La biodiversité : Du tissu vivant planétaire aux services rendus par les écosystèmes Professeur Robert Barbault 1. De la diversité du vivant au concept écologique de biodiversité Il est classique de se repérer dans la profusion du vivant en commençant par identifier, décrire et classer la variété des organismes qui peuplent et ont peuplé la Terre. C’est ce que font les paléontologues et les systématiciens, botanistes ou zoologistes, depuis l’émergence des sciences de la nature, grâce au concept d’espèce et au système de classification qui en a résulté : l’arbre du vivant, sur lequel les espèces se rangent en fonction de leur proximité génétique, c’est-à-dire leurs relations de parenté. C’est une première approche et composante de la biodiversité que les écologues appellent « richesse spécifique » (nombre d’espèces dans un milieu donné, un pays ou la terre entière) pour distinguer cette mesure de celle qui prend en compte l’abondance relative des espèces, appelée « diversité spécifique ». Cette richesse spécifique repose et résulte d’une autre diversité fondamentale quoique « cachée » : la variabilité génétique qu’abrite toute population animale ou végétale. C’est, en effet, à partir de cette diversité qu’ont pu se différencier les centaines de millions d’espèces de bactéries, de plantes et d’animaux qui animent la biosphère. Enfin, troisième approche majeure de la diversité du vivant, l’approche fonctionnelle ou écologique, qui s’intéresse à la façon dont se tissent les relations entre espèces, au fonctionnement des écosystèmes et à la diversité des fonctions qu’ils assurent (synthétiser de la matière organique, fixer l’azote de l’air, décomposer et recycler la matière morte, capturer des insectes pour s’en nourrir etc .) – et des types de réseaux trophiques ou d’écosystèmes qui en résultent. 2. Le tissu vivant planétaire, une affaire de 3.8 milliards d’années Lorsqu’on appréhende la diversité du vivant à travers le tissu des vies qui animent la planète Terre on est conduit à dégager et à souligner quelque grandes propriétés du Vivant – essentielles quand on se propose de relier « biodiversité » et « développement durable ». 2.1. Le vivant s’est construit et diversifié à travers un jeu incessant d’interactions Vivre c’est interagir. Le réseau du vivant s’est d’abord tissé à partir d’interactions entre les organismes et leur environnement chimique et physique (leur milieu de vie), mais aussi très vite entre organismes se mangeant les uns les autres. C’est ainsi que ce sont constitués les réseaux trophiques (entrelacs de chaînes alimentaires) qui forment la trame vivante des écosystèmes et de la biosphère tout entière. A titre d’exemple « démaillons » progressivement ce fragment du tissu vivant planétaire près des côtes de l’Alaska, où vit et auquel appartient la Loutre de mer (fig.1). Dans les années 1990 est signalé un effondrement de la population de l’espèce, pourtant intégralement protégée et jusque là florissante. Que s’est-il passé ? Aucun signe de pénurie alimentaire : les oursins dont se délecte notre loutre sont en train de pulluler. Et pour cause : il y a dix fois moins de loutres à s’en repaître ! La cause du 1 problème est donc à rechercher de l’autre côté de la chaîne alimentaire à laquelle appartient la loutre, du côté des « ennemis ». Aucun signe de maladie, d’épidémie, mais l’« ombre » d’un redoutable prédateur, l’Orque. Pourquoi donc les orques en sont-elles venues à mettre les loutres de mer à leur menu – des proies de taille modeste et qu’elles négligeaient jusque là ? Parce que les phoques dont elles avaient l’habitude de se nourrir sont devenus rares dans la région, victimes de l’effondrement des bancs de poissons consécutif à la surpêche pratiquée par un autre grand prédateur, Homo sapiens. Ainsi, une maille se défait et c’est tout le « vêtement » qui se déchire… Côté oursins, cela ne va pas mieux : la forêt de laminaires – ces algues géantes qui tapissent les fonds marins côtiers et font vivre quantité de vers, mollusques, crustacés et poissons – part en lambeaux, broutée par des échinodermes de plus en plus nombreux, d’où une destruction sans précédent de la biodiversité qui en dépendait. Homo Sapiens Orques Phoques Loutres de mer Poissons piscivores Poissons Oursins Mollusques Crustacés Laminaires Fig.1. Un fragment de réseau alimentaire sur les côtes de l’Alaska, en partant des Loutres de mer et des déboires qu’elles connaissent depuis les années 1990 (voir texte) Les flèches relient les proies à leurs consommateurs. 