OPTIMISATION DE L’HÉMOFILTRATION Olivier Joannes-Boyau, Antoine Dewitte Service d’Anesthésie-Réanimation 2, Hôpital Haut Lévèque, CHU de Bordeaux, 1, Avenue de Magellan 33600 Pessac. E-mail : [email protected] INTRODUCTION L’épuration extrarénale est devenue un outil incontournable, et maintenant indispensable par décret, dans l’arsenal des thérapeutiques mis à la disposition des praticiens en réanimation. La mortalité des patients de réanimation en insuffisance rénale aiguë (IRA) a été fortement diminuée depuis l’avènement de la dialyse puis de l’hémofiltration, même si leur bénéfice fait parfois encore débat [1, 2]. L’efficacité de cette technique dans la prise en charge de la défaillance rénale reste cependant conditionnée par une utilisation adéquate et l’optimisation de son administration, c’est pourquoi la recherche scientifique reste active sur le sujet. De nombreux paramètres sont ainsi à prendre en compte, tels que le cathéter à utiliser, son lieu d’insertion, la mise en route du traitement, le choix de la technique, le mode d’anticoagulation, la dose à délivrer, etc… Plusieurs techniques d’épuration extrarénale sont désormais à notre disposition, allant de l’hémodialyse intermittente à l’hémofiltration continue à haut volume, en passant par la SLED (Sustained Low Efficiency Dialysis). Elles sont souvent mises en concurrence alors que leur complémentarité est soulignée par les groupes d’experts [3]. Après une présentation générale des principes de l’épuration extrarénale et des différentes grandes techniques à notre disposition, seule l’optimisation de l’hémofiltration sera décrite dans ce document. C’est en effet la technique actuellement la plus utilisée en réanimation, notamment à la phase aiguë, et nombre des recommandations pour l’hémofiltration valent pour les autres techniques. Les recommandations présentées découlent des consensus d’experts français et étrangers publiés récemment [4, 5]. 1. EPURATION EXTRARÉNALE ASPECTS TECHNIQUES 1.1.PRINCIPES DE L’ÉPURATION EXTRARÉNALE (EER) 1.1.1.Convection C’est le transfert simultané de solvant et d’une fraction des solutés qu’il contient, au travers d’une membrane, en fonction du gradient de pression hydrostatique existant de part et d’autre de la membrane. C’est le principe de l’hémofiltration. Toutes les molécules dont l’encombrement stérique (en pratique lié à leur taille) est 362 MAPAR 2016 compatible avec la dimension des pores membranaires, peuvent fuir du plasma vers l’ultrafiltrat (UF). On exprime souvent cette caractéristique par la notion de « point de coupure » : limite du poids moléculaire des molécules que la membrane laisse passer. La molécule qui passe le mieux est bien sûr la plus petite et la plus abondante du plasma : l’eau. Mais le transport concerne également les électrolytes, les substances solubles du plasma, les peptides et les cytokines dans la limite de leur poids moléculaire et du « cut-off » membranaire. La plupart des substances qui se retrouvent dans l’UF sont présentes à des concentrations proches des concentrations plasmatiques. Une hémofiltration continue efficace au plan rénal nécessite un transport convectif d’environ 20 l/jour chez un adulte : il est évident qu’une large part de cette perte hydrique doit être compensée. 1.1.2.Diffusion C’est le principe de l’hémodialyse. Le transfert par diffusion est un transport passif, sans ou très peu de passage de solvant, dont l’intensité dépend du gradient de concentration de part et d’autre de la membrane, du type de membrane et du coefficient de diffusion de la substance considérée. La vitesse avec laquelle une molécule est transférée est inversement proportionnelle à son poids moléculaire. En raison de faibles transferts volumiques, une substitution hydrique n’est pas indispensable en hémodialyse. 1.1.3.Adsorption membranaire Elle correspond à la fixation de certaines molécules directement sur la membrane en fonction de caractéristiques particulières (électrolytique, chimique) : c’est un phénomène saturable. La masse des solutés est difficilement quantifiable : elle est fonction de l’affinité du soluté avec la membrane (bioréactivité), et de la capacité totale de fixation membranaire (degré de saturation). 