HYGIENE ET PRÉVENTION DES INFECTIONS DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SOINS POUR PERSONNES AGÉES LA PRISE EN CHARGE DU PATIENT INFECTÉ 3.2 Isolement des patients infectés ORSQU'UN PATIENT EST INFECTÉ, en particulier par une bactérie multirésistante, il faut envisager la mise en œuvre d’un isolement (1,2). Cette procédure pose encore beaucoup de problèmes qui restent à résoudre en particulier dans les unités de gériatrie : impact sur l’organisation du travail et la charge en soins, retentissement sur la qualité de vie des personnes hospitalisées, mauvaise acceptation de cette mesure par les familles. Ces points justifient la poursuite de la réflexion mais aussi les efforts de prévention à réaliser au quotidien pour que la nécessité d’isoler pour infection reste une éventualité rare. L’isolement est d’autant plus facile à organiser qu’une politique effective d’individualisation des soins a été implantée pour tous les patients. L Pourquoi mettre en œuvre un isolement ? Pour éviter la transmission d'un agent infectieux identifié ou suspecté chez un patient à des hôtes réceptifs (autres patients, personnel, visiteurs). Les voies de transmissions des agents infectieux à partir d'un patient infecté ou porteur* sont représentées par le schéma ci-dessous. Elles sont représentées par les personnes (surtout les mains), le matériel et la voie directe aéroportée. L'isolement consiste à ériger des barrières s'opposant à la diffusion de l'agent infectieux à partir du patient ou de son environnement. Les mesures d'isolement face à un patient infecté Ces mesures sont définies en fonction : • de la nature de l'agent infectieux en cause, • de la localisation de l'infection, • des patients et du personnel à protéger. La mise en œuvre d'un isolement ou son interruption relèvent d'une prescription médicale. En fonction du mode de transmission des agents infectieux, il y a trois modalités d'isolement (1) : contact, aérien et postillons ; les mesures à appliquer se surajoutent aux procédures d'hygiène standard* mises en œuvre pour tous les patients. Le tableau XVII récapitule certaines infections rencontrées chez les personnes âgées ainsi que leurs modalités de transmission et les mesures d’isolement à envisager. Le signalement de l’isolement est un facteur d’amélioration de l’observance ; il doit dans tous les cas respecter la confidentialité des diagnostics médicaux. L'isolement contact Compte tenu des pathologies qu'il concerne (Tableau XVII), c’est ce type d'isolement le plus souvent mis en œuvre dans les établissements de soins pour personnes âgées. Il peut s’organiser de façon ponctuelle ou, si le nombre de patients à isoler est plus important, donner lieu à un regroupement ➊ les personnes1 ➋ matériel et environnement ➌ contact direct ou aérien patient infecté colonisé ou porteur sujet réceptif 1- Les mains du personnel sont le vecteur principal, mais il ne faut pas négliger l'importance de la tenue vestimentaire et la transmission toujours possible par toute personne soignante ou non ayant été au contact du patient infecté ou de son environnement. 354 HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 ISOLEMENT DES PATIENTS INFECTÉS des patients ayant la même infection dans un secteur commun en leur affectant un personnel spécifique ne prodiguant pas de soins aux patients non infectés. Ce regroupement peut faciliter l’organisation du travail, en particulier en cas d’épidémie et permettre aux patients de mieux supporter les contraintes psychologiques liés à l’isolement. Cinq catégories de précautions sont particulièrement importantes à observer : 1- Le lavage des mains ◆ Dans tous les cas, pratiquer un lavage antiseptique avant de sortir de la chambre même si des gants ont été portés. 2- La tenue vestimentaire ◆ Porter une surblouse à manches longues, enveloppante, bien fermée, poignets resserrés, pour tout soin à risque de contact direct ou à des projections contaminantes ou des souillures. 3- L'entretien du matériel ◆ Il diffère sensiblement de l'entretien du matériel d'un patient non isolé. Ce matériel, même s’il reste dans la chambre, doit être régulièrement désinfecté afin de ne pas engendrer de contamination des mains en particulier lors de sa réutilisation (Tableau XVIII). CAS PARTICULIER DES BASSINS ◆ En cas d’isolement contact, on peut utiliser un lave-bassins ou un système de destruction et d'évacuation des bassins à usage unique, placé à l'extérieur de la chambre. Mode de transmission • transmission aéroportée (particules d’origine pulmonaire de très petit diamètre). ◆ Cependant des précautions particulières s’imposent : • transport : bassin couvert, sans risque de contamination de l'environnement, • gestion des gants : ne pas toucher l'environnement avec les gants souillés, • traitement immédiat du bassin selon deux schémas possibles en fonction de l’organisation de l’unité : - si un lave-bassins est disponible, introduire directement le bassin dans l'appareil sans le mettre en attente, - en l'absence d'un lave-bassins, vider le bassin dans les toilettes (chambre ou point le plus proche), pratiquer un nettoyage par action mécanique couplée à l'utilisation d'un détergentdésinfectant* du bassin et du point de vidange, puis pratiquer le nettoyage et la désinfection selon la procédure habituelle dans l'office. 