes. 15 Conjonctive La conjonctivite est une affection courante en Égypte (conjonctivite aigue, trachome, hémorragie conjonctivale, ophtalmie aigue). Il existe plusieurs recettes pour « faire disparaître le trachome des yeux, la graisse dans les yeux, pour combattre l’inflammation, pour écarter des yeux le sang… ». Outre le natron, la galène, la terre du Nubie… on signalera la graisse de tortue (ces reptiles présentent au coin des yeux des sécrétions semblables à celle observée dans le conjonctivite). Cornée Les cicatrices cornéennes (ou taies) sont soignées par analogie inverse (les taies sont blanches, le traitement comprend du pigment pour encre). Iris Les remèdes et la sémiologie concernant l’iris sont pour le moins curieux. Les écoulements purulents de l’œil sont comparés aux leucorrhées vaginales « tu diras ce sont des sécrétions de l’utérus dans les yeux ». Le traitement est comme pour les maladies vaginales, à base de térébinthe par fumigation. La mydriase, bien caractérisée mais dont l’origine est inconnue des médecins égyptiens, est traitée à base de sulfure d’arsenic et d’écorce d’ébène. Cristallin L’opacification du cristallin était bien connue des égyptiens qui l’appelait la « montée de l’eau dans les yeux ». Ce terme se retrouve en Grèce (upoxusis) et en latin (suffusio). L’appellation moderne, cataracte ou «chute d’eau » a pour origine la terminologie égyptienne. Cette sénescence du cristallin était parfaitement reconnue mais il n’existait pas à cette époque de remède efficace. Rétine « Ne t’arrête pas de pleurer sur moi car je suis dans les ténèbres. Je vois l’obscurité pendant le jour » « Je veux avoir mes yeux, ils ne sont pas là ». La cécité, très souvent représentée sur les murs des tombeaux, avait de très nombreuses origines et pratiquement aucun remède efficace sinon la prière. Le foie de bœuf rôti et pressuré, l’antimoine, humeur extraite des yeux de porc, galène ocre jaune… étaient diversement préparés et administrés en lotion ou en compresse. Harpiste aveugle Harpiste aveugle 16 + Dermatologie La dermatologie égyptienne ne permet pas d’établir de diagnostic évident. Cependant elle propose une multitude d’onguents destinés à l’esthétique corporelle « améliorer la peau, lutter contre les rides et le vieillissement, foncer ou éclaircir la cicatrice en rapport avec une brûlure, éliminer les traces de coups, diminuer les démangeaisons, les enflures des jambes… ». Comme dans beaucoup de produits en dermatologie moderne, la graisse ou les huiles servent de base aux diverses préparations. Les produits actifs sont issus de graines broyées et mélangées à la substance grasse. Le cuir chevelu est l’objet de toutes les attentions. La calvitie, la pelade, le blanchissement des cheveux peuvent se traiter avec de la graisse de lion, de crocodile, d’hippopotame, de serpent, de chat, de bouquetin… mélangée à des produits aux connotations magiques (sabot d’un âne, patte de chien, chiures de mouches, organes génitaux de chienne, entrailles de poisson, souris cuite et pourrie…). Les ongles seront traités avec du natron, de la résine de térébinthe, de la terre de Nubie, le tout mélangé en pâte et maintenu sur l’ongle avec une bande. + Système digestif La physiopathologie digestive se résume aux maux d’estomac, aux douleurs intestinales, à l’inflammation de l’anus. Le foie n’est cité qu’une seule fois dans le papyrus d’Ebers sans que l’on puisse discerner de quoi il s’agit. La sémiologie gastrique se résume aux douleurs, à l’asthénie qui accompagne ces douleurs, à la palpation de l’estomac (dur, mobile..) et de façon plus étonnante à de possibles hématémèses ou melaena. « Si tu examines un malade qui a une gêne dans l’estomac et que cette gêne a formé obstruction après avoir traversé le canal, tandis que son cœur va à la dérive et que son estomac est desséché, tu diras, c’est un nid de sang qui n’est pas encore solidifié, tu le feras descendre au moyen d’un remède… Ce mélange descendra soit de sa bouche soit de son anus semblable à du sang de porc après qu’il a été cuit... ». Description remarquable du melaena ! Les remèdes proposés sont essentiellement réalisés à base de bière mélangée à de la graisse, des noyaux de dattes broyés, des fruits, de l’orge et des résines végétales. A cette époque les douleurs épigastriques sont souvent confondues avec les pathologies coronaires (v. cœur). Des cas d’indigestion semblent également avoir été décrits sous le terme de « paresse digestive ». La physiologie intestinale, bien que confuse dans son fonctionnement intime, est comme la respiration, parfaitement assimilée dans sa finalité ; absorption/excrétion. La pathologie intestinale en elle-même est assez peu détaillée dans les divers papyrus, alors que les remèdes destinés à « purger » le patient de ses humeurs néfastes sont légions. Les émétiques et les clystères seront donc indiqués pour tout un ensemble de pathologies diverses, souvent sans rapport avec le « mal de ventre ». - « Pour libérer le ventre et faire disparaître la maladie : graines de ricin à mâcher et à avaler avec la bière jusqu’à ce que tout ce qui est dans le ventre en sorte ». - « Pour provoquer la défécation, fèves, graines du souchet comestible à broyer dans du miel avec du vin de palme ». - « Pour ouvrir le ventre : pignons, graisse d’oie, mil, bière douce On retrouve également dans ces potions du sycomore séché, divers fruits, de l’orge cuit et séché, des huiles… L’orge, le ricin et les fèves sont en effet d’excellents laxatifs. 17 De façon assez curieuse, il n’existe pas dans ce chapitre de remède contre les diarrhées pourtant très répandues dans les régions marécageuses du delta. L’anus est l’objet d’échauffement, de brûlure et de gonflement. Ces divers signes peuvent être accompagnés de rectorragies « si tu trouves du sang qui est derrière lui… », et même de prolapsus, intitulés « retournement de l’anus ». Les traitements se prennent per os (raisin, caroube, miel…), par application en pansement local sur un morceau de lin (huile, feuilles d’acacia cuites et broyées), en lavement (à conserver toute la nuit) ou en suppositoire « un autre remède qu’on fait après ; besetbeset, huile meheret, miel. Mettre en un sac de tissu. Tu feras quatre boulettes. Introduire l’une d’elle dans l’anus chaque jour… »). La hernie inguinale est magnifiquement décrite « Si tu examines un gonflement du coin du ventre, au dessus des organes génitaux, alors tu placeras ton doigt dessus et tu examineras son ventre et tu frapperas avec tes doigts ; si tu examine la tuméfaction qui est sortie et qui apparaît par sa toux, alors tu diras : c’est un gonflement de la couverture du ventre, c’est une maladie que je traiterai ». + Déformations corporelles Ce type de déformation non traumatique ne faisait pas l’objet de diagnostic particulier. La poliomyélite, les pieds bots, le mal de Pott, la scoliose, la cyphose, le nanisme, l’obésité… faisaient l’objet d’observations qui étaient simplement reproduites sur les bas reliefs ornant les tombeaux ou sous forme de statuettes. Nanisme Obésité 18 Poliomyélite Nain Bossu + Infectiologie, parasitoses, Les médecins égyptiens savent reconnaître les infections et leurs manifestations, « blessure enflammée, les ulcérations, les phlyctènes, la douleur, les gonflements rouges, les suppurations, l’augmentation de la chaleur locale et la fièvre qui accompagne l’infection ». L’examen clinique signale également « la moiteur du visage par la sueur », « les convulsions » liées à l’hyperthermie. On notera que les signes cardinaux de l’inflammation (douleur, chaleur œdème, rougeur) sont déjà parfaitement décrits à cette époque. La lèpre est bien caractérisée et observée cliniquement. Le tétanos est certainement la maladie infectieuse la mieux décrite par les médecins. « Tu palperas sa blessure » (porte d’entrée) « il tremble beaucoup, il a du mal a ouvrir la bouche » (trismus), « tu observes que sa salive pend à ses lèvres, il souffre de raideur dans le cou et il est dans l’impossibilité de regarder ses épaules et sa poitrine, les ligaments de son cou sont tendus comme deux cordes ». Les tumeurs, abcès, furoncles, anthrax et ulcères sont traités par application locale de crèmes à base de miel, de sel, de plomb et de diverses graines mais également par cautérisation. Dans une prescription 19 pour abcès on conseille au praticien de refroidir la tuméfaction « un cas que je vais traiter par des applications froides sur cet abcès… ». Les parasitoses étaient nombreuses dans ces régions chaudes et humides. Il semble que les médecins de l’époque aient décrit les signes cliniques de l’ankylostomiase (douleurs costales et gastriques), l’ascaridiose, du tæniasis (ces deux vers étant traités avec des décoctions de racines de grenadier dont les alcaloïdes sont très efficaces). Les oxyures sont traités par application locale de pommade grasse. Enfin la bilharziose semble difficilement identifiable car non associée à l’hématurie, par ailleurs parfaitement connue des médecins de l’antiquité égyptienne. + Gynécologie et obstétrique Gynécologie La gynécologie égyptienne était une science relativement en avance sur son temps. L’anatomie de la vulve, du vagin et de l’utérus est parfaitement décrite dans des papyrus médicaux spécialisés. Chaque organe dispose d’un hiéroglyphe spécifique ce qui n’est pas le cas pour le reste de l’anatomie. Sur le plan physiologique les menstruations sont connues et correctement interprétées en ce qui concerne la fécondation. Les pathologies retrouvées dans les traités spécialisés concernent : L’aménorrhée et la ménopause « une femme qui a passé plusieurs années de sa vie sans que sa menstruation vienne chez elle » La dysménorrhée « Si tu examines une femme souffrant de l’estomac (terme générique pour le ventre) alors que ses règles ne viennent pas et si tu trouves quelque chose à la partie supérieure de son vagin : c’est un caillot dans son utérus… ». Les vulvo-vaginites « elle évacue une humeur épaisse » étaient traitées par injection vaginale (terre de Nubie, résine de térébinthe, gomme ammoniaque…). Le prolapsus utérin est traité par introduction vaginale d’un tampon (sorte de pessaire) sur lequel « la femme s’assied ». Le cancer de l’utérus reconnaissable aux douleurs abdominales, aux pertes sanglantes et à l’odeur particulière de ces pertes (chaire brûlée). Les traitements proposés étaient d’une grande diversité depuis les emplâtres sur les jambes, les potions, les applications abdominales et même les fumigations vaginales. Obstétrique Conception La nécessité d’avoir des rapports sexuels pour concevoir est bien établie dans l’Egypte pharaonique ; « il coucha donc cette nuit là avec sa femme et celle-ci devint enceinte ». D’autres textes utilisent la formule biblique « il la connut en connaissance d’homme ». Stérilité La lutte contre la stérilité était d’ordre purement magique, de même que la détermination du sexe de l’enfant. Il existe nombre de techniques que l’on retrouvera décrite dans les traités de médecine grecque « tu feras qu’une gousse d’ail humectée reste pendant toute la nuit jusqu’à l’aube dans son vagin. Si l’odeur de l’ail passe dans sa bouche, elle enfantera ». Contraception La contraception était pratiquée. Il s’agit, soit d’application locale de plantes ou de tampons destinés à freiner ou à inhiber la progression des spermatozoïdes de manière mécanique (tampon de 20 mucilage), ou chimique « un tampon sera imprégné d’acacia, de coloquinte et de date et introduit dans le vagin ». La production d’acide lactique obtenue par fermentation du sucre des dattes et le la gomme d’acacia est spermicide, soit de préservatifs masculins réalisés avec des boyaux de mouton (-1300 Av JC). Grossesse La durée de la grossesse n’est connue avec précision que dans la période ptolémaïque, c'est-àdire tardive. Il semble bien que dans les dynasties précédentes la durée de la grossesse n’a été appréciée qu’à trois ou quatre mois près. Accouchement L’accouchement se déroulait à domicile dans une construction légère spécialement bâtie pour l’occasion avec des roseaux, dans le jardin, la cour de la maison ou sur le toit en terrasse. La délivrance pouvait se dérouler soit à genoux, soit plus habituellement accroupie, les pieds posés sur des supports en briques montés pour l’occasion. Cette technique donnera naissance à l’expression « elle a accouché sur les briques », puis par simplification sémantique « elle a accouché sur la brique », expression reprise dans les textes hébreux après l’exode et permettant de dater cet épisode biblique. Des sièges d’accouchement, certainement réservés à l’aristocratie ont été trouvés dans la tombe de Khnemöse. La grossesse et l’accouchement se déroulaient sous les bons hospices de la déesse hippopotame Tarouet. Déesse Tarouet Femme sur les briques L’accouchement était réalisé par des matrones (jamais par des médecins), une se plaçait à genoux derrière la parturiente et la tenait fermement en l’enlaçant, la seconde, placée devant aidait à la 21 délivrance. Déjà à cette époque le mari était exclu du « pavillon des accouchés » ; « laisse nous la voir car nous savons faire un accouchement… Elles pénétrèrent auprès de Reddjedet, puis elles fermèrent la chambre sur elle-même ». Il existait des remèdes pour faciliter la délivrance du placenta « pour faire descendre tout ce qui est dans le ventre de la femme.. », soit par introduction vaginale, soit par massage abdominal. On retrouve en Egypte la période de purification qui doit succéder à l’accouchement (14 jours quel que soit le sexe de l’enfant, alors que cette période est différente dans l’ancien testament). L’accouchée mangeait alors une sorte de galette au miel qu’elle avait elle-même cuisinée le matin de la naissance « le pain frais de naissance ». Accouchement à genoux Accouchement en position accroupie Allaitement L’allaitement se faisait le plus souvent au sein de la mère (quelquefois, l’enfant royal ou de haut dignitaire, était confié à des nourrices officielles). On remarquera que beaucoup d’Egyptiennes devaient être droitières puisque l’enfant est presque toujours représenté tenu par le bras gauche de la mère. La durée de l’allaitement était en moyenne de trois ans « ta mère t’a conçu en dix mois ; elle t’a nourri en trois ans ». Bien que non précisé dans les documents, il est possible que les anciens aient noté que la femme restait stérile pendant la période d’allaitement. Cette longue période pour le retour de couche pouvait être ainsi un autre moyen contraceptif. Isis allaitant Horus 22 Comme dans toutes les civilisations il existe des recettes magiques pour favoriser les montées de lait. Les plus intéressantes sont à base d’orge fermenté, à mettre en parallèle avec la bière qui était sensée provoquer les montées de lait de nos grand-mères. Les maladies du sein secondaires à l’allaitement (gerçures, mastite, seins douloureux) étaient combattues avec un mélange de chiures de mouches, terre de Nubie, bile de bœuf (toujours utilisée à la moitié du 19ème siècle), appliqué directement sur le sein. Il semble bien que l’allaitement artificiel ait été pratiqué avec des récipients présentant un très petit goulot. + Pédiatrie Les traitements proposés aux enfants n’étaient pas véritablement spécialisés. A la naissance, le pronostic vital se limitait au cri poussé par le nouveau né et à la tonicité de son rachis cervical. La toux était calmée par du lait sucré. Pour l’énurésie il n’existait que des incantations magiques. 23 MEDECINE HEBRAIQUE ET CHRETIENNE Des bribes de la médecine hébraïque nous sont parvenues à travers l’ancien testament. Comme beaucoup de peuples anciens, et notamment les babyloniens, les hébreux pensaient que la maladie était un châtiment divin mérité pour un péché. Les médecins devaient obligatoirement être issus de la tribu des prêtres lévites, il leur était interdit d’exercer le jour du sabbat (ce qui explique le scandale que fit Jésus en traitant une femme âgée ce jour sacré). Il existait une séparation très nette entre les médecins et les chirurgiens qui pratiquaient notamment l’algèbre (terme sémitique correspondant à la réduction des fractures et des luxations, en arabe al djabr). La médecine hébraïque correspond à l’assimilation de croyances religieuses et de concepts médicaux issus des différentes déportations (Babylone et l’Egypte). Comme pour les assyriens, la contagiosité n’existe qu’en terme de spiritualité. Les hébreux sont donc constamment obligés de respecter des règles de purification concernant l’alimentation, la sexualité, les ablutions avant les repas et après les rapports sexuels, l’ensevelissement des morts, les sacrifices… L’importance attachée à la purification empêche pratiquement toute dissection même si l’on rapporte le cas du Rabin Ismaël qui pratiqua une autopsie sur une prostituée, mais après l’avoir fait bouillir (1er siècle). La consultation médicale ne pouvait être pratiquée de façon isolée sans intercéder auprès de Jéhovah. Sans prière, la thérapie n’avait que peu de chance d’être salutaire. « Si tu es malade, implore Dieu et appelle le médecin, car un homme prudent ne méprise pas les remèdes terrestres » ou de façon plus péremptoire encore « Lorsqu’il fut malade, il ne se tourna pas vers le Seigneur mais alla trouver les médecins. Et Asa dormit avec ses pères ». Le Talmud fait état de connaissances médicales qui ont pour source : La médecine babylonienne notamment en ce qui concerne les maladies de peau, la lèpre et les épidémies. La médecine égyptienne rapportée lors de l’exode. Cette médecine concerne essentiellement les fractures, les luxations, un certain nombre de potions et la méthode d’accouchement « elle accoucha sur la brique » (Ce terme, déformation de : elle accoucha sur les briques» provient d’une simplification d’écriture hiéroglyphique par les scribes. Elle permet de situer la période de l’exode). La bibliothèque d’Alexandrie qui faisait état de dissections et possédait de nombreux ouvrages d’anatomie. Plus tardivement la médecine grecque et notamment la théorie des quatre humeurs : Sang, chaud, humide : air Phlegme, froid, humide : eau Bile jaune, chaud, sec : feu Atrabile, froid, sec : terre L’exercice de la médecine était donc essentiellement question de religion, ne pouvait être sain que celui qui était « pur », problème qui obligea la femme « impure par son pécher originel » à, sa vie durant, pratiquer des purifications rituelles après les accouchements, pendant ses règles…. L’arrivée du Messie pour les chrétiens ne changera pas fondamentalement cette façon de traiter et de guérir. Les guérisons miraculeuses opérées par Jésus relèvent du même schéma « crois et tu seras guéri ». La maladie, perçue comme le résultat d’un péché, ne peut être éradiquée que par le pardon divin. L’attitude de Jésus vis-à-vis des malades (aveugles, paralytiques, boiteux, sourd…), s’intègre d’ailleurs tout à fait dans le contexte culturel juif du règne d’Hérode. La relation très forte entre le peuple élu et Dieu donnait aux rabbis la possibilité d’intercéder avec Jéhovah. Pour certains Jésus aurait été initié à la pratique médicale de son temps comme l’un de ses évangélistes Luc. Le fait que son père soit nommé tektôn en grec (oummân en araméen) peut signifier que celui-ci était artisan (généralement retenu dans la lecture classique du nouveau testament), ou tout aussi bien médecin, chirurgien ou guérisseur. Or dans l’Apocalypse de Jean (III) Jésus est appelé oummân. Les reproches 24 qui lui seront fait ne concernent d’ailleurs pas ses guérisons mais la manière dont elles sont opérées (un jour de sabbat pour la femme paralytique, plusieurs jours après le décès constaté de Lazare). L’interprétation mystique de la maladie considérée comme une punition s’étendra progressivement à Rome et aux territoires de la Pax romana. Avec la conquête romaine et la chute du Temple en 70 après JC, la médecine hébraïque perd son originalité pour devenir romaine. 25 LA MEDECINE GREQUE L’histoire de la médecine et de son développement dans la péninsule hellénique peut être divisée en trois grandes époques. La première prend naissance en Crète, 3000 ans AV JC, la seconde débute au 5ème siècle avant JC avec Hippocrate, la troisième correspond à l’évolution médicale après la révolution hippocratique. Médecine crétoise, mycénienne et pré hippocratique La civilisation crétoise (3000 – 1500 av JC) fut découverte il y a environ 100 ans quand on entreprit les fouilles de Cnossos. Sans doute détruite par l’explosion du mont Santorin (celui là même qui enflammait le ciel de l’Exode), elle fut remplacée par sa rivale maritime, Mycènes, civilisation où Homère situe l’Iliade et l’Odyssée. A cette époque, les nombreux dieux de l’Olympe pouvaient à volonté provoquer la maladie, guérir ou tuer. Les connaissances anatomiques se limitaient aux repères externes, magnifiquement représentés sur les peintures, au cœur qui était à l’origine des battements et à l’ensemble du tractus digestif. La principale avancée de cette culture en terme de philosophie médicale fût de dissocier le thymos (force vitale, ancêtre de notre thymie), de la psyché (l’âme). Le thymos était dépendant de l’alimentation, de la boisson, de la température et pouvait quitter le corps en cas de maladie ou de blessure. La psyché, ou conscience, gagnait invariablement les enfers après la mort ; transportée par Caron au-delà du Styx. Naissance d’Esculape, par césarienne* • Le mot « césarienne » ne viendrait pas de Julius César (comme le pense Pline l’ancien), qui serait né de cette façon, mais de caedere, couper en latin, en référence à l’incision pratiquée dans l’utérus. Le terme de " césarienne " a été utilisé pour la première fois par François Rousset à Paris en 1581 sous le terme « d’Enfantement césarien » en référence à la tradition prêtait à la naissance de César. En cas de maladie, les soins pouvaient être prodigués par des médecins, disciples du dieu Podalirios. La traumatologie de guerre était assurée par les guerriers eux mêmes (dans l’Iliade Achille panse Patrocle). Le premier « dieu chirurgien fût Machaon », fils d’Asclépios (Esculape des romains) et frère de Podalirios. Bien que déjà séparées, médecine et chirurgie avaient en commun un dieu tutélaire commun. 26 Représentations d’Esculape Les pratiques médicales de cette époque (1300 à 800 av JC), hormis le traitement des plaies et des fractures, étaient purement religieuses. Le dieu le plus vénéré en ce domaine était Asclépios. Le « traitement » consistait en une cérémonie religieuse dans le temple. Le patient, allongé et purifié par des ablutions rituelles, attentait pendant la nuit, lors de « l’incubation », la visite du dieu guérisseur. Il ne semble pas que de drogues ou de traitements particuliers aient été administrés, la guérison, quand elle se produisait était totalement miraculeuse. Examen d’un patient sous les hospices d’Esculape Entre 880 et 550 avant JC, c'est-à-dire dans la période dite pré hippocratique, se développèrent des écoles « médicales » dont l’enseignement reposait sur la philosophie, l’empirisme et un certain nombre de recettes locales, ou issues d’autres civilisations, apportées par les voyageurs. Pythagore, Thalès de Milet, Héraclite introduisirent la logique et l’observation dans la philosophie. Thalès (nommé le père des sciences » découvrit que l’élément fondamental de la vie végétale était l’eau d’où venaient la terre (putréfaction) et l’air (respiration). Héraclite conçut que l’univers et la vie ne pouvaient exister sans l’existence de forces opposées et que seul le « changement » permettait le maintien de la vie. Pythagore imagina un équilibre de la matière et de l’homme soumis à des nombres et à des calculs mathématiques, rapprochant l’équilibre cosmique du microcosme. A la fin de cette période, se développa la théorie des quatre éléments constitutifs de la matière et de la vie, l’eau, la terre, le feu et l’air. La pharmacopée, essentiellement végétale mais souvent soumise aux éléments vitaux (exposition à l’air, dilution, chauffage, mélange avec de la terre), se développa. L’observation de la nature et du contexte dans lequel se développaient les maladies, apportaient au praticien des informations essentielles pour conduire son « rééquilibrage » des humeurs (l’excès caractérisait la pléthore, et l’altération la cacochymie). . Cependant, on ignore si c’est l’observation du favisme (déficit enzymatique érythrocytaire répandu autour de la méditerranée provoquant des hémolyses intra vasculaires lors de l’ingestion des fèves) qui la fit interdire par les pythagoriciens la consommation de fève. Les écoles se multiplièrent à Rhodes, Cos, Cyrène, Cnide, Crotone… et des praticiens célèbres commencèrent à être appelés en consultation. Alcméon (qui pensait que l’harmonie devait régner entre toutes les parties du corps), Démocène, Empédocle. A partir de cette époque, on prône la dissection 27 comme seule source de connaissance du corps, le cerveau est reconnu comme étant en relation avec les organes des sens, les nerfs optiques sont disséqués et leur croisement identifié (chiasma en grec). Alcméon pense même que l’intelligence se trouve dans le cerveau. Empédocle (493-433) enseignait que les quatre éléments sont rassemblés lors de la vie et séparés après la mort. Il reconnaît à l’air une consistance, la possibilité d’exercer une pression et pense intuitivement qu’il est véhiculé par les vaisseaux. Il imagine que la respiration est à la fois pulmonaire et cutanée, erreur qui perdurera pendant des siècles. La médecine hippocratique Au 5ème siècle avant JC, la maladie n’est plus considérée comme une punition divine. Le développement des sciences et de la philosophie, transforme totalement les principes diagnostique et thérapeutique. On considère alors que tous les liquides corporels sont composés de sang (chaud et humide), de bile jaune (chaude et sèche) de bile noire ou atrabile (froide et sèche), et de phlegme (froid et humide). L’équilibre entre ces quatre humeurs permet d’assurer la santé de l’individu. Si pour une raison externe ou interne un déséquilibre intervient, la maladie apparaît sous forme de fièvre, puis d’écoulement d’une des humeurs (vomissement, hémorragie urinaire ou intestinale, écoulement nasal, diarrhée…). L’examen du malade permet de définir la nature du déséquilibre, le patient était alors considéré comme sanguin, bilieux, atrabilaire ou lymphatique, termes qui sont toujours utilisés de nos jours pour définir un caractère. La médecine se pratiquait de façon itinérante, le médecin se déplaçant de ville en ville. Plus rarement le praticien disposait d’un local à proximité d’un temple dédié à Asclépios. Le médecin soignait les gens de sa classe et recevait des honoraires. Ses esclaves (en fait son personnel) ou ses disciples pouvaient soigner d’autres esclaves ou des patients d’une autre classe. Celui qui voulait être médecin ne disposait pas d’école spécialisée, il suivait son maître qu’il rémunérait. Celui-ci lui inculquait la clinique, la philosophie et les indications thérapeutiques. Aucun certificat ou diplôme ne validait cet enseignement. La consultation du patient débute toujours par un interrogatoire portant sur les symptômes du patient mais aussi sur ses habitudes alimentaires et sexuelles, son environnement (salubre ou non) et ses coutumes, son mode de vie, ce que l’on appelle aujourd’hui son hygiène de vie. A partir de ces données le médecin établissait un diagnostic et un pronostic. Les médecins grecs de cette époque regroupaient sous le terme d’endémie toutes les maladies rencontrées dans une région particulière. On pense notamment aux fièvres des marais, aux troubles digestifs en rapport avec une eau impropre à la consommation… Les traitements utilisés sont de trois types : externe, interne, hygiénique + Les traitements externes consistent en application pour soulager une douleur, nettoyer une plaie, ouvrir un abcès avec un bistouri, arracher une dent, réduire une fracture ou une luxation. 28 Achille soignant Patrocle après que ce dernier ait reçu une flèche dans le bras + Les traitements internes étaient en général destinés à rééquilibrer les humeurs. On utilisait des émétiques, des purges et diverses drogues, empruntés à la pharmacopée du monde antique et rapportés par les voyageurs. Pour les interventions chirurgicales on pouvait anesthésier en partie le patient avec des extraits de pavot ou de mandragore. + Les prescriptions hygiéniques consistaient en conseils diététiques (diète, équilibre des aliments, jeûne), recommandations concernant le sommeil et le repos ainsi que l’abstinence sexuelle, la pratique d’exercices physiques. Les ablutions dans des bains publiques ou chez soi étaient également vivement conseillées. Hippocrate (460-370), le père de la médecine, est né aux environs de 460 av JC dans l’île de Cos. D’abord médecin dans son île, il a ensuite pratiqué la médecine itinérante et a été connu de l’ensemble du monde grec de son vivant. Parcourant la Grèce, l’Asie mineure, la Macédoine, Hippocrate aurait, suivant des récits, enjolivés ou non, traité et guéri le roi de Macédoine, Démocrite… et nombre de ses contemporains. Hippocrate Il est probable que l’œuvre d’Hippocrate, rassemblée dans Corpus Hippocraticum, regroupe des écrits d’un certain nombre de ses confrères. Cette œuvre magistrale comprend 72 livres. Aucun de ces livres n’est consacré à un organe ou à une fonction. L’étude de ces traités ne peut donc se concevoir qu’en regroupant les thèmes développés dans chacun des livres. Hippocrate est le premier grand clinicien « Je crois qu’une grande partie de l’art de la médecine réside dans la capacité d’observation… il ne faut rien laissé au hasard, rien négliger : on doit combiner les observations contradictoires et prendre son temps ». 29 Aphorismes d’Hippocrate L’anatomie reste sommaire, et le plus souvent extrapolée à partir de dissections d’animaux. Le seul organe véritablement décri, hormis les os, est le cœur avec ses valves, ses gros vaisseaux, son ventricule et son péricarde. Les veines et les artères ne sont pas distinguées. Mais on connaît l’utérus, les ovaires, le foie et le tube digestif. Les nerfs sont parfois confondus avec les ligaments et les tendons (il n’existe à cette époque qu’un nom pour ces trois tissus). On dispose de bonnes descriptions du cristallin et du globe oculaire. La physiologie est également assez frustre. L’air est inspiré par les poumons, transporté par les vaisseaux et passe dans les organes. On sait qu’il est indispensable à la vie et l’on pense qu’il est à l’origine de la température corporelle. Le pouls est diversement apprécié et souvent peu utilisé. La physiologie ovarienne est fantaisiste (le sexe de l’enfant proviendrait du côté de l’ovaire fécondé). Les maladies sont si bien analysées, qu’une quarantaine de pathologies sont reconnaissables. Toutes sont en rapport avec l’équilibre des humeurs. Une des descriptions les plus remarquables est celle de l’œdème du poumon « L’eau s’accumule ; le patient a de la fièvre et tousse ; la respiration est rapide, les pieds gonflent, les ongles se recourbent et le patient souffre comme s’il avait du pus à l’intérieur. On peut constater qu’il ne s’agit pas de pus mais d’eau… Si l’on appuie son oreille contre la poitrine, l’on entend bouillonner comme du vin aigre ». Pratiquement aucune de ces maladies ne portent un nom car c’est l’état du patient qui compte plus que le type de maladie proprement dite. On sait ausculter le cœur et le poumon. Le vagin est examiné au spéculum, on mire les urines, on les sent, on les goutte. Les maladies mentales sont abordées et trouvent leur siège dans le cerveau. La traumatologie est parfaitement décrite (membre, crâne, face). On cautérise, on panse les plaies, on réduit les fractures et les luxations. 30 Sorte d’ex-voto en remerciement de La guérison d’une jambe Les techniques chirurgicales sont décrites avec beaucoup de soin depuis la préparation du patient, la table d’intervention, l’éclairage, les instruments nécessaires et le travail des aides opérateurs. On intervient sur les hémorroïdes, les tumeurs, les ulcères, les fistules. La ligature vasculaire n’est jamais décrite. Hippocrate donne la description de machines destinées à réduire les luxations. En obstétrique on sait retourner l’enfant qui se présente en position de siège. La femme accouche accroupie. Il existe des méthodes contraceptives et l’avortement est pratiqué (sans doute par des non médecins). Auscultation Table de réduction d’Hippocrate Les thérapies restent sommaires, beaucoup plus que celles proposées par les égyptiens. Les remèdes sont peu nombreux et peu utilisés car l’on préfère seconder la nature par des régimes. Toute fois l’on connaissait déjà l’effet antibactérien de la moisissure du fromage (utilisé pour traiter les plaies surinfectées). La méthode hippocratique consiste donc : + A étudier le patient plutôt que la maladie + A établir un dossier objectif, signalant les succès comme les échecs. + A seconder la nature en aidant les forces naturelles du corps à retrouver leur équilibre. 31 En ce qui concerne la qualité de l’apprentissage médical et du médecin, Hippocrate insistait beaucoup sur l’écoute et la transmission par l’expérience (arkhitektonikos). Hippocrate rassembla beaucoup de connaissances et de principes médicaux antérieurs, ajouta son expérience, et établit une méthode mais ne prétendit jamais que la connaissance médicale commençait avec lui, ce qui ne fût pas toujours le cas chez ses successeurs. Sur le plan éthique, les médecins grecs se référait au fameux serment attribué à Hippocrate (peut être est-il antérieur, ou de l’école pythagoricienne). « Je jure par Apollon médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l’engagement suivant : Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon avoir et, dans la nécessité, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères et, s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part des préceptes à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre. Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. Je ne pratiquerai pas l’opération de la taille, même sur ceux qui souffrent de la pierre ; je la laisserai aux gens qui s’en occupent. Dans quelques maisons que j’entre, j’y entrerai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves. Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui ne doit jamais être divulgué, le regardant comme un secret. Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ». La médecine post hippocratique Dès le 4ème siècle avant JC, l’école platonicienne devait avoir une forte influence sur le raisonnement médical. Pour les « dogmatiques », médecins qui se rallièrent à cette façon de penser au 3ème siècle, le raisonnement devait supplanter l’observation. L’esprit objectif prôné par Hippocrate, fit place à un empirisme basé sur les fameuses humeurs. Le diagnostic relevait de la déduction et non plus de l’examen clinique. Les techniques thérapeutiques connurent une agressivité alors inconnue. Les purges et les saignées se multiplièrent et gagnèrent en sévérité. On n’était loin d’aider simplement la nature. Parmi les dogmatiques citons Dioclès de Caryste qui s’intéressa à l’anatomie, l’embryologie et la diététique. Premier à avoir distingué la pleurésie de la pneumonie, les douleurs abdominales de l’occlusion intestinale et à avoir reconnu que la fièvre était un symptôme et non pas une maladie. Praxagoras discerna le premier la fonction des veines et des artères et montra que la variation du pouls pouvait être en rapport avec diverses maladies. Aristote, fils de médecin et philosophe, participa aux découvertes médicales. Ses travaux multiples lui permirent de décrire les premiers stades de l’embryogenèse, les battements du cœur fœtal et de montrer que les embryons mâles et femelles se développaient dans un « compartiment » identique. Il réalisa de nombreux travaux d’autopsie chez l’homme et l’animal qui lui valurent d’être reconnu comme le fondateur de l’anatomie comparative. C’est Aristote qui donna son nom à l’aorte. 32 Théophraste (370-285 av JC), disciple d’Aristote décrivit la perte de connaissance, le vertige et la transpiration. Hérophile (280 av JC) fût un des premiers à pratiquer systématiquement des autopsies ce qui lui permit de réaliser un nombre considérable de découvertes (description du cerveau, de l’intestin, des vaisseaux lymphatiques, les structures des veines et des artères, du foie, des organes génitaux, de l’intestin, de l’oeil…). Un de ses contemporains (Erasistrate 250 av JC) distingua les nerfs sensitifs des nerfs moteurs, décrivit la trachée, le fonctionnement de la glotte et les contractions cardiaques. D’autres écoles virent le jour, les septiques, les empiristes (les effets du traitement comptent plus que le diagnostic), les méthodistes (abandon de la théorie des humeurs), les pneumatiques qui s’opposaient aux deux écoles précédentes, les éclectiques qui ne voulaient se référer à une seule théorie et se donnaient la possibilité de choisir la plus adaptée. Archigène, 100 après JC, clarifia la symptomatologie, améliora les diagnostics et la thérapeutique. Quelques années après, Arétée de Cappadoce décrivit le diabète*, la diphtérie, la pneumonie et la migraine mais aussi l’ictère par obstruction des voies biliaires. * Le mot diabète, du grec « diabêtê »s, qui traverse, correspond à la polyurie et à la polydipsie qui s’observent dans cette affection, comme si « le corps était traversé par l’eau ». En goûtant les urines, ces mêmes médecins définirent le diabète insipide (qui n’a pas de goût) et le diabète sucré (goût sucré). On opposa longtemps les empiristes (traitement par l’expérience) aux dialectiques (théoriciens aux connaissances livresques). Le philosophe Musonius au premier siècle AP. JC s’adressant à un disciple lui demandait : « Suppose deux médecins, l’un capable de disserter très brillamment sur la médecine, mais sans nulle expérience du soin des malades, l’autre incapable de discourir mais accoutumé à soigner selon les principes de la médecine, lequel aimerais-tu mieux voir à ton chevet si tu étais malade ? ». La médecine grecque, contrairement à la médecine égyptienne, fait appel aux découvertes physiologiques, discipline qui resta toujours embryonnaire en Egypte. Empreinte de philosophie, la médecine grecque se différencie de cette dernière par l’abandon progressif aux références divines. Plus scientifique, la pratique médicale ne s’inscrit pas totalement dans la continuité de la médecine antique dont elle tire finalement assez peu de connaissances. Beaucoup de descriptions cliniques égyptiennes, et plus encore de médicaments, seront oubliés ou perdus. 