DP 8111 / ATHÈNES. CITOYENNETÉ ET DÉMOCRATIE AU Ve SIÈCLE AVANT J.-C. ATHÈNES. CITOYENNETÉ ET DÉMOCRATIE AU Ve SIÈCLE AVANT J.-C. / DP 8111 MYTHES ET POLITIQUE À ATHÈNES Le héros fondateur de la communauté : Thésée À l’époque archaïque, Thésée s’identifie au vainqueur du Minotaure sur l’île de Crète. L’Odyssée (composée au viiie siècle avant J.-C.) évoque déjà cette lutte, représentée sur de nombreux vases dès le viie siècle avant J.-C. (et encore sur le médaillon de la coupe du Peintre de Kodros au ve siècle avant J.-C.). On connaît l’histoire : vaincus par Minos, le roi de Crète, les Athéniens ont l’obligation de lui verser tous les neuf ans un tribut constitué de sept jeunes garçons et de sept jeunes filles, offerts au Minotaure – le taureau de Minos –, monstre hybride qui les dévore au fond du labyrinthe dans lequel il est enfermé. Alors qu’il vient à peine d’être reconnu par son père, Égée, le roi d’Athènes, Thésée décide d’intégrer le groupe des jeunes otages promis à la mort. Arrivé en Crète, il parvient à triompher du monstre avec l’aide de la fille de Minos, Ariane, qu’il séduit : grâce au fameux “fil d’Ariane”, il peut sortir du dédale inextricable où se trouvait tapi le monstre et rentrer dans sa patrie. Dans ce premier état du mythe, Thésée apparaît surtout en protecteur des jeunes gens, aidant à leur mûrissement et à leur passage à l’âge adulte. À la fin du vie siècle avant J.-C., cette légende connaît une brutale évolution. Plutôt qu’en héros de l’initiation, Thésée est désormais célébré en roi fondateur de la cité d’Athènes. Les auteurs anciens s’intéressent désormais surtout à la période qui suit son retour de Crète, lorsqu’il monte sur le trône, à la suite du suicide d’Égée qui avait cru, à tort, que son fils avait péri dans l’aventure. C’est là que commence son œuvre politique : selon l’opinion commune, relayée par l’historien Thucydide, Thésée aurait créé d’un seul coup un prytanée (édifice 54 documentation photographique public pour les magistrats) et un Conseil commun (bouleuterion) à tous les habitants de l’Attique, donnant naissance à la communauté politique – ce que les Grecs appellent le synoecisme. Peu importe que les historiens actuels remettent en cause cette version héroïque et soulignent que l’unification politique d’Athènes fut le résultat, non de l’action démiurgique d’un seul homme, mais d’un lent processus historique qui ne s’acheva véritablement qu’à la fin de l’époque archaïque. Les Athéniens de l’époque classique invoquaient l’action de Thésée pour conférer un surcroît de légitimité à l’unité politique relativement récente de leur territoire. De nouveaux épisodes apparaissent à la même époque dans le cycle héroïque, se focalisant cette fois sur les exploits de Thésée avant même son départ en Crète. Les peintres s’intéressent en particulier au trajet qui mène le héros de Trézène, sa cité maternelle, à Athènes, la patrie de son père. Sur ce chemin semé d’embûches, Thésée terrasse de nombreux brigands et autres bêtes féroces en leur faisant subir le sort qu’ils réservaient à leurs victimes, autant d’exploits représentés sur la coupe de Kodros : il commence par tuer Sinis, le sinistre écarteleur sévissant sur l’Isthme de Corinthe, puis il terrasse la laie de Cromyon, à l’ouest de Mégare ; c’est ensuite au tour de Sciron qui, non loin de là, précipitait les passants dans la mer, après les avoir forcés à lui laver les pieds. Les exploits de Thésée se poursuivent à Éleusis – situé aux confins du territoire athénien –, où il abat un autre brigand, Cercyon, ainsi que le terrible Procuste, qui contraignait les étrangers à s’allonger sur un lit puis coupait tout ce qui dépassait. Enfin, il triomphe du taureau de Marathon, également aux marges de l’Attique. Si ce trajet a pour fonction de démontrer l’aptitude de Thésée à exercer la fonction royale, le cheminement du héros reflète aussi les préoccupations territoriales d’Athènes à la fin du vie siècle avant J.-C., lorsque cette séquence est, sinon inventée de toute pièce, du moins réélaborée. La localisation géographique de ces différents exploits est en effet significative : ils se déroulent le long du golfe saronique, entre l’Isthme de Corinthe et Athènes, une zone sur laquelle la cité avait des prétentions territoriales au cours de l’époque classique. Toutefois, la figure de Thésée ne fut pas utilisée seulement pour légitimer les ambitions terrestres de la cité ; elle permit de justifier la domination maritime d’Athènes sur le monde égéen. Après 470 avant J.-C., le héros ne fut plus seulement présenté comme le fils d’Égée, mais aussi comme celui du dieu Poséidon ! Cette prestigieuse généalogie était évoquée dans le sanctuaire de Thésée, érigé après le rapatriement des ossements du héros sur l’Agora en 475. On pouvait en effet y voir de célèbres peintures exécutées par Micon, dont l’une représentait le plongeon de Thésée dans la demeure marine de son père divin, qui le reconnaît comme son fils. Si cette peinture est perdue, la scène est représentée sur une coupe attique peinte par Onésimos (au début du ve siècle), montrant Thésée accueilli par Amphitrite – la femme de Poséidon –, sous la garde d’Athéna. À l’issue de cette ultime inflexion du mythe, le héros prend une nouvelle dimension : étroitement associé au territoire d’Athènes – qu’il a purifié de ses monstres et unifié politiquement –, il devient, en tant que fils de Poséidon, le garant de la thalassocratie athénienne sur le monde égéen. /// LES EXPLOITS DE THÉSÉE EN ATTIQUE KYLIX À FIGURES ROUGES DU PEINTRE DE KODROS, 440-430 AVANT J.-C., CÉRAMIQUE, D. 33 CM, LONDRES, BRITISH MUSEUM, N° D’INVENTAIRE E 84 © British Museum THÉSÉE ACCUEILLI PAR AMPHITRITE COUPE À FIGURES ROUGES PEINTE PAR ONÉSIMOS, 500-490 AVANT J.-C., CÉRAMIQUE, D. 40 CM, PARIS, MUSÉE DU LOUVRE, N° D’INVENTAIRE G104 © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)/Les frères Chuzeville LE PARCOURS DE THÉSÉE DE TRÉZÈNE À ATHÈNES Golfe de Corinthe MÉGARIDE Cromyon Éleusis Mégare Athènes Kakia Skala Corinthe ATTIQUE Golfe Saronique Épidaure Mer Égée ARGOLIDE Trézène Golfe d’Argos N Parcours de Thésée 0 20 km Réalisation : Documentation photographique, Dila, Paris, 2016. 0 100 k 55 Imbros documentation photographique