L`aménagement écosystémique des forêts au Québec

publicité
L'aménagement écosystémique des forêts au Québec: questions et pistes de réflexion
autour de la prise en compte des enjeux sociaux
Projet de recherche financé par l’Institut EDS
Professeurs impliqués :
-Louis Guay
-Stephen Wyatt
-Martin Hébert
-Caroline Desbiens
Auxiliaire de recherche :
Delphine Théberge, SHFQ
2
Table des matières
1.
Introduction ...................................................................................................................................... 3
2.
Méthodologie.................................................................................................................................... 5
3. Note de recherche : revue de littérature .............................................................................................. 7
3.1. Biodiversité .................................................................................................................................... 7
3.2. Échelles ........................................................................................................................................ 10
3.3. Acceptabilité sociale .................................................................................................................... 12
3.4. Aspects sociaux ............................................................................................................................ 14
3.5. Gestion adaptative ....................................................................................................................... 18
4. Atelier de discussion sur l’aménagement écosystémique .................................................................. 21
4.1. L’aménagement écosystémique : un processus issus de la science des écosystèmes ................ 21
4.1.1. Identification des enjeux écologiques .................................................................................. 21
4.1.2. Utilisation des connaissances autochtones dans les enjeux écologiques ............................ 22
4.1.3. Le manque de connaissance comme enjeu de la mise en œuvre de l’AÉ ............................ 23
4.2. L’aménagement écosystémique : un processus participatif ....................................................... 24
4.2.1. La rencontre des acteurs....................................................................................................... 24
4.2.2. Un concept large, qui n’est pas toujours facile à comprendre ............................................. 25
5. Conclusion ........................................................................................................................................... 28
Bibliographie ........................................................................................................................................... 30
Annexe 1- Définitions du concept d’aménagement écosystémique ...................................................... 34
3
1. Introduction
Au Québec, l’aménagement écosystémique (AÉ) prend de plus en plus de place dans le
domaine forestier. En effet, plusieurs recherches en lien avec le contexte québécois ont été
faites (voir Volpé 2007; Boucher 2008). De plus, on dénombre au moins trois projets-pilotes
lié à aménagement écosystémique forestier (Boulfroy et Lessard 2008). En outre, un livre
(Gauthier et al. 2008) sur l’aménagement écosystémique en forêt boréale et un manuel (Grenon
et al. 2010) sur la mise en œuvre de ce type d’aménagement au Québec ont été publiés.
Néanmoins, c’est la récente Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (L.R.Q., c.
A-18.1) qui institutionnalise l’aménagement écosystémique à la grandeur du territoire forestier
québécois. De plus, il est écrit dans cette loi que le nouveau régime demande un partage des
responsabilités "entre l'État, des organismes régionaux, des communautés autochtones et des
utilisateurs du territoire forestier » (L.R.Q. A18-1). En tant qu’outils de participation publique
dans l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’aménagement forestier, les tables locales de
gestion intégrée des ressources et du territoire (GIRT) ont pour but de «d'assurer une prise en
compte des intérêts et des préoccupations des personnes et organismes concernés par les
activités d'aménagement forestier planifiées, de fixer des objectifs locaux d'aménagement
durable des forêts et de convenir des mesures d'harmonisation des usages.» (Article 35, L.R.Q.
A18-1).
À travers le monde, il existe différentes interprétations et applications de
l’aménagement écosystémique. Connaître ces modèles peut être une manière efficace de mettre
en perspective l’expérience québécoise, de tirer des leçons et d’identifier des avenues à
explorer pour enrichir et affiner notre approche à l’AÉ. Ce besoin se fait particulièrement sentir
dans l’intégration des enjeux sociaux à l’AÉ, une dimension de ce mode d’aménagement qui
semble, pour l’instant, moins développée que la prise en compte des aspects biophysiques de
l’AÉ au Québec. Cette lacune n’est pas unique au Québec. Des bilans de recherche récents sur
l’application de l’aménagement écosystémique dans divers contextes internationaux ont relevé
des faiblesses en matière de développement des connaissances en sciences sociales. Ils ont
également démontré que les problèmes d’implantation de l’aménagement écosystémique dans
divers domaines sont souvent attribuables à ces lacunes (Ison, Röling et al. 2007; Lester,
McLeod et al. 2010). Cependant, les expériences existantes, et les connaissances les
4
documentant, sont tout de même assez développées pour nous permettre de nous interroger sur
certains enjeux importants liés à une meilleure prise en compte des questions sociales dans
l’AÉ.
Le but du rapport présenté ici est d’offrir une réflexion sur les enjeux de
l’aménagement écosystémique, ancrés dans le contexte québécois.
Cette réflexion s’est
d’abord ancrée dans une revue de littérature. À travers celle-ci, nous nous sommes intéressés à
différents modèles d’aménagement écosystémique. Nous tenterons d’identifier des pistes de
réflexion prometteuses, susceptibles de nous aider à mieux comprendre les modèles proposés
pour intégrer une pluralité de savoirs dans la définition des enjeux sociaux et écologiques
auxquels doit répondre l’aménagement écosystémique. En effet, plusieurs éléments présents
ailleurs font écho au contexte d’aménagement écosystémique québécois. Détailler chacune des
expériences internationales considérées ici serait beaucoup trop long dans le cadre d’une note
de synthèse comme celle-ci. Pour cette raison, la première partie du rapport concernant la
revue de littérature a été organisé en cinq considérations transversales, qui sont devenues
apparentes à la lecture de textes décrivant des expériences particulières d’AÉ. Ces
considérations sont : la biodiversité, les échelles, l’acceptabilité sociale, les aspects sociaux et
la gestion adaptative. Ces considérations ont une fonction plutôt heuristique qu’analytique.
Elles servent à fournir une organisation du matériel recueilli lié à l’intégration des enjeux
sociaux en AÉ.
Par la suite, un atelier composé de différents chercheurs et acteurs de l’aménagement
écosystémique a été organisé. Une note de recherche issue de la revue de littérature leur avait
été envoyée, afin de nourrir les discussions. L’objectif de cet atelier était de mettre en lumière
différentes expériences liées à l’aménagement écosystémique au Québec. Ainsi, la deuxième
partie du rapport présente ici certains éléments qui ont été discutés lors de l’atelier. Ces
éléments sont divisés en deux grandes sections. D’abord, on présente l’aménagement
écosystémique comme étant un processus issu de la science des écosystèmes. Ensuite, on
présente la mise en œuvre de l’AÉ comme étant un processus participatif. Une courte réflexion
synthèse s’inspirant de la revue de littérature et de l’atelier est présentée dans la conclusion.
5
2. Méthodologie
Les textes choisis dans le cadre de cette revue de littérature partagent les carctéristiques
de documenter des expériences d’aménagement écosystémique et de discuter la prise en
compte des dimensions sociales dans l’AÉ, ne serait-ce que brièvement ou même pour déplorer
l’absence d’une telle prise en compte. La littérature concernant l’aménagement écosystémique
forestier est dominée par des discussions liées au contexte des États-Unis (voir, entre autres,
Freeman 2002; MacCleery 2008;Rauscher 1999; Grumbine 1994; Endter-Wada et al. 1998;
Yaffee 1999; Predmore et al. 2008). Par contre, cette production scientifique substantielle n’a
pas permis de créer un consensus sur le sens et la portée pratique (et politique) de l’AÉ
(Predmore et al. 2008). On note aussi certaines lacunes dans la production d’études de cas
détaillées. Quelques articles traitant de cas particuliers ont été répertoriés (Harwell et al 1996,
Rigg 2001), mais ils datent d’au moins 10 ans et il a été difficile de trianguler de l’information
sur ces cas, chacun faisant généralement l’objet d’un très petit nombre de publications. Les
études plus larges sont mieux représentées. De 1995 à 2003, l’Université du Michigan, par le
biais du projet Ecosystem Management Initiative1 a fait une série de sondages sur les efforts
d’aménagement écosystémique aux États-Unis (Yaffe et al. 1995, Yaffee et al. 2000, Schuelle
2004). Ces sondages permettent d’avoir une vue d’ensemble sur les efforts d’aménagement
écosystémique du pays, mais compte tenu de la manière dont les résultats sont présentés par les
chercheurs, il serait difficile de désagréger les résultats de ces études pour retrouver la
définition d’aménagement écosystémique utilisée dans chacune des expériences, de
décortiquer les enjeux présents et de comprendre les divers éléments de contexte pour les cas
précis.
Ainsi, ayant eu peu de succès à identifier des études de cas précises détaillant des
expériences d’AÉ forestier, la revue de littérature s’est orientée vers des études portant sur des
considérations générales inhérentes à l’aménagement écosystémique. En plus du contexte
étasunien, des textes traitant de l’aménagement écosystémique en Colombie-Britannique ont
été utilisés (Leech et al. 2009; Bourgeois 2008). Les définitions d’aménagement
écosystémique sont multiples et certaines utilisations de ce concept ont été mises de côté. C’est
le cas de Dekker et al. (2007), qui traitent de l’aménagement écosystémique au niveau
1
Pour plus de détails, voir : http://www.snre.umich.edu/ecomgt/index.htm
6
international et qui utilisent une définition de ce concept tellement large qu’on peut la
confondre avec celle d’aménagement forestier durable. Dans le but d’être pertinente pour le
contexte québécois, cette revue de littérature a été liée à des éléments que l’on retrouve dans
les projets pilotes du Québec. L’une des définitions souvant utilisée est la suivante :
L’aménagement écosystémique des forêts vise, par une approche écologique appliquée à
l’aménagement forestier, à assurer le maintien de la biodiversité et de la viabilité de
l’ensemble des écosystèmes forestiers tout en répondant à des besoins socio-économiques dans
le respect des valeurs sociales liées au milieu forestier (MRNF, 2006)
En ce qui a trait à l’atelier de discussion sur l’AÉ, une liste de personnes a d’abord été
suggérée par les professeurs impliqués dans le projet. Ces personnes devaient prendre part à
des recherches sur l’aménagement écosystémique ou dans à sa mise en œuvre. Parmi les
personnes contactées, certaines nous ont fait des suggestions d’autres gens à inviter, ce que
nous avons fait. Au total, 5 personnes ont accepté notre invitation. Ceux ayant refusé ont
principalement invoqué un conflit d’horaire ou le manque de temps. L’atelier s’est déroulé
devant un public. Le but était que les participants puissent échanger avec des gens qui s’y
connaissent peu en aménagement écosystémique, mais intéressé. Les participants avaient reçu
la note de recherche issue de la revue de littérature. Les gens contactés qui n’ont pas pu venir à
l’atelier ont aussi reçu la note de recherche et ont été invités à la commenter. Nous n’avons
toutefois pas reçu de réponse à cet effet. Lors de l’analyse de l’atelier, nous avons fait ressortir
les thèmes qui nous paraissaient pertinents pour mieux comprendre comment s’orchestre l’AÉ
au Québec.