33 LA MEDECINE A ROME La civilisation romaine commence son expansion en Grèce vers 150 av JC, c’est donc vers cette époque que la médecine hellénique se développa dans le monde romain, remplaçant peu à peu la médecine divinatoire qui remontait aux étrusques. Les médecins grecs itinérants gagnèrent progressivement l’ensemble du monde romain et supplantèrent les quelques médecins locaux encore très attachés aux augures. * En 46 av JC, Jules César voulant lutter contre la famine qui sévissait à Rome fit déporter tous les étrangers à l’exception des médecins grecs. Archagathus fut un des premiers médecins ou chirurgiens grecs à exercer son art à Rome (220 av JC). D’abord très performant, il fut salué par les notables et le Sénat qui le nomma vunerarius (guérisseur des blessures). Malheureusement quelques coups de bistouris hasardeux le ravalèrent quelques années plus tard au rang de carnifex (boucher). Le plus remarquable de ces praticiens fut Asclépiade de Bithynie qui exerça une médecine rationaliste, radicalement opposée aux principes hippocratiques (c’est le médecin qui traite et non la nature, abandon des quatre humeurs, références aux travaux des atomistes). Il instituait des régimes, pratiquait des saignées et même des trachéotomies. Son opposition aux canons d’Hippocrate lui valu la vindicte de Galien qui, deux cents ans plus tard, le combattit violemment au point de faire oublier son nom jusqu’à la renaissance. La botanique et la pharmacopée firent des progrès significatifs sous l’impulsion de Dioclès de Caryste (400 av JC), de Théophraste, de Cratévas (100 ans av JC) et de Dioscoride (médecin militaire) dans son materia medica. A Rome, le statut des sages femmes était parfois supérieur à celui des médecins. Soranus d’Ephèse (98-138), un des premiers obstétriciens, réalisa de nombreux écrits sur la physiologie féminine (menstruations, parturition). Chirurgien, il pratiqua des hystérectomies, proposa des techniques psychologiques pour les règles douloureuses, mis en garde contre l’extraction manuelle du placenta, préconisa la rupture des membranes pour accélérer le travail. Celse (1er siècle), premiers historiens de la médecine, exerça sans doute assez peu la médecine mais consigna dans son ouvrage De medicina une quantité considérable d’expériences, de techniques chirurgicales (cures de hernies, amputations). Sa description de la cure de hernie est un modèle de technique chirurgicale « Maintenant, l’ouverture doit être pratiquée carrément, jusqu’à l’enveloppe externe, puis jusqu’à celle du scrotum lui-même, et l’enveloppe du milieu. Quand une incision a été pratiquée, on trouve une ouverture qui conduit plus avant. On y introduit l’index de la main gauche, afin de séparer l’entrelacs des petites membranes et de libérer alors le sac herniaire ». Il fut certainement le premier à pratiquer la ligature des vaisseaux (habituellement attribuée à Ambroise Paré) « Les vaisseaux sanguins d’où jaillit le sang doivent être tenus ensemble et liés en deux points proches de la blessure ; puis l’on pratiquera une coupe entre les deux, afin qu’ils puissent se rétracter et garder leur orifice fermé ». L’exercice et l’enseignement de la médecine furent très peu réglementés avant la promulgation d’une loi régissant la formation médicale, l’attribution des diplômes et l’encadrement de l’exercice (Alexandre Sévère 230 Ap. JC). Les romains créèrent des infirmeries (simple local situé dans la maison d’un patricien), puis des infirmeries militaires, installées sous des tentes, avant de mettre en place des hôpitaux civils dans les villes. Rome connu son premier hôpital en 400 Ap. JC. L’hygiène se développa, des thermes furent construits dans tout l’empire, à la fois dans les villes, mais aussi le long des routes, les fameuses voies romaines. * Le long des voies romaines, le voyageur pouvait trouver des auberges pour se restaurer, des lieux pour dormir, des thermes et même des prostituées. 34 Galien (129-200) demeure le plus célèbre des médecins de l’époque romaine. Originaire de Pergame (Asie mineure), il se dirigea vers les études médicales après que son père, dit-on, rêva d’Asclépios. Son enseignement se déroula à Alexandrie (anatomie, pharmacologie, clinique), principal centre des connaissances médicales de l’époque. De retour à Pergame il exerça la chirurgie auprès des gladiateurs ce qui lui permit de se former en chirurgie et en traumatologie. Galien Galien Voyageur infatigable, il acquière par l’étude et l’expérience (pratiquant de très nombreuses autopsies sur des cadavres abandonnés ou des animaux), l’ensemble des connaissances de son temps. Handicapé néanmoins par un concept finaliste que « la nature ne fait rien sans intention », il commettra des erreurs d’appréciation en physiologie qui perdureront pendant tout le moyen âge. Adepte des humeurs hippocratiques, il attribuera à chacune d’elle un trait de personnalité. Sur le plan anatomique, Galien fit d’importantes découvertes qu’il consigna dans ses ouvrages avec une très grande méticulosité. Il différencia les nerfs confondus alors avec les tendons et montra qu’ils étaient reliés au cerveau. Il confirma les différences entre nerf moteur et nerf sensitif. En cardiologie, il donna une excellente description du cœur et des vaisseaux qui s’y rattachent. Il commit également quelques erreurs comme le fait de nier l’existence du réseau admirable hypophysaire chez l’homme (réseau connu à l’époque chez le porc). En pharmacologie, il perfectionna la thériaque, mélange complexe d’ingrédients destinés à lutter contre les poisons (initialement prescrite pour les morsures de serpent). En chirurgie, il donna une bonne description des pinces, bistouri, écarteurs et autres instruments qu’il maniait sans doute avec une certaine aisance. Dans ses écrits, Galien ne laissa aucune question sans réponse, ce qui naturellement entraîna la divulgation d’un certain nombre d’erreurs qui ne seront corrigées, avec beaucoup de difficultés, tant la réputation de Galien était grande, qu’à la renaissance. Déjà réputé à son époque, Galien exerçait avec parait-il une certaine suffisance en mettant en exergue ses succès et oubliant ses erreurs. Contrairement à l’école hippocratique qui insistait sur les résultats cliniques, bons ou mauvais, de manière rigoureuse et donc scientifique, Galien se laissa guider par des idées préconçues (déterminisme des organes, importance des humeurs…) ce qui nuit à la cohérence de son œuvre. * On retiendra le terme de Galénique (de Galien) qui correspond aux médications réalisées exclusivement avec des principes végétaux, à l’exclusion de tout produit minéral. La médecine romaine se répandit dans tout l’empire, de la grande Bretagne à l’Espagne, de l’Egypte à la Gaule…, mais disparut très rapidement avec la chute de l’empire (en 476), laissant la place à l’obscurantisme, aux croyances et aux miracles. 35 MEDECINE ARABE Le terme de « médecine arabe » convient-il pour désigner l’ensemble des connaissances médicales et pharmaceutiques collectées par les arabes et les arabisants (juifs, chrétiens nestoriens, perses…), pendant la période s’étendant du prophète (7ème siècle au 13ème siècle) ? Certainement pas tant le rôle joué par cette civilisation est complexe et intriqué dans les cultures périméditerranéennes. Trois courants peuvent être distingués : La compilation des données médicales grecque et romaine, les découvertes médicales scientifiques et philosophiques des médecins arabes, la diffusion de ces connaissances avec les conquêtes arabes. = Compilation des connaissances Les premiers contacts du monde arabe avec la culture gréco-romaine remonte au 5ème siècle, c'est-à-dire 2 siècles avant l’apparition de l’Islam (622), par la compilation et la diffusion des textes hippocratiques traduits en arabe par des érudits juifs et chrétiens, chassés de l’empire romain. Plus tardivement (entre le 8ème et le 10ème siècle), des traducteurs arabes entreprirent de commenter les connaissances médicales (Avicenne). = Découvertes médicales Les découvertes scientifiques dans le domaine de la chimie sont considérables, la solution ; la cristallisation, la sublimation, la calcination, la distillation, permettent la synthèse de nouvelles drogues. La pharmacie devient une discipline à part entière, distincte de la médecine et de la chirurgie. De nombreuses appellations sont issues de ces découvertes, alcool, élixir, sirop, alambic, alcalin… Dans le domaine médical, la clinique prend toute son importance. La sémiologie est enseignée aux futurs médecins dans des centres culturels (académies, bibliothèques) et des hôpitaux, leurs études sont sanctionnées par un diplôme. La gynécologie et l’obstétrique sont les domaines réservés des sages femmes. Les observations et les descriptions cliniques réalisées permettent le diagnostic de nouvelles maladies encore inconnues (abcès du médiastin, gale, péricardite, tuberculose…). Avicenne pense que la tuberculose est contagieuse. La chirurgie n’est pas considérée comme une science, mais comme un exercice mineur, souvent confié à des charlatans. Néanmoins, un certain nombre de médecins arabes laisseront d’excellents traités de chirurgie. L’anesthésie fait son apparition grâce à l’utilisation de narcotiques administrés par voie nasale (éponge imbibée). Trois médecins philosophes dominent la culture médicale arabe, Avenzoar (début du 12ème siècle), Maimonide (1135-1224) et Averroès (1126-1198), mais de très nombreux médecins rédigèrent des traités à la fois emprunts de philosophie et de médecine. Rhazès, l’un des précurseurs (fin du 9ème siècle), fut particulièrement réputé pour ses connaissances médicales issues des anciens (Hippocrate et Galien), mais aussi pour ses descriptions cliniques, son approche du malade et la clarté de ses diagnostics. Il publia un ouvrage, qui fit référence en son temps, portant sur l’ensemble des maladies connues (Al-Hawi). Rhazès et Ali Abbas sont à l’origine d’aphorismes qui méritent d’être médités : « Si vous pouvez guérir un malade par la diète, n’ayez pas recours aux médicaments » « N’ayez pas confiance dans les panacées, car elles sont fondées sur l’ignorance et la superstition ». « Faites toujours croire au malade qu’il guérira, même quand vous n’en êtes pas sûr ; car cela aidera l’effort de guérison de la nature ». 36 Le plus célèbre de ces médecins reste néanmoins Abü ‘Ali Husayn Ibn ‘Abd Alläh ibn Sinà, connu sous le nom d’Avicenne. Né en Perse en 980, Avicenne fut un surdoué qui lisait Aristote et connaissait le Coran dès l’âge de 10 ans. Avicenne Disciple d’un nestorien (disciple de Nestorius à l’origine d’une secte chrétienne hérétique de Syrie), il s’initia aux sciences et rédigea à l’âge de 20 ans une encyclopédie scientifique. Bien qu’il n’ait peut être pas exercé lui-même la médecine, Avicenne restera, grâce à son fameux Canon (compilation des anciens rédigée en vers), la référence de tout le monde médical occidental jusqu’au 17ème siècle. Canon d’Avicenne Avicenne opère une fusion entre le platonisme, l’aristotélisme et la pensé islamique qui donne à la versification de son Canon et au Livre de la guérison une philosophie toute orientale. Ces textes resteront longtemps la base de la culture médicale. Albucasis (936-1013) rédige un traité de chirurgie très précis dans ses techniques et les descriptions anatomiques. Avenzoar (1090-1162) s’opposa aux doctrines de Galien. Souffrant de péricardite et de la gale, il laissa une description clinique parfaite de ces maladies. Avenzoar prônait la pratique et l’expérience plutôt que l’apprentissage littéraire doctrinal. Egalement chirurgien, il s’intéressa à la trachéotomie dont il décrivit les incisions. 37 Avenzoar Averroès (1126-1198), disciple du précédent, apparaît comme un révolutionnaire. Aristotélicien, il critiqua vivement le rôle de la religion qu’il ne reconnaissait pas comme une science. Développant surtout le côté matérialiste et rationaliste d’Aristote, il crée (du moins lui attribut on) la doctrine de la double vérité (vérités rationnelles et révélées). Rejetant les autorités établies, il se refusait à faire entrer la prière, ou tout autre référence religieuse, dans le traitement. Sa doctrine fut condamnée par l’Islam, puis par la chrétienté (1240), après que Siger de Brabant eut enseigné sa philosophie à Paris. Obligé de se cacher, il fut accueilli par un de ses disciples de religion juive, Maimonide. Averroès Maimonide (1135-1204), Mosheh ben Maymon en hébreux et Abü Imrän Müsä ibn Maymüni Ibn’Ubayd Alläh en arabe, est né à Cordoue d’une famille de savants talmudistes. Disciple d’Averroès, il tenta sans succès de réconcilier les idées de son maître et la foi, le rendant hostile aux Almohades (souverains berbères régnant sur la moitié de l’Espagne à cette époque), puis aux juifs orthodoxes. Maimonide Maimonide à Cordoue 38 Excellent praticien, il exerça au Caire où il devint le médecin du sultan Saladin. Il rédigea de nombreux écrits (Aphorisme* de médecine, Traité de la conservation et du régime de la santé). Célèbre comme théologien et comme philosophe, il chercha à accorder la philosophie au judaïsme. La prière matinale du médecin lui est parfois attribuée. « O Dieu, que mon esprit soit toujours éclairé et ouverts. Au chevet du malade qu’il ne soit distrait par aucune pensé…. Ecarte de moi l’illusion que je peux tout accomplir. Donne-moi la force, la volonté et l’occasion d’augmenter toujours mon savoir… Que dans le malade je ne vois jamais que l’homme…. ». * Aphorisme : Formule ou prescription résumant un point de science ou de morale. Bien que la dissection soit interdite par l’Islam, des savants imaginent la communication des artères et des veines par des capillaires. Ibn-Nafis (1210-1280) postule l’existence d’une circulation sanguine dans les poumons. = Les conquêtes et l’extension de la culture médicale A partir du 7ème siècle les conquérants arabes envahirent l’ensemble de l’Afrique du nord, l’Espagne et le sud de la France. Trois dynasties de califes se distinguèrent alors, les Omeyyades en Espagne et notamment à Cordoue, Les Fatimides en Egypte et les Abbassides à Bagdad. La durée de leur règne fut suffisamment étendue (760 à la moitié du 13ème siècle) pour que leur culture puisse imprégner profondément et durablement les pays conquis. Les pratiques de la médecine, des sciences et de la pharmacie des pays concernés, s’imprégnèrent de ses principes et redécouvrirent les auteurs grecs et romains dont les textes traduits en latin avaient été en partie perdus. 39 DE LA CHUTE DE ROME AUX CATHEDRALES 1000 ans pour renaître ! Le moyen âge est habituellement scindé en deux grandes périodes, le haut moyen âge, de 476 à 1100 (fondation de l’ordre de Cîteaux, première croisade), et le moyen âge proprement dit de 1100 à 1498 (mort du roi Charles VIII à Amboise). Cette période est difficile pour les populations. Les hivers sont rigoureux, car le climat traverse une période de refroidissement important, les étés sont d’autant plus courts, diminuant le volume des récoltes. Des bandes de brigands parcourent le pays. La taille, la dîme, les servitudes de toutes sortes écrasent le peuple des campagnes qui se réfugie dans la religion ou les croyances païennes. Se soigner relève de l’impossible, hormis pour quelques nobles, et encore s’agit-il d’une médecine frustre, usant de traitements traditionnels, de magie et d’intersessions divines. Il ne reste pratiquement plus rien des civilisations antiques et de leur médecine quand les barbares conquièrent Rome (déposition de Romulus Augustulus, dernier empereur d’Occident en 476). La mort est omniprésente dans la statuaire, la littérature, l’art graphique (tapisseries, peintures, fresque…). Elle est inévitable et touche tous les individus du vilain au suzerain, du curé de campagne au Pape suivant la volonté unique de Dieu. Danse macabre Le haut moyen âge (476-1100) Le haut moyen âge en Europe s’inscrit dans une période troublée par les invasions, les Goths, les arabes, les vikings. Ces invasions éloigneront peu à peu les empires francs, lombards et goths de Rome et de son influence sur les arts, les sciences et la médecine. Dès la prise de Rome par les Goths en 476, le rayonnement romain cesse presque complètement ne laissant subsister que des textes latins souvent incomplets, et quelques bribes d’auteurs grecs et latins. Il faudra attendre le 10ème siècle pour que les invasions mauresques réintroduisent les canons de la médecine gréco-romaine. Le haut moyen âge est l’âge de la Foi en l’église romaine. Les médecins de l’époque, dont la formation était particulièrement sommaire, mêlaient pratique religieuse et thérapie. Initialement laïcs jusqu’au au 6ème siècle, ces médecins disparurent progressivement pour laisser place aux moines et aux guérisseurs de village. Les techniques thérapeutiques donnent une large place à la magie et à l’utilisation de drogues d’origine végétale. Les plantes médicinales, les simples, étaient récoltées par les moines (qui les cultivaient aussi dans leur jardin). En cas de blessure, ou de maladie on faisait appel aux rebouteux, aux tireurs de feu, aux sorciers et à tous ceux reconnus pour détenir un pouvoir guérisseur. 40 Rebouteux Dissection A partir du 6ème siècle, la médecine n’est plus enseignée qu’au niveau des communautés monastiques. Les bénédictins furent les premiers à recopier et traduire les quelques ouvrages médicaux issus de l’ancien empire. La médecine pratiquée dans ces monastères se mélangeait aux pratiques d’imposition des mains, d’exorcismes et aux actes de contrition. La presque totalité des techniques chirurgicales furent perdues. Les saints guérisseurs se multiplièrent (Saint Côme, Saint Pantaléon, Saint Antoine et une multitude de saints locaux reconnus pour leurs actions miraculeuses). Il faudra attendre l’an 1000, et sa grande peur de voir disparaître le monde dans l’apocalypse, pour que timidement des noyaux universitaires apparaissent et dispensent, outre la théologie, des rudiments de médecine. Salerne et Bologne sont les deux premières, bientôt suivies par Montpellier et Paris. Le moyen âge (1100-1498) Le moyen âge se caractérise dans le monde médical par la création des premières universités (Salerne, Bologne, Montpellier, Padoue, Paris...) dans l’ensemble de l’Europe (Italie, France, Pays bas, Angleterre, Germanie, Pays scandinaves…). La première d’entre elles fut Salerne dans la baie de Naples. A la croisée des cultures grecque, latine et arabe, Salerne existait déjà au 8ème siècle, mais c’est au siècle suivant que sa notoriété s’accrue au point d’être reconnue dans l’ensemble des pays circumméditerranéens. L’enseignement, basé sur l’étude des textes anciens (Hippocrate, Galien…) est à la fois très pragmatique et scientifique. La philosophie sera rapidement rejetée pour laisser place à l’empirisme qui caractérisera cette université. Les femmes y étaient admises, telle Trotula qui rédigea un traité d’obstétrique. Les écrits issus de l’Université de Salerne furent traduits en latin et circulèrent pendant plusieurs centaines d’années, servant de référence. Parmi ceux-ci le plus célèbre est un traité d’hygiène et de diététique rédigé en vers (Regimen sanitatis medicinae). La faculté de médecine s’individualise au 13ème siècle, à partir de la faculté des arts. L’enseignement est divisé en trois grandes parties : Les choses naturelles : anatomie, physiologie, botanique Les choses non naturelles : hygiène, régime Les choses contre nature : pathologie Roger II de Sicile, dont dépendait le royaume de Naples rendit obligatoire l’existence d’un diplôme pour exercer (coutume qui s’était perdue depuis pratiquement un siècle). 41 Enseignement universitaire Montpellier apparut rapidement comme une concurrente de Salerne. Fondée Entre le 8ème et le 9 siècle, l’Université de Montpellier était la seule parmi la quinzaine d’universités françaises à pouvoir enseigner la médecine (l’enseignement à Paris sera ultérieur). Comme pour Salerne, l’enseignement était basé sur les textes anciens, grecs et latins ainsi que sur le canon d’Avicenne. Paris prit son essor dès le 11ème siècle mais resta toujours, du fait de sa proximité avec le roi et le clergé, moins libre que ses rivales. A Paris l’enseignement de la médecine se déroule sur la rive gauche de la Seine dans les quartiers Saint Jacques, Saint Séverin, Saint Germain des Prés…, quartiers qui garderont le souvenir des enseignements réalisés en latin. L’étudiant en médecine doit passer successivement son baccalauréat, sa licence et son doctorat. Il ne peut exercer avant d’avoir validé sa licence. L’ensemble de ces études s’étend sur une dizaine d’années. La pensée intellectuelle à cette époque reste totalement dominée par l’église et notamment par les franciscains et les dominicains. Le néoplatonisme et la philosophie aristotélicienne furent redécouverts et développés par Albert le Grand (un médaillon le représente sur la faculté de médecine de la rue des Saints Pères) et Thomas d’Aquin (1225-1274). ème Saint Thomas d’Aquin Selon ces penseurs « la plus simple explication doit être donnée aux phénomènes naturels ». Chaque être possède en lui-même ses capacités de développement, aucune transformation n’est possible sans intervention de nature divine. Cette théorie du non évolutionnisme (doctrine thomiste), perdura pendant tout le moyen âge, donnant au surnaturel une importance considérable qui freina considérablement le développement des sciences. = Anatomie 42 Bien que quelques dissections de suppliciés aient pu se dérouler dans le secret des universités, les connaissances anatomiques sont d’une indigence remarquable (L’autopsie légale ou à visée universitaire, ne sera autorisée qu’au 13ème siècle par une bulle papale de Boniface VII). Dissection Les dessins d’anatomie moyenâgeux, tout comme la statuaire de cette époque, ne figurent pas le réel, mais l’idée que l’on se fait du corps destiné à disparaître lors de la mort. La rigidité de ces schémas et l’aspect enfantin de l’anatomie représentée, soulignent à quel point le recopiage d’ouvrages anciens et l’absence de d’observation récentes, avaient fait perdre au monde médical. Dessins d’anatomie moyenâgeux = Chirurgie Pendant la période du haut moyen âge, la chirurgie était revenue à sa plus simple expression. Hormis la réduction des fractures et des luxations, réalisées par les rebouteux de village, les techniques chirurgicales grecques et arabes s’étaient perdues. Incision d’abcès Saignée 43 Ne restaient encore en vigueur que la saignée, le cautère, les amputations et de façon curieuse les trépanations indiquées dans certains troubles psychiatriques. La médecine était alors pratiquée par les ecclésiastiques, interdits de « faire couler le sang » depuis le conseil de Latran (4ème siècle). Les chirurgiens, arracheurs de dents, rebouteux, barbiers et barbiers chirurgiens étaient donc des civils formés hors des facultés de médecine, et souvent en conflit avec le monde médical officiel. L’art chirurgical fut remis à l’honneur au début du 13ème siècle à Salerne et à Bologne par quelques médecins comme Gulielmo Salicetti qui rédigea un traité de chirurgie pour chaque organe, et son disciple (Lanfranchi de Milan) qui poursuivit l’oeuvre de son maître dans Cyrurgia magna (1296). En France Henri de Mondeville (chirurgien de Philippe le Bel) et Guy de Chauliac enseignèrent la chirurgie à Paris et Montpellier. Ce dernier insista sur la nécessité de bien connaître l’anatomie pour exercer (cela fait donc plus de 7 siècles que cette notion élémentaire, qui reste toujours d’actualité, a été édictée). = Les grands fléaux Le moyen âge fût marqué par le mal des adents et deux épidémies qui, du fait de leur importance, marquèrent profondément la société moyenâgeuse, la lèpre et la peste. + Le mal des ardents Le Feu-Saint-Antoine, le Feu Sacré ou encore le Mal des Ardents, est le nom donné à une intoxication alimentaire due à l’ingestion d’un champignon parasite du seigle et de certaines graminées sauvages. L'ergot du seigle est un parasite qui se présente sous forme de minces bâtonnets de deux à trois centimètres de long accolés à la tige de l'épi. Quand le seigle est moulu, Il se trouve mêlé à la farine. Cette épidémie dura pendant tout le moyen âge et récidiva par épisodes jusqu’au 20ème siècle (La dernière eut lieu en France à Pont Saint Esprit dans le Gard, en plein vingtième siècle). De tous les fléaux qui décimèrent les populations au Moyen âge, le « mal des ardents » ou «feu Saint Antoine » fut l’un des plus meurtriers. Apparu dans la région du Dauphiné pendant les dernières années du 11ème siècle, il sévit dans toute l’Europe. Le mal des ardents se manifeste plus fréquemment en temps de disette et dans les régions au sol pauvre. Le parasite responsable, le Claviceps Purpurea, ne contamine en effet pas le froment, mais uniquement le seigle, cultivé en plus grande quantité quand les intempéries ne permettent pas de bonnes récoltes de blé, ou que la nature du sol en empêche la culture. Le feu de Saint Antoine évoluait par "épidémies" par contamination mycosique des champs d'une même région. Le mal des ardents se manifeste par des maux de ventre, des convulsions, la gangrène des membres et surtout d’horribles brûlures internes. Il n'existe pas d'antidote. Deux aspects cliniques peuvent être distingués : l’un convulsivant, l’autre gangréneux. Tous deux laissent des lésions irrémédiables. Les muscles se raidissent, les membres se gangrènent, des plaies purulentes et nauséabondes apparaissent sur la peau. Le toxique provoque chez le malade un état hallucinatoire proche de la démence. « Le mal commençait par une tâche noire ; cette tâche s’étendait rapidement causant une ardeur insupportable, desséchait la peau, pourrissait les chairs et les muscles qui se détachaient des parties osseuses et tombaient par lambeaux. Feu dévorant, il brûlait petit à petit et enfin consumait ses victimes sans qu’on put apporter de soulagement à leurs souffrances. Plusieurs d’entre eux éprouvaient ses plus cruelles atteintes dans l’espace d’une nuit ; s’ils ne mourraient pas au bout de quelques heures ». Sigebert de Gembloux. 44 Face à ce mal terrifiant, la croyance en la puissance miraculeuse d’un Saint, et plus particulièrement en celle de Saint Antoine, demeure pour de nombreux malades le seul recours. Saint Antoine Saint Antoine anachorète (251 – 356) s'est retiré au désert en Egypte où il vécut en solitaire jusqu'à l'âge de cent ans passés. L'ordre des Antonins est spécialisé dans l'accueil des personnes atteintes de maladies contagieuses. Au fil des siècles, il est devenu dans toute la chrétienté un saint guérisseur. On l'invoquait contre le mal des ardents, la peste, la lèpre, la gale, les maladies vénériennes... Son pouvoir guérisseur passait pour toucher aussi les animaux, notamment les porcs. Dans la statuaire, il est représenté vêtu de la robe de bure des Antonins, portant le tau (bâton en forme de T). Il est accompagné d'un cochon, son attribut privilégié En 1596, à la faculté de médecine de Marbourg en Allemagne, on découvre l’origine du mal, le seigle ergoté, mais sans pouvoir proposer de traitement. On trouvera beaucoup plus tard que le mal des ardents est secondaire à une intoxication par la Di Hydro Ergotamine + La peste fit son apparition en 1347 au siège de Caffa en Crimée. Décimés par la peste, les assiégeants ne purent prendre la ville, mais avant de se retirer ils catapultèrent les cadavres de leurs morts dans la cité. En moins de deux ans, le fléau se répandit à travers l’ensemble de l’Europe. En France, la peste débarqua à Marseille avec des marins contaminés, et gagna rapidement le nord de l’Europe. La même année Paris était touchée. D’abord décrite sous sa forme pulmonaire (Marseille et Avignon), c’est sous sa forme bubonique qu’elle gagne le nord du royaume de France et l’Angleterre. 45 Peste bubonique, dite la mort noire Cheminement de l’épidémie En l’espace de cinq ans, il y aura 25 millions de morts, soit le quart de la population. La mortalité est certes non homogène (des villages entiers disparaissent alors que d’autres ne perdent que 10% de leur population), mais suffisante pour marquer profondément les survivants. Procession, pieds nus pour repousser la peste Si le caractère épidémique de cette maladie est rapidement reconnu, le vecteur de sa propagation ne sera identifié que beaucoup plus tard (Le germe par Yersin en 1891, et la puce du rat par Simond en 1898). On pense alors que la propagation est le fait d’effluves « pestilentielles ». Le mot empesté vient d’ailleurs de cette notion. Aucun traitement n’étant connu, on brûle des herbes odoriférantes pour purifier l’air, on prie, on organise des processions. 46 Ensevelissement des morts à Cambrais pendant l’épidémie de peste Ramassage des pestiférés Les terres, les fortunes, le pouvoir changent de mains, la société décimée se trouve dans l’obligation de parer à l’essentiel. De vastes étendues de terre sont en jachère, des professions ont pratiquement disparues, la natalité est effondrée, les femmes sont amenées à réaliser des travaux d’homme. Perçue comme une punition divine, un vaste mouvement de rédemption voit le jour, tandis que la médecine et les médecins sont déconsidérés. Tenue médicale de protection contre les pestilences Les médecins ne portent pas encore le fameux costume avec « bec d’oiseau » qui ne sera inventé qu’en 1619 à Paris par Charles de Lormes lors de la nouvelle épidémie de peste. + La lèpre existait déjà sous forme endémique en Europe bien avant le retour des croisés de terre sainte. Retour des croisés 47 Cependant, le retour d’un nombre important de malades accrut le développement de la maladie qui se transforma rapidement en pandémie. Le diagnostic de lèpre était établi par un tribunal mixte, laïc et religieux. Pestiféré muni de sa Crécelle Léproserie du 13ème siècle Le sujet considéré comme atteint, le ladre, était immédiatement exclu de la société et soit enfermé dans des léproseries (ou maladrerie de Saint Lazare qui donnera le nom de lazaret à ces établissements), dont le nombre augmenta de façon exponentielle à cet époque, soit obligé pour sortir, de se vêtir d’une robe rouge, de se coiffer d’un chapeau à large bord et de se munir d’une crécelle qu’il se devait d’actionner pour prévenir les populations. Il leur était interdit de marcher pieds nus, de puiser l’eau dans un puit ou de se baigner dans une rivière pour éviter la contagion. + Les écrouelles, adénite cervicale tuberculeuse chronique, étaient particulièrement fréquentes dans les couches de population misérable des grandes villes. Le Roi le touche, Dieu le guérit Le roi de France, le jour de son sacre touchait les écrouelles qu’il avait, par la grâce de Dieu, le pouvoir de guérir. De très nombreuses représentations de ces guérisons miraculeuses existent dans les manuscrits moyenâgeux. 48 Saint Louis touchant les écrouelles = Psychiatrie La prise en charge des troubles mentaux se résume à la plus simple expression. Le débile mental, le simplet du village, s’intègre dans la société sans qu’aucun traitement ne soit envisagé. Prenant en compte la parabole de Jésus, « Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur est ouvert », les familles pensent qu’avoir un enfant débile porte chance. Il n’en est pas de même de l’épileptique ou du schizophrène dont le comportement inquiète et laisse penser qu’il sont envoûtés ou possédés par le démon. L’exorcisme peut alors leur être appliqué. Extraction de la pierre de folie La folie et les troubles du comportement relèvent d’un autre type d’interprétation, surtout si des céphalées sont associées aux manifestations démentielles ; on pratique alors l’extraction de la « pierre de folie ». Cette intervention est réalisée avec un trépan, elle est sensée laisser s’échapper le mal et soulager le patient. Le praticien porte sur la tête un entonnoir symbole de la communication entre son esprit et les puissances divines. Ce symbole deviendra plus tard celui de la folie. Aucun traitement ne sera appliqué à Charles VI dont la folie s’est manifestée le 4 Août 1392 à la tête de son armée, sinon des diètes, des prières et des distractions (création du jeu de carte). 49 Première crise de folie du Roi Charles VI En traversant la forêt du Mans par une chaleur épouvantable, le roi est apostrophé par un ermite qui lui prédit de grands malheurs. Quelques instants plus tard, le roi est pris d’une crise de démence et il tue plusieurs de ses hommes d’arme. Ramené à Paris, le roi sera jusqu’à la fin de sa vie sujets à de brusques crises de folie entrecoupées d’épisodes de profonde dépression. = L’exercice de la médecine La médecine est exercée par trois catégories de praticiens, les médecins civils, peu nombreux qui avaient fréquenté les universités de Montpellier ou de Paris, les moines, formés dans les couvents à la lecture des ouvrages latins et grecs, et les médecins juifs, plus libres de leur pensée, à qui l’on doit le développement et la mise en circulation des ouvrages et des concepts véhiculés par la médecine arabe. Les médecins et les chirurgiens sont alors regroupés en corporation. Les barbiers chirurgiens et les arracheurs de dents forment une corporation autonome (elle-même divisée en deux suivant la formation ou non du praticien), distincte des médecins et des apothicaires (souvent associés). Dans les campagnes, les rebouteux, sorciers et guérisseurs assurent la majorité des soins. Le diagnostic est emprunt de mysticisme. L’horoscope sert parfois autant que l’observation clinique pour déceler les troubles du microcosme organique. Beaucoup de pratiques symboliques s’installent, on récite des prières, on psalmodie des litanies, on défile en processions… Les traitements relevaient du chirurgien (saignée, purge, cautérisation…) du médecin et de l’apothicaire, lui-même parfois alchimiste. Les remèdes de « bonne fame* » sont administrés par les meilleurs d’entre eux. *de fama, fameux, qui par déformation donnera l’expression de « bonnes femmes », c'est-à-dire simple, transmis de générations en générations et susceptibles d’être administrés par la mère de famille. = Hôpitaux Les hôpitaux, apanage des ordres religieux (on parle alors d’hôtel Dieu) sont créés et dirigés par des bénédictins, des hospitaliers (ordre crée en 1099 lors des croisades), des ursulines… 50 Salles d’Hôpital au moyen âge Cependant, les communes commencent à créer leur propre maison d’accueil et de soins dont elles assurent la gestion, mais confient aux ordres religieux le fonctionnement infirmier. Hôtel Dieu de Beaune Salle de l’Hôtel Dieu de Beaune L’hôtel Dieu de Beaune, totalement restauré, donne une idée assez précise du fonctionnement d’un hôpital au moyen âge. Les salles sont communes, les lits clos peuvent accueillir plusieurs patients dont les affaires sont remisées dans un coffre au pied du lit. L’hospice dispose d’une apothicairerie et d’une chapelle (le spirituel reste indissociable du profane). Les substances médicamenteuses sont conservées dans des bocaux, scellés à la cire, les « albarelli ». Une vaste buanderie permet le lavage des draps et des pansements. Les déjections fécales urinaires et autres sont jetées par une trappe située au centre de la salle, dans un ruisseau qui passe sous l’édifice (Ce ruisseau coule ensuite à ciel ouvert dans la ville). A l’hôtel Dieu de Paris, qui se 51 trouvait à l’époque en bord de Seine, en face de l’actuel bâtiment, les draps étaient lavés dans les cagnas, (ouvertures voûtées donnant directement sur la Seine en amont de la pompe à feu de la Samaritaine qui puisait l’eau de la rivière pour alimenter les fontaines de la capitale). Ce système moyenâgeux se prolongea jusqu’à la démolition de l’ancien Hôtel Dieu, au 19ème siècle, et contribua à la rapide expansion du choléra dans la capitale. Les cagnas de l’ancien hôtel Dieu de Paris. La gravure de droite montre des étudiants volant des cadavres pour réaliser des autopsies. D’autres villes moyenâgeuses sont beaucoup mieux dotées en hôpitaux. Au 14ème siècle la ville de Florence (170 000 habitants) compte ainsi 30 hôpitaux (pour un total de 1000 lits). Le corps médical y est également très développé 60 médecins et chirurgiens et une centaine d’apothicaires. = Ouvrages médicaux Il faut attendre le 13ème siècle pour que des ouvrages médicaux commencent à être rédigés. Il s’agit souvent de documents encyclopédiques regroupant à la fois les connaissances médicales et chirurgicales. = Guillaume de Saliceto (1210-1280) Etudiant, puis enseignant à Bologne, G. de Saliceto fût, en 1275, l’un des premiers à rédiger un ouvrage consacré à la chirurgie (Cyrurgia). Ce traité, accompagné de descriptions anatomiques, se présente comme un véritable cours de dissection. Outre la qualité artistique des gravures qui contraste avec les représentations anatomiques de l’époque, Cyrurgia se caractérise par sa modernité. Guillaume da Saliceto 52 Les représentations des organes tels qu’ils apparaissent au praticien et la description des gestes chirurgicaux à accomplir, constituent une approche didactique remarquable qui fit de ce livre le plus important traité de chirurgie du 13ème siècle. Bien que rudimentaire, on décrivait à l’époque 202 os, 15 muscles et 75 nerfs, dont 7 crâniens, cet ouvrage est le premier à associer anatomie et geste chirurgical. = Lanfranc (1265 ?