L’AMÉNAGEMENT ÉCOSYSTÉMIQUE des forêts au Québec QUESTIONS ET PISTES DE RÉFLEXION autour de la prise en compte des enjeux sociaux DELPHINE THÉBERGE, M. A. (anthropologie) Chargée de projet à la Société d’histoire forestière du Québec L'aménagement écosystémique des forêts au Québec: questions et pistes de réflexion autour de la prise en compte des enjeux sociaux Rédaction : Delphine Théberge, M.A., anthropologie, chargée de projet à la SHFQ Révision scientifique: Martin Hébert, Ph.D., professeur au département d’anthropologie de l’Université Laval et vice-président de la SHFQ Professeurs impliqués dans le projet : -Louis Guay -Stephen Wyatt -Martin Hébert -Caroline Desbiens Révision linguisitique : François Rouleau, directeur général de la SHFQ Page ouverture : ImagineMJ Remerciements : Nous tenons à remercier sincèrement tous ceux qui ont contribué au projet. En commançant par les participants à l’atelier, soit M. Yan Boucher, M. Luc Bouthillier, Mme Émilie Gros-Louis, M. Jean-Pierre Jetté et M. Daniel Kneeshaw. Merci aussi à Patrick Blanchet, Maude Flamand-Hubert et Benjamin Perron pour leurs commentaires judicieux. Financement de l’ensemble du projet : Institut EDS et Société d’histoire forestière du Québec ©2014 3 Table des matières Introduction .............................................................................................................................................. 4 Méthodologie ........................................................................................................................................... 6 1er partie : Note de recherche; revue de littérature ................................................................................. 8 1. Biodiversité ....................................................................................................................................... 8 2. Échelles ........................................................................................................................................... 11 3. Acceptabilité sociale ....................................................................................................................... 13 4. Aspects sociaux ............................................................................................................................... 15 5. Gestion adaptative .......................................................................................................................... 18 2e partie : Atelier de discussion sur l’aménagement écosystémique ..................................................... 22 1. L’aménagement écosystémique : un processus issus de la science des écosystèmes ................... 22 1.1. Identification des enjeux écologiques ..................................................................................... 22 1.2. Utilisation des connaissances autochtones dans les enjeux écologiques ............................... 23 1.3. Le manque de connaissance comme enjeu de la mise en œuvre de l’AÉ ............................... 24 2. L’aménagement écosystémique : un processus participatif .......................................................... 25 2.1. La rencontre des acteurs.......................................................................................................... 25 2.2. Un concept large, qui n’est pas toujours facile à comprendre ................................................ 26 Conclusion ............................................................................................................................................... 28 Bibliographie ........................................................................................................................................... 30 Annexe 1- Définitions du concept d’aménagement écosystémique ...................................................... 35 4 Introduction Au Québec, l’aménagement écosystémique (AÉ) prend de plus en plus de place dans le domaine forestier. En effet, plusieurs recherches en lien avec le contexte québécois ont été réalisées (voir Volpé 2007; Boucher 2008). De plus, on dénombre au moins trois projetspilotes liés à l’aménagement écosystémique forestier (Boulfroy et Lessard 2008). En outre, un livre (Gauthier et al. 2008) sur l’AÉ en forêt boréale et un manuel (Grenon et al. 2010) sur la mise en œuvre de ce type d’aménagement au Québec ont été publiés. Néanmoins, c’est la récente Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (L.R.Q., c. A-18.1) qui institutionnalise l’AÉ à la grandeur du territoire forestier public québécois. De plus, il est écrit dans cette loi que le nouveau régime demande un partage des responsabilités « entre l'État, des organismes régionaux, des communautés autochtones et des utilisateurs du territoire forestier » (L.R.Q. A18-1). En tant qu’outils de participation publique dans l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’aménagement forestier, les tables locales de gestion intégrée des ressources et du territoire (GIRT) ont pour but de « d'assurer une prise en compte des intérêts et des préoccupations des personnes et organismes concernés par les activités d'aménagement forestier planifiées, de fixer des objectifs locaux d'aménagement durable des forêts et de convenir des mesures d'harmonisation des usages » (Article 35, L.R.Q. A18-1). À travers le monde, il existe différentes interprétations et applications de l’aménagement écosystémique. Connaître ces modèles peut être une manière efficace de mettre en perspective l’expérience québécoise, de tirer des leçons et d’identifier des avenues à explorer pour enrichir et affiner notre approche à l’AÉ. Ce besoin se fait particulièrement sentir dans l’intégration des enjeux sociaux à l’AÉ, une dimension de ce mode d’aménagement qui semble, pour l’instant, moins développée que la prise en compte des aspects biophysiques de l’AÉ. Cette lacune n’est pas unique au Québec. Des bilans de recherche récents sur l’application de l’AÉ dans divers contextes internationaux ont relevé des faiblesses en matière de développement des connaissances en sciences sociales (Ison, Röling et al. 2007; Lester, McLeod et al. 2010). Ils ont également démontré que les problèmes d’implantation de l’AÉ dans divers domaines sont souvent attribuables à ces lacunes. Cependant, les expériences existantes, et les connaissances sur lesquelles repose leur documentation, sont tout de même 5 assez développées pour nous permettre de nous interroger sur certains enjeux importants liés à une meilleure prise en compte des questions sociales dans l’AÉ. Le but du rapport présenté ici est d’offrir une réflexion sur les enjeux de l’aménagement écosystémique, ancrés dans le contexte québécois. Cette réflexion s’est d’abord construite à partir d’une revue de littérature. À travers celle-ci, nous nous sommes intéressés à différents modèles d’AÉ. Cette recension des écrits a permis d’identifier des pistes de réflexion prometteuses, susceptibles de nous aider à mieux comprendre les modèles proposés pour intégrer une pluralité de savoirs dans la définition des enjeux sociaux et écologiques auxquels doit répondre l’AÉ. En effet, plusieurs dimensions de l’AÉ mises en lumière ailleurs trouvent un écho dans le contexte québécois. Il ne s’agira pas ici de détailler chacune de ces expériences internationales, ce qui dépasserait le cadre d’une note de synthèse comme celle-ci, mais nous tenterons de faire ressortir un certain nombre de considérations transversales trouvées dans cette littérature. La première partie du présent rapport, consacrée aux résultats de cette recension, identifie cinq de ces éléments commus qui sont devenus apparents à la lecture de textes décrivant des expériences particulières d’AÉ. Ces considérations sont : la biodiversité, les échelles, l’acceptabilité sociale, les aspects sociaux et la gestion adaptative. Loin de prétendre épuiser la richesse de cette littérature, ces cinq thèmes ont ici une fonction heuristique plutôt qu’analytique. Ils ont servi à organiser le matériel documentaire recueilli afin de structurer les échanges qui ont eu lieu dans la seconde partie de notre exploration. À la suite de la recension des écrits, un atelier composé de différents chercheurs et acteurs de l’aménagement écosystémique a été organisé. Cet atelier s’est déroulé à l’été 2012 lors de l’École d’été du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA) qui avait pour titre Peuples autochtones, développement des ressources et territoire. Pour l’occasion, une note de recherche, issue de la revue de littérature, avait été envoyée aux participants, afin de nourrir les discussions. L’objectif de cet atelier était de mettre en lumière différentes expériences liées à l’AÉ au Québec. Ainsi, la deuxième partie du rapport présente certains éléments qui ont été discutés lors de l’atelier. Ces éléments sont divisés en deux grandes sections. D’abord, on présente AÉ comme étant un processus issu de la science des écosystèmes. Ensuite, on présente la mise en œuvre de l’AÉ comme étant un processus participatif. Une courte réflexion de synthèse s’inspirant de la revue de littérature et de l’atelier est présentée dans la conclusion. 