7
3. Note de recherche : revue de littérature
3.1. Biodiversité
L’un des points d’origine de l’application du concept d’aménagement écosystémique en
foresterie peut être trouvé dans la polémique autour de la chouette tachetée en Oregon
(MacCleery 2008; Galindo-Leal et Bunnell 1995). Dans les années 1970-80, la chouette
tachetée est devenue une véritable espèce emblématique2. À cette époque, les scientifiques se
sont alliés aux mouvements environnementaux pour protéger les habitats de cet oiseau, surtout
menacés par l’exploitation forestière (Wellock 2010). Plusieurs plans d’aménagement tenant
compte de ces habitats ont été mis en place. Toutefois, en 1989, le juge Dwyer a ordonné au
Forest Service américain de faire des plans d’aménagement pour maintenir la population de
toutes les espèces des forêts anciennes, et non uniquement celle de la chouette tachetée
(Wellock 2010 : 400) 3. Pour répondre à cette demande, les fonctionnaires du Forest Service se
sont intéressés à une nouvelle forme de planification forestière : l’aménagement écosystémique
(Freeman 2002). Ce nouveau type d’aménagement se voulait un compromis entre la protection
des espèces et la coupe forestière (Freeman 2002 : 637). De plus, il amenait une réponse aux
difficultés d’approches de conservation axées sur une seule espèce (Grumbine 1994). Les
débats concernant la chouette tachetée n’auraient pas été suffisants en eux-mêmes pour
provoquer un tournant vers l’aménagement écosystémique s’ils n’avaient pas été le reflet de
changements plus profonds dans les valeurs de la société (Wellock 2010 :382), une question
sur laquelle nous reviendront dans la section sur l’acceptabilité sociale.
L’une des leçons apprises des tentatives de mise en œuvre de l’aménagement
écosystémique pour préserver les écosystèmes forestiers de la côte pacifique nord-ouest
américaine est qu’il est très difficile, voire impossible, de créer un plan d’aménagement adapté
à chacune des espèces prises individuellement (Galindo-Leal et Bunnell 1995). Pour pallier à
cette difficulté, les chercheurs ont adopté une approche de filtre brut et de filtre fin (Comité
scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007 : 4). Le filtre brut consiste à maintenir les
caractéristiques présentes naturellement dans les écosystèmes (Hunter et al. 1988; Hunter 1991
2
«Espèce « charismatique », généralement à statut précaire ou en difficulté, pouvant être associée à un type
d’écosystème qui nécessite des actions de conservation» (Lafleur 2007).
3
Cette histoire implique, entres autres, des jugements de la Cour et des plans d’aménagement, pour plus de détails
consulter : Freeman 2002; Galindo-Leal et Bunnell 1995; MacCleery 2008 ou Wellock 2010).
8
[dans Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007]) en supposant que cette mesure
aura un effet bénéfique sur la biodiversité :
Dans l’état actuel de la connaissance, le meilleur filtre brut disponible demeure celui des
paysages préindustriels. En effet, nous pouvons émettre l’hypothèse que les espèces ayant
survécu jusqu’ici se sont adaptées aux fluctuations des conditions forestières connues au fil du
temps, de sorte que le maintien du caractère naturel des paysages forestiers devient la
meilleure garantie pour assurer la survie de la majorité des espèces. Ainsi, la pierre angulaire
de l’approche écosystémique consiste à ne pas plonger les espèces dans un environnement
auquel elles n’ont jamais été confrontées historiquement (MRNF, 2006)» (Comité scientifique
sur les enjeux de biodiversité 2007 :4-5)
Pour assurer une certaine naturalité aux écosystèmes, des seuils d’alteration peuvent être
établis (Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007 :7; Volpé 2007 :8). Dans le
projet pilote d’aménagement écosystémique de la réserve faunique des Laurentides, par
exemple, on remarque un écart important entre les paysages naturels (aussi appelés
préindustriels) et les paysages aménagés, principalement au niveau de la structure d’âge des
forêts (Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007 :18). Pour conserver les
caractéristiques «naturelles» d’un paysage, plusieurs chercheurs proposent de s’inspirer des
perturbations naturelles (Gauthier et al. 2008).
Si une stratégie d’émulation des perturbations naturelles et de retour tangentiel vers la
forêt naturel a pour but explicite de protéger la biodiversité, il convient de s’interroger sur la
force du lien entre la structure forestière et la protection de la biodiversité et des habitats.
Comment savoir si on utilise les bons seuils? Si le filtre brut protège l’écosystème en général,
comment savoir ce qu’il protège en particulier? Comment savoir si le filtre brut protège
réellement les multiples éléments de la biodiversité? Un jugement prononcé en 2009 aux ÉtatsUnis soulève, d’ailleurs, cette question en constatant qu’il manque des preuves à savoir si
l’utilisation d’un filtre brut protège réellement les espèces fauniques4. Dans le Manuel de
référence pour l’aménagement écosystémique des forêts au Québec (Grenon et al. 2010 :12),
on explique qu’une stratégie de filtre brut permet de réduire considérablement la liste
d’espèces ayant besoin d’un suivi particulier. Alors, quel genre de suivis doit-on prévoir? On
4
Pour plus de détails, voir le jugement :
http://www.fs.usda.gov/wps/portal/fsinternet/!ut/p/c4/04_SB8K8xLLM9MSSzPy8xBz9CP0os3gjAwhwtDDw9_
AI8zPwhQoY6BdkOyoCAPkATlA!/?ss=119987&navtype=BROWSEBYSUBJECT&cid=null&navid=10100000
0000000&pnavid=null&position=BROWSEBYSUBJECT&ttype=main&pname=Planning%20Rule%20History%20of%20Forest%20Planning
9
affirme que le suivi d’espèces focales (ou indicatrice)5 est un moyen de valider l’efficacité des
filtres brut et fin (Grenon et al. 2010 :12). L’idée générale de ce type de suivi est de faire des
études sur une espèce sensée être représentative d’un ensemble d’espèces (Lafleur 2007). Ce
concept peut être utilisé dans certains cas, mais il comporte plusieurs limites (Comité sur les
enjeux de biodiversité 2007; Lafleur 2007).
Le filtre fin consiste à porter attention aux espèces qui pourraient échapper au filtre brut
(Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007). Les espèces en situation précaire
sont généralement visées par le filtre fin. Dans le projet-pilote d’aménagement écosystémique
de la réserve faunique des Laurentides, le Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité
(2007) a identifié certaines espèces devant être prises en considération dans le filtre fin, tel que
l’omble chevalier d’eau douce, la grive de bicknell ou le caribou forestier. Au Québec, le
caribou forestier est de plus en plus considéré comme une espèce emblématique de la forêt
boréale (Lafleur 2007). Plus précisément, le caribou des bois/écotype forestier (différent, selon
les biologistes, du caribou de l’écotype toundrique) est considéré comme une espèce
vulnérable depuis mars 2005 et la chasse sportive de cette espèce est interdite6. Toutefois,
plusieurs Innus n’adhèrent pas à cette interdiction, car ils ne considèrent pas les deux variétés
de caribou comme distinctes, et donc considèrent que les données qui prennent exclusivement
en compte la population du caribou forestier ne donnent pas une indication adéquate de sa
vulnérabilité. .
«Ils [des aînés innus] rappellent qu'avant la colonisation, il n'existait qu'un seul troupeau
de caribou sur cette partie du Nitassinan. Il provenait de la Rivière-Georges et assurait un cycle
migratoire important. Par la colonisation intensive du territoire, ce troupeau s'est scindé et une
partie se serait sédentarisée dans la forêt, alors que l'autre aurait continué son parcours migratoire
habituel. Lors de la migration dans la forêt du caribou des bois, certains caribous ont décidé de
rester dans la forêt. Les deux groupes représentent ainsi un seul et même troupeau. Certains
biologistes, méconnaissant des faits historiques, perçoivent donc faussement les deux groupes
comme des hardes distinctes.»7
Bien que ce discours innu ne concorde pas exactement avec celui des biologistes, il semble que
le caribou soit une espèce importante pour les Innus et ceux-ci veulent être impliqués de près
dans sa protection (Lévesque 2011). En ce sens, il faut réfléchir à la place du filtre fin dans
5
Il existe plusieurs termes en lien avec cette expression : espèce indicatrice, espèce parapluie, espèce clé, espèce
emblématique, pour plus de détails, voir Lafleur 2007.
6
http://www3.mrnf.gouv.qc.ca/faune/especes/menacees/fiche.asp?noEsp=53
7
http://www.cardinalcommunication.com/index.php?option=com_content&view=article&id=270%3Aancestral&c
atid=51%3Aactualites-infos-premieres-nations&Itemid=78&lang=fr
10
l’aménagement écosystémique et à l’implication des Premières Nations (et des communautés
locales) dans la protection des espèces. En particulier, il faudra s’intéresser à la multiplication
des usages du filtre fin qui est proposée par certaines Premières Nations. Le filtre brut donnant
l’impression de ne rien protéger en particulier, et le filtre fin donnant l’impression d’être trop
ciblé, il peut y avoir une tendance à appliquer le filtre fin à un nombre toujours croissant
d’espèces, jusqu’à atteindre un point ou la protection de l’ensemble de l’écosystème tend à être
recherchée par la protection de chacune de ses composantes, toutes devenues des cibles
particulières d’aménagement.
3.2. Échelles
La question de l’échelle d’application de l’aménagement écosystémique peut être
traitée de plusieurs façons. L’un des thèmes de l’aménagement écosystémique est de dépasser
les frontières administratives et politiques (par exemple des parcs, des réserves fauniques, des
ZECs) et de travailler sur des frontières écologiques (Grumbine 1994; Leech et al. 2009).
Selon Agee et Johnson (1988), définir les limites d’un écosystème est un travail dynamique et
un art inexact (Grumbine 1994).
