Intégration, théorie de la mesure

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L3 MASS
Olivier ROBERT
Année 2012-2013
Intégration, théorie de la mesure
1
Généralités, rappels
1.1
Intégrale des fonctions continues sur un segment
Soit a, b ∈ R, a < b. On rappelle que toute fonction continue f : [a, b] →
R admet une primitive F sur [a, b], et que si G est une autre primitive sur
[a, b], alors la fonction F − G est constante.
Ainsi, la quantité F (b) − F (a) est indépendante de la primitive choisie
et on pose
Z b
f (x)dx := F (b) − F (a).
a
1.2
Intégrale des fonctions en escaliers
Soit a, b deux réels tels que a < b. On dit qu’une fonction ϕ : [a, b] → R
est en escalier s’il existe une subdivision σ = {x0 = a < x1 < x2 < · · · <
xn−1 < xn = b} et une suite finie de réels {λj }06j6n−1 tels que
ϕ(x) = λj pour tout x ∈]xj , xj+1 [
(0 6 j 6 n − 1).
Un telle subdivision σ est dite adaptée à ϕ. Cette subdivision n’est pas
unique : par exemple, en ajoutant des points à la subdivision, on obtient
encore une subdivision adaptée.
Proposition 1.1 L’ensemble Esc([a, b]) des fonctions en escalier sur [a, b]
est une sous-algèbre de l’algèbre B([a, b]) des fonctions bornées sur [a, b].
Proposition 1.2 Soit ϕ ∈ Esc([a, b]) et σ = {x0 = a < x1 < x2 < · · · <
xn−1 < xn = b} une subdivision adaptée, et {λj }06j6n−1 tels que
ϕ(x) = λj pour tout x ∈]xj , xj+1 [
(0 6 j 6 n − 1).
La quantité
n−1
X
λj (xj+1 − xj )
j=0
est indépendante de la subdivision adaptée choisie. On l’appelle intégrale de
ϕ sur [a, b] et on la note
Z b
ϕ(x)dx.
a
1
2
Intégrale de Riemann dans R
Définition 2.1 Soit f : [a, b] → R une fonction bornée. On dit que f est
Riemann intégrable si et seulement si
∀ε > 0
∃gε , Gε ∈ Esc([a, b]) : gε 6 f 6 Gε ,
Z b
a
Gε (x) − gε (x) dx 6 ε.
On note R([a, b]) l’espace des fonctions Riemann intégrables sur [a, b].
Proposition 2.2 Soit f ∈ R([a, b]). Alors les deux quantités
Z b
Z b
g(x)dx
sup
g6f
g∈Esc([a,b])
et
a
G(x)dx
inf
G>f
g∈Esc([a,b])
a
existent et sont égales. Leur valeur commune est appelée intégrale de Riemann de f sur [a, b] et on la note
Z b
f (x)dx.
a
Théorème 2.3 On a les résultat suivants :
1. L’espace R([a, b]) est une sous-algèbre de l’algèbre B([a, b]) des fonctions bornées sur [a, b].
2. L’application f 7→
Rb
a
f (t)dt est linéaire sur R([a, b]),
3. Si f ∈ R([a, b]) et f > 0, alors
Rb
a
f (t)dt > 0
4. Pour tout f ∈ R([a, b]), on a
Z
b
f (t)dt 6 (b − a)kf k∞
a
5. L’intégrale de Riemann satisfait à la relation de Chasles.
Théorème 2.4 Toute fonction continue sur [a, b] est Riemann intégrable
sur [a, b], et son intégrale coincide avec son intégrale usuelle. De manière
générale, toute fonction f : [a, b] → R admettant une limite à droite en a,
une limite à gauche en b, et une limite à droite et à gauche en tout x ∈]a, b[
est Riemann intégrable.
2
Remarque. Une fonction f : [a, b] → R admettant une limite à droite
en a, une limite à gauche en b, et une limite à droite et à gauche en tout
x ∈]a, b[ est appelée une fonction réglée sur [a, b].
- Un exemple de fonction Riemann intégrable qui n’est pas réglée : nous
avons vu que la fonction f : [0, 1] → R définie par f (x) = sin(1/x) pour
x 6= 0 et f (0) = 0 n’est pas réglée, mais nous allons montrer que cette
fonction est Riemann-intégrable.
- un exemple de fonction qui n’est pas Riemann intégrable : la fonction
indicatrice des rationnels sur [0, 1].
2.1
Changement de variables
Soient quatre réels a < b et α < β. Soit f ∈ R([a, b]) et ϕ : [α, β] → [a, b]
une bijection monotone de classe C 1 . On a
Z β
Z b
f (x)dx =
f ϕ(t) |ϕ0 (t)|dt.
