Lumière zodiacale autour des étoiles sur la séquence principale P.-O. Lagage CEA/DSM/DAPNIA, Service d'Astrophysique, (URA 2052 associée au CNRS), C.E. Saclay, F-91191 Gif-sur-Yvette cedex RESUME Dans ce compte-rendu, je discute de l'intérêt d'un système interférométrique, type DARWIN ou autre, pour étudier l'exo-lumière zodiacale, à savoir la lumière infrarouge émise par les poussières qui entourent les étoiles sur la séquence principale. ABSTRACT In this paper, I discuss the interest in studying the exo-zodiacal light, i.e. the infrared radiation emitted by dust surrounding main sequence stars, with space experiments based on interferometry, such as DARWIN. Matière Circumstellaire - Étoiles: Pictoris - Poussières - Lumière Zodiacale - Infrarouge Mots-clés: 1. Introduction: planètes et lumière zodiacale. Par analogie avec notre système solaire, on peut raisonnablement penser que, si il y a des planètes autour d'une étoile, il y a probablement aussi des comètes et des astéroïdes en grand nombre. Ces petits corps peuvent s'entrechoquer ou, dans le cas des comètes, se sublimer, engendrant ainsi de la poussière. Cette poussière, en équilibre thermique avec le champ de rayonnement de l'étoile centrale, émet une radiation: la lumière zodiacale1. Cette radiation est principalement émise dans l'infrarouge lointain ( 60 m). Bien que la masse des poussières soit bien inférieure à celle d'une planète, l'intensité de la lumière zodiacale est plus forte. En eet, l'absorption de photons par un corps est, en première approximation, proportionnelle à la surface géométrique de ce corps. Donc, un ensemble de grains de taille a, ayant la même masse qu'un corps unique de rayon R, absorbe R/a fois plus de photons et donc émettent plus. 1 Notons que la notion de lumière zodiacale est actuellement associée à des étoiles sur la séquence principale. En réalité, cette notion devrait être étendue à toutes les étoiles entourées de poussières qui sont d'origine "secondaire", c'est à dire des poussières provenant de corps plus gros. 2 Dans ce compte-rendu, je commencerai par discuter les observations d'exo-lumière zodiacale faites notamment avec le satellite IRAS. Je montrerai ensuite comment l'analyse spectrale (présence et forme de la bande caractéristique des silicates autour de 10 m) et temporelle de l'émission de poussières peut nous renseigner sur la présence de comètes; je mentionnerai également d'autres indicateurs de présence de comètes, (e.g. les raies gazeuses métalliques observées en absorption de façon sporadique). Enn, je montrerai comment la morphologie du disque de poussière, (asymétrie, décit de matière proche de l'étoile), peut fournir des indications indirectes sur la présence de planètes. La dernière section sera consacrée à une discussion générale. 2. Détection d'exo-lumière zodiacale: la surprise d'IRAS L'une des grandes découvertes faites avec le satellite IRAS fut l'observation d'un excès infrarouge autour de nombreuses étoiles sur la séquence principale (Aumann 1985, voir aussi synthèse par Backman, Paresce 1992 et par Artymowicz 1994). Cet excès fut très vite attribué à la présence de grains de poussière, qui absorbent une faible fraction des photons émis par l'étoile centrale, chauent à une température typique de 50-100 K, et rayonnent (principalement dans l'infrarouge lointain). Cette découverte fut une réelle surprise et c'est d'ailleurs par hasard, lors de l'observation de l'étoile Vega à des ns de calibrations, que fut découvert le premier excès. On savait bien qu'il y avait un disque ténu de poussières dans le système solaire; mais le ux émis par un disque similaire situé à 10 pc est 100 fois plus faible que la limite de sensibilité d'IRAS. IRAS a détecté un excès infrarouge autour de beaucoup d'étoiles proches; 41% des étoiles A de notre voisinage, 10% des étoiles F, G et K présentent un excès. Le rapport (Luminosité des grains / Luminosité de l'étoile) peut atteindre 10 3, alors qu'il n'est que de 10 7 dans le système solaire; la masse des poussières responsables de l'émission observée est faible: moins d'un centième de masse terrestre, mais plus grande que celle de notre lumière zodiacale. Il est tout à fait possible que la quasi totalité des étoiles de la séquence principale soient entourées d'un disque ténu de poussière, que la sensibilité d'IRAS ne permettait pas d'atteindre. La lumière zodiacale est probablement plus intense dans les systèmes jeunes, toujours en référence avec notre système solaire; (plusieurs indicateurs témoignent d'un fort bombardement météoritique des planètes et de leur satellite juste après leur création). ISO, grâce à