1.2.LES TECHNIQUES D’ÉPURATION EXTRARÉNALE L’hémodialyse intermittente est encore très utilisée dans certaines réanimations, notamment celles équipées d’un circuit d’épuration de l’eau et de fabrication de dialysat en ligne. Mais les techniques continues ne nécessitant pas la présence de cette installation très lourde ont de plus en plus d’adeptes. Elles sont actuellement les techniques les plus utilisées en réanimation. L’hémodialyse reste la seule technique vraiment intermittente, bien qu’il soit également possible de pratiquer l’hémofiltration de façon discontinue. Les durées d’hémodialyse en réanimation se sont progressivement allongées afin de préserver l’hémodynamique du patient, allant même jusqu’à devenir quasiment continues sur 16 ou 18 heures par jour avec la technique de la SLED (Sustained Low Efficiency Dialysis). La SCUF (Slow Continuous Ultrafiltration) est une méthode d’hémofiltration veino-veineuse continue, sans réinjection de liquide de substitution. Le débit sanguin est de 50 à 200 ml/min et le débit de déplétion hydrique du patient de l’ordre de 1 à 20 ml/min, mais, dans la mesure où il n’y a pas de restitution, la clairance de la créatinine est basse. Ce n’est ainsi pas une méthode de suppléance de la fonction rénale mais un mode essentiellement valable chez les patients en insuffisance cardiaque nécessitant une déplétion hydrosodée. La CVVH (Continuous Veino Venous Hémofiltration) soustrait et restitue le sang à partir d’un gros accès veineux et à l’aide d’une pompe. Le débit sang est imposé (de l’ordre de 100 à 450 ml/min) et assure une efficacité continue. Des tubulures standards peuvent être utilisées. Les hémofiltres à membranes synthétiques Rein et dialyse 363 hautement perméables (polyacrylonitrile, polysulfone, polyamide) peuvent disposer d’une surface importante comprise entre 0,6 et 2,1 m². La CVVHDF (Continuous Veino Veinous Hémodiafiltration) est une méthode associant hémofiltration et hémodialyse, qui est intéressante chez les patients soumis à un catabolisme intense ou ayant accumulé un retard d’épuration. La dialyse est réalisée en faisant circuler un liquide à bas débit (0,5 à 4 l/h) et à contrecourant dans l’hémofiltre. Le faible débit utilisé permet de ne pas recycler le liquide de dialyse et de simplement le jeter avec l’ultrafiltration. Ce mode ne paraît pas apporter d’avantage majeur par rapport à la CVVH et est donc lentement abandonné par les réanimations. 2. OPTIMISATION DE L’HÉMOFILTRATION 2.1.LES ABORDS VASCULAIRES L’abord vasculaire est un point primordial pour l’hémofiltration, car il est responsable de la moitié des causes d’arrêt du traitement lorsqu’il dysfonctionne. La méthode de choix reste le cathéter à double lumière. Les meilleures voies d’insertion sont la voie jugulaire interne droite et les voies fémorales [6], à égalité. Ce sont en effet celles qui présentent l’incidence de complication la plus faible et qui permettent d’avoir les débits de filtration les plus élevés. La jugulaire interne gauche est à éviter en raison de l’angle pris par le cathéter lorsqu’il est inséré dans cette veine [6]. Les voies sous-clavières sont à proscrire en raison du risque élevé de sténose rendant impossible la réalisation de fistule artério-veineuse sur le bras concerné si le malade développe une insuffisance rénale chronique. Le calibre doit être important, au minimum de 12 french chez l’adulte afin de pouvoir obtenir des débits suffisants, voir 13 ou 14 french si on veut atteindre des débits sanguins audelà de 150 ml/min. Il faudra également privilégier des cathéters de taille adaptée au lieu d’insertion afin de positionner l’extrémité dans un gros vaisseau, ainsi on choisira des cathéters de 15 à 20 cm en jugulaire (pour avoir une extrémité juste au-dessus de l’oreillette droite) et de 24 à 30 cm en fémoral (pour être positionné dans la veine cave inférieure), en sachant que plus le cathéter est long plus les résistances sont élevées et qu’il faudra donc augmenter son diamètre pour ne pas perdre en performance. Le problème majeur persistant est celui de la recirculation du