L’aménagement écosystémique demande un travail à une variété d’échelles, mais on
remarque que c’est souvent l’échelle du paysage (entendu comme les frontières du bassin
versant) qui est utilisée. (Quinn 2002 [dans Leech et al. 2009]). Il est souvent noté que
l’utilisation d’une échelle large permet aux aménagistes de s’inspirer des perturbations
naturelles.
« The requirement to maintain natural processes intact, the concept of mimicking natural
disturbances, the maintenance of wide-ranging populations, and the recognition that planning for
sustainable use must be hierarchical - all require consideration of large areas » (Galindo-Leal et
Bunnell 1995 : 604).
Selon Yaffee (1999), il existe une confusion quant à l’échelle à utiliser pour faire de
l’aménagement écosystémique (p. 714). En effet, qu’est-ce qu’une échelle large ou petite?
Comment qualifier l’échelle du paysage? Galindo-Leal et Bunnell (1995) semblent dire que
c’est une échelle large (comparativement à l’échelle du peuplement), tandis que Endter-Wada et
al. (1998) semblent dire que c’est une petite échelle (comparativement à l’échelle écorégionale). Ces
débats sur la définition des échelles ont leur importance, dans la mesure où ils permettent de clarifier le
vocabulaire et de comparer les expériences entre elles. Mais, ils ne doivent pas occulter le fait que les
termes souvent utilisés, comme éco-région, bassin versant, paysage, peuplement, site et micro-site
11
renvoient à des catégories dont l’étendue est très variable. Un bassin versant, par exemple, peut être de
grande taille (> 10 000 ha) ou de petite taille (< 100 ha). Devant cette variabilité, la question semble
donc être moins de savoir quelle échelle utiliser, mais plutôt de se doter de moyens pour intégrer la
planification à plusieurs échelles.
Au Québec, à la suite d’un atelier sur trois projets-pilotes d’aménagement
écosystémique, on a recommandé de développer des outils d’aménagement à l’échelle du
peuplement et du paysage (Boulfroy et Lessard 2008). Cette idée semble corresponde aux
conclusions du Comité scientifique des enjeux de biodiversité de l’un de ces projets :
«On constate que les divers enjeux formant cette première série pour la réserve faunique des
Laurentides peuvent être perçus à différentes échelles. Certains ont un caractère plus
englobant (échelle du paysage), alors que d’autres se manifestent à une échelle plus locale
(échelle du peuplement). De même, le fait de s’attarder à certains enjeux à l’échelle du
paysage permet de tenir compte (du moins, en partie) d’autres enjeux à l’échelle des
peuplements ou de l’espèce. Ainsi, pour en faciliter la compréhension et faire ressortir les
liens qui existent entre chacun d’eux, le Comité a procédé à un regroupement des enjeux.»
(Comité scientifique des enjeux de biodiversité 2007 :14)
Toutefois, à la Table des partenaires du Projet pilote d’aménagement écosystémique de la
réserve faunique des Laurentides, la question de l’échelle utilisée pour l’aménagement ne fait
pas l’unanimité chez les intervenants. En effet, le projet met de l’avant une échelle par bassins
versants, tandis que le Conseil de la Nation huronne-wendat souhaiterait que l’aménagement se
fasse sur une échelle plus petite, soit celle des aires de trappe (Table des partenaires 2009). Ce
choix vise, en effet, une planification faite à une échelle plus petite, l’une des raisons évoquées
par les Hurons-Wendat étant que «plus tu utilises les [outils d’aménagement écosystémique]
sur des petits territoires, meilleure c’est pour la globalité» (entrevue 1748 [dans Théberge,
2012 : 83]). Mais il y a aussi une question d’organisation du territoire intimement liée à ce
choix. L’utilisation que font les Hurons-Wendat du territoire est structurée par les aires de
trappe beaucoup plus que par les bassins versants. Pour les gens de l’industrie forestière,
l’utilisation d’une échelle relative aux aires de trappe n’est pas intéressante, car elle réduit leurs
marges de manœuvre au niveau de l’aménagement (Théberge 2012). Quelle est la meilleure
échelle pour la protection de la biodiversité? Quelle est la meilleure échelle pour gérer
l’aménagement du territoire en fonction des divers utilisateurs?
12
3.3. Acceptabilité sociale
Le vocabulaire de l’aménagement écosystémique a été adopté par le gouvernement
américain à la veille du Sommet de la Terre à Rio en 1992 (Freeman 2002; MacCleery 2008).
Une littérature bien étoffée démontre que pour améliorer son image environnementale au
niveau international, le président George Bush avait besoin de prendre une décision rapide
concernant l’environnement, sans compromettre la croissance économique (Freeman 2002 :
644). Pour modifier sa politique d’aménagement forestier, M. Bush demanda conseil au chef
du Forest Service qui en profita pour mettre de l’avant un concept sur lequel son équipe
travaillait : l’aménagement écosystémique. Toutefois, au moment de l’adoption de cette
stratégie d’aménagement, personne ne savait comment elle s’appliquerait réellement.
« Ecosystem Management was an expedient political strategy. The term itself was ambiguous
[…] at the time of its adoption, and nobody really knew what it meant. Yet it offered a green
patina to the agency, and it had the benefit that almost everybody was in favor of it. »
(Freeman 2002 : 646).
Bien que le président suivant, Bill Clinton, ait favorisé diverses mesures pour mettre en
œuvre de l’aménagement écosystémique, ce principe n’a jamais été adopté par le Congrès
américain (MacCleeery 2008). En 1999, le terme aménagement écosystémique est largement
abandonné dans les agences fédérales (Yaffee 2002 :89, voir aussi Predmore et al. 2008). La
première raison de cet abandon est que le concept est difficile à comprendre pour les décideurs
politiques. La deuxième raison est que la fonction première qui avait été visée par l’adoption
du terme d’ « aménagement écosystémique », soit la production de l’acceptabilité sociale,
n’était plus servie par ce dernier. En effet, on pouvait le voir comme restreignant l’utilisation
des territoires publics, comme menaçant le droit à la propriété privée ou comme une idée
utilisée uniquement pour bien paraître. Bref, ce concept, qui sonnait bien pour tout le monde au
départ, a fini par en décevoir plusieurs. « In legal and political system that rewards extreme
positions, a policy that emphasizes science-based balancing and integration of interests
satisfied no one. » (Yaffee 2002:89)8.
8
Il est à noter qu’il existe encore aux États-Unis, plusieurs projets qui se réclame être de l’aménagement
écosystémique (Yaffee et al. 1995; Yaffee et al. 1999; Harwell et al. 1996)
13
Le lien entre l’aménagement écosystémique et les préoccupations d’acceptabilité sociale peut
être vu comme très étroit. Aux États-Unis, des chercheurs se sont penchés sur la définition de
l’acceptabilité sociale dans un contexte d’aménagement écosystémique. L’une des définitions
retenues est la suivante:
« Social acceptability in forest management results from a judgmental process by which
individuals (1) compare the perceived reality with its known alternatives; and (2) decide whether
the “real” condition is superior, or sufficiently similar, to the most favorable alternative
condition. If the existing condition is not judged to be sufficient, the individual will initiate
behavior -- often, but not always, within a constituency group -- that is believed likely to shift
conditions toward a more favorable alternative. » (Brunson 1996 : 9)
Cette définition amène à mettre en relation l’acceptabilité sociale et la capacité des
intervenants à faire des choix éclairés et adéquats. En ayant les outils pour faire ces choix, les
gens pourront décider de ce qu’ils trouvent acceptable. Mais, il faut aussi réfléchir à quelle est
la différence entre une situation acceptable et une situation désirable (Brunson 1996)?
Au Québec, l’acceptabilité sociale est souvent liée à l’aménagement écosystémique,
sans nécessairement être clairement définie (voir Table des partenaires 2009). Lors de l’atelier
sur trois projets pilotes d’aménagement écosystémique québécois mentionné précédemment,
l’acceptabilité sociale a été retenue comme étant une caractéristique importante de cette
approche (Boulfroy et Lessard 2008). En ce sens, on a fait le constat que les processus de
gestion doivent être transparents, que la concertation sociale doit faire partie de l’aménagement
écosystémique et que l’atteinte de l’acceptabilité sociale passe par un « plan de communication
efficace et crédible » (Boulfroy et Lessard 2008 : 27).
Plus précisément, on a recommandé de transmettre des « messages ciblés et
transparents » et d’avoir des plans de communication spécialement adaptés aux Premières
Nations « de façon à faciliter la compréhension des communautés en place en ce qui concerne
la mise en oeuvre de l’AEF » (Boulfroy et Lessard 2008 : 28). Dans le même ordre d’idées, on
a recommandé d’ « éduquer, informer, sensibiliser la population, les élus, les enseignants, les
gestionnaires des différentes ressources du milieu forestier (y compris ressources non
ligneuses) sur ce qu’est l’AEF, les pratiques qui se font en forêt, les bénéfices /gains qu’il
procure pour la société, l’environnement, etc. » (Boulfroy et Lessard 2008 : 28) et on a précisé
qu’il faut porter une attention particulière à la population urbaine qui est plus difficile à
14
convaincre. À la lumière de ses recommandations, il est légitime de se demander si
l’acceptabilité sociale est une stratégie de communication pour convaincre les gens, plutôt
qu’un changement drastique dans l’aménagement visant à rendre les coupes forestières plus
acceptables.
Néanmoins, les recommandations concernant l’acceptabilité sociale abordent aussi les
questions de transparence et de la participation de tous les intervenants (y compris les
Premières Nations) dans les processus. On note que les tables de participation liées à
l’aménagement écosystémique devront tenir compte des valeurs et des enjeux régionaux, tenter
d’obtenir des consensus et comprendre les divers processus de consultation dans lesquels les
Premières Nations sont impliquées. De plus, on relève des besoins en recherche et
développement pour évaluer les impacts sociaux de l’aménagement écosystémique, pour
évaluer la prise de décision et pour développer des « outils permettant de proposer des
stratégies qui visent à réduire (ou atténuer) les impacts négatifs appréhendés et à permettre aux
communautés de s’adapter aux changements. » (Boulfroy et Lessard 2008 : 28). En somme,
bien que ces recommandations ne définissent pas ce qu’est l’acceptabilité sociale, elles
apportent des pistes de réflexion.