α
a
t
u
3
Ensembles négligeables dans R
3.1
Définition des ensembles négligeables
Pour tout intervalle I de R, on note λ(I) sa longueur : λ ]a, b[ = b − a.
Définition 3.1 Soit E une partie de R. On dit que E est négligeable si pour
tout ε > 0 il existe une famille dénombrable (Ij )j∈J d’intervalles ouverts tels
que
[
E⊂
Ij
j∈J
et tels que
X
λ(Ij ) 6 ε.
j∈J
Proposition 3.2 Une union dénombrable d’ensembles négligeables de R est
négligeable.
t
u
Premiers exemples :
3
– Tout ensemble fini est négligeable. En effet si E = {x1 , x2 , . . . xk },
alors pour tout ε > 0
E⊂
k [
j=1
et
k
X
j=1
ε
ε
xj − , xj +
2k
2k
ε
ε 6 ε.
xj − , xj +
2k
2k
λ
– Tout ensemble dénombrable est négligeable. En effet, tout singleton
est négligeable, et tout union dénombrable d’ensembles négligeables
est négligeable.
Remarque 3.3 Il existe des parties de R qui sont négligeables, mais non
dénombrables.
Définition 3.4 Dans l’ensemble des nombres réels, si une propriété est
vraie sur R privé d’un ensemble négligeable, on dira que cette propriété est
vraie presque partout et on notera pp après cette propriété.
Exemple : la fonction
x 7→ f (x) := 1 si x ∈ Q et f (x) := 0 si x ∈ R r Q
est nulle sauf sur Q, qui est négligeable, donc on note
f (x) = 0
pp.
On dit aussi que f (x) est nul pour presque tout x.
La notion d’ensemble négligeable est une notion centrale dans la théorie
de l’intégration : cette notion va nous permettre dans un chapitre suivant
d’étendre la définition de l’intégrale à une classe plus vaste de fonctions.
3.2
Une caractérisation des fonctions Riemann-intégrables
Théorème 3.5 ( Lebesgue-Vitali) Soit f ∈ B([a, b]). Alors f est Riemannintégrable si et seulement si f est continue presque partout, i.e. , l’ensemble
de ses points de discontinuité est un ensemble négligeable.
t
u
Remarque. On retrouve plus facilement les exemples de fonctions considérées précédemment.
4
4
Intégrale de Riemann généralisée dans R
L’intégrale de Riemann intervient dans le cadre des fonctions bornées sur
un intervalle bornée. Nous cherchons ici à étendre par passage à la limite la
notion d’intégrale pour certaines fonctions non bornées, ou sur des intervalles
non bornés.
Définition 4.1 Soit I un intervalle d’intérieur non vide. Soit f : I → R
une fonction.
On dit que f est localement Riemann-intégrable sur I si f ∈
R [a, b] pour tout [a, b] ⊂ I.
Remarque. Si une fonction est localement bornée sur I et continue presque
partout, alors elle est localement intégrable sur I.
Définition 4.2 Soit f : [a, +∞[→ R une fonction localement Riemann intégrable sur [a, +∞[. On
dit que f possède une intégrale de Riemann généRb
ralisée sur [a, +∞[ si a f (t)dt
tend vers une limite finie lorsque b → +∞.
R
Cette limite est alors notée a+∞ f (t)dt.
De même, lorsque f est localement Riemann intégrable surR[a, b[, on dit que f
possède une intégrale de Riemann généralisée sur [a, b[ si ac f (t)dt tend vers
R
une limite finie lorsque c tend vers b. Cette limite est alors notée ab f (t)dt.
Définition 4.3 Soit f une fonction à valeurs réelles localement intégrable
sur ]a, b[. On dit que f possède Rune intégrale
généralisée si et seulement si
R
pour tout c ∈]a, b[ les intégrales ac f (t)dt cb f (t)dt convergent. Dans ce cas,
on pose
f (t)dt
f (t)dt +
f (t)dt =
a
Z b
Z c
Z b
c
a
qui est indépendant du point c choisi.
Cette définition se généralise aisément au cas des intervalles ]a, +∞[, ] −
∞, a[ et R.
Exemple. Étude de
Z +∞
−∞
dx
·
1 + x2
Remarque 4.4 Si f ∈ R([a, b]), alors |f | ∈ R([a, b]). Ainsi, si f est localement Riemann intégrable sur un intervalle I, il en est de même de |f |.
Définition 4.5 Soit f une fonction à valeurs
réelles localement intégrable
R
sur un intervalle I. On dit que l’intégrale I f (t)dt est absolument convergente si |f | possède une intégrale généralisée sur I.