6 Méthodologie Les textes choisis dans le cadre de cette revue de littérature documentent des expériences d’AÉ et discutent (parfois brièvement) de la prise en compte, ou non de la non prise en compte, des dimensions sociales. La littérature concernant l’aménagement écosystémique forestier est dominée par des discussions liées au contexte des États-Unis (voir, entre autres, Freeman 2002; MacCleery 2008;Rauscher 1999; Grumbine 1994; Endter-Wada et al. 1998; Yaffee 1999; Predmore et al. 2008). Cependant, cette production scientifique substantielle n’a pas permis de créer un consensus sur le sens, ainsi que la portée pratique et politique de l’AÉ (Predmore et al. 2008). On note aussi certaines lacunes dans la production d’études de cas détaillées. Quelques articles traitant de cas particuliers ont été répertoriés (Harwell et al 1996, Rigg 2001), mais ils datent d’au moins 10 ans et il a été difficile de trianguler de l’information sur ces cas, chacun faisant généralement l’objet d’un très petit nombre de publications. Les études plus larges sont mieux représentées. De 1995 à 2003, l’Université du Michigan, par le biais du projet Ecosystem Management Initiative1, a fait une série de sondages sur les efforts d’AÉ aux États-Unis (Yaffe et al. 1995, Yaffee et al. 2000, Schuelle 2004). Ces sondages permettent d’avoir une vue d’ensemble sur les efforts d’AÉ. Mais compte tenu de la manière dont les résultats sont présentés par les chercheurs, il serait difficile de désagréger ceux-ci afin de retrouver la définition de l’AÉ utilisée dans chacune des expériences, de décortiquer les enjeux présents et de comprendre les divers éléments de contexte pour les cas précis. Ainsi, ayant eu peu de succès à identifier des études de cas précises détaillant des expériences d’AÉ forestier, la revue de littérature s’est orientée vers des études portant sur des considérations générales soulevées par l’aménagement écosystémique. En plus du contexte étasunien, des textes traitant de l’aménagement écosystémique en Colombie-Britannique ont été utilisés (Leech et al. 2009; Bourgeois 2008). Les définitions d’aménagement écosystémique sont multiples et certaines utilisations de ce concept ont été mises de côté. C’est le cas de Dekker et al. (2007), qui traitent de l’AÉ au plan international et utilisent une définition de ce concept tellement large qu’on peut la confondre avec celle d’aménagement forestier durable. Dans le but de rester pertinente pour le contexte québécois, cette revue de 1 Pour plus de détails, voir site web d’Ecosystem Management Initiative (http://www.snre.umich.edu/ecomgt/index.htm), consulté le 3 février 2014. 7 littérature a été liée à des éléments que l’on retrouve dans les projets pilotes du Québec. L’une des définitions souvent utilisée est la suivante : L’aménagement écosystémique des forêts vise, par une approche écologique appliquée à l’aménagement forestier, à assurer le maintien de la biodiversité et de la viabilité de l’ensemble des écosystèmes forestiers tout en répondant à des besoins socio-économiques dans le respect des valeurs sociales liées au milieu forestier (MRNF, 2006). En ce qui a trait à l’atelier de discussion sur l’AÉ, une liste de personnes a d’abord été suggérée par les professeurs impliqués dans le projet. Les participants devaient prendre part à des recherches sur l’AÉ ou à sa mise en œuvre. Parmi les personnes contactées, certaines nous ont référé vers d’autres gens à inviter, ce que nous avons fait. Au total, cinq personnes ont accepté notre invitation. Ceux ayant refusé ont principalement invoqué un conflit d’horaire ou un manque de temps. Les participants ont reçu la note de recherche issue de la revue de littérature. Cette note a aussi été envoyée aux gens qui n’ont pas pu se présenter à l’atelier, en les invitant à nous envoyer leurs commentaires. Nous n’avons toutefois pas reçu de réponse à cet effet. L’atelier s’est déroulé devant un public afin que les participants puissent échanger avec des gens qui s’y connaissent peu en aménagement écosystémique, mais intéressés par la question. Lors de l’analyse de l’atelier, nous avons fait ressortir les thèmes qui nous paraissaient pertinents pour mieux comprendre comment s’orchestre l’AÉ au Québec. Un résultat intéressant de cet exercice fut de constater un écart assez important entre la structure de la note de recherche et la manière dont les participants à l’atelier ont choisi d’organiser leurs réflexions sur l’AÉ au Québec. Dans les pages qui suivent, nous présenteront d’abord la note elle-même, suivie d’un compte-rendu des échanges qui se sont déroulés en atelier, pour ensuite avancer quelques pistes de réflexion sur les points de convergence et de divergence entre ces deux manières d’aborder l’AÉ, soit à travers la littérature internationale existante et à travers l’expérience de chercheurs et de praticiens du Québec. 8 1er partie : Note de recherche; revue de littérature 1. Biodiversité L’un des points d’origine de l’application du concept d’AÉ en foresterie peut être trouvé dans la polémique autour de la chouette tachetée en Oregon (MacCleery 2008; GalindoLeal et Bunnell 1995). Dans les années 1970-1980, la chouette tachetée est devenue une véritable espèce emblématique2. À cette époque, les scientifiques se sont ralliés aux mouvements environnementaux pour protéger les habitats de cet oiseau, surtout menacés par l’exploitation forestière (Wellock 2010). Plusieurs plans d’aménagement tenant compte de ces habitats ont alors été mis en place. Toutefois, en 1989, le juge Dwyer a ordonné au Forest Service américain de faire des plans d’aménagement pour maintenir la population de toutes les espèces des forêts anciennes, et non uniquement celle de la chouette tachetée (Wellock 2010 : 400) 3. Pour répondre à cette demande, les fonctionnaires du Forest Service se sont intéressés à une nouvelle forme de planification forestière : l’aménagement écosystémique (Freeman 2002). Ce nouveau type d’aménagement se voulait un compromis entre la protection des espèces et l’exploitation forestière (Freeman 2002 : 637). De plus, il amenait une réponse aux difficultés d’approches de conservation axées sur une seule espèce (Grumbine 1994). Les débats concernant la chouette tachetée n’auraient pas été suffisants en eux-mêmes pour provoquer un tournant vers l’aménagement écosystémique s’ils n’avaient pas été le reflet de changements plus profonds dans les valeurs de la société (Wellock 2010 :382), une question sur laquelle nous reviendront dans la section sur l’acceptabilité sociale. L’une des leçons apprises des tentatives de mise en œuvre de AÉ pour préserver les écosystèmes forestiers de la côte pacifique nord-ouest américaine est qu’il est très difficile, voire impossible, de créer un plan d’aménagement adapté à chacune des espèces prises individuellement (Galindo-Leal et Bunnell 1995). Pour pallier à cette difficulté, les chercheurs ont adopté une approche dite de « filtre brut » et de « filtre fin » (Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007 : 4). Le filtre brut consiste à maintenir les caractéristiques présentes naturellement dans les écosystèmes (Hunter et al. 1988; Hunter 1991 [dans Comité 2 «Espèce « charismatique », généralement à statut précaire ou en difficulté, pouvant être associée à un type d’écosystème qui nécessite des actions de conservation» (Lafleur 2007). 3 Cette histoire implique, entres autres, des jugements de la Cour et des plans d’aménagement, pour plus de détails consulter : Freeman 2002; Galindo-Leal et Bunnell 1995; MacCleery 2008 ou Wellock 2010. 9 scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007]) en supposant que cette mesure aura un effet bénéfique sur la biodiversité : « Dans l’état actuel de la connaissance, le meilleur filtre brut disponible demeure celui des paysages préindustriels. En effet, nous pouvons émettre l’hypothèse que les espèces ayant survécu jusqu’ici se sont adaptées aux fluctuations des conditions forestières connues au fil du temps, de sorte que le maintien du caractère naturel des paysages forestiers devient la meilleure garantie pour assurer la survie de la majorité des espèces. Ainsi, la pierre angulaire de l’approche écosystémique consiste à ne pas plonger les espèces dans un environnement auquel elles n’ont jamais été confrontées historiquement (MRNF 2006) » (Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007 :4-5). Pour assurer une certaine naturalité aux écosystèmes, des seuils d’altération peuvent être établis (Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007 :7; Volpé 2007 :8). Dans le projet pilote d’AÉ de la réserve faunique des Laurentides, par exemple, on remarque un écart important entre les paysages naturels (aussi appelés préindustriels) et les paysages aménagés, principalement au chapitre de la structure d’âge des forêts (Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité 2007 :18). Pour conserver les caractéristiques « naturelles » d’un paysage, plusieurs chercheurs proposent de s’inspirer des perturbations naturelles (Gauthier et al. 2008). Si une stratégie d’émulation des perturbations naturelles et de retour tangentiel vers la forêt naturelle a pour but explicite de protéger la biodiversité, il convient de s’interroger sur la force du lien entre la structure forestière et la protection de la biodiversité et des habitats. Comment savoir si on utilise les bons seuils? Si le filtre brut protège l’écosystème en général, comment savoir ce qu’il protège en particulier? Comment savoir si le filtre brut protège réellement les multiples éléments de la biodiversité? Un jugement prononcé en 2009 aux ÉtatsUnis a d’ailleurs soulèvé cette question, en constatant qu’il manque de preuves concernant l’utilisation d’un filtre brut et son efficacité quant à protection des espèces fauniques4. Dans le Manuel de référence pour l’aménagement écosystémique des forêts au Québec (Grenon et al. 2010 :12), on explique qu’une stratégie de filtre brut permet de réduire considérablement la liste d’espèces ayant besoin d’un suivi particulier. Alors, quel genre de suivis doit-on prévoir? On affirme que le suivi d’espèces focales (ou indicatrice)5 est un moyen de valider l’efficacité des filtres brut et fin (Grenon et al. 2010 :12). L’idée générale de ce type de suivi est de faire 4 Pour plus de détails, voir le jugement sur le site Internet de United States Department of Agriculture, Forest Service: (http://www.fs.usda.gov/wps/portal/fsinternet/!ut/p/c4/04_SB8K8xLLM9MSSzPy8xBz9CP0os3gjAwhwtDDw9_ AI8zPwhQoY6BdkOyoCAPkATlA!