3.4. Aspects sociaux
En examinant la mise en œuvre de projets d’aménagement écosystémique, on peut être
menés à se demander s’il existe une différence entre l’acceptabilité sociale et les enjeux
sociaux en général. Nous pourrions dire que la réponse à cette question dépend du degré
auquel nous croyons que certains aspects de l’aménagement des forêts échappent au « social ».
Plus les aspects sociaux seront réduits aux valeurs, intérêts et préoccupations exprimés dans le
cadre de consultations, plus ils s’approcheront de simples composantes de l’acceptabilité
sociale. Plus la notion d’aspects sociaux sera élargie, pour englober les impératifs macroéconomiques de l’État, ou pour inclure la production de savoirs sur les écosystèmes forestiers
par exemple, plus il deviendra apparent que plusieurs aspects sociaux de l’aménagement
écosystémique débordent de ce qui est exprimé explicitement, et matière à débat, dans la
production de l’acceptabilité sociale.
15
Les considérations sociales font généralement partie des définitions de l’aménagement
écosystémique (voir annexe 1). Au Québec, l’adoption de la Loi sur l’aménagement durable
du territoire forestier (L.R.Q., c. A-18.1) vise à «ce que la planification forestière soit réalisée
selon un aménagement écosystémique et une gestion intégrée9 et régionalisée des ressources et
du territoire»10. La participation de plusieurs acteurs est donc importante. Mais, les termes du
dialogue entre ces acteurs sont souvent posés, dans le vocabulaire du développement durable,
comme la recherche d’un équilibre entre des considérations « sociales », « économiques » et
« écologiques » (Endter-Wada et al. 1998 :891). Ces distinctions mériteraient un examen plus
approfondi dans le contexte de l’aménagement écosystmique, ne serait-ce que parce qu’elles
présentent l’économique comme une préoccupation distincte des considérations sociales. Par
ailleurs, dans plusieurs définitions de l’aménagement écosystémique, on affirme que l’humain
ne doit pas être considéré comme étant séparé de la nature (voir annexe 1). Selon Grumbine
(1994), les valeurs humaines doivent jouer un rôle dominant dans les objectifs de
l’aménagement écosystémique. Toutefois, lorsque l’équilibre entre les trois aspects du
développement durable est difficile à trouver, cet auteur considère qu’il faut prioriser
l’intégrité écologique (voir Endter-Wada et al. 1998), faisant ainsi de la nature une entité
externe au social.
Même si ce ne sont pas tous les auteurs qui se reconnaissent dans ce biocentrisme (voir
Endter-Wada et al. 1998; Predmore et al. 2008; Rigg 2001), on remarque que les aspects
sociaux sont généralement moins pris en considération que les aspects écologiques. Ce
déséquilibre semble dû au fait que l’aménagement écosystémique a été opérationalisé par des
scientifiques souvent formés en sciences naturelles, travaillant dans une épistémologie où les
faits de nature et les faits sociaux sont perçus comme distincts, voire comme potentiellement
antagoniques les uns par rapport aux autres :
«Alarmed that many ecosystems faced risks from population growth and human impacts, they
proposed accelerating the study of ‘‘pristine’’ natural systems as a preliminary step to
determining the impacts of human actions on those systems and identifying management
alternatives aimed at minimizing those impacts. » (Endter-Wada et al. 1998 :896).
9
La gestion intégrée des ressources et du territoire se définit comme : « Un processus coopératif de gestion et de
concertation. Ce processus réunit l’ensemble des acteurs et gestionnaires du milieu, porteurs d’intérêts collectifs
publics ou privés, pour un territoire donné. Ce processus continu vise à intégrer, dès le début de la planification et
tout au long de celle-ci, leur vision du développement du territoire, qui s’appuie sur la conservation et la mise en
valeur de l’ensemble des ressources et fonctions du milieu. » (Desrosiers et al. 2010:5)
10
http://www.mrn.gouv.qc.ca/forets/amenagement/index.jsp
16
La construction sociale de la nature occupant peu de place dans les réflexions sur
l’aménagement écosystémique, autrement que pour parler de la destruction sociale de la nature
lorsque celle-ci devient un problème, les « aspects sociaux » de l’AÉ renvoient généralement à
une discussion des rapports entre les acteurs, ou « parties prenantes » (stakeholders) de
l’aménagement. Les études sur ce sujet tentent souvent de comprendre ou d’expliquer des cas
d’échec ou de conflits dans les rapports sociaux. Aux États-Unis, par exemple, l’expérience de
la Sequoia National Forest est citée pour démontrer comment les questions sociales peuvent
entraîner l’échec d’un projet d’aménagement écosystémique (Rigg 2001). En effet, selon Rigg,
l’expérience de la Sequoia National Forest a été compromise par de mauvaises relations entre
les gestionnaires et les intervenants, par de multiples demandes politiques, par l’insécurité
budgétaire et par le manque de connaissances disponibles (Rigg 2001).
Cette réflexion sur les ratées de diverses expériences a eu comme effet positif de battre
en brèche des visions simplistes qui aurait réduit les enjeux sociaux à de simples enjeux de
participation dans l’aménagement forestier. L’implication des intervenants dans un processus
décisionnel n’est pas automatiquement synonyme de succès. Parmi les autres facteurs sociaux
contribuant au succès de l’aménagement, une attention particulière a été portée au cadre
institutionnel dans lequel l’AÉ est mise en œuvre. Ces analyses institutionnelles ont été menées
tant à une échelle macrosociale, mettant en évidence des questions politiques plus larges
pouvant mener un groupe à faire de l’obstruction au sein d’un processus (MacCleery 2008),
qu’à une échelle plus microsociale où ressort l’importance de l’efficacité des processus
décisionnels et de la capacité d’adaptation des divers intervenants (Wyatt et al. 2010).
Du côté des succès, il existe des exemples d’implication du public en aménagement
écosystémique qui semblent bien fonctionner. En Colombie-Britannique, deux projets, l’un
dans la région du Clayoquot Sound et l’autre dans le centre et le nord de la côte, ont été mis de
l’avant suite à des pressions faites par des Premières Nations et des groupes
environnementaux.
«Although a shift to EBM [ecosystem-based management] should help tackle the many social
and environmental issues at play in these areas, it could also address economic interests by
allowing forest companies operating in coastal British Columbia to retain access to global
timber markets.» (Leach et al. 2009 :5)
17
Ainsi, on remarque que la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique devrait résoudre
plusieurs questions sociales et environnementales. Pour assurer le succès des projets
d’aménagement écosystémique, Rigg (2001) recommande, entre autres, de construire la
confiance entre les intervenants, d’investir dans la recherche, dans la collecte de données et
dans les suivis, et d’explorer les relations entre la science et les valeurs.
Les recherches en sciences sociales peuvent se pencher sur différentes questions. Elles
peuvent, par exemple, contribuer à l’analyse des interactions entre les valeurs, les
comportements humains et les écosystèmes, contribuer à l’étude de la manière dont les groupes
interprètent leurs liens avec la «nature», ou comment ce lien influence l’utilisation des
ressources (Endter-Wada et al. 1998). Il ne s’agit pas simplement d’identifier ce qui est
acceptable socialement, mais plutôt de faire une analyse détaillée rigoureuse des raisons pour
lesquelle les gens s’opposent ou supportent un projet. En ce sens, la réelle prise en
considération des aspects sociaux n’est pas toujours facile, car il ne s’agit pas uniquement
d’intégrer les gens dans les processus décisionnels. Il s’agit aussi d’intégrer les considérations
sociales dans la science et dans la compréhension des écosystèmes (Endter-Wada et al.
1998 :891).
«Humans have been neglected as components of ecosystem science for reasons related to the
social context and the process by which ecosystem science has developed. One reason is that
this science is based on Enlightenment religious and intellectual traditions that viewed humans
as separate from nature» (Endter-Wada et al. 1998 :895).
Pour les raisons discutées au début de cette section, cette intégration n’est pas facile à faire.
Les différences épistémologiques entre les sciences sociales et les sciences naturelles font que
les langages techniques de ces domaines sont souvent différents dans leur forme et dans leur
utilisation. Par ailleurs, les données produites par les démarches de recherche de ces deux
branches de la science ne sont pas toujours compatibles (Endter-Wada et al. 1998 :896).
Développer des méthodes pour favoriser l’interdisciplinarité, afin que l’ensemble des aspects
sociaux soit systématiquement pris en compte dans les processus d’aménagement
écosystémique demeure donc un défi important à considérer. À cet égard, un exemple
intéressant semble être celui du département des sciences sociales de la Northeast Fisheries
Science Center aux États-Unis, où une équipe travaille sur un modèle d’évaluation des impacts
sociaux liés à la pêche. Cette approche permet d’avoir des données équivalentes à celles
18
utilisées pour l’évaluation économique ou biologique. De plus, elle donne des pistes pour
orienter les recherches futures (Clay et Olson 2011).
3.5. Gestion adaptative
Plusieurs auteurs abordent la gestion adaptative comme un thème caractérisant
l’aménagement écosystémique (voir annexe 1). La gestion adaptative peut se définir comme
une manière de fonctionner fondée sur le postulat que les connaissances scientifiques sont
provisoires et qu’il faut comprendre l’aménagement comme un processus d’apprentissage
incorporant continuellement les résultats des actions antérieures. Cette méthode donne une
flexibilité aux aménagistes pour s’adapter à l’incertitude (Grumbine 1994 : 31).
«The concept of adaptive management is based on the realization that ecosystems and the
processes that influence them are so complex that it is difficult or impossible to predict in
advance the full implications of proposed management actions. Therefore land managers must
proceed with a heavy dose of humility, the application of the best science available and a strong
commitment to monitoring the environmental, social and economic effects of management
decisions — and to adapt or change decisions based on systematic monitoring.» (MacCleery
2008 p.61)
Dans le Manuel de référence pour l’aménagement écosystémique des forêts au Québec
(Grenon et al. 2010), on affirme que la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique est
une tâche complexe et que les impacts de l’aménagement forestier ne sont pas encore bien
compris. L’idée de la gestion adaptative est que la réponse à cette incertitude ne devrait pas
être l’inaction, mais plutôt la prudence, l’expérimentation et l’apprentissage :
«Comme le processus d’apprentissage est perpétuel, il n’est pas économiquement et
socialement souhaitable de suspendre le déroulement des activités forestières ou l’évolution
des pratiques par manque de connaissances. C’est dans ce contexte que le concept de la
gestion adaptative a été défini» (Grenon et al. 2010 : 39)
La gestion adaptative est associée à un processus de suivi et de rétroaction, afin d’intégrer les
nouvelles connaissances dans la planification et l’aménagement. Selon ces auteurs, il existe
trois degrés de suivi : suivi de l’application (les actions ont-elles été réalisées tel qu’il était
prévu?), suivi de l’efficacité (les actions permettent-elles d’atteindre les objectifs visés?) et
suivi de la pertinence (les objectifs visés sont-ils toujours pertinents?) (Grenon et al. 2010).