-1315). Cet auteur, clerc et médecin reconnu de ses contemporains, est à l’origine de deux traités de chirurgie, la grande et la petite chirurgie. Dans ces ouvrages, il insister sur l’importance de rapprocher médecins et chirurgiens, séparés par des querelles permanentes de préséance (pour bien exercer il faut connaître ces deux sciences). Il faudra attendre pratiquement 500 ans pour que ce vœu se réalise. Autopsie = Albert de Bollstaedt, dit le grand (1206-1280) Etudiant à Padoue, Albert le grand entra dans les ordres cloîtrés où il acheva ses études en philosophie et théologie. Albert le grand Bien que non médecin, il est à l’origine d’un traité de physiologie animale et humaine. Maître en théologie, il influença beaucoup le courant médical du 13ème et 14ème siècle en prêchant le « tout est 53 contenu dans le germe de vie, seul Dieu est susceptible d’évolution ». Relayé par son disciple Saint Thomas d’Aquin, il contribua d’une certaine façon à la stagnation de la recherche médicale. = Barthélemy l’Anglais Cet auteur anglo-saxon rédigea au début du 14ème siècle une encyclopédie regroupant les connaissances scientifiques et médicales de son époque. Traduit en français par Jean Corbichon à la demande du roi Charles V qui possédait une bibliothèque remarquable et encourageait les arts et les sciences, cet ouvrage eut un succès considérable. Livre de Barthélemy Jean Corbichon remettant la traduction du livre de Barthélemy en français au Roi Charles V en 1372 Enrichie de nombreuses illustrations, la partie médicale traite à la fois de l’éthique professionnel, du diagnostic (une gravure représente un toucher rectal), de la thérapeutique et de la chirurgie notamment en ce qui concerne les fistules anales. = Guy de Chauliac (1298-1368) Guy de Chauliac exerce à Montpellier au milieu du 14ème siècle. Il est l’auteur d’un traité de chirurgie « Chirurgica Magna » (grande chirurgie ou Guidon), traduit en français chez un éditeur lyonnais (1363). Plus important traité de chirurgie jusqu’à Ambroise Paré, cet ouvrage fera l’objet d’annotations, de références et d’édition jusqu’au début du 18ème siècle. Pour la première fois, les instruments de chirurgie sont dessinés avec précision (lancettes, bistouris, scalpels). 54 Instruments de chirurgie Guy de Chauliac est également un des premiers à décrire et à classer les maladies de la peau. Dans « La grande chirurgie » il consacre plusieurs chapitres au phlegmon, érysipèle, œdème, herpès, anthrax, charbon ; squirres, écrouelles… Principales universités italiennes au moyen âge et à la renaissance Florence Rome Bologne Padoue Salerne Si le haut moyen âge peut être considéré comme une période de stagnation, et même de régression dans le domaine médical, les 13ème et 14ème siècles voient renaître, grâce à la création des universités, et notamment de celle de Montpellier en France, une culture médicale descriptive et encyclopédique préparant l’éclosion de la renaissance. L’invention de Gutenberg sera, comme pour toutes les autres sciences, le point de départ de l’expansion médicale en Europe 55 LA RENAISSANCE Après 1000 ans de plomb, 100 ans de grâce La renaissance est l’expression scientifique, artistique et philosophique d’une révolution qui s’éloigne de Dieu et du ciel pour se consacrer à l’homme et à son environnement immédiat, la nature. L’observation remplace l’intuitif ou le révélé, la méthode expérimentale et l’empirisme s’imposent comme technique moderne de réflexion. L’art, qu’il soit graphique ou médical, est anthropocentrique et le Dieu de Michel Ange au plafond de la chapelle Sixtine règne autant sur les corps dénudés que sur les âmes. La création de l’homme L’illustration et l’imprimerie donnent accès à une connaissance qui pourra désormais sortir des scriptorium monastiques et représenter l’homme tel qu’il est, et non tel qu’il doit être. Les tabous tombent, la nature anatomique féminine ou masculine des représentations picturales, sculpturale ou physiologique, est exposée dans sa réalité crue. La représentation des gisants de Catherine de Médicis et d’Henri II en est un exemple presque caricatural. Les muscles saillants, la rigidité cadavérique, la tête rejetée en arrière, les bras non repliés sur le thorax, la crispation des mains sont ceux d’un mort et non d’un roi. Transi de Henri II Transi de Catherine de Médicis Le médecin de la renaissance est, à l’image de Montaigne et de Rabelais, un humaniste. Les premiers d’entre eux sont italiens (bien que ce terme moderne n’ait pas beaucoup de sens à la renaissance). Un des premiers d’entre eux, Niccolo Leoniceno (1428-1524) est originaire de Padoue où il enseigne et traduit les ouvrages de Galien et d’Hippocrate. 56 Niccolo Leoniceno (1428-1524) En Angleterre, Thomas Linacre (1460-1525), médecin du roi Henry VIII, est lui aussi originaire de Padoue. Son enseignement correspond à une quintessence des textes anciens, revisités par les maîtres de Padoue, Bologne ou Naples. Thomas Linacre Tout se passe comme s’il existait désormais un trait d’union direct entre l’antiquité et les modernes. Les traductions sont reprises, tandis que les recopiages monastiques, sources de nombreuses erreurs, sont abandonnés dans les bibliothèques. Rabelais (1485-1553), diplômé à Montpellier, publie à Lyon en 1531, l’Hippocratis ac Galeni libri aliqot ex recognititioni Francisci Rabelaesis qui expose l’ensemble des connaissances médicales de son époque. François Rabelais Erudit, parlant le latin, le grec, le français, l’espagnol, l’allemand et même l’hébreu, François Rabelais fut envoyé en mission à Paris par ses condisciples de Montpellier pour régler un problème 57 de privilège et d’autonomie de l’Université (déjà). Ayant été évincé par le chancelier Duprat, il se déguisa, « fit le fol » devant l’hôtel du cardinal et se mit à répondre successivement en toutes les langes aux questions qu’on lui posait. Le Cardinal, intrigué par cet énergumène qui se disait « écorcheur de veaux » finit par le recevoir et lui accorda tout ce qu’il demandait. Rabelais est l’inventeur du syringotome destiné à débrider les hernies intestinales, et du glossocomion pour la réduction des fractures de la cuisse. Ce renouveau philosophique et artistique concerne toutes les branches de la médecine, la physiologie, le diagnostic, la thérapeutique et l’anatomie qui bénéficie de la multiplication des dissections (en générale des autopsies de pendus ou autres suppliciés). Rabelais écrivit à ce sujet « Par fréquentes dissections acquiers toi la parfaite «cognoissance» de l’autre monde qui est « l’homme ». Les humeurs hippocratiques, oubliées depuis l’antiquité, sont remises à la mode et au centre des réflexions étiologiques (Notamment par les alchimistes au premier rang desquels figure Paracelse). Elles resteront le primum movens de la réflexion médicale jusqu’au 18ème siècle. La médecine devient universelle et scientifique. On abandonne la divination, pour établir le diagnostic, la pathologie, bien que toujours microcosmique, répond à des réalités anatomiques et physiologiques, le traitement est plus souvent le résultat d’études expérimentales. L’enseignement est à la fois public (université) et privé dans des collèges. Le collège de Francen créé en 1530 par François premier, ouvre en 1542 une chaire de médecine. C’est dans cette optique que Jean Fernel (1497-1588), étudiant, puis enseignant à Paris, rédige le traité de « Médecine universelle » qui pour la première fois sépare anatomie, physiologie et pathologie. Jean Fernel (1497-1588) 58 Les distinctions entre l’anatomique (structure de base), le physiologique (comment cela fonctionne) et le pathologique (problème de fonctionnement) constituent la pierre angulaire du future édifice scientifique médical. Grâce à cette nouvelle conception, véritable rupture avec les anciens, l’étude des pathologies et de leurs traitements s’inscrit dans une dynamique scientifique qui trouvera son apogée au 19ème siècle. Jean Fernel, médecin de Diane de Poitiers (Maîtresse de François 1er et d’Henri II), consacre dans son ouvrage « La Pathologie » plusieurs chapitres à la gangrènes, aux abcès, aux taches cutanées, aux ulcères… et tente pour la première fois une classification étiologique en différenciant les tuméfactions (élevures) provenant du sang (phlegmon, phyma, charbon, furoncle, thymate, épinnyctis…) et ceux ayant pour origine la pituite* (squirre, ganglions, cancer, polype, écrouelles, varices, anévrismes….). * Pituite vient de pituita, mucosité. A cette époque il s’agit de tous les liquides non identifiés, plus ou moins épais, qui semblaient pouvoir être à l’origine des « élevures » (tuméfactions). Anatomie et physiologie L’anatomie, très sommaire au moyen âge, tant sur le plan des connaissances que sur celui de la représentation graphique, prend, à la renaissance une dimension nouvelle. La redécouverte de la statuaire grecque, l’expansion extraordinaire du dessin et de la peinture, la réalisation d’autopsies, même en l’absence d’autorisation, sont autant d’éléments propres à la réhabilitation de l’art d’après nature, que le modèle soit examiné de l’intérieur (squelettes, coupes anatomiques, myologie…) ou de l’extérieur. Le chirurgien redevient par excellence l’arkhitektôn grec, c'est-à-dire l’architecte, l’artisan, l’artiste, le technicien et enfin le médecin (tektôn). Léonard de Vinci et Ambroise Paré sont tout à la fois artiste, physiologiste pour l’un et chirurgien pour l’autre. La physiologie progresse par l’observation. On suit les nerfs, les artères, les veines, la moelle épinière, leur dessin est précis et permet d’envisager le fonctionnement des premiers mécanismes physiologiques. Les os et les muscles, encore à l’état d’ébauche au moyen âge, sont maintenant parfaitement recensés et identifiés. La chirurgie s’appuie désormais sur des connaissances anatomiques de bonne qualité. On invente de nouveaux matériels (bistouris, scies, trépan, pinces à hémostase, orthèses…). Toutes les disciplines chirurgicales progressent, la chirurgie orthopédique (fractures, luxation, amputation, extraction de balle…) la chirurgie viscérale (extraction de calculs vésicaux, cautérisation de plaies, hémostases vasculaires avec les premières ligatures…), la chirurgie de l’œil (l’intervention de la cataracte est bien codifiée et parfois couronnée de succès), la chirurgie obstétricale*. • On raconte à ce sujet que la première césarienne aurait été le fait d’un suisse, éleveur de porcs, qui ayant l’habitude de châtrer ses animaux, réalisa une césarienne chez sa femme Elisabeth Nüfer. Celle-ci survécut à l’intervention (1500) et eut même après, plusieurs grossesses non pathologiques. La première description de l’intervention est réalisée par François Rousset, chirurgien en Avignon vers 1581. + Vidange de la vessie avant l’intervention, + lncision paramédiane, + Utilisation de deux types de bistouris : l’un " rasoir à pointe ", l’autre " rasoir à bouton " pour ne pas blesser le bébé, + Ne pas suturer l’utérus (auto rétraction), + Drainage de l’utérus et mise en place d’un pessaire en cire, + Fermeture de la paroi abdominale. 59 Au tout début du 17ème siècle, Shakespeare fait naître son héro MacDuff (celui qui tuera Macbeth) par césarienne (scène XXV), « Mac Duff a été arraché du ventre de sa mère avant terme ». L’intervention était donc déjà bien connue et il était possible de survivre. = Léonard de Vinci (1452-1519) Léonard de Vinci est, comme son nom l’indique, originaire de Vinci en Italie. D’abord élève de Verrocchio (1470-1482), il travaille pour Ludovic le More à Milan et la république florentine (1482-1512). Il gagne la France et se met sous la protection et au service du jeune Roi François premier jusqu’à sa mort en 1519. Léonard de Vinci n’était pas médecin mais curieux de tout, y compris de physiologie et d’anatomie. Au-delà de la nécessité de représenter dans l’art pictural qui était le sien, les formes de ses modèles. Léonard de Vinci poussa plus loin l’étude des muscles, des os et même du système vasculaire. Léonard de Vinci Initié à la dissection, il représenta dans plus de 750 dessins et schémas l’ensemble du corps humain. Les qualités scientifiques et artistiques de ces dessins, abondamment annotés, font de Vinci, au même titre que Vésale, un précurseur des grands anatomistes du 19ème siècle. Muscles de l’épaule et du cou Myologie du dos et des membres inférieurs 60 Malgré la précision de ses travaux anatomiques, Vinci commit quelques erreurs qui mirent plusieurs années pour être redressées. Ainsi, confondant les nerfs honteux internes et les canaux spermatiques, il pensait que le sperme provenait de la moelle épinière (Cette jonction avec le système nerveux pouvant expliquer le plaisir sexuel). Il meurt sans sa demeure du Clos Lucé, à Amboise, vénéré de François premier. Mort de Léonard de Vinci = André Vésale (1514-1564) Né à Bruxelles, Vésale entamera ses études médicales à Paris avant d’être dans l’obligation de quitter cette ville (guerre entre la France et le Saint empire germanique). Il achèvera ses études à Padoue où il enseignera l’anatomie et la chirurgie. André Vésale Vésale, par sa qualité d’observateur et d’illustrateur peut être considéré comme le plus grand anatomiste de la renaissance. Dans De humani corporis fabrica (1543) son œuvre maîtresse, la qualité de ses planches anatomiques, réalisées organe par organe (muscles, vaisseaux, nerfs, os…) est telle 61 qu’il pourrait être possible de les utiliser pour apprendre l’anatomie de nos jours. La qualité du dessin, les annotations, les légendes et les discussions sur les variabilités individuelles donnent à l’ensemble une qualité didactique incomparable. Vésale, Scène de dissection De humani corporis fabrica André Vésale, dépoussiéra les documents servant de référence, notamment ceux de Galien, et établit chaque fait nouveau à partir de dissections d’une extrême précision. Son œuvre, réalisée avec les meilleurs graveurs de son temps (Jean Stephan van Calcar) recouvre toutes les branches de l’anatomie y compris les organes internes dont les rapports les uns avec les autres sont traités avec une très grande minutie. = (1523-1562) Gabriello Fallopino Gabriello Fallopino, médecin à Padoue, a étudié l’anatomie et plus particulièrement celle des organes génitaux féminins. Il a laissé son nom aux trompes dites de « Fallope »qu’il a décrites pour la première fois. 62 Gabriello Fallopino Chirurgie La chirurgie de la renaissance est exercée par des : des chirurgiens en robe longue, appartenant au collège de Saint Côme et des chirurgiens en robe courte, uniquement destinés à la petite chirurgie (pansements, saignées…). Les conflits avec l’Université, très dogmatique et où l’enseignement est prodigué en latin, sont permanents avec le monde de la chirurgie, moins théorique et surtout confronté aux données de terrains pendant les guerres. Un nom domine la chirurgie de la renaissance, celui d’Ambroise Paré. = Ambroise Paré (1510-1590) « Je le pense, Dieu le guérit » Né à Laval, Ambroise Paré est le plus emblématique des chirurgiens de la renaissance (en France, plusieurs centaines de cliniques chirurgicales portent encore son nom). Ambroise Paré Chirurgien de quatre rois de France (Henri II, François II, Charles IX et Henri III), Ambroise Paré a connu la célébrité de son vivant. Garçon barbier à Laval, il gagne Paris et entre à l’Hôtel-Dieu en 1533 pour trois années. Avant de passer son diplôme de barbier chirurgien, il décide de suivre les armées françaises en Italie (campagne du Piémont de 1537). Médecin militaire de fait, il s’interroge sur les surinfections des plaies traitées à l’époque par application d’huile brûlante. 63 L’histoire raconte que lors d’une bataille, Ambroise Paré se trouva dépourvu d’huile bouillante utilisée pour cautériser les plaies (les plaies par le fer ne peuvent être traitées que par le feu disait-on). Il continua néanmoins à traiter les blessés par simple nettoyage des lésions et pose de pansements. Les jours suivants, il eut la surprise de constater que les patients « non traités » guérissaient mieux. Il en conclut que l’huile bouillante utilisée aggravait la blessure par brûlure, provoquait une inflammation des tissus et donnait de la fièvre au blessé. Cette technique fut rapidement abandonnée. Le premier, il invente un baume adoucissant à base d’huile qui présente le triple avantage de limiter les douleurs de la cautérisation, de diminuer le risque d’infection et d’éviter le délabrement des plaies par brûlure (La mixture anciennement utilisée s’appelait « huile des petits chiens » du fait de sa composition). En diminuant la part du mélange revenant au chien, et en augmentant la térébenthine et l’alcool (de l’eau de vie), Paré améliora les effets bénéfiques du baume qui se présentait sous forme d’une émulsion (c’est Paré qui en 1560 utilise ce terme pour la première fois). C’est également lui qui « ose » la première ligature artérielle en remplacement de la cautérisation au fer rouge (Un doute subsiste pour cette première intervention vasculaire avec Celse au 1er siècle). On raconte à ce sujet, qu’un gentilhomme, blessé à la jambe d’un coup de couleuvrine, devait être amputé. Ce type d’intervention se terminait le plus souvent par une hémorragie massive et la mort du patient. La pratique voulait que l’hémostase soit réalisée au fer rouge. Alors qu’il avait déjà scié l’os, et que les fers étaient prêts, Ambroise Paré se munit d’un bec de corbin (ou bec de corbeau, pince recourbée en forme de bec, utilisée depuis la moitié du 15ème siècle), d’une aiguille et de fil, et réalisa une ligature des gros vaisseaux (artères et veines).Le gentilhomme survécu. Nommé chirurgien ordinaire du roi Henri II en 1554, il s’installe à Paris dans une maison démolie lors de la création de la place Saint Michel, c'est-à-dire à mi distance de l’Hôtel-dieu et de la faculté de médecine. Malgré son absence de culture latine, il est nommé chirurgien de Saint Côme (On raconte que Paré eut cette promotion grâce à un jury complaisant qui lui avait préalablement fourni les questions et les réponses en latin). Son travail est résumé en 1575 dans ses œuvres complètes à partir des travaux et des publications réalisées pendant plus de trente ans (traitement des plaies occasionnées par les « bâtons à feu » en 1545, traité d’anatomie, traité d’obstétrique, 17 livres de chirurgie, un traité sur les maladies infectieuses…). Prothèse de jambe Prothèse de bras 64 Comme chirurgien de guerre, A. Paré améliore les techniques d’amputation et dessine des modèles de prothèse pour la jambe, la main et le membre supérieur. Les dessins de prothèse articulés proposés par Ambroise Paré sont étonnamment modernes. On lui doit de nombreux traités de chirurgie portant sur le traitement des fractures et des luxations. Reconnu de son vivant, Paré eut autant de cadavres à disséquer qu’il le souhaitait. Il gardait chez lui le corps d’un supplicié embaumé et disséqué à moitié qui lui permettait de vérifier l’anatomie avant d’inciser un patient. Outres ces traités, qui recouvrent la totalité des connaissances de son temps et de ses découvertes propres, Paré démystifie l’utilisation de la poudre de « mumie » soit disant extraite de momies égyptiennes, combat la castration testiculaire dont les indications multiples étaient pratiquement toutes injustifiées, réfute les préparations à base de corne de licorne (rostre du narval) sensées donner pureté et longévité. Homme de science, bien que non latiniste, Paré au cours de sa vie trépidante et mouvementée, placera toujours l’observation comme principe, l’expérience comme nécessité et luttera contre les croyances et les coutumes sans fondement scientifique. Ambroise Paré opérant Prothèse de main Parmi ses patients célèbres on retiendra : Le Duc de Guise, blessé à la joue par une lame à Boulogne (appelé depuis cette date le balafré). S’étant armé d’une tenaille de maréchal ferrant il plaça son talon sur la tête du patient et réussi à extraire le morceau de lance du maxillaire. Un vassal du Duc de Savoie qui souffrait d’un ulcère de la jambe, guérit grâce aux soins avisés de Paré. Devant ce succès le Duc de Savoie voulut s’attacher Paré qui refusa. Le Roi Henri II décède en 1559 d’un coup de lance dans l’œil droit à la suite d’un tournoi. La blessure est extrêmement délabrante (la lance est ressortie par l’oreille) mais le roi reste conscient. Ambroise Paré se contente d’extraire quelques esquilles de bois par le nez et de couper dit-on, de la matière cérébrale au niveau du temporal. Pour aider le chirurgien on décapitera des condamnés à qui on enfoncera des « trouzzons » dans l’œil droit afin d’étudier les lésions produites. Le roi mettra trois jours à agoniser. Le Roi François II, mort d’une mastoïdite à Orléans (1561). Le Roi Charles IX qui agonisa sans diagnostic précis semble t-il. 65 La nuit de la Saint Barthélemy (du 23 au 24 Août 1572), il soigne le Maréchal de Coligny, victime d’un attentat, puis s’enfuit par les toits (il est alors âgé de 62 ans). Au cours de ces journées sanglantes, il soignera les blessés des deux camps sans distinction de religion. Le Roi Henri III, assassiné d’un coup de couteau dans l’abdomen par le moine Clément. = Gasparo Tagliacozzi (1546-1599) Gasparo Tagliacozzi est originaire de Bologne. C’est dans cette ville qu’il devint docteur en médecine et qu’il exerça l’anatomie. Gasparo Tagliacozzi Brillant anatomiste et chirurgie, Tagliaccozzi fut le premier à réaliser une rhinoplastie grâce à un lambeau de chair décollé du bras et maintenu dans position pendant trois semaines sur la région à greffer. Dans son célèbre ouvrage, rehaussé de gravures sur bois, (De cutorum chirurgia per insectionem Libri Duo), il décrit ses techniques chirurgicales, utilisables pour le nez et les oreilles. Dessins extrait de De cutorum chirurgia per insectionem Libri Duo Jalousé, et combattu par Ambroise Paré et Fallopino, il fut adulé par ses patients, (surtout des nobles mutilés à la guerre). A sa mort, Tagliacozzi fut inhumé dans un couvent de Bologne mais, une sœur ayant entendu la nuit des bruits de chaînes qui de toute évidence ne pouvaient provenir que des puissances 66 infernales, le clergé instruisit un procès en sorcellerie à celui qui était intervenu contre les desseins divins en réparant ce que Dieu avait mutilé. Exhumé du couvent, et enterré à l’extérieur de la ville, il fallut toute la puissance des princes de Bologne pour réhabiliter Tagliacozzi et réinhumer sa dépouille dans son tombeau initial. Premier rhinoplasticien, sa technique sera aménagée et améliorée, mais sera toujours d’actualité pendant la grande guerre de 14-18. Les techniques utilisées pour traiter les « gueules cassées » dérivent en presque totalité de ses découvertes. Pharmacologie La pharmacologie du début du 16ème siècle reste encore très imprégnée des recettes des siècles précédents. On utilise les herbes cultivées dans les monastères et les « simples » que l’on récolte dans la nature proche (variables suivant les régions). Quelques matières minérales figurent dans la pharmacopée (antimoine, soufre…) avec des extraits animaux (graisse de jeune chien, bile, os râpé...). Au début du siècle un homme étonnant, controversé par beaucoup et admiré par d’autre, va, par sa libre pensée et son attachement à l’alchimie, redynamiser les préparations magistrales au point que certains lui reconnaîtront le titre de père de la pharmacopée moderne. = Paracelse (1493-1541) Paracelse, de son vrai nom Théophraste Bombastus von Hohenheim, naît à Zurich en 1493. Sa mère, d’origine suisse, est intendante de l'hospice d'Einsiedeln. Son père est chimiste et médecin. Adolescent, il travaille dans des mines proches comme mineur, puis comme chimiste à l'école des mines de Villach où l’on extrait le fer, le plomb et le cuivre... Cette expérience marquera à tout jamais son activité scientifique. Il suit ses études à Bâle, à Viennes puis en Italie et est diplômé en médecine de l’école de Ferrare en 1516, il n’a que 23 ans. Il choisit pour patronyme "Paracelse", peut-être en référence à Celse, célèbre médecin romain du 2ème siècle. Paracelse Alterius non sit qui suus esse potest. « Qu’il n’appartienne pas à autrui, celui qui peut s’appartenir à lui-même » Grand voyageur européen, Paracelse est moderne dans ses critiques, mais étrangement attaché à l’astrologie et à l’alchimie. Paracelse ne suit pas les doctrines classiques, il est arrogant et s’attire ainsi l’hostilité de ses confrères européens. En mars 1527, peut-être grâce à l'intervention d'Érasme dont il a sauvé un ami malade du foie, il est nommé médecin municipal et professeur de médecine à l'Université de Bâle. En 67 moins d’un an, il s’attirer la vindicte de ses collègues par ses déclarations et ses enseignements dont l’originalité dérange. Bien qu’Admirateur d’Hippocrate, il adresse à ses collègues une sorte de proclamation incendiaire fustigeant les doctrines classiques latines et médiévales. « Qui donc ignore que la plupart des médecins de notre temps ont failli à leur mission de la manière la plus honteuse, en faisant courir les plus grands risques à leurs malades ? Ils se sont attachés, avec un pédantisme extrême, aux sentences d'Hippocrate, de Galien et d'Avicenne (...) J'enseignerai pendant deux heures par jour la médecine pratique et théorique (...). L'expérience est notre maître d'école suprême - et de mon propre travail. Ce sont donc l'expérience et la raison, et non les autorités [Hippocrate, Galien, Avicenne] qui me guideront lorsque je prouverai quelque chose." La philosophie de Paracelse s’appuie sur les relations intimes unissant le macrocosme (astrologie) à l’équilibre des humeurs (microcosme). Rompant avec la tradition, ce qui fit de lui à cette époque un révolutionnaire, il s’initie aux sciences occultes et notamment à l’alchimie, qu’il pratiqua sa vie durant. Paracelse alchimiste Paracelse, scène de dissection Cette propension à trouver de nouvelles compositions chimiques à base de plantes et de métaux (chacun ayant une référence planétaire) le fit surnommer le « père de la pharmacologie ». Ayant obtenu d’excellents résultats thérapeutiques, sa notoriété s’étendit à toute l’Europe et notamment dans le monde germanique. Astrologue, médecin, libre penseur, alchimiste, il fascina bon nombre de ses contemporains à une époque où l’astrologie (Catherine de Médicis avait son astrologue, Nostradamus) et l’alchimie (Nicolas Flamel est mort en 1418) se libéraient du carcan de l’église. Prônant l’importance de ses propres observations, Paracelse brûlera les ouvrages d’Avicenne et de Galien, montrant ainsi qu’il refusait « l’autorité ». Auteur de théories basées sur l’occultisme (hermétisme et spagirique), il fut violemment combattu au siècle suivant par les disciples d’Hippocrate et notamment par Jean Riolan (1538-1606), adepte de l’histoire naturelle et des observations cliniques. Il utilisera entre autre l’antimoine* contre certaines maladies infectieuses malgré la réputation épouvantable de ce produit. *Le nom de ce métal provenait d’un accident malencontreux survenu au siècle précédent. Un moine, ayant observé que les gorets à qui l’on donnait des compléments minéraux grossissaient plus vite, eut l’idée de donner cette substance à ses condisciples. Les effets désastreux constatés sur ces derniers, donnèrent à ce métal le surnom, puis le nom d’antimoine. 68 Bien que ce produit ne fût autorisé qu’à la moitié du 17ème siècle, grâce aux travaux de Descartes, les alchimistes, et entre autre Paracelse, le fit entrer dans la composition de nombreuses préparations. En 1536, il publie à Ulm « Die grosse Wundartzney » (La grande chirurgie), qui lui permet de retrouver la notoriété. Il meurt, à l’âge de 48 ans, vraisemblablement d'un cancer du foie d’origine toxique (on évoque parfois l’effet toxique du mercure et des autres métaux qu’il a manipulé sa vie durant). = Michel de Notre-Dame (1503-1566) Michel de Notre-Dame, appelé plus tard Nostradamus, fut l’astrologue et le médecin de Catherine de Médicis. Né à Saint Rémy de Provence, le jeune Nostradamus aurait été confié « à l'éducation » de son aïeul Jean de Saint-Rémy, ancien médecin. Nostradamus Très jeune, il part faire ses études à Avignon, où il obtiendra le titre de bachelier es Art, mais il doit rapidement quitter l'université à cause de l'épidémie de peste. Pendant une dizaine d’années, il pratique comme apothicaire, et s'inscrit à la Faculté de Montpellier pour étudier la médecine. Il atteint une certaine notoriété grâce à la mise au point de remèdes, comme les « boules de senteur ». En 1533, il s'établit à Agen, où il pratique la médecine. Il y rencontre Jules César Scaliger, personnage éclectique et révolutionnaire pour l’époque, qui le fera condamner par l’église (tribunal de l’Inquisition de Toulouse) comme charlatan « un mécréant qui sentait le fagot ». Michel de Notre-Dame quitte alors Agen, et réalise un véritable tour de France en passant même par la Belgique et le Luxembourg. Il s’installe finalement en Arles en 1547. C’est dans cette ville qu’il crée un médicament à base de plantes, sensé prévenir la peste, qu’il expérimentera à Aix en 1546. « À la même époque, il commence à publier des almanachs qui mêlent des prévisions météorologiques, des conseils médicaux et des recettes de beauté par les plantes. Il étudie également les astres ». Dès cette période, Michel de Notre-Dame signe ses quatrains du nom de Nostradamus*. *Selon l’Encyclopédie, ce nom n'est pas l'exacte transcription latine de Nostredame, qui serait plutôt Domina nostra ou Nostra domina. En latin correct, Nostradamus pourrait signifier : « Nous donnons (damus) les choses qui sont nôtres » ou « Nous donnons (damus) les panacées » (nostrum, au pluriel), mais il est également permis d'y voir un travestissement macaronique (et très heureux) de Nostredame. Sa renommée est telle que Catherine de Médicis, l'appelle à la cour et le fait nommer médecin et conseiller du roi Charles IX en 1564. Il jouera le rôle d’astrologue auprès de la souveraine. Nostradamus, qui souffrait d’épilepsie, de goutte, et peut être de dyslexie, s’éteint à Salon de Provence d’une insuffisance cardiaque en 1566. 69 Les Prophéties, éditées en 1568, comprennent dix Centuries, (une centurie étant un ensemble de cent quatrains). La première édition compte 353 quatrains, la dernière (posthume), 942. Compte tenu du style symbolique et ésotérique de ces quatrains, de nombreuses interprétations ont été proposées. Le plus célèbre de ces quatrains est certainement celui faisant référence à la mort du Roi Henri II lors d’un tournoi contre le comte de Montgomery. Le lyon ieune le vieux surmontera, (Les deux combattants portaient un lion comme insigne) En champ bellique par singulier duelle, (Le tournoi entre De Montgomery et le Roi) Dans cage d'or les yeux luy creuera, (La visière du heaume d’Henri II était formée d’une cage d’or, la lance brisée de De Montgomery s’insinua dans la visière et pénétra dans l’oeil) Deux classes vne, puis mourir, mort cruelle. (Il agonisa pendant deux jours). Les prédictions de Nostradamus font toujours recette de nos jours dans les journaux spécialisés, dans les horoscopes et l’astrologie. Maladies contagieuses Après la peste du 15ème siècle, c’est la syphilis, ou mal de Naples, qui se développa au 16ème siècle. Rapportée par les marins et les soldats espagnols de Christophe Colomb, au tout début du 16ème siècle, l’épidémie gagna rapidement le royaume de Naples qui employait des mercenaires espagnols pour lutter contre Charles VIII. Au retour, les troupes françaises contaminèrent le reste de l’Europe au point que le mal de Naples devint le morbo gallico, ou mal français. Dès cette époque, la notion de transmission par un facteur trop petit pour être visible fût évoquée par plusieurs médecins dont Girolamo Fracastoro de Vérone dans son Syphilis sive morbus gallicus (1530). Jean Fernel (également médecin de Catherine de Médicis et d’Henri II) suggéra que la gonorrhée et la syphilis, bien que communes dans leur mode de transmission, constituaient deux maladies différentes (prélude aux travaux de Ricord à la fin du 19ème). Dans le domaine médical, la renaissance porte parfaitement son nom. Rompant avec les superstitions moyenâgeuses, ressortant de l’oubli la médecine antique, innovant dans tous les domaines médicaux, elle constitue en l’espace de 50 ans une révolution telle qu’il faudra attendre encore 400 ans pour que les sciences médicales fassent un nouveau bon vers la modernité. Apothicaires Les apothicaires font partie d’une des quatre catégories d’épiciers. Ils seront autonomisés par Louis XII en 1514, qui leur reconnaîtra le droit exclusif de vente des plantes et des remèdes. Ce n’est qu’à partir de cette date qu’une profession paramédicale distincte de la médecine s’autonomisera, quittant pour un temps l’épicerie. La suite montrera que la profession d’apothicaire tendra à s’étioler dès la fin du 19ème siècle, avec l’abandon des préparations magistrales, pour retrouver une fonction de distributeur de spécialité plus proche du commerce de médicament que de celui de concepteur et de préparateur. = Littérateur médecin : Théophraste Renaudot (1586-1653) 70 Né à Loudun, Théophraste Renaudot fait ses études de médecine à l’université de Montpellier, alors ouverte aux protestants. Médecin à 20 ans, il voyage en Europe et s’établit dans sa ville d’origine où il est sensibilisé par les franciscains au problème de la pauvreté. Il fait parvenir au Conseil de Régence dirigée par Marie de Médicis un traité Sur la condition des pauvres, qui lui permit d’obtenir le titre de « médecin ordinaire » du Roi Louis XIII en 1612. Influencé par les franciscains et notamment le père Joseph, prédicateur exalté, il se convertit au catholicisme et entre un Conseil de Richelieu. Vers 1630, il ouvre un « bureau d’adresses », premier type d’ANPE connue, destiné à accueillir offres et demandes d’emplois, pour aider les pauvres et les vagabonds. Le succès fut important puisqu’en en 1633, une ordonnance contraignit tous les sans emplois à s’y inscrire. Cette mesure fut accompagnée de la création du premier journal d’annonces : la Feuille du bureau d’adresses. Parallèlement à cette publication, Renaudot lance en 1631 la Gazette, premier hebdomadaire, tiré à quelques milliers d’exemplaires, destinée à relater les nouvelles « ordinaires de divers endroits » . A cette publication s’ajoutera bientôt (1634) les « Extraordinaires », donnant des détails sur les événements les plus important du royaume. La Faculté, toujours prompte à juguler la réussite d’un médecin hors de son orthodoxie, obtint, après la mort de Richelieu et de Louis XII, ses deux protecteurs, l’interdiction des consultations médicales et des conférences dans son bureau d’adresses, qui fermera en 1646. La Gazette survécut à son décés, grâce à la confirmation de ses fils par Mazarin. Un 1926 un groupe de journalistes crée le Prix Renaudot qui est attribué le même jour que le prix Goncourt, le premier mardi de Novembre. 71 DE LA RENAISSANCE AUX LUMIERES Le 17ème siècle apparaît comme un siècle de consolidation des connaissances acquises pendant la période foisonnante de la renaissance. Si en sciences, l’expérience et la démarche scientifique commencent à se développer, en médecine on reste très attaché aux notions hippocratiques et aux théories de Galien. La nouvelle manière de penser, d’observer et de déduire, dont Descartes fut le champion, effleure le monde médical sans en modifier profondément la structure, sinon dans le domaine de la physiologie qui connut, grâce à l’expérimentation, à la déduction et à l’observation un développement significatif. Deux grandes figures médicales dominent cependant cette période, celle de William Harvey, le premier à donner une description complète de la circulation sanguine et celle de Marcello Malpighi, père de l’histologie. La première partie du 18ème siècle prolonge, sans grand bouleversement, le siècle précédent. Malgré la fin du Roi soleil et l’arrivée des lumières philosophiques, la médecine reste dans l’obscurité pour ne pas dire l’obscurantisme. L’opposition entre, le corps conçu comme une machine par Descartes, et la loi des forces vitales élaborée et défendue par Leibniz, n’influenceront pas significativement le corpus médical qui, fidèle à ses dogmes et à ses principes hippocratiques, ne sera réellement remis en question qu’à la révolution. Diafoirus, Purgon, les malades plus ou moins imaginaires, les médecins « malgré eux » changeront de perruques mais pas de raisonnement ni de thérapeutique ; on saigne et on purge on examine les urines* et les selles sans en tirer aucune information sémiologique. Les nouvelles théories fleurissent: vitaliste, phlogistique, théories du tonus (éther nerveux), des pores, de l’énergie nerveuse… L’organisme est alors dominé par trois esprits : La nature à son siège dans le foie La force vitale : dans le cœur L’esprit animal : dans le cerveau. * L’examen des urines est réalisé dans un vase renflé à sa base ou « metula ». Friedrich Hoffmann (1660-1742) définit la théorie des fibres qui ne peuvent se contracter que sous l’effet du « tonus » érigé ainsi en force vitale. Pour d’autre c’est « l’excitabilité » qui définit la santé du patient. La classification entre « sthénique » et « asthénique » était encore utilisée au début du 21ème siècle. Bordeu (1722-1776) centre son raisonnement sur la force vitale qui proviendrait de sécrétions stomacales, cérébrales et cardiaques. Même si cette approche figure l’endocrinologie, on est encore très loin de cette discipline. La force vitale sera remise à la mode au début de l’ostéopathie, reste pathétique d’un onirisme qui refuse de s’éveiller. 