une sensibilité meilleure qu'IRAS, pourra nous en apprendre plus. Une conrmation éclatante de l'interprétation de l'excès infrarouge en terme de poussières a été apportée par l'observation en visible d'un large disque autour de Pictoris (Smith, Terrile 1984). La lumière observée provient de la diusion par les grains de poussière de la lumière de l'étoile. Le disque est vu sur la tranche, (ce qui facilite sa détection), et s'étend jusqu'à 1000 AU de l'étoile. L'intensité lumineuse décroît comme r 3 7 lorsqu'on s'éloigne de l'étoile, du moins au delà de 100 UA. Malgré des recherches intensives, aucun autre disque n'a pu être détecté en visible jusqu'à présent. : 3 3. Origine des poussières; lumière zodiacale et comètes La première idée qui vient à l'esprit est de considérer que les poussières sont un résidu des poussières qui entourent l'étoile lors de sa formation. En réalité, ces poussières ont tendance à disparaître de l'environnement de l'étoile, par exemple en tombant sur elle sous l'eet Poynting-Robertson. L'échelle de temps caractéristique pour cet eet dans l'environnement de Pictoris est de l'ordre de 106 ans, pour des grains ayant une taille de 1 m et situés à 100 UA de l'étoile. Il est donc important de connaître la taille des particules, ce qui est possible pour les poussières autour de Pictoris. En eet, le relativement fort degré de polarisation de la lumière détectée dans le visible (Gledhill et al. 1991) et la présence de la bande caractéristique des grains de silicates autour de 10 m (Knacke et al. 1993) prouvent qu'il existe des grains de quelques microns. De tels grains sont donc récents. Comment ont-ils pu se former? On peut avancer 2 explications: des collisions entre corps plus gros (planétésimaux, astéroïdes/comètes), ou la sublimation, dans le cas de comètes. Plusieurs indices favorisent l'interprétation en terme de comètes: d'abord, la forme de la bande des silicates observée dans le spectre émis par les poussières autour de Pictoris, qui est analogue à celle trouvée dans certaines comètes, comme la comète Halley (Knacke et al. 1993). Mais alors que la bande des silicates a été détectée dans le spectre de deux autres étoiles à excès IR (Oph51 et SAO179815), une troisième étoile présente les bandes caractéristiques de poussières carbonées (3.4, 11.3 m) (Coulson, Walther 1995). Mais comme toutes les comètes ne présentent pas la bande des silicates... ensuite, la présence épisodique dans les spectres UV et visible de l'étoile de raies métalliques vue en absorption, qui témoignent de la présence d'une "bulle" gazeuse (voir synthèse par Vidal-Madjar, Ferlet 1994 et par Lagrange 1994). Un modèle très détaillé avec pour ingrédient principal l'évaporation de comètes tombant sur l'étoile a été développé pour expliquer ce phénomène (voir synthèse par Beust 1994). Des poussières devraient également être relâchées et une faible variation photométrique du ux à 10 m devrait en résulter. enn, la loi de décroissance de l'émission lorsqu'on s'éloigne de Pictoris (r 3 7) a pu être reproduite en considérant que les poussières étaient injectées dans le système lors de la sublimation lente d'un ensemble de comètes située entre 15 et 30 UA (Lecavelier des Etangs et al. 1996). : 4. Morphologie de la lumière zodiacale et planètes Des simulations numériques ont montré que la présence d'une planète dans un disque de poussière pouvait modier profondément la morphologie du disque par résonances gravitationnelles, (voir par exemple synthèse par Roques 1994). Les empreintes laissées par une planète peuvent 4 être un "vide" de matière à l'intérieur de son orbite, des asymétries, du moins si l'orbite de la planète est elliptique, même faiblement. L'inuence gravitationnelle de la Terre sur les poussières du nuage zodiacal a pu étre mise en évidence grâce aux observations avec le satellite IRAS (Dermott et al. 1994) et plus récemment avec le satellite COBE (Reach et al. 1995). La Terre a pour eet de retenir les poussières qui ont tendance à tomber sur le Soleil sous l'eet Poynting-Robertson. Il se forme alors, le long de l'orbite de la Terre, un anneau de poussière qui présente des asymétries. L'eet gravitationnel d'une planète sur un disque a peut-être également été observé en dehors du système solaire. En eet, grâce à des observations dans l'infrarouge thermique, nous avons pu avoir accès, pour la première fois, à la morphologie de la partie interne (< 40 UA) du disque de poussières autour de Pictoris (voir Fig. 1); (les observations dans le visible ou le proche infrarouge sont génées par le fort contraste entre l'émission du disque et l'émission de l'étoile). Un décit de matière et une asymétrie ont alors été mis en évidence (Lagage et Pantin 1994); ces manifestations ressemblent aux traces que peuvent inscrire une ou des planètes. Mais avant de conclure dénitivement, d'autres études à la fois observationnelles et théoriques sont nécessaires. 