5
Proposition 4.6 Soit f une fonction
à valeurs réelles localement intégrable
R
sur un intervalle I. Si l’intégrale I f (t)dt est absolument convergente, alors
elle est convergente, et
Z
Z
f (t)dt 6
|f (t)|dt.
I
I
La réciproque est fausse.
Contre-exemple : l’intégrale
Z +∞
sin t
t
0
dt
est convergente, mais cette intégrale n’est pas absolument convergente.
Proposition 4.7 Soit f : I → R et g : I → R+ localement intégrables sur
I. Si |f | 6 g et si g est intégrable sur I, alors f est absolument intégrable
sur I.
Exemple. Montrer que
Z +∞
sin x
x2
1
dx
converge.
5
5.1
Séries numériques, suites et séries de fonctions
Séries numériques
On rappelle, qu’étant donnée une suite (un )n>0 , la série
si, et seulement si, la quantité
N
X
P
n>0 un
converge
un
n=0
possède une limite finie que N → +∞. Dans ce cas, cette limite est aussi
P
notée n>0 un . Dans le cas contraire, on dit que la série est divergente.
P
On rappelle les propriétés classiques (en cours) : si les séries n>0 un
P
P
et n>0 vn convergent, alors pour tout λ, µ ∈ R, la série n>0 (λun + µvn )
P
P
converge et vaut λ n>0 un + µ n>0 vn .
P
P
On dit qu’une série n>0 un est absolument convergente si la série n>0 |un |
est convergente.
6
Proposition 5.1 Si la série
est convergente, et
P
n>0 un
est absolument convergente, alors elle
X
X |un |.
un 6
n>0
n>0
P
La réciproque est fausse : il existe des séries telles que n>0 un soit
P
convergente, et n>0 |un | soit divergente. Ces séries sont dites semi-convergentes.
Proposition 5.2 Soit (un )n>0 et (vn )n>0 deux suites telles que |un | 6 vn
P
à partir d’un certain rang. On suppose de plus que n>0 vn converge. Alors
P
la série n>0 un .
Remarque : la série
X 1
n>1
nα
converge si, et seulement si, α > 1.
Exemple de série semi-convergente. On a vu précédemment que la série
P
P
(−1)n−1
converge, alors que le résultat ci-dessus montre que n>1 n1
n>1
n
diverge.
Critère de Riemann : soit (un )n>0 une suite telle que nα un → 1 quand
P
n → +∞. Alors la série n>0 un converge si, et seulement si, α > 1.
P
Autre exemple de série : pour tout a tel que |a| < 1 la série n>0 an
1
converge et vaut 1−a
.
5.2
Suites de fonctions
Soit (fn )n>0 une suite de fonctions définies sur un intervalle I d’intérieur
non vide, et à valeurs réelles. On dit que la suite (fn )n>0 converge simplement
s’il existe une fonction f : I → R telle que l’on ait
lim fn (x) = f (x) pour tout x ∈ I.
n→+∞
On dit que la suite (fn )n>0 converge presque partout s’il existe une fonction f : I → R telle que l’on ait
lim fn (x) = f (x) pour presque tout x ∈ I.
n→+∞
Remarque. La convergence simple ne conserve que peu de propriétés (cf
cours)
Déf : série de fonctions.
7
6
Intégrale de Lebesgue
6.1
Motivations et définitions
6.1.1
Limitations de l’intégrale de Riemann
L’espace R([a, b]) n’est pas complet et une suite bornée (fn )n de R([a, b])
convergeant simplement, ne converge pas nécessairement vers une fonction
intégrable. L’exemple type est celui de la fonction indicatrice des rationnels
1Q sur [0, 1]. Par ailleurs, cette fonction est nulle presque partout, donc il est
légitime de vouloir construire une intégrale pour laquelle une telle fonction
serait intégrable et d’intégrale nulle.
L’esprit de l’intégrale de Lebesgue est maintenant de considérer des fonctions f telles que pour tout ε > 0 il existe des fonctions en escaliers g, G
telles que
g6f 6G
pp
et
Rb
a (G(x)
6.1.2
− g(x))dx 6 ε.
Fonctions en escalier à support compact
Essentiellement, l’intégrale de Riemann a été construite sur les intervalles
fermés bornés et les fonctions en escalier sur ces intervalles y jouaient un
rôle fondamental.
La construction d’intégrale que nous cherchons maintenant à réaliser va
maintenant se faire sur un intervalle I quelconque, mais toujours par le biais
de fonctions en escalier.
Définition 6.1 Étant donné un intervalle I, on dit qu’une fonction f :
I → R est en escalier à support compact, s’il existe [a, b] ⊂ I tel que f soit
en escalier sur [a, b] et nulle sur I r [a, b]. On note Esc0 (I) l’espace des
fonctions en escalier à support compact sur I.