/?ss=119987&navtype=BROWSEBYSUBJECT&cid=null&navid=10100000 0000000&pnavid=null&position=BROWSEBYSUBJECT&ttype=main&pname=Planning%20Rule%20History%20of%20Forest%20Planning), consulté le 3 février 2014. 5 Il existe plusieurs termes en lien avec cette expression : espèce indicatrice, espèce parapluie, espèce clé, espèce emblématique, pour plus de détails, voir Lafleur 2007. 10 des études sur une espèce sensée être représentative d’un ensemble d’espèces (Lafleur 2007). Ce concept peut être utilisé dans certains cas, mais il comporte aussi des limites (Comité sur les enjeux de biodiversité 2007; Lafleur 2007). Le filtre fin consiste à porter une attention particulière aux espèces qui pourraient échapper au filtre brut (Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité, 2007). Les espèces en situation précaire sont généralement visées par le filtre fin. Dans le projet-pilote d’aménagement écosystémique de la réserve faunique des Laurentides, le Comité scientifique sur les enjeux de biodiversité (2007) a identifié certaines espèces devant être prises en considération dans le filtre fin, tel que l’omble chevalier d’eau douce, la grive de bicknell ou le caribou forestier. Toutefois, la protection des espèces n’a pas nécessairement le même sens pour tous, comme en témoigne l’exemple qui suit. Au Québec, le caribou forestier est de plus en plus considéré comme une espèce emblématique de la forêt boréale (Lafleur 2007). Plus précisément, le caribou des bois/écotype forestier (différent, selon les biologistes, du caribou de l’écotype toundrique) est considéré comme une espèce vulnérable depuis mars 2005 et la chasse sportive de cette espèce est interdite6. Toutefois, plusieurs Innus n’adhèrent pas à cette interdiction, car ils ne considèrent pas les deux variétés de caribou comme distinctes, et donc que les données qui prennent exclusivement en compte la population du caribou forestier ne donnent pas une indication adéquate de sa vulnérabilité. « Ils [des aînés innus] rappellent qu'avant la colonisation, il n'existait qu'un seul troupeau de caribou sur cette partie du Nitassinan. Il provenait de la Rivière-Georges et assurait un cycle migratoire important. Par la colonisation intensive du territoire, ce troupeau s'est scindé et une partie se serait sédentarisée dans la forêt, alors que l'autre aurait continué son parcours migratoire habituel. Lors de la migration dans la forêt du caribou des bois, certains caribous ont décidé de rester dans la forêt. Les deux groupes représentent ainsi un seul et même troupeau. Certains biologistes, méconnaissant des faits historiques, perçoivent donc faussement les deux groupes comme des hardes distinctes » (Boudrau-Picard pour les Chefs de l’Alliance strétégique innue 2010). Bien que ce discours innu ne concorde pas exactement avec celui des biologistes, il semble que le caribou soit une espèce importante pour les Innus et ceux-ci veulent être impliqués de près dans sa protection (Lévesque 2011). 6 Site web du Ministère du Développement durable de l’Environnement, de la Faune et des Parcs, « Liste des espèces fauniques menacés ou vulnérables au Québec » : (http://www.mddefp.gouv.qc.ca/faune/especes/menacees/fiche.asp?noEsp=53), consulté le 3 février 2014. 11 En ce sens, il faut réfléchir à la place du filtre fin dans l’aménagement écosystémique et à l’implication des Premières Nations (et des communautés locales) dans la protection des espèces. Le filtre brut donnant l’impression de ne rien protéger en particulier, et le filtre fin donnant l’impression d’être trop ciblé. Cela peut amener une tendance à appliquer le filtre fin à un nombre toujours croissant d’espèces, jusqu’à atteindre un point ou la protection de l’ensemble de l’écosystème tend à être recherchée par la protection de chacune de ses composantes, toutes devenues des cibles particulières d’aménagement. En ce sens, on doit réfléchir aux types de suivis qui doivent être fait. Nous y revidrons un peu plus loin. 2. Échelles La question de l’échelle d’application de l’AÉ peut être traitée de plusieurs façons. L’un des thèmes de l’AÉ est de dépasser les frontières administratives et politiques (par exemple des parcs, des réserves fauniques, des ZECs) et de travailler sur la base des frontières écologiques (Grumbine 1994; Leech et al. 2009). Selon Agee et Johnson (1988), définir les limites d’un écosystème est un travail dynamique et un art inexact (Grumbine 1994). L’aménagement écosystémique demande un travail à une variété d’échelles, mais on remarque que c’est souvent l’échelle du paysage (entendu comme les frontières du bassin versant) qui est utilisée. (Quinn 2002 [dans Leech et al. 2009]). Il est souvent noté que l’utilisation d’une échelle large permet aux aménagistes de s’inspirer des perturbations naturelles. « The requirement to maintain natural processes intact, the concept of mimicking natural disturbances, the maintenance of wide-ranging populations, and the recognition that planning for sustainable use must be hierarchical - all require consideration of large areas » (Galindo-Leal et Bunnell 1995 : 604). Selon Yaffee (1999), il existe une confusion quant à l’échelle à utiliser pour faire de l’aménagement écosystémique (p. 714). En effet, qu’est-ce qu’une échelle large ou petite? Comment qualifier l’échelle du paysage? Galindo-Leal et Bunnell (1995) semblent dire qu’il s’agit d’une échelle large (comparativement à l’échelle du peuplement), tandis que Endter-Wada et al. (1998) avance plutôt que le paysage est une petite échelle (comparativement à l’échelle écorégionale). Ces débats sur la définition des échelles ont leur importance, dans la mesure où ils permettent de clarifier le vocabulaire et de comparer les expériences entre elles. Mais, ils ne doivent pas occulter le fait que les termes souvent utilisés, comme éco-région, bassin versant, paysage, peuplement, site et micro-site, renvoient tous à des catégories dont l’étendue peut être très variable. Un bassin versant, par exemple, peut être de grande taille (> 10 000 ha) ou de petite taille (< 100 ha). Devant cette 12 variabilité, la question semble donc être moins de savoir quelle échelle utiliser, mais plutôt de se doter de moyens pour intégrer la planification à plusieurs échelles. Au Québec, à la suite d’un atelier sur trois projets-pilotes d’aménagement écosystémique, on a recommandé de développer des outils d’aménagement à l’échelle du peuplement et du paysage (Boulfroy et Lessard 2008). Cette idée semble correspondre aux conclusions du Comité scientifique des enjeux de biodiversité de l’un de ces projets : « On constate que les divers enjeux formant cette première série pour la réserve faunique des Laurentides peuvent être perçus à différentes échelles. Certains ont un caractère plus englobant (échelle du paysage), alors que d’autres se manifestent à une échelle plus locale (échelle du peuplement). De même, le fait de s’attarder à certains enjeux à l’échelle du paysage permet de tenir compte (du moins, en partie) d’autres enjeux à l’échelle des peuplements ou de l’espèce. Ainsi, pour en faciliter la compréhension et faire ressortir les liens qui existent entre chacun d’eux, le Comité a procédé à un regroupement des enjeux. » (Comité scientifique des enjeux de biodiversité 2007 :14) Toutefois, à la Table des partenaires du Projet pilote d’aménagement écosystémique de la réserve faunique des Laurentides, la question de l’échelle utilisée pour l’aménagement ne fait pas l’unanimité chez les intervenants. En effet, le projet met de l’avant une échelle par bassins versants, tandis que le Conseil de la Nation huronne-wendat souhaiterait que l’aménagement se fasse sur une échelle plus petite, soit celle des aires de trappe (Table des partenaires 2009). Ce choix vise, en effet, une planification faite à une échelle plus petite, l’une des raisons évoquées par les Hurons-Wendat étant que «plus tu utilises les [outils d’aménagement écosystémique] sur des petits territoires, meilleure c’est pour la globalité» (entrevue 1748 [dans Théberge, 2012 : 83]). Il y a aussi une question d’organisation du territoire liée à ce choix. En effet, l’utilisation du territoire faite par les Hurons-Wendat est généralement structurée par les aires de trappe, ce qui est beaucoup plus petit que par les bassins versants. Pour les gens de l’industrie forestière, une prise en considération du territoire à cette échelle n’est pas intéressant, car elle réduit leurs marges de manœuvre au chapitre de l’aménagement (Théberge 2012). Ainsi, le thème des échelles soulève plusieurs questions. Quelle est la meilleure échelle pour la protection de la biodiversité? Quelle est la meilleure échelle pour gérer l’aménagement du territoire en fonction des divers utilisateurs? 