Pour faire des suivis et s’ancrer dans les principes de la gestion adaptative, les analyses
scientifiques doivent être continuellement utilisées (Endter-Wada et al. 1998 : 898). Ainsi, la
gestion adaptative requiert des ressources pour financer les recherches et pour l’intégration des
19
résultats dans le processus d’aménagement écosystémique (Rigg 2001). En ce sens, le manque
de données est souvent cité comme faisant partie des causes d’échec de projets d’aménagement
écosystémique (Schueller 2004 [dans Leech et al. 2009]).
«As an example, the Northwest Forest Plan established ten so-called “Adaptive Management
Areas” (AMAs), covering about 600 000 hectares, which were intended to be laboratories for
testing innovative management practices. In spite of the opportunity to showcase the
application and utility of the concept of adaptive management, most observers feel that this
effort has failed miserably (Thomas 2003, Stankey et al. 2003). » (MacCleery 2008 p.68)
On peut aussi s’interroger sur la compatibilité de la gestion adaptative et de la collaboration
(MacCleery 2008). En effet, lorsque ce type de gestion génère beaucoup de documents, il peut
être difficile pour les intervenants de traiter toute l’information. Premièrement, parce que cela
demande beaucoup de temps. Deuxièmement, parce que les intervenants n’ont pas
nécessairement les capacités (formations et connaissances) pour comprendre le contenu de tous
ces documents.
La gestion adaptative propose d’acquérir des connaissances et de remettre en question
les objectifs de départ. Mais, est-ce qu’une telle remise en question est possible? Un des
éléments souvent cités comme définissant l’aménagement écosystémique est l’intégrité
écologique (voir annexe 1). Aménager pour maintenir l’intégrité écologique signifie de
protéger la totalité de la ‘diversité native’ (espèces, populations, écosystèmes), ainsi que les
processus écologiques qui maintiennent cette diversité (Grumbine 1994 :30). L’intégrité
écologique peut se conserver à travers le maintien des régimes de perturbations, la
réintroduction d’espèces natives ou la représentation des écosystèmes à travers un gradient de
naturalité.
«Adaptive management is described as an ongoing experiment yet "landscapes can be
restored," managers are said to already be capable of mimicking natural disturbance
regimes successfully, and there is speculation that future experiments may reveal new
sustainable ecosystem states that may differ from evolutionary and historical states
(Grumbine 1994 :32)»
Toutefois, il semble qu’aux États-Unis, plusieurs fonctionnaires du Forest Service n’adhèrent
plus au concept d’historic range of variability ou de natural range of variability (Predmore et
al. 2008) :
«If ecosystem restoration means restoring those ecosystems to their historic range of
variability or to a natural range of variability, I amless certain that is what we ought to be
doing than I used to be. Ten years ago I would have argued hard that is exactly what we should
be doing» (Predmore et al. 2008 :343)
20
L’un des arguments évoqués pour expliquer la mise de côté de ce concept est qu’il ne prend
pas en considération les changements climatiques. Plus généralement, l’échelle temporelle à
laquelle se pratique la foresterie semble rendre peu commode l’idée d’une approche fondée sur
la rétroaction et l’apprentissage adaptatif. Il peut parfois passer des décennies entre une
intervention et ses conséquences. Une action qui semblait tout à fait justifiée lorsqu’elle a été
prise peut voir ses effets annulés par des transformations subséquentes du climat ou de
l’écosystème (Yaffee 1999 :715, Folkes et al. 2004).
Au Québec, la question de l’incertitude créée par un cadre écologique changeant, et par
conséquent la manière de définir l’intégrité écologique, a été abordée à travers la création de
portraits de référence servant d’assise à l’aménagement écosystémique. Dans le Manuel de
référence pour l’aménagement écosystémique des forêts au Québec (Grenon et al. 2010), on
explique que la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique consiste à réduire l’écart
entre les paysages naturels et ceux aménagés. Pour plusieurs auteurs, c’est la forêt
préindustrielle qui est utilisée comme état de référence de la forêt naturelle (Grenon et al.
2010; Table des partenaires 2009). Afin d’établir l’état de référence, on créé des portraits de
forêt naturelle (Boulfroy et al. 2010). Plus précisément, dans la Loi sur l’aménagement durable
du territoire forestier (L.R.Q., c. A-18.1), l’aménagement écosystémique est défini comme :
«un aménagement qui consiste à assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des
écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle» (art 4.2).
Dorénavant, le concept d’intégrité écologique est pratiquement inscrit dans la loi. Ainsi, sera-til possible de le remettre en question? Sinon, comment pourront être appliqués les principes de
la gestion adaptative?
21
4. Atelier de discussion sur l’aménagement écosystémique
L’atelier s’est déroulé le 21 août 2012 à Wendake dans le cadre de l’École d’été du
CIÉRA Peuples autochtones, développement des ressources et territoire. Les participants sont
Luc Bouthillier, Jean-Pierre Jetté, Émilie Gros-Louis, Yan Boucher et Daniel Kneeshaw. Dans
les pages qui suivent, les propos des participants ont été dépersonnalisés, afin de mettre
l’accent uniquement sur ce qui a été dit et non sur qui l’a dit. De plus, cette méthode a utilisé
pour éviter tout conflit potentiel entre ce que les participants ont dit et le discours officiel de
l’institution pour laquelle ils travaillent. L’atelier a duré une demi-journée. Les participants ont
d’abord fait une présentation de qui ils sont, du travail qu’ils font et de leur vision de l’AÉ.
Ensuite, l’atelier s’est terminé par un échange avec le public. Il est à noter que dans la section,
il n’y a pratiquement pas de références bibliographiques, car les éléments mis de l’avant
proviennent uniquement des propos tenus lors de l’atelier.
4.1. L’aménagement écosystémique : un processus issus de la science des
écosystèmes
4.1.1. Identification des enjeux écologiques
Les enjeux écologiques semblent être à la base de l’aménagement écosystémique.
Pratiquement tous les conférenciers nous ont expliqué que pour faire de l’AÉ, il faut établir un
portrait de la forêt naturelle (ou préindustrielle) et le comparer à la forêt aménagée
d’aujourd’hui. Les écarts entre ces deux types de portraits permettent de dresser des enjeux
d’aménagement écosystémique. Par exemple, la raréfaction des vieilles forêts, les changements
dans la composition végétale, la simplification de la structure des forêts, la raréfaction du bois
mort, la modification des fonctions des milieux riverains. Il existe diverses méthodes pour
établir des portraits de forêt naturelle, notamment l’utilisation de cartes historiques et d’anciens
inventaires.
L’un des objectifs principaux de cette démarche est de maintenir la biodiversité sur le
territoire, tout en continuant l’exploitation ligneuse. Pour intervenir sur le territoire, il faut
s’inspirer des perturbations naturelles, par exemple les feux. Pour l’un des participants, ce n’est
22
pas de s’inspirer des feux qui soient difficiles, mais de tenter « d’imiter ce qui ne brûle pas ».
C’est-à-dire de maintenir les caractéristiques d’une forêt qui vieillit, dans un aménagement
forestier qui inclut l’exploitation de la matière ligneuse. Cette idée n’était pas entièrement
partagée par tous les participants. En effet, il n’est pas si facile d’« imiter » les feux, car la
coupe forestière (tel que la CPRS) favorise le sapin, tandis qu’un feu ne favorise pas cette
espèce. De plus, les feux sont généralement dispersés. Il est donc rare d’en voir deux l’un à
côté de l’autre, tandis qu’il est fréquent de voir des coupes côte à côte. En outre, les feux
laissent généralement de 10 à 50% d’arbres vivants après son passage, ce que ne font pas
habituellement les coupes. Un autre aspect est qu’émuler les perturbations naturelles ne veut
pas dire que celles-ci seront éliminées. Donc, les feux continuent de brûler en même temps que
l’on coupe. Un autre questionnement que soulève l’aménagement écosystémique est en rapport
aux changements climatiques. Est-ce possible de s’inspirer d’un portrait de forêt naturelle qui
propose une image passée, alors qu’on s’en va vers quelque chose de nouveau à cause des
changements climatiques? À cet effet, plusieurs participants ont mentionné qu’il est important
de tenir compte des changements climatiques dans l’aménagement écosystémique, mais sans
nécessairement remettre en question toute l’approche.
4.1.2. Utilisation des connaissances autochtones dans les enjeux écologiques
Lors de la période de discussion, une question a été posée à savoir quelle est la place
des Premières Nations dans le concept de forêt naturelle et comment les connaissances
autochtones sont utilisées dans l’aménagement écosystémique. L’un des participants a répondu
que le concept de forêt naturelle est issu d’une vision occidentale de l’environnement, où
l’humain est extérieur à la nature et l’autochtone fait partie de la forêt. En ce sens, un autre
participant considère que dans les périodes étudiées pour établir les portraits de forêt naturelle,
les autochtones n’avaient pas beaucoup influencé le territoire à l’échelle du paysage au niveau
du couvert et de la structure d’âge. En ce sens, le niveau utilisé pour faire les portraits est très
grossier, tandis que l’utilisation des connaissances autochtones se fait souvent à une échelle
plus locale. Il serait plus facile d’utiliser un processus de collaboration avec les autochtones,
lorsque vient le temps de valider ces données en étudiant, entre autres, en ce qui a trait aux
espèces focales.
23
D’un autre côté, un participant trouve qu’il est difficile d’arrimer les deux types de
connaissances. Souvent, les scientifiques sont à la recherche d’une donnée précise et ils ont
tendance à tout fractionner, par exemple en se concentrant uniquement sur les éléments relatifs
aux sols. Tandis que les autochtones amènent des connaissances holistiques et traitent le
territoire de manière globale. «Ce n’est pas qu’on ne doit pas utiliser les connaissances
autochtones, c’est notre culture qui n’est pas prête à recevoir et bien utiliser cette
information ». Néanmoins, ce participant souligne qu’il existe des exemples d’utilisation des
connaissances autochtones qui ont bien fonctionné, notamment le cas de la martre à
Waswanipi.