Remarque. Si I = [a, b], on a Esc0 ([a, b]) = Esc([a, b]).
7
Construction de L1 (I)
Le lemme qui suit va permettre la construction de l’intégrale de Lebesgue.
8
Lemme 7.1 Soit (ϕn )n>0 une suite d’élément de Esc0 (I) telle que
XZ
|ϕn (x)|dx < +∞.
n>0 I
Alors la série
X
ϕn (x) converge pour presque tout x ∈ I. De plus, si (ψn )n>0
n>0
est une autre suite de Esc0 (I) telle que
XZ
|ψn (x)|dx < +∞.
n>0 I
et
X
n>0
alors
X
ψn (x) =
ϕn (x) pour presque tout x ∈ I,
n>0
XZ
ψn (x)dx =
XZ
ϕn (x)dx.
n>0 I
n>0 I
Définition 7.2 Soit I un intervalle réel. On note L1 (I) l’ensemble des fonctions f pour lesquelles il existe une suite (ϕn )n de Esc0 (I) telle que
XZ
|ϕn (x)|dx < +∞
n>0 I
et
f (x) =
X
ϕn (x) pour presque tout x ∈ I.
n>0
Pour f ∈ L1 (I), on définit l’intégrale de f sur I par la formule
Z
f (x)dx :=
I
XZ
ϕn (x)dx.
n>0 I
Remarque. D’après le lemme précédent, cette définition est intrinsèque
et ne dépend pas de la suite (ϕn )n choisie.
Cette définition permet déjà d’intégrer des fonctions qui n’étaient pas
intégrables au sens de Riemann. Par exemple, nous allons montrer que 1Q
est dans L1 (R). En effet, posons ϕn := 0 pour tout n. Chaque ϕn est dans
Esc0 (R).
Cette nouvelle définition fournit déjà une généralisation de l’intégrale de
Riemann sur une intervalle [a, b].
9
Théorème 7.3 Soit [a, b] un intervalle fermé borné. Alors R([a, b]) ⊂ L1 ([a, b])
et l’intégrale de toute fonction de R([a, b]) est égale à son intégrale de Lebesgue.
t
u
8
Propriétés fondamentales de l’intégrale de Lebesgue
Théorème 8.1R L’espace L1 (I) est un R-espace vectoriel sur lequel l’application f 7→ I f (x)dx est une forme linéaire positive. De plus, il suffit
qu’une
fonction f ∈ L1 (I) soit positive presque partout pour que l’on ait
R
I f (x)dx > 0.
Définition 8.2 Une fonction f : I → R est dite négligeable si l’on a f = 0
pp.
Théorème 8.3
Toute fonction négligeable sur un intervalle I est dans L1 (I)
R
et satisfait à I f (x)dx = 0.
Théorème 8.4 Si f, g ∈ L1 (I), alors max(f, g) et min(f, g) sont également
dans L1 (I). En particulier, pour toute fonction f ∈ L1 (I), on a |f | ∈ L1 (I),
et
Z
Z
f (x)dx 6
|f (x)|dx.
I
I
t
u
Théorème 8.5 Pour toute fonction f ∈ L1 (I), il existe une suite (ϕn )n de
Esc0 (I) telle que
Z
|f (x) − ϕn (x)|dx → 0
(n → +∞).
I
Théorème 8.6 (Invariance par translation) Soit f ∈ L1 (R). Alors pour
tout y ∈ R, la fonction x 7→ f (x + y) est dans L1 (R) et
Z
Z
f (x + y)dx =
R
f (x)dx.
R
Théorème
8.7 Soit f ∈ L1 (I). Pour tout a ∈ I, la fonction F : x →
7
Rx
a f (t)dt est une fonction continue de x sur I. De plus, en tout point de
continuité de f , la fonction F est dérivable et l’on a F 0 (x) = f (x).
10
9
Convergence monotone
Théorème 9.1 Soit (fn )n une suite croissante de L1 (I) telle que
Z
fn (x)dx < +∞.
sup
n>1 I
Alors il existe une fonction f ∈ L1 (I) telle que fn → f pp et
Z
Z
fn (x)dx =
lim
n→+∞ I
Corollaire 9.2 Soit
P
n fn
f (x)dx.
I
une série de fonctions de L1 (I) telle que
XZ
|fn (x)|dx < +∞
I
n
Alors il existe une fonction f ∈ L1 (I) telle que
X
fn (x) = f (x)
pp
n
et
Z
XZ
n
f (x)dx.
fn (x)dx =
I
I
Corollaire 9.3 Soit (fn )n une suite monotone de L1 (I) convergeant pp vers
une fonction f ∈ L1 (I). Alors on a
Z
Z
lim
n→+∞ I
f (x)dx.
fn (x)dx =
I
Corollaire
9.4 Soit f : I → R. Alors f = 0 pp si et seulement si f ∈ L1 (I)
R
et I |f (x)|dx = 0.