13 3. Acceptabilité sociale Le vocabulaire de l’AÉ a été adopté par le gouvernement américain à la veille du Sommet de la Terre à Rio en 1992 (Freeman 2002; MacCleery 2008). Une littérature bien étoffée démontre que pour améliorer son image environnementale au plan international, le président George Bush avait besoin de prendre une décision rapide concernant l’environnement, sans compromettre la croissance économique (Freeman 2002 : 644). Pour modifier sa politique d’aménagement forestier, M. Bush a demandé conseil au chef du Forest Service qui en profita pour mettre de l’avant un concept sur lequel son équipe travaillait : l’aménagement écosystémique. Toutefois, au moment de l’adoption de cette stratégie d’aménagement, personne ne savait comment elle s’appliquerait réellement. « Ecosystem Management was an expedient political strategy. The term itself was ambiguous […] at the time of its adoption, and nobody really knew what it meant. Yet it offered a green patina to the agency, and it had the benefit that almost everybody was in favor of it. » (Freeman 2002: 646). Bien que le président suivant, Bill Clinton, ait favorisé diverses mesures pour mettre en œuvre l’AÉ, ce principe n’a jamais été adopté par le Congrès américain (MacCleeery 2008). En 1999, le terme aménagement écosystémique est largement abandonné dans les agences fédérales (Yaffee 2002 :89, voir aussi Predmore et al. 2008). La première raison de cet abandon est que le concept est difficile à comprendre pour les décideurs politiques. La deuxième raison est que la fonction première qui avait été visée par l’adoption de la notion d’« aménagement écosystémique », soit l’atteinte de l’acceptabilité sociale, n’était plus servie par ce dernier. En effet, on pouvait la voir comme restreignant l’utilisation des territoires publics, comme menaçant le droit à la propriété privée ou comme une idée utilisée uniquement pour bien paraître. Bref, ce concept, qui faisait concensus au départ, a fini par en décevoir plusieurs. « In legal and political system that rewards extreme positions, a policy that emphasizes science-based balancing and integration of interests satisfied no one. » (Yaffee 2002:89)7. 7 Il est à noter qu’il existe encore aux États-Unis, plusieurs projets qui se réclame être de l’aménagement écosystémique (Yaffee et al. 1995; Yaffee et al. 1999; Harwell et al. 1996). 14 Le lien entre l’AÉ et les préoccupations liées à l’acceptabilité sociale peut être vu comme étant très étroit. Aux États-Unis, des chercheurs se sont penchés sur la définition de l’acceptabilité sociale dans un contexte AÉ. L’une des définitions retenues est la suivante: « Social acceptability in forest management results from a judgmental process by which individuals (1) compare the perceived reality with its known alternatives; and (2) decide whether the “real” condition is superior, or sufficiently similar, to the most favorable alternative condition. If the existing condition is not judged to be sufficient, the individual will initiate behavior -- often, but not always, within a constituency group -- that is believed likely to shift conditions toward a more favorable alternative » (Brunson 1996 : 9). Cette définition amène à mettre en relation l’acceptabilité sociale et la capacité des intervenants à faire des choix éclairés et adéquats. En ayant les outils pour faire ces choix, les gens pourront ensuite décider de ce qu’ils jugent acceptable. Mais, il faut aussi réfléchir sur la différence entre une situation acceptable et une situation désirable (Brunson 1996)? Au Québec, l’acceptabilité sociale est souvent liée à l’AÉ, sans nécessairement être clairement définie (voir Table des partenaires 2009). Lors de l’atelier sur les trois projets pilotes d’AÉ québécois, l’acceptabilité sociale a été retenue comme étant une caractéristique importante de cette approche (Boulfroy et Lessard 2008). En ce sens, on a fait le constat que les processus de gestion doivent être transparents, que la concertation sociale doit faire partie de l’AÉ et que l’atteinte de l’acceptabilité sociale passe par un « plan de communication efficace et crédible » (Boulfroy et Lessard 2008 : 27). Plus précisément, on a recommandé de transmettre des « messages ciblés et transparents » et d’avoir des plans de communication spécialement adaptés aux Premières Nations « de façon à faciliter la compréhension des communautés en place en ce qui concerne la mise en oeuvre de l’aménagement écosystémique forestier » (Boulfroy et Lessard 2008 : 28). Dans le même ordre d’idées, on a recommandé d’ « éduquer, informer, sensibiliser la population, les élus, les enseignants, les gestionnaires des différentes ressources du milieu forestier (y compris ressources non ligneuses) sur ce qu’est l’aménagement écosystémique forestier, les pratiques qui se font en forêt, les bénéfices / gains qu’il procure pour la société, l’environnement, etc. » (Boulfroy et Lessard 2008 : 28) et on a précisé qu’il faut porter une attention particulière à la population urbaine qui est plus difficile à convaincre. À la lumière de ses recommandations, il est légitime de se demander si l’acceptabilité sociale devient une 15 stratégie de communication pour convaincre les gens, plutôt qu’un processus qui tient compte de leur point de vue. Néanmoins, dans cet atelier, les recommandations concernant l’acceptabilité sociale abordent aussi les questions de transparence et de la participation de tous les intervenants (y compris les Premières Nations) dans les processus. On note que les tables de participation liées à l’AÉ devront tenir compte des valeurs et des enjeux régionaux, tenter d’obtenir des consensus et comprendre les divers processus de consultation dans lesquels les Premières Nations sont impliquées. De plus, on relève des besoins en recherche et développement pour évaluer les impacts sociaux de l’aménagement écosystémique, pour évaluer la prise de décision et pour développer des « outils permettant de proposer des stratégies qui visent à réduire (ou atténuer) les impacts négatifs appréhendés et à permettre aux communautés de s’adapter aux changements » (Boulfroy et Lessard 2008 : 28). En somme, bien que ces recommandations ne définissent pas ce qu’est l’acceptabilité sociale, elles apportent des pistes de réflexion. 4. Aspects sociaux En examinant la mise en œuvre de projets d’AÉ, on peut être amenés à se demander s’il existe une différence entre l’acceptabilité sociale et les enjeux sociaux en général. Nous pourrions dire que la réponse à cette question dépend du degré auquel nous croyons que certains aspects de l’aménagement des forêts prennent en considération le « social ». Plus les aspects sociaux seront réduits aux valeurs, intérêts et préoccupations exprimés dans le cadre de consultations, plus ils s’approcheront de simples composantes de l’acceptabilité sociale. En revange, plus la notion d’aspects sociaux sera élargie pour englober des aspects tels que les impératifs macro-économiques de l’État ou la production de savoirs sur les écosystèmes forestiers, plus il deviendra apparent que plusieurs aspects sociaux de l’AÉ seront réellement pris en considération. Les considérations sociales font généralement partie des définitions de l’aménagement écosystémique (voir annexe 1). Au Québec, l’adoption de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (L.R.Q., c. A-18.1) vise à « ce que la planification forestière soit réalisée 16 selon un aménagement écosystémique et une gestion intégrée8 et régionalisée des ressources et du territoire »9. La participation de plusieurs acteurs est donc importante. Mais les termes du dialogue entre ces acteurs sont souvent posés, dans le vocabulaire du développement durable, comme la recherche d’un équilibre entre des considérations « sociales », « économiques » et « écologiques » (Endter-Wada et al. 1998 :891). Ces distinctions mériteraient un examen plus approfondi dans le contexte de l’AÉ, ne serait-ce que parce qu’elles présentent l’économique comme une préoccupation distincte des considérations sociales. Par ailleurs, dans plusieurs définitions de l’AÉ, on affirme que l’humain ne doit pas être considéré comme étant séparé de la nature (voir annexe 1). Selon Grumbine (1994), les valeurs humaines doivent jouer un rôle dominant dans les objectifs de l’AÉ. Toutefois, lorsque l’équilibre entre les trois aspects du développement durable est difficile à trouver, cet auteur considère qu’il faut prioriser l’intégrité écologique (voir Endter-Wada et al. 1998), faisant ainsi de la nature une entité externe au social. Même si ce ne sont pas tous les auteurs qui se reconnaissent dans ce biocentrisme (voir Endter-Wada et al. 1998; Predmore et al. 2008; Rigg 2001), on remarque que les aspects sociaux sont généralement moins pris en considération que les aspects écologiques. Ce déséquilibre semble dû au fait que l’AÉ a été opérationalisé par des scientifiques souvent formés en sciences naturelles, travaillant sur la base d’une épistémologie où les faits de nature et les faits sociaux sont perçus comme distincts, voire comme potentiellement antagoniques les uns par rapport aux autres : « Alarmed that many ecosystems faced risks from population growth and human impacts, they proposed accelerating the study of ‘‘pristine’’ natural systems as a preliminary step to determining the impacts of human actions on those systems and identifying management alternatives aimed at minimizing those impacts » (Endter-Wada et al. 1998 :896). La construction sociale de la nature occupant peu de place dans les réflexions sur l’AÉ, autrement que pour parler de la destruction sociale de la nature lorsque celle-ci devient un problème, les « aspects sociaux » de l’AÉ renvoient généralement à une discussion des rapports entre les acteurs, ou « parties prenantes » (stakeholders) de l’aménagement. Les études sur ce sujet tentent souvent de comprendre ou d’expliquer des cas d’échec ou de conflits 8 La gestion intégrée des ressources et du territoire se définit comme : « Un processus coopératif de gestion et de concertation. Ce processus réunit l’ensemble des acteurs et gestionnaires du milieu, porteurs d’intérêts collectifs publics ou privés, pour un territoire donné. Ce processus continu vise à intégrer, dès le début de la planification et tout au long de celle-ci, leur vision du développement du territoire, qui s’appuie sur la conservation et la mise en valeur de l’ensemble des ressources et fonctions du milieu » (Desrosiers et al. 2010:5). 