72 Physiologie Un seul nom domine cette période, celui de William Harvey. = William Harvey (1578-1657) Diplômé de Cambridge, William Harvey se rendit à Padoue, capitale de la médecine et de la recherche en anatomie et physiologie depuis plus de deux siècles. Elève d’Aquapendente (15371619), qui avait donné une très bonne description des valvules veineuses, il fréquente toutes les célébrités médicales de Padoue, Vésale, Fallopino… De retour à Londres, il est élu au College of Physicians et devient le médecin de Jacques I et de Charles I d’Angleterre. William Harvey Bien que Galien (2ème siècle) ait mis en évidence la rythmicité des contractions cardiaques et les différences entre les deux ventricules sans évoquer cependant un mécanisme de pompe (pour lui le sang passait directement du ventricule droit au ventricule gauche par de minuscules orifices perforant le septum), la petite circulation ne fut définitivement acquise qu’après les observations anatomiques de Michel Servet (septum non perforé) et physiologiques de Matteo Colombo (1516-1559) qui nota la différence de couleur du sang se rendant au poumon (rouge sombre) et celui qui en sortait (rouge vif). Quelques années plus tard, Andrea Cesalpino (1519-1603) définit un système en boucle et deux circulations (mineure et majeure). Il imagina même l’existence de capillaires entre le système « chaud » (artériel), et le système « froid » qui ramenait le sang vers le cœur. Cette conception restait cependant très incomplète puisque pour lui le sang avait son origine dans le cœur et qu’il existait des échanges directs et importants entre les artères et les veines. 73 Etude sur la circulation sanguine William Harvey utilisa toutes ces données et, grâce à ses qualités d’expérimentateur et d’anatomiste, décrivit la circulation sanguine telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans un premier temps il nota que la disposition des valvules veineuses interdisait un « retour en arrière », cette observation donna le sens de la circulation. En étudiant des cœurs d’animaux disséqués (chien, serpent…) il conclut que le cœur était un muscle destiné à pomper le sang. Il établit que le débit était équivalent dans les deux ventricules. En saignant un mouton il postula que le sang circulait bien dans un système fermé et que le cœur n’était pas à l’origine de sa production. Enfin il décrit les vaisseaux coronaires et établit que le cœur était, comme les autres muscles, alimenté par un système artériel propre. Sa conception selon laquelle le sang était « régénéré » dans les poumons fit disparaître progressivement, mais après de nombreuses polémiques, le côté de la « saignée », (du côté de l’affection ou de l’autre). Combattues par les partisans du microcosme et ceux de Galien, ses idées finirent par triompher sans toutefois bouleverser la médecine de l’époque qui ne sut établir le lien entre la circulation sanguine et les différentes étiologies des maladies. Quand Harvey voulu publier sa découverte, aucun éditeur n’accepta son manuscrit. C’est donc à compte d’auteur, dans la ville de Frankfort qu’Harvey publia son traité sur la circulation sanguine. Très male reçue par l’ensemble des médecins de l’époque, sa thèse fut combattue dans 74 l’ensemble de l’Europe. A sa mort, en 1657, très peu de savants croyaient à la réalité de sa théorie. Il fallut attendre 40 ans pour que la circulation du sang décrite par Harvey, et défendue par quelques médecins, par Boileau et même Molière, fut reconnue officiellement par…….. décret royal de Louis XIV. Chronologie de la découverte de la circulation sanguine : Egypte Galien M. Servet M. Colombo A Cesalpino Acquapendente W. Harvey M. Malpighi - 1000 Av JC 200 Ap JC 1530 1540 1540 1570 1635 1640 Fréquence cardiaque Deux ventricules, septum perforé Septum non perforé Sang chaud (rouge), sang froid (bleu) Deux systèmes en boucle Anatomie des valves veineuses Sens de la circulation veineuse Artères coronaires Capillaires pulmonaires Hermann Boerhaaven (1669-1738) Hermann Boerhaaven mit en pratique les travaux de Huygens (1629-1695) et de Fahrenheit (1686-1736) sur la mesure de la température, en inventant le premier thermomètre médical. L’étude de la température corporelle et de ses variations nycthémérales ou pathologiques fût ensuite conduite par De Haen qui nota, entre autre, les relations entre la fréquence cardiaque et la température, la fièvre, le frisson... Cette invention ne fut malheureusement pas prise en considération par les médecins de l’époque qui n’en firent pratiquement pas usage malgré que l’on sache depuis la période pharaonique qu’il existait une relation entre la température corporelle et la maladie. Anatomie Les découvertes anatomiques des 17ème et 18ème siècles concernent essentiellement l’anatomie microscopique, moins spectaculaire que la célèbre leçon d’anatomie (ou de physiologie pour Masquelet), mais essentielle à la compréhension des mécanismes intimes de fonctionnement de l’organisme. La leçon d’anatomie de Rembrandt = Marcello Malpighi (1628-1694) 75 Marcello Malpighi peut être considéré comme le premier histologiste. Curieux, passionné, il utilisa pour la première fois de façon systématique la loupe grossissante utilisée par Antonie van Leeuwenboek, marchand de tissu à Delft (les marchands de tissu utilisaient ces loupes pour comptabiliser les fils de trame et de chaîne). Antonie van Leeuwenboek, qui fut le premier à voir les globules rouges, les stries musculaires et les spermatozoïdes, passait ses loisirs à construire et perfectionner cette loupe qui, à la fin de sa vie, était devenue un véritable microscope. Marcello Malpighi utilisa cette invention et inventoriera l’ensemble des tissus humains, animaux et végétaux. Marcello Malpighi Ses planches de dessins anatomiques et physiologiques sont remarquables par leur précision et leur qualité picturale. Cet observateur forcené décrira tous les tissus organiques, la peau, les viscères, les glandes endocrines, les nerfs, le rein, les os… Cependant si les descriptions et les dessins sont réalisés avec une très grande précision, les hypothèses physiologiques ne sont pas toujours pertinentes, ce qui nuira à l’application médicale de ses découvertes. 76 Planches histologiques dessinées par Malpighi, à droite un embryon de poulet C’est à Malpighi que l’on doit la première observation des capillaires pulmonaires dont Harvey avait suspecté l’existence mais qu’il n’avait pu mettre en évidence. Loupe de Malpighi Pyramide de Malpighi Les travaux de Malpighi mirent en évidence la structure des glandes endocrines et du rein et notamment des néphrons. La très bonne description anatomo-histologique qu’il donna de ces derniers l’amena à commettre une erreur concernant la physiologie des glandes sudoripares eccrines. Devant l’extrême ressemblance entre les néphrons et les pelotons sudoripares il conclut en effet que le tissu cutané pouvait jouer un rôle identique à celui du rein. Cette erreur qui perdura jusqu’à la fin du 19ème siècle ne sera corrigée que tardivement lors de l’étude de la physiologie sécrétoire des glandes sudoripares (milieu du 20ème siècle). = Thomas Wharton (1614-1673) Thomas Wharton 77 Thomas Wharton s’intéressa plus particulièrement aux systèmes glandulaires. On lui doit notamment la description des glandes salivaires (canal de Wharton), sexuelles et lymphatiques. Il décrivit pour la première fois les glandes sans canaux, c'est-à-dire endocrines. Canal de Wharton Pour la petite histoire il démontra que les larmes n’étaient pas issues de sécrétions cérébrales comme on le pensait à l’époque et que l’expression « rhume de cerveau » n’avait pas lieu d’être. = Jacques Bénigne Winslow (1669-1760) Originaire du Danemark, Jacques Bénigne Winslow, étudia la médecine dans son pays, puis aux Pays-Bas. Elève de Caspar Bartholin (l’homme des glandes génitales féminines), il s’installe à Paris en 1693. Converti au catholicisme par Bossuet, il ajoute à son prénom original celui de Bénigne. En 1707 il est Docteur en médecine de l’Université de Paris et entre la même année à l’Académie des sciences. Il est passionné de dissection et d’anatomie ce qui lui vaudra le titre de « Premier anatomiste d’Europe ». Pendant quarante ans Winslow étudia l’anatomie, l’embryologie, la tétralogie. On lui doit la désignation du nerf grand sympathique. Inventeur du hiatus qui fait communiquer la grande cavité abdominale avec la cavité des épiploons, Winslow fut l’auteur de « L’exposition anatomique de la structure du corps humain » en 1732 qui fut rééditée plus de trente fois. C’est lui qui prononça, comme Docteur régent, professeur de la faculté, le discours inaugural de l’amphithéâtre de la rue de la bûcherie. = Valsalva Valsalva fit ses études de médecine à l'université de Bologne où il devint docteur en médecine en 1687 (son maître fut Marcello Malpighi). Nommé professeur d'anatomie dans cette ville, il fut plus tard Président de l'Académie des Sciences et eut pour disciple Morgagni. 78 Valsalva Valsalva travailla essentiellement sur l'anatomie de l'oreille (c’est à lui que l’on doit le terme de trompe d'Eustache). On lui doit également la description des sinus aortiques qui portent son nom. Il existe encore aujourd’hui une collection de pièces anatomiques exposée au Musée d’anatomie de Bologne. La manœuvre de Valsalva (technique d'équilibrage de la pression de l'oreille très utilisée en plongée) consiste, en se bouchant le nez et en déglutissant, à ouvrir la trompe d’eustache, faisant ainsi communiquer la caisse du tympan avec la cavité buccale. Cette technique est utilisée au moment de la descente. = Giono-baptista Morgagni (1682-1771) Giono-baptista Morgagni est reçu docteur en médecine à Bologne en 1701. Il a pour maître Valsalva à qui il succède comme démonstrateur d’anatomie en 1712. Giono-baptista Morgagni 79 Titulaire de la chaire d’anatomie à Padoue. Pendant 60 ans il se consacrera à l’anatomie et publia de très nombreux travaux résumés dans le traité « opera omnia » (1762). Il est reconnu comme l’un des fondateurs de l’anatomie pathologique. Au siècle précédent, quand un patient était transféré à la morgue de l’hôpital, et que l’on souhaitait différer momentanément l’annonce de son décès aux personnes étrangères au service, on disait qu’il était dans le service du Professeur Morgagni. Hernie de Morgagni = Honoré Fragonard (1732-1799) Honoré Fragonard eut une vie singulière et une passion nom moins singulière. Surnommé plus tard comme le Frankenstein du 18ème siècle, H. Fragonard consacra une grande partie de sa carrière à réaliser des pièces anatomiques animales et humaines. Né à Grasse, dans une famille de parfumeur, le jeune Fragonard s’initie à la chirurgie à Lyon, puis à Grasse. En 1763 il est nommé directeur de la nouvelle école vétérinaire de Lyon où il exerça comme professeur et démonstrateur d’anatomie. Dessin anatomique du cou Ecorchés En 1766, suite à la création de l’école royale vétérinaire d’Alfort par Bourgelat, Fragonard est nommé directeur de cet établissement. Pendant cinq ans il dissèque et prépare un nombre considérable de pièces anatomiques. Enfermé dans son laboratoire, introverti, silencieux, besogneux il finit par être 80 renvoyé pour « folie » par Bourgelat. A partir de cette date Fragonard vit de son art en fournissant les cabinets de curiosité très à la mode en cette fin de siècle. En 1794 il est chargé de recherches anatomiques à l’Ecole de santé de Paris. C’est à cette époque qu’il produit le « cavalier de l’apocalypse » représentant un homme écorché sur un cheval au galop. Son art macabre s’oppose aux réalisations galantes de son cousin (Jean Honoré Fragonard) et de son petit cousin (Alexandre Fragonard) beaucoup plus attirés par les demoiselles sur des balançoires. Cavalier de l’Apocalypse Détail Il reste à ce jour quelques dizaines de pièces humaines et animales exposées au Musée Dupuytren. Chirurgie La chirurgie des 17ème et 18ème siècles ne connut pas le développement que l’on pouvait envisager avec les nouvelles acquisitions de l’anatomie et de la micro anatomie. L’absence d’anesthésie, les difficultés à poser des indications, la méconnaissance physiologique de beaucoup de chirurgiens et le risque infectieux faisaient reculer beaucoup de patients et de praticiens. Trépanation Trépan A ces différentes raisons se surajoutait la formation sommaire de certains chirurgiens (barbiers et guérisseurs, châtreurs de porcs…*) qui, il est vrai, avait de quoi faire peur aux plus braves. * Si l’on excepte la naissance de César et d’Asclépios, on raconte que c’est un châtreur de porc qui réussit la première césarienne (en sauvant l’enfant mais pas la mère). 81 Les chirurgiens interviennent pour les fistules anales, les trépanations, les amputations, les plaies du visage…, les barbiers chirurgiens extrayaient les dents, opéraient les maladies de la pierre, réduisaient des fractures et les luxations, enfin les rebouteux et autres soigneurs se contentaient des hernies abdominales, des entorses, des luxations et de la cataracte. Transfusion sanguine Jusqu’à l’avènement de Jean-Baptiste Denis, la transfusion sanguine n’avait jamais été réellement explorée. Principe philosophique consistant à transmettre le tonus et la force d’un individu à un autre, la transfusion ne s’élaborera définitivement qu’avec la découverte des groupes sanguins. = Jean-Baptiste Denis (1635-1704) Originaire de Paris, Jean-Baptiste Denis, fit ses études à Montpellier. Diplômé de théologie et de mathématique, il ne s’intéressera aux transfusions sanguines qu’à partir de 1667, date de la première transfusion croisée animale. Jean-Baptiste Denis Encouragé par des premiers succès (injection de quelques onces de sang de veau à un homme qui survécut), il poursuit ses expériences avec son confrère chirurgien Emmerez. Hormis la maladie de langueur et l’asthénie, les indications proposées pour les premières transfusions paraissent quelques peu curieuses (paralysie, folie…). Malheureusement plusieurs échecs, et un procès intenté par la veuve de l’un de ses patients, devaient mettre un terme à ses expérimentations et notamment aux tentatives de transfusion d’homme à homme. Obstétrique, maladies vénériennes L’obstétrique reste, pendant cette période encore, l’apanage des matrones*, mais pour la première fois en Angleterre et en Europe des hommes assistent et pratiquent des accouchements. Il est classique de citer parmi eux les Chamberlen, obstétriciens anglo-saxons qui, dès le début du 17ème siècle, participèrent aux accouchements de la cour d’Angleterre. Hugues Chamberlen accoucha notamment la reine Anne d’Angleterre en 1692. * Depuis 1560, les matrones reçoivent des cours théoriques dispensés par les chirurgiens jurés. = François Moriceau (1637-1709) Jean François Moriceau, obstétricien parisien fait partie de ces précurseurs. Formé à l’Hôtel Dieu par le corps des sages femmes, il utilise pour la première fois en France le forceps inventé par Chamberlen (ou Chamberlayne) dans les années 1650. Il s’agit d’une modification d’un instrument créé en 1621 par Palfin (appelé mains) destiné à faciliter la délivrance. 82 Auteur « Des maladies des femmes grosses et accouchées », et d’ « Observations sur la grossesse et l’accouchement des femmes et sur leurs maladies et celles des enfants nouveau-nés », il développa l’utilisation du forceps et reste connu pour la manœuvre dite de Moriceau qui consiste à favoriser la flexion de la tête dernière. = André Levret (1703-1780) André Levret fut l’élève de Jean Louis Petit qui lui enseigna l’art de l’accouchement. D’abord chirurgien, il s’oriente rapidement vers les maladies des femmes et l’obstétrique. Il est l’auteur d’une communication à l’Académie royale intitulée « Observations sur les causes et les accidents de plusieurs accouchements laborieux ». Levret accoucheur de la Dauphine Nommé officiellement accoucheur de Madame la Dauphine (mère de Louis XVI) en 1860, Levret peut être considéré comme le plus grand obstétricien de ce siècle. Forceps de Levret André Levret, inventa un forceps formé de deux branches aplaties transversalement, les bords des fenêtres étant bordées de cannelures. En position fermée les deux cuillères ne se touchent pas. OPH L’ophtalmologie du 18ème siècle est l’objet de nombreux débats à l’Académie des sciences (1708). Elle est sans conteste possible marquée par Jacques Daviel, premier chirurgien du cristallin depuis l’antiquité. 83 = Jacques Daviel (1693-1762) Originaire de Normandie, Jacques Daviel apprend les rudiments de la chirurgie chez un oncle installé à Rouen avant de devenir aide chirurgien aux armées. Jacques Daviel Opération de l’ermite d’Aiguilles en Provence Formé à l’Hôtel Dieu de Paris, il exerce au début de sa carrière à Marseille. Le 8 avril 1745 il effectue sa célèbre intervention sur un ermite victime de cataracte (intervention qui se soldera par un échec dû à une surinfection secondaire). A partir de cette date, il ne pratiquera plus l’ablation du cristallin qu’en ouvrant la cornée, base de la technique utilisée pour l’opération de la cataracte (technique de l’abaissement). Technique d’ouverture de la cornée et d’extraction du cristallin de son « chaton ». Il consacrera le reste de son existence à cette intervention qu’il pratiquera à Paris et dans de nombreuses cours européennes. Ses travaux sont exposés dans un mémoire qu’il adressera à l’Académie de chirurgie en 1752. Hygiène L’hygiène et la santé publique du 17ème siècle restent à l’état embryonnaire. La malnutrition (Scorbut, rachitisme), les épidémies (varicelle, rougeole, syphilis, diphtérie, typhus, paludisme, 84 peste….) dévastent l’Europe. Il n’existe pas de système d’évacuation des eaux, les logements des pauvres sont de véritables cloaques (manque d’air, de lumière, humidité…) envahis de nuisibles (rats, poux, insectes variés…). Les prostituées et les nourrices transmettent à leurs clients et à leurs enfants les maladies contagieuses dont elles sont porteuses. Sur le plan médical, l’hygiène n’est pas plus avancée. Les mains ne sont pas lavées. A titre d’exemple, le frein de la langue des nourrissons est coupé par la sage femme avec un ongle qu’elle s’est volontairement laissé pousser, les autopsies sont pratiquées à mains nues… Le 18ème siècle reste lui aussi assez catastrophique en matière de santé publique. Cependant, un certain nombre de progrès vont être réalisés au niveau des armées de la marine et des prisons. Les effets dévastateurs de l’alcool sont mis en évidence et dénoncés par J. Coakley Lettsom (1744-1815). James Lind (1716-1796) met en évidence l’intérêt du jus de citron dans la lutte contre le scorbut. Edward Jenner (1749-1823) expose l’intérêt de l’inoculation du contenu des vésicules prélevé sur des vaches atteintes de cow pox (vaccine) en 1798. Cette technique, fut introduite au début du siècle en Angleterre par Lady Mary Wortley Montagu qui avait observé cette pratique en Turquie. Il s’agissait dans ce cas de prélever du liquide vésiculaire d’un individu atteint, et de l’inoculer à un autre sujet, qui présentait alors une forme atténuée de la maladie et s’immunisait ainsi contre la variole. = Théodore Tronchin (1709-1781) Né à Genève, Théodore Tronchin dut rapidement gagner l’Angleterre du fait de la faillite de son père au moment de la banqueroute de Law et de ses assignats. Diplômé de Cambridge, il s’installe dans divers pays européens dont les pays bas, à nouveau l’Angleterre pour finalement retourner à Genève et à Paris sur la sollicitation du Duc D’Orléans en 1776. Théodore Tronchin Théodore Tronchin a laissé son nom à la médecine comme médecin et ami de Voltaire, mais aussi pour avoir, malgré les réticences de l’époque, inoculé la vaccine au Duc de Chartres et à sa sœur, les enfants du Duc D’Orléans. Ce médecin du siècle des lumières est également novateur en ce qui concerne l’environnement (lumière, aération des appartements)… et comme Jean Jacques Rousseau une sorte de retour à la nature par la prescription d’exercices physiques. Clinicien novateur, il interroge et observe ses patients à une époque où le latin et les dogmes obscurcissent encore les recherches étiologiques et diagnostiques. Révolutionnaire, il l’est encore quand il pose les principes de la médecine psychosomatique « faites que votre âme soit tranquille, vous n’aurez ni étourdissement, ni tintement d’oreilles ». Dermatologie 85 Cette discipline, quoique traitée depuis les temps pharaoniques dans les documents médicaux, prend véritablement naissance à la fin du 18ème siècle avec l’ouvrage de Joseph Plenck « Doctrina de Morbis cutaneis ». Depuis les encyclopédistes médicaux du moyen âge, Henri de Mondeville (1260-1320 et Guy de Chauliac (1300-1368,) peu de nouveautés avaient enrichies cette discipline qui ne prendra véritablement son autonomie qu’au début du 19ème siècle. Le 17ème siècle peut être considéré comme un siècle charnière entre une sémiologie encore toute empreinte de religiosité et de superstitions et l’éveil d’une sémiologie clinique encore engluée dans les humeurs hippocratiques. Les tumeurs et les « anomalies cutanées » sont classées et traitées par les chirurgiens qui sont amenés à les opérer. Les différentes dermatoses sont donc naturellement exposées dans des traités de chirurgie comme (Chirurgia), œuvre posthume de Jean Riolan éditée en 1601, « La grande chirurgie des tumeurs » de Jean Vigier en 1611 et du même auteur « la grande chirurgie des ulcères » (1614). Beaucoup de pathologies sont décrites dans ces ouvrages sans que le caractère cutané de ces lésions soit véritablement en cause. On retrouve ainsi pêle-mêle les dermatoses proprement dites, mais aussi les troubles variqueux, les déformations secondaires aux luxations ou aux déformations articulaires, les tophi goutteux ainsi que les plaies et les fractures ouvertes…). Font régulièrement l’objet de descriptions : La couperose et le vitiligo L’érysipèle Les alopécies, ophiasis (pelade). Les tubercules et les verrues Les lentilles et bubons du visage Les ulcères de toutes sortes (cancer, galles, furoncle, aphtes, varices, scrofules tumeur ganglionnaire, vérole, gangrène, phlegmon, bubons, écrouelles, panaris…). De façon assez surprenante, la dermatologie que l’on pourrait nommer « esthétique », déjà développée en Egypte, fait sa réapparition en 1615 avec le traité intitulé « Le miroir de la beauté et santé corporelle » de Louis Guyon, qui traite aussi bien des difformités que des procédés pour « s’entretenir en sa beauté, bonnes dispositions et comme se rajeunir » Dans la même veine, Nicolas de Blégny publie « Secrets concernant la beauté et la santé » (1688). Ce recueil expose comme son nom l’indique des remèdes « secrets » pour ôter les cicatrices, tirer les rides du ventre, embellir le visage, conserver son teint et lutter contre les rougeurs, tâches et autres boutons, blanchir les dents, teindre les cheveux, lutter contre les mauvaises odeurs de la bouche, des aisselles et des pieds. En bref tout le contenu d’un magazine féminin moderne. Il faut attendre le 18ème siècle pour que des médecins commencent à codifier les différents types de lésions cutanées et à s’intéresser aux étiologies « organiques » de ces lésions. = Joseph Plenck, médecin accoucheur hongrois, eut l’idée originale de classer les maladies de la peau en fonction des critères méthodologiques établis par Linné quelques années plutôt. A partir de quelques lésions cutanées facilement identifiables, Plenck codifia les atteintes cutanées en décrivant les macules, pustules, vésicules, bulbes, papules, croûtes, squames, callosités, excroissances, ulcérations, blessures, lésions causées par les insectes. Il ajouta également aux lésions cutanées celles des ongles et des cheveux. Son œuvre publiée en 1776 « Doctrina de Morbis cutaneis » donna pour la première fois les bases essentielles à l’établissement du diagnostic. C’est à partir des travaux de ce novateur que Robert Willan établit la première nosologie des atteintes cutanées. 86 Ce siècle est dominé en France, par trois médecins issus de la Faculté de Montpellier (Jean Astruc, François Boissier de Sauvage et Thomas Carrière) et d’un parisien Anne Charles Lorry, considéré comme le père de la dermatologie moderne. = Jean Astruc (1684-1766) est nommé docteur en médecine en 1703 puis professeur en 1716. Médecin consultant du roi Louis XV, fait capitoul de la ville de Toulouse en 1711, il sera agrégé à Paris en 1743. Jean Astruc Jean Astruc est l’un des premiers, dans son traité « des tumeurs et des ulcères », paru en 1759 à donner des descriptions cliniques modernes des différentes atteintes cutanées et des troubles humoraux susceptibles de les provoquer. Il établira notamment le lien entre les lésions syphilitiques et les troubles cutanés et sera en ce domaine le précurseur de la vénérologie en France avec son ouvrage «De morbis venereis, libri morbi sex ». Il décrira également pour la première fois les troubles acnéiques et en définira l’origine folliculaire. = François Boissier de Sauvage (1706-1767) est surnommé dans un premier temps, et dans un siècle qui en fit grand cas, « Médecin de l’amour » du fait de sa thèse de baccalauréat intitulée « Si l’amour peut être guéri par les remèdes tirés des plantes ». Admirateur et ami de Linné (que ses détracteurs surnommèrent le nouvel Adam puisqu’il donnait, comme ce dernier, un nom à toutes les espèces animales), il établit la « Nosologie méthodique » (1763) qui reprend l’ensemble des maladies dans une classification toute linnéenne (classe, genre, espèce) pour 2400 maladies. Il reconnaît ainsi aux dermatoses six classes, divisées chacune en plusieurs genres. = Thomas Carrière (1714-1764) est nommé professeur et titulaire d’une chaire de médecin à la Faculté de Perpignan, puis recteur de cette faculté. Conseiller ordinaire du Roi, Thomas Carrière est à l’origine de 13 traités rédigés en latin ou en français. Parmi ces ouvrages on retiendra un « traité sur les eaux minérales du Roussillon » et son ouvrage intitulé «De morbis cutaneis » paru en 1760 qui traite de la dermatologie (19 chapitres), des tuméfactions cutanées (anévrisme, varice..), des atteintes 87 articulaires (goutte) et de l’ensemble des atteintes cutanées depuis les croûtes de lait jusqu’aux ulcères et bubons… = Anne Charles Lorry (1727-1783) a pour maître Jean Astruc, professeur à la faculté de Paris. Auteur de très nombreux ouvrages, on retiendra son « tractatus de morbis cutaneis » (1777) qui est considéré comme l’ouvrage fondateur de la dermatologie. On retrouve dans la division de cet ouvrage les données fondamentales de la médecine moderne : + La peau humaine (anatomie et physiologie décrite par Malpighi et Astruc) + La pathologie cutanée et ses causes (humorales, externes, caustiques ou parasitaires) + Le diagnostic sémiologique et le pronostic des affections cutanées. + Le traitement des maladies cutanées = En Angleterre, Robert Willan (1757-) médecin londonien, simplifia le tableau des lésions initiales décrites par Joseph Plenck, en décrivant « huit aspects » (papule, squame, exanthème, bulle, pustule, vésicule, tubercule et macule). Sa doctrine (le willanisme) fut introduite en France en 1816 par Biett, médecin à l’hôpital Saint louis, et élève d’Alibert, fondateur de la dermatologie dans cet hôpital. Parallèlement à ces travaux de classification et de sémiologie, d’autres auteurs orientèrent leurs recherches vers les étiologies possibles des dermatoses. = Noël Retz (1758-1810), publie en 1785 « Des maladies de la peau, particulièrement de celles du visage et des affections morales qui les accompagnent : leur origine, leur description et leur traitement ». Dans ce document l’auteur affirme que les atteintes hépatiques sont à l’origine des maladies de la peau et que certaines maladies morales comme la mélancolie et l’hypochondrie, la monomanie donnent des atteintes cutanées au niveau du visage. Naturellement les humeurs hippocratiques (bilieuses, sanguines…) présentant toutes un rapport avec le foie, déterminent l’étiologie de très nombreux troubles cutanés. Les traitements comprennent donc deux volets, le rééquilibrage des humeurs (sudation, purgation, diète, bains, saignée, émétique…) et un traitement local (cataplasmes, lotion, emplâtres émollients…). Parmi les traitements proposés il faut retenir l’eau Dalibour découverte vers 1700 par Jacques Dalibour et destinée préalablement au traitement des blessures de guerre (il était médecin militaire). Tombée en désuétude à la fin du 18ème siècle, l’eau Dalibour sera remise à la mode au début du 20ème siècle par Raymond Sabouraud. = Originaire de Béziers, Alexis Pujol (1739-1804) fait ses études à Toulouse puis à Montpellier. Il est l’auteur de nombreux mémoires dont « dissertation sur les maladies de la peau, relativement à l’état du foie » (1786) et un essai sur les inflammations chroniques des viscères en 1791, qui sera à l’origine des idées développées par Broussais quelques dizaines d’années plus tard. Il classe les maladies de la peau en deux grandes catégories, les maladies simples (uniquement cutanées) et celles compliquées par une cause étrangère, virale, bactérienne, carencielle ou métabolique. Vers la même époque (1782), le traité des dartres de M. Poupart reprend de manière clinique l’étiologie, l’aspect cutané, l’interrogatoire, les maladies associées et les traitements propres à guérir ces affections (virales bactériennes, humorales…). Le 18ème siècle a donc été pour la dermatologie celui des lumières et de la genèse. Les découvertes réalisées pendant cette période féconde serviront de bases à la dermatologie moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Médecines douces = Franz Anton Mesmer (1734-1815) Originaire de Vienne, Franz Anton Mesmer est obligé de quitter la capitale austro-hongroise sous la pression de ses collègues qui lui reprochaient d’attirer leurs patients par ses pratiques plus ou moins ésotériques. Sa thèse « De planetarum inflexu » donne sans détour la conception que ce 88 médecin pouvait avoir de l’influence de l’environnement sur les pathologies. Partisan des passes magnétiques et adepte de la théorie des fluides, il s’installe à Paris où il connaît pratiquement immédiatement un succès retentissant avec ses baquets magnétiques. Franz Anton Mesmer Le tout Paris se presse pour participer à des séances de magnétisme. La reine elle-même, mais n’est-elle pas aussi autrichienne, s’intéressera aux techniques de Mesmer qu’elle aidera à s’introduire à la cour. Il faudra l’intervention de Louis XVI et la nomination d’une commission scientifique pour que le fluide animal soit définitivement abandonné. Les baquets de Mesmer Séance de magnétisme Il faut toutefois signaler que les techniques mesmériennes, à l’origine de crises d’hystérie collectives, inspireront les travaux de Puységur, père de l’hypnose et plus tard de Charcot expérimentateur et théoricien de l’hystérie. 89 = Samuel Hahnemann (1755-1843) Dans un domaine à peu près semblable Hahnemann, un médecin allemand, invente l’homéopathie. Samuel Hahnemann Travaillant sur le quinquina, Hahnemann constate que cette drogue, utilisée en forte concentration, donne des signes identiques à ceux du paludisme (fièvre, anxiété, tachycardie, somnolence…). Testant sur lui même des dilutions plus ou moins importantes, il échafaude sa théorie du « semblable soigne le semblable » ( similia similibus curantur, par opposition à la médecine classique contraria contrariis curanture) et édicte les deux grands principes de cette nouvelle technique, la dilution et la dynamisation. La dilution aboutir très vite, (calcul à partir du nombre d’Avogadro) à ce qu’il n’existe plus une seule molécule du produit dans une gélule ? Quand à la dynamisation, elle rejoint les théories des fluides et des énergies de son époque. Malgré l’absence complète de véritables travaux scientifiques, l’engouement pour cette nouvelle médecine est considérable. Cette technique, fait encore l’objet aujourd’hui de remboursement par la sécurité sociale. Après avoir déremboursé un grand nombre de médicaments jugés insuffisamment efficaces, on continue, pour des raisons purement mercantiles à prendre en compte ces « granules », constituant une des plus grandes forfaitures du 20ème siècle. Le seul effet connu à ce jour restant l’effet placebo. Médecins des grands de ce monde 90 Premier médecin du Roi était une place enviée mais instable, la disgrâce venant parfois plus vite que l’ascension. = Jean Heroard (1549-1627), médecin de Louis XIII Jean Heroard est issu d’une famille de médecins montpelliérains. Il gagna Paris et fit rapidement Carrière à la Cour. D’abord médecin de Charles IX, puis de Henri III, il devint premier médecin du Dauphin (le futur Louis XIII). Il resta médecin de ce Roi jusqu’à sa mort survenue au siège de La rochelle en 1627. Jean Heroard ne commit pas d’écrits scientifiques ou médicaux mais rédigea un savoureux journal intime concernant la vie et l’éveil sexuel du jeune Louis XII. = Antoine Daquin (1632-1696) Médecin de Louis XIV Antoine Daquin est le fils du médecin de la reine Catherine de Médicis. Issu d’une famille juive de Carpentras, convertie au catholicisme, Antoine Daquin naquit à Paris mais fit ses études à Montpellier où il obtint son doctorat en 1648. En épousant la nièce de Vallot, premier médecin du Roi Louis XIV, il gagna la cour et fut nommé premier médecin de la reine, Marie Thérèse d’Autriche. A la mort de Vallot, il devint premier médecin de Louis XIV. Sa nomination à ce poste fût l’objet de propos racistes « pauvre cancre, race de juif et grand charlatan » de la part d’un professeur du collège royal et de Saint Simon qui le traite de « grand courtisan mais reître, avare, avide et qui voulait établir sa famille de toutes façons ». On n’a rien inventé depuis, tous les poncifs du racisme sont déjà bien présents. Son royal patient lui causa bien des soucis et l’occasion de montrer ses qualités de médecin. Il eut ainsi à intervenir pour, une luxation du coude, une arthrose du pied, un furoncle de l’aisselle, une nécrose de la voûte palatine avec communication bucco nasale, l’ablation de toutes les dents de la mâchoire supérieure, un abcès du périnée, une fistule borgne, une fistule anale, des plaies variqueuses et des ulcères nécrotiques des deux membres inférieurs. Les intrigues de cour et le remplacement de madame de Montespan par madame de Maintenon, le firent tomber en disgrâce et en 1693 il fût exilé à Moulin. 91 = François Chicoyneau (1672-1752) médecin de Louis XV Diplômé de la faculté de Montpellier, François Chicoyneau est Docteur en Médecine en mars 1693. A la mort de son père Michel Chicoyneau, il hérite de sa chaire et de son titre de chancelier. Il acquis rapidement une grande réputation de charité envers les pauvres. Il se fit notamment remarqué lors de l’épidémie de peste qui sévit en 1720 à Montpellier. François Chicoyneau Elève de Pierre Chirac, premier médecin du Roi, il en épousa la fille Marie et suivit à Paris son beau-père qui lui ouvrit les portes de la maison du Roi. Il succéda à ce dernier lors de sa mort en 1732, et devint ainsi premier médecin du royaume, place qu’il occupa pendant une vingtaine d’années. Un épisode à la fois dramatique et rocambolesque marqua son activité auprès du monarque. De retour de la guerre en Flandre, Louis XV s’arrêta à Metz où il tomba gravement malade au point que l’on craignit pour sa vie. Aidé de Lapeyronie, premier chirurgien du Roi, Chicoyneau réussit à faire retrouver au Roi sa santé en 15 jours. Pour la petite histoire le Roi vivait à cette époque une liaison avec la Duchesse de Châteauroux. On raconte que le renvoi de cette dernière par son confesseur fit autant pour la guérison du Roi que les praticiens à son chevet. = Jean Baptiste Silva (1682-1744), médecin de Louis XV et de Voltaire Jean Baptiste Silva était originaire d’une famille judéo portugaise de Bordeaux. Thèsé à Montpellier en 1701, il monte à Paris et est reçu à la faculté de cette ville en 1711. Fréquentant très tôt la cour, il devint médecin de la maison de Condé. En mars 1738, le Roi lui fit présent de lettres de 92 noblesse et l’admis dans son conseil de santé en qualité de médecin consultant. A la mort de Chirac, premier médecin du Roi, il ne réussit pas à lui succéder malgré sa renommée européenne (médecin de Voltaire, de Catherine I de Russie, des Ducs de Bavière). Hazon écrit à son sujet « La renommée le porta sur ses ailes rapides, mais il se chargea de sonner lui-même la trompette ». Après une carrière de cour, il s’éteignit en 1744 et fut enterré comme il avait vécu en grandes pompes à Saint Sulpice. Il publia en 1728 un ouvrage portant sur la saignée « Traité à l’usage de différentes espèces de saignées, principalement celle du pied », qui eut un certain succès. 93 REVOLUTION, EMPIRE ET MEDECINE MILITAIRE La révolution française ne peut être considérée que du seul point de vue historique en négligeant ses implications philosophiques, sociologiques et culturelles. La rupture avec l’ancien monde est totale ; l’enseignement, la pratique, l’approche scientifique, la prise en compte du patient, sont radicalement modifiés. Bien que « la révolution n’ait pas besoin de scientifiques », phrase historique prononcée par l’un de ceux qui arrêtèrent Lavoisier pour le mener à la guillotine, elle nourrira et favorisera l’observation et la démarche scientifique qui se substituera peu à peu à l’empirisme. Le médecin poudré et emperruqué fait place désormais à l’humaniste pragmatique. Si la fracture entre le monde qui vient de s’effondrer et la nouvelle société est brutale et irréversible, malgré les multiples tentatives de restauration qui se multiplieront au 19ème siècle, ses implications sur le mode de penser, de chercher et de traiter ne se manifesteront que lors du premier tiers du 19ème siècle, le temps qu’émerge la nouvelle génération de praticiens. Les innombrables blessés de la révolution pour la défense du territoire national, de l’empire et de ses conquêtes, amèneront les chirurgiens et notamment les orthopédistes, à perfectionner le ramassage des blessés, à perfectionner les ambulances de campagne et les techniques opératoires. L’anatomie de la période révolutionnaire est marquée par trois grandes figures de la médecine, Jacques René Tenon, Xavier Bichat et le Baron Antoine Portal auxquels il convient d’ajouter un génial précurseur Vicq d’Azyr. Hormis leurs recherches d’anatomie, ils consacreront, à la demande des différents gouvernements révolutionnaires, une partie de leurs travaux à réformer le système de santé et des études médicales. 