Face +á Bruxelles, le Grec Manoilis Glezos repart en r+®sistance

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Le Monde Le 14 février
Face à Bruxelles, le Grec Manolis Glezos
repart en résistance
Portrait
A 89 ans, le héros du combat contre les nazis appelle son
peuple à s’opposer aux plans d’austérité à répétition
imposés par l’Europe.
Par MARIA MALAGARDIS
Le vieux lion rugit encore. Et tant pis pour les cyniques qui se moquent parfois de cet utopiste
de 89 ans reparti pour une ultime bataille. Idéaliste, Manolis Glezos peut bien l’être. Il est
entré dans l’histoire le 30 mai 1941, à 19 ans, lorsque sur un coup de tête et avec un jeune
camarade, Apostolos Santas, il décide de grimper de nuit au sommet de l’Acropole. Les deux
garçons décrochent alors le drapeau nazi qui flotte depuis trois jours sur la célèbre colline. Par
ce geste, ils signent le premier acte de résistance de la Grèce occupée et invitent à
l’insoumission face à l’occupant allemand. L’opération sera alors saluée à travers toute
l’Europe, du moins celle qui résiste.
Icône nationale. Près de trois quarts de siècle plus tard, le héros de la résistance, plusieurs
fois emprisonné, torturé et même condamné à mort, est à nouveau en guerre. Associé au
compositeur Mikis Theodorakis, avec lequel il a partagé un autre combat, celui contre la
dictature des colonels entre 1969 et 1974, Glezos vient de créer un mouvement : Résistance
des peuples démocratiques unis, dont l’acronyme, Elada, signifie «Grèce». En appelant les
Grecs à manifester massivement devant le Parlement, dimanche, pour s’opposer «à la
trahison» que représente le nouveau plan d’austérité imposé par Bruxelles, les deux vieux
combattants ont contribué au succès de ce rassemblement de la colère qui, comme souvent en
Grèce, a dégénéré. Les tirs de gaz lacrymogène n’ont d’ailleurs pas épargné le compositeur et
le héros de la résistance. Il y a deux ans déjà, lors de la manifestation du 5 mars, Glezos avait
été blessé par un jeune policier qui s’était par la suite répandu en excuses sur toutes les
chaînes de télé pour avoir touché l’icône nationale. Rencontré quelques jours plus tard dans sa
modeste maison de la banlieue d’Athènes, le vieil homme avait raconté qu’il avait lui-même
appelé le jeune flic pour lui dire qu’il ne le jugeait pas responsable.
Le «Stéphane Hessel grec» peut parfois faire sourire avec son lyrisme et son amour
inconditionnel de la Grèce éternelle, il cultive une modestie qui force le respect. Proche de la
gauche radicale, il n’a cessé depuis le début de la crise de fustiger les diktats de Bruxelles et
l’arrogance de ceux qui humilient les Grecs, «en oubliant que ce peuple indocile a été le
premier à dire non à l’armée mussolinienne et donc aux puissances de l’Axe». Aujourd’hui,
c’est avec les mêmes accents patriotiques qu’il dénonce, dans la profession de foi de son
nouveau mouvement, «une poignée de banques internationales, d’agences d’évaluation, de
fonds d’investissement […] qui revendiquent le pouvoir en Europe et dans le monde et se
préparent à abolir [les] Etats et [la] démocratie en utilisant l’arme de la dette».
Sursaut. Cette fois-ci encore, les Grecs seront-ils les premiers à dire non ? Le vieux lion aux
yeux bleus l’espère et tente de susciter un sursaut national pour «arrêter cette politique
irresponsable et criminelle d’austérité et de privatisation, qui conduit à une crise pire que
celle de 1929». Le résistant est aussi l’un des premiers à avoir mis l’accent sur la dette que
l’Allemagne doit à la Grèce depuis l’occupation nazie. Hitler avait en effet forcé le Trésor
grec à prêter de l’argent au Reich. Une somme évaluée aujourd’hui entre 52 et 100 milliards
d’euros (selon qu’on y ajoute intérêts et réparations), que l’Allemagne, même réunifiée, a
toujours refusé de rembourser, malgré les engagements pris lors de l’accord de Londres
en 1953. Début février, 28 députés de droite comme de gauche ont repris le combat de
Manolis Glezos pour exiger le remboursement d’une dette historique. Quelques jours plus
tard, c’est un économiste allemand, Albert Ritschl, qui, sur le site de l’hebdomadaire Der
Spiegel, légitimait à son tour ces revendications.
En Grèce, où le souvenir de l’Occupation est encore très sensible, la lutte pour le
remboursement de l’emprunt nazi et contre la soumission à «l’Europe allemande» incarnée
par le couple Merkel-Sarkozy frappe dans le mille. «Il y a encore un an, le combat de Glezos
n’aurait pas reçu un tel écho, tempère le politologue Georges Seferzis. Mais l’attitude
intransigeante et souvent humiliante de l’Allemagne a fait resurgir les blessures du passé.»
Comme le héros de la résistance qui redescend dans l’arène, beaucoup de Grecs sont excédés
par «les leçons de morale infligées par un pays qui, lui, n’a jamais soldé les dettes du passé et
a même largement contribué à la corruption à travers les pots-de-vin versés par Siemens, l’un
des plus grands scandales financiers de ces dernières années en Grèce», ajoute le
politologue, qui prévoit l’émergence d’un mouvement de résistance économique aux accents
nationalistes. Dimanche, le vieux lion indigné clamait encore : «Il faut faire descendre le
drapeau de la soumission.»
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