9 Site web du Ministère des Ressources naturelles, «Aménagement durable des forêts» : (http://www.mrn.gouv.qc.ca/forets/amenagement/index.jsp), consulté le 3 février 2014. 17 dans les rapports sociaux. Aux États-Unis, par exemple, l’expérience de la Sequoia National Forest est citée pour démontrer comment les questions sociales peuvent entraîner l’échec d’un projet d’AÉ (Rigg 2001). En effet, selon Rigg, l’expérience de la Sequoia National Forest a été compromise par de mauvaises relations entre les gestionnaires et les intervenants, par de multiples demandes politiques, par l’insécurité budgétaire et par le manque de connaissances disponibles (Rigg 2001). Cette réflexion sur les ratées de diverses expériences a eu comme effet positif de battre en brèche des visions simplistes qui aurait réduit les enjeux sociaux à de simples enjeux de participation dans l’aménagement forestier. L’implication des intervenants dans un processus décisionnel n’est pas automatiquement synonyme de succès. Parmi les autres facteurs sociaux contribuant au succès de l’aménagement, une attention particulière a été portée au cadre institutionnel dans lequel l’AÉ est mise en œuvre. Ces analyses institutionnelles ont été menées tant à une échelle macrosociale, mettant en évidence des questions politiques plus larges pouvant mener un groupe à faire de l’obstruction au sein d’un processus (MacCleery 2008), qu’à une échelle plus microsociale où ressort l’importance de l’efficacité des processus décisionnels et de la capacité d’adaptation des divers intervenants (Wyatt et al. 2010). Du côté des succès, il existe des exemples d’implication du public en aménagement écosystémique qui semblent bien fonctionner. En Colombie-Britannique, deux projets, l’un dans la région du Clayoquot Sound et l’autre dans le centre et le nord de la côte, ont été mis de l’avant suite à des pressions faites par des Premières Nations et des groupes environnementaux. « Although a shift to EBM [ecosystem-based management] should help tackle the many social and environmental issues at play in these areas, it could also address economic interests by allowing forest companies operating in coastal British Columbia to retain access to global timber markets » (Leach et al. 2009 :5). Ainsi, on remarque que la mise en œuvre de l’aménagement écosystémique devrait résoudre plusieurs questions sociales et environnementales. Pour assurer le succès des projets d’aménagement écosystémique, Rigg (2001) recommande, entre autres, de construire la confiance entre les intervenants, d’investir dans la recherche, dans la collecte de données et dans les suivis, et d’explorer les relations entre la science et les valeurs. 18 Les recherches en sciences sociales peuvent se pencher sur différentes questions. Elles peuvent, par exemple, contribuer à l’analyse des interactions entre les valeurs, les comportements humains et les écosystèmes, contribuer à l’étude de la manière dont les groupes interprètent leurs liens avec la « nature », ou comment ce lien influence l’utilisation des ressources (Endter-Wada et al. 1998). Il ne s’agit pas simplement d’identifier ce qui est acceptable socialement, mais plutôt de faire une analyse détaillée et rigoureuse des raisons pour lesquelle les gens s’opposent ou supportent un projet. En ce sens, la réelle prise en considération des aspects sociaux n’est pas toujours facile, car il ne s’agit pas uniquement d’intégrer les gens dans les processus décisionnels. Il s’agit aussi d’intégrer les considérations sociales dans la science et dans la compréhension des écosystèmes (Endter-Wada et al. 1998 :891) : « Humans have been neglected as components of ecosystem science for reasons related to the social context and the process by which ecosystem science has developed. One reason is that this science is based on Enlightenment religious and intellectual traditions that viewed humans as separate from nature » (Endter-Wada et al. 1998: 895). Pour les raisons discutées au début de cette section, cette intégration n’est pas facile à faire. Les différences épistémologiques entre les sciences sociales et les sciences naturelles font que les langages techniques de ces domaines sont souvent différents dans leur forme et dans leur utilisation. Par ailleurs, les données produites par les démarches de recherche de ces deux branches de la science ne sont pas toujours compatibles (Endter-Wada et al. 1998 :896). Développer des méthodes pour favoriser l’interdisciplinarité, afin que l’ensemble des aspects sociaux soit systématiquement pris en compte dans les processus d’AÉ demeure donc un défi important à considérer. À cet égard, un exemple intéressant semble être celui du département des sciences sociales de la Northeast Fisheries Science Center aux États-Unis, où une équipe travaille sur un modèle d’évaluation des impacts sociaux liés à la pêche. Cette approche permet d’avoir des données équivalentes à celles utilisées pour l’évaluation économique ou biologique. De plus, elle donne des pistes pour orienter les recherches futures (Clay et Olson 2011). 5. Gestion adaptative Plusieurs auteurs abordent la gestion adaptative comme un thème caractérisant l’AÉ (voir annexe 1). La gestion adaptative peut se définir comme une façon d’aménager, basée sur le postulat que les connaissances scientifiques sont provisoires. Il faut comprendre l’aménagement comme un processus d’apprentissage, incorporant continuellement les résultats 19 des actions antérieures. Cette méthode donne une flexibilité aux aménagistes pour s’adapter à l’incertitude (Grumbine 1994 : 31) : « The concept of adaptive management is based on the realization that ecosystems and the processes that influence them are so complex that it is difficult or impossible to predict in advance the full implications of proposed management actions. Therefore land managers must proceed with a heavy dose of humility, the application of the best science available and a strong commitment to monitoring the environmental, social and economic effects of management decisions — and to adapt or change decisions based on systematic monitoring » (MacCleery 2008 p.61). Dans le Manuel de référence pour l’aménagement écosystémique des forêts au Québec (Grenon et al. 2010), on affirme que la mise en œuvre de l’AÉ est une tâche complexe et que les impacts de l’aménagement forestier ne sont pas encore bien compris. L’idée de la gestion adaptative est que la réponse à cette incertitude ne devrait pas être l’inaction, mais plutôt la prudence, l’expérimentation et l’apprentissage : « Comme le processus d’apprentissage est perpétuel, il n’est pas économiquement et socialement souhaitable de suspendre le déroulement des activités forestières ou l’évolution des pratiques par manque de connaissances. C’est dans ce contexte que le concept de la gestion adaptative a été défini » (Grenon et al. 2010 : 39). La gestion adaptative est associée à un processus de suivi et de rétroaction, afin d’intégrer les nouvelles connaissances dans la planification et l’aménagement. Selon ces auteurs, il existe trois degrés de suivi : suivi de l’application (les actions ont-elles été réalisées tel qu’il était prévu?), suivi de l’efficacité (les actions permettent-elles d’atteindre les objectifs visés?), et suivi de la pertinence (les objectifs visés sont-ils toujours pertinents?) (Grenon et al. 2010). Pour faire ces suivis et s’ancrer dans les principes de la gestion adaptative, les études scientifiques doivent être utilisées (Endter-Wada et al. 1998 : 898). Ainsi, la gestion adaptative requiert des ressources pour financer les recherches et pour l’intégration des résultats dans le processus d’AÉ (Rigg 2001). En ce sens, le manque de données est souvent cité comme faisant partie des causes d’échec de projets d’aménagement écosystémique (Schueller 2004 [dans Leech et al. 2009]). « As an example, the Northwest Forest Plan established ten so-called “Adaptive Management Areas” (AMAs), covering about 600 000 hectares, which were intended to be laboratories for testing innovative management practices. In spite of the opportunity to showcase the application and utility of the concept of adaptive management, most observers feel that this effort has failed miserably (Thomas 2003, Stankey et al. 2003) » (MacCleery 2008 p.68). On peut aussi s’interroger sur la compatibilité entre la gestion adaptative et la collaboration avec de multiples acteurs (MacCleery 2008). En effet, lorsque ce type de gestion 20 génère beaucoup de documents, il peut être difficile pour les intervenants de traiter toute cette information. Premièrement, parce que cela demande beaucoup de temps. Deuxièmement, parce que les intervenants n’ont pas nécessairement les capacités (formations et connaissances) pour comprendre le contenu de tous ces documents. La gestion adaptative propose d’acquérir des connaissances et de remettre en question les objectifs de départ. Mais, est-ce qu’une telle remise en question est possible? Un des éléments souvent cités comme définissant l’AÉ est l’intégrité écologique (voir annexe 1). Aménager pour maintenir l’intégrité écologique signifie de protéger la totalité de la ‘diversité native’ (espèces, populations, écosystèmes), ainsi que les processus écologiques qui maintiennent cette diversité (Grumbine 1994 :30). L’intégrité écologique peut se conserver à travers le maintien des régimes de perturbations, la réintroduction d’espèces natives ou la représentation des écosystèmes à travers un gradient de naturalité : « Adaptive management is described as an ongoing experiment yet "landscapes can be restored," managers are said to already be capable of