Natura La langouste rouge Stantari #6 Hommage à la langouste rouge La langouste rouge (Palinurus elephas). août-octobre 2006 La langouste rouge par Anthony Pere, Corinne Pelaprat et Pierre Lejeune Nature Anthony Pere est doctorant à l’Université de Corse et à la Stareso Corinne Pelaprat est chargée d’étude et Pierre Lejeune est directeur de la Stareso Dans le monde, il existe plus d’une cinquantaine d’espèces de langoustes. Certaines peuvent occuper des territoires très étendus (la langouste de Cuba est présente de la Floride au Brésil) alors que d’autres se cantonnent à des zones plus restreintes, comme le pourtour de petites îles. En Europe, la langouste rouge est présente en Atlantique (de la Norvège à la Mauritanie), mais aussi dans l’ouest de la Méditerranée, en Adriatique et en mer Égée. De nos jours, les populations de langoustes ont fortement régressé le long du littoral atlantique et du littoral méditerranéen. En Corse, grâce à l’abondance des fonds rocheux et coralligènes* répartis sur 1 000 km de côtes, la langouste, bien qu’en nette régression aujourd’hui, s’est longtemps mieux maintenue et notre région reste la principale région française productrice de langouste rouge. A ligusta est non seulement une espèce emblématique pour les plongeurs sous-marins, mais constitue aussi le principal revenu des pêcheurs professionnels corses. Aujourd’hui, ces derniers, conscients de la diminution actuelle du stock, ont engagé une politique volontariste de gestion de cette ressource. Cependant, les recherches portant sur la biologie et l’écologie de ce crustacé sont encore peu nombreuses et, pour la plupart, relativement anciennes. La complexité du cycle de ces animaux (et notamment la durée exceptionnellement longue de leur phase larvaire) a découragé plus d’un scientifique et la langouste rouge reste encore aujourd’hui, en bien des points, un mystère. août-octobre 2006 Stantari #6 Cliché G. Antoni Emblème de la richesse des eaux corses, on connaît surtout ce “délicieux arthropode” pour ses qualités culinaires. Ontelles masqué les autres ? En tout état de cause, les scientifiques ont tardé à se pencher sur son cas. Et, alors que la langouste se raréfie – à cause de l’“amour” que nous lui portons –, voici un point sur ce que l’on sait de cet animal étrange et quelques raisons supplémentaires de s’y intéresser… D Natura La langouste rouge Elle est une grande amatrice d’échinodermes (ophiures, oursins, étoiles de mer…) et ses besoins en calcaire (nécessaire en période de mue) lui font, à ce moment précis, préférer les mollusques. Ces derniers sont broyés grâce à des pièces buccales très puissantes. En captivité, elle délaisse le poisson frais pour un menu composé de moules (décortiquées ou entières) ou même d’huîtres dont elle est capable de briser la coquille. La coloration “traditionnelle” de la langouste rouge est fortement teintée de mauve. Stantari #6 10 Dans sa phase adulte, la langouste rouge, Palinurus elephas, est communément rencontrée entre 50 et 100 m de fond au voisinage des substrats durs (fond rocheux, divers faciès coralligènes*) ; elle s’abrite ainsi dans les crevasses et les anfractuosités. Au printemps il n’est cependant pas rare de capturer des gros spécimens “à terre”, c’est-àdire plus près des côtes (dans des fonds de 30 m). Ces individus présentent une coloration plus sombre que celle habituellement rencontrée. De plus, certains professionnels de la pêche nous ont rapporté des captures faites au-delà des 200 m de fond. La langouste est essentiellement active la nuit durant laquelle elle quitte son abri en quête de nourriture. Son régime alimentaire est varié, en relation avec la faune et la flore disponible. Elle se nourrit aussi d’algues, d’éponges, de bryozoaires, de vers et, plus rarement, d’autres crustacés et de petits poissons. août-octobre 2006 Cliché A. Pere Habitat et alimentation Ci-dessus : cette langouste en cours de mue et prise dans le filet d’un pêcheur, ne s’est pas encore totalement débarrassée de son ancienne