Corollaire 9.5 Soit f une fonction possédant une intégrale de Riemann
généralisée absolument convergente sur I. Alors f ∈ L1 (I) et son intégrale
de Lebesgue est égale à son intégrale de Riemann généralisée.
t
u
Remarque. À la lumière de ces derniers résultats, il est clair que la notion
d’intégrale semi-convergente qui intervenait dans les intégrales de Riemann
généralisées ne se produit pas pour l’intégrale de Lebesgue : en effet, on
vient de montrer que si f ∈ L1 (I), alors nécessairement |f | ∈ L1 (I).R ainsi, la
fonction t 7→ sint t n’appartient pas à L1 ([0, +∞[) alors même que 0A sint t dt
admet une limite finie quand A → +∞.
11
Théorème 9.6 (Changement de variables) Soit ϕ : J → I une bijection monotone de classe C 1 . Alors pour tout f ∈ L1 (I), on a
Z
Z
f ϕ(y) |ϕ0 (y)|dy.
f (x)dx =
I
10
J
Le théorème de convergence dominée
Théorème 10.1 (Convergence dominée, Lebesgue) Soient (fn )n une
suite de L1 (I) convergeant pp vers une fonction f : I → R. On suppose qu’il
existe une fonction fixe g ∈ L1 (I) telle que |fn | 6 g pp pour chaque entier
n. Alors f ∈ L1 (I) et
Z
Z
f (x)dx = lim
n→+∞ I
I
fn (x)dx.
Attention, si la convergence n’est pas dominée, le résultat peut être faux.
Exemple : fn (x) = n2 e−nx sur [0 + ∞[.
Théorème 10.2 Soient (fn )n une suite de L1 (I) convergeant pp vers une
fonction f : I → R. On suppose qu’il existe g ∈ L1 (I) telle que |f | 6 g pp.
Alors f ∈ L1 (I).
Le théorème convergence dominée permet également de contrôler les intégrales dépendant d’un paramètre.
Théorème 10.3 (Passage à la limite sous le signe somme) soit T ⊂
Rd et (ft )t∈T une famille de fonctions de L1 (I) vérifiant les conditions suivantes pour un élément t0 ∈ T .
(i)
(ii)
∃g ∈ L1 (I) : |ft (x)| 6 g(x) pour presque tout x
(∀t ∈ T )
lim ft (x) = f (x) pour presque tout x.
t→t0
Alors f ∈ L1 (I) et
Z
Z
f (x)dx = lim
I
t→t0 I
ft (x)dx.
Théorème 10.4 (Dérivation sous le signe somme) Soit J un intervalle
ouvert de R et f : I × J → R une fonction de deux variables telle que :
(i)
(ii)
(iii)
Pour tout t ∈ J, la fonction x 7→ f (x, t) est dans L1 (I)
La fonction t 7→ f (x, t) est dérivable sur J pour presque tout x
∂f
1
Il existe g ∈ L (I) telle que sup (x, t) 6 g(x) pour presque tout x.
t∈J ∂t
12
R
Alors, la fonction définie sur J par F (t) = I f (x, t)dx est dérivable sur J
et
Z
∂f
F 0 (t) =
(x, t)dx.
I ∂t
11
L’espace L1 (I)
On a vu qu’étant donnée une fonction f : I → R, son appartenance à
L1 (I) n’est pas modifiée si l’on ajoute à f une fonction négligeable. Ceci
suggère de quotienter l’espace L1 (I) par le sous-espace des fonctions nulles
presque partout. Autrement dit, étant donné deux fonctions f, g ∈ L1 (I),
on dira que f est en relation avec g si et seulement si f − g = 0 pp. Il s’agit
bien d’une relation d’équivalence (i.e. réflexive, symétrique et transitive) et
on note L1 (I) l’espace quotient.
Si on note f la classe de f dans L1 (I), alors on définit une addition en
posant
f + g := f + g
et
λ · f := λf ,
ce qui confère une structure d’espace vectoriel à L1 (I). Dans la suite, par
abus de langage, la classe de f est encore notée f .
Théorème 11.1
L’espace L1 (I) est un R-espace vectoriel et l’application
R
f 7→ kf k1 := I |f (x)|dx est une norme sur cet espace. Cette norme est
appelée norme de la convergence en moyenne.
Théorème 11.2 L’espace L1 (I) muni de la norme de la convergence en
moyenne est une espace vectoriel normé complet, i.e. toute suite de Cauchy
est convergente.
Théorème 11.3 Le sous-espace de L1 (I) constitué des classes des éléments
de Esc0 (I) est dense dans L1 (I).