sang, qui présente deux inconvénients, celui de la diminution de l’efficacité de l’hémofiltration en refiltrant du sang qui vient d’être traité, et celui du risque accru de thrombose, en faisant recirculer du sang déjà hémoconcentré. Il est donc conseillé, afin de limiter ces risques, de privilégier les cathéters dont les lumières sont le plus éloignées l’une de l’autre, et de choisir une veine dont le débit est le plus important possible. Enfin il faudra privilégier les cathéters avec orifices en canon de fusil qui diminuent le risque de thrombose par succion de la paroi de la veine et réduisent la recirculation (les cathéters avec de petits trous latéraux sont à éviter car ils favorisent ces deux problèmes). 2.2.LES MEMBRANES OU FILTRES Il existe de nombreux types de filtres différents, mais ils sont tous caractérisés par une haute perméabilité et une faible résistance à l’écoulement du sang. Le point de coupure de ces filtres varie entre 30000 et 50000 Daltons. Deux grands types de famille de filtres existent, de technologie et donc de propriétés différentes. Ils se répartissent en filtres plaques (aujourd’hui abandonnés car peu biocompatible, au 364 MAPAR 2016 même titre que les filtres en cellulose) d’un côté, et en filtres capillaires de l’autre. Les filtres capillaires sont composés de multiples fibres creuses microscopiques disposées parallèlement au sein d’un cylindre de plastique. Ces filtres sont parcourus longitudinalement par le sang du patient et l’ultrafiltrat est recueilli autour des fibres. Les filtres actuels sont des filtres courts à grand nombre de fibres parallèles qui sont préférés aux anciens filtres longs à faible quantité de fibres pour lesquels le risque de thrombose était trop élevé. En effet, au cours du trajet dans le filtre, la pression sanguine hydrostatique qui est responsable du phénomène d’ultrafiltration décroît progressivement du fait de la perte de charge de cette dernière. Elle est, selon la loi de Poiseuille, proportionnelle à la longueur de la fibre et à l’inverse de la puissance 4 du rayon de la fibre. On note également dans le même temps que la pression oncotique plasmatique augmente du fait de l’hémoconcentration. Comme le transport convectif est la résultante de l’interaction de deux forces : la pression hydrostatique qui évacue le plasma par convection et la pression oncotique qui tend à le retenir, la force motrice efficace est évaluée par l’intégration de la surface contenue entre les deux courbes de pression. Lorsque les deux niveaux de pression se rejoignent, la force motrice devient donc nulle et le parcours du sang le long de l’hémofiltre devient inutile ; le risque de thrombose devient alors majeur car à ce moment le sang très hémoconcentré circule lentement au contact d’un matériau étranger. C’est pourquoi la préférence est actuellement donnée aux filtres courts avec de multiples fibres. Les matériaux utilisés pour la fabrication des filtres sont principalement synthétiques, avec notamment le polyméthylmethacrylate (PMMA), le polysulfone et le polyacrylonitrile qui ont des biocompatibilités excellentes. Le polyacrylonitrile et le PMMA, en particulier, possèdent de surcroît des propriétés intéressantes dans l’adsorption des cytokines et des endotoxines [7]. On pourra donc choisir l’un ou l’autre de ces filtres, en gardant à l’esprit que le pouvoir d’adsorption vaut aussi pour les médicaments, notamment les antibiotiques. Il faudra ainsi tenir compte de cette propriété d’adsorption des membranes pour éviter les risques de sous-dosage. 2.3.LES MACHINES D’HÉMOFILTRATION L’hémofiltration continue peut se faire avec des moyens simples, sans pompe, à l’aide d’un dispositif artério-veineux. Cependant cette technique n’est pas recommandée actuellement. Les machines veino-veineuses, simples à l’origine, sont maintenant composées d’une pompe à sang et de divers systèmes de contrôle des pressions et de détection de bulle d’air. Elles tendent à devenir aussi performantes et complexes que les machines d’hémodialyse intermittente. En effet, l’importance de la balance entre la restitution et l’UF, ainsi que la volonté d’obtenir des volumes d’UF élevés amènent un besoin d’asservissement des apports à la soustraction volumique, réalisé par un système de pesée piloté par un logiciel spécialisé et relayé par un microprocesseur. 