carapace. La carapace de la langouste constitue en réalité le squelette de l’animal. Par opposition à l’“endosquelette” des vertébrés, les crustacés possèdent un squelette externe ou “exosquelette”. Puisque le corps est enfermé dans une cuticule inextensible, la langouste est obligée de s’en débarrasser pour croître ; c’est le phénomène de la mue, régi par des mécanismes hormonaux. Ainsi, contrairement à beaucoup d’autres animaux, le gain en poids et en taille est discontinu puisqu’il ne se produit que lors du rejet du vieil exosquelette. Cependant, entre deux mues, l’animal subit toute une série de transformations continues et, pendant Ci dessous : relation âge/poids chez Palinurus elephas Document A. Pere / Infographie Stantari Cliché S. Mauron Une vie rythmée par des mues La langouste rouge Nature Crevettes, langoustes, crabes, homards… tous dans dans la même “soupe” ? La classe des crustacés (littéralement, animaux qui ont une croûte) fait partie de l’embranchement des arthropodes (ou animaux aux pieds articulés) et se différencie notamment des autres classes (arachnides, insectes…) par la présence de deux paires d’antennes. Les crustacés sont constitués de trois régions segmentées : le céphalon (tête), le péréion (thorax), et le pléon (abdomen ou queue). Dans cette classe, l’ordre des décapodes (ils ont 10 pattes !) se distingue par une fusion des segments céphaliques et thoraciques, formant ainsi le céphalothorax. On peut, de façon très simplifié, diviser les décapodes en deux groupes : les Natantia et les Reptantia. Document A. Pere / Infographie Stantari Les Natantia sont les “crevettes” et sont caractérisés par un abdomen comprimé latéralement et capables de nager. Les Reptantia sont benthiques et possèdent des pattes marcheuses. On peut distinguer : - les Astacidés : les homards et langoustines diffèrent des langoustes par la présence de pinces sur la première paire de pattes marcheuses (1er péréiopode*) ; - les Anomoures : les galathées et les pagures (bernard-l’ermite) ont un abdomen à cuticule molle. Pour se protéger, ils élisent régulièrement que la nouvelle cuticule durcit, un nouveau squelette de remplacement est élaboré. En Corse, c’est au printemps que la mue est la plus souvent observée chez l’adulte. Quelques jours avant la mue, la langouste ne se nourrit plus et se fixe dans un abri. Elle se gonfle alors par absorption d’eau afin de provoquer, sur sa face dorsale, une cassure entre le céphalothorax et la queue. L’animal se dégage ainsi en commençant par extraire son nouveau céphalothorax. Il semblerait que le changement de carapace soit rapide et ne dure qu’une quinzaine de minutes. Pendant la mue, toutes les parties chitineuses* sont renouvelées, ainsi que certains organes internes tels que la surface des branchies et une partie du tube digestif. Outre le gain de poids et de taille, la mue permet, par exemple, de régénérer les appendices abandonnés sur le champ de bataille durant les luttes avec les prédateurs. De même, certains domicile dans gastéropodes ; des coquilles de - les Brachyoures : l’abdomen réduit est replié sous le céphalothorax qui, lui, est élargi. Ce sont les crabes et les araignées de mer. organes nécessaires à la reproduction sont renouvelés, comme les soies ovigères* chez la femelle. Après la mue, la langouste qui a revêtu sa nouvelle armure ne parade pas : bien au contraire, elle reste à l’abri et ne se nourrit plus. En effet, la nouvelle carapace encore molle laisse l’animal vulnérable et il doit attendre quelques jours le durcissement complet de sa protection externe ! La fréquence des mues dans l’année diminue avec l’âge de l’animal. Chez les petits individus (70 g), trois mues en moyenne peuvent se produire, alors que chez les individus plus important (500 g), on n’observe qu’une seule mue en moyenne par an. Ainsi, le nombre de mues conditionne la croissance de l’animal : plus la langouste est grande, plus elle est âgée. Cependant, si les biologistes marins ont finalement mis en équation le poids et l’âge