mimicking natural disturbance regimes successfully, and there is speculation that future experiments may reveal new sustainable ecosystem states that may differ from evolutionary and historical states (Grumbine 1994 :32) ». Toutefois, il semble qu’aux États-Unis plusieurs fonctionnaires du Forest Service n’adhèrent plus au concept d’historic range of variability ou de natural range of variability (Predmore et al. 2008) : « If ecosystem restoration means restoring those ecosystems to their historic range of variability or to a natural range of variability, I amless certain that is what we ought to be doing than I used to be. Ten years ago I would have argued hard that is exactly what we should be doing » (Predmore et al. 2008:343). L’un des arguments évoqués pour expliquer la mise de côté de ce concept est qu’il ne prend pas en considération les changements climatiques. Plus généralement, l’échelle temporelle à laquelle se pratique la foresterie semble rendre peu commode l’idée d’une approche fondée sur la rétroaction et l’apprentissage adaptatif. Il peut parfois se passer des décennies entre une intervention et ses conséquences. Une décision qui semblait tout à fait justifiée lorsqu’elle a été prise peut voir ses effets annulés par des transformations subséquentes du climat ou de l’écosystème (Yaffee 1999 :715, Folkes et al. 2004). Au Québec, la question de l’incertitude créée par un cadre écologique changeant, et par conséquent la manière de définir l’intégrité écologique, a été abordée à travers la création de 21 portraits de référence servant d’assise à l’AÉ. Dans le Manuel de référence pour l’aménagement écosystémique des forêts au Québec (Grenon et al. 2010), on explique que la mise en œuvre de l’AÉ consiste à réduire l’écart entre les paysages naturels et ceux aménagés. Pour plusieurs auteurs, c’est la forêt préindustrielle qui est utilisée comme état de référence de la forêt naturelle (Grenon et al. 2010; Table des partenaires 2009). Afin d’établir l’état de référence, on crée des portraits de forêt naturelle (Boulfroy et al. 2010). Plus précisément, dans la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (L.R.Q., c. A-18.1), l’AÉ est défini comme : « un aménagement qui consiste à assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle » (art 4.2). Dorénavant, le concept d’intégrité écologique est pratiquement inscrit dans la loi. Ainsi, sera-til possible de le remettre en question? Sinon, comment pourront être appliqués les principes de la gestion adaptative? *** 22 2e partie : Atelier de discussion sur l’aménagement écosystémique L’atelier s’est déroulé le 21 août 2012 à Wendake dans le cadre de l’École d’été du CIÉRA Peuples autochtones, développement des ressources et territoire. Les participants sont Luc Bouthillier (professeur titulaire au Département des sciences du bois et de la forêt), JeanPierre Jetté (ingénieur forestier au Ministère des Ressources naturelles), Émilie Gros-Louis (membre de la Nation huronne-wendat et technicienne en géomatique au bureau du Nionwentsïo), Yan Boucher (chercheur au Ministère des Ressources naturelles) et Daniel Kneeshaw (professeur au département des sciences biologiques et à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM). Dans les pages qui suivent, les propos des participants ont été dépersonnalisés, afin de mettre l’accent uniquement sur ce qui a été dit et non sur qui l’a dit. L’atelier a duré une demi-journée. Les participants se sont d’abord présentés, précisant la nature de leur travail et leur vision de l’AÉ. Ensuite, l’atelier s’est terminé par un échange avec le public. Il est à noter que dans cette section, il n’y a pratiquement pas de références bibliographiques, car les éléments mis de l’avant proviennent uniquement des propos tenus lors de l’atelier. 1. L’aménagement écosystémique : un processus issus de la science des écosystèmes 1.1. Identification des enjeux écologiques Les enjeux écologiques semblent être à la base de l’AÉ. Pratiquement tous les conférenciers nous ont expliqué que pour faire de l’AÉ, il faut établir un portrait de la forêt naturelle (ou préindustrielle) et le comparer à la forêt aménagée d’aujourd’hui. Les écarts entre ces deux types de portraits permettent de dresser des enjeux d’AÉ, par exemple la raréfaction des vieilles forêts, les changements dans la composition végétale, la simplification de la structure des forêts, la raréfaction du bois mort, la modification des fonctions des milieux riverains. Il existe diverses méthodes pour établir des portraits de forêt naturelle, notamment l’utilisation de cartes historiques et d’anciens inventaires forestiers. L’un des objectifs principaux de cette démarche est de maintenir la biodiversité sur le territoire, tout en continuant l’exploitation ligneuse. Pour intervenir sur le territoire, il faut 23 s’inspirer des perturbations naturelles, par exemple les feux. Pour l’un des participants, ce n’est pas de s’inspirer des feux qui soit difficile, mais de tenter « d’imiter ce qui ne brûle pas ». C’est-à-dire de maintenir les caractéristiques d’une forêt qui vieillit, dans un aménagement forestier qui inclut l’exploitation de la matière ligneuse. Cette idée n’était pas entièrement partagée par tous les participants. En effet, il n’est pas si facile d’« imiter » les feux, car la coupe forestière (tel que la CPRS) favorise le sapin, tandis qu’un feu ne favorise pas cette espèce. De plus, les feux sont généralement dispersés. Il est donc rare d’en voir deux l’un à côté de l’autre, tandis qu’il est fréquent de voir des coupes côte à côte. En outre, les feux laissent généralement de 10 à 50% d’arbres vivants après son passage, ce que ne font pas habituellement les coupes. Un autre aspect est qu’émuler les perturbations naturelles ne veut pas dire que celles-ci seront éliminées. Donc, les feux continuent de brûler en même temps que l’on coupe. Un autre questionnement soulèvé par l’AÉ est en lien avec les changements climatiques. Est-ce possible de s’inspirer d’un portrait de forêt naturelle qui propose une image passée, alors que les changements climatiques historiques font en sorte que les conditions dans lesquelles ont existé les forêts pré-industrielles n’existent plus? À cet effet, plusieurs participants ont mentionné qu’il est important de tenir compte des changements climatiques dans l’AÉ, mais sans nécessairement remettre en question toute l’approche. 1.2. Utilisation des connaissances autochtones dans les enjeux écologiques Lors de la période de discussion, une question a été posée sur le rôle des Premières Nations dans la définition du concept de forêt naturelle et sur la manière dont les connaissances autochtones sont utilisées, ou pourraient être utilisées, dans la mise en œuvre de l’AÉ. L’un des participants a répondu que le concept de forêt naturelle est issu d’une vision occidentale de l’environnement, où l’humain est extérieur à la nature et dans laquelle l’autochtone fait partie de la forêt. Un autre participant considère que dans les périodes étudiées pour établir les portraits de forêt naturelle, les autochtones n’avaient pas beaucoup influencé le territoire à l’échelle du paysage au chapitre du couvert et de la structure d’âge. En ce sens, le niveau de résolution dans les données utilisées pour établir les portraits est assez général, tandis que l’utilisation des connaissances autochtones se fait souvent à une échelle plus locale. Il serait plus facile d’utiliser un processus de collaboration avec les autochtones, lorsque vient le temps de valider ces données, par exemple en étudiant des éléments liés aux espèces focales. 24 D’un autre côté, un participant trouve qu’il est difficile d’arrimer les deux types de connaissances. Souvent, les scientifiques sont à la recherche d’une donnée précise et ils ont tendance à tout fractionner, par exemple en se concentrant uniquement sur les éléments relatifs aux sols. Tandis que les autochtones amènent des connaissances holistiques et traitent le territoire de manière globale. « Ce n’est pas qu’on ne doit pas utiliser les connaissances autochtones, c’est notre culture qui n’est pas prête à recevoir et bien utiliser cette information ». Néanmoins, ce participant souligne qu’il existe des exemples d’utilisation des connaissances autochtones qui ont bien fonctionné, notamment le cas de la martre à Waswanipi. 