Les changements du diamètre pupillaire comme index des activités cognitives et émotionnelles. L. Sparrow – URECA - 2013 L’utilisation du diamètre pupillaire afin de mesurer les réponses physiologiques involontaires chez l’humain n’est pas nouvelle : Hess & Polt (1960) ont montré une dilatation d’environ 20%, par rapport au niveau de base, du diamètre pupillaire chez des spectateurs visionnant des images représentant un intérêt certain pour eux. Les nombreuses études qui ont suivies ont démontré que la réponse pupillaire pouvait être obtenue dans de nombreuses autres situations. Par exemple, lorsque qu’on augmente la longueur d’une liste de chiffres à rappeler à court terme, le diamètre pupillaire augmente aussi, ce qui confirme que cet indice est aussi sensible à la charge mnésique ou la charge cognitive. De manière générale, lorsqu’on doit se rappeler de quelque chose, lorsqu’on doit porter son attention, analyser une phrase compliquée, la pupille se dilate puis revient rapidement à son niveau de base (Beatty 1982, Beatty & Lucero-Wagoner 2000). Cette réaction, parfois appelée « réaction pupillaire dépendante de la tâche » ou « task-evoked pupillary response », est assez modérée (par rapport au reflexe lumineux), involontaire et associé de façon fiable à une large palette de processus cognitifs que l’on assimile au concept de « charge cognitive ». Il s'agit notamment de l'accès à la mémoire à court et à long terme, du calcul mental arithmétique, de la compréhension de phrases, de l’attention et de la perception visuelle et auditive. Selon Kahneman (1973), c’est l’aspect « intensif » de l’attention qui serait mesurée par ces modifications pupillaires, et non pas l’aspect « sélectif ». Just & Carpenter (1993) considèrent aussi que la réponse pupillaire est un indicateur de l’intensité des processus cognitifs. D’ailleurs, plus la tâche proposée au participant est difficile, plus la dilation pupillaire sera importante (Hess & Polt, 1964), et cette dilatation est maintenue jusqu’à ce que le participant trouve une solution (Bradshaw, 1968). La dilatation pupillaire peut aussi être un indicateur de la qualité de l’encodage mnésique : les stimuli ayant occasionné une plus large dilatation lors de l’encodage seront mieux rappelés (ou reconnus) ensuite (Võ et al., 2008 ; Papesh, Goldinger & Hout, 2012). De même, ces items occasionneront une dilatation plus importante lors de la reconnaissance, ce qui montre que la dilatation pupillaire est aussi liée à la qualité de la trace mnésique. Dans une tâche d’identification d’une cible visuelle présentée dans une image complexe, on constate une dilatation pupillaire lorsque le spectateur détecte la cible, même lorsque la tâche n’exige pas une réponse comportementale en cas de détection (Privitera et al., 2010, mais voir Hakerem and Sutton, 1966) ou lorsque le participant de reporte pas la détection alors qu’ils devaient le faire. La difficulté grammaticale génère aussi une dilatation pupillaire (Schluroff, 1982, 1986). Il est même possible de suivre en temps réel les effets de la complexité d’une phrase en suivant les évolutions du diamètre pupillaire (Ben-Nun, 1986). Le diamètre pupillaire est aussi très sensible aux stimuli émotionnels, qu’ils soient positifs ou négatifs (Partala & Surakka, 2003). La littérature scientifique contient une incroyable quantité d’études concernant l’influence de stimuli sexuels sur le diamètre pupillaire, chez les hommes et les femmes. La constriction constatée pour des stimuli à valence négative (Hess, 1965; Mudd, Conway, & Schindler, 1990) est controversée et pourrait être due à des problèmes méthodologiques. La majorité des études montrent plutôt que les stimuli émotionnels déclenchent une dilatation pupillaire indépendamment de sa valence (positive ou négative). Selon certaines théories psychologiques des émotions, 2 variables principales entrent en jeu : la valence émotionnelle (agréable, désagréable) et « l’arousal » (calme, excité). Les contributions relatives de ces 2 variables d’une part et de la charge cognitive d’autre part sur le diamètre pupillaire ne sont pas encore très bien connues. Janisse (1974) observe une relation curvilinéaire entre la valence émotionnelle et le diamètre pupillaire (dilatation élevée pour les stimuli à valence positive et négative, et faible pour les stimuli à valence neutre) et linéaire entre les variations pupillaires et l’arousal (la dilatation augmente progressivement au fur et à mesure que l’excitation augmente) mais valence et arousal n’ont pas été mesurés séparément dans cette étude ce qui a été réalisé plus tard par Partala and Surakka (2003). Ils ont montré, dans la modalité auditive, que la dilatation pupillaire est plus importante pour des stimuli à fort arousal et à valence positive ou négative, par rapport à des stimuli neutres. Entre ces 2 études, on trouve celle de Stanner et al. (1979) qui ont aussi cherché à différencier les influences respectives des facteurs émotionnels et cognitifs sur les modifications du diamètre pupillaire. Lorsque la charge cognitive est constante, les stimuli émotionnels (arousal en l’occurrence) n’ont pas d’influence sur la pupille. Ces stimuli occasionnent une dilatation uniquement lorsque la charge cognitive est au minimum. Une autre façon d’étudier séparément l’influence du contenu émotionnel des stimuli et la charge cognitive consiste à utiliser une tâche de décision lexicale avec des listes de mots de différentes valences émotionnelles et de haute ou de basse fréquence (Kuchinke et al. , 2007). Les mots de basse fréquence occasionnant une charge cognitive plus élevée. La valence émotionnelle des mots n’intervient