1743 Réforme des études médicales (double cursus) (Tenon) 1774 Début de l’anatomie comparée (Vicq d’Azyr) 1788 Réforme du service de santé (Tenon) 1801 Bichat pose les bases de l’anatomie physiologique 1801-1810 Physiologie pathologique et expérimentale (Portal) 1802 Création du concours de l’internat 1805 Traitement des asphyxies (Portal) = Félix Vicq d’Azyr (1748-1794) Félix Vicq d’Azyr est né à Valognes en 1748 d’un père médecin. Il réalise ses études médicales à Paris et fréquente le Muséum d’histoire naturelle avec pour maître Buffon. Ce double cursus fera de lui le premier spécialiste en anatomie comparée. Félix Vicq d’Azyr 94 En 1774, il entre à l’Académie des Sciences et crée deux ans plus tard le Collège royal de médecine. Nommé à l’Académie française au siège de son maître Buffon en 1776, il travaille sur les épidémies et les épizooties. Pendant la révolution il est chargé de rédiger un « Nouveau Plan de constitution de la médecine en France ». Médecin de Marie Antoinette, il craint pour sa vie pendant la terreur (1790), mais passe sans être inquiété cette période difficile. Ses principaux travaux portent sur l’anatomie du cerveau. Il décrit ainsi le locus cœlureus et la Bande d’Azyr qui se trouve localisée entre la couche granulaire externe et la couche pyramidale externe du cortex. Il a pour élève Desgenettes. Cerveau selon Vicq d’Azyr Il décède d’une pneumonie après avoir assisté en 1794, à la fête de l’Etre suprême. = Jacques René Tenon (1724-1816) Tenon est originaire d’un petit village de l’Yonne, Sépeau. Il est issu d’une famille de chirurgiens de campagne vivant pauvrement de leur activité (il est l’aîné de 11 enfants). Malgré cette enfance difficile et « …son dégoût pour l’anatomie, son effroi pour la chirurgie et l’horreur que lui avait inspiré l’administration des hôpitaux… », il devient l’élève de Winslow (professeur d’anatomie au jardin du Roi). La réforme des études médicales de 1743 obligeant les futures médecins à valider une maîtrise (la réforme du double cursus n’est pas une nouveauté), Tenon se trouve dans l’obligation de reprendre des études. Chirurgien militaire dans l’armée des Flandres (1744) où il acquière une grande dextérité chirurgicale, Jacques René Tenon réintègre la capitale et exerce la chirurgie à la Salpetrière. Dans cet établissement réservé aux femmes (pour les hommes c’était Bicêtre), Tenon Hôpital de la Salpetrière 95 soigne les aliénés et les miséreuses enfermées dans cet établissement humide et nauséabond. Il obtient du gouvernement la possibilité de construire un petit hôpital attenant au collège de chirurgie pour y mener ses expériences. Ses cours de chirurgie et d’anatomie le rendent rapidement célèbre. Il est fait membre de l’Académie des sciences et agrégé au Collège de l’Académie de chirurgie. En 1785, le Roi Louis XVI le charge d’un rapport administratif sur le fonctionnement des hôpitaux et sur la reconstruction de l’Hôtel-Dieu incendié treize ans auparavant. Hôtel Dieu de Paris Ce travail aboutira en 1788 sur un mémoire envisageant les réformes à apporter au système de santé. Dans ce mémoire figure l’opportunité de construire un hôpital à l’est de Paris, qui deviendra ultérieurement l’hôpital Tenon (20ème arrondissement). Pendant la révolution Tenon poursuit son œuvre de réformateur. Membre de l’Assemblée législative jusqu’en1790, il est président du comité de Secours public et s’intéresse au sort des aliénés. En 1795 il fonde la maternité de Port Royal. Jusqu’à sa mort à l’âge de 95 ans, Tenon se consacrera à l’étude de l’anatomie dans sa maison de Massy. = Xavier Bichat (1771-1802) Xavier Bichat est né dans l’Ain, le 14 novembre 1771. Elève de Marc Antoine Petit à l’Hôtel Dieu de Lyon, il devient pendant la révolution chirurgien des Hôpitaux militaires. Officier de Santé il est admis comme officier de santé à l’Hôtel Dieu de Paris (à l’époque Grand hospice de l’Humanité) où il se lie d’amitié avec son maître en chirurgie Desault Pierre Joseph. 96 Xavier Bichat Faisant preuve d’une activité frénétique, il enseigne l’anatomie et pratique un nombre incroyable d’autopsies (plus de 600 en 10 ans). Disciple de Morgagni, il réussit à identifier plus de 21 tissus différents. Auteur du « Traité des membranes » (1800), de « l’Anatomie descriptive» (18011803), de « L’anatomie générale appliquée à la physiologie et à la médecine», il met en évidence l’importance du système organique dans lequel la cellule joue le rôle unitaire. Dans « Recherches physiologiques sur la vie et la mort », X. Bichat définit dans ses travaux des notions de physiologie qui serviront de base à la physiologie expérimentale développée par Claude Bernard. Définissant la vie comme « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort », il donne une image nouvelle de la physiologie, reconnue comme le moteur fondamental du maintien des fonctions vitales. A 31 ans Xavier Bichat contracte, lors d’une dissection, une infection qui se transforme en septicémie. Affaibli par cette maladie, il chute dans un escalier en sortant de son laboratoire de l’Hôtel Dieu et succombe quelques jours plus tard, âgé de 31 ans, malgré les soins de Lepreux et de Corvisart (membre de la chaire de Médecine au Collège de France) et des Docteurs Esparron et Roux (Huile sur toile, 80 x 100 cm par Hersent, actuellement à l’ancienne faculté de Médecine de Paris) La mort de Bichat = Antoine Portal (1742-1832) 97 Antoine Portal est l’archétype de ces médecins de transition engendrés par la révolution. Issu comme beaucoup de ses confrères du midi des facultés d’Albi et de Toulouse, il est docteur dans la plus ancienne faculté de France, Montpellier. Antoine Portal s’intéressa dès le début de ses études à l’anatomie et notamment à l’anatomie pathologique. Dès 1768, il publie le « Précis de chirurgie pratique contenant l’histoire de la chirurgie, et la manière la plus en usage de la traiter » en 2 volumes, suivi en 1773 de « Histoire de l’anatomie et de la chirurgie, contenant l’origine et les progrès des sciences » en 7 volumes. Arrivé à Paris en 1776 sur la recommandation du cardinal Bernis, Portal est nommé professeur d’anatomie du Dauphin (le futur louis XVI) et s’installe chichement rue du cimetière Saint André des Arts (rue Suger actuelle depuis l’ouverture des boulevards St Michel et St Germain), dans un bâtiment qui lui sert également d’amphithéâtre. Peut-être est-ce le contact permanent avec les cadavres utilisés pour ses cours qui lui donnèrent l’envie de se consacrer à l’anatomie pathologique. En 1769, il est titulaire de la chaire de Médecine au Collège de France, et membre de l’Académie des Sciences. Antoine Portal Recommandé par Buffon, il est nommé titulaire de la chaire d’anatomie humaine du jardin du Roi. Pendant la révolution et l’empire, Antoine Portal continuera ses recherches et publiera « Observation sur la nature, le traitement du rachitisme… » en 1797, ses « cours d’anatomie médicale » (5 volumes) en 1803 Titulaire de la légion d’honneur, il devient à 84 ans (1818) premier médecin de Louis XVIII, puis de Charles X Parmi ses travaux on retiendra les nombreux mémoires sur « la nature et le traitement de plusieurs maladies, précis des expériences sur les animaux vivants, cours de physiologie pathologiques » (entre 1800 et 1815). Il fut le promoteur de la technique du bouche à bouche dans les cas de détresse respiratoire aigue « Traitement des asphyxies » (1805). Enfin, c’est lui qui fit créer par Louis XVIII le 20 Décembre 1820 l’Académie de Médecine dont il fut le Président d’honneur jusqu’à sa mort en 1832. Maladies mentales Avant la révolution française de 1789, il n’existait pas de distinction entre les forçats et les malades mentaux. Ces derniers se retrouvaient incarcérés et enchaînés dans des conditions d’insalubrité et de misère physiologique particulièrement épouvantables. Les hommes étaient internés à Bicêtre et les femmes à la Salpetrière qui servait également de dépôt pour les prostituées, les mendiantes, les filles mères et en générale toutes les filles en rupture de ban. Les lettres de cachet, qui permettaient d’interner pour démence un individu sans aucun examen clinique, ne seront supprimées que par la convention. Le début de la psychiatrie en temps que science commence véritablement vers 1790 avec P. Pinel. Ce dernier soutint l'idée qu'il fallait distinguer parmi ces hommes et ces femmes les 98 "aliénés en l'esprit" et les condamnés de bien commun. Pour cela il fit aménager pour l'accueil des malades, avec l'approbation du parlement, des locaux hospitaliers à Bicêtre et à la Salpetrière distinct des cachots et des geôles destinées aux prisonniers. P. Pinel Au début du 19ème, la maladie mentale fait l’objet d’une attention toute particulière des classes bourgeoises attachées à l’ordre moral. Au moment de la création du code civil et du développement des sciences, la folie doit trouver ses marques, ses limites, une définition et une origine, autrement dit entrer dans un cadre anatomophysiologique. La reconquête religieuse post révolutionnaire place l’homme, créature de Dieu au centre du débat ; l’homme naît parfait, mais il peut être gâté par sa faute ou celles de ses ascendants. La femme, responsable du péché originel, demeure à la limite de la raison, toujours prête, sous l’empire de son sexe (comprendre de ses hormones) à sombrer dans la monomanie ou l’hystérie. Son aliénation à ses parents, son mari, ses enfants même, font d’elle un être fragile que la lecture de roman ou des rêveries trop prononcées précipitera dans la « démence sociale ». Après la reconnaissance des droits de l’homme, et les envolées humanistes quelque peu romantiques envers ceux qui souffrent de « confusion mentale», les médecins cherchent à identifier l’origine de ces troubles dont on commence à préciser la sémiologie. Etienne Esquirol, aliéniste, posera le premier les bases du fonctionnement asilaire, en 1805. Il rédige une thèse sur "Les Passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l'aliénation mentale", mais ce n’est qu’en septembre 1818 qu'il présente au ministre de l'intérieur son mémoire :"Des établissements d'aliénés en France, et des moyens d'améliorer le sort de ces infortunés". 1795 Pinel libère de leurs chaînes les aliénés de la Salpêtrière 1818 Esquirol réforme le régime asilaire = Philippe Pinel (1745-1826) Né près de Castres, P. Pinel passe sa thèse en médecine à la faculté de Toulouse en1773. Nommé médecin de l’hospice de Bicêtre en pleine révolution (1793) puis à la Salpêtrière deux ans plus tard avant d’être nommé membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie de Médecine. P. Pinel 99 Véritable créateur de la médecine mentale, auteur du traité médico-philosophique de la maladie mentale ou la manie (1801), P. Pinel, qui était très proche et à l’écoute de ses malades, passera à la postérité grâce aux tableaux allégoriques peints par Charles Muller (1849) et Robert Fleury en 1876, le représentant en train de débarrasser les folles de leurs chaînes. Tony Robert-Fleury 1876 Le « bon Monsieur Pinel » ainsi que l’appelaient ses étudiants, était pourtant porteur des préjugés de son temps concernant la folie des femmes « elle porte son vice dans son sang ». Le péché originel n’est pas loin, et si les folles sont libérées de leurs chaînes, un nombre sans cesse croissant de femmes accusées de monomanie, d’hystérie, de dégénérescences parce qu’elles sont prostituées, insoumises à leur mari ou à leurs parents, sont considérées comme aliénées et enfermées. En ce qui concerne les homosexuelles, Pinel conseille « de confiner ces victimes de la débauche dans des loges écartées et à les laisser se plonger dans toutes les saletés que leur imagination abrutie suggère sans infecter les autres de leur exemple ». La « Nosographie philosophique », son œuvre maîtresse, servira de manuel de référence de toute une génération de médecins pendant près de trente ans. = Etienne Esquirol (1772-1840) Etienne Esquirol est né à Toulouse où il fait ses études médicales. Il poursuit ces dernières à la Salpetrière avec Pinel pour maître. 100 Etienne Esquirol Thèsé en 1805, il succède à Pinel comme médecin chef des aliénés. Il est à l’origine de la loi sur les aliénés de 1838. Il est l’auteur des « Maladies mentales », publication richement illustrée de planches gravées représentant les différentes attitudes des aliénés. L’hôpital de Toulouse porte son nom. Statut d’Esquirol à l’hôpital de Toulouse OPH 101 L’ophtalmologie en tant que discipline médicale n’est pas l’objet d’avancée significative pendant cette période. Pourtant, un philanthrope va jouer un rôle éminent dans la prise en charge des aveugles. = Valentin Haüy (1745-1822) Valentin Haüy n’était pas médecin mais simplement philanthrope. Après un Essai sur l’éducation des aveugles en 1786, il fonda une école destinée aux jeunes aveugles. Valentin Haüy Cette première école fut par la suite transformée en « Institution Nationale des jeunes aveugles travailleurs » (transférée aux Quinze-Vingts en 1801). C’est là que Louis Braille, le futur inventeur de la méthode de lecture par signes, fit ses études (système de lecture tactile utilisant des points en reliefs, conçu en 1825). Gynécologie, obstétrique En obstétrique, la période révolutionnaire est marquée par un personnage hors du commun, souvent irascible, mais d’une rigueur scientifique et médicale exceptionnelle, Jean Louis Baudelocque. 1800 Création de la pelvimétrie 1802 Première école de sages femmes = Jean Louis Baudelocque (1746-1810) Originaire de la Somme, le jeune Baudelocque fut très vite initié à la chirurgie par son père qui exerçait dans cette région. Elève de Solayres de Renhac qui enseignait l’accouchement au Collège royal de chirurgie, il lui succède après le décès de son maître survenu en 1771. Il soutient sa thèse en 1776 et abandonne l’enseignement pour exercer l’obstétrique. Du fait de la révolution il perd son siège à l’Académie de Médecine et craint continuellement d’être arrêté. Suspect, il fut sauvé après une équipée nocturne rocambolesque en accouchant la citoyenne Fouquier-Tinville, femme du terrible accusateur publique. Promu professeur d’obstétrique à l’Hôtel-dieu (1795) puis nommé premier titulaire de la chaire d’obstétrique à Port Royal en 1804 (maternité créée par Tenon en 1795 qui fut dotée en 1802 d’une école de sages femmes), il exerça le reste de sa carrière dans cette institution. 102 Irascible, nerveux, irritable, intolérant il se fâche avec nombre de confrères et notamment avec les sages femmes de l’établissement qui finirent par refuser que les étudiants assistent aux accouchements, posant ainsi des problèmes pour la formation des futures obstétriciens. Maniaque dans ses observations, il décrivit minutieusement quatre vingt treize positions du fœtus in utero. Pelvimétrie Pelvimètre Pelvimétrie Il introduisit la pelvimétrie externe et la description du mode de délivrance, dite de Baudelocque. On lui doit l’invention du compas de Baudelocque. Forceps de Baudelocque Son neveu, Louis Auguste Baudelocque (1799-1864) mit au point un nouveau procédé opératoire pour les césariennes. Cliniciens = Pierre Jean Georges Cabanis (1757-1008) 103 Pierre Jean Georges Cabanis occupe une place à part, et malheureusement trop souvent oubliée dans la philosophie de la pratique médicale. Corrézien de naissance, puis parisien d’adoption, Cabanis est docteur en médecine de la faculté de Reims en 1784. Philosophe, traducteur d’Homère, Cabanis imprimera sa marque sur la réforme médicale révolutionnaire. Titulaire de plusieurs chaires médicales à la nouvelle Ecole de Santé de Paris, il s’affirme comme historien et théoricien de la médecine et de ses applications. Auteur de « Rapports du physique et du moral de l’homme » en 1802, il définit une nouvelle conception de l’art d’exercer la médecine. En créant le caractère « sacerdotal » de l’exercice médical, il affirme les exigences nouvelles propres à assurer la qualité des soins et le suivi des patients. On ne «fait pas médecine », on « entre en médecine », phrase qui mérite d’être méditée par les étudiants actuels et futurs. C’est sur ces bases que la médecine se développera en Europe pendant tout le 19ème siècle et la première partie du 20ème siècle. L’abandon progressif de ces principes en rapport avec l’évolution sociale conduit aujourd’hui le médecin à être un prestataire de service plutôt qu’un artiste. Pour tous ceux qui voudraient réfléchir à cette philosophie ou se recueillir sur sa tombe, sa sépulture se situe dans le vieux cimetière d’Auteuil. Cette dernière ne contient que son cœur, le corps reposant au Panthéon, preuve s’il en était, que la Patrie a reconnu en Cabanis le Père de la Médecine moderne. = John Cheyne (1777-1836) Médecin écossais, John Cheyne, publie à Dublin un traité sur la maladie des enfants John Cheyne C’est surtout dans la qualité de ses observations cliniques que Cheyne passera à la postérité. Il donnera avec Stokes, son nom à un type particulier de respiration irrégulière, le syndrome de Cheyne Stokes. 104 * Respiration de Cheyne-Stokes : Rythme respiratoire caractérisé par une période d’apnée plus ou moins longue à laquelle succède une série de respirations d’amplitude croissante, suivie d’une autre série d’amplitude décroissante. Médecine et chirurgie militaire La révolution et les guerres impériales donnèrent à la médecine et à la chirurgie militaire un essor considérable. C’est à partir de l’expérience recueillie sur les champs de bataille que la traumatologie et l’hygiène progresseront et acquerront leurs lettres de noblesse. Deux médecins hygiénistes marqueront les campagnes napoléoniennes, Jean François Coste et Nicolas Desgenettes. Trois chirurgiens se sont particulièrement illustrés pendant cette période, Pierre François Percy, Dominique Larrey et François Broussais. 1790 Premier bataillon d’ambulancier et de brancardiers (Percy) et un corps mobile de chirurgie militaire. 1792 Organisation par Larrey des corps d’ambulances réglementaires créés par Percy 1794 Utilité des pièces anatomiques artificielles (Desgenettes) 1809 Travaux sur une convention certifiant l’inviolabilité des hôpitaux militaires et la remise des blessés à son armée (Percy). 1814 Etude sur l’état de l’enseignement de la médecine et de la chirurgie (Coste). 1815 Technique de désarticulation de l’épaule (Larrey). 1820 Introduction des données physiologiques dans la recherche étiologique des pathologies (Broussais). = Jean François Coste (1741-1819) Jean François Coste est originaire du Bugey. Après ses études au collège de Belley, il entre au petit séminaire de Lyon. Il étudie la médecine à Paris avec des maîtres prestigieux (Astruc, Jussieu…), puis, faute de moyens financiers pour rester à Paris, passe son doctorat à Valence. Confronté à une épidémie de typhus, il soigne avec passion les habitants de la région et notamment Voltaire à Ferney. Il fait paraître à cette époque (1773) un mémoire sur l’hygiène. Il part ensuite aux Etats-Unis dans l’armée commandée par Rochambeau où, estimé de ses supérieurs et des universités américaines, il devient médecin chef du corps expéditionnaire (1783). De retour en France, il est fait médecin des armées du Roi et prend la direction des Invalides en 1796. Bonaparte, puis Napoléon, en fera un médecin de la grande armée avec laquelle il participera aux batailles d’Austerlitz et d’Eylau. En 1814, lors de la restauration, Louis XVIII le fera commandeur de la légion d’honneur et le chargera de rendre compte de l’état de l’enseignement de la médecine et de la chirurgie. = Nicolas Desgenettes (1762-1832) Né à Alençon, Desgenettes suivit des cours au Collège France avec pour maître Vicq d’Azyr. Pour se perfectionner il suit des enseignements en Angleterre, notamment avec Hunter, et en Italie. Il est nommé Docteur en Médecine à Montpellier « essais physiologiques sur les vaisseaux lymphatiques » en 1789. En 1793 il accompagne l’armée d’Italie avec la division Masséna et lutte alors efficacement contre une épidémie de typhus. De retour à Paris il est nommé médecin ordinaire du Val de Grâce. Professeur de physiologie et de physique appliqué, il travaille sur « l’utilité des pièces anatomiques artificielles ». En 1798 Bonaparte qu’il avait connu en Italie le fait Médecin chef des armées d’Orient. 105 Nicolas Desgenettes Il participe à ce titre à l’expédition d’Egypte et se trouve confrontés aux maladies endémiques des régions chaudes et humides (variole, fièvre de Damiette, dysenterie, peste, scorbut…). Il publie la même année « Histoire médicale de l’armée d’Orient ». De retour au Val de grâce en 1806, il travaille sur la fièvre jaune. Mais Napoléon pense qu’il est plus utile aux armées qu’à Paris. Il lui demande donc d’abandonner son fils mourant et de regagner la Grande armée dont il est fait Médecin Chef en 1807. Il participe aux bataille d’Eylau, Friedland, Wagram, à la campagne de Russie* et à la fin des cents jours à Waterloo. Napoléon rendant visite aux pestiférés de Jaffa 106 Louis XVIII le fait Grand croix de la légion d’honneur, le confirme comme médecin chef du Val de Grâce et comme professeur d’Hygiène à la Faculté de Médecine de Paris. Son nom figure sur l’Arc de triomphe de l’étoile. * Prisonnier des Russes après la bataille de la Moskova, il sera libéré par le tsar au seul énoncé de son nom tant sa réputation de courage et d’abnégation est grande. = Pierre François Percy (1754-1825) Fils d’un médecin militaire, le jeune Percy se dirigea très rapidement vers la chirurgie. Il fut reçu docteur en médecine à Besançon à l’âge de 21 ans. Après avoir complété son enseignement à Paris, Percy est chirurgien de la gendarmerie à Lunéville, puis chirurgien major au régiment de Berry en 1782 (avant la révolution les régiments portaient le nom du Prince qui les commandait). Pierre François Percy Passionné par son art, Percy fut régulièrement primé par l’académie de chirurgie (Les instruments tranchants en 1785, Les instruments destinés à l’extraction des corps étrangers 1789, les bistouris en 1788, Les cautères en 1790). Pendant la révolution il est nommé commandant du service de santé des armées et met au point les secours aux blessés pendant la bataille (premier bataillon d’ambulanciers et de brancardiers) ainsi qu’un corps mobile de chirurgie militaire. Napoléon le nomma inspecteur général du service de santé des armées, puis Baron en 1809. Ses travaux seront repris par Larrey, à qui Napoléon demanda d’organiser le service sanitaire en campagne. Membre des Académies des sciences et de Médecine, professeur à la faculté de médecine de Paris, Pierre François Percy s’intéressa également aux conditions dans lesquelles le blessé pouvait recevoir les premiers soins. C’est ainsi qu’il proposa la mise en place d’une convention certifiant l’inviolabilité des hôpitaux militaires et la remise des blessés à son armée. Encore présent à Waterloo, blessé plusieurs fois, il prit sa retraite à Montjay la Tour près de Lagny. Un hôpital militaire de la région parisienne perpétue son Nom. = Dominique Larrey (1766-1842) Dominique Larrey est né à Beaudean dans la campagne pyrénéenne, d’une famille modeste (son père est décédé quand il n’avait que quatre ans), mais indubitablement marquée par la médecine et la chirurgie puisque en trois générations on compte huit chirurgiens militaires et plusieurs médecins militaires ou civils. 107 Baron Dominique Larrey Sa vie durant, il accompagnera l’empereur depuis la campagne d’Egypte jusqu’à la campagne de France (il participera à toutes les batailles à l’exception de celle d’Iéna). Chef du service chirurgical de l’hôpital militaire du gros caillou à Paris (1802) il est nommé inspecteur général du Service de Santé (poste partagé avec Desgenettes, Percy…), puis chirurgien de la grande armée (1805). Dominique Larrey à Eylau Charles Louis Muller Cette même année Larrey est chargé du premier corps d’ambulance réglementaire, service qu’il avait promu en 1792 (trois divisions par armée, disposant chacune de 99 hommes, quinze chirurgiens quarante six infirmiers, treize aides soignant, vingt cinq conducteurs d’équipage ainsi que de 12 voitures légères). Cette organisation est complétée par un hôpital de campagne à l’arrière des combats. Elle restera inchangée jusqu’à la grande guerre, c'est-à-dire jusqu’à ce que les moyens d’évacuation puissent bénéficier d’un service motorisé terrestre ou volant. 108 Tout au long de sa vie il ne cessera de perfectionner les techniques d’amputation dont il avait déjà fait son sujet de thèse « Amputation des membres ». Il proposera notamment l’amputation par désarticulation qui présente l’intérêt de ne pas « ouvrir » l’os et de réaliser des sutures vasculaires de meilleure qualité. Stigmatisé par les surinfections des blessures de guerre, il ne cessera de développer l’hygiène et les techniques de nettoyages des plaies. Ses expériences sur les larves de mouche sont actuellement reprises dans plusieurs centres chirurgicaux. Il mettra également en pratique le tri des blessés pour évaluer l’urgence et les possibilités de survie en distinguant les urgences immédiates, les urgences différées et les cas désespérés. On lui reprochera beaucoup l’entassement des membres résultant des amputations réalisées avec une extrême dextérité (2 à 3 minutes). L’indication à amputer était toujours posée avec la hantise de la gangrène (sèche ou humide) responsable d’une mortalité différée considérable (la mortalité des amputés était d’environ 4%, ce qui est remarquable). Il est nommé médecin chef des invalides en 1832 et mis à la retraite à l’âge de 72 ans en 1838. On doit à Larrey un type de désarticulation de l’épaule, dite en « raquette », le signe de Larrey permettant, par pression antéropostérieure sur les épines iliaques, de diagnostiquer les fractures du bassin et en anatomie la fente de Larrey (espace diaphragmatique rétro-sternal à l’origine de la hernie abdomino-thoracique et voie d’abord privilégié pour la ponction péricardique). Fente de Larrey 109 = Louis Jacques Bégin (1793 1859) Louis Jacques Bégin Né dans le Finistère à Locronan, Bégin rejoint la grande armée et participe avec Larrey à la campagne de Russie, d’Allemagne et de France. Chirurgien, il est nommé au Val de Grâce, puis à l’Académie de Médecine. Ses travaux les plus remarquables portent sur la physiologie pathologique, la thérapeutique, la pathologie chirurgicale et la médecine opératoire (1824). Hôpital Begin 110 Membre du conseil d’hygiène et de salubrité, il publie également une étude sur le service de santé militaire en France (1849). L’hôpital militaire de Vincennes porte son nom. = François Broussais (1772-1838) François Broussais est un malouin issu d’une famille médicale (père chirurgien de la marine, arrière grand père médecin, grand père pharmacien). François Broussais Après ses études de médecine, il s’embarque comme chirurgien sur les navires corsaires (notamment avec Surcouf) et mène cette vie d’aventure pendant six ans. Prise du Kent par Surcouf Il se rend ensuite à Paris et devient l’élève de Bichat, Pinel, Corvisart. Sur les conseils de Desgenettes, alors médecin au Val de Grâce, il s’engage dans l’armée napoléonienne et sert au service d’urgence mis en place par D. Larrey. Revenu à Paris comme professeur au Val de grâce, il entame une polémique contre les anciens canons de la médecine en prônant le développement d’une médecine issue des découvertes physiologiques (le traitement doit tenir compte des altérations pathologiques constatées dans les tissus, et non de doctrines humorales dépassées). Ayant découvert de très nombreuses lésions intestinales pour la plupart en rapport avec la fièvre typhoïde, il conclut hâtivement que le tube digestif était à l’origine de toutes les maladies fébriles, considérant que la fièvre était responsable de l’aggravation des maladies. 111 Emporté par ses considérations novatrices il s’en prend à Pinel et à Laennec qui prônent l’auscultation comme moyen diagnostic. Médecin chef du Val de Grâce en 1820, il est nommé à l’Académie de Médecine puis titulaire d’une chaire spécialement créée pour lui « Pathologie et thérapeutique générale ». Le souvenir que l’on garde de Broussais, qui était un brillant professeur adulé de ses étudiants, est actuellement très partagé. Si on lui reconnaît l’introduction des données physiologiques dans la recherche étiologique des pathologies, on ne peut être que surpris par l’application qu’il en fit en thérapeutique. Pour Broussais, l’inflammation, à la base de toutes les pathologies (théorie développée par Alexis Pujol), ne peut être combattue que par la diète, la pose de sangsues (il eut un tel succès auprès de ses confrères que la France se mit à importer plus de 4 millions de sangsues/an) et les saignées fréquentes, on se croirait revenu au 16ème siècle. Le remboursement des sangsues par la Sécurité Social n’a été supprimé qu’en 1970. Estampe satyrique montrant le résultat des traitements de Broussais Devant la mortalité effarante de ses patients, résultant de ce traitement, certains n’ont pas hésité à parler de « fléaux du 19ème siècle ». On lui doit cependant la conception novatrice de l’introduction de la physiologie dans le diagnostic étiologique. Chirurgie = Abraham Colles (1773-1843) Né à Kilkenny en Irlande, A. Colles entre à la Faculté de Dublin puis à Edinburgh où il obtient sa thèse en 1797. Il retourne exercer la chirurgie à Dublin. Très estimé de ses confrères, généreux et modeste, Colles a été un chirurgien particulièrement talentueux. Nommé Président Collège royal de Chirurgie, il professe sa vie durant l’anatomie et la chirurgie. 112 Praticien du groupe de Dublin avec J. Cheyne, W. Stokes, R. Adams, D.J. Corrigan (qui a laissé son nom à une variété de pouls en rapport avec une atteinte des valves sigmoïdes), il travailla également sur les fractures du poignet (1814). Une d’entre elle porte encore son nom, la fracture Colles, connue en France sous le nom de fracture de Pouteau (fracture de l’extrémité inférieure du radius). Fracture de Colles Comme anatomiste on retiendra le Fascia de Colles (fascia périnéal), l’espace de Colles (espace périnéal superficiel) et le ligament de Colles (ligament inguinal réfléchi). Il est le premier à avoir ligaturé l’artère sous-clavière en 1837. = Guillaume Dupuytren (1777-1835) Guillaume Dupuytren fut un homme étrange dans sa vie et la manière de la conduire. Vaniteux, hautin, méprisant parfois, ambitieux à l’extrême, introverti, dédaigneux…. Les mots employés par ses contemporains ou ses biographes ne sont jamais tendres et montrent l’extrême mal être de ce chirurgien d’exception. 113 Guillaume Dupuytren Nommé chirurgien de deuxième classe à l’Hôtel Dieu en 1802, Dupuytren eut comme maître Pelletan qui lui permit d’accéder rapidement au poste de chirurgien adjoint. + En fut conflit permanent avec ses confrères pour des raisons médicales (J.P. Roux,), d’avancement ou même privées (il refusa la main de sa fille à A. Boyer, l’un de ses maîtres. + Il fut morigéné vertement par Laennec à la mort de Bichat dont il avait tenté de s’attribuer la paternité de ses derniers travaux (1802). + Après le décès de Sabatier, titulaire de la chaire de médecine opératoire, il réussit, après une lutte acharné,e et la production de faux certificats, à remporter le concours appuyé par son maître Pelletan qu’il évincera rapidement de l’Hôtel Dieu. Ce comportement épouvantable, non exceptionnel dans le milieu médical encore aujourd’hui, fit dire à son biographe Malgaigne « il ne faut pas prétendre à la gloire quand on a visé qu’à la célébrité ». Maladie de Dupuytren Remarquable clinicien et chirurgien hors paire, il opérait avec une maîtrise exceptionnelle. Véritable créateur de l’anatomie chirurgicale, Dupuytren découvrit le diploë, précisa en prolongement de ses travaux sur le périnée (sujet de sa thèse) l’anatomie des trompes utérines, le développement du bassin, des canaux déférents. En ligaturant le canal thoracique chez l’animal, il mit en évidence sa physiologie de collecteur de la lymphe. 114 Assassinat du Duc de Berry Amené à intervenir en urgence lors de l’assassinat du Duc de Berry à la sortie de l’Opéra en 1820 (il avait reçu un coup de couteau du sieur Louvel et perdait abondamment son sang), Dupuytren réalisa un sondage de la plaie au doigt, intervention sans objet qui fit dire au Duc de Berry « Ah ! que vous me faites souffrir…, vous m’arrachez le cœur ». Il faut dire que la médecine d’urgence de l’époque montrait quelques failles dans ses interventions. Quelques dizaines de minutes avant l’arrivée de Dupuytren, un dénommé Drogar qui se disait « enfant d’Esculape » et le docteur Blancheton appelé en toute hâte se concertèrent pour proposer au blessé…. une saignée ! Devant l’inefficacité avérée de ce premier traitement on appliquera au malheureux des ventouses, un bain de pieds, et pour finir un lavement, thérapeutiques qui abrégèrent sans nul doute les souffrances du patient. Visite de Charles X à l’Hôtel Dieu, guidé par Dupuytren Malgré cet intermède fâcheux, Dupuytren devint le premier chirurgien de Charles X, et fut reçu dans les premiers à l’académie de médecine. Peu enclin à publier ses travaux il n’a laissé comme souvenir que la maladie qui porte son nom (rétraction de l’aponévrose palmaire). A la fin de sa vie, sans descendant il créera une fondation à laquelle il léguera sa fortune. = Jacques Lisfranc de Saint-Martin (1790-1847) « Le médecin meurt de faim ou de fatigue » Jacques Lisfranc de Saint-Martin est issu d’un père médecin qui exerçait dans la Loire. Etudiant à Lyon, il passe son Internat à Paris en 1809, puis devient l’élève de Dupuytren à l’Hôpital Saint Louis de Paris. 115 J. Lisfranc En 1812, il suit Napoléon en campagne et assiste aux combats de Leipzig. Rapatrié en France pour cause de typhus, il exerce la chirurgie et notamment l’amputation du pied au niveau de l’articulation tarso-métatarsienne qui porte encore son nom. Barré dans sa carrière par son Maître Dupuytren, qui s’oppose à sa nomination à la Faculté de médecine, il succède à Béclard à l’Hôpital de la Pitié (il vouera une animosité farouche à Dupuytren jusqu’à la mort de ce dernier en 1835 « Ce Dupuytren qui m’a fait tant de mal »). Malgré la qualité de son enseignement, il échouera, la chaire de chirurgie revint à Velpeau. Articulation de Lisfranc Réputé en gynécologie, il se constitua à la Pitié une clientèle importante concernant les maladies de l’utérus. Appelé au chevet de la Reine Hortense qui souffrait d’un cancer utérin, il refusa d’intervenir car dit-il « Si la chirurgie est brillante quand elle opère, elle l’est bien davantage lorsque, sans faire couler le sang et sans mutilation, elle obtient la guérison du malade ». Médecine et chirurgie du Roi et de l’empereur = Marie Vincent Talachon (1753-1817) Chirurgien de Louis XVIII Marie Vincent Talachon, né à Thorigny en Seine et Marne, entra dans les ordres sous le nom de Père Elisée. C’est dans son ordre qu’il devint praticien en chirurgie, exerçant son art dans les hôpitaux couvents de son ordre. Pendant la révolution, il suivit les émigrés et devint chirurgien de 116 l’armée des princes. Pendant l’exil en Angleterre il fit l’autopsie du chevalier d’Eon dont on ne savait s’il était femme ou homme. Lors de la restauration, il revint à Paris et fut alors nommé chirurgien du Roi (Louis XVIII). Par des saignées répétées, il parvint à soulager le roi podagre (goutteux) en lui permettant de satisfaire sa gourmandise naturelle. Louis XVIII, le Roi podagre Haï de ses confrères, qui lui reprochait à la fois son empirisme, sa position enviée et son manque de formation, le Père Elisée se mêla de vouloir réformer les études médicales et les acquis de la révolution (formation d’un corps d’officiers de santé et surtout l’obligation de valider la médecine avant de pratiquer la chirurgie). Les cents jours, l’impopularité de cette réforme, puis son décès survenu en 1817, devait faire échouer définitivement ce projet à la fois rétrograde et avant-gardiste en ce qui concerne l’enseignement de la chirurgie après la médecine. Sa notoriété se limita donc au soulagement du Roi (il était véritablement adulé de Louis XVIII) et à son projet malheureux de réforme. = Jean-Nicolas Corvisart (1755-1821) Médecin de Napoléon premier « Je ne crois pas en la Médecine, mais je crois en Corvisart » Napoléon premier Jean-Nicolas Corvisart est d’origine ardennaise. Contre son père qui voulait en faire un juriste, il s’inscrit à la faculté de médecine de Paris en 1777 et est reçu médecin cinq ans plus tard. Professeur de pathologie, puis d’obstétrique, de physiologie et de pharmacie, il exerce à la Charité jusqu’en 1806, poste qu’il abandonnera pour suivre l’Empereur. 