4- L'entretien des locaux ◆ Lors de l'entretien quotidien, utiliser gazes et lavette à usage unique ; réaliser l'entretien de la chambre du patient infecté en dernier. Veiller à l’entretien du mobilier proche du patient. ◆ En fin d'isolement, changer le patient de chambre, pratiquer un entretien de fond et éventuellement une désinfection complémentaire par spray sur les surfaces les plus proches du patient : lit, sanitaire, fauteuil. 5- Le signalement des patients Le signalement des patients nécessitant des précautions d’isolement contribue à l’information Exemples de pathologies des personnes âgées nécessitant un isolement • tuberculose pulmonaire prouvée ou suspectée. Principales mesures d’isolement à envisager1 • chambre individuelle, • porte fermée, • masque pour le personnel, • limiter les déplacements du patient. • transmission par gouttelettes rhinopharyngées ou salivaires (postillons). • grippe, • autres viroses respiratoires, • pneumopathies virales ou certaines pneumopathies bactériennes. • chambre individuelle, • porte fermée, • limiter les déplacements du patient, • masque parfois. • transmission par contact - mains, - matériel et surfaces. • diarrhées infectieuses : Clostridium difficile, rotavirus, • infections cutanéomuqueuses - gale, pédiculose, - conjonctivite virale, - suppuration de plaie, • infections et colonisations à bactéries multirésistantes : - SAMR, - entérobactéries à ßLSE, - Pseudomonas aeruginosa multirésistant. • chambre individuelle ou regroupement de patients infectés, • lavage des mains dans la chambre, • porte fermée suivant les cas, • port de gants, • surblouse, • matériel à usage unique ou évacué dans un conteneur fermé, • double emballage du linge, • désinfection complémentaire des locaux parfois utile. 1- Une liste, élaborée par la Société Française d'Hygiène Hospitalière et le Comité Technique National des Infections Nosocomiales, détaille les différentes situations d'infections et les mesures à prendre en fonction des différents agents infectieux (2). HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 Tableau XVII Quelques exemples d’infections à isoler en unité de gériatrie. 355 ISOLEMENT DES PATIENTS INFECTÉS de tous, donc à l’amélioration de l’observance des mesures d’hygiène. Le signalement bien compris par tout le personnel concernera la chambre et le dossier du patient, sans porter atteinte au secret médical. Isolement et maintien de la qualité de vie du patient Une bonne partie de la transmission des bactéries nosocomiales, en particulier multirésistantes aux antibiotiques, est au mieux prévenue par les mesures concernant l’hygiène des soins. Les mesures de confinement du malade dans sa chambre pour prévenir la transmission dans les lieux collectifs (salle à manger, salle de divertissement, ateliers de travaux manuels...) posent d’importants problèmes de faisabilité et d’acceptation du fait de leur retentissement psychologique. Dans tous les cas, elles doivent donner lieu à des explications voire à un soutien psychologique. L’importance de la transmission des bactéries multirésistantes dans ces lieux de vie n’est pas quantifiée de façon précise. L’analyse de la littérature ne donne pas de réponse univoque à ces questions. Une attitude pragmatique dont l’évaluation reste à faire, peut cependant être proposée : ◆ Le respect strict de l’isolement est impératif lorsqu’il s’agit d’un micro-organisme qui peut être éradiqué avec un traitement spécifique ou en fonction de l’évolution naturelle de la maladie : Matériel réutilisable à laisser dans la chambre • stéthoscope, • tensiomètre, • flacon d'antiseptique, • tubes de pommade, • cuvette, • stylo, • déambulateur, • barre de lit, • barre d'appui. Matériel devant être évacué dans la chambre isolé dans un conteneur fermé • thermomètre, • pince, • petit matériel divers, • haricot. Matériel à évacuer immédiatement après utilisation Tableau XVIII Entretien du matériel de soins pour les patients en isolement contact. 