2 1. Un prédateur écologiquement nécessaire Sur les bans rocheux de la zone de balancement des marées (estran) des côtes américaines, l’écologue Bob Paine avait relevé l’association remarquablement constante de moules, de balanes et d’une étoile de mer faisant fonction de prédateur de sommet à cette échelle spatiale d’analyse. En d’autres termes, parce qu’elle se nourrit des balanes, moules, et autres petits crustacés, l’étoile de mer se trouve fonctionnellement placée au sommet de ce petit réseau trophique. En juin 1963, Bob Paine élimine l’étoile de mer sur des bandes de 8m x2m. Dès septembre, il observe l’expansion d’une espèce de balane, Balanus glandula, qui occupait selon les sites 60 à 80 % de l’espace rocheux disponible. En juin de l’année suivante, les balanes étaient repoussées par la croissance rapide de la moule de Californie qui domina peu à peu tout l’espace avec la subsistance sporadique de la balane à cou d’oie : la richesse spécifique locale, en absence de l’espèce clé de voûte (selon le concept proposé par Paine), est passée de 15 à 7 espèces. Ainsi, la présence du prédateur de sommet permettait la coexistence de nombreuses espèces en compétition pour la colonisation de la bande rocheuse de l’estran. Sa disparition entraîna un appauvrissement de la communauté par exclusion compétitive des espèces les moins efficaces dans la colonisation du substrat rocheux. L’étoile de mer Pisaster ochraceus est une espèce clé de voûte et l’hypothèse de Paine est que « la diversité spécifique locale est directement dépendante de l’efficacité avec laquelle les prédateurs empêchent la monopolisation des ressources par une seule espèce ». Qui ou quoi empêchera Homo sapiens de monopoliser toutes les ressources à son seul profit ? Un code de développement durable ! Voilà ce qu’est un réseau trophique, un système complexe d’interactions mangeurs-mangés, où circulent matière et énergie depuis les algues qui fabriquent de la matière organique grâce à la photosynthèse, jusqu‘aux grand prédateurs en bout de chaînes, dont l’homme. Ainsi, depuis son apparition sur Terre il y a 3.8 milliards d’années, la Vie n’a cessé de se diversifier tout en traversant crises et cataclysmes divers (dérive des continents, éruptions volcaniques, glaciations, amples variations du niveau des mers, irruption de chaînes de montage etc.) – et c’est pour cela qu’elle s’est maintenue jusqu’à nos jours : la diversité qu’elle déploie est une stratégie d’adaptation aux changements – une stratégie de développement durable pourrait-on dire ! Ajoutons que si les relations de type mangeurs-mangés paraissent dominer la scène (pour les ressources alimentaires précisément, mais aussi pour l’espace qui donne accès à ces ressources et permet de s’installer, nicher ou s’abriter), il ne faut pas sous-estimer l’importance dans l’Evolution et le succès du vivant des relations de coopération (mutualismes et symbioses). Ni le rôle stabilisateur des prédateurs (voir Encart 1). 2.2. Des interactions de prédation et de compétition, mais aussi des relations de coopération Dans l’histoire du vivant les évolutionnistes John Maynard Smith et Eörs Szathmary relèvent ce qu’ils appellent les huit transitions majeures. Ces transitions marquent des sortes de sauts évolutifs, l’accès à des types d’organisation biologique plus complexes. Ces changements majeurs, qui demandèrent le franchissement d’obstacles difficiles, sont le fruit de véritables inventions dans l’organisation du vivant. Or la plupart résultent d’une association, d’un mariage plus ou moins indissoluble : des entités, antérieurement séparées, ne peuvent plus après la transition se répliquer qu’en tant qu’éléments du système plus vaste qu’elles ont créé ensemble. 3 C’est le cas de la symbiose à l’origine des cellules eucaryotes comme de l’apparition des organismes multicellulaires ou des espèces sociales. Retenons que dans la dynamique écologique où se déploie la biodiversité, les relations à bénéfices réciproques furent tout aussi décisives que les aptitudes compétitives que l’on tend à valoriser aujourd’hui trop unilatéralement dans certains débats de société. Quelques exemples : pour capturer leurs proies nombre de grands carnivores – loups, lions, hyènes, lycaons, - doivent recourir à des chasses collectives et s’organiser en conséquence ; beaucoup d’espèces, pour se protéger des attaques de leurs prédateurs, doivent vivre en groupes – marmottes, pigeons picorant en terrain découvert, bœufs musqués ou buffles etc. Et n’oublions pas Homo sapiens : que seraitil devenu sans sa solide organisation sociale et le partenariat très original qu’il a développé avec plantes et animaux domestiques ? 