117 Nommé médecin de l’empereur, il accompagne Napoléon à Boulogne, en Rhénanie, en Italie puis à Vienne. Véritable praticien de médecine « interne », Corvisart suit la grossesse et l’accouchement de l’impératrice Marie Louise. Son intérêt pour la pratique clinique se retrouve dans ses différentes publications ou traductions « Commentaire des aphorismes de Stoll 1797, Essai sur les maladies et les lésions organiques du cœur 1806 ». Pour traiter les hémorroïdes de l’empereur, favorisée par la monte prolongée à cheval, Corvisart utilisait des sangsues ; remède qui d’après l’empereur lui-même était particulièrement efficace. Médecins de la révolution On ne peut quitter cette période révolutionnaire sans évoquer les mânes du « bon docteur Guillotin » qui, pour éviter des souffrances inutiles aux suppliciés, inventa la fameuse Guillotine, et du Docteur Jean Paul Marat, auteur de l’Ami du peuple et du Père Duchenne. = Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814) Joseph Guillotin est né à Saintes, dans une famille bourgeoise. Après des études chez les jésuites, il gagne Paris et entre à la Faculté de Médecine. Joseph-Ignace Guillotin Brillant, il acquière rapidement une notoriété importante et une nombreuse clientèle. Il est nommé Professeur d’anatomie à la faculté de Paris. J. Guillotin fait partie de la commission d’enquête chargée de mettre en évidence le caractère infondé des théories de Mesmer. Elu député de Paris, il participe aux grands mouvements révolutionnaires et propose à l’Assemblée constituante, avec l’appui de Mirabeau, « l’unification de la peine de mort par un simple moyen mécanique ». Le texte est voté le 10 Octobre 1789. 118 Exécution de Louis XVI La guillotine sera finalement réalisée par Antoine Louis, secrétaire de l’Académie de chirurgie en 1792 (d’où son nom de Louison parfois employé). Après avoir été testée à Bicêtre sur des cadavres, elle entrera en fonction le 25 Avril 1792 pour un dénommé Nicolas Pelletier, voleur de son état. Sous le Consulat, Guillotin est chargé d’installer le premier programme de Santé Publique en France. Après la période révolutionnaire, il reprend ses activités médicales et deviendra, avec son ami le Duc de La Rochefoucaut, un ardent défenseur de la vaccination antivariolique prônée par Jenner. = Jean Paul Marat 1743-1793 Jean Paul Marat est né à Neuchâtel, en Suisse. Etudiant à Montpellier, il passe sa thèse dans cette faculté, puis s’installe à Bordeaux avant d’entreprendre des voyages à travers l’Europe (Londres, Dublin, Edimbourg, La Hayes, Amsterdam, Paris). Jean Paul Marat En 1777, il est médecin des gardes du conte d’Artois. Passionné de recherches, il publie plus de 15 ouvrages sur « le feu et l’électricité », « les effets de l’électricité ». Dès le début de la révolution, il lance des projets sur les droits de l’homme, l’abolition de l’esclavage et prévient le peuple contre les menées de Monsieur de Necker. Elu député de la constituante en septembre 1792, il redouble d’agressivité dans ses publications (notamment l’Ami du peuple, édité pour la première fois en 1789). 119 Atteint d’une maladie de peau (peut être un eczéma marginé de Hebra), Marat était dans l’obligation de prendre des bains pour soulager ses brûlures. C’est dans sa baignoire que Charlotte Cordey l’assassinera en 1793. Assassinat de Marat Tableau de David On demanda au peintre David d’organiser l’exposition de son corps et le convoi qui devait le mener au Panthéon. Malheureusement les effets rapides de la putréfaction (il faisait très chaud à Paris) détachèrent le bras qui pendait de la baignoire, on dû le remplacer par un autre pris sur un cadavre anonyme. 120 DU ROMANTISME AUX IMPRESSIONISTES Le 25 Février 1830 le rideau du Théâtre–Français vient de tomber sur le dernier acte du drame de Victor Hugo, Hernani. La bataille qui fait rage entre les classiques et les modernes signe l’ouverture d’une ère nouvelle, celle du romantisme. Les trois glorieuses et la chute de Charles X signeront définitivement la fin de l’ancien monde. Pendant 85 ans (jusqu’au début de la guerre de 1914, et l’entrée dans la période moderne), la médecine sera confrontée à une mutation sociétale jamais encore rencontrée, même pendant la révolution. L’industrie, le capitalisme, l’exode rural, l’instruction obligatoire, le développement des transports (n’oublions pas qu’il était prévu que les poumons des passagers des premiers trains explosent si la vitesse de 50 km/h était atteinte), modèleront une nouvelle société aux besoins sanitaires différents. L’acquisition ne nouvelles techniques, le développement des sciences expérimentales seront de puissants leviers qui donneront des moyens mieux adaptés aux chirurgiens et aux médecins. Cette période de profonde mutation sociétale voit se développer des pathologies qui, si elles existaient déjà depuis des siècles, prennent alors une importance telle, qu’elles influeront sur le mode de vie et de pensée des contemporains. La tuberculose emportera nombre de romantiques et Laennec lui-même. Les épidémies de choléra, dont celle de 1847 enlèvera Madame de Récamier. Le syndrome dépressif ou mélancolie, plus connue sous son nom anglais de spleen, inspirera aux romantiques désabusés, les plus beaux vers de la langue française. La syphilis conduira à l’asile Maupassant, Toulouse Lautrec, le frère de Manet (époux de Berthe Morisot), Mallarmé et toute une foule de poètes et de peintres… Les médecins, si bien croqués par Daumier dans sa caricature de « Robert Macaire médecin » *, reçoivent en redingote et en chapeau haut de forme. * Robert Macaire est un personnage imaginaire, joué pour la première fois au théâtre dans « l’auberge des adrets » par Benjamin Lemaître. Il représente la vanité, l’ambition, la suffisance… qui caractérisent un certain nombre de confrères de cette époque « est-ce véritablement terminé ? ». Pendant cette période, la médecine se développe très rapidement, bénéficiant des découvertes scientifiques en chimie et biologie, et réalise des pas de géant en obstétrique, maladies infectieuses, hématologie, dermatologie, anesthésie, cardiologie, physiologie..., même si l’empirisme et les recettes moyenâgeuses restent parfois utilisées (On avait conseillé au frère de Napoléon, Jérôme, mari d’Hortense de Beauharnais, de dormir avec une chemise de lépreux pour lutter contre ses douleurs rhumatismales). Les grands noms qui marquent cette période sont trop nombreux pour être tous cités 121 en exergue. Ce sont pour la majorité d’entre eux des spécialistes, et non plus comme aux siècles précédents les précurseurs d’une discipline encore dans les limbes. Parmi ceux-ci René T.H. Laennec apparaît toutefois comme le maître incontesté du 19ème siècle. = René Théophile Hyacinthe Laennec (1781-1826) Né en Bretagne dans une famille de notaires, Laennec suit très rapidement les traces de son oncle Guillaume Laennec médecin de la marine puis professeur à l’école de médecine de Nantes. De 1795 à 1801, René Laennec suit les cours de médecine dans cette ville, puis s’installe à Paris pour bénéficier de l’enseignement de Dupuytren. René T. H. Laennec Très rapidement, il invente le stéthoscope et surtout définit les bases de l’auscultation « Traité d’auscultation mediate en 1819 ». Définissant l’axiome de la médecine moderne « Tout diagnostic doit être fondé sur les signes cliniques des maladies », il donne son titre de gloire à l’examen du patient au détriment de toute spéculation physiopathologique. C’est sur ce point que Broussais le dénigrera en publiant des pamphlets incendiaires tout en reconnaissant l’importance du stéthoscope (adepte d’une médecine rétrograde faisant appel aux humeurs, Broussais terminera sa carrière de brillant chirurgien dans une impasse scientifique). Stéthoscope de Laennec L’histoire raconte que Laennec observa deux gamins qui jouaient avec un tronc d’arbre. Tandis que l’un collait son oreille à une extrémité, l’autre grattais et tapotait de l’autre côté du tronc. La même histoire existe avec le tronc creux d’un arbre mort. C’est de cette observation que le premier stéthoscope (qui ressemble en effet à un tronc), aurait été conçu. 122 Laennec à l’hôpital Necker Tableau de Théobald Chartran Notez la tenue de Laennec lors de ses consultations (redingote, bottes, chapeau…). Le personnel infirmier est religieux. Laennec est représenté, tenant à la main son fameux stéthoscope. Les étudiants médecins sont équipés du tablier noué autour du cou qui restera en fonction jusqu’en 1975. Laennec est un des plus grands praticiens du 19ème siècle à la fois pour l’invention du stéthoscope, mais aussi pour l’utilisation qu’il en a faite en décrivant l’emphysème, la bronchiectasie et la tuberculose. Il a également laissé son nom à une forme particulière de cirrhose hypotrophique, dite cirrhose de Laennec (foie dur, rétracté ayant l’apparence du granit). Contrairement à Broussais, et malgré l’importance de ses découvertes, Laennec n’acquit jamais de son vivant une popularité comparable. Il meurt à 45 ans de la maladie du siècle, la tuberculose qu’il avait certainement contractée auprès de ses patients. 123 A partir de cette époque, la médecine, que l’on appelle « interne » aujourd’hui tend à se spécialiser. On voit ainsi apparaître la cardiologie, l’urologie, l’endocrinologie, la dermatologie, l’ORL l’ophtalmologie… Cardiologie La cardiologie du 19ème siècle devient une spécialité à part entière. Les principales pathologies cardiaques font l’objet de descriptions cliniques détaillées. Malgré l’absence de matériel d’investigation électrique, les troubles du rythme sont minutieusement décrits. L’électrocardiographie ne fera que confirmer ces descriptions cliniques au début du siècle suivant. = William Stokes (1804-1870) Médecin écossais, comme J.C. Cheyne, William Stokes s’intéressera à l’observation clinique et notamment à l’utilisation du stéthoscope récemment inventé par H Laennec pour ausculter le cœur et le thorax (chest). William Stokes Il publiera deux ouvrages de référence (Diseases of the chest et Diseases of the heart) qui seront utilisés par plusieurs générations d’étudiants. Son nom est également connu pour désigner un trouble du rythme décrit en collaboration avec Robert Adams (Stokes Adams) ou maladie d’Adams Stokes. La maladie d’Adams Stokes (en français) correspond aux troubles neurologiques observés du fait d’une restriction du débit vasculaire cérébral (vertige, lipothymie, épilepsie, syncope…). Sur le 124 plan cardiaque il s’agit d’un bloc atrio-ventriculaire entraînant une bradycardie ventriculaire, entrecoupée de poses pouvant entraîner une mort subite. = Jean-Baptiste Bouillaud (1796-1881) Bouillaud est originaire d’Angoulême. Il est très rapidement formé par son oncle Jean Bouillaud, médecin major des armées. Avant même d’avoir terminé sa formation, Bouillaud se trouve incorporé dans le service de santé des armées et participe, jusqu’à Waterloo aux batailles napoléoniennes. De retour à Paris, il obtient son doctorat en 1823. Dès 1824 il publie « Traité des maladies du cœur et des gros vaisseaux », puis « Traité clinique et physiologique de l’encéphalite ». Nommé professeur à l’hôpital de la Charité à Paris en 1831, il poursuit ses travaux de cardiologie et publie en 1840 son fameux « Traité clinique du rhumatisme articulaire et de la loi de coïncidence des inflammations du cœur avec cette maladie ». Jean-Baptiste Bouillaud Doyen de la Faculté de Médecine de Paris, à la suite d’Orfila (A ce sujet son comportement avec son prédécesseur fut particulièrement exécrable, il ne cessera de le dénigrer pour se faire valoir), J. P. Bouillaud poursuivit ses travaux sur les propriétés pharmacologiques de la digitale, qu’il appelait « l’opium du cœur » et sur le langage. Dans ce dernier domaine il contribua à la réflexion sur la localisation du centre cérébral du langage, finalement déterminé par Broca, et à individualiser les aphasies en deux types (impossibilité de comprendre et impossibilité de produire). Ces deux aphasies sont maintenant connues sous le nom d’aphasie de Wernicke et aphasie de Broca. * Maladie de Bouillaud : Rhumatisme Articulaire Aigu, fièvre rhumatismale, polyarthrite aiguë fébrile. Urologie = Jean Civial 1792-1867 Malgré ses origines modestes, fils d’un paysan auvergnat, Jean Civial réussit à suivre des études de médecine à Paris. Passionné par l’urologie, il acheta le droit de monter un service d’urologie à l’hôpital Necker. Mal considéré de ses confrères, car chef de service sans concours (ce n’est plus le cas de nos jours, heureusement !!!), Civial réussit pourtant à se forger une réputation européenne grâce à un appareil de son invention qui permettait d’extraire les calculs vésicaux par les voies naturelles. 125 A partir de 1826 la technique de la lithotritie fut opérationnelle, évitant l’ouverture suspubienne de la vessie, intervention connue sous le nom de la « taille ». C’est de cette dernière opération que décédera Napoléon III en exil (9 Janvier 1873). Civial opéra Lisfranc, le Roi des Belges et Sanson le bourreau le plus célèbre de Paris*. Il fut membre de l’Académie de Médecine et de l’Académie des Sciences. * Il s’agit de Henri Sanson, fils de Charles Henri Sanson (l’exécuteur de Louis XVI, qui se démit de sa fonction en 1891 au profit d’Henri). H. Sanson (1767-1840) fût le bourreau de la terreur, il exécuta entre autre la reine Marie Antoinette, le Duc d’Orléans… Dermatologie Pendant cette période, la dermatologie progresse à grands pas. Les principales pathologies font l’objet d’une description détaillée, et pour beaucoup le facteur pathogène peut être identifié. Si au début du 19ème siècle, on cherche encore à regrouper les atteintes cutanées en « famille » (arbre d’Alibert), on se détache progressivement des hypothèses étiologiques purement locales pour envisager des origines pathologiques beaucoup plus générales. = Alibert Jean Louis (1768-1831) Jean Louis Alibert est né à Villefranche de Rouergue. En 1801 il est nommé à l’Hôpital Saint Louis de Paris où il créera l’école de dermatologie qui fait toujours la renommée de cet hôpital. Alibert Jean Louis Hôpital Saint Louis vers 1900 126 En 1816, Biett, l’un de ses élèves, ramène d’Angleterre la classification dermatologique de Willan qui se développe très rapidement en Europe. J.L. Alibert, comme beaucoup de ses confrères, cherchait à coordonner et à classer les multiples pathologies recensées en dermatologie. Il eut l’idée originale de représenter schématiquement cet ordonnancement sous la forme d’un arbre. Cette représentation botanique se révéla assez proche de celle proposée par Biett. Arbre des dermatoses d’Alibert Tumeur d’Alibert Pendant tout le 19ème siècle les alibertistes et les willanistes débattirent sur le bien fondé de leur théorie respective, opposant les artificialistes (Willan) et les naturalistes (Alibert). Sa vie durant, Alibert développa sa classification suivant les concepts philosophique de Jussieu et les travaux de son maître Pinel. = Alphée Cazenave (1795-1877) Alphée Cazenave fut, comme Devergie, un élève de Biett à l’Hôpital Saint Louis. Il est le fondateur du premier périodique de dermatologie qui parut entre 1843 et 1852 (Annales des maladies de la peau et de la Syphilis). 127 Alphée Cazenave On lui doit notamment la description du pemphigus foliacé (1844) et du Lupus érythémateux (1850). Pemphigus foliacé Lupus érythémateux = Alphonse Devergie (1798-1879) Devergie devint médecin des hôpitaux en 1836 et succéda Biett à l’hôpital Saint Louis. 128 Devergie On lui doit entre autres travaux le « Traité pratique des maladies de la peau ». Il devint président de l’Académie de Médecine en 1874. Il donna la description du Pityriasis rubra pilaire . Devergie est le précurseur du Musée de dermatologie, pour lequel il fit réaliser de nombreuses aquarelles représentant les lésions cutanées. Il fut associé dans ce travail à Charles Lailler, chef de service à Saint louis qui, avec l’aide du mouleur Jules Baretta(de 1863 à 1868) réalisa des reproductions en cire des principales lésions dermatologiques. Cires dermatologiques Ecole de dermatologie de Saint Louis Alibert 129 Biett Devergie Lailler Cazenave = Ferdinand Hebra (1816-1880) Membre de l’école viennoise, F. Hebra est le premier à s’être entièrement consacré aux maladies de la peau. Ferdinand Hebra Hebra classa l’ensemble des dermatoses à la fois sur les plans clinique et microscopique, mais ne teint pas compte des pathologies associées, ce qui lui fit proposer des thérapies locales au détriment des étiologies humorales. Son nom reste associé à une forme particulière d’eczéma, l’eczéma marginé d’Hebra. Eczéma marginé de Hebra = Moritz Kaposi’s’ (1837-1902) Kapossi’s’ naît en Hongrie dans une famille juive portant le nom de Kohn*. Il fait ses études à l’Université de Vienne et se lie d’amitié avec Hebra. 130 Moritz Kaposi’s’ Docteur en médecine en 1859, avec pour sujet de thèse « Dermatologie und Syphilis », il est nommé Professeur à Vienne en 1875 dans le Vienna General Hopital et directeur de la Clinical Skin Diseases. Le livre qu’il publie en 1880 marque profondément la dermatologie. « Pathology and Therapie of the Skin Diseases in Lectures of Pratical Physician and Students”. Il donne notamment dans cet ouvrage la description d’une maladie génétique rare, le xeroderma pigmendosum. Il est le premier à étudier le Lichen serofolosorum et le Lupus érythémateux en collaboration avec Hebra. Au cours de sa carrière, il publie 150 livres et articles scientifiques. L’histoire retiendra son nom pour la description du Kaposis’s’ sarcoma (tumeur causée par un virus qui sera mis en évidence en 1990). * Moritz Kohn prendra le nom de Moritz Kaposis’s’ (nom de sa ville d’origine) après sa conversion au catholicisme pour pouvoir épouser la fille d’Hebra, mais aussi pour se distinguer de cinq de ses collègues viennois portant le même nom. Ses confrères diront de lui « Il a pris la fille, sa maison, sa chaire et sa clientèle à son beau-père ». = Sabouraud Raymond (1864-1938) Né à Nantes, Sabouraud est admis comme interne à Saint Louis en 1892. Elève de Roux à l’Institut Pasteur, R. Sabouraud travailla sur les mycoses et notamment sur les mycoses du cuir chevelu. A l’hôpital Saint Louis il publia de nombreux travaux sur ce sujet dont notamment « La pelade et les teignes de l’enfant » en 1895. Sabouraud Raymond 131 On lui doit la mise au point de nombreux milieux de culture, dont notamment celui à qui il a laissé son nom et qui est toujours utilisé aujourd’hui pour la culture et l’identification des mycoses, le milieu de Sabouraud. Colonies mycéliennes sur milieu de Sabouraud Endocrinologie Les recherches biologiques et physiologiques entreprises au 19ème siècle, donnèrent à cette nouvelle science, non encore « spécialisée », toutes les bases nécessaires à son développement future. Pour cette raison, on trouve les précurseurs de l’endocrinologie chez les physiologistes, les biologistes et les cliniciens. = Thomas Addison (1793-1860) Né près de Newcastle, Thomas Addison entre à la faculté de Médecine d’Edinburgh, d’où il sort thèsé en 1815 avec un sujet portant sur le « traitement de la syphilis par le mercure », technique déjà utilisée ) la renaissance. La même année, il exerce la chirurgie, puis s’intéresse aux maladies de la peau. Il entre comme assistant au célèbre Guy’s hospital de Londres où il exercera jusqu’à son décès. 132 Thomas Addison En 1839, il publie « Elements of the Pratice of Medicine », puis “On the Constitutional and Local Effects of Disease of the Suprarenal Capsules” dans lequel il décrit l’insuffisance surrénale (maladie bronzée d’Addison) et l’anémie pernicieuse (anémie d’Addison) qui perpétuent son nom. Thomas Addison laissa auprès de tout ceux qui l’on connu un souvenir impérissable tant sa stature, sa prestance, son langage incisif et la qualité de ses analyses cliniques étaient remarquables. Le respect souvent mêlé de crainte qu’il inspira à ses disciples au Guy’s Hospital and Mecical School d’Edimbourg, marquèrent les esprits de ses collègues et de ses étudiants. Victime de plusieurs syndromes dépressifs, il se suicide par défenestration en 1860, trois mois après avoir écrit à ses étudiants pour les remercier. = Edouard Brown-Séquard (1817-1894) Edouard Brown-Séquard est né à l’île Maurice. Il fait ses études à Paris et est reçu docteur en médecine en 1846. A partir de cette date, Brown-Séquard devient un globe-trotter de la médecine. De retour à l’île Maurice, il ne tarde pas à se tourner vers les Etats-Unis pour quelques années, avant de retourner à Paris et de se fixer momentanément à Londres où il est nommé professeur de pathologie du système nerveux dans l’hôpital national pour les paralysés et les épileptiques. Edouard Brown-Sequard 133 En 1864, il est de retour aux Etats-Unis comme professeur de physiologie et de neuropathologie. Il terminera sa carrière mouvementée à Paris où il succède à Claude Bernard comme titulaire de la Chaire de Médecine expérimentale. Edouard Brown-Séquard poursuivit les travaux de C. Bernard notamment dans le domaine des sécrétions hépatiques et pancréatiques. Père de l’endocrinologie moderne (les produits sécrétés passent dans le sang pour transmettre un message), il travailla également sur les sécrétions des glandes surrénales, des testicules, de la thyroïde et les fonctions du rein et de la rate. En avance sur les futures techniques de dopage, il pensait pouvoir rajeunir un organisme en injectant des extraits de tissus testiculaires de Bélier*. Edouard Brown-Séquard est également le fondateur des Archives de physiologie en 1868. Sur le plan de ses recherches neurologiques on retiendra le très fameux : Syndrome de Brown-Séquard qui correspond à une lésion de la moitié de la moelle épinière, donnant une hémi paraplégie avec hémianesthésie profonde du côté de la lésion et une hémianesthésie tactile douloureuse et thermique du côté opposé. * Bien avant lui, les gladiateurs de Rome se dopaient avec des broyas de testicule de taureau (Cela marche toujours). Hématologie = Gabriel Andral (1797-1876) Professeur à Paris, Gabriel Andral succède à Broussais comme professeur d’hygiène dont il héritera de la chaire de pathologie générale et de thérapeutique. Premier à étudier la biochimie et les éléments figurés du sang, G. Andral décrit la Lymphangite carcinomatosa chez une patiente porteuse d’un cancer de l’utérus. Cette lésion accompagne plus généralement les cancers de l’intestin et du poumon. Il est en général reconnu comme le premier hématologue. = Thomas Hodgkin (1798-1866) 134 Médecin originaire du Middle-west, Thomas Hodgkin étudie en Angleterre en Ecosse, en Italie (1821) puis en France. Il passe sa thèse à Edinburgh sur le thème de la « Physiologie de l’absorption chez l’animal ». Thomas Hodgkin Thomas Hodgkin travaillait en collaboration avec T. Addison à Edimbourg. Contrairement à son collègue à l’allure noble et sévère, il fut un homme d’une modestie et d’une générosité exceptionnelle. Quaker d’origine, il respecta toute sa vie l’habit caractéristique qu’il portait sous sa blouse, et mis en pratique la charité prônée par sa philosophie. Habit traditionnel du Quaker Il décrivit en 1832 « l’hypertrophie de la rate et du système lymphatique », connue depuis sous le nom de maladie d’Hodgkin (Nom donné par S. Wilks en 1865). Cellules hodgkiniennes 135 Auteur de « The morbid Anatomy of Serou and mucous Membranes » en 1829 et de « Lecturs on Morbid Anatomy » en 1836, Thomas Hodgkin sera un promoteur de la médecine préventive. Il décrira également l’appendicite aigue, la biconcavité des cellules sanguines et la striation des fibres musculaires. = François Vincent Raspail (1794-1878) J.F.Raspail est né à Carpentras. De vocation plus scientifique que médicale, il travailla sur la cellule et la biochimie. Père de l’histochimie, il reconnu à la cellule son rôle de « laboratoire chimique » et définit ainsi la théorie cellulaire. François Vincent Raspail Parallèlement à sa carrière scientifique, Raspail s’engage politiquement et soutient la révolution de 1830. Il définit ce qu’il appelait le « ver microscopique » qu’il considère comme agent pathogène des maladies contagieuses. Très engagé dans le socialisme, il prodiguait gratuitement ses consultations aux pauvres. Il publie à partir de 1845, le « Manuel annuaire de la santé » qui le fit connaître dans l’Europe entière comme promoteur de l’hygiène et de la santé. Infectiologie = Pierre Fidèle Bretonneau (1778-1862) Originaire de Touraine, Pierre Fidèle Bretonneau était issu d’une famille exerçant la médecine et l’art de guérir depuis neuf générations. 136 Pierre Fidèle Bretonneau D’abord centralien à Paris, il suit des études médicales et s’installe à Chenonceaux comme officier de santé. Médecin de campagne, il étudie auprès de ses patients le développement des contagions. Très ingénieux, il imagine de conserver « la pulpe vaccinale » dans un tube capillaire. En 1815 il est nommé médecin chef de l’hôpital de Tours. Dans cet établissement il décrit la diphtérie et le croup, sa complication. Il pratique des trachéotomies pendant la phase asphyxiante et sauve ainsi ses malades*. * Une technique traditionnelle consistait à tailler un poireau en pointe et à introduire cette sorte de trocart dans la trachée du sujet pour pratiquer un « ramonage » des fausses membranes. L’acidité du poireau empêchant semble t-il un nouveau phénomène prolifératif (l’auteur de ce cours est particulièrement reconnaissant à son arrière grand-mère qui sauva sa fille alors âgée de 7 ans par cette technique).. Mais le génie de Bretonneau va résider dans son approche de la spécificité pathologique des germes. Alors que Broussais et beaucoup de ses confrères parisiens parlaient encore de génération spontanée, Bretonneau démontre : qu’il existe un germe propre à chaque contagion et que l’épidémie n’est engendrée et disséminée que par leur germe reproducteur. L’hôpital parisien spécialisé en pédiatrie qui porte son nom a été transformé en maison de retraite et longs séjours dans les années 1990. = Armand Trousseau (1801-1867) Armand Trousseau est né à Tours. Etudiant dans cette ville dans le service de Bretonneau, il passe sa thèse en 1825 et est agrégé de la faculté de Médecine de Paris en 1827. 137 Armand Trousseau Trousseau est chargé en 1828 d’étudier l’épidémie de choléra qui sévit au centre le la France, puis la fièvre jaune à Gibraltar. En 1837 il reçoit un prix spécial de l’Académie de médecine pour ses observations cliniques. Il obtient la chaire de thérapeutique et de pharmacologie de la Faculté de Paris. Il est un des premiers à utiliser la trachéotomie. Il donne son nom à la contraction de la main lors des crises de spasmophilie (main d’accoucheur ou signe de trousseau). Un hôpital parisien porte son nom. = Pierre François Oliver Rayer (1793-1867) Pierre François Oliver Rayer Normand d’origine (Calvados), Pierre François Oliver Rayer fit ses études à Paris et prit comme sujet de thèse « Sommaire d’une histoire abrégée de l’anatomie pathologique ». Son œuvre porte essentiellement sur l’anatomie comparée et les infections croisées. Sa publication « De la morve et du farcin chez l’homme » montre la transmission possible de cette maladie du cheval à l’homme. Rayer travailla également sur les maladies infectieuses comme le choléra, la tuberculose, la fièvre 138 aphteuse, le charbon du mouton. En 1835, il publie « Traité des maladies de la peau », ouvrage brillamment illustré. Tuberous sclerosis Il mit en évidence le premier l’existence de bâtonnets dans le sang des moutons infectés par le charbon, qu’il nomma « Bacillus anthracis ». Fondateur et premier Président de la société de biologie il fut également membre de l’académie de médecine et de l’Académie des sciences. Dans un autre domaine Rayer fut un précurseur dans les maladies des reins. Premier à examiner des urines au microscope il définit l’hydronéphrose et publia en 1839 « Traités des maladies des reins et de la sécrétion urinaire ». P.F. Rayer fut le médecin de Louis Philippe, de Napoléon III, de la princesse Mathilde et du Duc de Morny. Son enseignement fut particulièrement apprécié de ses internes, à qui il sut donner le goût de la recherche. On compte parmi eux une belle brochette de célébrités : Claude Bernard, Charcot, Brown-Séquard, Davaine, Bouchard… = Casimir Joseph Davaine (1812-1882) Casimir Joseph Davaine Casimir Joseph Davaine fit ses études médicales à Paris. Elève de Rayer, il découvrit avec lui le bacille de la maladie charbonneuse (1850). Bactériologiste et parasitologue, Davaine travailla sur la septicémie des bovidés et publia un « Traité des Entozoaires ». Médecin par quartier de Napoléon III, il eût une clientèle importante et soigna Rossini, la famille Rothschild et Alphonsine Plessis (la dame aux camélias). On lui doit la découverte des mouvements amiboïdes des leucocytes (1850) et une approche de la phagocytose (1869). 139 = Louis Pasteur (1822-1895) Louis Pasteur est né dans le Jura à Dôle. Il passe son enfance à Arbois dans un pays producteur de vin, et c’est tout naturellement qu’il entreprend, comme chimiste, des recherches sur la fermentation en 1854. Doyen de la faculté des sciences de Lille la même année, et Directeur des études scientifiques à l’école normale supérieure, il poursuit ses travaux sur les ferments soumis à un chauffage rapide, suivi d’un refroidissement, technique connue sous le nom de « pasteurisation ». Travaillant en collaboration avec les sériciculteurs (éleveurs de vers à soie), il met en évidence la contagiosité de microorganismes et sauve ainsi la sériciculture lyonnaise. Louis Pasteur Dans la même voie, il rejette la « génération spontanée » et découvre le bacille du charbon * (1876), le staphylocoque et le bacille du choléra des poules (1880), le pneumocoque (1881) l’agent pathogène de la rage. Cette dernière découverte lui donnant une aura universelle qu’il conservera sa vie durant. En Juillet 1885, il sauve grâce à la mise au point de son vaccin un jeune alsacien, Joseph Meister mordu pas un animal enragé. Ce dernier restera auprès de Pasteur et travaillera sa vie durant comme concierge du futur Institut (1888). * Le 5 Mai 1881 se déroule dans une ferme près de Melun une expérience avec 50 moutons, 5 vaches, un bœuf et 2 chèvres. Chaque animal (à l’exception de 25 moutons) est inoculé par une culture charbonneuse très atténuée, puis par une nouvelle vaccination plus virulente 12 jours plus tard. Le 31 Mai tous les animaux reçoivent une injection de bacilles charbonneux virulents. Le 2 Juin tous les animaux vaccinés sont vivants, tous les autres sont morts. Reçu à l’académie française, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, Louis Pasteur fût de son vivant encensé et fêté par la troisième république. De caractère difficile et misogyne, il gardera comme intime blessure le fait de ne pas être médecin et de ne pouvoir administrer lui-même les vaccins qu’il inventait. Esprit en avance sur son temps en ce qui concerne le développement des microorganismes et les mécanismes de la contagion (il pose les bases de l’asepsie chirurgicale), il ignorera cependant les enzymes et bataillera de manière parfois injuste avec les confrères travaillant sur ce sujet. 140 Vaccination contre le charbon Victime d’une atteinte de paralysie à l’âge de 45 ans, il vivra cependant 73 ans, veillant jusqu’à sa mort sur la gestion de l’Institut et sur les recherches de ses successeurs. = Jean Antoine Villemin (1827-1892) Vosgien d’origine, Villemin fit ses études à Strasbourg à l’Hôpital militaire d’instruction, et obtient sa thèse en 1853. Il entre alors au Val de Grâce à Paris où il est agrégé en 1863. Jean Antoine Villemin Ayant constaté qu’une chambrée entière d’une centaine de gardes, présentait les signes de la phtisie, il conclut que la tuberculose était une maladie contagieuse (1865). Après avoir vérifié cette hypothèse chez le lapin par inoculation, il publia sa découverte et la soumis à l’Académie de Médecine qui le reçut parmi ses membres en 1871. Les travaux de Villemin permirent ainsi de confirmer l’hypothèse de Laennec qui avait été remis en cause lors de ces trente dernières années. Quelques années plus tard (1885) Koch en découvrant le bacille de la tuberculose devait confirmer définitivement le caractère épidémique de cette maladie. Villemin met également en évidence le fait que certaines bactéries pouvaient s’attaquer à d’autres bactéries. On lui doit la création du terme « antibiotique » = Robert Koch (1843-1910) R. Korch est né en Allemagne. Il suit ses études médicales à l’Université de Göttingen où il est docteur en 1866. 141 Robert Koch Robert Koch est à l’origine de nombreuses découvertes bactériologiques. Après que Casimir Davaine ait montré la transmission directe du bacille de l’Anthrax entre les vaches, Koch met au point une technique de purification du bacille et montre qu’il peut prendre une forme sporulée momentanément inactive mais résistante. En 1882, il découvre le bacille de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosis), qui portera son nom. Bacilles de Koch En 1883, il décrit le vibrion cholérique. Cette découverte ne lui sera cependant pas attribuée car Fillippo Pacini avait préalablement décrit le vibrion en 1854, découverte, passée depuis dans l’anonymat le plus complet. Ce vibrion portera donc le nom de Vibrio Cholea Pacini. Créateur à Berlin de l’Institut des maladies infectieuses, il est fait Prix Nobel en 1905, un cratère lunaire porte son nom. = Emile Duclaux (1840-1904) Né à Aurillac, E. Duclaux fait ses études au Lycée Saint Louis à Paris. Reçu simultanément à Polytechnique et à L’Ecole Normale supérieure, il choisit cette dernière et devient assistant dans le laboratoire de Louis Pasteur. 142 Emile Duclaux Toute sa carrière, il travaille en relation avec Pasteur et réfute avec ce dernier la théorie de la génération spontanée. Professeur à Clermont Ferrand, Tours, Lyon et Paris, il enseigne la chimie biologie des levures, de la fermentation et travaille sur le phylloxéra. Il publie de très nombreux travaux dont le « Traité de microbiologie » et « Hygiène sociale ». A la mort de Pasteur, il devient directeur de l’Institut avec Emile Roux pour directeur adjoint. Maladies vénériennes L’exode rurale provoquée par les besoins de l’industrie, la naissance d’une nouvelle classe sociale pauvre, la licence du monde artistique, le « dévergondage » d’une partie de la bourgeoisie et de la cour du second empire (lire ou relire Nana d’Emile Zola) seront à l’origine du développement des maladies vénériennes. = Philippe Ricord 1800-1869) Ricord est né à Philadelphie et ce n’est qu’à l’âge de 20 ans, qu’il gagne Paris où il suit ses études de médecine. Reçu à sa thèse en 1826, il est nommé chirurgien des hôpitaux et se spécialise dans la chirurgie des organes génitaux. Il est à l’origine de la cure du varicocèle et de la première urétroplastie (1842) Philippe Ricord Ricord démontra, malgré de nombreux avis contraires que la syphilis était une affection différente de la blennorragie. Il eut pour disciple Alfred Fournier qui devint par la suite son gendre. Il a laissé son nom au chancre initial de la syphilis « Monographie du chancre » 1837. 143 Spéculum de Philippe Ricord On lui doit également la « Théorie sur la nature et le traitement de l’épididymite » et son remarquable « Traité des maladies vénériennes » en 8 volumes. Lésion syphilitique Sa consultation est citée dans plusieurs chansons de salles de garde, notamment dans « La marche des véroles ou la chanson de Lourcine ». Caricature de Ricord parue dans le Journal satyrique, La lune = Alfred Fournier (1832-1914) Né à Paris, Alfred Fournier, réalise ses études médicales dans cette ville et entre comme interne chez Ricord à Lourcine. 144 Alfred Fournier Elève de Ricord, à l’hôpital Lourcine (devenu ultérieurement l’hôpital Broca), Fournier doit être considéré comme le plus grand spécialiste de l’affection syphilitique. Il exerça en 1876 à l’hôpital Saint Louis où l’on créa pour lui la chaire des maladies cutanées et syphilitiques (1880). Ses travaux portèrent sur les conséquences rhumatismales des blennorragies, l’étiologie des différentes urétrites et définit, sans que l’on connaisse à l’époque le tréponème, les circonstances de la contagion syphilitique. On doit à A. Fournier la reconnaissance de la syphilis congénitale. Il définit également pour la première fois, et contre l’avis de nombreux confrères, les trois stades de la syphilis, dont le fameux stade tabétique très controversé à l’époque. En 1901 il fonde la société de prophylaxie sanitaire et morale. Malgré l’importance de ses travaux, Fournier reste aujourd’hui relativement peu connu si ce n’est par l’ouverture en 1932 d’un Institut de recherche destiné à la lutte antivénérienne qui porte son nom. Les autres patronymes le concernant sont eux tombés dans l’oubli : Tibia de Fournier, aspect fusiforme de la crête tibiale pouvant être observé dans les syphilis congénitales. Gangrène de Fournier, infection du scrotum chez le diabétique. Signe de Fournier, plaies des lèvres observées dans les syphilis congénitales. Obstétrique, gynécologie, pédiatrie Le 19ème siècle révolutionnera la gynécologie et l’obstétrique. En 100 ans, de Baudelocque à Tarnier, le suivi de la grossesse, l’accouchement et la prise en charge du nouveau né se sont profondément transformés. La mortalité effroyable des femmes et des enfants commence à décroître, tandis que la puériculture se développe. Au plan social et philosophique, les mentalités changent, la grossesse et l’enfantement acquièrent peu à peu une dimension sociale inconnue jusqu’alors. Abandonné par les plus pauvre, confié à une nourrice provinciale pour les plus riches, l’enfant prend au sein de la famille, une place sinon encore centrale, comme ce sera le cas au 20ème siècle, du moins un statut plus enviable qu’aux siècles précédents. 1776 Thèse de Baudelocque 1795 Création de la maternité de Port Royal 1795 Baudelocque est nommé premier titulaire de la chaire d’obstétrique, invente la pelvimétrie, codifie les positions fœtales. 