356 • linge de toilette, masque, gants, • blouse d'isolement. gale, grippe, tuberculose, diarrhée virale sont des exemples de telles situations. ◆ En cas de bactérie multirésistante, un délai d’isolement strict de quelques jours peut être utilisé pour une décolonisation permettant la réduction de l’inoculum (décolonisation nasale, cutanée, voire digestive ou urinaire), et l’éducation du patient et de sa famille. La décolonisation ne vient qu’en seconde intention (3) après mise en place des mesures d’hygiène et d’isolement ; elle doit être décidée en étroite concertation avec un spécialiste de l’infection afin d’en limiter les répercussions sur l’écologie microbienne ; elle peut aussi être conduite dans un service plus spécialisé dans l’isolement et la gestion des patients infectés. ◆ Passé un délai de quelques jours, le maintien de l’isolement est difficilement supportable par le patient (4). Cette situation concerne essentiellement la colonisation ou le portage prolongé de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline qui possède un fort potentiel de dissémination. Au cas par cas, en fonction du degré de coopération du patient, du site du portage ou de la colonisation, de l’importance du niveau d’endémie de l’établissement, il faudra discuter l’assouplissement de l’isolement surtout si le patient a pu bénéficier de décolonisation des sites potentiellement disséminants. Dans tous les cas, restent exigés : • les mesures d’isolement lors des soins de nursing, soins infirmiers ou actes de rééducation, Niveaux de traitement requis Modalités pratiques Désinfection de bas niveau une fois par jour. Action mécanique couplée à l'utilisation d'un détergent -désinfectant* ou d'un désinfectant*. Niveaux de traitement requis Modalités pratiques En fonction du matériel, • stérilisation, • ou désinfection* de niveau intermédiaire après chaque utilisation. Action mécanique suivie selon le cas : • d'une stérilisation à l'autoclave, • d'une désinfection chimique ou thermique. Niveaux de traitement requis Modalités pratiques • usage unique, • préférer l’usage unique sinon la changer une fois par jour en la laissant dans la chambre pliée intérieur contre intérieur. • Élimination des déchets et du linge sous double emballage : • 1er emballage dans la chambre, • 2e emballage en dehors de la chambre . HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 ISOLEMENT DES PATIENTS INFECTÉS OPTIMISER L’efficacité de l’isolement Informer précisément toutes les catégories de personnel concernées. Signaliser clairement les mesures d’isolement à respecter. Veiller à la bonne application des mesures lors des déplacements indispensables du patient et lors d’une mutation dans un autre service ou établissement. Expliquer les mesures au patient et à ses proches pour en améliorer l’acceptation. Ne pas stocker de grandes quantités de consommables dans une chambre de patient en isolement (compresses, linges…). Veiller à une bonne organisation de l’espace et évacuer linge sale et déchets au fur et à mesure pour une meilleure hygiène et le confort du patient. • le maintien des précautions lors d’éventuels déplacements du patient pour des examens, • un niveau élevé de propreté du patient (vêtements, propreté cutanée, (cf. chapitre 2.6), • un lavage antiseptique des mains du patient avant la sortie de la chambre. Bibliographie 1 - GARNER JS. Guideline for isolation precautions in hospitals. Infect Control Hospit Epidemiol 1996, 17: 53-80. 2 - Recommandations d'isolement septique à l'hôpital. Hygiènes Hors Série n°1. 1996. 3 - RÉGNIER B. Contrôle des épidémies de S. aureus résistants à la méticilline : analyse critique et stratégie de maîtrise. Med Mal Infect 1997, 27, spécial: 172-180. 4 - MASSON MAJOR R. Anxiété de l’adulte hospitalisé en isolement. Objectifs Soins, 1995, 30: 36-38. HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 357 HYGIENE ET PRÉVENTION DES INFECTIONS DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SOINS POUR PERSONNES AGÉES Lexique AFNOR biofilm Association Française de Normalisation. Association ayant pour mission de coordonner les programmes de normalisation en France et d’encourager la diffusion et l’application des normes. Ensemble de micro-organismes et de leurs sécrétions macromoléculaires qui sont présents sur la surface d’un matériau (Association pour la Prévention et l’Étude de la Contamination). antisepsie bionettoyage Opération au résultat momentané permettant, au niveau des tissus vivants, dans la limite de leur tolérance, d’éliminer ou de tuer les micro-organismes et/ou d’inactiver les virus, en fonction des objectifs fixés. Le résultat de cette opération est limité aux micro-organismes présents au moment de l’opération (AFNOR NF T 72 101). Procédé de nettoyage, applicable dans une zone à risques, destiné à réduire momentanément la biocontamination d’une surface. Il est obtenu par la combinaison appropriée d’un nettoyage, d’une évacuation des produits utilisés et des salissures à éliminer, de l’application d’un désinfectant. cas acquis antiseptique Selon AFNOR NF T 72 101, un antiseptique est un produit ou un procédé utilisé pour l’antisepsie dans des conditions définies. Si le produit ou le procédé sont sélectifs, cela doit être précisé. Ainsi, un antiseptique ayant une action