3. Caractéristiques et propriétés de la biodiversité en relation avec un développement durable La biodiversité est étroitement liée à l’aire géographique qu’elle occupe – et d’autant plus riche que celle-ci est vaste. Outre l’aspect historique*, cette propriété est la résultante de deux composantes : un effet surface sensu stricto ; et l’effet de la diversité des milieux qui tend à augmenter avec la superficie couverte. Plus les systèmes écologiques sont diversifiées plus ils sont supposés capables de résister aux perturbations et autres accidents et de se rétablir ensuite : on parle de résilience. Parce que le monde est exposé aux changements, et cela depuis l’origine des temps et de la vie, cette propriété de la biodiversité est cruciale dans toute stratégie de développement durable. 2. La baleine grise, une entreprise qui profite aux oiseaux marins Qui aurait pu imaginer, écrivent Philippe Cury et Yves Miserey (2008), que l’effondrement de la population de baleines grises dans l’Atlantique ait des effets sur les populations d’oiseaux marins ? Pour le comprendre, il faut percevoir derrière ces grands mammifères marins les prodigieuses « entreprises » qu’ils sont pour transférer matière et énergie sur des grandes distances, mais aussi entre les profondeurs et la surface des océans. Ils s’alimentent sur le fond en pompant les sédiments et organismes qui y résident. Avant leur exploitation au XIXème siècle, les baleines grises étaient capables de remettre en circulation quelque 720 millions de m3 de sédiments chaque été. Au cours de ce gigantesque chambardement, de nombreux crustacés benthiques, c’est-à-dire vivant sur le fond, se trouvent littéralement projetés en surface – véritable aubaine pour les oiseaux marins qui ont appris à suivre les déplacements des grands cétacés. Or si l’on considère qu’à cette époque, avant les débuts de la chasse, la population de baleines grises tournait autour de 100 000 individus, le phénomène précédemment décrit permettait de nourrir plus d’un million d’oiseaux. On comprend alors aisément pourquoi et comment ceux-ci ont souffert du déclin des baleines : avec la réduction des remontées, les ressources alimentaires disponibles ne permettent aujourd’hui l’entretien que de quelque 220 000 oiseaux marins. Le tissu vivant planétaire, les systèmes écologiques qui le représentent à l’échelle locale ou régionale, fonctionnent : ils produisent de la matière vivante, recyclent la matière morte et évoluent (voir Encart 2). On est donc loin de l’image 4 simpliste des petites plantes et des gentils oiseaux qui ne serviraient à rien – mais pourquoi devraient-ils nous servir ? Je vais y revenir au point 4, à propos de ce que l’on appelle aujourd’hui les « services rendus par les écosystèmes ». Homo sapiens, comme toute espèce, fait partie de la biodiversité. Elle en dépend, elle en profite mais elle la démaille dans des proportions qui commencent à lui nuire – voir l’effondrement des pêcheries, Morue de Terre Neuve ou Thon rouge, par exemple. Au-delà de leur nombre, ce sont les caractéristiques fonctionnelles des espèces qui influent le plus fortement sur les propriétés des écosystèmes et la qualité des services qu’ils peuvent délivrer. C’est un rappel à l’ordre important et utile : la biodiversité est un assemblage de spécificités. C’est bien l’éloge de la diversité qu’il faut faire et non de la seule quantité d’espèces où l’on additionne sans vergogne choux, carottes et ratons-laveurs (voir Encart 3). C’est l’occasion de rappeler aussi que chaque espèce est un faisceau d’inventions, développées, accumulées et transmises au long de milliers et millions d’années. Respect donc ! 3. La diversité protège En Chine, Zhu et ses collègues ont démontré qu’en cultivant un mélange de variétés de riz on pouvait libérer les riziculteurs de l’asservissement aux pesticides. Une maladie cryptogamique, la flétrissure du riz, faisait des ravages et le recours aux traitements fongicides était nécessaire mais coûteux. En mélangeant une variété traditionnelle, résistante au champignon mais moins productive, à d’autres variétés, Zhu et ses collègues ont fait la preuve que l’on pouvait produire autant voire davantage et mieux (la diversité apportant une palette nutritionnelle plus riche) sans traitement fongicide. Ce ne fut pas pure expérimentation gratuite : commencée en 1998 sur 812 hectares, l’expérience fut étendue en 1999 à 3342ha, puis son succès conduisit les paysans à adopter cette pratique dans tout le Yunnan : 40 000ha en 2000, 10 