1.3. Le manque de connaissance comme enjeu de la mise en œuvre de l’AÉ En aménagement forestier, s’inspirer des perturbations naturelles et tenter de réduire les écarts entre la forêt naturelle et la forêt aménagée sont-ils les meilleurs moyens pour maintenir la biodiversité? Certains participants à l’atelier ont affirmé ne pas en être certains. Alors, pourquoi utiliser cette façon de faire? Il existe peut-être de meilleures méthodes, mais nous ne les connaissons pas encore. Présentement, l’idée est d’essayer de ne pas créer des paysages qui n’ont jamais existé. Non parce que ces paysages sont nécessairement néfastes, mais parce qu’on ne les connaît pas. Vont-ils maintenir la biodiversité? Il existe un énorme besoin en termes de connaissances pour mettre en œuvre les principes de l’AÉ. Il faut quand même apprendre à travailler avec les connaissances actuelles et tenter de ne pas répéter les erreurs commises. C’est ce qui s’appelle la gestion adaptative. Afin d’augmentation notre capacité d’adaptation, des suivis réguliers sont nécessaires . Ils ont toutefois un prix. Il est donc important de faire des choix sur le type de suivis que l’on désire faire. Par ailleurs, le besoin de connaissances ne se trouve pas uniquement au chapitre de la science des écosystèmes. Par exemple, un participant a mentionné le fait que, dans certaines régions, les acteurs locaux ont de la difficulté à identifier des enjeux économiques qui peuvent avoir un impact direct sur eux. Il y a donc un besoin de connaissances sociales, y compris des connaissanes économiques. Cet aspect a d’ailleurs été soulevé lors de la période de questions. Certains participants ont reconnu la nécessité de développer ce type de connaissances et ils ont affirmé qu’il se fait actuellement du travail en ce sens. 25 2. L’aménagement écosystémique : un processus participatif 2.1. La rencontre des acteurs Comme plusieurs auteurs l’ont mentionné (voir annexe 1), l’AÉ fait souvent référence aux relations des humains avec la nature. Lors d’une présentation durant l’atelier, un participant a affirmé que les arguments scientifiques ne sont pas suffisants pour que l’AÉ puisse être mise en œuvre. En effet, il est aussi important de contextualiser la démarche d’AÉ selon une variété de perspectives, de s’inspirer du contexte historique de l’occupation du territoire, d’être acceptable socialement, d’être faisable économiquement et de développer une méthode de gouvernance cohérente avec une dynamique d’adaptabilité. La participation de différents acteurs semble évidente et inévitable dans la mise en œuvre de l’AÉ. Premièrement parce que, dans la plupart des définitions du concept, on fait mention de l’importance de prendre en considération la place des humains dans la nature. Deuxièmement, parce que pour assurer le succès de la mise en œuvre de ce concept, les acteurs sont invités à participer au processus décisionnel. Le nouveau régime d’aménagement forestier, par le biais de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, permet une pluralité d’états, une pluralité de paysages. Il y a donc des choix à faire et plusieurs sont faits par les différentes tables de gestion intégrée des ressources et du territoire (GIRT). Auparavant, dans une politique forestière où le rendement soutenu est mis de l’avant, il n’y avait qu’un seul état désiré : la forêt normale. Il fallait récolter uniquement la croissance annuelle des forêts, ce que l’on appelle la possibilité forestière. Toutefois, il semble que plusieurs recherches ont démontré que le rendement soutenu fragilisait les forêts. C’est pourquoi l’AÉ est mise de l’avant dans la nouvelle politique. Selon les participants à l’atelier, ce ne sont pas tous les forestiers qui sont à l’aise avec cette méthode, puisque cette façon de faire est très nouvelle. Il y a donc un choc des valeurs. En effet, différents groupes d’acteurs autour d’une table GIRT peuvent amener différentes représentations du territoire forestier et différents 26 intérêts. Un scientifique peut utiliser les indicateurs d’aménagement écosystémique pour prioriser un paysage qui se rapproche de la forêt naturelle, tandis qu’un membre d’une Première Nation peut s’en servir comme une manière de protéger ses droits dans un langage que les forestiers comprennent. Les différents groupes doivent nécessairement apprendre à travailler ensemble. Cela pose plusieurs défis, notamment, en ce qui a trait à l’adaptation locale des lois et règlements ou à la définition, à une échelle communautaire, de ce que signifie l’AÉ. Un autre enjeu important des tables GIRT est la place accordée aux Premières Nations. En ce sens, un des participants à l’atelier considère que le lien de confiance des autochtones face aux allochtones n’est pas acquis : « Il faut comprendre que ça fait plus de deux siècles que les autochtones, chaque fois qu’ils négocient une entente avec nous, ils se font avoir ». En outre, la dimension autochtone ne semble pas être traitée adéquatement dans la loi qui a prévu la mise en place des tables GIRT. En résumé, plusieurs participants à l’atelier ont caractérisé le choc des valeurs en disant qu’il faut trouver un terrain d’entente entre vouloir extraire du bois et vouloir conserver la viabilité des écosystèmes, tout en ayant des paysages qui vont répondre aux valeurs culturelles et sociales. Il semble que, souvent, les options choisies pour réduire les écarts entre la forêt naturelle et la forêt aménagée soient convergentes avec les préoccupations sociales. Toutefois, des divergences peuvent aussi exister et ne doivent évidemment pas être minimisées. Un participant donnait un exemple où les planificateurs essaient de ne pas trop fragmenter la forêt (ce qui amène beaucoup de changements au plan de la biodiversité) en laissant des grands massifs de forêts, mais en faisant aussi des grandes coupes. Cette façon de faire heurte l’acceptabilité sociale, car l’aspect visuel des paysages ne correspond pas aux attentes. Il faut donc trouver des compromis qui permettent de rencontrer des attentes différentes envers la forêt, et qui reposent sur des critères soit esthétique, économique ou écologique, et qui définissent ce qui est un payage « acceptable ». 2.2. Un concept large, qui n’est pas toujours facile à comprendre À la suite des présentations faites par les participants lors de l’atelier, le premier commentaire a été à l’effet que l’AÉ est difficile à comprendre pour le public en général. Cette complexité technique oblige souvent les acteurs à faire confiance aux experts. Pour plusieurs participants, la méconnaissance fréquente de l’AÉ est l’un des principaux problèmes de ce 27 concept. La rareté des personnes formées accentue ce problème dans la mise en œuvre de l’AÉ à l’échelle locale. Les discussions à propos des attributs de la forêt naturelle, par exemple, sont souvent marquées par des compréhensions variables du concept. C’est pourquoi certains participants ont suggéré d’éduquer davantage la population à ce qu’est AÉ. Toutefois, pour l’un des participants, l’éducation doit aller dans plusieurs sens : « Éduquer les communautés, oui, mais éduquer aussi les forestiers qui ne sont pas toujours capables de saisir les éléments importants pour les communautés ». Lors de la période de discussion, une intervention a abordé ces incompréhensions d’une manière plus générale : l’AÉ semble plaire à tout le monde, mais souvent parce que chacun lui attribue un sens différent. On remarque qu’à travers le concept d’AÉ, des scientifiques visent un état de forêt préindustrielle, des Premières Nations peuvent l’utiliser comme un moyen de faire valoir leurs droits, des industriels y voient une façon d’avoir accès au bois, des écologistes considèrent que l’aménagement écosystémique va amener plus d’espaces verts, et le gouvernement trouve que c’est une bonne expression, car elle semble plaire à tout le monde. Comme réponse à ce commentaire, un participant a souligné qu’il est très important que l’AÉ ne devienne pas un argument utilisé pour résoudre tous les problèmes. L’AÉ n’est pas un objectif, mais un processus. Ce processus oblige à changer les pratiques, en ayant une meilleure connaissance des milieux naturels. De plus, ce processus a pour but de répondre à une demande sociale où on a besoin de bois, d’habitats fauniques (pour la chasse, la pêche et la trappe) et de services non marchandisables (services environnementaux). Le processus d’AÉ permet de mettre la table pour que des acteurs discutent de ce qu’ils veulent sur le territoire. Malgré cela, un participant reconnaît que l’AÉ a tendance à devenir un « buzzword », car c’est un concept qui intéresse beaucoup de monde et qui a la prétention de gérer la complexité écologique. En ce sens, il ne faut pas que l’AÉ devienne trop complexe. Le sud de la forêt boréale a relativement changé et c’est cet aspect qu’il faut gérer. Un autre participant a mentionné que même si AÉ n’est pas une formule magique qui va tout régler, la mise en œuvre de ce concept apporte, aux communautés qui savent s’en servir, des outils permettant de discuter avec les décideurs concernant l’aménagement du territoire. 28 Conclusion La revue de littérature a démontré qu’il existe plusieurs définitions de l’AÉ (voir annexe 1). Dans le même ordre d’idées, les participants ont mis de l’avant le fait qu’il existe de multiples façons d’utiliser ce concept. Il peut s’agir d’une façon de continuer à faire de la coupe en tenant compte du maintien de la biodiversité, d’une occasion d’augmenter la superficie des territoires protégés ou un moyen pour faire valoir les droits des Premières Nations. Un des participants a d’ailleurs mentionné que le concept d’AÉ représente une occasion pour le gouvernement de plaire à différents groupes. Est-ce que l’AÉ serait une campagne de relations publiques? On se souvient qu’aux États-Unis, l’AÉ est apparue dans le cadre d’une politique, afin d’améliorer l’image environnementale du pays sans compromettre la croissance économique, peu avant le Sommet de Rio. Néanmoins, l’État québécois fait plusieurs efforts pour mettre en œuvre l’AÉ. Il a, par exemple, mis de l’avant et soutenu des projets pilotes. La nouvelle Loi sur l’aménagement durable des territoires forestiers, dans laquelle le concept d’AÉ a une place importante, a été mise en œuvre en avril 2013. De manière générale, l’implication du public paraît importante dans les différentes manières de penser l’AÉ. Au Québec, on remarque que les acteurs locaux ont une grande place en ce qui a trait à la mise en œuvre du concept, mais peu dans les questions liées à la science des écosystèmes. En effet, l’un des fondements québécois de l’AÉ, par exemple celui où il faut récolter du bois tout en préservant la biodiversité, peut difficilement être remis en question par les acteurs locaux. De plus, on remarque que les connaissances des Premières Nations ne sont pas utilisées dans le processus issu de la science des écosystèmes. Il est intéressant de remarquer que d’un côté les connaissances autochtones ne sont pas utilisées, tandis que de l’autre il semble manquer de connaissances