4.1.3. Le manque de connaissance comme enjeu de la mise en œuvre de l’AÉ
Est-ce que s’inspirer des perturbations naturelles pour faire l’aménagement forestier,
ainsi que de tenter de réduire les écarts entre la forêt naturelle et la forêt aménagée sont les
meilleurs moyens pour maintenir la biodiversité? Certains participants à l’atelier ont affirmé ne
pas être certains. Alors, pourquoi utiliser cette façon de faire? Il existe peut-être des meilleures
méthodes, pour nous ne les connaissons pas encore. Présentement, l’idée est d’essayer de ne
pas créer paysages qui n’ont jamais existé. Non parce que ces paysages sont nécessairement
néfastes, mais parce qu’on ne les connaît pas. Vont-ils maintenir la biodiversité? Ainsi, il
existe un énorme besoin en termes de connaissances pour faire de l’AÉ. Il faut quand même
apprendre à travailler avec les connaissances actuelles et tenter de ne pas répéter les erreurs
commises. C’est ce qui s’appelle la gestion adaptative. Afin d’être apte à s’adapter
régulièrement des suivis sont nécessaires. Ils ont toutefois un prix.
Il est donc important de
faire des choix sur le type de suivis que l’on désire faire. Toutefois, le besoin de connaissance
ne se trouve pas uniquement au niveau de la science des écosystèmes. Par exemple, un
participant a mentionné le fait que dans certaines régions, les acteurs locaux ne sont pas
capables d’identifier les enjeux économiques les concernant. Il y a donc un besoin de
connaissances au niveau social et économique. Cet aspect a d’ailleurs été soulevé lors de la
période de questions et certains participants ont reconnu une nécessité de développer ce type
de connaissances, mais qu’il se fait actuellement du travail en ce sens.
24
4.2. L’aménagement écosystémique : un processus participatif
4.2.1. La rencontre des acteurs
Comme plusieurs auteurs l’ont mentionné (voir annexe 1), l’aménagement
écosystémique fait souvent référence aux relations des humains avec la nature. Lors d’une
présentation durant l’atelier, un participant a affirmé que les arguments scientifiques ne sont
pas suffisants pour que l’aménagement écosystémique soit mis en œuvre. En effet, il est aussi
important de contextualiser la démarche d’AÉ selon une variété de perspectives, de s’inspirer
du contexte historique de l’occupation du territoire, d’être acceptable socialement, d’être
faisable économique et de développer une méthode de gouvernance cohérente avec une
dynamique d’adaptabilité. En ce sens, la participation de différents acteurs semble inévitable
dans la mise en œuvre de l’AÉ. Premièrement, parce que, dans la plupart des définitions du
concept de l’AÉ, on fait mention de l’important de prendre en considération la place des
humains dans la nature. Deuxièmement, parce que pour assurer le succès de la mise en œuvre
de ce concept, les acteurs sont invités à participer au processus décisionnel.
Le nouveau régime d’aménagement forestier, par le biais de la Loi sur l’aménagement
durable du territoire forestier, permet une pluralité d’états, une pluralité de paysage. Il y a
donc des choix à faire et plusieurs sont faits par les différentes tables GIRT. Auparavant, dans
une politique forestière où le rendement soutenu est mis de l’avant, il n’y avait qu’un seul état
désiré : la forêt normale. Il fallait récolter uniquement la croissance annuelle des forêts, ce que
l’on appelle la possibilité forestière. Toutefois, il semble que plusieurs recherches ont
démontré que le rendement soutenu fragilisait les forêts. C’est pourquoi l’aménagement
écosystémique est mis de l’avant dans la nouvelle politique. Selon les participants à l’atelier,
ce ne sont pas tous les forestiers qui sont à l’aise avec cette méthode, puisque cette façon de
faire est très nouvelle.
Il y a donc un choc des valeurs. En effet, différents groupes d’acteurs autour d’une
table amènent différentes représentations du territoire forestier et différents intérêts. Par
exemple, un scientifique peut utiliser les indicateurs d’aménagement écosystémique pour avoir
25
un paysage qui se rapproche de la forêt naturelle, tandis qu’un membre d’une Première Nation
peut s’en servir comme une manière de protéger ses droits, en utilisant un langage que les
forestiers comprennent. Les différents groupes doivent alors apprendre à travailler ensemble,
ce qui amène plusieurs défis. Notamment, en ce qui a trait l’adaptation locale des lois et
règlements ou à la définition à une échelle communautaire, de ce que signifie aménagement
écosystémique. Un autre aspect important des tables GIRT est la place accordée aux Premières
Nations. En ce sens, un des participants à l’atelier considère que le lien de confiance des
autochtones face aux allochtones n’est pas acquis : « Il faut comprendre que ça fait plus de
deux siècles que les autochtones, chaque fois qu’ils négocient une entente avec nous, ils se font
avoir ». En outre, la dimension autochtone ne semble pas être traitée adéquatement dans la loi
qui a prévu la mise en place des tables GIRT.
En résumé, plusieurs participants à l’atelier ont caractérisé le choc des valeurs en disant
qu’il faut trouver un terrain d’entente entre vouloir extraire du bois et vouloir conserver la
viabilité des écosystèmes, tout en ayant des paysages qui vont répondre aux valeurs culturelles
et sociales. Il semble que, souvent, les options choisies pour réduire les écarts entre la forêt
naturelle et la forêt aménagée soient convergentes avec les préoccupations sociales. Toutefois,
il peut aussi y avoir des divergences. Un participant donnait un exemple où les planificateurs
essaient de ne pas trop fragmenter la forêt (ce qui amène beaucoup de changements au niveau
de la biodiversité) en laissant des grands massifs de forêts, mais en faisant aussi des grandes
coupes. Cependant, cette façon de faire heurte l’acceptabilité sociale, car l’aspect visuel des
paysages est négligé. Il faut donc trouver des compromis pour que les paysages soient
socialement et économiquement acceptables.
4.2.2. Un concept large, qui n’est pas toujours facile à comprendre
À la suite des présentations faites par les participants à l’atelier, le premier
commentaire a été à l’effet que l’aménagement écosystémique est difficile à comprendre pour
le public en général. Cette tendance oblige donc les acteurs à faire confiance aux experts. Pour
plusieurs participants à l’atelier, la méconnaissance de la population face à l’AÉ est l’un des
principaux problèmes de ce concept. De plus, l’une des difficultés retrouvées dans la mise en
26
oeuvre est le manque de personnel qualifié au niveau local. En ce sens, il n’est pas facile pour
un citoyen « ordinaire » ou pour un membre d’une Première Nation de discuter avec
d’éminents scientifiques au sujet des attributs de la forêt naturelle. C’est pourquoi certains
participants ont suggéré d’éduquer davantage la population à ce qu’est l’aménagement
écosystémique. Toutefois, pour l’un des participants, l’éducation doit aller dans plusieurs
sens : « Éduquer les communautés, oui, mais éduquer aussi les forestiers qui ne sont pas
toujours capables de saisir les éléments importants pour les communautés».
Une autre intervention lors de la période de discussion a été à l’effet que
l’aménagement écosystémique semble plaire à tout le monde, mais que chacun peut y attribuer
un sens différent. On remarque qu’à travers le concept d’AÉ, des scientifiques visent un état de
forêt préindustrielle, des Premières Nations peuvent l’utiliser comme un moyen de faire valoir
ses droits, des industriels y voient une façon d’avoir en accès au bois, des écologistes
considèrent que l’aménagement écosystémique va amener plus d’espace vert et le
gouvernement trouve que c’est une bonne expression, car elle semble plaire à tout le monde.
Comme réponse à ce commentaire, un participant a signifié qu’il est très important que
l’aménagement écosystémique ne devienne pas un argument utilisé pour résoudre tous les
problèmes. L’aménagement écosystémique n’est pas un objectif, mais un processus. Ce
processus oblige à changer les pratiques, en ayant une meilleure connaissance des milieux
naturels. De plus, ce processus a pour but de répondre à une demande sociale où on a besoin de
bois, d’habitats fauniques (pour la chasse, la pêche et la trappe) et de services
non
marchandisables (services environnementaux). Le processus d’aménagement écosystémique
permet de mettre la table pour que des acteurs discutent de ce qu’ils veulent sur le territoire.
Malgré tout, un participant reconnaît que l’aménagement écosystémique a tendance à
devenir un « buzzword », car c’est un concept qui intéresse beaucoup de monde et qui a la
prétention de gérer la complexité écologique. En ce sens, il ne faut pas que l’AÉ devienne trop
complexe et il ne faut pas essayer d’aller trop dans le détail au niveau de la recherche
fondamentale au sujet de la forêt naturelle. Le sud de la forêt boréal a relativement changé et
c’est cet aspect qu’il faut gérer. Un autre participant a mentionné que même si l’aménagement
écosystémique n’est pas une formule magique qui va tout régler, la mise en œuvre de ce
27
concept apporte, aux communautés qui savent s’en servir, des outils qui permettent de discuter
avec ceux qui prennent les décisions concernant l’aménagement du territoire.
28
5. Conclusion
La revue de littérature a démontré qu’il existe plusieurs définitions de l’aménagement
écosystémique (voir annexe 1). Dans le même ordre d’idées, les participants ont mis de l’avant
le fait qu’il existe de multiples façons d’utiliser ce concept : une façon de continuer à faire de
la couper en tenant compte du maintien de la biodiversité, une occasion d’augmenter les
territoires protégés, un moyen pour faire valoir les droits des Premières Nations. Un des
participants a d’ailleurs mentionné que le concept d’aménagement écosystémique représente
une occasion pour le gouvernement de plaire à différents groupes. Est-ce que l’aménagement
écosystémique serait une campagne de relation publique? On se souvient qu’aux États-Unis,
l’AÉ est entrée dans une politique peu avant le Sommet de Rio, afin d’améliorer l’image
environnementale du pays, sans compromettre la croissance économique.
