Les Bonaparte » , N° 8073 , Janvier-février 2010

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1851
20-21
1851
DP 8073 LES BONAPARTE
Pratiques politiques
L
ES deux Empires
ont longtemps conservé
l’image de régimes ayant instrumentalisé le suffrage universel à travers
la pratique du plébiscite, considérée
comme une déviation du vote populaire. L’historiographie récente s’est
montrée beaucoup plus attentive à la
lecture de ces votes qui manifestent
déjà certaines formes de culture
politique.
Le plébiscite est au cœur de la
doctrine bonapartiste. Il incarne en
effet l’expression de la souveraineté
nationale, inscrite dans les principes
de 1789. Pour Napoléon Bonaparte
comme pour Napoléon III, la nation
doit être consultée dès lors qu’est modifié le contrat qui la lie à ses représentants, c’est-à-dire la constitution.
Les quatre plébiscites organisés sous
le Consulat et l’Empire, en l’an VIII
(1799), en l’an X (1802), en l’an XII
(1804), puis au moment des CentJours (1815), de même que les trois
plébiscites organisés entre le coup
d’État et la chute du Second Empire
(décembre 1851, novembre 1852, mai
1870), portaient sur la constitution du
pays. Mais on oublie trop souvent
que cette pratique avait été inaugurée
par la Convention. Cette dernière
avait soumis au vote la Constitution
de l’an I (1793) et Sieyès, dans ses
projets de réforme constitutionnelle,
prévoyait également une “votation”
populaire.
Au lendemain du coup d’État du
2 décembre 1851, Louis Napoléon
Bonaparte décide de consulter la
population, en lui posant la question
suivante : “Le peuple français veut
le maintien de l’autorité de Louis
Napoléon Bonaparte et lui délègue
les pouvoirs nécessaires pour établir
une constitution sur les bases proposées dans la ‘proclamation’ ”, allusion
aux propositions formulées le 2 décembre d’instaurer un pouvoir fort
en France. Le peuple est donc invité
à donner son approbation au coup
Les plébiscites,
au fondement
du Second Empire
d’État et au retour aux institutions
qui gouvernaient la France au début
du siècle. Un an plus tard, le peuple
est de nouveau appelé aux urnes pour
donner son avis sur le rétablissement
de l’Empire.
En 1851, le scrutin est organisé
les 20 et 21 décembre, alors que règne l’état de siège dans un tiers des
départements récemment touchés
par les insurrections. La pression des
autorités locales est forte et s’exerce
en faveur du oui. Par rapport au
Consulat, des urnes sont disponibles
dans des bureaux de vote, alors qu’au
début du siècle l’électeur était invité
à signer un registre, ce qui conduisait
effectivement à réduire le nombre de
votes négatifs. En 1851 comme en
1852, seuls les bulletins oui sont déjà
imprimés, l’électeur désirant voter
non doit inscrire lui-même sa volonté
sur un bulletin. Et il n’y a ni enveloppe ni isoloir. Pourtant les Français
s’expriment. La participation est
massive (plus de 80 %), ce qui ne
peut s’expliquer uniquement par les
pressions des autorités. En l’an VIII,
Lucien Bonaparte, alors ministre de
l’Intérieur, avait dû truquer les résultats pour parvenir à 3 millions de oui ;
en 1851, Louis Napoléon Bonaparte
en recueille 7,5 millions. Les Français ont très majoritairement soutenu
le Prince-Président, puis approuvé
l’Empire (7 824 189 oui).
Pourtant, la carte des adhésions
est contrastée et laisse apparaître
quelques résistances, notamment
en 1851, dans une France de l’ouest
et du sud-est, rurale, aux traditions
monarchistes et catholiques pour
la première, républicaines pour la
seconde. À l’inverse, la France bonapartiste est la France moderne, déjà
industrialisée, du nord et du nord-est.
Paris fait exception en manifestant
ses réserves, avec 80 691 non contre
132 981 oui en 1851, et encore 44 484
non contre 137 425 oui en 1852. Le
nombre de bulletins nuls double dans
Quelques exemples de bulletins nuls,
plébiscites de décembre 1851 et novembre
1852, département de la Seine.
Documents fournis par Vincent Huet dont la
thèse (en cours) porte sur les comportements
politiques des Parisiens de 1850 à 1870.
Paris, Archives nationales, B II 1118 et 1206.
Photographies disponibles sur transparent
la capitale, passant de 3021 en 1851 à
6731 en 1852. Or ils constituent une
forme d’expression riche d’enseignements, surtout quand le scrutin paraît
joué d’avance (un électeur le qualifie
de “farce”). Très minoritaires, ces
réactions manifestent l’attachement
à la liberté, à la République, à la
tradition révolutionnaire française.
Même s’il dépose finalement un oui,
un électeur, en guise d’avertissement,
fait référence aux grands épisodes
révolutionnaires (1789, 1793, 1848).
Un autre s’appuie sur des citations de
Shakespeare, Goethe et Louis Napoléon lui-même, pour justifier son rejet
du passage à l’Empire. Tous ces bulletins expriment, avec une liberté de ton
pouvant aller jusqu’à la grossièreté,
une volonté de conserver la parole
qui montre que le suffrage universel,
récemment introduit en France, est
progressivement apprivoisé.
1851
1852
1852
Les “oui” au plébiscite de 1851
Plébiscite sur la prolongation du mandat
du chef de l’État et pouvoirs constituants
à Louis Napoléon Bonaparte
93,3 %
83,7 %
79,2 %
74,1 %
69,3 %
64,2 %
43,4 %
0
50 km
Source : Frédéric Salmon, Atlas électoral de la France, 18482001, Paris, Seuil, 2001.
1852
“L’homme n’est pas Dieu ; avec lui meurent ses vices,
“ses vertus, s’il en a” “Scheaskpeare” [Shakespeare]
_________
“L’éternité finit demain” “Goethe”
_________
“Homme, sache que l’avenir le présent est à toi,
“mais l’avenir à tes successeurs“ “Louis Napoléon tome III, page
113
_________
Empereur est un titre que jamais je ne donnerai
à personne
NON !!!
Monsieur Bonaparte, j’aime trop ma liberté, la paix
le bonheur des peuples pour aliéner en votre personne et
ses successeurs, par un vote affirmatif sur le plébiscite
soumis au scrutin national, la souveraineté qui
réside en moi comme elle réside dans tout être pensant.
France, 21 9bre [novembre] 52 midi..
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