2.4.LES SOLUTÉS DE SUBSTITUTION L’hémofiltration continue engendre des pertes liquidiennes importantes, certes moins rapidement que la dialyse intermittente, mais qui seraient considérables si elles n’étaient compensées par des solutés de substitutions. Il existe en fait deux grands types de liquides de substitution selon la nature du tampon qu’elles contiennent : les solutions de lactate et les solutions de bicarbonate. Le choix de la solution idéale n’est toujours pas tranché, et malgré les nombreuses publications sur le sujet la controverse reste entière. Le soluté sera donc choisi en fonction de l’état Rein et dialyse 365 hémodynamique et électrolytique du patient. De même le débit de la substitution sera calculé en fonction des autres apports liquidiens du patient. Ainsi, les solutions de lactate sont déconseillées chez les patients ayant une fonction hépatique altérée ou en état de choc, c’est pourquoi le bicarbonate est le soluté le plus souvent utilisé en réanimation. Plusieurs méthodes peuvent être employées pour administrer la solution de substitution. La solution peut être mélangée avec le sang du patient avant le passage du filtre, on parle alors de pré-dilution, ce qui permet de diminuer la concentration des facteurs de coagulation au moment de leur passage dans l’hémofiltre et d’améliorer la rhéologie sanguine. La pré-dilution est donc utilisée pour augmenter la durée de vie du filtre en diminuant les risques de thromboses et les doses d’anticoagulant. Mais le revers est une réduction sensible de la clairance et donc de l’efficacité du traitement. La solution peut également être injectée après le passage de l’hémofiltre, on parle alors de post-dilution. Cette technique permet d’augmenter la clairance et d’administrer des produits après le passage par le filtre. Ces deux techniques peuvent être associées, dans des pourcentages variant selon le but principal recherché, le ratio optimal présumé étant de 1/3 de pré-dilution pour 2/3 de post-dilution. La composition des solutés doit également être la plus proche possible de celle d’un plasma normal afin d’éviter des désordres électrolytiques lors de l’hémofiltration. 2.5.L’ANTICOAGULATION Les circuits d’épuration extrarénale nécessitent l’emploi d’anticoagulant afin d’éviter la formation de thrombus au contact des biomatériaux qui constituent la machine d’hémofiltration [8]. Les besoins en anticoagulants varient sensiblement en fonction de la méthode d’épuration choisie. Les méthodes convectives sont souvent utilisées en réanimation sur des malades septiques ou présentant un syndrome inflammatoire, deux états qui favorisent l’activation de la cascade de la coagulation. Il faut également prendre en compte dans le choix de la méthode d’anticoagulation les risques hémorragiques, en faisant un état précis de la balance bénéfice/risque pour chaque thérapeutique. En effet, les patients traumatisés crâniens ou chirurgicaux, principalement en neurochirurgie ou en chirurgie hépatique, sont à haut risque et peuvent rarement bénéficier d’adjonction d’anticoagulants. C’est pour toutes ces raisons que plusieurs alternatives ont été offertes aux cliniciens, grâce à des techniques considérées plus anti-thrombotiques qu’anticoagulantes. Depuis quelques années, l’anticoagulation régionale au citrate (ARC) tend à se développer, notamment grâce à l’avènement de machines spécifiquement adaptées avec un haut niveau de sécurité. Elle est même devenue la technique d’anticoagulation recommandée en première intention dans les dernières conférences de consensus et référentiels [3, 5]. En effet, le citrate dispose de nombreux atouts, il permet une anticoagulation régionale de la machine sans interférer avec les capacités de coagulation du malade, son efficacité est redoutable et il accroît la durée de vie des filtres en maintenant leur perméabilité dans le temps. En revanche le citrate présente des interactions avec le métabolisme du patient qu’il faut bien