Néanmoins, le Gouvernement fait plusieurs efforts pour mettre en œuvre l’AÉ. Il a, par
exemple, mis de l’avant et soutenu des projets pilotes. La nouvelle Loi sur l’aménagement
durable des territoires forestiers, dans laquelle le concept d’AÉ a une place importante, sera
mise en œuvre en avril 2013. D’ailleurs, les tables GIRT semblent avoir déjà commencé leur
travail. De manière générale, l’implication du public paraît importante dans les différentes
manières de penser l’aménagement écosystémique. Au Québec, on remarque que les acteurs
locaux ont une grande place en ce qui a trait à la mise en œuvre du concept, mais peu dans les
questions liées à la science des écosystèmes. En effet, l’un des fondements québécois de
l’aménagement écosystémique, par exemple celui où il faut récolter du bois tout en préservant
la biodiversité, peut difficilement être remis en question par les acteurs locaux.
De plus, on remarque que les connaissances des Premières Nations ne sont pas utilisées
dans le processus issu de la science des écosystèmes. Il est intéressant de remarquer que d’un
côté les connaissances autochtones ne sont pas utilisées, tandis que de l’autre il semble
manquer de connaissances au sujet des écosystèmes. Il faut toutefois noter que l’utilisation des
connaissances autochtones n’est pas toujours facile. Premièrement, parce que ces
connaissances ne sont pas accessibles. Deuxièmement, parce que les Premières Nations
peuvent être réticentes à les partager. Troisièmement, parce qu’ils sont souvent dans un format
difficile à interpréter pour les forestiers. L’une des raisons évoquées lors de l’atelier sur la non
29
utilisation des connaissances autochtones est le fait que les chercheurs en aménagement
écosystémique travaillent généralement sur une échelle plus macro.
Dans ce même ordre d’idée, il semble exister une inadéquation entre le fait que les
connaissances sur les forêts sont à une échelle très large, tandis que l’un des défis de la
participation est l’adaptation locale de l’AÉ. La question de l’échelle de la mise en œuvre de
l’AÉ a aussi été soulevée dans la revue de littérature, où certains acteurs souhaitent faire de
l’aménagement à l’échelle des bassins versants et d’autres à l’échelle des aires de trappe. Cet
enjeu démontre bien comment les aspects relatifs à la science des écosystèmes et ceux liés à la
participation du public peuvent se chevaucher. Il serait intéressant d’étudier la question plus en
profondeur. Des recherches sur les aspects sociaux de l’AÉ pourraient permettre de faciliter la
compréhension des liens entre la participation du public et les éléments relatifs à la science des
écosystèmes, améliorer les relations entre les chercheurs et les acteurs locaux, trouver un
équilibre entre les données écologiques macro et l’adaptation locale de l’AÉ.
30
Bibliographie
Agee, J. KI, et D. R. Johnson, 1988, Ecosystem management for parks and wilderness. Seattle,
Washington, University of Washington Press.
Bergeron, Y., Harvey, B., Leduc, A. et Gauthier, S. 1999. «Stratégies d'aménagement forestier
qui s "inspirent de la dynamique des perturbations naturelles : considérations à l'échelle du
peuplement et de la forêt.» For. Chron. 75 (1) : 55-61.
Boucher Y., 2008, La dynamique de la forêt du Bas-Saint-Laurent depuis le début de
l’exploitation forestière (1820-2000). Thèse de doctorat, Sciences de l’environnement, UQAR.
Boulfroy E., G. Lessard, F. Grenon, P. Blanchet et E. Alvarez, 2010, Portrait de la forêt
préindustrielle de la région de Portneuf. Québec, CERFO.
Boulfroy et Lessard 2008, Atelier sur les projets pilotes d’aménagement écosystémique des
forêts. Tenu les 17 et 18 juin 2008 à Québec. Rapport d’atelier. Centre collégial de transfert de
technologie en foresterie (CERFO)
Brunson, M. W., 1996, A définition of "social acceptability" in ecosystem management.
Defining social acceptability in ecosystem management: a workshop proceeding. Kelso, WA.
Département of Agriculture, Forest Service, Pacific Northwest Research Station.
Clay P. et J. Olson, 2011, « Defining ans Applying Sustainability », Anthropology News, avril :
7 et 10.
Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité, 2007, Enjeux de biodiversité de
l’aménagement écosystémique dans la réserve faunique des Laurentides. Rapport préliminaire
du comité scientifique. Québec, Ministère des Ressources naturelles et de la Faune.
Dekker E. Turnhout, B.M.S.D.L. Bauwens, G.M.J. Mohren, 2007, « Interpretation and
implementation of Ecosystem Management in international and national forest policy », Forest
Policy and Economics, 9: 546-557.
Endter-Wada J., et al., 1998, « A framework for understanding social science contributions to
ecosystem management », Ecological Applications, 8(3): 891-904.
Folk C., et al., 2004, « Regime Shifts, Resilience, and Biodiversity in Ecosystem
Management », Annual Review ofEcology, Evolution, and Systematics, 35 : 557-581.
Freeman, R.,2002, «The EcoFactory: The United States Forest Service and the Political
Construction of Ecosystem Management», Environmental History, 7(4): 632-658.
Galindo-Leal et Bunnell 1995, « Ecosystem management: Implications and opportunities of a
new paradigm», The Forestery Chronicle, 71(5): 601-606.
31
Gauthier S., M.A. Vaillancourt, A. Leduc, L. De Grandpré, D. Kneesaw, H. Morin, P. Drapeau
et Y. Bergeron (dirs), 2008, Aménagement écosystémique en forêt boréale. Québec, Presses de
l’Université du Québec.
Grenon, F., J.-P. Jetté et M. Leblanc, 2010, Manuel de référence pour l’aménagement
écosystémique des forêts au Québec – Module 1 - Fondements et démarche de la mise en
oeuvre. Québec, Centre d’enseignement et de recherche en foresterie de Sainte Foy inc. et
Ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Direction de l’environnement et de la
protection
des
forêts.
Consulté
sur
Internet
(www.mrnf.gouv.qc.ca/forets/amenagement/amenagement-ecosystemique.jsp.), le 30 août
2011.
Grumbine E., 1994, «What Is Ecosystem Management?», Conservation Biology, 8(1): 27-38.
Harvey, B. D., Leduc, A., Gauthier, S., et Bergeron, Y., 2002, « Standlandscape integration in natural disturbance-based management of the
southern boreal forest », Forest Ecology and Management, 155: 369-385.
Hunter et al., 1988, «Paleoecology and the coarse-filter approach to maintaining biological
diversity», Cons. Biol. 2: 375-385.
Hunter, 1991, «Coping with ignorance: The coarse filter strategy for maintaining biodiversity»
in K. Kohm (ed.), Balancing on the edge of extinction, Washington, D.C., Island Press.
Ison, R., N. Röling, and D. Watson, 2007, «Challenges to science and society in the
sustainable management and use of water: investigating the role of social learning»,
Environmental Science & Policy, 10(6):499-511.
Lafleur P.É., 2007, «Quelques éléments de réflexion concernant l’utilisation d’espèces
indicatrices dans un modèle écologique de gestion écosystémique pour la Réserve faunique des
Laurentides», Annexe 1 de Enjeux de biodiversité de l’aménagement écosystémique dans la
réserve faunique des Laurentides. Rapport préliminaire du comité scientifique. Québec,
Ministère des Ressources naturelles et de la Faune.
Landres, P. B., Morgan, P., et Swanson, F. J., 1999, « Overview of the use of natural
variability concepts in managing ecological systems », Ecological Applications, 9: 1179-1188.
Leech S., et al. 2009, «Ecosystem management : A practionners’guide», BC Journal of
Ecosystems and Management, 10(2) :1-12.
Lévesque, 2011, «Dialogue autour du caribou», Le Soleil, 23 janvier, p.22.
Lester, Sarah E., et al., 2010, «Science in support of ecosystem-based management for the US
West Coast and beyond.», Biological Conservation, 143(3):576-587
Lindenmayer, D. B., et Franklin, J. F., 2002, Conserving Forest Biodiversity. Washington, DC,
Island Press.
32
Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, 2010, (L.R.Q., c. A-18.1).
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/A
_18_1/A18_1.html
MacCleery, D, 2008, «Re-inventing the united states forest service: evolution from custodial
management, to production forestry, to ecosystem management.», in Durst et al. (dirs), Reinventing forestry agencies Experiences of institutional restructuring in Asia and the Pacific,
C. B. Bangkok, Food and Agriculture Organization of the United Nations.
-MRNF (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune) , 2006. L’aménagement
écosystémique : au cœur de la gestion des forêts. Consulté sur Internet,
http://www.mrnf.gouv.qc.ca/forets/amenagement/amenagement-ecosystemique.jsp , le 30 août
2011.
Predmore et al., 2008, «Ecosystem Management in the US Forest Service: A Persistent Process
but Dying Discourse.», Society of American Foresters, September: 339-345.
Quigley, T. M., R. W. Haynes, and R. T. Graham (eds.), 1996, Integrated scientific assessment
for ecosystem management in the Interior Columbia Basin. U.S. Forest Service General
Technical Report.
Quinn, M.S, 2002, « Ecosystem-based management». In Thompson (ed), Tools for
environmental management. Gabriola Island, BC, New Society Publishers : 370–382.
Rigg, 2001, «Orchestrating Ecosystem Management: Challenges and Lessons from Sequoia
National Forest.», Conservation Biology, 15(1): 78-90.
Schueller, S. 2004. Trends in collaborative ecosystem management: A preliminary report of
EM 2003 survey results. Ecosystem Management Initiative, School of Natural Resources and
Environment, University of Michigan, Ann Arbor, Mich. www.snre.umich.edu/
ecomgt/research/em03_draft_results.pdf
Seymour, R. S., et Hunter, M. L. 1999. «Principles of ecological forestry». Dans Hunter, M.L.
Jr. (Editeurs). Maintaining Biodiversity in Forest Ecosystems. Cambridge University Press,
Cambridge, UK : 22-61.
Stankey, G.M., Bormann, B.T., Ryan, C., Shindler, B., Sturtevant, V., Clark, R.N. & Philpot,
C., 2003, «Adaptive management and the Northwest Forest Plan: rhetoric and reality.» Journal
of Forestry, 101 (1).
Table des partenaires, 2009, Projet de développement d'une approche d'aménagement
écosystémique dans la réserve faunique des Laurentides. Québec, Rapport de la Table des
partenaires. Consulté sur Internet
(http://www.mrnf.gouv.qc.ca/publications/forets/amenagement/rapport-table-partenaires.pdf),
le 30 août 2011.
33
Théberge, D., 2012, Rencontre des acteurs et des imaginaires à travers un processus de
dialogue. Le cas du Projet pilote d’aménagement écosystémique de la Réserve faunique des
Laurentides, Mémoire de maîtrise, anthropologie, Université Laval.