pas sur le diamètre pupillaire dans cette expérience, on observe uniquement un effet de fréquence, c’est-à-dire, un effet de la charge cognitive. Dans une tâche de reconnaissance de mots, Võ et al. (2008) tentent aussi d’estimer la part respective de l’arousal, de la valence et de la charge cognitive sur les modifications du diamètre pupillaire. Malheureusement, la charge cognitive est simplement maintenue constante et la valeur en arousal des listes de mots est mal contrôlée. On observe néanmoins un effet old/new (signal/distracteur) car la pupille est plus dilatée pour les acceptations correctes (AC) par rapport aux rejets corrects (RC). Ce qui tendrait à montrer que les réponses de type AC nécessiteraient plus de ressources cognitives. De plus, l’effet old/new est significativement plus petit pour les mots à valence émotionnelle élevée, par rapport aux mots neutres mais il n’y a pas de différences entre les mots à valence positive et ceux à valence négative. Une possibilité est que les mots à valence émotionnelle élevée sont plus faciles à identifier, par conséquent, la charge cognitive serait moins élevée pour ces items. Il ressort de ces différentes études que la charge cognitive semble être le facteur le plus influent sur le diamètre pupillaire. Lorsque cette charge est faible, il devient alors possible de voir apparaitre les effets plus spécifiquement liés aux émotions, même s’il est très difficile encore de distinguer entre l’arousal et la valence du contenu émotionnel. Néanmoins, l’utilisation de la pupillométrie peut être très utile dès qu’il s’agira de tester et de comparer différentes versions de dispositifs ou d’appareils proposés au public. Par exemple, des représentations d'habitacles de voiture conçus de façon très inhabituelles et originales, par rapport à d'autres plus classiques, occasionnent aussi une augmentation du diamètre pupillaire, ce qui montre que les designs innovants demandent plus de ressources cognitives, ce qui évoque aussi un plus grand intérêt. La pupille est un sphincter, contrôlé par les systèmes autonomes, et qui permet de contrôler la quantité de lumière pénétrant dans l’œil. En présence de lumière, la pupille se referme immédiatement (réflexe lumineux). Mais ce reflexe peut aussi être modulé par la charge cognitive ou des stimuli émotionnels. La couleur aussi peut influencer le diamètre pupillaire, indépendamment du reflexe lumineux. Ben-Nun, Y. (1986). The use of pupillometry in the study of on-line verbal processing: Evidence for depths of processing. Brain and Language, 28(1), 1-11. Bradshaw J. L. (1968). "Pupil size and problem solving" Quarterly Journal of Experimental Psychology, Volume 20, Issue 2, 116-122. Beatty, J. (1982). Task-Evoked Pupillary Responses, Processing Load, and the Structure of Processing Resources. Psychological Bulletin. 91(2): p. 276-92. Beatty, J. And Lucero-Wagoner, B. Pupillary System. Chapter 6 in Cacioppo, J.T., Tassinary, L.G., And Berntson, G. Handbook of Psychophysiology. 2000. Cambridge University Press. Hakerem, G., & Sutton, S. (1966). Pupillary Response at Visual Threshold. Nature, 212 (5061). Hess, E.,H. & Polt, J. M. (1960). Pupil size as related to interest value of visual stimuli. Science, 132, 349-350. Hess (1965). Attitude and pupil size. Scientific American, 212, 46-54. Hess E. H., Polt J. H. (1964). "Pupil Size in Relation to Mental Activity During Simple Problem Solving". Science, 143, 1190-1192. Iqbal, S.T., Adamczyk, P.D., Zheng, X.S., And Bailey, B.P. (2005). Towards an index of opportunity: understanding changes in mental workload during task execution, in Proceedings of the SIGCHI conference on Human factors in computing systems. ACM: Portland, Oregon, USA. p. 311-320. Janisse, P. (1974). Pupil size, affect and exposure frequency. Social Behavior and Personality, 2(2), 125-146. Kahneman, D., 1973. Attention and effort. Prentice Hall, New York. Kuchinke, L., Vo, M. L.-H., Hofmann, M., & Jacobs, A. M. (2007). Pupillary responses during lexical decisions vary with word frequency but not emotional valence. International journal of psychophysiology, 65(2), 132-140. Mudd, S., Conway, C. G., & Schindler, D. E. (1990). The eye as music critic: Pupil response and verbal preferences. Studia Psychologica, 32(1-2), 23-30. Partala, T., & Surakka, V. (2003). Pupil size variation as an indication of affective processing. International Journal of Human-Computer Studies, 59(1–2), 185-198. Papesh, M. H., Goldinger, S. D., & Hout, M. C. (2012). Memory strength and specificity revealed by pupillometry. International Journal of Psychophysiology, 83(1), 56-64. Privitera, C. M., Renninger, L. W., Carney, T., Klein, S., & Aguilar, M. (2010). Pupil dilation during visual target detection. Journal of Vision, 10(10). Schluroff, M. (1982). Pupil responses to grammatical complexity of sentences. Brain and Language, 17(1), 133-145. Schluroff, M., Zimmermann, T. E., Freeman Jr., R. B., Hofmeister, K., Lorscheid, T., & Weber, A. (1986). Pupillary responses to syntactic ambiguity of sentences. Brain and Language, 27(2), 322-344. Siegle, G. J., Granholm, E., Ingram, R. E., & Matt, G. E. (2001). Pupillary and reaction time measures of sustained processing of negative information in depression. Biological psychiatry, 49(7), 624-636. Stanners, R. F., Coulter, M., Sweet, A. W., & Murphy, P. (1979). The pupillary response as an indicator of arousal and cognition. Motivation and Emotion, 3(4), 319-340. Võ,M.L., Jacobs, A.M., Kuchinke, L., Hofmann, M., Conrad,M., Schacht, A., Hutzler, F. (2008). The coupling of emotion and cognition in the eye: introducing the pupil old/new effect. Psychophysiology 45, 30–40.