appréhender, notamment par une bonne connaissance de l’équilibre acide-base (la théorie de Stewart particulièrement) et de la gestion des électrolytes. La technique est simple au premier abord : du citrate de sodium est injecté à l’entrée du circuit (le plus près possible de l’arrivée du sang sur la voie « artérielle » de la machine) qui va former un complexe citrate-calcium et bloquer la cascade de la coagulation dans tout le circuit à partir du moment où le 366 MAPAR 2016 calcium ionisé sera inférieur à 0,45 mmol/l. Une supplémentation en calcium sera effectuée ensuite au plus près du retour du sang au patient, sur la ligne « veineuse » afin de remplacer le calcium qui aura été éliminé dans l’effluent sous la forme de complexe citrate-calcium (de 40 à 60 % du total en fonction de la technique et des réglages). Les complexes citrate-calcium restant dans le circuit retourneront au patient et seront métabolisés par le foie et les muscles principalement, par le biais du cycle de Krebs notamment, avec production de calcium ionisé et de CO2+H2O. Les machines d’épuration extrarénale modernes adaptées à l’anticoagulation régionale au citrate permettent une utilisation de la technique avec un maximum de sécurité à partir du moment où elles possèdent des pompes dédiées pour le citrate et le calcium, asservies à la pompe à sang, avec des programmations de concentration en mmol/l pour le citrate et en mmol/l pour le calcium ou en pourcentage de compensation. Ces pompes tiennent compte du débit de substitution et/ou de dialysat programmé ainsi que du débit sang afin d’adapter leur débit pour maintenir la concentration programmée de calcium ou de citrate constante. Il faut cependant bien connaître les risques de l’ARC, en appréhendant ses conséquences métaboliques. Il s’agit en premier lieu des hypocalcémies, par erreur sur la préparation ou la programmation du calcium, ou par utilisation de gluconate de calcium sur des machines programmées pour recevoir du chlorure de calcium (le gluconate de calcium contient 2 à 3 fois moins de calcium pour un même volume que le chlorure de calcium et cette concentration varie en fonction des fabricants). L’alcalose métabolique est une autre complication classique, due principalement à un apport trop important de citrate de sodium, entraînant une hypernatrémie ou une hypochlorémie en fonction du soluté utilisé. Enfin une acidose métabolique peut aussi être la conséquence d’une accumulation de citrate chez des patients incapables de le métaboliser (en particulier une insuffisance hépatique, un choc grave avec hypoxie tissulaire ou une dysfonction du cycle de Krebs). En cas de contre-indication au citrate (insuffisance hépato-cellulaire, choc majeur avec hyperlactatémie, équipe non formée…), l’héparine reste une alternative, à condition de l’utiliser de manière optimale. Il faut ainsi limiter la dose d’héparine, généralement 5 à 10 UI/kg/h, pour viser un Temps de Céphaline Activée (TCA) entre 1 et 1,3 fois le témoin, en privilégiant une seringue avec une concentration à 50 UI/ml et en contrôlant le taux d’antithrombine du patient, co-facteur indispensable de l’héparine, qui doit être supérieur à 60 %. 2.6.LA DOSE Le volume d’échange optimal en hémofiltration continue a été longtemps débattu, Ronco et al. avaient dans un premier temps montré l’intérêt de l’augmentation des volumes d’échanges avec une diminution nette de la mortalité quand il passait de 20 à 35 ml/kg/h (59 % versus 43 %) [9]. Cependant, deux études publiées dans le New England, multicentriques et randomisées, regroupant des collectifs très importants de plus de 1000 patients, ne montrent aucun bénéfice à augmenter la dose d’hémofiltration, contredisant l’étude de Ronco [10, 11]. La dose aujourd’hui admise est donc de 25 ml/kg/h délivrée, ce qui implique tout de même de prescrire une dose légèrement supérieure (de 30 à 35 ml/kg/h) pour atteindre cet objectif. D’autres études ont également amené quelques pierres à l’édifice, notamment en montrant que l’hémofiltration précoce des patients septiques sans IRA ne montre pas d’intérêt et peut s’avérer délétère [12]. Enfin, l’hémofiltration à haut volume chez le patient septique qui avait fait naître de l'espoir s’est finalement Rein et dialyse 367 avérée elle aussi peu efficace pour réduire la mortalité comme l’a montrée l’étude IVOIRE en 2013 [13]. 