12
Fonctions Lebesgues-mesurables, ensembles mesurables
Définition 12.1 Une fonction f : I → R est dite mesurable s’il existe une
suite (ϕn )n de Esc0 (I) convergeant presque partout vers f . On désigne par
M(I) l’espace des fonctions mesurables sur I.
13
Définition 12.2 On dit qu’une partie A de R est mesurable si et seulement
si 1A est dans M(R).
Remarque 12.3 Toute fonction f ∈ L1 (I) est dans M(I), mais la réciproque est fausse. En effet, la fonction constante égale à 1 est mesurable sur
R mais elle n’est pas intégrable sur R. De même, la fonction x 7→ 1/x est
mesurable sur ]0, 1] mais elle n’est pas intégrable sur cet intervalle.
Théorème 12.4 Si f, g ∈ M(I), alors f + g, f g, |f |, min(f, g) et max(f, g)
sont également dans M(I). De plus, f ∈ M(I) et f 6= 0 pp, alors toute
fonction égale à 1/f presque partout est dans M(I).
Théorème 12.5 Si f ∈ M(I) et s’il existe g ∈ L1 (I) telle que |f | 6 g pp,
alors f ∈ L1 (I).
Le résultat qui suit montre que M(I) est un espace stable par limite
simple.
Théorème 12.6 Soit f : I → R une fonction qui est limite presque partout
d’une suite de M(I). Alors f ∈ M(I).
Définition 12.7 On appelle mesure de Lebesgue d’une partie mesurable A
de R le nombre λ(A) ∈ R = R ∪ {∞} défini par
(R
λ(A) :=
I
si 1A ∈ L1 (I)
dans le cas contraire
1A (x)dx
∞
Théorème 12.8 Une partie N de R est négligeable si et seulement si elle
est mesurable et de mesure λ(N ) = 0.
Donnons ci-dessous quelques propriétés essentielles de la mesure de Lebesgue sur l’ensemble des parties mesurables de R.
Théorème 12.9 Si A et B sont des parties mesurables, alors il en va de
même de A ∪ B, A ∩ B et A r B. Pour toute famille dénombrable {Aj }j∈J
de parties mesurables de R, l’intersection ∩j∈J Aj et la réunion ∪j∈J Aj sont
mesurables. De plus, la mesure de Lebesgue est dénombrablement additive,
i.e. si les Aj sont deux à deux disjoints, alors
λ (∪j∈J Aj ) =
X
j∈J
14
λ(Aj ).
Remarque. On peut construire des parties E de R qui ne sont pas mesurables : les constructions classiques utilisent l’axiome du choix.
Théorème 12.10 (Caractérisation de Lebesgue des fonctions mesurables)
Soit f : I → R. Alors f ∈ M(I) si et seulement si les ensembles
f −1 ] − ∞, a] ,
f −1 ] − ∞, a[ ,
f −1 [a, +∞[ ,
f −1 ]a, +∞[
sont mesurables pour tout a ∈ R. De plus, la mesurabilité des ensembles de
l’un des quatre type implique celle des trois autres.
On peut maintenant donner une autre formulation de l’intégrabilité au
sens de Lebesgue. Considérons une fonction mesurable f > 0 et posons
En = I ∩ [−n, n] ∩ f −1 ([0, n])
Alors En est intégrable puisque mesurable et majoré par l’ensemble intégrable [−n, n]. De plus
fn = f 1En tend en croissant vers f . La suite croisR
sante des intégrales I fn (x)dx est donc bornée si et seulementR f est intégrable. Il est donc cohérent d’étendre la définition du symbole I f (x)dx en
posant
Z
I
f (x)dx = ∞ si f > 0 et f ∈ M(I) r L1 (I).
Cette notation permet maintenant qu’une fonction f est dans L1 (I) si
et seulement si f est mesurable et
Z
|f (x)|dx < ∞.
I
15
13
Intégrale de Lebesgue dans R2
0.1
Fonctions en escalier dans R2
Soit P = [a, b] × [c, d] un pavé de R2 . On définit la mesure P par la
formule
λ(P ) = (b − a)(d − c),
qui n’est autre que l’aire du rectangle correspondant.
Définition 0.1 Soit P = [a, b]×[c, d] un pavé de R2 . On dit qu’une fonction
ϕ : P → R bornée est en escalier s’il existe une subdivision σ1 = {x0 = a <
x1 < · · · < xm = b} de [a, b], une subdivision σ2 = {y0 = c < y1 < · · · <
yn = d} de [c, d] et des réels zi,j , (0 6 i 6 m − 1, 0 6 j 6 n − 1) tels que
ϕ(x, y) = zi,j pour tout (x, y) ∈]xi , xi+1 [×]yj , yj+1 [
pour tout i ∈ {0, . . . , m − 1} et tout j ∈ {0, . . . , n − 1}.