de l’animal, le schéma de croissance n’est qu’indicatif. En effet, puisque les crustacés rejettent régulièrement leur carapace, il août-octobre 2006 Stantari #6 - les Palinuridae : ce sont les langoustes et les cigales de mer, qui ont un abdomen rectiligne et bien développé. La différence entre ces deux organismes vient du fait que les antennes sont transformées en palettes chez la cigale ; 11 Natura La langouste rouge n’est pas possible de déterminer leur âge grâce aux structures qui, chez d’autres espèces – otolithes* chez les poissons ou cernes concentriques pour les arbres –, gardent en mémoire les étapes de la croissance. De plus, et pour la même raison, il est difficile de retrouver une langouste préalablement marquée (grâce à une fléchette par exemple) et relâchée dans son milieu naturel puisqu’elle aura probablement perdu sa marque à la mue. Ainsi, les relations de croissance établies pour la langouste rouge en Corse, reposant sur des données de marquages-recaptures, doivent être prises avec précaution. Sous cette réserve, une langouste de 500 grammes aura 4-5 ans si c’est un mâle et 5-6 ans si c’est une femelle. Ainsi, si la longévité précise de la langouste en milieu naturel reste inconnue, on l’estime à une vingtaine d’année. Ceci est d’autant plus probable que, chaque année, en Corse, des spécimens de plus de 3 kg sont capturés. Mâle ou femelle ? - les pléopodes* des femelles sont composés de deux parties, les soies ovigères qui porteront les œufs, et une grande palette. Ceux des mâles sont uniramés et se présentent sous la forme de petites palettes arrondies ; 12 Mâle août-octobre 2006 Principales différences morphologiques entre mâle et femelle Cliché A. Pere Stantari #6 - les orifices génitaux des femelles sont des pores situés à la base de la 3e paire de patte marcheuse. Chez les mâles, les ouvertures génitales sont à la base de la 5e paire de pattes marcheuses, et forment une protubérance ; - chez les femelles, les deux derniers articles de la 5e paire de pattes marcheuses forment une petite pince. Cette dernière n’existe pas chez les mâles. Femelle Cliché A. Pere La distinction entre mâle et femelle peut se faire très facilement par trois caractères morphologiques externes : La langouste rouge Nature Les oeufs. Pendant la période de reproduction, les langoustes australiennes sont célèbres pour effectuer des migrations en file indienne sur plusieurs dizaines de kilomètres, rejoignant ainsi les sites de reproduction. De telles migrations ne sont pas connues pour la langouste corse, mais les études, il est vrai, sont rendues difficiles par la profondeur d’habitat de Palinurus elephas, beaucoup plus importante que celle de sa cousine de l’hémisphère sud. En Corse, il semble que ce n’est qu’à partir de la cinquième année (soit un poids de 450 g) que les femelles pondent pour la première fois. En Atlantique, la ponte est encore plus tardive et ne se produit que lors de la sixième année (550 g). Durant l’été, la femelle attire les mâles en émettant une stridulation continue. Dès qu’un mâle la touche des antennes, ce crissement s’interrompt. Il s’en suit une “phase de séduction” pendant laquelle les antennes des deux partenaires sont en contact permanent. Puis le mâle retourne sa partenaire et dépose sur son réceptacle des masses blanchâtres et gélatineuses qui ne sont autres que les spermatophores, poches contenant les spermatozoïdes. Après l’accouplement, qui s’effectue donc sternum contre sternum, le mâle quitte la femelle aussitôt après avoir déposé sa laitance. Jusqu’à la ponte, qui a lieu quelques jours plus tard, la femelle cherche un abri puis reste inactive. Pour pondre, elle replie la Stantari #6 Document A. Pere / Infographie Stantari Cliché C. Costa Accouplement et ponte août-octobre 2006 13 Natura La langouste rouge Palinurus mauritanicus : la petite sœur des grands fonds 14 espèce qu’on croyait inféodée aux côtes de Mauritanie. Ainsi, il existe bien deux espèces de langoustes dans les eaux corses : la langouste rouge Palinurus