millions d’hectares en 2005 ! L’explication écologique de ce succès est assez complexe. Tout d’abord la présence de plusieurs variétés en mélange offre une barrière physique à la dispersion des spores du champignon. De plus, il existe un processus d’immunisation entre plantes mélangées : Lorsqu’une forme de pathogène incapable d’infecter une plante dotée de la résistance adéquate tente malgré tout de le faire, elle active des mécanismes de défense qui vont préparer celle-ci à résister avec succès à d’autres formes du pathogène qui, elles, auraient pu l’affecter. Enfin, la complexité structurale et génétique de la culture en mélange ralentit l’évolution et l’adaptation des agents pathogènes. La diversité est bien une stratégie d’adaptation aux changements. 4. De la biodiversité aux services qu’elle garantit à travers le fonctionnement des écosystèmes On comprend facilement que, derrière les services rendus par les écosystèmes, on a des processus biologiques et écologiques (production ou décomposition de matière organique, fixation de l’azote de l’air, pollinisation des fleurs…), donc des espèces qui les accomplissent : Biodiversité Processus écologiques Services. Ces flèches que l’on peut légitimement utiliser pour schématiser (voir aussi fig.2) les espaces de transition entre biodiversité et bénéfices pour les sociétés humaines, escamotent un peu vite les complexités qu’elles dissimulent et les lacunes dans nos connaissances à leur sujet. *Les faunes et les flores sont plus riches dans la zone intertropicale que sous les hautes latitudes affectées par les glaciations. 5 PRESSIONS EXERCEES PAR LES SOCIETES HUMAINES Prélèvements, Usages des terres, introduction d’espèces, pollutions, changements climatiques PROCESSUS ECOSYSTEMIQUES BIODIVERSITE • Composition en espèces et • diversité spécifique Traits biologiques et fonctionnels •Interactions entre organismes (compétition, prédation, coopération, parasitisme) • Interactions espèces-milieux SERVICES ECOLOGIQUES Fig.2. Biodiversité, appréhendée à l’échelle de la richesse en espèces, et liens avec les populations humaines à travers le jeu des processus écosystémiques et des services qu’ils assurent (appelés « services écologiques ») et les traits propres à chacune de ces espèces. Tout d’abord il convient de souligner que la biodiversité dont il s’agit ici ne se réduit pas aux habituels oiseaux ou mammifères charismatiques menacés d’extinction mais s’étend à des cortèges mal connus ou négligés de vers, de crustacés, de champignons ainsi qu’au monde invisible des micro-organismes. D’autre part, entre la biodiversité – une histoire qui s’inscrit à l’échelle de milliers et millions d’années – et les services que nous apprécions à l’échelle de la décennie, le raccourci paraît précipité et trompeur. Enfin, les écosystèmes se bornent à fonctionner. Ils ne nous fournissent rien à proprement parler : c’est nous qui prélevons et profitons de leur fonctionnement. Le mot « service » est impropre ! 5. Services écologiques et développement durable Depuis l’Evaluation des écosystèmes pour le Millénaire lancée en 2000 par l’ONU (MEA, 2005) personne ne conteste plus les liens étroits qui existent entre l’état des écosystèmes de la planète et le bien-être des sociétés humaines. Ce Rapport mondial pose clairement les bases d’un développement véritablement durable, c’est-àdire qui vise à assurer le bien-être des générations futures. Et cela passe par la sauvegarde des services assurés par les écosystèmes, déclinés selon une terminologie maintenant acceptée mondialement (fig.3). Je n’insisterai ici, pour ne pas paraphraser le schéma de la figure 3, que sur trois points, essentiels pour une bonne compréhension de l’étroite dépendance du développement, si on le veut durable, vis-à-vis de la biodiversité qui est la trame vivante des écosystèmes. 6 SERVICES DELIVRES PAR LES ECOSYSTEMES Services de base Support des activités biologiques, de la vie Services de prélèvement (biens fournis) • Nourriture • Eau potable • Bois, fibres, cuirs • Biomolécules actives DEVELOPPEMENT Et BIEN-ÊTRE HUMAIN Sécurité • Milieu de vie sain • sécurité alimentaire • Atténuation des catastrophes Santé • Constitution des sols Services de régulation • Cycle des Nutriments • du climat • épuration de l’eau • contrôle des ravageurs • pollinisation • Production Primaire (photosynthèse) Services culturels ou esthétiques • d’agrément • d’inspiration • de connaissance • Accès à aliments de qualité • Accès à une eau potable • Atmosphère saine Bonnes relations sociales • opportunités récréatives • de