IMAGES NATURELLES Un édredon dans l’estomac par Daniel MAGNIN Manger du poisson à longueur de journée sans enlever les arêtes, c’est à la fois dangereux et lourd à digérer. Les grèbes ont trouvé la parade : construire un barrage en plumes ! Les bonnes habitudes alimentaires s’inculquent dès le plus jeune âge. Sur un étang du Val de Saône, en juin. C’est une toute petite plume, préalablement trempée dans l’eau, que ce poussin de Grèbe huppé reçoit en guise de cadeau de naissance. Et qu’il va s’empresser d’avaler, comme toutes celles qui suivront, sans faire d’histoires. Un régime spécial premier âge ? Non, c’est durant sa vie entière que tout grèbe qui se respecte – qu’il soit huppé, castagneux, à cou noir ou que sais-je encore… – conserve cette drôle de manie d’ingurgiter régulièrement des plumes. Il récupère celles qui se détachent pendant la toilette ou qu’il découvre flottant sur l’eau, perdues par d’autres oiseaux. Au besoin, il les arrache volontairement de son corps, recouvert d’un duvet très dense. Une marotte élevée au rang d’exclusivité mondiale : cette famille d’oiseaux est en effet la seule à se comporter ainsi. Mais pourquoi diable manger des plumes ? En s’accumulant dans l’estomac et en se décomposant progressivement sous l’action des sucs digestifs, les plumes forment une sorte de boule spongieuse – pouvant occuper Rev. sci. Bourgogne-Nature - 16-2012 jusqu’à la moitié de l’estomac – dans laquelle viennent s’échouer les poissons dont les grèbes font grande consommation. Si la chair de leurs proies a tôt fait d’être réduite en bouillie par les puissants acides, les arêtes résistent beaucoup plus longtemps. Empêchées de poursuivre leur chemin par un deuxième barrage de plumes, très serré et situé à l’entrée de l’intestin, les voilà donc condamnées à séjourner longuement dans cette boule spongieuse où elles se font progressivement dissoudre. Par ailleurs, de temps à autre, les grèbes régurgitent une partie de cette boule, arêtes et autres éléments indigestes compris. Entasser des plumes dans leur estomac, voilà donc la solution adoptée par les grèbes pour régler le problème des arêtes. Ce faisant, ils protègent leur appareil digestif d’éventuels dommages et donnent aux éléments les plus indigestes le temps d’être davantage assimilés. Pour en savoir plus : La Hulotte no72 53