2.7.LES RÉGLAGES ET L’ENTRETIEN Il faut veiller à obtenir une Fraction de Filtration (FF) inférieure à 25 %, en suivant cette formule (les formules proposées sur les machines étant souvent différentes) : FF = (pré-dilution + post-dilution + perte patient) / (pré-dilution + débit sang) Il ne faut pas régler un débit sang inférieur à 120 ml/min en épuration extrarénale, 150 ml/min en hémofiltration ou supérieur à 200 ml/min si ARC (afin d’éviter une alcalose). La substitution doit être mise en priorité en post-dilution pour favoriser les échanges, mais répartie en 1/3 de pré-dilution et 2/3 de post-dilution si les échanges sont supérieurs à 3 litres. Lors du branchement le débit sang doit être réglé à 50 ml/min, puis augmenté progressivement sur plusieurs minutes pour atteindre le débit voulu. Lors des changements de position de patient pour un soin ou une mise au fauteuil, le traitement doit être stoppé, en laissant tourner la pompe à sang afin de réduire le risque de thrombose par augmentation de la FF. Il faut également toujours placer une poche de cristalloïdes en dérivation sur la ligne artérielle afin de pouvoir préserver le circuit en cas d’arrêt impromptu de la pompe à sang (thrombose, pression trop négative ou trop positive, etc…) CONCLUSION L’hémofiltration en réanimation est une technique encore jeune qui n’a pas livré la totalité de son potentiel, que ce soit dans le traitement de la monodéfaillance rénale ou celui du sepsis avec atteinte multiviscérale. Si la question de la dose (25 ml/kg/h délivrée) a été tranchée, avec l’abandon du haut volume, de nombreuses inconnues demeurent, telles que le délai d’initiation idéal. La recherche, très active dans ce domaine, devrait apporter prochainement des réponses définitives. L’efficacité de la technique dépend de son utilisation optimale, en limitant les arrêts de traitement et la thrombose des circuits, afin de délivrer une dose suffisante. Pour se faire il faut être rigoureux, avec des équipes médicales et paramédicales formées et régulièrement remises à niveau, guidées par des protocoles écrits, particulièrement pour l’anticoagulation régionale au citrate, et une « check-list d’optimisation » : •Bon accès veineux, jugulaire droit (15 à 20 cm) ou fémoral (24 à 30 cm), au moins 12 french. •En cas de dysfonctionnement ou de thrombose du circuit, l’accès veineux est à vérifier en priorité •Au branchement, il faut monter le débit sang lentement vers le débit fixé •Utiliser des membranes biocompatibles •Utiliser des solutés avec une composition le plus proche possible du plasma •Régler une substitution avec 1/ 3 de pré-dilution et 2/3 de post-dilution, dès 3 litres d’échanges •Délivrer une dose de 25 ml/kg/h, ce qui implique de régler la dose à 30 à 35 ml/ kg/h sur la machine. • Choisir une anticoagulation régionale au citrate en première intention si les équipes sont bien formées. Sinon utiliser de faibles doses d’héparine, en surveillant l’antithrombine •Régler une fraction de filtration inférieure à 25 % •Stopper le traitement en ne laissant que le débit sang lors des soins aux patients (mouvements, nursing, mise au fauteuil, etc…) 368 MAPAR 2016 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Bagshaw SM, Uchino S, Kellum JA, Morimatsu H, Morgera S, Schetz M, et al. Association between renal replacement therapy in critically ill patients with severe acute kidney injury and mortality. J Crit Care 2013;28:1011‑8. [2] Libório AB, Leite TT, Neves FM de O, Teles F, Bezerra CT de M. AKI complications in critically ill patients: association with mortality rates and RRT. Clin J Am Soc Nephrol CJASN 2015;10:21‑8. [3] KDIGO AKI Work Group. KDIGO clinical practice guideline for acute kidney injury. Kidney Int Suppl 2012;1‑138. [4] Ronco C, Ricci Z, De Backer D, Kellum JA, Taccone FS, Joannidis M, et al. Renal replacement therapy in acute kidney injury: controversy and consensus. 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