elephas, et la langouste rose, Palinurus mauritanicus. Si on trouve des petites différences au niveau de la morphologie et de la coloration (P. mauritanicus est plus claire), c’est la répartition bathymétrique qui permet d’éviter toute confusion. En effet, la langouste rose est pêchée beaucoup plus Cliché M. Agreil profondément dans les eaux insulaires : à partir de 350 m. À cause de cette forte profondeur d’habitat, aucune donnée biologique n’est disponible en Méditerranée et, aujourd’hui encore, on ne sait toujours pas faire la différence entre les deux espèces à l’état larvaire. Ci-dessus : à gauche, Palinurus elephas, la langouste rouge et à droite, Palinurus mauritanicus, la langouste rose. Ci-contre : résumé des principales différences morphologiques entre les deux espèces. Les beaux yeux de Palinurus elephas. août-octobre 2006 Cliché E. Volto Stantari #6 Document A. Pere / Infographie Stantari Les recherches sur la phase pélagique de la langouste rouge ont été longues et restent encore inachevées. Mais la quasi-totalité de ces études sont parties du postulat qu’ils n’existait qu’une seule et unique espèce de langouste sur nos côtes. Or, ce n’est qu’à partir de 1922 que L. Fage révéla la présence de Palinurus mauritanicus en Atlantique et en Méditerranée, une La langouste rouge Nature queue afin de constituer un véritable réceptacle et déchire les spermatophores grâce aux petites pinces situées à l’extrémité de sa cinquième paire de pattes. Simultanément, les ovules qui sortent de son céphalothorax par le biais des orifices reproducteurs sont ainsi fécondés et s’agglutinent en grappes sur des soies ovigères situées sous la queue. Après la ponte et jusqu’à éclosion, les œufs seront nettoyés continuellement par la femelle grâce au cinquième péréiopode* (ou patte marcheuse) et oxygénés en permanence par le battement des pléopodes*. Il n’y a qu’une seule ponte dans l’année et le nombre d’œufs croît en fonction de la taille de l’animal. Ainsi, une femelle de 500 g ponds environ 43 000 œufs, alors que 115 000 œufs sont générés pour une femelle d’un kilo. De la larve à l’adulte En Méditerranée, l’éclosion des œufs a lieu de janvier à février. Leur incubation est donc estimée à environ 5 mois dans les eaux corses, alors qu’elle serait de 7 à 8 mois en Bretagne. Cette différence dépendrait étroitement des conditions thermiques régionales, dans le sens ou la température plus élevée des eaux méditerranéennes favoriserait le développement de l’embryon dans l’œuf. Une étude récente, réalisée en aquarium à la Stareso de Calvi, a permis de suivre l’éclosion des œufs portés par plusieurs femelles œuvées. Ce processus dure de 9 à 10 jours et plus de 30 000 larves ont été recensées pour une langouste de 500 g, ce qui induit une perte d’environ 30 % des œufs durant l’incubation. Les larves qui sortent des œufs sont transparentes, aplaties dorso-ventralement. Mesurant de deux à trois millimètres, elles sont appelées “phyllosomes” (“organisme en forme de feuille” en grec). Contrairement à l’adulte qui vit sur le fond, le phyllosome est pélagique* et adapté à la vie en pleine eau. S’il parvient à se déplacer verticalement, il est un médiocre nageur sur le plan horizontal et dérive au gré des courants qui l’entraînent vers le large. Durant ce voyage, il se développe en effectuant une dizaine de mues pour finalement atteindre une taille de 2 cm. Puis le phyllosome, qui ne ressemble en rien à l’adulte, se métamorphose en une miniature de langouste transparente appelée puerulus (“petit garçon”, en latin). À ce stade de développement, il est capable de nager et revient alors vers la côte. La puerulus gagnera ainsi le fond pour muer en “juvénile”, qui a l’aspect et les mœurs de l’adulte. La durée de la vie larvaire serait de l’ordre de cinq mois en Méditerranée. Les taux de survie en mer, de la larve aux juvéniles, restent inconnus. Malgré les quantités importantes d’individus pondus pour chaque femelle, on peut penser que l’immense majorité des phyllosomes feront des mauvaises rencontres, août-octobre 2006 Stantari #6 Cliché G. Antoni Juvénile et porcelaine. 