au sujet des écosystèmes. Il faut toutefois noter que l’utilisation des connaissances autochtones n’est pas toujours facile. Premièrement, parce que ces connaissances ne sont pas toujours accessibles. Deuxièmement, parce que les Premières Nations peuvent être réticentes à les partager. Troisièmement, parce qu’ils sont souvent dans un format difficile à interpréter pour les forestiers. L’une des raisons évoquées lors de l’atelier pour expliquer la très faible utilisation des connaissances autochtones dans l’AÉ est le fait que 29 les chercheurs en aménagement écosystémique travaillent généralement sur une échelle plus macro. Dans ce même ordre d’idée, il semble exister une inadéquation entre le fait que les connaissances sur les forêts soient à une échelle très large, tandis que l’un des défis de la participation est l’adaptation locale de l’AÉ. La question de l’échelle de la mise en œuvre de l’AÉ a aussi été soulevée dans la revue de littérature, où certains acteurs souhaitent faire de l’aménagement à l’échelle des bassins versants et d’autres à l’échelle des aires de trappe. Cet enjeu démontre bien comment les aspects relatifs à la science des écosystèmes et ceux liés à la participation du public peuvent se chevaucher. Il serait intéressant d’étudier la question plus en profondeur. Des recherches sur les aspects sociaux de l’AÉ pourraient permettre de faciliter la compréhension des liens entre la participation du public et les éléments relatifs à la science des écosystèmes, d’améliorer les relations entre les chercheurs et les acteurs locaux, ainsi que de trouver un équilibre entre les données écologiques macro et l’adaptation locale de l’AÉ. 30 Bibliographie Agee, J. KI, et D. R. Johnson, 1988, Ecosystem management for parks and wilderness. Seattle, Washington, University of Washington Press. Bergeron, Y., Harvey, B., Leduc, A. et Gauthier, S. 1999. « Stratégies d'aménagement forestier qui s "inspirent de la dynamique des perturbations naturelles : considérations à l'échelle du peuplement et de la forêt. » For. Chron. 75 (1) : 55-61. 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Selon Grumbine, l’AÉ s’oriente vers dix thèmes10 qu’il a recensés dans la littérature (voir tableau) et qui l’amène à proposer la définition suivante : Ecosystem management integrates scientific knowledge of ecological relationships within a complex sociopolitical and values framework toward the general goal of protecting native ecosystem integrity over the long term. [Tableau tiré de Grumbine 1994, p.30] 10 Hierarchical Context, Ecological Boundaries, Ecological Integrity, Data Collection, Monitoring, Adaptative Management, Interagency Cooperation, Organizational Change, Humans Embedded in Nature, Values (Grumbine 1994). 36 De son côté Yaffee (1999) tente de classer les différentes façons de penser l’AÉ. Pour ce faire, il a créé trois catégories : (1) environnementally sensitive, multiple-use management, (2) Ecosystem-based approaches to resource management, (3) Ecoregional mmanagement. [Tableau tiré de Yaffee 1999, p.717] Leech et al. (2009) présentent un guide pratique pour démêler les définitions de l’AÉ. En ce sens, il utilise un tableau avec diverses définitions, il reprend la catégorisation de Yaffee et il présente les différentes caractéristiques de l’AÉ selon Quinn (2002). [Tableau tiré de Leech et al. 2009, p. 3] 37 [Tableau tiré de Leech et al. 2009, p.4] Dans le milieu anglophone, il existe deux expressions pour parler d’AÉ, soit « Ecosystem Management » et «Ecosystem-based Management ». Il semble que ce soit la place accordée à l’humain qui fait la différence entre ces deux termes : « In the literature, the terms ecosystem management (EM) and ecosystem-based management (EBM) are used more or less interchangeably. Some authors prefer the term EBM because it emphasizes the human role (i.e., makes it clear that we are managing people, not ecosystems). Others prefer EM because of concerns that EBM seems to put ecosystems above all other considerations. In general, the preferred term seems to be EBM: “Ecosystem-based management is preferable to ecosystem management because it reflects the notion that the . . . [principal] activity is the management of human interactions with the ecosystem rather than the ecosystem itself ”(Pirot et al. [editors] 2000:1) » (Leech 2009 :2). 38 L’un des thèmes de l’AÉ mis de l’avant par plusieurs auteurs est que les humains font partie des écosystèmes. Dans l’article « A Framework for Understanding Social Science Contributions to Ecosystem Management » (Endter-Wada et al. 1998), on réfléchit à savoir si l’AÉ intègre réellement les humains. Les auteurs critiquent l’idée que l’on doit comprendre l’impact des humains sur les systèmes naturels, pour protéger ces systèmes des impacts humains. Cette façon de penser suppose que l’impact des humains est négatif pour la nature. De plus, elle n’intègre pas les valeurs humaines au début du processus d’AÉ et elle accentue l’idée que les humains et la nature sont des antithèses (Endter-Wada et al. 1998). Pour pallier à cet aspect, Endter-Wada et al. (1998) considèrent qu’il ne faut pas uniquement intégrer le public dans la prise de décisions politiques; il faut aussi intégrer les considérations sociales dans la science de la compréhension des écosystèmes. En ce sens, les sciences sociales ne doivent pas être utilisées uniquement pour comprendre comment les gens peuvent être « éduqués » à la protection des écosystèmes, mais plutôt comme un outil pour concevoir les écosystèmes et l’aménagement de ceux-ci. Même s’il reste encore beaucoup de travail à faire, on répertorie plusieurs projets qui ont incorporé des données sociales dans leurs démarches (voir : Harwell et al. 1996, FEMAT report 1993, Quigley et al. 1996 [dans Endter-Wada 1998]). Certains éléments évoqués ci-haut sont repris dans la littérature sur l’AÉ au Québec. Par exemple, Sylvain Volpé (2007), qui a fait une maîtrise intitulée : « Analyse des impacts opérationnels et financiers d'un aménagement écosystémique dans la région de la Côte-Nord : le cas de l'Île René-Levasseur », cite des auteurs comme Yaffe et Grumbine pour expliquer le concept d’AÉ. D’emblée, Volpé explique que l’AÉ « représente différentes choses pour différentes personnes ». Néanmoins, il considère que l’objectif de ce type d’aménagement est « de maintenir dans le paysage forestier la composition et la structure des peuplements qui s’approchent de ce qui est observé dans une forêt naturelle (Bergeron et al. 1999) » (Volpé 2007 : 7). De son côté, Yan Boucher, qui a écrit une thèse intitulée « Dynamique de la forêt du Bas-St-Laurent depuis le début de l’exploitation forestière (1820-2000) », utilise d’abord la définition issue de la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise: « Un concept d’aménagement forestier ayant pour objectif de satisfaire un ensemble de valeurs et de besoins humains en s’appuyant sur les processus et les fonctions de l’écosystème et en 39 maintenant son intégrité. » (Boucher 2008 : 1). Cette définition théorique sur l’aménagement forestier écosystémique est aussi présentée de manière plus opérationnelle : « L’AFÉ (aménagement forestier écosystémique) doit permettre de reproduire, par des stratégies d’aménagement (échelle du paysage) et des traitements sylvicoles (échelle du peuplement), les principales caractéristiques des écosystèmes retrouvés sous un régime de perturbations naturelles (Harvey et al. 2002). Cette vision repose sur le fait que les organismes ont évolué sous un régime de perturbations depuis des millénaires et que le maintien des écosystèmes à l’intérieur de leurs limites de variabilité naturelle, sous un régime d’aménagement forestier, est la meilleure assurance contre la perte de biodiversité » (Landres et al. 1999 ; Seymour et Hunter 1999; Lindenmayer et Franklin 2002). On remarque que l’humain est moins présent lorsqu’il s’agit d’opérationnaliser le concept. De plus, l’aspect « naturel » des écosystèmes est un élément qui semble prédominant. De manière générale, les diverses notions liées à l’AÉ amènent plusieurs questions. Est-ce que les humains font partie de la nature ? Est-ce que les activités humaines sont nécessairement néfastes pour l’environnement ? Est-ce qu’il existe réellement des endroits intouchés par les humains? Les avis sont partagés à ce sujet (voir Balée 2006 et Valée 2002). Au Québec, le gouvernement utilise souvent la définition suivante pour parler d’aménagement écosystémique : « L’aménagement écosystémique des forêts vise, par une approche écologique appliquée à l’aménagement forestier, à assurer le maintien de la biodiversité et de la viabilité de l’ensemble des écosystèmes forestiers tout en répondant à des besoins socio-économiques dans le respect des valeurs sociales liées au milieu forestier » (MRNF, 2006). En 2010, le gouvernement a encadré la définition de l’aménagement écosystémique dans la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier11 : « Un aménagement qui consiste à assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle (article 4.2) » Dans cette dernière définition, le caractère naturel de la forêt et des écosystèmes est mis de l’avant, tandis que l’aspect humain est complètement évacué. Néanmoins, il y a plusieurs considérations sociales dans le texte de cette loi (voir : L.R.Q. A-18.1). Que ce soit dans la littérature au Québec, au Canada ou aux États-Unis, on remarque que certaines notions concernant l’AÉ sont redondantes. Peu importe où l’on se trouve, la question de la place de l’humain dans la nature semble liée à l’AÉ. 11 Pour consulter l’ensemble de la loi, visiter : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/A_18_1/A18_1.html 40