1802 Première école de sages femmes 145 1822 Kergaradec écoute le cœur fœtal et définit son rythme 1857 Tarnier décrit la fièvre puerpérale 1864 Principes de la puériculture (Pinard) 1873 Première hystérectomie par Tarnier 1878 Codification de la palpation abdominale par Pinard 1880 Indications de la césarienne (Pinard) 1888 Tarnier codifie les souffrances fœtales par auscultation cardiaque 1889 Première couveuse (Tarnier) = Jacques Alexandre le Jumeau de Kergaradec (1787-1877) Orphelin de père et de mère du fait des massacres révolutionnaires, le jeune Jacques de Kergaradec est élevé par un père réfractaire qui lui apprend le latin et le grec, indispensable pour la médecine jusqu’à la fin du 19ème siècle, ainsi que par le docteur Boscher qui le fait entrer comme aide chirurgien à l’hôpital de Morlaix (de 11 ans à 15 ans). Devenu élève de l’école pratique, il suit les cours de Dupuytren et de Laennec et prend sa fonction d’interne en 1806 (il a 19 ans). Lié d’amitié avec Laennec, il écoute pour la première fois le cœur foetal grâce au stéthoscope et publie un Mémoire sur l’auscultation appliquée à l’étude des grossesses (1821). Après avoir mesuré le rythme fœtal, il pressent que l’étude de ces variations pourra informer le praticien sur d’éventuelles souffrances fœtales et conseille de ce fait l’auscultation systématique des fœtus pendant la grossesse. Il faudra 10 à 15 ans années pour que cet examen entre dans les mœurs des obstétriciens et soit systématiquement utilisé. Ultérieurement, Tarnier (1888) peaufinera l’œuvre de Kergaradec en précisant les données cliniques et leurs correspondances pathologiques. = James Marion Sims (1813-1883) James Marion Sims Pionnier de la gynécologie, il fonda le Woman’s Hospital de l’état de New York. Après avoir découvert la position dite prosternée pour étudier le vagin et l’utérus, il mit au point un spéculum dit de Sims ce qui lui permit de traiter les fistules vaginales. = Stéphane Tarnier (1828-1897) 146 Stéphane Tarnier est bourguignon. Il naît d’un père médecin en côte d’or, le 29 Avril 1828. Nommé interne en 1853, il entre à l’Hospice de la Maternité en 1856 et soutient sa thèse en 1857 sur la « fièvre puerpérale » démontrant qu’il s’agit d’un phénomène contagieux. A cette époque le taux de mortalité dans les hospices était beaucoup plus élevé que pour les femmes accouchant à domicile. Il définit des règles d’hygiène strictes pour l’accouchement et les examens cliniques, et conseille d’isoler autant que possible les jeunes mères les unes des autres (les examens étaient pratiqués à la suite les uns des autres, sans gants ou doigtier, et sans hygiène des mains…). Stéphane Tarnier Nommé professeur agrégé en 1860, il perfectionne les forceps de Levret et rédige un « Traité de l’Art des accouchements » qui résume ses travaux obstétricaux et notamment la technique de l’hystérectomie qu’il réalise pour la première fois en 1873. Travailleur forcené, curieux de tout, inventeur de nouveaux matériels, perfectionniste, enseignant infatigable, il sut transmettre à ses disciples et notamment à Pinard ses nouvelles techniques et le fruit de ses travaux. Spéculum de Tarnier Inventeur de la couveuse pour les prématurés, il conçut également une alimentation spécifique pour aider les enfants chétifs et hypotrophiques à passer le cap difficile des premières semaines. Moqué par certains confrères qui s’amusent de la lenteur de ses publications (accouchement le plus laborieux que Tarnier est fait de sa vie), il gardera sa vie durant son air malicieux et sa grande bonté pour ses patientes et ses étudiants. Titulaire de la chaire de clinique obstétricale en 1889, il est nommé président de l’Académie de Médecine en 1891. En 1889 l’hospice de la Maternité déménage dans des locaux neufs rue d’Assas ; cette maternité prendra son nom pour honorer sa mémoire. 147 Couveuse de Tarnier = Adolphe Pinard (1844-1934) Originaire d’une famille de paysans champenois, Adolphe Pinard termine ses études à Paris et entre à la faculté de médecine. Elève de Tarnier, il est interne en 1870, puis agrégé en 1878. Il est nommé directeur de la clinique obstétricale de Port Royal à laquelle il donnera le nom de son illustre prédécesseur, Baudelocque. Pendant 45 ans il travaillera aux accouchements en définissant un concept récemment remis à la mode, celui du couple mère/enfant. Adolphe Pinard Prolongeant les travaux de Jumeau de Kergaradec et de Tarnier auquel il succède, il codifie l’examen clinique du fœtus et de la mère pendant la grossesse, le palper abdominal, le travail et les indications de la césarienne. Protecteur de la mère et de l’enfant qui « ne doit pas souffrir » de l’accouchement, il se bat pour que les femmes enceintes cessent le travail, l’allaitement maternelle, la protection des filles mères et crée en 1864 les principes de la puériculture. Stéthoscopes obstétricaux de Pinard Au-delà de ses préoccupations médicales proprement dites, il cherche à former les futures parturientes (ouverture d’un cours de puériculture pour jeunes filles en 1912), protéger la femme avant la grossesse (certificat prénuptial), pendant la grossesse (protection sociale et médicale des femmes enceintes) et après l’accouchement (ouverture de maisons maternelles). 148 Consultation de pédiatrie vers 1900 (Chicotot, Musée de l’AP) Jusqu’à sa retraite à l’âge de 70 ans, il oeuvrera pour que la mère et l’enfant jouissent d’une protection sociale indispensable à leur santé. Dix ans après sa retraite, il crée encore l’Institut de puériculture. Allaitement au biberon d’après Pinard Les nombreux travaux qu’il publiera concernent à la fois la grossesse (Traité du palper abdominal au point de vue obstétrical et de la version par manœuvre externe) en 1878, et la puériculture (L’enseignement de la puériculture) en 1912. OPH = Photinos Panas (1832-1903) P. Panas est d’origine grecque. Il réalisa ses études à Paris (1850) et prit la nationalité française. Panas travaille sur « L’anatomie et la physiologie des fosses nasales et des voies lacrymales » (1860) Après la guerre de 1870, ses recherches s’orientent vers l’ophtalmologie. C’est pour lui qu’est crée en 1879 la Chaire d’Ophtalmologie à l’Université de Paris. 149 Auteur prolifique, on lui doit : « Leçon sur le strabisme », « Leçon sur les kératites », « Leçon sur les affections de l’appareil lacrymal», « Les maladies inflammatoires des membranes de l’œil » (1878), « Atlas d’Anatomie de l’œil » (1879, « Traité des maladies des yeux » (1894). ORL = Jean-Marc Gaspard Itard Nommé docteur en Médecine à Marseille sur la description du pneumothorax, Jean-Marc Gaspard Itard occupe un poste de chirurgien de troisième classe à Toulon où il assistera aux cours de D. Larrey. Jean-Marc Gaspard Itard Créateur de l’otologie, avec le « Traité des maladies de l’oreille et de l’audition », Itard se consacre à l’Institution des sourds-muets et crée des appareils d’acoustique et d’exploration de la trompe d’Eustache. La sonde qui porte son nom permet de cathétériser cette trompe. La sonde qui porte son nom permet de cathétériser la trompe d’Eustache, elle est toujours en fonction de nos jours. 150 Il consacra une grande partie de sa vie à « sortir » les sourds muets de leur isolement et du déficit intellectuel qu’il entraîne. Il publia un livre intitulé « De l’éducation d’un homme sauvage » à partir des travaux qu’il effectua, sans résultat, pour redonner la parole à un enfant sauvage connu sous le nom de « sauvage de l’Aveyron ». Généreux, il légua à sa mort l’ensemble de sa fortune à l’Institution. = Marcel Lermoyer (1858 1929) Originaire de Cambrai, Marcel Lermoyer est médecin des hôpitaux en 1891. Il consacra sa vie à l’ORL et obtint la création du premier service d’hospitalisation destiné à cette spécialité à l’hôpital Saint Antoine. Il fut admis à l’académie de médecine en 1911 et reste comme l’un des chefs de l’école d’ORL française. Neurologie et maladies mentales A partir de 1822, la neurologie et la psychiatrie, encore confondues vont bénéficier des travaux expérimentaux réalisés par Flourens et ses élèves. Flourens Vulpian Déjerine Babinski Prévost Ecole française de neurologie = Marie jean pierre Flourens 1794-1867 Reçu docteur en médecine à Montpellier, Flourens se rend à Paris pour travailler au Muséum. Biologiste, Flourens mène ses recherches en neuroscience expérimentale «Lésions chirurgicales des systèmes nerveux » 1825, cherchant à établir la théorie du localisationnisme cérébral. Marie J.P. Flourens Reçu à l’Académie des sciences en 1828, il succéda à Georges Cuvier au Collège de France. En 1830 il donne des cours d’anatomie humaine et devient titulaire de la Chaire d’Antoine Portal. En 1840, il est élu à l’Académie française devant Victor Hugo. 151 Il est considéré comme le fondateur de la neurologie expérimentale. = Alfred Vulpian 1826-1887 A. Vulpian naît à Paris et valide sa thèse dans cette Ville. Elève de Marie Jean Pierre Flourens, Vulpian étudie la physiologie et la neurophysiologie. Nommé professeur d’anatomie pathologique en 1873, lors de la démission de Brown-Séquard, il poursuit ses recherches sur l’ictus et la glande Surrénale. Il découvre l’adrénaline en 1856. A. Vulpian Avec l’un de ses élèves, Prévost, il décrit ce qui deviendra le signe de Prévost Vulpian, c'està-dire que la victime d’une hémiplégie a les yeux et la tête tournés du côté opposé, « le patient regarde du côté de sa lésion ». On doit également à ce neurologue, le syndrome de Vulpian (douleurs sympathiques accompagnées de troubles vasomoteurs et thermiques, observés parfois lors des compressions de la moelle dans la région dorsale moyenne), et l’atrophie de type Vulpian correspondant à une atrophie musculaire progressive spinale débutant par l’épaule. = Guillaume, Benjamin Duchenne (1806-1875) Guillaume, Benjamin Duchenne, dit Duchenne de Boulogne, naît dans cette localité en 1806. Il fait ses études à Paris, et s’installe à Douai où il commence ses études sur l’effet de l’électricité sur la contraction musculaire. Grâce à une technique utilisant le courant alternatif, Duchenne réussit à ne stimuler qu’une fibre musculaire à la fois. Non universitaire, il poursuit ses études de physiologie à Douai en explorant minutieusement les effets des stimulations électriques chez des sujets paralysés et des marins. Il publie en 1833 « Expérimentation de l’usage thérapeutique de l’électricité ». 152 Duchenne de Boulogne En 1842 il revient à Paris poursuivre ses travaux et découvre une forme d’amyotrophie* qui depuis porte son nom. Il travaille sur la poliomyélite, le tabès et en général sur toutes les formes de paralysie. En 1855, il publie « De l’électrisation localisée et de son application à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique », puis « Physiologie des mouvements » en 1867. Parallèlement à ses études physiologiques Duchenne de Boulogne est un précurseur en matière de photographie médicale. Chacune de ses expériences seront minutieusement photographiées et analysées. Il mettra en évidence que le sourire ne prend pas seulement en compte les muscles buccaux, mais aussi les muscles oculaires. Il décrira ainsi un type de « sourire de bonheur » qui portera désormais le nom de sourire de Duchenne. Bien que non universitaire, son œuvre physiologique sera reconnue par les plus grands qui le considèrent comme le fondateur de la neurologie. Charcot disait de lui que « c’était un maître ». * La myopathie pseudo hypertrophique de Duchenne est une myopathie primitive qui débute dans l’enfance, plus souvent un garçon, par une hypotrophie musculaire, masquée par un développement hypertrophique du tissu adipeux. Elle s’accompagne de rétractions tendineuses et d’atteinte 153 myocardique. La mort survient après 10 à 15 ans d’évolution par insuffisance cardiaque ou infection intercurrente. = Paul Broca (1824-1880) Paul Broca est né en Gironde, près de Bergerac. Fils d’un médecin militaire, il se dirige sans grande conviction vers la médecine alors qu’il se passionnait pour les mathématiques. Thèsé à Paris, il est chirurgien des hôpitaux de Paris en 1853. Paul Broca P. Broca travaille sur les anévrismes et prône l’utilisation du microscope pour étudier les cellules cancéreuses. Mais l’œuvre de Paul Broca est celle d’un anatomiste du système nerveux. Neurochirurgien, il est le précurseur des interventions réglées. Il codifie les reliefs du cortex cérébral et met en évidence le centre du langage à la base de la troisième circonvolution frontale gauche. Craniomètre de Broca Collection de Broca Outre l’aire du langage, P. Broca établira la première carte des localisations cérébrales et notamment l’importance du lobe limbique dans l’activité cérébrale primordiale. 154 Caricature de P. Broca Aire du langage de Broca Paul Broca est également le fondateur de l’anthropologie médicale. Il se heurte à l’opposition de l’église qui juge impossible de localiser anatomiquement une faculté spirituelle. Malgré cette opposition relayée par l’Etat, il fonde le laboratoire d’anthropologie de l’Ecole des Hautes Etudes qui accueillera et formera des célébrités du monde de l’anthropologie, dont le fameux Bertillon, inventeur de la craniologie judiciaire et des empruntes digitales. = J. Déjérine 1849-1917 Déjérine est né à Genève de Parents français. Inscrit à la Faculté de Médecine de Paris, il est nommé externe, puis interne dans le service de Vulpian. Il rencontre chez Hardy, où il est chef de clinique, sa future femme, Augusta Klumpke première femme interne des hôpitaux au concours de 1886 (première fois que les femmes pouvaient concourir). Caricature de Déjérine 155 Médecin à Bicêtre, puis à la Salpêtrière, Déjérine travaille sur les maladies du système nerveux « L’anatomie du système nerveux » 1895, « La sémiologie des affections du système nerveux » 1905. Ces deux volumes, rédigés avec sa femme, seront réédités en 1977 et 1981. Déjérine fut nommé membre de l’académie de médecine et suivit les cours de son maître Charcot. = Ernest Charles Lasègue (1816-1883) Ernest Charles Lasègue est né à Paris en 1816. Après des études de philosophie, il entreprend des études de médecine, encouragé par Claude Bernard (Son colocataire étudiant). Dans sa thèse soutenue en 1847 et intitulée "De Stahl et de sa doctrine médicale. Question de thérapeutique médicale". "La théorie du traitement moral est-elle possible ?", fortement influencée par son cursus en philosophie, il développe les hypothèses de l’époque sur l’influence de la morale sur les pathologies. Ernest Charles Lasègue Après un séjour en Russie pour étudier une épidémie de choléra, il travaille en collaboration avec Trousseau, puis est nommé Professeur de Médecine clinique à la Salpetrière, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort. Lasègue s'intéressa particulièrement aux maladies mentales et nerveuses qu’il considérera toujours sous le double aspect physiologique et psychiatrique. Il fut à l’origine de l'une des premières descriptions de l’anorexie mentale et du délire de persécution. Son approche psychiatrique l’amena à considérer comme primordial l’environnement social et familial du patient. Son nom reste attaché au diagnostic de la névralgie sciatique. Le signe de Lasègue lui fut attribué post mortem par ses élèves, lui-même n’ayant jamais publié d’article sur le fameux signe. = Joseph Babinski (1856-1932) Babinski est né à Paris de parents émigrés polonais. Interne chez Vulpian, il devient le chef de clinique de Charcot. Refusé à l’agrégation du fait de manœuvres et de magouilles visant à privilégier un autre confrère, Babinski se consacre entièrement à son service de neurologie. Son œuvre dans cette discipline est immense et remarquable. 156 Joseph Babinski On retiendra le très fameux signe de Babinski (1896) en rapport avec une lésion du faisceau pyramidal « L’extension majestueuse et zénithale du gros orteil lorsque l’on frotte la voûte plantaire de l’arrière vers l’avant, alors que chez le sujet sain on observe une flexion ». Signe de Babinski Mais beaucoup d’autres signes neurologiques ont été décrits par Babinski et ses élèves : L’épreuve de Babinski : flexion combinée de la cuisse et du tronc destinée à mettre en évidence une paralysie débutante du membre inférieur. Le patient, couché sur le dos fait un effort pour s’assoire et soulève la jambe paralysée plus que l’autre. L’épreuve de Babinski-Weil qui consiste à faire marcher un patient les yeux fermés, dix pas en avant, dix pas en arrière, plusieurs fois de suite. Les malades atteints de troubles cérébelleux de l’équilibre, réalisent un déplacement en étoile du fait de la déviation angulaire qui se manifeste à chaque déplacement. Le syndrome de Babinski-Frölich (1900), associant une obésité importante prédominant au tronc et à la racine des membres, à une dystrophie génitale secondaire à une lésion hypophysaire ; Le syndrome de Babinski-Froment qui se manifeste par une impotence, une contracture et des troubles vasomoteurs puis trophique d’un membre (main figée), après un traumatisme dont l’importance n’est jamais en rapport avec l’intensité des manifestations cliniques. Le syndrome de Babinski-Nageotte se rencontre dans certains cas de lésions bulbaires unilatérales (trouble cérébelleux et sympathiques du côté de la lésion, hémiplégie et hémianesthésie de l’autre côté). Le syndrome de Babinski-Vasquez, d’origine syphilitique (stade du tabès) qui associe 157 des troubles pupillaires, une abolition des réflexes achilléens et rotuliens à une lymphocytose rachidienne. Outre son travail de neurologue, Babinski consacrera une grande partie de sa vie à la gastronomie. Il rédige dans ce domaine un traité de plus de 1200 pages qu’il signe sous un pseudonyme « Ali-Bab). De la neurologie à la psychiatrie En 1822 A.L. Bayle soutient sa thèse intitulée « Recherche sur les maladies mentales ». Dans ce travail, réalisé à partir d’observation de sujets atteints de méningite chronique, Bayle définit la démence comme le résultat d’une lésion organique. A partir de cette date, les recherches étiologiques vont se multiplier. La monomanie, l’épilepsie, les délires, la démence, la « paralysie générale », ont pour origine une dégénérescence héréditaire (Benedict Augustin Morel, 1857). On traque alors l’alcoolisme, la phtisie, la misère morale, les troubles du comportement comme le vol (notamment chez les femmes pendant leurs règles ou leur grossesse). Au début du 20ème siècle, on s’interroge encore sur les critères permettant de diagnostiquer la folie. Cet extrait d’un entretien d’Esquirol avec l’un de ses disciples cité dans (Chronique médicale 1902) est tout a fait significatif des difficultés sémiologiques rencontrées. « Maître, disait un jour à Esquirol un de ses disciples, indiquez moi un critérium pour distinguer la limite qui sépare la raison de la folie ». Le lendemain, le maître réunissait à la même table son disciple et deux personnages : l’un correct jusqu’à la perfection dans sa tenue et son langage, l’autre exubérant, plein de lui-même et de son avenir. En prenant congé le disciple rappela au maître le critérium qu’il lui avait demandé la veille. « Prononcez vous-même lui dit Esquirol ; vous venez de dîner avec un fou et un sage ». « Oh ! Le problème n’est pas difficile ; le sage, c’est cet homme si distingué, si accompli ; quant à l’autre, quel étourdi ! Quel casse tête ! Il est vraiment à enfermer ». « Eh bien ! Lui dit Esquirol, vous êtes dans l’erreur : celui que vous prenez pour un sage se croit Dieu le Père ; il met dans son attitude, la réserve et la dignité qui conviennent à son rôle : c’est un pensionnaire de Charenton. Quant au jeune homme que vous prenez pour un fou, vous pouvez saluer en lui l’une des gloires de la littérature française ; c’est M. Honoré de Balzac » Le criminel apparaît dès lors comme le fruit de la dégénérescence héréditaire, ce qui mettra en cause sa responsabilité pénale (E Blanche travaillera sur ce difficile problème dans le cadre de la Société de Médecine légale fondée en 1868), tandis que l’homme de génie devient un « dégénéré supérieur », appellation plutôt curieuse proposée par Valentin Magnan. Cette approche anatomophysiologique débouchera tout naturellement sur l’hypothèse que le criminel, ou le fou, présente des caractéristiques physiques innées, autrement dit que sa morphologie est en rapport avec son comportement. César Lombroso, en 1885, invente la morphologie génétique et définit le profil du « criminel né ». Au cours d’un congrès tenu dans le cadre de l’exposition universelle de 1889 à Paris, Lombroso développera ses théories de la prédisposition naturelle au crime de certains sujets, dont les sujets « hybrides » (comprendre métisses). Les conclusions de ce symposium feront la part belle aux théories eugénistes qui seront reprises 40 ans plus tard dans Mein Kampf. Gaétan Gatien de Clérembault, psychiatre dans la première partie du vingtième siècle, s’opposa à cette conception de la folie et défendit une "psychiatrie républicaine". Il se consacra une grande partie de ses recherches sur l'analyse d'une pathologie qui poussait certaines femmes à avoir un contact particulier avec les étoffes dans le cadre de leurs rapports sexuels et orgasmiques. Il sera le maître de Jacques Lacan, psychanalyste aujourd’hui très contesté. Il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que la psychiatrie s’installe comme science à part entière malgré les convulsions entraînées par la pensée freudienne et le 158 mouvement antipsychiatrique, elle se construira ses règles et son éthique. Cependant, à la fin des années soixante, existe encore une confusion entre la dépression névrotique et les autres maladies de natures psychotiques. La découverte des psychotropes par H. Laborit augmentera le champ des thérapeutiques à disposition des psychiatres. On peut être psychiatre et psychanalyste... et depuis maintenant une trentaine d’années, les axes de recherche n’ont cessé de se diversifier. Médecins psychiatres et aussi psychanalystes s'accordent sur un point précis de loi : il est nécessaire de disposer d'une formation médicale, ou universitaire, si l'on est psychologue pour pouvoir intervenir dans l'univers médical.... Comme dans beaucoup de disciplines médicales on peut craindre que les sciences cognitives et comportementales ne l'emportent sur l'analyse de la vie des patients, le patient étant alors réduit à sa pathologie. = Jean Martin Charcot (1825-1893) Jean Martin Charcot naît à Paris dans une famille totalement étrangère à la Médecine et au monde médical. Nommé interne des hôpitaux en 1848, puis médecin des hôpitaux de Paris en 1856, il est professeur agrégé en 1860 à la Salpêtrière où il s’attache à diagnostiquer et à traiter les malheureux laissés pour compte. Jean Martin Charcot Présentant une très forte personnalité, Charcot est clinicien le matin et professeur l’après midi, mondain le reste du temps. Ses cours de neurologie à la Salpêtrière contribueront à sa célébrité « Leçons sur les maladies nerveuses », 1885-1887, en 3 volumes. Physiologiste et neurologue, Charcot ne fut jamais psychiatre. Ses travaux de psychologie, notamment sur l’hypnose seront d’ailleurs fortement contestés par Guillain, puis par Babinski, qui pensaient que Charcot faisait fausse route. Devant ses élèves et un auditoire de curieux et de mondains (Freud faisait partie de ses élèves), Charcot décrit l’utilisation de l’hypnose chez l’hystérique avec l’aide d’une de ses anciennes patientes, Blanche Wittmann, qui reproduisait à loisir, et à la demande, ses crises (patiente de parade dira Guillain). 159 Charcot pendant sa consultation Tableau de A. Brouillet « une leçon clinique à la Salpêtrière » La vision de la femme par les médecins du 19ème est noyée de préjugés, d’incompréhension et de machisme issue d’une réaction de l’église post révolutionnaire. La femme est pécheresse par essence, victime de ses sens, incapable de freiner ses passions et naturellement soumise à son « ventre », c'est-à-dire à son utérus et à ses hormones. Blanche Wittman La naissance de l’hystérie comme grand syndrome névrotique résume en un mot le complexe de l’homme du 19ème siècle vis-à-vis de sa compagne. Le « grand Charcot lui-même » attribuait au sexe la grande variabilité d’humeur, l’excès du comportement, la cyclothymie et en fait tout ce qui semblait inexplicable à l’homme pris comme référence biblique, généalogique ou d’autorité. Fort de ces convictions, il inventa pour réguler l’influence néfaste du « sexe », le compresseur ovarien (véritable instrument de torture). Cet instrument rigidifié par une structure métallique se portait en ceinture et présentait en regard de la projection des ovaires, légèrement au dessus du pli de l’aine, des boules métalliques qu’il était possible d’appliquer plus fortement sur l’abdomen grâce à un système de tige filetée. Il est reçu à l’Académie de Médecine en 1873, puis à l’Académie des sciences en 1883. Ses travaux neurologiques lui feront découvrir la sclérose en plaque, dont il donnera la première description clinique et la sclérose latérale amyotrophique, dite depuis Maladie de 160 Charcot. En 1882 il publie « Sur les divers états nerveux déterminés par l’hypnotisation chez les hystériques ». Au total, Charcot peut être considéré avec Duchenne de Boulogne comme le père fondateur de la neurologie moderne. = Esprit Blanche (1820 - 1893) Né à Rouen en 1796, d’un père chirurgien, Antoine Louis Blanche qui pratique la chirurgie (au sein de la garde nationale) et a en charge le sort des aliénés de la ville, Esprit Blanche suit ses cours de médecine à l’Hôtel-Dieu de Paris où il est reçu en 1816. Esprit Blanche Entre chirurgie et aliénisme, Blanche choisit cette dernière spécialité peut être après avoir lu le mémoire d’Esquirol adressé au ministère de l’intérieur en 1818. Ce texte, intitulé « Des établissements d’aliénés en France, et des moyens d’améliorer le sort de ces infortunés », décrit la grande misère des aliénés soumis à des traitements aussi barbares qu’inutiles, et enfermés dans des établissements tenant plus du cachot que de l’asile. Clinique du Docteur Blanche En 1821, Esprit Blanche, docteur en médecine et qui souhaite s’installer à Paris fonde une maison de santé à Montmartre, puis Passy, tenant de l’asile et de la pension de famille. Les patients sont logés dans des chambres individuels, mangent à la table du médecin et sont l’objet de la surveillance du médecin et du personnel médical 24 h/24. Désintéressé, à une époque où l’enfermement en asile ne peut être envisagé que pour les patients suffisamment riches, Blanche ouvrira sa maison aux personnalités de l’époque mais aussi aux nécessiteux. 161 Refuge des poètes et des peintres, la célèbre maison abritera Gérard de Nerval, Charles Gounod, Léonie Halévy, Marie d’Argoult, Théo Van Gogh (frère de Vincent), Guy de Maupassant, Henri de Toulouse Lautrec…. Les traitements sont de deux ordres, moral signe d’une prise en compte précoce de l’analyse psychique, et hydrothérapique à bases de douches glacées. Les diagnostics sont aussi variés que les patients, allant du syndrome dépressif, au syndrome de persécution, en passant par l’alcoolisme, la schizophrénie et le tabès syphilitique. Pendant deux générations, la maison du docteur Blanche, ancien hôtel de Lamballe, donnera un asile aux patients souffrant de troubles mentaux. Sa fermeture interviendra définitivement en 1922. L’hôtel est actuellement occupé par l’ambassade de Turquie. = Paul-Ferdinand Gachet (1829-1909) Médecin de Van Gogh Originaire de Lille, F. Gachet fait ses études à Paris où il est l’élève de Trousseau, puis à la Salpêtrière. Il passe sa thèse à Montpellier avec pour sujet « Etude sur la mélancolie » (1858). Paul-Ferdinand Gachet Paul-Ferdinand Gachet par Van Gogh Très éclectique dans sa pratique, Il exerce à Paris où il traite les maladies nerveuses et les troubles psychiatriques. En 1872, il achète une maison à Auvers-sur-Oise où il est amené à soigner les nombreux impressionnistes qui ont choisi cette localité pour « peindre la lumière ». En 1890, il soigne Vincent Van Gogh lors d’une crise aigue où l’artiste se blesse avec un coup de feu. Peintre lui-même, il n’aurait pas laissé de traces s’il n’avait été immortalisé par Vincent Van Gogh. Ses amis peintres diront de lui que « c’était un bon médecin, mais un mauvais peintre », alors que ses confrères le tenaient pour « un bon peintre et un médiocre médecin ». Chirurgie La chirurgie du 19ème siècle connaît un essor remarquable. Après Broussais et la chirurgie physiologique, se développe une nouvelle discipline centrée sur l’anatomie pathologique. Pelletan Dupuytren 162 Kergaradec Nelaton Cruveilhier = Jean Cruveilhier (1791-1874) Jean Cruveilhier est né à Limoges en février 1791 et mort en 1874. Il fait ses études à Paris et passe son doctorat en médecine en 1816 « Essai sur l'anatomie pathologique en général ». Reçu agrégé au premier rang en 1823, il succéda à Bérard comme professeur d'anatomie, puis à son maître Guillaume Dupuytren (Il sera titulaire de la chaire d'anatomie pathologique créée par Dupuytren). Jean Cruveilhier Jean Cruveilhier est généralement considéré comme l’un des créateurs de l'anatomie pathologique. On lui doit entre autre la distinction entre le cancer et l’ulcère de l'estomac, ainsi que la description des signes de la perforation gastrique secondaire à une ulcération. En 1828 il fait paraître « l’Atlas d'anatomie pathologique ». Il laissera son nom à la maladie ulcéreuse gastrique, encore appelée ulcère chronique de l’estomac ou maladie de Cruveilhier. Il fut le Médecin de René de Chateaubriand, de Frédéric Chopin et de Talleyrand-Périgord. = Auguste Nélaton (1807-1873) Auguste Nélaton commence ses études médicales en 1828, et est reçu docteur en médecine en 1836. Sa thèse porte sur un sujet malheureusement « à la mode » pendant cette période « la tuberculose osseuse ». Il est nommé professeur à l'hôpital Saint-Louis en 1839 avec pour spécialité les tumeurs du sein. Nélaton fut un des précurseurs de la chirurgie plastique. Comme Cruveilhier, il fut l’élève de Dupuytren 163 Auguste Nélaton Nommé professeur, il s'illustra dans le traitement des voies urinaires (opération pour l'extraction de la pierre, création de sondes urinaires). Photo montage représentant Nélaton au chevet de Garibaldi Il fut le premier à proposer la ligature bout à bout des artères lors des plaies hémorragiques et inventa de nombreux instruments dont des cathéters, des sondes urinaires et une sonde à revêtement de porcelaine destinée à localiser les projectiles lors de blessures par armes à feu (la sonde de Nélaton). Il tint une place de premier plan dans le domaine de la chirurgie pelvienne et abdominale. La manœuvre de réduction des luxations mandibulaires antérieures porte son nom. 164 Ses principaux ouvrages sont : Traité des tumeurs de la mamelle (1839); Parallèle des différents modes opératoires dans le traitement de la cataracte (1860); Éléments de pathologie chirurgicale. Il fut le médecin Giuseppe Garibaldi et de Napoléon III. = Alfred Velpeau (1795-1867) Alfred Velpeau est né en Indre et loir. Il fait ses études à Tours dans le service de Bretonneau et obtient la chaire de chirurgie et de médecine à la Faculté de Paris. Alfred Velpeau Il est l’auteur de très nombreuses publications de médecine, de chirurgie et d’obstétrique dont le fameux « Traité élémentaire de l’art des accouchements » en 1830. Leçon d’anatomie à l’hôpital de la charité Augustin Feyen 1864 Membre de l’Académie de Médecine en 1831, il a laissé son nom à un bandage de son invention et au « trou carré de Velpeau », encore appelé espace huméro-tricipital, délimité en haut par le petit rond, en interne par la longue portion du triceps, en bas par le grand rond et en externe par le vaste externe. Un quartier de Tours porte son nom. = Joseph François Malgaigne (1806-1865) D’une famille de chirurgiens, Joseph François Malgaigne fit ses études à Nancy puis à Paris. Externe des hôpitaux en 1827, il soutient sa thèse en 1831. Sur concours il devient titulaire de la chaire 165 de médecine opératoire en 1850. Membre de l’académie de Médecine en 1848, il fait œuvre d’historien de la chirurgie dans son ouvrage « l’histoire de la chirurgie en occident du 6ème au 16ème siècle ». Joseph François Malgaigne Sur le plan chirurgical il pratique l’orthopédie et, à partir des travaux d’Ambroise Paré qu’il a contribué à faire redécouvrir, publie son œuvre principale « Traité des fractures et des luxations ». Propriétaire du Journal de chirurgie, fondateur de la gazette médicale, J. F. Malgaigne a beaucoup contribué à la diffusion de son art. C’est dans cet état d’esprit qu’il propose à la société de chirurgie la devise « Vérité dans la science, Moralité dans l’art » qui l’adopta. = James Paget (1814-1899) Chirurgien de l’école de Londres, avec William Fergusson, J. Paget fut une sommité dans le domaine du diagnostic. On avait coutume de dire à Londres « Allez voir Paget pour le diagnostic et faites vous ensuite opérer par Fergusson ». 166 James Paget Ses cours d’amphithéâtre étaient renommés du fait de sa prestance et de la qualité de ses interventions. Il découvrit que les patients atteints de trichinose présentaient, comme chez le porc, des trichines dans les muscles. Maladie de Paget Son nom reste attaché à une maladie des os, dit maladie de Paget (1876), et à une forme particulière d’eczéma du mamelon, signe d’un carcinome. = Jules Emile Péan (1830-1898) Jules Emile Péan est originaire de la Beauce. Ce médecin eut une carrière hors du commun. Refusé à de nombreux concours malgré une place d’interne en premier des hôpitaux de Paris en 1853, il réussit, grâce à un solide bon sens à rénover les techniques chirurgicales en sortant des sentiers battus, ce qui fit naître nombre de critiques et de jalousies. Péan opérant, d’après Toulouse Lautrec 167 Nommé successivement à Saint Antoine et Saint Louis, il ne fut élu à l’Académie qu’en 1887. Très pragmatique pendant ses interventions chirurgicales, il développa l’antisepsie et l’hémostase en pinçant les vaisseaux. J. E. Pince de Péan Péan inventa de nombreux instruments de chirurgie et réalisa le premier la résection du pylore (1879), mis au point la technique de morcellement des tumeurs (1886) et les premières résections avec succès de la rate (1867) et de l’estomac (1879). Il est le fondateur de l’hôpital international où il soigna bénévolement les nécessiteux. Péan montrant l’usage de sa pince hémostatique Par Henri Gervex 1887 Péan avait la particularité d’opérer en habit et en plastron blanc, ce qui l’obligeait à se tenir relativement éloigné du patient et à travailler avec les bras tendus et muni de pinces. = Louis, Hubert Farabeuf (1841-1910) 168 Louis, Hubert Farabeuf Farabeuf est un Briard qui fut élève de Velpeau. Pendant les événements de la commune de Paris, il exerce à L'hôpital Saint-Antoine ce qui lui donne l'occasion d'opérer un nombre important de lésions traumatiques. Il passe sa thèse cette même année (1871) intitulée " De la confection des moignons et de quelques moignons en particulier (poignet, coude, jambe) ". Cinq ans plus tard Farabeuf est nommé agrégé d'anatomie, d’histologie et de physiologie, puis chef des travaux anatomiques. A ce poste il contribua à la rénovation de l'enseignement pratique de l'anatomie et de la chirurgie Il est l’inventeur de nombreux instruments chirurgicaux dont : + L’écarteur qui porte toujours son nom. Il s’agit d’un écarteur à fonction statique, en acier, servant à écarter la peau, la graisse et les muscles après incision. Ecarteur de Farabeuf + La rugine droite et la rugine courbe, qui servent à racler les os pour libérer les muscles et les aponévroses. + Le davier à double articulation, en forme de tenaille à dents, utilisé pour saisir les os et le maintien d'une réduction ou d'une plaque. Constatant l'état lamentable de l'enseignement pratique à Paris il propose la construction d'une nouvelle école pratique qui servira de modèle pour les pavillons d'anatomie de l'actuel Ecole-deMédecine de Paris. Sa statue trône depuis devant ce bâtiment en forme de rotonde. 