On note Esc(P ) l’espace des fonctions en escalier sur P .
Définition 0.2 Avec les notations précédentes, si ϕ ∈ Esc(P ), on pose
Z
ϕ(x, y)dxdy :=
P
m−1
X n−1
X
zi,j λ(Pi,j ) =
m−1
X n−1
X
i=0 j=0
zi,j (xi+1 − xi )(yj+1 − yj )
i=0 j=0
et on vérifie que cette quantité est indépendante de la subdivision σ = σ1 ×σ2
de P choisie.
0.2
Ensemble négligeables de R2
Pour tout pavé I de R2 , on rappelle que λ(I) est sa mesure : λ ]a, b[×]c, d[ =
(b − a)(d − c).
Définition 0.3 Soit E une partie de R2 . On dit que E est négligeable si
pour tout ε > 0 il existe une famille dénombrable (Ij )j∈J d’e pavés ouverts
tels que
[
E⊂
Ij
j∈J
et tels que
X
λ(Ij ) 6 ε.
j∈J
16
Proposition 0.4 Une union dénombrable d’ensembles négligeables de R2
est négligeable.
Démonstration : Même démonstration que dans le cas de la dimension 1.
Exemples d’ensembles négligeables : les unions dénombrables de points
sont négligeables, les segments sont négligeables, les unions dénombrables
de segments sont négligeables.
0.3
Intégrale de Lebesgue dans R2
La construction précédente de l’intégrale de Lebesgue sur R est en fait
valable presque sans changement sur Rd . considérons le cas de R2 . Étant
donné un pavé P = I × J (borné ou non), on introduit l’ensemble Esc0 (P )
des fonctions en escalier à support compact sur P sur lequel l’intégrale est
définie de manière évidente.
On construit alors l’ensemble L+ (P ) des fonctions qui sont limites presque
partout d’une suite croissante de fonctions de Esc0 (P ) dont la suite des intégrales est bornée. Les lemmes A et B peuvent être démontrés sans changement, ce qui permet de définir l’intégrale sur L+ (P ) puis sur L1 (P ).
Les théorèmes de convergence monotone et de convergence dominée restent valables tels quels, ainsi que la définition des fonctions et ensembles
mesurables.
La caractérisation de Lebesgue des fonctions mesurables est identique :
la fonctions f : P → R est mesurable si et seulement si pour tout a ∈ R les
ensembles
f −1 ] − ∞, a] ,
f −1 ] − ∞, a[ ,
f −1 [a, +∞[ ,
f −1 ]a, +∞[
sont mesurables.
Le résultat suivant permet de relier l’intégrale double à l’intégrale simple.
Théorème 0.5 (Fubini) Soient RI, J des intervalles de R et f ∈ L1 (I × J).
Alors l’application partielle x 7→ I f (x, y)dx est dans L1 (I) pour presque
tout y. Si l’on note B ⊂ J l’ensemble des y ayant cette propriété, l’ensemble
J r B est donc négligeable et l’application
(R
F : y 7→ F (y) :=
I
f (x, y)dx
0
17
si y ∈ B
si y ∈ J r B
est dans L1 (J). Les assertions symétriques obtenues en inversant les rôles
de x et y sont valables, et avec les conventions précédentes, on a
Z Z
Z
f (x, y)dxdy =
I×J
Z Z
f (x, y)dx dy =
J
I
f (x, y)dy dx.
I
J
t
u
La démonstration repose sur le lemme suivant qui relie la notion d’ensemble négligeable sur R et sur R2 .
Lemme 0.6 Soit N un ensemble négligeable de R2 . Alors les sections
N x := {y ∈ R : (x, y) ∈ N }
sont négligeables pour presque tout x.
t
u
Voici maintenant un corollaire du Théorème de Fubini
Corollaire 0.7 Une condition nécessaire et suffisante pour qu’une fonction
f : I × J → R soit intégrable est que f soit mesurable et que l’on ait
Z Z
J
Z Z
|f (x, y)|dx dy < ∞
ou
I
I
|f (x, y)|dy dx < ∞.
J
t
u
Théorème 0.8 Soient U et V des ouverts de R2 et Φ : U → V un C 1 difféomorphisme de U sur V . Pour que f : U → R soit intégrable sur U , il
faut et il suffit que f ◦ Φ soit intégrable sur V et l’on a dans ce cas
Z
Z
V
f ◦ Φ(u, v)detJΦ (u, v)dudv
f (x, y)dxdy =
U
avec
JΦ (u, v) =
∂Φ1
∂u (u, v)
∂Φ2
∂u (u, v)
∂Φ1
∂v (u, v)
∂Φ2
∂v (u, v)
!