5. Discussion Comme nous l'avons montré, l'étude de la lumière zodiacale est intéressante en soi pour mieux comprendre la formation des petits corps, voire des planètes. L'étude de l'émission à 10 m est particulièrement intéressante. En eet, les poussières émettant dans ce domaine de longueur d'onde sont relativement chaudes (300 K) et donc situées à proximité de l'étoile; l'étude de l'environnement proche de l'étoile peut nous renseigner de façon indirecte sur la présence de planètes. De plus, la présence dans ce domaine de longueurs d'ondes, de signatures caractéristiques de la composition des poussières (silicatées ou carbonées) permet de mieux cerner la nature et l'origine des poussières (comètes?). Notons que la résolution spectrale requise pour ce type d'études est d'au moins 50. La recherche de variabilité peut aussi nous éclairer sur une origine cométaire des poussières (voir Sect. 3). L'étude de la lumière zodiacale est également un préalable nécessaire pour évaluer les possibilités de détection directe de planètes "enfouies" dans un disque de poussières. En eet, la lumière zodiacale est en général plus forte que l'émission d'une planète de type terrestre; (la lumière zodiacale d'un système semblable à notre système solaire située à 10 pc apparaîtrait environ 100 fois plus intense que l'émission d'une planète semblable à la Terre). La détection de la planète doit alors se faire de façon diérentielle "on-o" (Léger et al. ce colloque). Il est donc important de s'assurer que le résidu après "on-o", du par exemple à des asymétries dans la distribution spatiale de lumière zodiacale, ne soit pas supérieur à l'émission de la planète recherchée. L'étude à 10 m des exo-lumières zodiacales est limitée actuellement à quelques cas 5 Fig. 1. en haut: image de l'émission thermique à 12 m du disque de poussière autour de Pictoris, obtenue avec la caméra TIMMI mont ée sur le télescope de 3.6 m de l'ESO (Lagage, Pantin 1994); en bas: densité du disque déduite de l'image précèdente à l'aide d'un modèle thermique de l'émission des poussières 6 particuliers. En eet, en général, l'émission à 10 m des poussières est bien plus faible que l'émission photosphérique de l'étoile; de plus, comme nous l'avons vu précédemment, la poussière est située à proximité de l'étoile. Pour pouvoir avoir accès à un échantillon plus grand, il faudrait "éteindre" l'émission de l'étoile en faisant appel à l'interférométrie. L'interférométrie à partir du sol à l'aide de grands télescopes (Keck, VLTI...) pourrait être une première étape. Toutefois, la sensibilité des observations à partir du sol est fortement limitée par l'énorme ux de photons terrestres émis par l'atmosphère, le télescope et l'instrument. Une expérience spatiale comme celle proposée par P. Bely durant ce colloque, (interférométrie avec 2 petits télescopes, situés au voisinage terrestre), semble très bien adaptée. La poursuite des études des exo-lumières zodiacales avec un dispositif plus sensible comme DARWIN (voir Mariotti ce colloque) apparaît comme un objectif important. REFERENCES Artymowicz P. 1994, in Circumstellar Dust Disks and Planet Formation, Ferlet R. et Vidal-Madjar A. eds, editions Frontières, p. 47 Aumann H.H. 1985, Publs astr. Soc. Pacif. 97, 885 Backman D.E., Paresce F. 1992, in Protostars and Planets III, p. 208 Beust H. 1994, in Circumstellar Dust Disks and Planet Formation, Ferlet R. et Vidal-Madjar A. eds, editions Frontières, p. 35 Coulson I.M., Walther D.M. 1995, Mon. Not. R. astr. Soc. 274, 977 Dermott S.F., Jayaraman S., Xu Y.L., Gustafson B.A.S., Liou J.C. 1994, Nat. 369, 719 Gledhill T.M., Scarott S.M., Wolstencroft R.D. 1991, Mon. Not. R . astr. Soc. 252, 50p Knacke R.F. et al. 1993, ApJ 418, 440 Lagage P.-O., Pantin E. 1994, Nat. 369, 628 Lagrange A.-M. 1994, in Circumstellar Dust Disks and Planet Formation, Ferlet R. et Vidal-Madjar A. eds, editions Frontières, p. 19 Lecavelier des Etangs et al. 1996, A&A sous presse Reach et al. 1995, Nat. 374, 521 Roques F. 1994, in Circumstellar Dust Disks and Planet Formation, Ferlet R. et Vidal-Madjar A. eds, editions Frontières, p. 81 Smith B.A., Terrile R.J. 1984, Sci. 226, 1421 Vidal-Majar A., Ferlet R. 1994, in Circumstellar Dust Disks and Planet Formation, Ferlet R. et Vidal-Madjar A. eds, editions Frontières, p. 7 This preprint was prepared with the AAS LATEX macros v3.0.