169 On lui doit également de très nombreuses descriptions anatomiques parmi lesquelles on retiendra : + Le tronc veineux de Farabeuf : une des branches de la veine jugulaire interne. + Le tronc artériel de Farabeuf : (artère collatérale de l'artère sous-clavière droite). + Le heurtoir de Farabeuf : c'est une légère excroissance qui se trouve au niveau de face inférieure de la clavicule (bord sternal) + Le muscle deltoïde fessier de Farabeuf. + Les lames sacro-recto-génito-pubiennes de Farabeuf : ce sont des formations cellulofibreuses sagittales qui divisent le petit bassin en trois régions distinctes. + Le canal de Guyon-Farabeuf : (canal traversé par le nerf ulnaire après son passage dans le canal carpien. Farabeuf fut aussi un excellent obstétricien. On lui doit notamment « La pratique de l'accouchement normal et dystocique », (1891) ainsi que l’invention du « mensurateur levierpréhenseur obstétrical » et de « la gouttière protectrice pour symphysiéotomie ». Le signe de Farabeuf permet le diagnostic clinique de l'engagement de la tête foetale dans le l'excavation pelvien au cours d'un accouchement par la présentation du sommet 170 Anesthésie L’anesthésie se développa à partir de la moitié du 19ème sicle, grâce aux découvertes et aux travaux de Wells qui utilisa le peroxyde d’azote, Charles Jackson qui découvrit les effets de l’éther, mais n’appliqua pas sa découverte aux interventions chirurgicales et de William Morton qui réalisa la première anesthésie « à grand spectacle ». = Horace Wells 1815- 1848 Horace Wells était né en 1815 à Hartford, dans le Connecticut. Descendant direct d’immigrants puritains anglais, il suit des études dans des écoles confessionnelles puis s’inscrit dans la Faculté de Boston pour devenir dentiste. Il forma plusieurs étudiants, dont Thomas Green Morton, celui à qui on attribue la découverte de l’anesthésie à l’éther, et John M. Riggs, qui aurait réalisé la première extraction dentaire sous anesthésie au protoxyde d’azote. La petite histoire raconte qu’à Hartford, ville où il était installé, il assista à la conférence d’un chimiste ambulant, Gardner Quincy Colton, qui expliquait sur une estrade la nature et les propriétés hilarantes de l’oxyde nitreux. Pour démontrer l’effet de ce gaz sur l’organisme, il demandait à des membres de son auditoire de monter sur l’estrade et de respirer du protoxyde d’azote. Wells fut particulièrement impressionné par la chute de l’un des volontaires, du haut de l’estrade (Samuel A. Cooley, une connaissance de Wells), et qui, malgré des blessures sérieuses, continuait de rire sans ressentir de douleur. Wells anesthésiant une patiente Dès le lendemain, il teste le gaz (préparé par Colton) sur lui-même lors de l’extraction d’une molaire. Durant l'intervention réalisée par Riggs, Wells ne ressent aucune douleur. Colton initie Wells à la préparation et l'administration du gaz. Dès le mois suivant Wells utilise cette technique sur plus de quinze de ses patients. Quelques jours après, il se rendit à Boston où le Pr Warren, chirurgien du Massachusetts General Hospital, lui demanda de réaliser une démonstration d’extraction dentaire sous anesthésie sur l’un d’eux. Malheureusement, Wells retira trop tôt le sac, et l’anesthésie ne fut pas suffisante pour inhiber la douleur. Wells quitta la salle sous les quolibets malgré que le patient ait reconnu que la 171 douleur n’avait pas été aussi importante que celle qu’il attendait. Néanmoins la première anesthésie fut attribuée à Jackson et à Morton. Malgré les preuves qu’il fournit auprès des deux Académies en 1847, les Académies des Sciences et de Médecine restèrent sur leur position (Les résultats qu’il obtint furent publiés dans le Boston Surgical and Medical Journal du 18 juin 1845). Lorsque Simpson utilisa le chloroforme comme un anesthésique, Wells chercha à savoir si cet agent n’était pas supérieur au peroxyde d’azote. Pour tester cette nouvelle molécule, il l’essaya sur luimême. Très vite il devint dépendant de cette drogue et commit, dans une demi-conscience, un attentat. Arrêté, il mit fin à ses jours le 24 janvier 1848, à l’âge de 32 ans. La France reconnut plusieurs dizaines d’années plus tard l’antériorité de Wells dans l’invention de l’anesthésie chirurgicale Une statue de Wells fut érigée en 1 Square des Etats-Unis à Paris. Sur le socle on peut lire : « Au dentiste Horace Wells. Novateur de l’anesthésie chirurgicale ». = William Morton (1819 - 1868) William Morton est originaire du Massachusetts. Il entreprend des études de dentisterie à Baltimore dans la première école de ce type dans le monde. William Morton 172 Très tôt il s’intéresse aux effets de l’opium, de l’éther et de l’oxyde nitreux sur la douleur. Passionné de mesmérisme (technique d’autosuggestion hypnotique développée un siècle plus tôt par Mesmer), il cherche à soulager ses patients en associant l’éther et l’hypnose. Le 16 Octobre 1846, il a l’occasion d’endormir pour la première fois en public un patient souffrant d’un angiome du cou. Morton arrive en retard et l’on commence à murmurer que tout cela n’est que charlatanerie, mais devant le public de jeunes médecins, l’intervention de passe dans douleur, sans cri et dans des conditions chirurgicales parfaites. Cette première anesthésie a fait l’objet d’un tableau réalisé par Robert Hinckley en 1882. Le reste de la vie de Morton sera houleuse et pleine de conflits avec ses confrères. Il décédera à New York, pendant l’été 1868, à l’âge de 48 ans, victime de la canicule qui fit plusieurs centaines de victimes. Jackson avec qui il n’arrêtera pas sa vie durant de se disputer la paternité de l’anesthésie décédera trois ans plus tard dans un asile d’aliéné. Physiologie expérimentale La physiologie expérimentale est à l’origine des nombreuses découvertes réalisées au 19ème siècle. = François Magendie (1783-1855) Magendie, qui se désignait lui-même comme un chiffonnier de la science, est né à Bordeaux. Médecin de terrain, il « isolait les faits » et en tirait des conclusions fonctionnelles. Il détermina ainsi de manière expérimentale que les racines nerveuses antérieures et postérieures de la moelle épinière avaient des fonctions différentes (motrice et sensorielle). 173 François Magendie Ses techniques d’observation ouvraient la voie à la physiologie expérimentale que développa Claude Bernard. Magendie est également considéré comme le père de la pharmacologie moderne du fait de ses travaux sur les effets des drogues. = Claude Bernard (1813-1878) Claude Bernard est considéré, avec raison, comme le père de la physiologie expérimentale. Né à Saint Julien dans le Rhône, il travailla avec Magendie avant de lui succéder à la chaire de Médecine expérimentale au collège de France. Claude Bernard 174 Interne chez Rayer (que l’on surnomma le découvreur d’homme) à l’hôpital de la Charité, puis préparateur de Magendie, Claude Bernard se consacre à la recherche en laboratoire. Il étudie chez divers animaux les fonctions hépatiques, pancréatiques et nerveuses (influence des sympathiques et parasympathiques sur la motricité vasculaire et les sécrétions gastriques). Il expérimente et montre les effets du curare sur le système respiratoire (1844). En 1853, il obtient pour la troisième fois le prix de physiologie de l’académie des sciences pour son mémoire sur le grand sympathique et les nerfs vasomoteurs activateurs et inhibiteurs. Premier à avoir déterminé le rapport entre le diabète et le pancréas, il travailla également sur l’homéostasie des animaux à sang chaud. Promoteur de la vivisection, il fût particulièrement malheureux en ménage, sa femme étant l’initiatrice de la ligue contre la vivisection (Elle entraîna dans ce combat ses deux filles qui finirent par rompre tout contact avec leur père). Dans le quartier de l’école de médecine où il travaillait, les dénonciations pour maltraitance à animaux se multipliaient au point que Claude Bernard passa de nombreuses heures au commissariat du quartier pour se justifier et se disculper. Des ragots colportés par ses opposants dénoncèrent même un trafic d’enfants qu’on lui livrait pendant la nuit dans des sacs. Claude Bernard dans son laboratoire Son œuvre maîtresse « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » (1865), sert encore d’assise à la recherche médicale. Cette nouvelle philosophie* « qui fera de la médecine une science » peut se diviser en trois partie : la physiologie, la pathologie et la thérapeutique. * Claude Bernard réfutera toujours le terme de philosophie pour caractériser sa méthode qu’il veut résolument inscrire dans un cadre scientifique .C’est lui qui, à ce sujet, introduira le terme de déterminisme,pour affirmer que les sciences biologiques sont toute aussi scientifiques que celles de la matière. Il eut de nombreux élèves comme D’Arsonval (1851-1940, physicien qui travailla sur l’application en médecine des courants de haute fréquence) et Louis Antoine Ranvier (1835-1922) qui travailla sur la physiologie et sur l’histologie du système nerveux. Il a laissé son nom aux segments dépourvus de myéline des fibres nerveuses (1887). Décédé en corrigeant les épreuves de son dernier ouvrage, « Leçons de physiologie opératoire », il fût poursuivi par ses détracteurs amis des bêtes, ses opposants politiques (il fût 175 sénateur sous l’empire) et les puritains qui lui reprochaient d’être séparé de sa femme. Pour toutes ces raisons la municipalité de Villefranche refusa de lui élever une statue. = Ivan Pavlov (1848-1936) Né à Saint Petersbourg, dans une famille de Popes, Ivan suivit ses études au petit séminaire. Il entre ensuite à l’Académie de Chirurgie et de Médecine d’où il sort Docteur en 1883. Sa vie de scientifique devait être marquée par une lecture qu’il fit à ce moment là, « Réflexes de l’encéphale », publication de Setchenov qui deviendra son maître. Ivan Pavlov Ivan Pavlov travailla d’abord en Allemagne, puis à Moscou dans le laboratoire de l’académie de Médecine militaire. Pavlov dans son laboratoire avec ses chiens Si ses travaux menés sur le foie, le pancréas et la physiologie du système digestifs sont quelque peu oubliés, il n’en est pas de même de ses résultats expérimentaux portant sur le réflexe conditionné et la création de la psychologie du comportement qui ont fait de lui un homme célèbre. En 1890, il est titulaire de la chaire de Pharmacologie de l’Académie militaire de Saint Petersbourg. La même année, en travaillant sur la composition salivaire recueillie par une fistule pratiquée dans l’estomac de chiens, il constate que les sécrétions peuvent précéder la prise alimentaire. Cette découverte lui doit d’être Prix Nobel de Physiologie et de Médecine en 1904. Pendant sa présentation réalisée en russe, langue peu usitée des milieux scientifiques, une erreur de traduction se glissera dans le texte. C’est ainsi que le « réflexe conditionnel », deviendra le « réflexe conditionné ». C’est, malgré un sens approximatif, ce vocable qui passera dans le vocabulaire courant. Après la révolution de 1917, et son opposition ouverte au marxisme « Pour le genre d’expérience sociale que vous faites, je ne sacrifierai pas les pattes arrières d’une grenouille », il put néanmoins continuer son œuvre scientifique en URSS. 176 Médecine légale = Mathieu Orfila (1787-1853) Mathieu Orfila, originaire de Minorque, présente dès son plus jeune âge une intelligence hors norme. A trois ans il parle déjà trois langues vivantes, le latin et le grec. Il apprend seul les mathématiques et débute une carrière de scientifique. Intéressé par la médecine il suit les cours des universités de Valence, Barcelone et Madrid. Nommé médecin en 1807 (il a 21 ans), il s’installe à Paris pour parfaire ses études de chimie. Mathieu Orfila Elève de Vauquelin en chimie, il continue sa formation médicale et est thèsé en 1811 à Paris. Poursuivant ses travaux de chimie, il publie « Traité des poisons ou toxicologie générale », ce qui lui vaut d’être membre correspondant de l’académie des sciences en 1815. Poursuivant dans ce domaine il produit successivement « Eléments de chimie médicale, Les secours à apporter aux personnes asphyxiées ou empoisonnées, traité des exhumations juridiques ». Professeur de médecine légale (1819), membre de l’Académie de médecine en 1820, il devient professeur de chimie médicale en 1822 « Leçons de médecine légale », il succède à son maître Vauquelin. Réorganisateur des études médicales, il crée les examens préparatoires à l’entrée des Facultés de Médecine qui deviendra successivement le PCB, le CPEM puis le PCEM1, organise les concours de recrutement des enseignants, crée l’obligation des travaux pratiques. Son œuvre réformatrice est toujours d’actualité avec l’obligation de suivre un enseignement clinique, l’organisation stricte des examens, la création de chaires cliniques de spécialité. Doyen de la Faculté de médecine, il est destitué après la révolution de 1848 et remplacé par Bouillaud. Ce dernier, farouche opposant et certainement jaloux d’Orfila dresse un bilan catastrophique et injuste de son prédécesseur. Ce qui lui vaudra d’être révoqué à son tour. Fondateur du Musée d’anatomie et d’un jardin de botanique au Luxembourg, Orfila trouve encore le temps d’être conseillé municipal de Paris (une rue du 20ème arrondissement porte son nom). Naissance de la radiographie La radiologie est née de la passion d’Antoine Béclère pour la découverte du rayonnement X, mis en évidence par Röntgen. 177 = Antoine Béclère (1856-1939) Antoine Béclère est le fils d’un médecin bressant. Reçu à l’Internat de Paris en 1877, il travaille pendant cette période aux enfants malades et passe sa thèse en 1882 sur « la contagion dans la rougeole » Antoine Béclère En 1893, il est nommé médecin des hôpitaux et chef de service à l’hospice Debrousse et travaille activement avec Chambon et Saint-Yves Ménard à la découverte de l’immunité passive, de l’immunité active et de la substance antivirulente spécifique sérique. Nommé médecin chef de l’hôpital Tenon en 1897, il installe dans son service un appareil à « rayon X » qui lui servira à décrire l’aspect radiographique des différents tissus. Mais c’est en 1899 qu’il crée le premier service de radiologie à l’hôpital Saint Antoine. Dès cette époque, Antoine Béclère différencie la radiographie, la radiothérapie et la radioscopie, disciplines qu’il développera tout au long de sa vie (il travaillera jusqu’à 80 ans). Archétype du médecin hospitalier entièrement dévoué à sa pratique médicale, Antoine Béclère considérait que pour qu’une question soit parfaitement connue il faut être capable de l’enseigner, ce qui reste toujours le cas aujourd’hui. Membre de l’Académie de médecine en 1931, il restera toujours d’une grande modestie malgré les honneurs qui lui furent rendus de son vivant. Aujourd’hui, la place qui se trouve devant l’hôpital Saint Antoine porte son nom, de même que l’Hôpital édifié à Clamart en 1971. Pharmacie 178 Les remèdes à disposition dans les officines, ne sont guère différents de ceux des siècles passés. L’apothicaire est à la fois chimiste, préparateur et conseiller pour le patient. Il n’existe aucune spécialité pharmaceutique mais des recettes, des formules issues de l’expérience. Ces recettes sont regroupées dans le « Codex medicamentarius ». Le Codex de 1865 fait ainsi suite à celui de 1837 et au premier Codex rédigé en exécution de la loi du 21 germinal an XI. Le Codex de 1865 reprend d’une part les substances d’origine minérale, et d’autre part la multitude de substances d’origine végétale provenant de l’ensemble du monde (Aloès du Cap de bonne espérance, quinquina des Andes, lichen d’Islande, vin de Malaga, feuilles d’absinthe du Canada, Kino de l’Inde, Bdellium d’Afrique…). A ces produits il faut ajouter les substances issues de l’animal (bois de cerf râpé, bile de bœuf, mouches de Milan…). On réalise des extraits, intraits, décoctions, sucs, poudres, huiles, baumes, alcoolatures, teintures… qui seront proposés en sirops, baumes, lavements, cataplasmes, suppositoires, fumigations, tisanes…. La commission chargée de la rédaction insiste beaucoup sur l’uniformisation européenne des recettes. Dans cet ouvrage figure la correspondance des anciens poids français et des poids étrangers. La notion d’universalité de la pharmacopée est constamment présente « Les nouvelles voies de transport ont rendu faciles et nombreuses les communications entre les divers peuples de l’Europe ; il n’est pas rare qu’un malade ait reçu de son médecin une formule à Londres ou à Berlin, et qu’il soit obligé, quelques jours après, d’en confier l’exécution à un pharmacien placé au voisinage de l’une de nos stations de chemin de fer ». Les membres de la commission de rédaction du Codex de 1865 sentent les profondes modifications qui sont en cours dans la préparation des médicaments. Dans leur préface il exprime cette véritable prophétie. « A mesure que les formules complexes, léguées par l’ancienne médecine aux temps modernes, se simplifient ou sont abandonnées, on a pu se demander si les Codex ou pharmacopées ne deviendraient pas un jour d’inutiles recueils, si les officines seraient toujours nécessaires, si le pharmacien lui-même ne pourrait pas être remplacé par un marchand de médicaments ». Si quelques apothicaires, au sens ancien du terme résisteront jusqu’à la moitié du 20ème siècle, la majorité d’entre eux seront en effet devenus des marchands de médicaments. La vie à l’hôpital La vie à l’hôpital, aussi bien pour les malades que pour le personnel, est restée pratiquement inchangée entre la fin de l’empire et la grande guerre. Les locaux, les règlements, les soins, la vie des internes sont d’une stabilité étonnante dans ce 19ème siècle si riche en changements de toutes sortes et en révolutions. Hospices et hôpitaux Avant la rénovation et la construction de nouveaux hôpitaux à partir des années 1960, les principaux hôpitaux parisiens dataient du 18ème et du 19ème siècle. Ces derniers ayant été reconstruits ou réhabilités lors des grands travaux d’Haussmann. L’hôpital du 19ème siècle se compose de plusieurs « blocs »séparés par des cours ou des jardins, regroupant chacun plusieurs services. Il est possible de communiquer entre les bâtiments par les sous-sols, aménagés tant bien que mal en réserve, vestiaire, locaux techniques (buanderie, restauration…). On accède aux services par de larges escaliers carrelés entourant le monte charge grillagé et bruyant. 179 Les paliers donnent accès aux salles d’hospitalisation. La salle commune, très haute de plafond (l’équivalent d’un étage et demi, voire deux étages) est éclairée par de grandes fenêtres. Les murs sont beiges pisseux et marqués d’une ligne plus sombre correspondant à la hauteur du bras tendu de la femme de ménage. De cette ligne de flottaison au plafond, la couleur est plus foncée (tabac) du fait de la poussière adhérente à la texture poisseuse qui recouvre les murs. La température au niveau des lits est d’environ 23°C, elle s’élève avec l’altitude pour atteindre plus de trente au plafond. Les fenêtres si elles ne sont pas condamnées, s’ouvrent avec difficultés du fait de la vétusté de l’huisserie ou des remarques acerbes de « ceux qui ont froid ». Leur fermeture définitive pour éviter les défenestrations ne saurait tarder. Les rideaux beiges, sensés masquer un soleil trop violent, sont « cuits » et à demi déchirés. Ce qui frappe le visiteur en entrant c’est l’odeur ; mélange d’éther, d’urine, de serpillière mal rincée, de « suis generis » et de sanies. Elle semble insupportable au nouvel entrant qui pourtant, se fondra dans ce remugle, au point de lui appartenir tout entier. Salle Pinel Au centre de la salle trônent le poêle et la table des infirmières, vaste support de bois hérité des réfectoires monastiques. Ce meuble est presque totalement recouvert par d’énormes bocaux de couleur (dakin, alcool dénaturée, désinfectants, alcool iodée, permanganate…) et tout un matériel de prélèvements (tubes à essai, plateaux émaillés pour les soins, pots à coton cardé et à compresses, pinces, éprouvette). Les haricots s’entassent en bout de table avec les pots à urine. Ce lieu de travail, autour duquel tournent et s’agitent les infirmières (voilées ou en cornettes si ce sont des soeurs) est complété en bout de salle par un local comprenant un évier, une paillasse et des toilettes. C’est dans ce local que les aiguilles et les seringues en verre sont lavées à l’eau savonneuse, passées à l’alcool et stérilisées. La chaleur y est moite, mais l’odeur sent « le propre ». Ce local fait souvent office de salle de détente pour le personnel. Les lits métalliques, de couleur crème, sont disposés tout autour de la salle, la tête du patient vers le mur. La salle peut accueillir 35 à plus de 60 lits. Chaque lit est séparé par la largeur d’une table de nuit de la même couleur que le lit (parfois par un rideau comme au moyen âge). Au pied du lit, la pancarte soigneusement mise à jour par l’infirmière, dessous un treillis métallique permet de poser le pistolet et le bassin, la tinette avant l’invention de ces deux instruments. Sur le plateau de la table de nuit le crachoir, un verre à pied ou un récipient en carton ciré, un verre, quelques affaires personnelles. Dans la table de nuit, la serviette, le savon pour la toilette, l’eau de Cologne, une bouteille d’eau et parfois une bouteille de vin que le personnel débusquera à la première occasion. La salle commune donne parfois sur une autre salle séparée par une double porte vitrée en verre dépoli. A son extrémité, le couloir, où s’alignent la lingerie, la pharmacie, le laboratoire du 180 service (c’est un bien grand mot), les bureaux des secrétaires, de l’infirmière générale, de l’assistant et des chefs de clinique, du patron, pour finir par la salle de réunion (pas encore de staff). De l’autre côté du couloir, une ou deux autres salles communes. La salle s’éveille vers 6 h du matin avec l’arrivée des infirmières de jour. La veilleuse bleutée (au gaz) du fond de la salle a fait place à l’éclairage zénithal d’une batterie de globes. La transmission est effectuée devant la table de soins, tandis que les premières « filles de salle » vident les pots à urine, apportent le petit déjeuner (du café au lait et du pain beurré) et aident les patients qui éprouvent des difficultés pour leur toilette. Si un décès a été signalé, en général par sa voisine ou son voisin de lit, un paravent articulé sur roulette cache le mort en attendant le passage des garçons de l’amphi pour son transfert chez Morgagni « service de Morgagni ». Salles communes vers 1900 Pendant ce temps, les infirmières préparent les piluliers pour chaque patient et font la ronde des températures (contrôlées tous les matins), des pouls et des tensions artérielles. Il est environ huit heures quand commencent les injections et les soins plus complexes. Les externes (un pour 10 à 20 lits) commencent à arriver dans le service vers 8h 30. Ils quittent leur veste mais gardent la cravate sous la blouse et revêtent le tablier à bavette et à large poche kangourou destinée à recevoir le stéthoscope, divers papiers, le marteau à réflexe…). L’observation, rédigée sans faute d’orthographe, doit en outre comprendre une analyse des urines (aspect, odeur, couleur…), des crachats (mousseux, sanglants, verdâtres….). Elle est relue et corrigée par l’interne, puis le chef de clinique. Vers 11 heures les patients et le personnel peuvent consommer un bouillon de poule distribué par les filles de salle. Le goût de ce breuvage préparé par les cuisines de l’hôpital est inimitable. 181 La visite au début du 20ème siècle La grande visite (2 à 3 fois par semaine) se déroule suivant un rituel sacralisé par chaque patron. Se regroupent autour du chef de service, l’assistant, le chef de clinique et l’interne chargés de la salle, la patronne (infirmière générale), la surveillante de la salle, l’infirmière en charge du patient, l’externe et éventuellement des spécialistes d’autres services invités à donner leur avis, soit entre 8 et 15 personnes. La lecture de l’observation est faite par l’externe, l’assistant ou le patron lisent la pancarte et posent des questions au chef de clinique, à l’interne ou à l’infirmière. La patronne (la générale) et la surveillante prennent des notes sur les modifications du traitement et les examens complémentaires à réaliser. Les membres du service Parfois le patron, qui consulte toujours un patient, et non une maladie, expose et offre à la discussion un cas comparable. Le silence est religieux et l’on impose le silence aux patients qui seraient en train de discuter dans la salle. 182 La réunion hebdomadaire, qui ne s’appelle pas encore le staff, est généralement programmée le samedi en fin de matinée pour se terminer vers 13h30. Les patients sont présentés par l’externe qui a préparé un résumé de l’observation. Une fois par semaine, l’externe est de garde aux urgences. L’ambiance des urgences, locaux, odeur (encore pire), animation, est semblable à celle qui règne dans les services. L’externe est chargé des entrants et d’un certain nombre de gestes techniques (nettoyage de plaie, points de sutures, plâtres…), il est sous la responsabilité directe de l’interne. La salle de plâtre est vaste, et ressemble à un atelier d’artiste avec ses sacs de plâtre, ses auges et ses truelles. Il n’est pas question de se reposer pendant la nuit du fait de l’affluence des patients (Un chef de clinique, un interne et deux externes peuvent recevoir 100 à 120 patients pendant la garde). La garde termine à 8 h, juste avant la reprise du travail dans le service. Ce rituel restera immuable jusqu’aux événements de Mai 1968. Salle de garde Evoquer la médecine du 19ème siècle et du début du 20ème siècle sans parler des salles de garde serait une imposture. La salle de garde est née avec l’Internat des hôpitaux en 1802. L’interne qu’il soit de médecine, de gynécologie obstétrique ou de chirurgie, est logé et nourri par l’Assistance Publique dans des locaux situés au cœur de l’hôpital. L’interne, comme son nom l’indique à l’époque, ne quitte qu’exceptionnellement l’hôpital pendant les quatre années de son apprentissage. Rémunéré, logé, il est à la fois étudiant, praticien et chargé des gardes et de la contre visite. Sa vie se déroule toute entière entre le service et ce lieu de repos et de « décompression » qui lui permet d’assumer psychologiquement la souffrance, la fatigue et la mort. L’internat L’interne quitte la salle de garde le matin vers 7h 30 pour se rendre dans le service, accueillir les nouveaux malades, penser les plaies et préparer la visite du « Patron ». Il ne la regagne qu’à 13 h, pour le repas. L’après midi est consacrée à l’étude dans sa chambre (généralement située dans les combles au dessus de la salle de garde) et à la contre visite, passée après le départ des visiteurs, alors que la nuit commence à tomber et que la garde des infirmières va laisser sa place à la veille. S’il n’est pas de garde aux urgences ou « d’intérieur » l’interne peut regagner sa chambre après avoir soupé chichement d’un bouillon, d’un laitage et des restes du repas de midi. Si au début du 19ème siècle le repas est servi à 18 h, au cours du 20ème siècle l’heure sera plus tardive, 19, puis 20 h. L’hôpital était alors pratiquement un couvent, et l’interne un moine soumis à l’obéissance de l’administration et du chef de service. On ne préparait et passait alors le concours de l’internat à cette époque que pour accéder à une spécialité et exercer la médecine dans les hôpitaux. Lors de sa création, en 1802, le règlement du 4 ventose An X, précise le fonctionnement et la philosophie de l’institution. « Les élèves attachés à l’hôpital seront nommés parmi les plus instruits et ils remplaceront les élèves qui sortiront dans une promotion qui sera déterminée par un règlement particulier». Lors du premier concours (26 fructidor An X) l’organisation prévue par le législateur donnera un élan nouveau à l’enseignement de la médecine, hiérarchisée en externes et internes « Persuadée de cette vérité que c’est dans les hospices et en y prenant une part active au traitement des malades que s’acquière les connaissances et l’art de guérir, la commission ne saurait trop s’appliquer d’une part, à attirer dans cette voie le plus grand nombre possible, d’autre part, à rechercher les moyens de fortifier leurs études et d’accroître leur émulation. En conséquence, elle confirme la division des élèves en Externes et Internes, deux degrés dont on n’atteindra le second qu’après avoir franchi le premier ; décide que les fonctions des deux ordres seront temporaires, soumet les unes comme les autres au principe de concours et enfin fonde des prix destinés aux plus méritants parmi les élèves d’élite ». On retiendra la notion d’élitisme et d’art, l’un ne pouvant aller sans l’autre. La salle de garde 183 Très vite, l’administration souhaite régimenter le corps des internes et produit pour se faire des règlements qui accentueront encore le besoin d’autonomie et l’espace de liberté de la salle de garde. Le 19 décembre 1845, un arrêté est pris pour préciser que les internes « ne peuvent recevoir de femme dans leur chambre ou dans les salles de garde… toute infraction à cette disposition est passible d’une peine disciplinaire ». L’internat est masculin, l’interne est célibataire, l’administration veut une institution misogyne. Il faudra attendre1886 et la nomination de la première femme interne, Augusta Klumpke, pour que la mixité commence timidement à exister dans les salles de garde. Les années suivantes le nombre des femmes reçues à l’Internat augmente empêchant tout contrôle de l’administration, incapable de distinguer les titulaires des invitées. Le puritanisme du 19ème siècle s’éteindra progressivement, faute de pouvoir dicter ses règles à une société en pleine mutation et surtout libérée des tabous religieux et sexuels. A vouloir transformer les internes en moines médecins, l’administration en a fait des moines, mais paillards. Les salles de garde et ses rites disparaîtront progressivement dans la seconde moitié du 20ème siècle, du fait des modifications statutaires intervenues sur les fonctions de l’interne (qui n’est plus interne que les jours de garde dans une chambre du service), la disparition progressive des chambres, la transformation de la salle de garde en réfectoire, la suppression du personnel chargé des cuisines le soir… Les salles de garde sont mortes, vive les salles de garde. + Fonction psychologique La fonction psychologique de la salle de garde, non envisagée lors de sa création, s’est peu à peu imposée, donnant à cet asile un rôle rédempteur et stabilisateur du psychisme des internes confrontés des journées entières pendant quatre ans à la souffrance, la misère et la mort. Qui après le décès d’un jeune patient, l’agonie d’un vieillard, les cris de souffrances lancinants d’une patiente, le retour d’une autopsie, la pratique d’une intervention pour amputation ou évacuation d’un abcès, serait capable de survivre 24h/24 dans cet environnement mortifère ? Qui pourrait gérer son équilibre psychologique, dîner, se coucher et dormir sans cauchemar, pour reprendre sans état d’âme son service le lendemain matin ? Le confinement, l’enfermement, la promiscuité, l’inconfort (les toilettes sont dans le couloir, il n’y a pas de douche, la chambre mansardée est soit glaciale soit surchauffée), l’abstinence voulue par l’administration, l’éloignement de la famille et des amis, font de l’interne un reclus dont la seule échappatoire serait l’étude. Dès le début, et faisant suite à une vocation carabine beaucoup plus ancienne que les salles de garde, l’étudiant médecin cherche dans l’amour, la dérision, la fête païenne… les moyens de résister, ou parfois simplement de survivre à son vécu journalier. Lors de la création de l’Internat, les salles de garde vont spontanément devenir l’échappatoire, le lieu de défoulement, de libération des pulsions de mort ou d’amour, le creuset qui jour après jour, assurera l’équilibre de son peuple d’exilés du monde. En salle de garde on ne pense pas comme dehors, on n’agit pas de la même façon, on sert un rituel libérateur hors normes et extravagant. Les tabous sont renversés, le sacré moqué, la hiérarchie piétinée, l’administration ridiculisée. La fête évoque le carnaval des fous au moyen âge qui, une semaine par an, permettait aux manants de railler les puissants, la religion et les riches, le savoir…. C’est grâce à ces cérémonies païennes, à ces rites purificateurs que l’exorcisme peut se dérouler et que l’équilibre peut se reconstituer. Sorti de la salle de garde, l’Interne est à nouveau près à soulager la souffrance, à réconforter un malade et à libérer l’angoisse d’un mourant. Loin de souscrire à une anarchie débridée, la vie de la salle de garde est au contraire bien réglée dans son dérèglement, et obéit à des rituels codifiés et immuables. + Gestion ordinaire La salle de garde reste ouverte 24h/24. Le repas est servi à 13 h par le personnel affecté à cette tâche souvent difficile, une fois que l’économe est arrivé et assis (tout membre assis avant ce dernier est « taxé »). 184 L’économe, élu en début de semestre par les internes, est le seul maître après Dieu de la salle de garde. Il est aidé dans sa tâche par un, ou plusieurs adjoints. Chaque mois, il reçoit la cotisation des internes et les diverses taxes qu’il a imposé pour manquement à la règle (tenue civile en salle de garde, non respect de la quinconce pour se servir à table, conversation sur la médecine ou le service, projections non autorisées….). Tout manquement à la discipline de la salle de garde peut faire l’objet de « projections » (tout ce qui passe sous la main, surtout si c’est liquide ou pâteux). Il est interdit de projeter sur l’économe et les jours de Tonus. Le règlement « bis » de la salle de garde est aussi rigide que celui de l’administration mais librement consenti celui là. Le repas du soir est servi à 18 h. Dans la même salle ou dans des salles attenantes se trouve fréquemment un piano, un jeu d’échec, un billard dans le meilleur des cas, qui permettent de prolonger les soirées de garde dans l’attente d’un appel. Les cotisations et taxes diverses servent à « améliorer » l’ordinaire (tabac, alcool, douceurs…) et à organiser les tonus d’entrée et de sortie ainsi que les repas de patrons. Les patrons, les externes ou le personnel féminin (essentiellement des élèves infirmières ayant échappé à la vigilance de la directrice de l’école) ne peuvent franchir la porte de la salle de garde que comme invités, et après accord de l’économe. La salle de garde est décorée de fresques élaborées par les internes eux même en vue d’un tonus, d’un repas de patron, ou tout simplement pour passer le temps. Les fresques s’inspirent le plus souvent de thèmes érotiques et s’étalent tout au long des murs. Les visages des personnages représentent des internes ou des patrons. Certaines de ces fresques peintes sur toiles ont fait l’objet d’une conservation au musée de l’assistance publique (Hôpital de la charité) ou de reportage photographique avant destruction (ancien Bichat). + Tonus Les tonus se déroulent au rythme de quatre par an au minimum, mais d’autres peuvent être organisés suivant les occasions (elles ne manquent pas) en cours d’année. Le tonus est organisé autour d’un thème choisi par l’équipe économale. Les thèmes sont innombrables, fruits de l’imagination d’internes à l’esprit surchauffé (Commune de Paris, horreur, vampire, ballet rose à l’évêché, exotique, nuit romaine, chez Madame Claude, guinguette….). En vue de cette manifestation (qui peut regrouper plus de 150 personnes dans les grands hôpitaux), on collecte les fonds, on repeint les fresques, on aménage les paroles des chansons de salle de garde où apparaîtront les chefs de service. 185 Le jour du tonus, il est fréquent que des monômes défilent dans l’hôpital au son d’un mini orchestre improvisé. Naturellement l’amour, la mort, la lutte contre l’autorité hospitalière, les différents travers des patrons sont mis en exergue Le repas est gargantuesque et abondamment arrosé. Il est entrecoupé de sketches et de chansons paillardes* hurlées, plus que chantées par l’ensemble des participants. * Une confusion est souvent réalisée entre les chansons de salles de garde militaires et les salles de gardes hospitalières. Le registre des chansons est totalement différent, et même si le sexe reste au premier plan, on retrouve en médecine une évocation constante de la maladie ou de l’hôpital (La marche des vérolés, Dans un amphithéâtre, La chanson de Bicêtre, Broca, Chanson des vieilles salles de Garde, Hôpital Saint Louis, Lariboisière, La vérole.. . On « bat *» des thèmes donnés par l’économe en signe de remerciement pour le personnel, ou pour féliciter un interne pour sa chanson, un poème ou toute autre déclamation. * Une batterie consiste, avec ses couverts, à frapper contre la table suivant un rythme donné. On peut battre la Républicaine, la Royale, la Pacifique 231… la Vaginale). + Bal de l’Internat Le bal de l’internat se déroule une fois par an, et le plus souvent en dehors du milieu hospitalier. C’est l’occasion de retrouver les internes de l’ensemble des hôpitaux. Le bal de l’internat est toujours annoncé avec une affiche où la nudité et la mort sont le plus souvent associées. Cette manifestation étant hors hospitalière, les invitations sont largement ouvertes, et la présence féminine beaucoup plus conséquente que lors des tonus. Au total, la salle de garde, disparue le jour où les internes n’ont plus été internes, a permis à bon nombre de carabins de supporter l’enfermement, les nuits poisseuses de brume et de pluie, les matins glauques, les urgences empuanties de sang et de sanies, et la mort qui rode dans les salles communes gémissantes. 186 LA GRANDE GUERRE La grande guerre, la « der des der » marque un tournant décisif dans l’évolution des peuples européens tant au plan sociologique que philosophique. Si la médecine des ambulances de 1914 sur la Marne, n’est guère différente de celle pratiquée pendant les guerres napoléoniennes et de 1970, ramassage des blessés, postes chirurgicaux improvisés (en Septembre 1914 on ampute les blessés sur les autels des églises..) absence d’antibiotique…. on verra au cours du conflit se développer une véritable technologie médical de guerre (service de radiologie automobile, structuration des hôpitaux, chirurgie réparatrice…). L’asepsie, embryonnaire dans les premiers mois de la guerre, sera progressivement pris en compte, évitant les drames vécus en Octobre 1914*. * Les blessés de la première bataille de la Marne sont évacués en train vers Bordeaux (Loin du front et de Paris pour le moral de l’arrière) dans les wagons à bestiaux ayant servi à l’acheminement des chevaux. Les spores tétaniques, saprophytes de l’intestin du cheval, provoqueront une véritable hécatombe (2/3 des blessés meurent du tétanos). A la fin de la guerre, au retour des survivants, les femmes occupent les postes laissés vacants par les soldats, dans l’industrie de guerre, les transports mais aussi à l’hôpital. La médecine commence tout doucement à se féminiser ; Les antibiotiques font péniblement* leur apparition (pénicilline en 1936), les sciences biologiques, physiques, radiologiques… prennent une expansion de plus en plus grande. * Le pnicinilinium avait fait l’objet d’une thèse à Paris en 1896 passée malheureusement inaperçue. L’art médical se transforme peu à peu en science médicale, l’humanisme en technicité, la médecine devient un droit, un service à la personne. L’histoire de la médecine peut s’arrêter là, pour laisser la place au génie biologique, à la biochimie moléculaire, à la génétique, à l’imagerie médicale et à toutes les techniques qui redonnent un sens au mot grec pour désigner le médecin, « tektôn ». 187 ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE Arnault H. 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