.
t
u
18
1
Rappel sur les séries numériques
Soit (un )n>0 une suite réelle ou complexe. On dit que la série
converge si la quantité
SN :=
N
X
P+∞
n=0 un
un
n=0
admet une limite finie quand n → +∞. Dans le cas contraire, on dit que
la série diverge. Dans le cas où la série converge, sa valeur est aussi notée
P+∞
n=0 un .
+∞
Propriétés. si les séries +∞
n=0 un et
n=0 vn convergent, alors pour tout
P+∞
α, β ∈ R, la série n=0 αun + βvn converge et
P
+∞
X
P
αun + βvn = α
n=0
+∞
X
un + β
n=0
+∞
X
vn .
n=0
Un lemme de comparaison :
1. Soit α > 0 et C > 0 deux réels. Soit (un )n>0 une suite telle que
|un | 66
C
pour tout n > 1.
nα
Si de plus α > 1, alors la série
P+∞
n=0 un
converge.
2. Soit a ∈ [0, 1[ et C > 0. Soit (vn )n>0 une suite telle que
|vn | 6 C an pour tout n > 0.
Alors la série
P+∞
n=0 vn
converge.
3. Si a ∈ C est tel que |a| < 1, alors la série
∞
X
an =
n=0
19
P∞
1
.
1−a
n=0 a
n
converge et
2
Liste des notions et résultats à connaître et savoir utiliser
Intégrale de Lebesgue dans R :
–
–
–
–
–
–
–
–
Fonctions en escalier sur [a, b].
Fonctions en escalier à support compact sur I.
Ensembles négligeable, notion de propriété vraie presque partout.
Cas particulier important : les ensembles dénombrables sont négligeables.
Fonctions mesurables (au sens de Lebesgue). Rappel : il s’agit des
fonctions qui sont limite presque partout d’une suite de fonctions en
escalier à support compact.
Propriété : si (fn )n>0 est une suite de fonctions mesurables (au sens
de Lebesgue) et si limn→+∞ fn (x) = f (x) pp, alors f est mesurable
(au sens de Lebesgue).
Exemple classique : si f est continue presque partout, alors f est mesurable (au sens de Lebesgue).
Pour vérifier qu’une fonction f est dans L1 (I) il suffit de vérifier que
f est mesurable et que
Z
|f (x)|dx < +∞.
I
En particulier, si f est mesurable et si g ∈ L1 (I) est telle que |f (x)| 6
g(x) pp, alors f est dans L1 (I). Ce dernier point est le Théorème 9-2.
– Un ensemble A est mesurable au sens de Lebesgue si 1A est une fonction mesurable et sa mesure de Lebesgue vaut
Z
λ(A) :=
1A (x)dx.
R
– Les ouverts et fermés de R et les ensembles négligeables sont en particulier des parties mesurables au sens de Lebesgue.
– Corollaire 8-2
– Corollaire 8-4
– Théorème 8-6 (changement de variables)
– Théorème 9-1, Théorème 9-3, Théorème 9-4.
20
Intégrale de Lebesgue dans R2 :
–
–
–
–
–
–
–
–
Fonctions en escalier sur [a, b] × [c, d].
Fonctions en escalier à support compact sur I × J.
Ensembles négligeable, notion de propriété vraie presque partout.
Cas particulier important : les ensembles dénombrables sont négligeables, les réunions dénombrables de segments sont négligeables.
Fonctions mesurables (au sens de Lebesgue). Rappel : il s’agit des
fonctions qui sont limite presque partout d’une suite de fonctions en
escalier à support compact.
Propriété : si (fn )n>0 est une suite de fonctions mesurables (au sens
de Lebesgue) et si limn→+∞ fn (x) = f (x) pp, alors f est mesurable
(au sens de Lebesgue).
Exemple classique : si f est continue presque partout, alors f est mesurable (au sens de Lebesgue).
Pour vérifier qu’une fonction f est dans L1 (I × J) il suffit de vérifier
que f est mesurable et que
Z Z
J
Z Z
|f (x, y)|dx dy < ∞
|f (x, y)|dy dx < ∞.
ou
I
I
J
cf Corollaire 0-7. Dans ce cas
Z Z
Z
Z Z
f (x, y)dx dy =
f (x, y)dxdy =
I×J
J
I
I
f (x, y)dy dx < ∞.
J
– Un ensemble A est mesurable au sens de Lebesgue si 1A est une fonction mesurable et sa mesure de Lebesgue vaut
Z
λ(A) :=
1A (x)dx.
R
– Les ouverts et fermés de R et les ensembles négligeables sont en particulier des parties mesurables au sens de Lebesgue.
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