15 Natura La langouste rouge ou que les puerulus ne retrouveront jamais leur chemin pour revenir aux côtes. La dernière expérience d’élevage de larves de Palinurus elephas a été réalisée par une équipe japonaise en 2001. Ces derniers ont obtenu avec succès des juvéniles à partir de phyllosomes nourris en aquarium, avec un taux de survie de 0,08 %… Stantari #6 S’il apparaît plus simple d’identifier les différentes étapes du cycle de vie pour une espèce terrestre, il n’en est pas de même en milieu marin. En effet, l’immense majorité de la faune marine passe par une forme larvaire pélagique* et l’ensemble de ces larves fait partie du zooplancton* qui a la particularité de dériver dans la colonne d’eau. La capture et l’identification de ces larves sont ainsi rendues plus compliquées. La langouste n’échappe pas à la règle : les différentes formes prises par l’animal, de l’œuf à l’adulte, ainsi que le passage d’une forme à l’autre ont été découvertes progressivement. Il aura fallu plus d’un siècle pour rassembler les différentes pièces du puzzle. C’est en 1818 que W. E. Leach étudia plusieurs spécimens larvaires inconnus capturés en pleine 16 Phyllosome. Extrait d’une planche d’Ernst Haeckel, célèbre dessinateur scientifique de la fin du xixe siècle. août-octobre 2006 Cliché C. Costa Le phyllosome, le puerulus, le juvénile jusqu’à l’adulte : plus d’un siècle de recherches Mesure du céphalothorax d’une langouste pêchée. eau dans les mers d’Afrique et des Indes et créa une nouvelle espèce. Sans le savoir, Leach avait apporté la première pièce du puzzle : les larves translucides n’étaient autres que des larves de langoustes. Ce n’est que quarante ans plus tard que R. Q. Couch et Z. Gerbe eurent la bonne idée d’observer les phyllosomes de trois millimètres, venant d’éclore d’une langouste œuvée. Le lien était fait entre la larve et l’adulte et les confusions liées aux fortes similitudes existant entre les larves de langoustes et celles des cigales de mer furent vite éclaircies par la suite. En 1891, J. T. Cunnigham captura des phyllosomes au large de Plymouth, au sud de l’Angleterre, à l’aide d’une moustiquaire. Il posa le problème du passage du phyllosome pélagique* à la forme adulte benthique*, sachant que les plus petites langoustes étudiées mesuraient 25 mm. Dès 1881, Boas avait supposé que ce passage devait s’effectuer par l’intermédiaire d’une forme nageuse capable de revenir à la côte, et un certain W. T. Calmann avait créé une nouvelle espèce, appelée puerulus, dont la forme était proche de celle de la langouste. E. L. Bouvier, parti en 1913 sur les traces de son confrère à Plymouth, apporta les principaux éléments de réponse quant au cycle de vie. Il eut en effet la chance de capturer non seulement plusieurs phyllosomes de tailles différentes, mais aussi un phyllosome âgé en cours de métamorphose en puerulus. Plus tard, en Méditerranée, les premiers phyllosomes et puerulus furent capturés en 1926 par R. Santucci, à Messine. Enfin, si J. T. Cunningham, E. L. Bouvier, et R. Santucci avaient prévu que le puerulus devait muer en jeune adulte, les travaux de J. H. Orton et E. Ford en 1933 ont permis de vérifier cette hypothèse en observant en aquarium un puerulus se métamorphosant en juvénile. La boucle était alors bouclée et depuis cette date, peu de travaux ont porté sur la phase pélagique de Palinurus elephas. La langouste rouge Nature Mieux comprendre pour mieux gérer La baie de Calvi vue du port de la Stareso. Si d’autres espèces de langoustes dans le monde ont fait l’objet de recherches plus poussées, la complexité du cycle de ces animaux, et notamment la durée importante de la phase larvaire, constitue un obstacle important pour les biologistes. Développer les recherches sur le déplacement et la répartition des larves au large, mais aussi sur les mécanismes de retour à la côte des puerulus, ou encore sur l’écologie des juvéniles, permettra une meilleure