connaissance ou découverte • opportunités spirituelles et artistiques Fig.3 . Services rendus par les écosystèmes et liens avec le développement humain (adapté de MEA 2005) 7 4. Un contrôle biologique gratuit Partout les hommes sont en compétition avec une multitude de ravageurs pour la nourriture, les fibres ou le bois. Mais, qu’ils le sachent ou non, ils sont aidés dans cette lutte par nombre de parasites et prédateurs qui réduisent grandement les populations de beaucoup de ces ravageurs. La perte des services de régulation assurés par des contrôleurs naturels des ravageurs potentiels peut avoir d’importantes conséquences économiques et écologiques, sans parler d’éventuels effets sur la santé des humains où de leurs espèces domestiques ou cultivées. La chauve-souris brésilienne tadarida brasiliensis fournit un tel service de contrôle biologique de ravageurs à l’échelle continentale pour l’Amérique du Nord. L’espèce hiverne au centre et au sud du Mexique et migre vers le nord chaque printemps pour former de grandes colonies de reproduction au nord du Mexique et dans le Sud-Ouest des Etats-Unis. Des colonies de plus de 20 millions d’individus y ont été recensées. Plus de 100 millions de chauves-souris peuvent se disperser chaque nuit, hors des grottes et des ponts où elles s’abritent durant le jour, pour se nourrir dans le sud et le centre du Texas. Elles consomment d’énormes quantités d’insectes pendant la période chaude ; les femelles allaitantes, en particulier, peuvent ingérer jusqu’à deux tiers de leur masse corporelle chaque nuit. Les proies de ces chauves-souris incluent des adultes de plusieurs espèces de lépidoptères de la famille des Noctuelles, dont les chenilles sont connues comme des pestes agricoles, parmi lesquelles un redoutable ravageur du coton (Helicoperva zea). Les revenus sauvés par ces agents de contrôle biologique ont été estimés dans une région de huit comtés du Texas. Les calculs donnent une valeur annuelle de 741 000 dollars, avec une fourchette allant de 121 000 à 1 725 000 dollars – à comparer aux quelques 5 millions de dollars par an que représente la récolte de coton. D’abord deux mots sur les services de base, ou de soutien : il ne saurait y avoir de vie sans eux – on les appelle d’ailleurs souvent « services support de la vie ». En d’autres termes, leur sauvegarde prime sur toute autre considération, dès lors que l’on veut garantir des opportunités de développement optimales. C’est ce qui m’a conduit à dire (Barbault et Weber, 2010) que la biodiversité était la plus grosse entreprise de la planète – une entreprise qui a près de 4 milliards d’années d’expérience (vous avez dit développement durable ? qui fait mieux ?) et dont toutes les autres dépendent ! Ensuite attardons-nous sur les services de régulation – moins familiers que ceux qui produisent des biens exploitables, donc reconnus par les Marchés (nourriture, molécules d’intérêt médical ou industriel, ressources génétiques). Par leur présence ou leur fonctionnement, les écosystèmes règlent ou amortissent un grand nombre de phénomènes pour notre plus grand bien : épuration des eaux, pollinisation des fleurs de nos vergers et légumes – mais aussi de nombreuses espèces sauvages (plus de 85% des plantes de Guyane dépendent des animaux pour leur pollinisation et la dispersions de leur graines), contrôle des pullulations d’espèces susceptible de devenir ravageurs pour les cultures ou vectrices de maladies (voir Encart 4), amortissement de l’impact des raz-de-marée (ex. des mangroves ou barrières de corail qui protègent les côtes habitées) etc. Tout cela est généralement négligé par les systèmes économiques en vigueur, parce que échappant aux sacro-saints « marchés ». Enfin, avant d’être des exploiteurs des ressources ou services apportés par la nature nous en sommes membres, nous en sommes issus… et nous en sommes responsables vis-à-vis de nos enfants et petits-enfants à venir. Bref, la biodiversité nous offre des leçons de vie, nous rappelle à nos Valeurs – et ça n’est pas là le moindre des services ! 8 Pour en savoir plus Barbault, R. 2008. Un éléphant dans un jeu de quilles. L’homme dans la biodiversité. Seuil et « Points Science » Barbault, R. et Weber, J. 2010. La vie, quelle entreprise ! Pour une révolution écologique de l’économie. Seuil, « Sciences ouverte ». Maynard-Smith, J. et Szathmary, E. 2000. Les origines de la vie. Dunod. Millennium Ecosystem Assessment, 2005. Ecosystems and Human Well-being : Synthesis, Washington DC, Island Press. Tirard, C. et Barbault, R. 2012. Mini Manuel d’Ecologie. Dunod. 9