limitée aux champignons est un antiseptique à action fongicide. Le caractère acquis d’une bactérie multirésistante peut être affirmé si un dépistage systématique à l’entrée dans un service a été réalisé et si celui-ci est négatif. La découverte d’une telle bactérie au cours du séjour plus de 48 à 72 heures après l’admission chez un patient antérieurement négatif laisse présumer que la bactérie a été acquise par transmission au cours du séjour. bactéricide Produit ou procédé ayant la propriété de tuer les bactéries dans des conditions définies (AFNOR, Comité Européen de Normalisation). Produit ou procédé ayant la propriété d’inhiber momentanément les bactéries dans des conditions définies (AFNOR). Le caractère importé depuis un autre établissement d’une bactérie multirésistante peut être affirmé si un dépistage systématique à l’entrée du patient dans le service a été réalisé et si celui-ci est positif. La découverte d’une telle bactérie chez un patient moins de 48 à 72 heures après l’admission laisse présumer que la bactérie a été transmise antérieurement par rapport au séjour actuel. biocontamination colonisation (colonisé) Contamination d’une surface (biologique ou inerte) ou d’un fluide par des micro-organismes véhiculés par l’air (contamination aéroportée ou aérobiocontamination), par des êtres vivants (la contamination par contact avec les mains en est la modalité majeure) ou par les objets. (Association pour la Prévention et l’Étude de la Contamination) Présence d’une bactérie dans un site qui en est normalement exempt, mais cette bactérie n’est responsable d’aucun symptôme local ou général d’infection ; exemple : présence d’une bactériurie isolée à Staphylococcus aureus dans les urines sans aucun signe d’infection urinaire. bactériostatique 364 cas importé HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 désinfectant nettoyage Produit ou procédé utilisé pour la désinfection, dans des conditions définies. Si le produit ou le procédé est sélectif, ceci doit être précisé. Ainsi, un désinfectant ayant une action limitée aux champignons est désigné par : désinfectant à action fongicide (AFNOR NFT 72 101). Opération d’élimination des salissures (particulaires, biologiques, liquide,...) avec un procédé faisant appel dans des proportions variables les unes par rapport aux autres, aux facteurs suivants : action chimique, action mécanique, temps d’action de ces deux paramètres et température. désinfection nettoyage-désinfectant ◆ Opération au résultat momentané permettant d’éliminer ou de tuer les micro-organismes et/ou d’inactiver les virus indésirables portés par des milieux inertes contaminés, en fonction des objectifs fixés. Le résultat de cette opération est limité aux micro-organismes présents au moment de l’opération (AFNOR NFT 72 101). L’usage du terme « désinfection » en synonyme de « décontamination » est prohibé. Produit présentant la double propriété de détergence et de désinfection (Société Française d’Hygiène Hospitalière). ◆ Terme générique désignant toute action à visée antimicrobienne, quel que soit le niveau de résultat, et utilisant un produit pouvant justifier in vitro des propriétés autorisant à le qualifier de désinfectant ou d’antiseptique. Il devrait logiquement toujours être accompagné d’un qualificatif et l’on devrait ainsi parler de : • désinfection des dispositifs médicaux (= du matériel médical) • désinfection des sols, • désinfection des surfaces par voie aérienne, • et même désinfection des mains ou d’une plaie (Société Française d’Hygiène Hospitalière et Comité Européen de Normalisation). ◆ Élimination dirigée de germes destinée à empêcher la transmission de certains micro-organismes indésirables, en altérant leur structure ou leur métabolisme indépendamment de leur état physiologique (CEN) HYGIENES - 1997 - VOLUME V - N°6 porteur (portage) Présence d’une bactérie dans un site où sa présence est habituelle sans qu’elle soit responsable d’infection ; exemple : présence de Staphylococcus aureus dans les narines ou dans d’entérobactéries dans les selles. précautions standard Ensemble des précautions d’hygiène qui s’appliquent à tout patient sans tenir compte de l’existence d’une éventuelle infection. Ces précautions intègrent la protection du personnel vis à vis des liquides biologiques, la prévention des accidents d’exposition au sang et les bonnes pratiques d’hygiène visant à limiter la transmission des micro-organismes hospitaliers lors des soins. Les précautions standard concernent l’hygiène des mains, les techniques de soins, le nettoyage et la désinfection du matériel de soins, l’entretien des locaux , de la vaisselle et du linge, la prévention des accidents d’exposition aux liquides biologiques dont le sang. L’application des précautions standard est indispensable à l’efficacité d’une politique de contrôle des infections nosocomiales. 365