compréhension des mécanismes de recrutement*. Quoi qu’il en soit, de nombreuses questions restent posées aujourd’hui encore et, comme le soulignait déjà en 1940 R. Legendre : “On ne peut manquer de s’étonner de l’insuffisance de nos connaissances sur cette espèce banale, abondante, d’intérêt économique, et sur les difficultés qu’on a eues 4 pour acquérir ce qu’on sait déjà ! Depuis plusieurs années le Comité Régional de Pêches a pris conscience de la nécessité d’accentuer les efforts de gestion de la ressource langoustière en Corse. Avec le support de la Collectivité territoriale de Corse, grâce à une collaboration étroite de l’ADEC et de l’Office de l’Environnement, le soutien de la Direction Régionale des Affaires Maritimes de Corse et de l’Europe, un arrêt temporaire de la pêche à la langouste en septembre, période ou les femelles sont grainées, a été décidé et réalisé pendant 3 ans. D’autres actions sont venues renforcer cet effort : rejet des femelles grainées à l’initiative du CRPMEM et de l’Office de l’Environnement, réalisation d’un outil de mesure des langoustes sous la taille de capture, essais scientifiques d’engins plus sélectif que les filets, mesures de diversification vers d’autre ressources… Parallèlement, la Stareso de Calvi (Station de Recherches Sous-Marines et Océanographiques) a été chargée d’une étude de suivi des effets de cette réduction de la pêche qui a permis pour la première fois, à l’issue d’un programme de travail de 3 années, d’avoir la vision la plus complète et la plus objective à ce jour de l’activité de pêche et de la ressource langoustières en Corse. Des études complémentaires, menées par la Stareso, sur la génétique des populations (avec l’Université de Corse) et sur le stade larvaire planctonique des langoustes (avec l’université de Liège) devraient, lorsqu’elles seront finalisées, améliorer encore notre connaissance de l’espèce en Corse. • Campillo A., Amadei J., 1978, “Premières données biologiques sur la langouste de Corse, Palinurus elephas Fabricius”, Revue des Travaux de l’Institut des Pêches Maritimes, 42 (4), p. 347-373. • Coutures E., 2000, thèse, univ. de Nouvelle-Calédonie. http:// pages.univ-nc.nc/~coutures/sommaire.pdf • Culioli J.-M., 1995), “La pêche professionnelle dans la Réserve Naturelle des îles Lavezzi (Corse) : efforts et productions” (août 1992juillet 1993), Travaux Scientifiques du PNRC, 52. • Latrouite D., 1998, “Langouste rouge”, in Les fruits de mer et plantes marines des pêches françaises, Delachaux et Nieslé, p. 205-207. • Marin J., 1985, “La langouste rouge : biologie et exploitation”, Pêche maritime, 64, p. 105-113. • Miniconi R., 2004, Les fruits de mer des côtes de Corse et du nord de la Méditerranée : biologie, pêche, gastronomie, Éd. A. Piazzola. Lexique > Benthique : se dit d’une espèce en relation constante avec le fond ; habitat, nourriture, reproduction. Ces espèces peuvent être fixées, enfouies, posées et aussi très proches des fonds marins. > Chitine : principale molécule composant l’exosquelette des insectes et autres arthropodes (crustacés, arachnides, etc.). > Coralligène : le coralligène est une association d’algues calcaires (corallinacées) qui forment des blocs. On a longtemps pensé que cette formation donnait naissance au corail rouge (Corallium rubrum) d’où son appellation > Otolithe : concrétion minérale de l’oreille interne qui sert à l’équilibration. > Ovigère : qui portent les œufs (voir encadré n° 3) > Pélagique : se dit d’une espèce qui vit en pleine mer, sans contact avec le fond ou la côte. > Péréiopode (ou patte marcheuse) : appendices portés par le péréion (thorax). > Pléopodes : appendices portés par le pléon (abdomen). > Recrutement : c’est la phase définitive de l’arrivée des jeunes au sein des populations adultes dont ils adoptent les exigences de vie. > Zooplancton : plancton animal, acteur de base de la production secondaire. août-octobre 2006 Stantari #6 Gestion et suivi scientifique de la pêche langoustière corse Cliché C. Costa Pour en savoir plus 17