Théberge, D., S. Côté, M. Hébert, E. Boulfroy, P. Blanchet et G. Lessard, 2012. Exploration
des concepts reliés aux aires protégées incluant différentes formes d’utilisation humaine dans
la Capitale-Nationale. SHFQ et CERFO.
Thomas, J.W. 2003. Sustainability and the Northwest Forest Plan: dynamic vs. static
management. Prepared for the USDA Forest Service Pacific Southwest Region Review of
Northwest Forest Plan Implementation by Jack Ward Thomas, Boone and Crockett Professor
of Conservation, University of Montana, Missoula, Montana, 23 June 23 2003. Online
at:http://www.fs.fed.us/ r5/nwfp/plans/sus.shtml
Vale, T. R., 2002, Fire, native peoples, and the natural landscape. T. R. Vale. Washington,
DC, Island Press.
Volpé, 2007, Analyse des impacts opérationnels et financiers d'un aménagement
écosystemique dans la région de la côte-nord. Le cas de l'île René-Levasseur, Mémoire de
maîtrise, Faculté de Foresterie et Géomatique, Université Laval.
Wellock, 2010, «The dickey bird scientists take charge: science, policy, and the spotted owl."
Environmental History 15 :381-414.
Wyatt, S., J-F Fortier, G. Greskiw, M.Hébert, S. Nadeau, D. Natcher, P. Smith et R. Trosper,
2010, La collaboration entre les Autochtones et l'industrie forestière au Canada: une relation
dynamique. Edmonton, Réseau de gestion durable des forêts.
Yaffee, Steven L., I.C. Frentz, P.W. Hardy, S.M. Maleki, A.F. Phillips, B.E. Thorpe, 1995,
Ecosystem Management in the United States: An Assessment of Current Experience. School of
Natural Resources and Environment. University of Michigan, Ann Arbor, MI, and The
Wilderness Society, Washington, D.C.
Yaffee, 1999, «Three Faces of Ecosystem Management», Conservation Biology 13(4): 713725.
Yaffee et al., 2000, Recent Trends in Ecosystem Management. The University of Michigan
School of Natural Resources and Environment
Yaffee 2002, «Experiences in ecosystem management: ecosystem management in policy and
practice» in Meffe et al. (dirs) Ecosystem management: adaptive community-based
conservation, Washinton, D.C., Island Press: 89–94.
34
Annexe 1- Définitions du concept d’aménagement écosystémique[D1]
Les visions de l’aménagement écosystémique sont multiples. Plusieurs auteurs
recensent une série de définitions afin de formuler la leur (Grumbine 1994, Leech et al. 2009,
Yaffee 1999). Selon Grumbine, l’aménagement écosystémique s’oriente vers dix thèmes11
qu’il a recensés dans la littérature (voir tableau) et qui l’amène à proposer la définition
suivante : Ecosystem management integrates scientific knowledge of ecological relationships
within a complex sociopolitical and values framework toward the general goal of protecting
native ecosystem integrity over the long term.
[Tableau Grumbine 1994, p.30]
11
Hierarchical Context, Ecological Boundaries, Ecological Integrity, Data Collection, Monitoring, Adaptative
Management, Interagency Cooperation, Organizational Change, Humans Embedded in Nature, Values (Grumbine
1994).
35
De son côté Yaffee (1999) tente de classer les différentes façons de penser
l’aménagement écosystémique. Pour ce faire, il a créé trois catégories : (1) environnementally
sensitive,
multiple-use
management,
(2)
Ecosystem-based
approaches
to
resource
management, (3) Ecoregional mmanagement.
[Tableau Yaffee 1999, p.717]
Leech et al. (2009) présentent un guide pratique pour démêler les définitions de
l’aménagement écosystémique. En ce sens, il utilise un tableau avec diverses définitions, il
reprend la catégorisation de Yaffee et il présente les différentes caractéristiques de
l’aménagement écosystémique selon Quinn (2002).
36
[Tableau Leech et al. 2009, p. 3]
37
[Tableau Leech et al. 2009, p.4]
Dans le milieu anglophone, il existe deux expressions pour parler d’aménagement
écosystémique, soit « Ecosystem Management » et «Ecosystem-based Management ». Il
semble que ce soit la place accordée à l’humain qui fait la différence entre ces deux termes :
«In the literature, the terms ecosystem management (EM) and ecosystem-based management
(EBM) are used more or less interchangeably. Some authors prefer the term EBM because it
emphasizes the human role (i.e., makes it clear that we are managing people, not ecosystems).
Others prefer EM because of concerns that EBM seems to put ecosystems above all other
considerations. In general, the preferred term seems to be EBM: “Ecosystem-based management
is preferable to ecosystem management because it reflects the notion that the . . . [principal]
activity is the management of human interactions with the ecosystem rather than the ecosystem
itself ”(Pirot et al. [editors] 2000:1)» (Leech 2009 :2)
L’un des thèmes de l’aménagement écosystémique mis de l’avant par plusieurs auteurs
est que les humains font partie des écosystèmes.
Dans l’article « A Framework for
Understanding Social Science Contributions to Ecosystem Management » (Endter-Wada et al.
1998), on réfléchit à savoir si l’aménagement écosystémique intègre réellement les humains.
Les auteurs critiquent l’idée que l’on doit comprendre l’impact des humains sur les systèmes
naturels, pour protéger ces systèmes des impacts humains. Cette façon de penser suppose que
l’impact des humains est négatif pour la nature. De plus, elle n’intègre pas les valeurs
humaines au début du processus d’aménagement écosystémique et elle accentue l’idée que les
humains et la nature sont des antithèses (Endter-Wada et al. 1998). Pour pallier à cet aspect,
Endter-Wada et al. (1998) considèrent qu’il ne faut pas uniquement intégrer le public dans la
prise de décisions politiques; il faut aussi intégrer les considérations sociales dans la science de
la compréhension des écosystèmes. En ce sens, les sciences sociales ne doivent pas être
utilisées uniquement pour comprendre comment les gens peuvent être « éduqués » à ne pas être
des obstacles à la protection des écosystèmes, mais bien comme un outil pour concevoir les
écosystèmes et l’aménagement de ceux-ci. Même s’il reste encore beaucoup de travail à faire,
on répertorie plusieurs projets qui ont incorporé des données sociales dans leurs démarches
(voir : Harwell et al. 1996, FEMAT report 1993, Quigley et al. 1996 [dans Endter-Wada
1998]).
Certains éléments évoqués ci-haut sont repris dans la littérature sur l’aménagement
écosystémique au Québec. Par exemple, Sylvain Volpé (2007), qui a fait une maîtrise
38
intitulée : «Analyse des impacts opérationnels et financiers d'un aménagement écosystémique
dans la région de la Côte-Nord : le cas de l'Île René-Levasseur», cite des auteurs comme Yaffe
et Grumbine pour expliquer le concept d’aménagement écosystémique. D’emblée, Volpé
explique que l’aménagement écosystémique «représente différentes choses pour différentes
personnes ». Néanmoins, il considère que l’objectif de ce type d’aménagement est « de
maintenir dans le paysage forestier la composition et la structure des peuplements qui
s’approchent de ce qui est observé dans une forêt naturelle (Bergeron et al. 1999)» (Volpé
2007 : 7).
De son côté, Yan Boucher, qui a écrit une thèse intitulée « Dynamique de la forêt du
Bas-St-Laurent depuis le début de l’exploitation forestière (1820-2000) », utilise d’abord la
définition issue de la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise: «Un
concept d’aménagement forestier ayant pour objectif de satisfaire un ensemble de valeurs et de
besoins humains en s’appuyant sur les processus et les fonctions de l’écosystème et en
maintenant son intégrité. » (Boucher 2008 : 1). Cette définition théorique sur l’aménagement
forestier écosystémique est aussi présentée de manière plus opérationnelle :
« L’AFÉ (aménagement forestier écosystémique) doit permettre de reproduire, par des
stratégies d’aménagement (échelle du paysage) et des traitements sylvicoles (échelle du
peuplement), les principales caractéristiques des écosystèmes retrouvés sous un régime de
perturbations naturelles (Harvey et al. 2002). Cette vision repose sur le fait que les organismes
ont évolué sous un régime de perturbations depuis des millénaires et que le maintien des
écosystèmes à l’intérieur de leurs limites de variabilité naturelle, sous un régime
d’aménagement forestier, est la meilleure assurance contre la perte de biodiversité (Landres et
al. 1999 ; Seymour et Hunter 1999; Lindenmayer et Franklin 2002). »
On remarque que l’humain est moins présent lorsqu’il s’agit d’opérationnaliser le concept. De
plus, l’aspect « naturel » des écosystèmes est un élément qui semble prédominant. De manière
générale, les diverses notions liées à l’aménagement écosystémique amènent plusieurs
questions. Est-ce que les humains font partie de la nature ? Est-ce que les activités humaines
sont nécessairement néfastes pour l’environnement ? Est-ce qu’il existe réellement des endroits
intouchés par les humains? Les avis sont partagés à ce sujet (voir Balée 2006 et Valée 2002).
Au Québec, le gouvernement utilise souvent la définition suivante pour parler
d’aménagement écosystémique :
39
L’aménagement écosystémique des forêts vise, par une approche écologique appliquée à
l’aménagement forestier, à assurer le maintien de la biodiversité et de la viabilité de l’ensemble
des écosystèmes forestiers tout en répondant à des besoins socio-économiques dans le respect
des valeurs sociales liées au milieu forestier (MRNF, 2006)
En 2010, le gouvernement a encadré la définition de l’aménagement écosystémique dans la Loi
sur l’aménagement durable du territoire forestier12 :
Un aménagement qui consiste à assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des
écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle (article 4.2)
Dans cette dernière définition, le caractère naturel de la forêt et des écosystèmes est mis de
l’avant, tandis que l’aspect humain est complètement évacué. Néanmoins, il y a plusieurs
considérations sociales dans le texte de cette loi (voir : L.R.Q. A-18.1). Que ce soit dans la
littérature au Québec, au Canada ou aux États-Unis, on remarque que certaines notions
concernant l’aménagement écosystémique sont redondantes. Peu importe où l’on se trouve, la
question de la place de l’humain dans la nature semble liée à l’aménagement écosystémique.
12
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/A_18_1/A18_1.ht
ml
Téléchargement